TF 4A_344 et 342/2020 du 29 juin 2021
Responsabilité aquilienne; responsabilité de l’administrateur, causalité, art. 754 CO
D’après l’art. 754 al. 1 CO, les membres du conseil d’administration répondent à l’égard de la société, de même qu’envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu’ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. La responsabilité de l’administrateur est subordonnée à la réunion des quatre conditions générales suivante : la violation d’un devoir, une faute (intentionnelle ou par négligence), un dommage et l’existence d’un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation fautive du devoir et la survenance du dommage.
Seules des circonstances exceptionnelles pourraient conduire à la conclusion que l’administrateur qui a failli à ses devoirs est exempt de faute. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que la personne recherchée ait été, au moment des faits, en état d’incapacité de discernement, dans une situation de contrainte absolue ou dans celle d’erreur inévitable sur les faits provoquée notamment par la tromperie d’un tiers. Dans ces cas, l’absence de faute ne découle pas de la comparaison avec le comportement d’un administrateur raisonnable, mais d’un comportement subjectivement excusable de l’administrateur. Le fait que l’administrateur responsable doit suivre les instructions d’un tiers ou d’un organe auquel il est subordonné n’exclut pas sa faute. Il s’ensuit que l’administrateur fiduciaire engage en principe sa pleine responsabilité. Dès lors qu’une négligence légère suffit, le degré de la faute n’est pas déterminant pour décider si la responsabilité de l’administrateur est engagée, mais il peut jouer un rôle dans la réduction de l’indemnité lorsque le responsable n’encourt qu’une faute légère (art. 43 al. 1 CO).
En l’espèce, les deux administrateurs ont objectivement violé leurs devoirs en exécutant le paiement litigieux, puisqu’au vu des spécificités de leurs fonctions et du rôle qu’ils jouaient dans l’organisation de la société suisse et du groupe, ils auraient pu déceler la supercherie dont ils ont été victimes. Elle ajoute que, même en l’absence d’une escroquerie, les administrateurs auraient violé gravement leurs devoirs en exécutant un paiement pour éviter un contrôle fiscal inopiné, ce d’autant qu’il était dissimulé par une facture inexistante portant sur des biens et des services inexistants, ce qu’ils savaient. Il s’ensuit que le recours du recourant n° 1 doit être rejeté.
Le recourant n° 2 soulève trois griefs. Premièrement, il invoque la violation de son droit d’être entendu, en ce qui concerne sa prétendue connaissance du motif fiscal du virement litigieux et son absence de contestation de l’existence d’un dommage. Deuxièmement, il se plaint d’appréciation arbitraire des faits et des preuves. Troisièmement, il soulève la violation de l’art. 8 CC et des art. 754, 759, 717 et 719 al. 1 CO, contestant le dommage, la violation fautive de ses devoirs, ainsi que la causalité dès lors que l’ordre de transfert a été modifié après qu’il l’a validé.
Sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner si le recourant n° 2 a eu un comportement gravement fautif en donnant l’ordre de transfert initial, force est de constater que l’ordre qu’il a donné n’a pas eu de suite, puisqu’il n’a pas pu être exécuté. Puisqu’il n’a pas participé aux deux modifications du SWIFT qui ont, seules, entraîné l’exécution du transfert litigieux, le dommage n’est pas en relation de causalité naturelle avec son éventuel comportement fautif. Il s’ensuit que le recours du recourant n° 2 doit être admis et l’arrêt attaqué réformé.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle