TF 6B_315/2020 du 18 mai 2022
Responsabilité aquilienne; faute, causalité, mise en danger par négligence en violation des règles de l’art de construire, lésion corporelles graves par négligence; art. 229 CP; 125 al. 2 CP; 11 OPA
Un grutier A. a été chargé de transporter un élément en béton d’environ dix tonnes depuis son lieu de stockage jusqu’à sa position finale. A cet endroit et selon les instructions de C., l’entrepreneur chargé du montage, a déposé l’élément en béton sur son côté longitudinal le plus étroit (20 cm) sur une plateforme élévatrice et a desserré les chaînes qui sécurisaient le bloc. Celui-ci est resté un certain temps jusqu’à ce qu’il tombe et heurte la plateforme élévatrice qui, à son tour, a poussé contre la façade de l’immeuble un travailleur présent sur le chantier, lequel a subi des lésions corporelles importantes. Le grutier est condamné pour lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP) et violation des règles de l’art de construire (art. 229 CP). Il recourt jusqu’au TF contre cette condamnation, invoquant principalement que la responsabilité de l’arrimage du chargement incombait à C.
Le TF rappelle que l’infraction visée à l’art. 229 CP consiste en l’inobservation des règles reconnues du droit de la construction. L’art. 229 CP instaure une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il oblige les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution de travaux à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de compétence. Il convient ainsi de déterminer pour chaque cas individuel l’étendue des tâches et donc du domaine de compétence. Il faut, à cet égard, se référer aux prescriptions légales, aux accords contractuels, aux fonctions exercées, ainsi qu’aux circonstances du cas d’espèce. Les usages dans le secteur de la construction doivent également être pris en compte, même s’ils ne règlent qu’une éventuelle responsabilité civile. La distinction entre les différents domaines de compétences est une conséquence de la division du travail, qui est inévitable dans le domaine de la construction, dans lequel les différentes activités ne peuvent souvent pas être délimitées de manière claire les unes par rapport aux autres, de sorte qu’en cas de violation constatée des règles de l’art de la construction, la responsabilité pénale selon l’art. 229 CP incombe souvent à plusieurs personnes en même temps (c. 6.3). Ces principes sont transposables aux éléments constitutifs de l’art. 125 al. 2 CP. En particulier, la position de garant peut être fondée sur les mêmes considérations que pour l’art. 229 CP.
S’agissant d’un grutier, il convient de se référer à l’ordonnance sur les conditions de sécurité régissant l’utilisation des grues qui prévoit, à son art. 6 al. 1, que les charges doivent être assurées pour le levage, arrimées aux crochets des grues et déposées après le levage, de sorte qu’elles ne puissent pas se renverser, tomber ou glisser et par là, constituer un danger. Lorsque l’ordonnance sur les grues ne prévoit rien, c’est l’ordonnance sur la prévention des accidents (OPA) qui s’applique. Son art. 11 al. 1 indique que l’employé est tenu d’observer les règles de sécurité généralement reconnues (c. 6.3.1).
Il convient de retenir en l’espèce une violation des règles de l’art de construire par le grutier. La répartition du travail entre ce dernier et C., en tant que chef d’équipe et instructeur, ne permet pas, dans les circonstances du cas d’espèce, de décharger le grutier. Dans son activité, celui-ci doit tenir compte des règles de sécurité généralement reconnues et doit immédiatement remédier aux éventuels défauts constatés qui portent atteinte à la sécurité du travail, conformément à l’art. 11 al. 1 OPA. En l’espèce, le grutier, vu qu’il se trouvait en hauteur, était en mesure de voir les dimensions et la position de l’élément en béton et de reconnaître le risque de basculement et l’état de fait dangereux ainsi créé. En omettant, malgré le « défaut » qu’il a constaté et qui porte atteinte à la sécurité du travail, de prendre ou de faire prendre les mesures de protection nécessaires pour l’éliminer, il n’a pas respecté les règles reconnues de l’art de construire. Le comportement fautif de C. n’était par ailleurs pas exceptionnel au point de rompre le lien de causalité entre la violation du devoir de diligence du grutier et la survenance du résultat.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne
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