NLRCAS Mars 2023
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 9C_15/2022 du 19 décembre 2022
Assurance-invalidité; mesures d’ordre professionnel, reclassement, conditions d’octroi; art. 17 LAI
Le droit au reclassement conformément à l’art. 17 LAI suppose, d’une part, que l’invalidité rende cette mesure nécessaire et, d’autre part, que la mesure permette de maintenir ou d’améliorer la capacité de gain. La jurisprudence a précisé la condition de la nécessité dans ce sens que la perte de gain que subirait la personne assurée sans le reclassement, c’est-à-dire en travaillant dans une profession accessible sans formation supplémentaire, doit être de l’ordre de 20 % (ATF 139 V 399 c. 5.3). Cette condition a pour but de conserver une certaine proportion entre les coûts entraînés par le reclassement et le bénéfice à en espérer.
Il ne s’agit toutefois pas d’une limite absolue. Si la perte de gain se situe légèrement en-dessous de ce pourcentage, il faut procéder à un pronostic global pour juger si, à moyen et long terme, les coûts engagés pour le reclassement respectent le principe de proportionnalité (c. 6.2). Par ailleurs, en présence d’une personne assurée encore jeune, on peut s’écarter du seuil de 20 % lorsque l’activité qu’elle peut exercer sans reclassement consiste en des travaux non qualifiés qui ne sont pas équivalents, qualitativement, à l’activité apprise (c. 3 et 6.3). Cela ne concerne toutefois que les personnes qui sont au début de leur carrière professionnelle, et non, comme en l’espèce, une personne âgée de 43,5 ans, se trouvant plutôt au milieu de sa vie professionnelle. Le taux d’invalidité – non contesté – s’élevant à 8 %, il n’y avait pas lieu de lui accorder de reclassement, le seuil de 20 % devant dans ce cas être respecté (c. 6.4)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_300/2022 du 26 janvier 2023
Assurance-invalidité; mesures médicales, psychothérapie; art. 12 LAI
Le TF confirme l’octroi de mesures médicales sous forme d’une psychothérapie à une jeune assurée atteinte de troubles obsessionnels compulsifs et d’anorexie. En l’espèce, le but principal de la thérapie était de permettre à l’assurée de quitter la clinique de jour où elle séjournait pour reprendre ses études de niveau gymnasial. Le caractère de réadaptation du traitement était donc clairement prépondérant, et le fait qu’il ait fallu, à l’occasion d’épisodes de crise, reléguer cet objectif au second plan pour préserver en premier lieu la vie de l’assurée n’y change rien (c. 4.2). Par ailleurs, le fait que la thérapie dure un certain temps – deux ans au moment de la décision de l’office AI – n’exclut pas l’octroi de mesures médicales, ce d’autant moins qu’en l’espèce, durant ce laps de temps, des progrès considérables ont été réalisés, la personne assurée ayant pu quitter la clinique et retourner à ses études (c. 4.3)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 6B_375/2022 du 28 novembre 2022
Lésions corporelles graves par négligence; violation du devoir de prudence de l’employeur, causalité adéquate, interruption; art. 125 CP; 8 al. 2 let. a, 15 al. 1, 16 et 19 al. 1 aOTConst; 11 et 21 OPA
Pour éviter de faire un détour, un ouvrier a décidé de ne pas emprunter la sortie réglementaire du chantier sur lequel il travaillait. Il est passé par une autre ouverture où se trouvait un échafaudage duquel il a chuté, entraînant de graves blessures. Il est admis que l’employeur n’a pas manqué à son devoir de surveillance et d’information, ni à son devoir de prudence s’agissant du choix et de l’installation des échafaudages. L’employeur a néanmoins manqué à son devoir de prudence, découlant des art. 21 OPA, 15 al. 1, 16 et 19 al. 1 aOTConst, en n’installant pas de protection et en ne prenant ainsi pas les mesures nécessaires pour prévenir les chutes.
Dans le cadre de l’analyse de l’art. 125 CP, le TF s’attarde sur le concept général de la causalité adéquate qui demeure litigieuse en l’espèce. Il est rappelé qu’en cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée.
L’existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance ; autrement dit, elle n’est réalisée que lorsque l’acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat. La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’eût empêché.
La causalité adéquate peut aussi être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d’un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.
Il convient en l’espèce de se poser la question de savoir si l’installation de protections latérales ou de mesures de protection équivalentes aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité que l’ouvrier emprunte volontairement ce passage et, conséquemment, chute. Si l’employeur avait installé des protections latérales ou des mesures de protection équivalentes, l’ouvrier n’aurait eu d’autre choix que de franchir ces installations avant de pouvoir emprunter le passage dont il est question, ce qui aurait nécessairement pris du temps. La simple présence de protections latérales ou de mesures de protection équivalentes aurait, à tout le moins, eu pour effet de porter son attention sur les risques inhérents à la manœuvre envisagée et l’aurait très vraisemblablement décidé à emprunter la sortie réglementaire. Il résulte de ce qui précède que la causalité adéquate doit être admise.
Reste encore à se demander si le comportement de l’ouvrier est à ce point extraordinaire et inattendu qu’il relègue à l’arrière-plan les manquements de l’employeur. Travailler sur un chantier est en soi une activité dangereuse, raison pour laquelle des normes de sécurité strictes s’appliquent à cette activité. En particulier, l’OTConst et l’OPA contiennent de nombreuses prescriptions visant à prévenir les chutes, précisément parce qu’il n’y a rien de surprenant à ce qu’un ouvrier, pour gagner du temps ou pour toute autre raison, prenne des risques pouvant conduire à une chute involontaire.
En cela, le comportement de l’ouvrier ne s’impose pas comme la cause la plus probable et la plus immédiate de son accident, reléguant à l’arrière-plan les manquements de l’employeur. La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en retenant une rupture du lien de causalité adéquate.
Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève
TF 4A_244/2022 du 13 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; causalité hypothétique, règles d’expérience, cognition du TF; art. 8CC; 55 et 221 CPC; 97 et 398 CO
Il est reproché à une société de courtage d’avoir violé de manière fautive ses obligations de mandataire. La question à résoudre est celle de savoir s’il existe un lien de causalité hypothétique entre la violation des obligations contractuelles et le dommage.
En l’occurrence, le lésé a juste eu à alléguer que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, elle n’aurait pas subi de dommage. Elle n’avait pas à prouver ni à alléguer quelles solutions de remplacement se présentaient à elle ni laquelle de ces solutions elle aurait choisie. La cour cantonale, en considérant que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, le lésé aurait pu entreprendre des démarches ce qui aurait eu pour conséquence de rechercher une autre solution pour éviter la survenance du dommage, a procédé, dans les circonstances concrètes, à une appréciation des faits en se fondant sur sa propre expérience générale de la vie. L’appréciation cantonale ne repose ainsi pas exclusivement sur une règle d’expérience mais sur l’appréciation des faits concrets, ce qui ne peut être revu par le TF que sous l’angle de l’arbitraire.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève
TF 4A_295/2022 du 16 décembre 2022
Responsabilité médicale; omission, causalité hypothétique, expertise, degré de la preuve, vraisemblance; art. 8 CC; 97 et 398 CO
Le 11 mars 2013, la recourante A. a présenté des signes de paralysie à sa jambe droite. Elle a consulté le jour même son médecin de famille, qui a immédiatement demandé un examen IRM. L’examen IRM a été effectué le 13 mars 2013 à l’hôpital D. Le 13 mars encore, le médecin de famille a envoyé sa patiente à l’hôpital C. où une hernie discale a été enlevée chirurgicalement le 25 mars 2013. A. souffre, malgré l’opération, d’une faiblesse persistante du releveur du pied. Elle reproche à son médecin de famille de ne pas l’avoir adressée le 11 mars 2013 à un spécialiste pour qu’il procède à une opération visant à soulager le nerf. Le tribunal civil a rejeté la demande de la recourante. Il a considéré, en se basant sur l’expertise médicale qui a eu lieu en deux parties, que le lien de causalité et le dommage invoqué n’étaient pas établis avec une vraisemblance prépondérante.
La Cour d’appel du canton de Bâle-Ville a rejeté le recours de A. Il a considéré que la première instance avait admis à juste titre, sur la base de l’expertise médicale, qu’un degré de force M3 ou même pire n’avait pas été établi le 11 mars 2013 lors de l’examen par le médecin de famille. Ainsi, la question des chances de guérison en cas d’opération dans les 48 heures ne se poserait plus faute d’indication opératoire urgente. Dans une motivation éventuelle, il a constaté qu’il était juste que la première instance ne se soit pas basée uniquement sur l’étude de PETR concernant les chances de guérisons. Les déclarations de l’expert ne démontraient pas avec une probabilité prépondérante une récupération complète en cas d’opération rapide.
Le TF relève qu’en cas d’omission, le lien de causalité est déterminé par la question de savoir si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli. Il s’agit d’un déroulement hypothétique de la causalité, pour lequel une probabilité prépondérante doit plaider selon les expériences de la vie et le cours ordinaire des choses. En principe, la jurisprudence fait également la distinction entre le lien de causalité naturelle et le lien de causalité adéquate en cas d’omission. Les constatations du juge du fond en rapport avec des omissions lient le TF, conformément à la règle générale sur le caractère obligatoire des constatations relatives au lien de causalité naturelle ; ce n’est que lorsque la causalité hypothétique est établie exclusivement sur la base de l’expérience générale de la vie – et non sur la base de moyens de preuve – qu’elle est soumise au libre examen du TF (c. 6.2).
Le TF retient également que le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante doit notamment être distingué de celui de « la simple vraisemblance ». En effet, d’une part, « rendre vraisemblable » décrit souvent le degré de preuve qui s’applique dans le cadre de décisions provisoires, prises la plupart du temps avec des restrictions des moyens de preuve, notamment des mesures provisoires. D’autre part, le degré de vraisemblance exigé diffère selon les cas. Un fait est déjà rendu vraisemblable lorsque certains éléments parlent en faveur de son existence, même si le tribunal compte encore sur la possibilité qu’il ne se soit pas réalisé. En revanche, les exigences sont plus élevées en ce qui concerne le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante : la possibilité qu’il puisse en être autrement n’exclut certes pas la vraisemblance prépondérante, mais elle ne doit pas jouer un rôle déterminant pour le fait en question ni entrer raisonnablement en ligne de compte (c. 6.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg
TF 4A_315/2022 du 13 décembre 2022
Responsabilité médicale; information donnée au patient, consentement éclairé; art. 97 CO
Un patient s’était soumis à une opération des cavités nasales. Il avait auparavant reçu une fiche d’information contenant des indications sur différents effets secondaires et complications possibles, dont ceux survenant après des blessures à la base du crâne. Lors de l’opération, le patient avait effectivement subi une lésion de la base antérieure du crâne et des méninges, avec fuite de liquide et entrée d’air dans l’espace cérébral. Ce type d’incident était connu et considéré comme rare (0,2 à 0,5 %). Le problème avait été corrigé trois jours plus tard par une opération d’urgence, après un rendez-vous chez le médecin ORL opérateur et l’établissement d’un scanner.
A la suite d’une action partielle du patient, qui se plaignait de certaines séquelles, le tribunal d’arrondissement avait rendu une décision incidente admettant la responsabilité de principe du médecin opérateur, sur la base d’une violation du devoir d’information. L’appel interjeté par le médecin auprès du Tribunal supérieur du Canton de Berne avait été rejeté. Devant le TF, la question d’une éventuelle faute médicale ne se posait plus, cette hypothèse ayant été rejetée par les deux premières instances.
La Cour supérieure était parvenue à la conclusion qu’une fiche d’information avait été remise au patient avant l’opération, fiche dans laquelle il était fait mention de la complication possible d’une fuite de liquide céphalorachidien avec le risque d’une méningite consécutive. Il n’avait pas été établi par contre qu’une explication orale avait été donnée à ce sujet et que l’intimé avait lu et compris la feuille d’information. Bien au contraire, le formulaire d’information remis au patient contenait au verso une rubrique intitulée « Documentation », dans laquelle il fallait cocher que le formulaire d’information avait été lu et compris, que toutes les questions intéressantes avaient pu être posées lors de l’entretien d’information, et qu’il y avait été répondu de manière complète et compréhensible. Comme cette page était restée vide, les premiers juges en avaient conclu que la preuve de ces explications orales et du fait que le patient avait lu et compris le texte de la fiche d’information n’avait pas été apportée. Le TF a rejeté sur cette question de faits le grief d’arbitraire du recourant (c. 6.3).
Par contre, il a considéré que, sur le plan juridique, le médecin ORL avait bel et bien rempli correctement son devoir d’information. Le TF rappelle à ce sujet que l’information adressée au patient n’est en principe pas liée à une forme particulière, et qu’il convient plutôt de décider, en fonction des circonstances, si celui-ci a été informé de manière claire et compréhensible sur le diagnostic, la méthode de traitement et les risques. On ne peut donc pas partir du principe, comme l’ont fait les premiers juges, qu’une information donnée exclusivement par écrit est en soi insuffisante, même en ce qui concerne des complications hautement improbables (c. 7.1).
En l’espèce, comme une fiche d’information avait été remise à l’intimé avec l’invitation à la lire, comme cette fiche mentionnait en termes compréhensibles le risque spécifique tel qu’il s’était réalisé, comme il s’agissait d’une complication extrêmement rare, et que celle-ci avait pu être corrigée, comme le patient avait eu la possibilité d’étudier la fiche d’information chez lui, d’y préparer des questions et de les poser lors d’une consultation ultérieure après un délai de réflexion approprié, et comme il avait déclaré que le fait de savoir que toute opération comportait des risques lui avait « suffi », le TF conclut que le devoir d’information a été correctement rempli, même si aucune explication orale n’a été donnée. Il relève par ailleurs qu’il convient de laisser à cet égard une certaine marge de manœuvre au médecin, qui doit aussi pouvoir prendre en compte le fait qu’un excès d’informations peut être néfaste pour le patient, causer un état d’anxiété préjudiciable, et finalement l’empêcher de prendre une décision appropriée (c. 7.2).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 8C_504/2022 du 23 décembre 2022
Assurance-chômage; gain intermédiaire, gain accessoire, jetons de présence du membre d’un organe législatif cantonal; art. 24 al. 3 et 23 al. 3 LACI
Constituent un gain accessoire qui n’est pas pris en compte en tant que gain intermédiaire les jetons de présence perçus par un membre du Grand Conseil dans la mesure où il s’agit d’une activité, exercée en dehors de la durée normale de son travail, et qu’elle a débuté avant la perte de l’activité principale qui avait été exercée à plein temps.
Les gains accessoires réalisés durant le délai-cadre de cotisation ne deviennent des gains intermédiaires durant le délai-cadre d’indemnisation que s’ils augmentent sensiblement après la perte de l’activité principale. Tel n’est pas le cas lorsque le membre du législatif a déjà par le passé réalisé un gain comparable et que la variation du montant de ses jetons de présence, d’une année à l’autre, dépend de circonstances qu’il ne maîtrise pas, notamment le nombre de séances de commissions et de séances plénières.
A cet égard, c’est à tort que l’instance cantonale s’est fondée uniquement sur les gains réalisés durant les deux dernières années précédant la perte de l’activité principale. Le recours est donc admis.
Auteur : Me Eric Maugué, avocat à Genève
TF 8C_424/2022 du 10 janvier 2023
Assurance-chômage; coordination internationale, prise en compte des activités exercées au sein de l’UE, période d’assurance, période d’emploi; art. 6 et 61 R 883/2004; 27 LACI; 61 let. c LPGA
Une personne effectue un stage juridique non payé auprès d’un tribunal international aux Pays-Bas avant d’exercer un emploi de greffière en Suisse. Elle demande ensuite des indemnités de chômage et la caisse de chômage est amenée à s’interroger sur la prise en compte du stage non payé aux Pays-Bas pour déterminer si l’assurée a droit à 400 indemnités ou seulement 260 selon l’art. 27 al. 2 LACI. La caisse de chômage arrive à la conclusion qu’elle n’a pas à prendre en compte le stage non payé comme période de cotisation et applique donc une limite de 260 indemnités journalière, ce qui est confirmé par le tribunal cantonal. Celui-ci a tout d’abord admis que la totalisation des périodes prises en compte à l’étranger était possible selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004, dès lors que l’assurée avait exercé en dernier lieu un emploi en Suisse avant de s’annoncer à l’assurance-chômage, réalisant ainsi la condition de l’art. 61 al. 2 R 883/2004. Il a cependant jugé que la période de stage non payé aux Pays-Bas n’était pas une période d’assurance selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004. Un stage non rémunéré n’était pas considéré comme une activité soumise à cotisation selon le droit suisse et ne devait donc pas entrer en considération. Le fait que cette même activité non salariée avait été prise en considération pour calculer un revenu intermédiaire hypothétique pour un droit aux indemnités de chômage antérieur n’était pas non plus relevant, car il ne s’agissait pas d’une activité soumise à cotisation mais bien d’un revenu retenu sur la base de l’obligation de diminuer le dommage. L’assurée recourt devant le TF et reproche une mauvaise application de l’art. 61 al. 1 R 883/2004, en ce sens que le tribunal cantonal n’a pas appliqué le droit néerlandais pour qualifier le stage non payé. Elle reproche également une violation de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA).
Le TF rappelle tout d’abord le principe de la totalisation des périodes d’assurance et d’emploi survenues au sein des différents Etats parties à l’ALCP. Ce principe est consacré à l’art. 61 R 883/2004 s’agissant de l’assurance-chômage. En substance, l’Etat compétent doit prendre en compte toutes les périodes d’assurance survenues dans les pays membres. Est compétent le pays dans lequel la personne assurée a été occupée en dernier avant la période de chômage, en l’occurrence la Suisse. Les périodes d’emploi ne sont à prendre en compte que si elles auraient été considérées comme période d’assurance au sens du droit de l’Etat compétent si elles avaient eu lieu sur son sol. On fait donc la distinction entre période d’assurance et période d’emploi (c. 4.2.2).
On entend par périodes d’assurance les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées selon cette même législation (art. 1 let. t R 883/2004). Selon la jurisprudence de la CJUE, on ne tient pas seulement compte des périodes reconnues par le droit de l’assurance-chômage du pays. Il suffit au contraire que l’activité soit reconnue par un domaine de la sécurité sociale, par exemple l’assurance-accidents (Jugement du 12 mai 1989 Rs 388/87 Warmerdam-Steggerda). Les périodes d’emploi désignent quant à elle les périodes définies ou admises comme telles par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées (art. 1 let. u R 883/2004) (c. 4.2.3).
Les périodes d’assurance ou d’emploi accomplies au sein d’un autre Etat membre sont attestées au moyen d’un document portable PD U1. La personne assurée doit transmettre ce formulaire à l’assurance chômage auprès de laquelle elle demande des prestations. Les périodes qui ne sont ni considérées comme des périodes d’assurance, ni comme des périodes d’emploi ou des périodes assimilées ne seront pas prises en compte par l’assurance compétente pour la totalisation des périodes.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut rien déduire en sa faveur du fait que la période de stage non payée pourrait éventuellement être qualifiée de période d’emploi au sens de l’art. 1 let u R 883/2004. En effet, ce stage non payé n’aurait dans tous les cas pas été qualifié de période de cotisation en Suisse, raison pour laquelle une période d’emploi au sens du droit néerlandais n’aurait pas été prise en considération selon l’art. 61 al. 1 2e phrase R 883/2004 (c. 4.4).
Pour déterminer si le stage peut être considéré comme une période de cotisation, est pertinente la présence d’une période de cotisation ou d’une période assimilée au sens du droit néerlandais. Afin d’en juger, la caisse de chômage a demandé des informations à l’autorité compétente néerlandaise. Celle-ci lui a répondu qu’elle avait besoin du numéro de citoyen (Burgerservicenummer) pour pouvoir lui répondre. Or, l’assurée ne disposait pas de ce numéro et le tribunal international ayant été entretemps dissous, elle ne pouvait pas s’enquérir auprès de lui. Partant du constat que l’assurée n’avait jamais eu de numéro de citoyen aux Pays-Bas, la caisse de chômage est arrivée à la conclusion que la période d’activité n’avait pas été annoncée auprès de l’équivalent de la caisse de chômage aux Pays-Bas et qu’il ne s’agissait donc pas d’une période de cotisation à prendre en considération.
Le TF souligne que la question de savoir si le stage doit être considéré comme une période d’assurance s’apprécie selon le droit néerlandais. Le fait qu’aucune cotisation n’ait été versée aux Pays-Bas pour ce stage ne suffit pas à nier toute période d’assurance, dès lors que cette notion comprend également celle de période d’emploi ou de période assimilée. De plus, selon la jurisprudence, la prise en considération dans un seul domaine de sécurité sociale suffit. Par conséquent, la cour cantonale fait fausse route quand elle retient qu’il ne peut pas y avoir de période d’assurance aux Pays-Bas étant donné que l’assurée n’a pas été assujettie à l’équivalent de l’assurance-chômage là-bas (c. 4.5.2).
Etant rappelé que les procédures d’assurances sociales sont soumises à la maxime inquisitoire, la caisse de chômage ne pouvait pas se contenter de la réponse de l’autorité compétente néerlandais concernant le numéro de citoyen pour conclure que le stage ne devait pas être pris en considération. Il était en effet fort probable que l’assurée n’ait jamais été annoncée et enregistrée aux Pays-Bas compte tenu du fait que son stage n’était pas rémunéré. Un tel état de fait n’était cependant pas suffisant pour conclure à l’absence de toute période d’assurance dans ce pays. Il aurait donc été nécessaire que la caisse de chômage sollicite une seconde fois l’autorité compétente néerlandaise afin de l’interroger sur la nécessité d’avoir un numéro de citoyen pour une activité non rémunérée et sur la qualification d’une telle activité. En ne procédant pas de la sorte, la caisse de chômage a violé son obligation d’instruire (art. 61 let. c LPGA). Le fait que l’assurée aurait également pu demander ces éclaircissements n’est pas suffisant. Le SECO exige en effet que la caisse de chômage recherche elle-même les données pertinentes si l’assuré ne peut pas fournir le formulaire PD U1. Exiger de l’assurée qu’elle obtienne une attestation de la part des Pays-Bas dans les circonstances concrètes irait au-delà de son devoir de collaborer (c. 4.6.3).
Par conséquent, la cause est renvoyée à la caisse de chômage pour complément d’instruction au sens des considérants.
Auteur : Pauline Duboux, juriste
TF 4A_376/2022 du 5 décembre 2022
Assurances privées; procédure; vice de forme; art. 132 al. 1 CPC
Un assuré a déposé une demande devant la cour des assurances sociales pour obtenir le paiement d’indemnités journalières maladie fondées sur un contrat d’assurance maladie complémentaire. L’assureur a déposé une réponse signée uniquement par un collaborateur disposant de la signature collective à deux au Registre du commerce. L’autorité de première instance a ainsi déclaré cette réponse irrecevable et admis l’intégralité des conclusions de la demande au motif que, sans réponse, il fallait considérer que l’assureur avait admis les allégués de la demande. L’assureur a déposé un recours au TF par lequel il relevait que l’art. 132 al. CPC imposait à l’autorité de première instance de lui impartir un délai pour rectifier le vice de forme. Il invoquait également le droit d’être entendu de l’art. 29 al. 1 Cst.
Le TF explique que l’art. 132 al. 1 CPC a pour but d’atténuer la rigueur formelle qui ne serait justifiée par aucun intérêt digne de protection. C’est ainsi que si une partie dépose, par inadvertance ou involontairement, un acte vicié, un délai doit lui être imparti pour qu’il le rectifie. Il relève néanmoins qu’il n’y a aucune protection accordée à cette partie si le défaut constitue un abus de droit manifeste, comme par exemple volontairement déposer un acte vicié afin d’obtenir un délai supplémentaire ou afin de faire traîner la procédure.
Dans le cas d’espèce, le vice reproché à l’assureur avait déjà été constaté dans une procédure et l’attention de l’assureur avait ainsi été attirée sur cette problématique. Le TF relève toutefois qu’une telle récidive n’est en soi pas suffisante pour considérer qu’il y a abus de droit. Par conséquent, notre Haute Cour a considéré que l’autorité inférieure avait violé les art. 132 al. 1 CPC et 29 al. 1 Cst. dès lors qu’aucun délai n’avait été imparti à l’assureur pour rectifier la problématique de la signature. Il a ajouté que ces dispositions et l’obligation d’impartir un délai supplémentaire s’appliquaient également lorsque l’acte était signé par une personne seule si cette dernière ne dispose que de la signature collective à deux, inscrite au Registre du commerce. La cause a ainsi été renvoyé à l’autorité de première instance.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne
TF 4A_323/2022 du 5 décembre 2022
Assurances privées; procédure, preuve à futur, Lloyd’s; art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC
La société A. SA, (requérante, recourante) est une holding du groupe A., dont le siège est en Suisse. B. Limited (intimée 1) et C. Limited (intimée 2) sont des compagnies d’assurances anglaises qui proposent des contrats sur mesure (Spezialversicherungen) par l’intermédiaire du marché des assurances Lloyd’s de Londres. Le 19 décembre 2018, la recourante a signé un contrat d’assurance pour couvrir le risque d’annulation de grandes manifestations. En plus de la société D. plc (public limited company), quatre syndicats des Lloyd’s sont intervenus en tant qu’assureurs, soit les syndicats B. Lloyd’s Syndicate www et xxx et les C. Lloyd’s Syndicate yyy et zzz. Le contrat d’assurance a été conclu enfin par l’intermédiaire de la société E. Limited. L’intimée 1 est membre du syndicat B. Lloyd’s Syndicate www et l’intimée 2 est membre du syndicat C. Lloyd’s Syndicate yyy. En 2020, plusieurs manifestations internationales ont été annulées. Un conflit est né entre les parties en relation avec l’indemnisation du dommage subi. La recourante était de l’opinion que, pour faire valoir sa créance contractuelle, elle avait besoin des données (prénoms, noms ainsi que les adresses de domicile ou de siège) de tous les membres du syndicat des Lloyd’s, participant au contrat d’assurance en question. Le 4 octobre 2021, elle a donc introduit une requête de preuve à futur, dans ce but. Déboutée en première et en deuxième instance, elle porte l’affaire devant le TF.
Le TF rappelle, en premier lieu, qu’il y a une différence entre la demande en production de documents à des fins de preuve dans le cadre d’une procédure civile (Editionsbegehren zu Beweiszwecken) et une demande de production fondée sur un droit aux renseignements de nature matérielle (Editionsbegehren gestützt auf einen materiellrechtlichen Auskunftsanspruch). Alors que le droit aux renseignements ou à la reddition de compte peut être élevé, de manière indépendante et notamment être cumulé avec la prétention principale, en tant que prétention accessoire, dans le cadre d’une action échelonnée (Stufenklage), la demande de preuve en matière de procédure civile présuppose des allégations pertinentes sur les faits que les documents à éditer doivent prouver (c. 4 ss ; cf. ATF 144 III 43 c. 4).
Le TF rappelle ensuite rapidement le mode de fonctionnement du marché des Lloyd’s (c. 5.1 et réf. not. 4A_116/2015, 4A_118/2015 du 9 novembre 2015, c. 3.1, n. p. dans ATF 141 III 539). Il rappelle que les Lloyd’s ne contestent en principe pas leur légitimation passive lorsque la partie défenderesse est intitulée « les assureurs Lloyd’s signataires du contrat Nr. […], représentés par le mandataire général pour la Suisse ». Il reconnaît toutefois que cela ne change fondamentalement rien aux effets sur la capacité d’être partie. En passant, il mentionne que le projet de révision de la loi sur la surveillance des assurances prévoit un art. 15a P-LSA « association d’assureurs désignée par Lloyd’s ». Son al. 2 devrait prévoir que le mandataire général des Lloyd’s pour la Suisse a qualité de partie dans toutes les procédures concernant les prétentions et les créances découlant de contrats d’assurance, en lieu et place des assureurs des Lloyd’s concernés (c. 5.2 et réf.). Il examine ensuite le grief de la recourante qui conteste avoir voulu obtenir des preuves de manière contraire au droit. En effet, l’autorité cantonale avait considéré qu’il en allait ainsi puisque la recourante sollicitait des informations qu’elle ne connaissait pas encore et dont elle disait avoir besoin pour intenter une action contre les membres des syndicats, afin de prouver la capacité d’être partie et la légitimation passive, sur la base des art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC. Pour le TF, l’appréciation cantonale n’est pas arbitraire, parce que la recourante ne fait pas valoir qu’elle aurait eu effectivement connaissance des informations requises. Or, la requête de preuve à futur visant l’édition de documents ne sert pas à clarifier un état de fait mais à le prouver (c. 6.2.1). Du point de vue du TF, il n’est pas non plus arbitraire de rejeter l’action de la recourante au motif qu’un tel rejet reviendrait à ce que la demanderesse ne puisse, dans l’hypothèse d’une absence d’un droit contractuel à l’information, pas faire valoir ses prétentions en justice. Il a ainsi suivi la cour cantonale, estimant que cela ne représentait pas un résultat insoutenable et que cette impossibilité serait en outre imputable à la recourante, elle-même, laquelle avait accepté de conclure un contrat, sans connaître ses partenaires voire sans prévoir de clause impliquant une obligation de communication desdits partenaires (c. 6.2.2). Enfin, le TF considère que l’argumentation principale des juges cantonaux, à savoir que la recourante n’a pas sollicité l’édition de documents mais d’informations et qu’elle n’avait pas démontré que l’objet de ses conclusions juridiques était constitué de documents déjà existants, malgré les dénégations de la demanderesse, ne représentait pas une violation du droit d’être entendu de la recourante (c. 6.3 ss). Le recours est rejeté.
Auteur : Rébecca Grand, avocate à Winterthour
TF 4A_338/2022 du 19 décembre 2022
Assurances privées; invalidité, réticence; art. 4 à 6 LCA
C. a conclu en 2001 un contrat d’assurance auprès de A. SA pour sa fille B., âgée de 14,5 ans à ce moment-là, couvrant les risques d’invalidité et de décès. Le 25 février 2019, l’assurance-invalidité fédérale a mis B. au bénéfice d’une rente entière. Celle-ci a ensuite sollicité auprès de A. SA le paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-, ce que la compagnie a refusé en invoquant une réticence au sens de l’art. 6 LCA, notamment en raison des faits importants non déclarés prétendument connus de la maman C. à la conclusion du contrat (art. 5 al. 1 LCA).
Les différentes instances judiciaires ont reconnu le droit de B. au paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-. A ce titre, le fait que B. ait annoncé en 2019 qu’elle souffrait de troubles psychiques depuis 2000 n’y change rien. Il en va de même pour les indications provenant des spécialistes consultés qui ont diagnostiqué l’existence d’une atteinte à la santé psychique plusieurs années après la conclusion du contrat, mais sans préciser clairement la date de début de la maladie. En effet, la seule chose pertinente est de déterminer si B. ou sa mère le savait ou aurait dû le savoir au moment de l’établissement de la proposition d'assurance, soit le 22 mai 2001 (c. 5.2.1).
Le TF laisse cependant ouverte la question de savoir si l’art. 5 al. 1 LCA est applicable au représentant légal d’un enfant mineur ou si les faits importants connus de l’enfant capable de discernement ou qu’il devait connaître ont de l’importance (c. 4.2).
Par ailleurs, A. SA fait valoir que C. avait certes déclaré une maladie ophtalmologique ainsi qu’un asthme, mais avait omis de mentionner le suivi de B. chez une psychologue pour enfants entre 1992 et 1998, ce qui représenterait une réticence sur différentes questions de la proposition d’assurance de l’époque. Pour la plupart des questions, une réticence a été niée par les différentes instances judiciaires, car soit les questions ne concernaient pas une atteinte psychique, soit il était question de l’état de santé de B. au moment de l’établissement de la proposition d’assurance. Par ailleurs, le TF rappelle que la réticence ne doit être admise qu’avec retenue s’agissant de questions ouvertes et à large portée posées par l’assureur. Cela est d’autant plus vrai si, à la suite de telles questions, l’assureur ne laisse pas au proposant suffisamment d’espace sous forme de lignes vides pour lui permettre d’exprimer d’éventuels doutes ou d’expliquer sa réponse (c. 3.2 et 5.3.5). Quant à l’absence de réponse positive de la proposante à une question concernant le fait de savoir si B. avait souffert d’une maladie nerveuse et de dépression pendant une période de cinq ans avant l’établissement de la proposition d’assurance, le TF confirme qu’il n’a pas été démontré que la personne assurée souffrait d’une véritable maladie, malgré un suivi psychologique sur plusieurs années (c. 5.3.5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge
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