NLRCAS Septembre 2020
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 4A_397/2019 du 1 juillet 2020
Responsabilité aquilienne; privilège de recours, concours de responsabilité, solidarité imparfaite, ordre des recours; art. 72 et 75 LPGA; 51 al. 1 CO
Le TF confirme la jurisprudence rendue dans son arrêt 143 III 79, selon laquelle le responsable civil non privilégié n’est tenu envers l’assureur social qui exerce contre lui un recours que pour le montant dont il serait redevable dans le règlement interne entre codébiteurs solidaires en l’absence de privilège de recours au sens de l’art. 75 LPGA.
Dans ce même arrêt, le TF a rappelé que l’ordre des recours de l’art. 51 al. 2 CO demeure la règle. Le juge ne peut s’en écarter que si son application stricte ne permet pas de tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce. Il précise en outre que la solution précédemment retenue dans son arrêt 144 III 319 (cas de la canalisation de gaz qui explose) constitue un cas d’exception. On ne pouvait dès lors pas déduire de cet arrêt un changement de jurisprudence opéré par le TF en lien avec l’art. 51 al. 2 CO.
Auteurs : Alexis Overney et Vincent Perritaz, avocats à Fribourg
TF 4A_529 et 531/2019 du 25 mai 2020
Responsabilité du détenteur d’aéronef; aolidarité imparfaite, ordre des recours internes; art. 51 CO; 64 LA
Un ouvrier a été gravement blessé à la suite de la chute d’une bûche d’un sac transporté par un hélicoptère, au moment de son envol. L’ouvrier, devenu invalide, réclame réparation de son préjudice auprès de (1) la société exploitant l’hélicoptère et (2) l’entreprise auprès de laquelle il avait été détaché. Donnant partiellement raison à l’ouvrier, qui avait commis une faute concomitante, les juges cantonaux ont retenu que les sociétés défenderesses devaient répondre solidairement du dommage, chacune devant assumer, sur le plan interne, la moitié du préjudice.
Saisi du recours de l’ouvrier et de l’entreprise auprès de laquelle il avait été détaché, le TF confirme le jugement cantonal. L’entreprise de construction répondait de n’avoir pas veillé à ce que ses ouvriers portent bel et bien le matériel de protection fourni ; le transporteur devait répondre d’avoir accepté de continuer les travaux en dépit de l’absence de port de casque, étant précisé que le risque inhérent à l’emploi d’un hélicoptère n’avait joué qu’un rôle modeste. Le TF confirme que c’est à juste titre que la société exploitant l’hélicoptère répondait selon la loi fédérale du 21 décembre 1948 sur l’aviation (LA) dans la mesure où une pièce de bois chutant d’un sac suspendu par une élingue à un hélicoptère doit être considérée comme provenant d’un aéronef au sens de l’art. 64 LA.
S’agissant de la détermination du degré de la faute dans un cas concret, le TF rappelle qu’elle relève du jugement de valeur et repose largement sur l’appréciation du juge cantonal, de sorte que le TF ne réexamine la question qu’avec retenue. Il n’intervient que si le juge a abusé de son pouvoir d’appréciation, en se référant à des critères dénués de pertinence ou ne tenant pas compte d’éléments essentiels, ou lorsque la décision, dans son résultat, heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité.
Enfin, au niveau des recours internes, le TF accepte l’appréciation des juges cantonaux qui ont refusé de faire une application mécanique de l’art. 51 al. 2 CO compte tenu des fautes en présence : la faute de l’entreprise exploitant l’hélicoptère paraissant plus grave, il est juste qu’elle ne réponde pas en dernière ligne seulement en vertu de sa responsabilité objective fondée sur la LA.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne
TF 6B_71/2020 du 12 juin 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence; art. 117 CP; 31 al. 1 LCR; 3 al. 1 OCR
Un automobiliste circulait le 1er janvier 2017 vers 3h45 à une vitesse comprise entre 70 km/h et 75 km/h après un panneau de fin de limitation de vitesse à 60 km/h sur la route principale Lausanne-Bulle, feux de croisement enclenchés sur un tronçon rectiligne et humide dépourvu d’éclairage public. Bien qu’il y ait eu des nappes de brouillard par intermittence, la visibilité était bonne et il n’y avait pas de brouillard à l’endroit où l’accident s’est produit. L’automobiliste a aperçu tardivement un piéton qui portait des vêtements sombres et qui se trouvait debout sur la partie gauche de sa voie de circulation (au milieu de la route principale). Bien qu’ayant freiné, il l’a heurté quasiment simultanément. Ce dernier a chuté sur le véhicule et a été emporté sur une distance de 27 mètres avant d’être projeté au sol. Sa mort cérébrale a été constatée le lendemain au CHUV.
Le TF a rappelé la notion de négligence, à savoir une violation du devoir général de diligence d’une manière fautive. S’agissant d’un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière, en l’occurrence aux art. 31 al 1 LCR et 3 al. 1 OCR (maîtrise du véhicule impliquant d’être en tout temps en mesure de réagir utilement aux circonstances et attention vouée à la route et à la circulation). Le degré d’attention s’apprécie au regard des circonstances d’espèce, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l’heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles. Le TF a retenu que le recourant avait fait preuve d’une inattention de plusieurs secondes, contraire aux dispositions légales précitées, sans quoi il aurait pu voir suffisamment tôt la victime qui se trouvait debout sur sa voie de circulation, ce qui lui aurait permis de freiner et de dévier sa trajectoire pour tenter d’éviter le choc. Le témoin automobiliste arrivé deux minutes après l’accident avait en effet pu opérer une manœuvre d’évitement subite après avoir eu son attention retenue par une masse sombre étendue au sol.
Le TF a également rappelé les notions de causalité naturelle et adéquate et à quelles conditions cette dernière était interrompue. Il a rappelé qu’en matière de LCR, la présence inattendue d’un piéton traversant une autoroute n’était pas plus imprévisible que celle d’animaux errants ou blessés, de victimes d’accidents, d’objets tombés sur la chaussée ou de véhicules immobilisés, de tels obstacles n’étant pas considérés si rares qu’on puisse en faire abstraction sur une autoroute. La présence d’un piéton cheminant sur une route cantonale vers 22h30 n’a pas été considérée comme exceptionnelle au point d’interrompre le lien de causalité entre le comportement fautif du conducteur et le décès de la victime. Dans le cas présent, il a été jugé que la présence d’un piéton debout au milieu d’une route principale en pleine nuit était inhabituelle, mais non extraordinaire, le soir du réveillon, connu comme étant un évènement festif impliquant notamment de la consommation d’alcool et des comportements inattendus sur les routes, notamment au moment du retour au domicile. Par ailleurs, le comportement de la victime même habillée de vêtements sombres et se tenant debout au milieu de la chaussée était certes dangereux, mais n’apparaissait pas insolite au point de reléguer à l’arrière-plan le comportement fautif du conducteur (contrairement à d’autres cas où la victime s’était élancée sur la chaussée au moment du passage du véhicule ou couchée sans raison sur les voies d’une autoroute). La faute concomitante de la victime n’a pas été retenue, puisqu’il n’y a pas de compensation des fautes en matière pénale.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg
TF 9C_815/2019 du 15 juin 2020
Assurance-maladie; infirmité congénitale, hippothérapie, coordination avec l’assurance-invalidité; art. 27 et 52 al. 2 LAMal; 35 OAMal; OIC
L’assurée, née le 28 avril 1998, présentait une infirmité congénitale (paralysies cérébrales congénitales, ch. 390 OIC), pour laquelle l’assurance-invalidité a versé jusqu’à ses 20 ans révolus des prestations d’hippothérapie. L’art. 5 al. 1 lit. b ch. 8 OPAS ne prévoyant qu’une prise en charge des frais, au titre de physiothérapie, de l’hippothérapie en cas de sclérose en plaques, l’assureur-maladie a refusé tout remboursement. Le TF a confirmé la décision de refus de l’assurance-maladie, au motif que cette mesure ne constituait pas, dans le cas d’espèce et nonobstant la jurisprudence parue aux ATF 142 V 425, une mesure thérapeutique au sens des exceptions prévues aux art. 52 al. 2 LAMal et 35 OAMal.
Auteur : Guy Longchamp
TF 9C_557/2019 du 13 juillet 2020
Assurance-maladie; affiliation à l’assurance-maladie, coordination européenne; art. 2 al. 1 let. e OAMal; 11 et 24 R (CE) n° 883/2004
Une ressortissante portugaise domiciliée en Suisse, titulaire de rentes de vieillesse versées par des institutions allemandes, se voit refuser la possibilité de s’assurer à l’assurance-maladie suisse, sur la base de l’art. 24 R (CE) n° 883/2004.
Lorsqu’un titulaire d’une pension versée par un autre Etat membre n’a pas de droit originaire à des prestations en nature en cas de maladie dans l’Etat de résidence, et qu’une seule rente est perçue, la charge des prestations en cas de maladie incombe à l’institution compétente de l’Etat qui alloue la rente. Le rentier a alors un droit à l’entraide visant à faciliter l’accès aux soins et aux prestations en nature à l’encontre de l’institution de l’Etat de résidence et une obligation de s’assurer à l’assurance-maladie avec obligation de cotiser dans l’Etat qui verse la rente.
Les prestations fournies à titre d’entraide le sont en vertu de la législation de l’Etat de résidence, comme si la personne y était assurée pour le risque maladie. Cela suppose toutefois l’existence d’un rapport d’assurance entre la personne concernée et l’Etat qui sert la rente, avec pour corollaire l’obligation pour celui-ci de prendre définitivement en charge les prestations ainsi que le droit de percevoir des cotisations.
Sur cette base, les personnes résidant en Suisse et affiliées au système d’assurance-maladie légal au sein d’un Etat UE/AELE ont droit aux soins médicaux en cas de maladie, d’accident non professionnel ou de maternité lorsqu’elles résident en Suisse.
La recourante se plaint d’une lacune de couverture d’assurance inadmissible, en raison du fait qu’elle ne peut pas être affiliée à une caisse-maladie publique allemande à défaut de période d’assurance suffisante mais seulement à une caisse privée ne prenant en charge que de façon limitée les coûts médicaux en Suisse.
L’Allemagne a fait usage de la possibilité prévue par le droit communautaire permettant à l’assurance-maladie privée de se substituer à la couverture « maladie » fournie par le régime légal de sécurité sociale. L’assurance maladie privée n’est alors pas coordonnée par les règlements n° 883/2004 et 987/2009, mais prise en considération pour le rattachement du point de vue de la règle de conflit. Les personnes concernées n’ont pas de droit dans le cadre de l’entraide en matière de prestations selon le règlement n° 883/2004, mais uniquement un droit au remboursement des coûts du traitement médical de la part de l’assurance privée. Les autorités allemandes ne font ainsi pas de différence entre l’assurance-maladie légale et l’assurance-maladie privée en ce qui concerne le rattachement du point de vue de la règle de conflit, mais bien en ce qui concerne la coordination effective des prestations en nature au sens de l’art. 24 R (CE) n° 883/2004, au motif que l’assurance-maladie privée allemande ne prévoirait pas de prestations en nature. Le TF estime qu’une telle conception paraît contraire au système de coordination prévu par l’art. 24 R (CE) n° 883/2004 (c 6.3.2.1).
La situation de la recourante, qui ne peut pas bénéficier des prestations de l’assurance-maladie suisse comme si elle y était assurée pour le risque maladie, mais est tenue de payer directement ses traitements aux fournisseurs de prestations, à charge pour elle de se faire rembourser auprès de sa caisse-maladie privée allemande selon les conditions de son contrat, est reconnue par le TF comme étant insatisfaisante pour elle. Néanmoins, le TF nie toute violation, par les autorités suisses, des normes de coordination européenne et du droit suisse (c. 6.3.4).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds
TF 8C_114/2020 du 3 juin 2020
Assurance-accidents; indemnité pour changement d’occupation, fin des rapports de travail avant la décision d’inaptitude, assureur compétent; art. 84 al. 2 LAA; 76 al. 1 et 86 al. 1 OPA
L’assuré travaillait comme aide-cuisinier et était assuré en LAA auprès de Sympany jusqu’au jour où il a fait une réaction anaphylactique liée aux poussières de céréales. Peu avant la résiliation de son contrat de travail, l’employeur a annoncé un sinistre à Sympany. Ensuite, l’assuré a perçu des prestations du chômage et était, par ce biais, assuré LAA auprès de la Suva. La Suva a rapidement prononcé une décision d’inaptitude à travailler en présence de farines de céréales, à la suite de quoi l’assuré a fait valoir son droit à percevoir des indemnités pour changement d’occupation selon l’art. 86 OPA. La Suva a rejeté la demande pour des raisons de compétence et a renvoyé l’assuré à se tourner vers Sympany. Celle-ci a jugé la demande tardive, l’assuré étant déjà sans emploi lors de la décision d’inaptitude prononcée par la Suva. La cour cantonale a condamné Sympany à prester. Celle-ci recourt au TF.
Le TF indique que la Suva n’était pas compétente pour statuer sur cette demande. En effet, en tant qu’assurance du chômage, elle se limite à couvrir les accidents non-professionnels, à l’exclusion des maladies professionnelles ou des prestations liées à la prévention des accidents et maladies professionnels (c. 6).
Les indemnités pour changement d’occupation ne sont pas des prestations d’assurance au sens étroit, mais servent à la prévention des accidents et des maladies professionnels. Elles visent à faciliter la réorientation professionnelle. Elles ne supposent ni incapacité de travail, ni invalidité. Il s’agit d’une compensation financière pour le préjudice causé à l’assuré par une décision d’inaptitude. Ces prestations se rapprochent donc de celles de l’assurance-chômage (c. 7.1.5).
En l’espèce, il incombe à Sympany de prester en sa qualité d’assureur du dernier employeur de l’assuré, quand bien même la décision d’inaptitude a été rendue environ trois mois après la fin des rapports de travail (c. 7.2.1 à 7.2.4).
Le TF laisse la question ouverte de savoir ce qu’il serait advenu si l’assuré avait commencé un nouvel emploi après l’emploi qui mettait sa santé en danger, de même que celle d’une application par analogie de l’art. 77 al. 1 LAA (c. 7.2.5).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève
TF 9C_590/2019 du 15 juin 2020
Assurance vieillesse et survivants; personnes sans activités lucrative, cotisations, revenus acquis à l’étranger, notion de revenu acquis sous forme de rente; art 10 al. 3 LAVS; 6ter et 28 RAVS
Selon le chiffre 1038.1 des Directives sur l’assujettissement aux assurances AVS et AI (DAA), « les exploitants ou associés d’une entreprise ou d’un établissement stable sis dans un état avec lequel la Suisse n’a pas conclu de convention de sécurité sociale qui sont domiciliés en Suisse ainsi que les organes de personne morale sises dans un état avec lequel la Suisse n’a pas conclu de convention de sécurité sociale qui sont domiciliés en Suisse ne doivent pas, selon le droit interne, s’acquitter de cotisations sur les revenus acquis à l’étranger (art. 6ter let. a et b RAVS). Ils sont alors considérés comme des personnes sans activité lucrative lorsqu’ils n’exercent aucune activité lucrative en Suisse. Les revenus acquis à l’étranger doivent toutefois être pris en compte comme revenu déterminant acquis sous forme de rente pour le calcul des cotisations ». Dans cette logique, de tels revenus doivent donc être convertis au capital, en étant multipliés par 20 au sens de l’art. 28 al. 1 RAVS.
Selon le TF, ce chiffre 1038.1 DAA est contraire au droit fédéral. Il rejette donc le recours de l’OFAS dirigé contre une décision zurichoise qui allait dans le même sens. Selon notre Haute Cour, la directive de l’OFAS a pour effet dans de telles circonstances de tenir compte deux fois de l’entreprise située à l’étranger et se trouvant à l’origine du revenu perçu sous forme de rente. D’une part, il serait pris en compte comme fortune existant réellement dans le patrimoine de la personne assurée, et d’autre part comme capital fictif découlant de la multiplication par 20 du revenu qui en découle. A cet égard, la comparaison avec la situation des personnes acquittant l’impôt calculé sur la dépense au sens de l’art. 14 LIFD n’est pas pertinente. En effet, cette catégorie de contribuable doit certes payer des cotisations AVS sur le montant estimatif des dépenses retenues pour la fixation de l’impôt, qui est assimilé à un revenu acquis sous forme de rente en vertu de l’art. 29 RAVS ; mais ils ne doivent pas payer en plus des cotisations calculées sur un revenu capitalisé (c. 4.6.4).
Le TF rappelle par ailleurs sa jurisprudence selon laquelle la notion de revenu acquis sous forme de rente doit être comprise dans un sens large. Ce qui est déterminant n’est pas de savoir si les prestations considérées présentent véritablement les caractéristiques d’une rente au sens courant du terme, mais davantage si elles contribuent à l’entretien de la personne assurée, dans ce sens où elles constituent un élément de revenu influençant sur la condition sociale de la personne sans activité lucrative (c. 4.2)
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 9C_631/2019 du 19 juin 2020
Assurance-vieillesse et survivants; rente d’orphelin, notion de formation professionnelle, préparation à un examen d’entrée; art. 25 al. 5 LAVS; 49bis et 49ter RAVS
Un assuré perçoit une rente vieillesse ordinaire ainsi qu’une rente pour son fils, qui est violoniste et fréquente l’école B. depuis août 2016. Le 26 septembre 2017, il abandonne ses études auprès de l’école B. afin de se préparer aux examens d’admission du Pre-College à l’école C. Par la suite, la caisse de compensation du canton de Lucerne nie le droit de l’assuré à une rente pour enfant pour la période du 1er octobre 2017 au 31 juillet 2018 en indiquant que ce dernier ne suivait pas de formation pendant cette période.
Le TF rappelle que la notion de formation doit être interprétée de façon large (ATF 143 V 305, c. 3.3). Aux termes de l’art. 25 al. 5, 2ème phrase, LAVS et des art. 49bis et 49ter RAVS, doivent être considérés comme formation un apprentissage ainsi que les activités permettant d’obtenir les connaissances nécessaires pour effectuer un apprentissage mais également la fréquentation d’une école ou de cours lorsqu’ils servent de préparation à une formation ou une future activité professionnelle. La nature de l’école ou des cours fréquentés et l’objectif de la formation sont sans importance tant ceux-ci permettent une préparation systématique à une formation régulière reconnue de facto ou de jure. Ne peut ainsi qu’être considéré comme formation ce qui est en rapport de connexité avec l’objectif professionnel visé (c. 2.1.).
Selon le TF, la fréquentation de divers cours de musique par semaine ainsi que 4 à 6 heures de travail personnel par jour afin de se préparer à des examens d’admission pour une école de musique doivent être considérées comme préparation systématique à un objectif professionnel. Le rapport de connexité entre une telle préparation à un examen d’admission et l’objectif professionnel visé est sans autre donné (c. 4.2.). Il est sans importance qu’il se soit agi d’un programme individuel spécialement mis en place pour le fils de l’assuré et donc pas accessible au public. Ce qui importe est que le but de devenir musicien professionnel ait été poursuivi de manière conséquente par ce dernier et que le programme de préparation ait été encadré par son professeur de violon ainsi que par la directrice de l’école de musique qu’il souhaitait intégrer (c. 4.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg
TF 9C_688/2019 du 30 juin 2020
Prestations complémentaires; dessaisissement de la fortune, mode de vie; art. 11 al. 1 let. g LPC
L’instance cantonale n’était pas fondée à s’écarter de la jurisprudence selon laquelle il n’appartient pas aux organes d’exécution des prestations complémentaires de procéder à un contrôle du mode de vie des assurés. Selon la jurisprudence constante du TF, « l’indigence auto-infligée » peut également donner droit à des prestations complémentaires. Le fait que les prestations complémentaires soient financées par le contribuable et non par des cotisations ne modifie pas la nature de ces prestations qui sont liées à la perception d’une rente de vieillesse, de survivant ou d’invalidité, soit à un risque assuré. Les deux exigences d’une obligation légale et d’une contre-prestation adéquate s’appliquent également dans l’hypothèse où un assuré a vécu au-dessus de ses moyens avant de présenter sa demande.
Ce principe est certes de plus en plus fréquemment remis en question, ce qui a notamment été le cas à l’occasion de la récente réforme de la LPC, il n’en demeure pas moins que l’instance précédente n’était pas fondée à anticiper l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, singulièrement de l’art. 11a LPC (nota bene : qui entrera en vigueur le 1er janvier 2021).
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève
TF 9C_737/2019 du 22 juin 2020
Congé maternité; perte de gain, allocation d’exploitation, art. 8 al. 1 et 16e al. 2 LAPG; 8 et 14 CEDH; 8 Cst.
La LAPG régit les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité. Les personnes qui effectuent un service civil ou militaire et les femmes en congé maternité sont en effet indemnisés pour leur perte de revenu durant ces périodes. Il existe toutefois des différences d’indemnisation, en particulier s’agissant des indépendants. En sus de l’indemnité de base, les personnes qui effectuent un service civil ou militaire – en général des hommes – touchent une allocation d’exploitation pour les aider à couvrir les frais de fonctionnement de leur activité indépendante (art. 8 al. 1 LAPG). En revanche, la LAPG ne prévoit aucune allocation d’exploitation pour les femmes indépendantes en congé maternité.
En l’espèce, une avocate indépendante, mère d’une petite fille, a demandé une allocation d’exploitation à la Caisse de compensation du canton de Zurich, qui la lui a refusée. Dans son recours adressé au TF, cette justiciable a notamment invoqué une inégalité de traitement au sens de l’art. 8 al. 3 Cst. ainsi qu’une violation de l’interdiction de discrimination prévue à l’art. 14 CEDH.
Rejetant le recours, le TF a confirmé que l’art. 16e al. 2 LAPG ne donne pas droit à une allocation d’exploitation en cas de maternité. Cela correspond à l’intention claire du législateur, qui souhaitait éviter des coûts supplémentaires. S’en écarter dépasserait le cadre d’une interprétation conforme à la Constitution. Il n’y a pas de violation de l’interdiction de discrimination (art. 14 CEDH, en lien avec l’art. 8 CEDH), dans la mesure où les états de fait ne sont pas comparables : l’assurance-maternité est liée à la maternité biologique et non à la parentalité sociale et à la tâche de soins qui y est associée. Elle assure un « risque » qui ne peut être réalisé spécifiquement que chez les femmes. La discrimination sexuelle est donc hors de question. Par ailleurs, les tribunaux ne peuvent pas se prononcer sur la compatibilité de la réglementation litigieuse avec l’art. 8 al. 3 Cst., en raison de la force dérogatoire du droit fédéral (art. 190 Cst.). Il appartient au législateur de régler cette question.
Remarque : Deux motions ont été déposées l’automne dernier à ce sujet à l’attention du Conseil fédéral (n° 19.4110 et n° 19.4270). Celui-ci est chargé de créer la base légale permettant aux indépendantes de bénéficier d’une allocation d’exploitation en cas de maternité. Cela permettra de mettre fin à une inégalité de traitement injustifiée. En effet, les indépendantes en congé-maternité doivent supporter des coûts fixes (p. ex. : loyer des locaux commerciaux, dépenses courantes) au même titre que les indépendants effectuant un service civil au militaire.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne
TF 8C_767/2019 du 19 mai 2020
Assurance-invalidité; expertise pluridisciplinaire, expert, médecin étranger; art. 44 LPGA
Le fait que des médecins d’origine étrangère aient participé en qualité d’experts à la réalisation d’une expertise pluridisciplinaire ne remet pas en cause la validité de cette dernière. En effet, la médecine est une science internationale, et la pratique de l’expertise ne suppose pas d’avoir effectué une formation particulière.
Il est cependant indispensable que les experts connaissent, en droit suisse, la signification des notions juridiques et des règles de procédure auxquelles renvoient les questions qui leur sont posées. Des références aux principes applicables dans leurs ordres juridiques de provenance ne seraient pas pertinentes.
L’acquisition d’une expérience clinique en Suisse n’est pas non plus nécessaire pour l’exercice de la fonction d’expert.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 8C_508/2019 du 27 mai 2020
Assurance-invalidité; mesures d’ordre professionnel, indemnités journalières, personnes sans activité lucrative; art. 22 al.1 et 23 LAI ;20sexies al. 1 et 21 al. 3 RAI
L’interprétation de l’art. 22 LAI conduit à admettre que le droit à l’indemnité journalière est réservé aux personnes assurées qui exerçaient une activité lucrative avant l’atteinte à la santé. La base de calcul de l’indemnité est ainsi le dernier revenu effectivement perçu avant la survenance des limitations. Le refus des indemnités journalières pour les personnes sans activité lucrative ressort clairement de la volonté du législateur (c. 6.2.1).
La notion d’indemnité minimale pour les personnes sans activité lucrative a été supprimée lors de l’entrée en vigueur de la cinquième révision de l’AI. Dès lors, faute de base légale correspondante, l’application conjointe des art. 20sexies al. 1 let. b et 21 al. 3 RAI, en tant qu’elle permettrait de conclure à l’existence d’un droit pour ces personnes-là également, n’est pas conforme au droit (c. 6.3.2). A compter de l’entrée en vigueur de la cinquième révision, au 1er janvier 2008, ces dispositions sont donc contraire au droit supérieur, car elles ne reposent pas sur une délégation législative valable (c. 5.2)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_712/2019 du 16 juin 2020
Assurance-invalidité; moyens auxiliaires, obligation de diminuer le dommage; art. 8 et 21 LAI, 14 RAI
Le litige porte sur la prise en charge par l’AI, au titre des moyens auxiliaires, de coûts liés à l’adaptation d’un nouveau logement acquis sur plans, pour une personne tétraplégique.
Le TF rappelle que lorsqu’il s’agit d’examiner la mesure dans laquelle l’obligation de diminuer le dommage, qui s’applique aux aspects de la vie les plus variés, intervient concrètement, une pesée des intérêts est souvent nécessaire en relation avec le maintien ou le déplacement du domicile de la personne qui sollicite des prestations de l’assurance sociale (c. 4.1).
En outre, selon le TF, le chiffre 2162 CMAI constitue une directive qui ne reprend que de manière imparfaite la jurisprudence concernant le chiffre 14.04 OMAI et qui n’est donc pas conforme au droit, de sorte que la juridiction cantonale s’en est écartée à juste titre. Selon la jurisprudence du TF, au contraire de ce qui est prévu par cette circulaire, il convient dans chaque cas particulier d’examiner si la prestation requise fait partie des aménagements figurant au chiffre 14.04 OMAI. Lorsque c’est le cas, il faut alors se poser la question de savoir si les aménagements en cause pouvaient d’emblée être inclus dans la planification du logement à construire et être réalisés sans coûts supplémentaires (c. 4.2.2).
Dans le cas d’espèce, l’assuré obtient les moyens auxiliaires requis car, même s’il avait pris les dispositions nécessaires en amont des travaux de construction, les aménagements adaptés au handicap entraînent un surcoût (« plus-value liée au handicap ») résultant par exemple de la différence entre les coûts d’une porte standard et ceux d’une porte coulissante adaptée (c. 4.2.3).
S’agissant de la procédure, l’argumentation de l’office AI, consistant à opposer simplement son avis à l’appréciation de la juridiction cantonale est de nature appellatoire et n’établit pas le caractère manifestement inexact ou arbitraire des faits constatés par l’autorité précédente, dont le TF n’a pas à s’écarter (c. 4.2.3 in fine).
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève
TF 4A_107/2020 du 23 décembre 2019
Assurances privées; contrat d’assurance indemnités journalières en cas de maladie, notion de rechute, suspension, clause d’exclusion; art. 20 al. 3 et 33 LCA
Une esthéticienne indépendante, au bénéfice d’une couverture d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, réclame des prestations pour une période d’incapacité de travail subie du 17 février au 30 juin 2016, puis pour la période du 10 août 2016 au 31 août 2018. Ces deux périodes d’incapacité de travail sont la conséquence de la même maladie. L’assureur a refusé ses prestations, au motif qu’au début de l’incapacité de travail, l’assurée était en demeure de payer la prime convenue et n’avait pas donné suite à la sommation qui lui avait été notifiée (art. 20 LCA). L’assureur invoque la suspension de la couverture, conformément à l’art. 20 al. 3 LCA. La compagnie d’assurances a également refusé la couverture pour la deuxième période d’incapacité de travail, invoquant qu’elle résultait de la même maladie et qu’elle était atteinte par la suspension de la couverture. Le litige porté devant le TF ne porte que sur les prestations réclamées en rapport avec la deuxième période d’incapacité de travail.
A teneur de l’art. 33 LCA, l’assureur répond de tous les événements qui présentent le caractère du risque, contre les conséquences duquel l’assurance a été conclue, à moins que le contrat n’exclue certains événements d’une manière précise et non équivoque. Le TF a adhéré au raisonnement des premiers juges, selon lesquels la clause des conditions générales intitulée « rechute », invoquée par l’assureur, avait pour but d’éviter à cette compagnie d’assurances d’avoir à fournir des prestations plus d’une fois par année en rapport avec la même maladie. Il en déduit que selon la définition énoncée dans ces conditions générales, la rechute supposait que l’assureur ait auparavant versé des prestations. Il s’agit d’une condition indépendante, qui n’a aucun rapport avec la maladie à l’origine d’un événement effectivement – ou prétendument – assuré.
Faute de prestations versées pour la première période d’incapacité de travail, la deuxième période d’incapacité de travail ne peut être considérée comme une rechute, selon cette définition. Le TF rappelle qu’au stade de la rédaction des conditions générales, l’assureur peut y prévoir à son gré toutes les exclusions qu’il trouve nécessaires ou opportunes ; il lui incombe toutefois de les spécifier de manière « précise et non équivoque » selon les termes de l’art. 33 LCA. A défaut, l’interprétation selon le principe de la confiance ne lui permet pas de corriger une clause d’exclusion après qu’un événement lui a été annoncé. L’assureur n’est pas autorisé à élargir la définition de la rechute dans le cas d’espèce.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne
TF 4A_494/2019 du 25 juin 2020
Assurances privées; responsabilité du mandataire, contrat de réassurance, règlement de prévoyance professionnelle, congruence; art. 52 et 52a al. 2 let. I LPP
L’institution de prévoyance, si elle décide de ne pas assumer elle-même la totalité des risques décès et invalidité, peut opter pour une réassurance complète ou partielle. La première stratégie implique une congruence totale entre les risques couverts par le règlement de prévoyance et ceux couverts par le contrat de réassurance. Dans la seconde stratégie, la congruence n’est que partielle, en fonction des choix de la caisse de pensions ; même si la loi ne l’impose pas, la pratique uniforme des fondations de prévoyance consiste alors à constituer des réserves financières appropriées pour les risques non couverts par le contrat de réassurance.
Le mandataire, lié avec la caisse de pensions par un contrat portant sur la négociation de contrats de réassurance, doit faire preuve de diligence. Il doit ainsi respecter la stratégie de l’institution de prévoyance en matière de réassurance. Si le mandataire chargé de la négociation avec le réassureur ne vérifie pas la congruence complète entre le contrat de réassurance et le règlement de prévoyance, pour une caisse qui a opté pour la première stratégie, il viole son devoir de diligence.
Il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre la violation de cette obligation, si elle entraîne une absence de couverture par le réassureur de prestations que la caisse de pensions doit verser à un de ses affiliés, et le dommage subi. La violation subséquente, par une experte en prévoyance professionnelle, de ses obligations, n’est pas susceptible d’interrompre ce lien de causalité. Une éventuelle défaillance dans le contrôle de l’experte ne saurait manifestement constituer un comportement grave, imprévisible et déraisonnable au point que le manquement du mandataire ne puisse plus être considéré comme une cause adéquate du dommage. Peu importe que, le cas échéant, la responsabilité de l’experte soit engagée sur la base de l’art. 52 LPP.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont
Brèves...
Le fait qu’une convention de divorce dûment homologuée puisse laisser croire qu’un parent, en l’occurrence le père, toucherait à l’avenir les allocations familiales, ne dispense pas ce dernier d’annoncer à l’autorité compétente tout changement important, en l’occurrence le changement de domicile de l’enfant. Il ne peut donc pas opposer sa bonne foi à la demande de restitution dirigée contre lui (TF 8C_364/2019).
Un horaire de travail incompatible avec la garde partagée d’un enfant ne fait pas de l’emploi proposé un travail non convenable (TF 8C_65/2020).
L’assurance-invalidité doit prendre en charge au titre des mesures d’ordre professionnel (au sens de l’art. 16 al. 1 let. c LAI) le coût d’un interprète en langue des signes pour un employé atteint de surdité tenu de suivre un cours de perfectionnement au sein de son entreprise (TF 8C_257/2020).
...et en tous temps, en tous lieux
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