NLRCAS octobre 2024
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 8C_582/2022 du 12 juillet 2024
Assurance-accidents; maladie professionnelle; COVID long; art. 9 al. 1 et 2 LAA
Z., née en 1966, était employée dans une clinique en qualité de psychologue et assurée de ce fait à la LAA. Le 22 octobre 2020, elle a contracté le COVID-19. Le 17 février 2021, la clinique a annoncé le cas à son assureur-accidents, qui a refusé de verser des prestations, au motif notamment qu’il n’était pas démontré que l’assurée avait bien contracté le COVID-19 sur sa place de travail et qu’en qualité de psychologue, elle ne travaillait pas directement avec des patients atteints de ce virus. Le TF a rejeté le recours formé par l’assurée, au motif qu’elle n’avait pas démontré que son atteinte à la santé était due à « certains travaux » (art. 9 al. 1 LAA en lien avec le ch. 2 de l’annexe 1 OLAA) dans l’exercice de son activité professionnelle ce qui, d’emblée, excluait également une application de l’art. 9 al. 2 LAA.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_75/2024 du 12 août 2024
Assurance-accidents; qualité d’assuré; lieu de l’exercice de l’activité lucrative; art. 1a al. 1 let. a LAA
A. était employé pour une durée déterminée par B. AG du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022 en qualité de stagiaire (« Praktikant ») avec le titre de « Product Content Manager ». A. est né et a grandi en Suisse. Il a vécu de 2019 jusqu’en juillet 2021 à Dubai. Par la suite, il a séjourné durant deux mois environ en Suisse avant de s’installer jusqu’à fin 2021 au Kenya – pays dans lequel il se trouvait lors de la signature du contrat de travail – puis durant un mois et demi environ en Thaïlande et finalement au Sri-Lanka, pays dans lequel il se trouvait en vacances lorsqu’il a été heurté par un véhicule de livraison le 16 avril 2022. Son contrat de travail prévoyait que le lieu de travail se trouvait en Suisse, au siège de la société B. AG. Toutefois, A. n’a, dans les faits, jamais exercé son activité dans les locaux de son employeur. Après interprétation de l’art. 1a al. 1 let. a LAA, le TF arrive à la conclusion, à l’instar de l’assureur-accidents et des juges cantonaux, que A. n’est pas couvert par la LAA, au motif qu’il n’a jamais effectivement travaillé en Suisse, qu’il n’était pas un travailleur détaché et que, dès le départ, il exercerait son activité depuis l’étranger.
Auteur : Guy Longchamp
TF 7B_746/2023 du 30 juillet 2024
Responsabilité aquilienne; dommage; perte d’une chance; preuve; art. 122 et 126 CPP; 41 et 42 al. 2 CO
Condamné pour actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de résistance, commis sur deux stagiaires plongées par leur maître de stage dans un état d’endormissement, un avocat a également été condamné à indemniser l’une de ses victimes pour le gain manqué en raison des infractions commises. Le TF a, dans un premier temps, exposé les principes généraux régissant l’indemnisation d’une victime d’un acte illicite, ici l’infraction susvisée. Il a ainsi rappelé que, conformément à l’art. 122 al. 1 CPP, les prétentions civiles que peut faire valoir la partie plaignante sont exclusivement celles qui sont déduites de l’infraction. Ainsi, les prétentions civiles doivent découler d’une ou de plusieurs infractions qui, dans un premier temps, sont l’objet des investigations menées dans la procédure préliminaire, puis, dans un second temps, figurent dans l’acte d’accusation élaboré par le ministère public, en application de l’art. 325 CPP. Dans la plupart des cas, le fondement juridique des prétentions civiles réside dans les règles relatives à la responsabilité civile des art. 41 ss CO. La partie plaignante peut dès lors réclamer la réparation de son dommage (art. 41 à 46 CO) et l’indemnisation de son tort moral (art. 47 et 49 CO), dans la mesure où ceux-ci découlent directement de la commission de l’infraction reprochée au prévenu.
Puis, le prévenu ayant invoqué que l’allocation de l’indemnité pour le gain manqué relevait de l’application de la théorie de la perte d’une chance, le TF a rappelé les principes de cette théorie, développée par une doctrine de renom, soit la situation dans laquelle le fait générateur de responsabilité « perturbe » un processus incertain étant susceptible d’enrichir la victime ou d’éviter son appauvrissement. Le TF a rappelé que sa Cour de droit civil, dans un arrêt publié, n’avait pas retenu l’application de cette théorie en raison du paramètre de probabilité dont il devrait être tenu compte quant à la causalité entre le fait générateur et son résultat, aléatoire. Le TF considère que les premiers juges n’ont pas fait usage de cette institution juridique mais qu’ils ont établi le dommage et l’indemnité conformément au droit.
Les juges cantonaux avaient alloué à la victime une indemnité correspondant à la rémunération que cette dernière aurait pu percevoir entre la date à laquelle elle aurait dû initialement passer les examens du brevet, si elle n’avait pas été abusée par son maître de stage, et celle à laquelle elle a effectivement réussi ceux-ci. Ils ont ainsi considéré, certificats médicaux à l’appui, que la stagiaire avait dû reporter ses examens en raison des agissements de son maître de stage. Ils ont également estimé que la réussite des examens n’était en l’espèce pas un processus incertain. Au contraire, les premiers juges ont tenu pour pratiquement certain que, si elle s’était présentée aux examens du barreau à la date prévue, la victime aurait obtenu son brevet d’avocate, respectivement aurait immédiatement travaillé. Le recourant n’avait d’ailleurs pas fait valoir que la victime n’avait pas les qualités suffisantes pour lui permettre de réussir du premier coup ses examens et de trouver un emploi.
En outre, le TF a considéré que le fait que la victime aurait immédiatement trouvé du travail après avoir réussi ses examens à la date initialement prévue n’était pas non plus aléatoire, et en veut pour démonstration que celle-ci occupait déjà un emploi au sein d’une étude d’avocats pendant sa préparation au brevet. Quant au taux d’activité, les premiers juges avaient considéré qu’il était dans le cours ordinaire des choses de travailler à plein temps juste après l’obtention du brevet d’avocat. Elle a ainsi appliqué l’art. 42 al. 2 CO, qui prévoit que lorsque le montant exact du dommage n’a pas pu être établi, le juge le détermine équitablement, en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. Dans le cas d’espèce, la victime avait, relève le Tribunal fédéral, fourni aux juges, autant que cela lui était possible, tous les éléments de fait permettant de conclure à l’existence du dommage et de le déterminer équitablement en fonction du cours ordinaire des choses.
Dans un dernier argument, les juges ont considéré que même en cas d’échec à la première session d’examens, la stagiaire aurait pu trouver un emploi pendant la période la séparant de sa seconde tentative.
Quant au montant du dommage, il a été arrêté équitablement en retenant le revenu moyen d’une juriste sans expérience, en référence aux données publiées par l’Office fédéral de la statistique.
Le recours a ainsi été rejeté sous réserve d’une correction de la période d’indemnisation, de septembre 2017 à mai 2018, ce qui représentait donc huit mois de salaire, et non neuf, fait retenu arbitrairement par les juges cantonaux.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève
TF 6B_1149/2023 du 7 août 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; lésions corporelles graves par négligence; lien de causalité; art. 125 CP
Le TF examine les circonstances d’un accident de la circulation lors duquel un conducteur s’est engagé dans un giratoire sans prendre en garde à un autre véhicule arrivant sur sa gauche. Ce conducteur a été reconnu coupable de lésions corporelles graves par négligence. Devant le TF, le recourant, à savoir le conducteur fautif, se prévaut d’une rupture du lien de causalité adéquate. Cet argument est rejeté.
La causalité adéquate peut être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d’un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.
Dans le cas d’espèce, la victime roulait certes trop vite. Toutefois, la visibilité était bonne et le véhicule de la victime n’a pas surgi de manière inattendue dans le giratoire. Au contraire, c’est bien le recourant, débiteur de la priorité, qui lui a coupé la route et qui est à l’origine de la collision. Dans de telles circonstances, le comportement de la victime ne représente en rien une circonstance à ce point exceptionnelle ou extraordinaire qu’il faudrait la qualifier d’imprévisible. L’argument tiré de la rupture du lien de causalité est donc rejeté.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne
TF 4A_336/2023 du 12 juillet 2024
Responsabilité médicale; régime conventionnel de responsabilité; interprétation des contrats; causalité; art. 18 et 97 CO
Le TF est amené à trancher la question de savoir qui, d’un médecin indépendant ou d’un établissement médicalisé, doit assumer la responsabilité d’une atteinte à un patient, au sens de la convention de collaboration les liant. Selon cette convention, l’établissement médicalisé répondait seul des dommages causés à des tiers par le médecin concerné, dans le cadre de l’activité déployée en son sein. A cet effet, l’assurance responsabilité civile de l’établissement couvrait les dommages causés par ce patricien.
Dans le cadre d’une procédure séparée initiée par le patient lésé, la responsabilité du médecin a été admise au motif d’une erreur de diagnostic commise lors d’une consultation préopératoire s’étant tenue dans son cabinet médical privé – et non une erreur de traitement, les interventions au sein de l’établissement médicalisé ayant été exécutées dans les règles de l’art. Le choix de l’intervention litigieuse, compte tenu des caractéristiques du patient, constituait une faute de la part du médecin, tout comme l’absence de renseignement adéquat. Le lien de causalité entre le dommage subi par le patient et l’erreur de diagnostic était ainsi réalisé.
Si ce jugement n’est pas directement opposable à l’établissement médicalisé, il a en revanche valeur de moyen de preuve dans le procès ultérieur dans lequel il est défendeur/intimé, objet du présent arrêt.
En application des règles d’interprétation des contrats (déduites de l’art. 18 CO), la réelle et commune intention des parties a pu être établie, en ce sens que – selon la convention de collaboration – la responsabilité de l’établissement s’appliquait uniquement aux actes réalisés dans ses locaux. Il a également été établi que l’erreur de diagnostic était non seulement imputable au médecin, mais également la cause du dommage subi par le patient. Cette erreur n’avait par ailleurs pas été commise dans les locaux de l’établissement (mais dans le cabinet médical privé du médecin). Les opérations qui ont eu lieu au sein de celui-ci ont, quant à elles, été jugées comme ayant été pratiquées conformément aux règles de l’art.
Dans ces circonstances, le TF a confirmé que la consultation médicale à l’origine de l’erreur de diagnostic, effectuée hors de l’établissement médicalisé, n’était pas couverte par le régime de responsabilité de la convention conclue entre ce dernier et le médecin responsable. La responsabilité de l’établissement ne s’étendait ainsi pas à la consultation préopératoire qui s’est déroulée au cabinet médical privé du médecin. Il ne suffit par ailleurs pas qu’il y ait une causalité naturelle entre les opérations effectuées au sein de l’établissement et le dommage pour engager sa responsabilité. Encore faut-il qu’il y ait un rapport de cause à effet entre le chef de responsabilité, soit un acte illicite ou une violation du devoir de diligence de l’établissement, et le dommage.
Partant, il revient à l’assurance responsabilité civile du médecin (demandeur/recourant – débouté en l’espèce) de couvrir le dommage.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat
TF 9C_235/2024 du 30 juillet 2024
Assurance-vieillesse et survivants; allocation pour impotence; rapport d’enquête; valeur probante; début du droit; art. 9 LPGA; 43bis et 46 LAVS; 42 LAI; 37 RAI
Le litige porte sur le droit d’un assuré à une allocation pour impotent (de degré grave), ainsi que sur le début du droit à l’allocation.
En ce qui concerne tout d’abord la valeur probante d’un rapport d’enquête de l’office AI pour l’évaluation du degré d’impotence, le TF rappelle qu’il est essentiel qu’il ait été élaboré par une personne qualifiée qui a connaissance de la situation locale et spatiale, ainsi que des empêchements et des handicaps résultant des diagnostics médicaux. Il s’agit en outre de tenir compte des indications de la personne assurée et de consigner les opinions divergentes des participants. Pour le TF, un rapport peut être probant même si l’assuré n’est pas présent lors de la visite à son domicile.
Au surplus, selon la jurisprudence constante du TF, la nécessité d’administrer quotidiennement des médicaments ne fait pas partie de l’acte « manger » ; elle doit plutôt être prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la personne assurée présente un besoin de soins permanents. L’acte ordinaire de la vie « manger » comprend l’aide consistant à apporter un des repas principaux au lit en raison de l’état de santé de la personne assurée. En revanche, le fait de devoir reporter l’heure du petit-déjeuner parce que l’assuré ne peut pas se mettre à table avant 10 heures ne permet pas de retenir un besoin d’aide pour accomplir l’acte « manger ».
Il est précisé finalement, concernant le début du droit à l’allocation pour impotent, que si l’assuré fait valoir son droit à une allocation pour impotent plus de douze mois après la naissance du droit, l’allocation ne lui est versée que pour les douze mois qui ont précédé sa demande. Des arriérés sont alloués pour des périodes plus longues si l’assuré ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations et s’il présente sa demande dans un délai de douze mois à compter du moment où il en a eu connaissance.
Pour admettre la présence de faits ouvrant droit à des prestations que l’assuré ne pouvait pas connaître, il faut qu’un état de fait objectivement donné ouvrant droit à des prestations n’ait pas été reconnaissable ou que la personne assurée ait été empêchée pour cause de maladie malgré une connaissance adéquate de déposer une demande ou de charger quelqu’un du dépôt de la demande.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont
TF 9C_162/2024 du 31 juillet 2024
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations sociales; statut; activité dépendante ou indépendante; principe de l’instruction; degré de la preuve; art. 28, 43 et 61 let. c LPGA; 5 al. 2 LAVS
Une société a fait exécuter un travail par une société tierce. La première est affiliée comme employeur auprès d’une caisse AVS. Elle a effectué des versements en espèces à la société sous-traitante sans justificatifs détaillés, ce qu’un contrôle employeur a mis en évidence. La caisse a rendu une décision par laquelle elle réclamait le paiement de cotisations sociales sur les versements en espèces. La société qui a fait exécuter le travail a recouru au niveau cantonal puis fédéral contre la décision de la caisse.
Le TF a partiellement admis le recours et renvoyé la cause à la caisse pour nouvelle décision. Le TF a constaté que la juridiction cantonale avait appliqué une présomption non fondée selon laquelle les versements en espèces avaient pour but d’économiser des cotisations sociales. Par ailleurs, elle n’a pas examiné concrètement les caractéristiques de l’activité déployée par la société sous-traitante et quelle société supportait le risque économique de l’activité en cause. La jurisprudence exige un examen approfondi (principe de l’instruction, art. 43 et 61 let c LPGA) des circonstances particulières de chaque cas pour déterminer si une activité est de nature dépendante (art. 5 al. 2 LAVS) ou indépendante.
De plus, la cour cantonale a imposé des exigences excessives quant à l’obligation de collaborer (art. 28 LPGA) de la société qui a versé les montants, ce qui n’est pas conforme aux principes du droit des assurances sociales. Il n’y a pas de renversement du fardeau de la preuve et le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante habituel en droit des assurances sociales s’applique. Par ailleurs, lorsqu’une personne exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante, salariée même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise.
En l’espèce, il s’agissait de déterminer si le tâcheron peut être considéré comme un partenaire commercial qui traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail. L’arrêt entrepris ne contenait pas de constatations à ce sujet.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate à Lausanne
TF 8C_456/2023 du 15 juillet 2024
Prestations complémentaires; droit d’habitation; dessaisissement de revenu; valeur locative; art. 11 et 11a LPC; 12 et 15e OPC-AVS/AI
Le TF s’est en premier lieu prononcé sur la question du droit transitoire, à la suite de l’entrée en vigueur au 1er janvier 2021 de nouvelles dispositions de la LPC et de l’OPC-AVS/AI (réforme des PC). Selon les dispositions transitoires, l’ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la réforme des PC aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels l’ancien droit est plus favorable. En l’espèce, le TF a considéré que les nouvelles dispositions devraient être applicables car à l’entrée en vigueur de la réforme des PC la personne était uniquement bénéficiaire de prestations complémentaires cantonales et non fédérales. Le TF n’a cependant pas été très affirmatif dans sa formulation et a relevé que l’issue du litige est en tout état de cause la même que l’on applique l’ancien droit ou le nouveau droit (c. 2.2).
Le TF s’est en second lieu prononcé sur la valeur à prendre en considération dans le calcul des prestations complémentaires versées à une personne qui était titulaire d’un droit d’habitation grevant le logement qu’elle habite et qui a ensuite renoncé à ce droit d’habitation.
Lorsqu’une personne est titulaire d’un droit d’habitation, la valeur locative doit être prise en considération dans les revenus déterminants (art. 11 al. 1 let. b LPC) (c. 5.1). Le fait de renoncer à un droit d’habitation sans obligation légale et contre-prestation adéquate correspond à un dessaisissement de revenu, dont il y a lieu de tenir compte dans le calcul des prestations complémentaires (art. 11a al. 2 LPC introduit au 1er janvier 2021 ; art. 11 al. 1 let. g aLPC) (c. 5.1 et 5.2). Depuis l’entrée en vigueur de la réforme des PC, si une personne renonce à un usufruit ou à un droit d’habitation, est prise en compte comme revenu la valeur locative diminuée des coûts que le titulaire de l’usufruit ou du droit d’habitation a assumés ou aurait dû assumer en lien avec l’usufruit ou le droit d’habitation (art. 15e OPC-AVS/AI introduit au 1er janvier 2021) (c. 5.1). L’ancien droit ne prévoyait pas de dispositions particulières sur la valeur à prendre considération, mais la jurisprudence considérait que dans le cas d’une renonciation à un usufruit immobilier il fallait tenir compte d’un revenu fictif correspondant aux intérêts sur la valeur vénale de l’immeuble sur lequel portait l’usufruit (c. 5.2, 6.2 et 6.3).
En l’espèce, le litige portait sur la question de savoir si le montant du dessaisissement devait correspondre à la valeur locative du droit d’habitation auquel il a été renoncé ou aux intérêts sur la valeur vénale de l’immeuble sur lequel portait le droit d’habitation, calculés selon le taux d’intérêt moyen pour les obligations et bons de caisse en Suisse au cours de l’année précédant celle de l’octroi de la prestation complémentaire, par référence à la jurisprudence développée sous l’ancien droit en matière d’usufruit (c. 4).
Le TF a jugé que la jurisprudence rendue dans le cas d’une renonciation à un usufruit immobilier ne trouvait pas application s’agissant de la renonciation à un droit d’habitation. Contrairement aux arrêts rendus en matière d’usufruit, l’immeuble n’avait pas été aliéné et il n’y avait pas eu de contrepartie à la radiation du droit d’habitation. En effet, le droit d’habitation est incessible quant à la substance et à l’exercice, de sorte que son bénéficiaire ne peut pas en tirer profit. Le TF a ainsi jugé que pour fixer la contre-valeur de la renonciation à un droit d’habitation, il ne se justifie pas de se référer aux intérêts sur la valeur vénale du logement, qui n’a pas été aliéné et alors même que la personne ayant renoncé à son droit d’habitation n’a aucune prétention sur lesdits intérêts. La renonciation à un droit d’habitation doit être appréciée à la valeur locative (c. 6.4).
Enfin, le TF a relevé que la question de savoir si la jurisprudence développée en matière d’usufruit restait valable à l’aune des nouvelles dispositions introduites au 1er janvier 2021 (art. 11a al. 2 LPC et art. 15e OPC-AVS/AI) pouvait rester ouverte (c. 6.4).
Auteure : Clio Herrmann, avocate à Genève
TF 9C_763/2023 du 25 juillet 2024
APG-Covid 19; changement de statut de l’entreprise; valeur des circulaires; légalité; art. 2 al. 3bis O APG COVID-19; 31 al. 3 let. c LACI
A., qui gérait un restaurant depuis 2017 dans le cadre d’une entreprise individuelle, a créé le 1er septembre 2020 une société à responsabilité limitée (Sàrl) dans laquelle il était seul inscrit. Le 29 mai 2021, il a sollicité des allocations pour perte de gain liée au coronavirus pour les mois de novembre 2020 à février 2021 auprès de la caisse de compensation qui a refusé sa demande. Le recours contre la décision sur opposition de la caisse de compensation a été rejeté par l’instance cantonale zurichoise le 26 octobre 2023.
Dans le contexte de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19, l’OFAS a établi une circulaire y relative (CCPG). Au N 1041.5a de ladite circulaire, qui a été introduit le 29 janvier 2021, il est prévu qu’en cas de changement de statut juridique d’une société, l’examen de la baisse du chiffre d’affaires, le droit et le calcul de l’allocation se basent uniquement sur le nouveau statut.
Le TF rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les circulaires de l’administration n’ont pas d’effets contraignants pour le juge. Toutefois, dès lors qu’elles tendent à une application uniforme et égale du droit, il convient d’en tenir compte et en particulier de ne pas s’en écarter sans motifs valables lorsqu’elles permettent une application correcte des dispositions légales et traduisent une concrétisation de celles-ci. En revanche, une circulaire ne saurait sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu’elle est censée concrétiser (c. 3.3).
Dans le cas d’espèce, l’introduction du N 1041.5a a posé de nouvelles exigences pour l’obtention des prestations qui ne figurent pas dans les bases légales. Ainsi, le droit de A. aux allocations est nié uniquement parce qu’il a changé la forme juridique de la société liée à son activité professionnelle. Le N 10415a ne conduit donc pas à une application correcte de l’art. 2 al. 3bis de l’O APG COVID-19, si bien qu’il y a lieu de s’en écarter (c. 4.2 et 4.3). La cause est renvoyée à l’instance inférieure pour une nouvelle détermination.
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge
TF 4A_503/2023 du 29 juillet 2024
Assurances privées; interprétation du contrat d’assurance; rattachement temporel du sinistre à la police; art. 18 CO; 9 aLCA
La recourante est une entreprise de fabrication de revêtement de façade ACP (aluminium composite panels). Elle est partie défenderesse dans la procédure engagée le 14 février 2019, auprès de la Federal Court d’Australie par les propriétaires d’étages d’un bâtiment revêtu des panneaux ACP. Les prétentions des lésés sont le remboursement des frais d’enlèvement et de remplacement des panneaux ACP, ainsi que sur les dommages-intérêts pour les pertes consécutives à la pose des panneaux dont la composition n’était pas conforme aux normes légales en vigueur en août 2018.
La recourante est assurée jusqu’à fin 2018 par la société d’assurance intimée pour le risque de la responsabilité civile dérivant des produits. Le Tribunal de commerce du canton de Zurich la déboute de son action en paiement des prestations introduite contre l’intimée au motif que le sinistre n’est pas survenu durant la période assurée. Le rattachement temporel du cas d’assurance selon l’autorité cantonale requerrait une première constatation en 2018 (par qui que ce soit) des frais de démontage et de nouveau montages occasionnés par le défaut allégué.
L’assurance s’étend, selon le chiffre 6.2 de la Master-Police, aux sinistres qui surviennent pendant la durée du contrat et qui sont déclarés à l’intimée au plus tard 60 mois après la fin du contrat (let. a). Selon la lettre b de la disposition, le moment de la survenance du sinistre est « celui où un dommage est constaté pour la première fois (par qui que ce soit) ».
Pour le tribunal cantonal, les frais de démontage et de remontage des panneaux ALP ont été réclamés par la class action des demandeurs avant que lesdits frais consécutifs au défaut du produit ne soient reconnus. Le rattachement temporel du sinistre à la police d’assurance fait défaut.
Dans son interprétation du contrat d’assurance, le TF constate l’absence de définition du dommage contenue dans la police d’assurance qui définit l’étendue des prestations assurées au titre des dommages corporels, des dommages matériels et des dommages patrimoniaux.
Le TF rappelle sa jurisprudence en matière d’interprétation des contrats (c. 2). Lors de l’interprétation d’une disposition contractuelle rédigée par l’une des parties, il est donc déterminant de savoir quel est l’objectif que l’autre partie doit raisonnablement reconnaître dans la disposition en tant que partenaire commercial de bonne foi. Parmi les postes des dommages réclamés, la police litigieuse ne couvre que les frais de démontage des produits défectueux et montage ultérieur de produits exempts de défauts faisant ainsi exception à l’exclusion des dommages purement économiques (c. 3.1.2).
Les demandeurs de la class action ont émis des prétentions non chiffrées tendant à l’élimination d’un défaut présumé en lien avec les composants des panneaux ACP, dont la teneur n’était pas conforme à la loi australienne. L’existence d’un dommage est la condition nécessaire à toute action en responsabilité. La survenance d’un sinistre constitue la condition préalable à la prestation d’assurance. La constatation de l'existence du dommage crée le point de départ de la réclamation. Les contrats d’assurance basés sur le « claims made » prévoient un rattachement temporel fondé sur le moment où l’assuré vient à connaissance des prétentions en dommages-intérêts. La doctrine part donc du principe que l’action suit la survenance du dommage (c. 5.2.1). Les autres clauses de la police litigieuse permettent de fonder le rattachement à la connaissance des prétentions qui seront négociées exclusivement par l’assureur lequel défendra son assuré contre les prétentions injustifiées.
En application des règles de la bonne foi, la constatation du dommage intervient lorsque l’on peut reconnaître les circonstances dont le lésé déduit ses prétentions. Le rattachement temporel n’exige pas que le dommage ait été vérifié et que les prétentions qui en résultent soient justifiées. Le démontage et le remontage des panneaux n’est pas une réparation du dommage au défaut (Mangelfolgeschäden), mais constitue une élimination et réparation du défaut de construction (Mangelbeseitigung). L’élimination du défaut empêche l’apparition d’un potentiel dommage consécutif au défaut (c. 5.4.1).
Le TF retient que la connaissance du défaut intervient la première fois à la date à laquelle les propriétaires d’étages ont vérifié en 2018, auprès du fournisseur, la composition du revêtement utilisé pour leur bâtiment. Le rattachement temporel est ainsi admis par le TF.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
Brèves...
Une partie obtient gain de cause (art. 61 let. g LPGA) et n'encourt pas de frais lorsque sa position au terme de la procédure de recours est notablement améliorée par rapport à celle qui résulterait de la décision administrative litigieuse si elle était entrée en force. Il en va notamment ainsi lorsque le droit à une rente AI lui a été dénié et qu’elle obtient, en instance cantonale, l’octroi d’un quart de rente (TF 9C_65/2024 c. 4).
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