TF 9C_480/2022 du 29 août 2024
Assurance-maladie, infirmité congénitale, soins à domicile, soins de base, allocation pour impotent, supplément pour soins intenses, surindemnisation, concordance, art. 25a LAMal ; 7 al. 2 let. c OPAS ; 42 ss LAI ;
69 LPGA
Un enfant atteint d’une infirmité congénitale bénéficie d’une allocation pour impotent (API) et d’un supplément pour soins intenses (SSI) versés par l’AI. Les soins de bases sont pris en charge par l’assurance-maladie, la mère fournissant elle-même plus de 90 % des heures de soins. Se pose la question de la coordination des prestations de la LAMal avec l’API et le SSI.
Le TF rappelle que s’agissant des personnes mineures, ce problème de coordination n’existe que depuis 2004. Avant cela, l’API n’était versée qu’aux personnes majeures, et l’allocation versée par l’AI pour la prise en charge d’un enfant mineur à domicile était une prestation en nature (mesure médicale, art. 13 LAI) dont la concordance avec les prestations pour soins de base ne faisait aucun doute. La concordance entre ces prestations et l’API versée à la personne mineure n’a jamais fait l’objet d’un examen approfondi. La question de la surindemnisation ne se pose qu’en présence de prestations devant être coordonnées.
Il s’agit ici d’un problème de coordination intersystémique qui n’est pas expressément réglé dans la loi. Faute de règle de coordination, la prise en charge des soins de base par la LAMal et l’API de l’AI sont dues cumulativement, sous réserve de surindemnisation. Si l’on admet une surindemnisation, ce sont les prestations de la LAMal qui doivent être réduites, l’API étant soustraite à toute réduction (art. 69 al. 3 LPGA) (c. 5.1.3). L’interdiction de surindemnisation n’ayant pas valeur de principe général, il faut une base légale pour que cette réduction puisse être opérée. L’art. 69 al. 1 LPGA est la base légale pertinente ; elle suppose que l’on parle de prestations de nature et de but identiques. Il faut en outre qu’elles soient versées à la même personne, en raison du même événement et pour le même laps de temps (ces trois autres aspects de la concordance n’étant pas litigieux en l’espèce) (c. 6.1).
Le TF analyse la question de savoir si « nature et but identiques » doivent être compris comme un seul élément normatif, comme cela a été le cas dans la jurisprudence jusqu’ici (le « but » l’emportant sur la « nature »), et comme la doctrine a pu le défendre, ou s’il s’agit de conditions distinctes, devant être toutes deux remplies pour que l’on soit en présence d’un cas de surindemnisation. Le TF tranche en faveur de la seconde analyse (c. 6).
L’API est une prestation en espèces (art. 15 LPGA) alors que les prestations pour soins de base sont des prestations en nature (art. 14 LPGA, même si, techniquement, l’assurance-maladie rembourse des frais et ne fournit pas elle-même les prestations [c. 6.4.2]). La table de concordance de l’art. 74 al. 2 LPGA, qui s’applique en matière de coordination extrasystémique, n’est ici pas pertinente (c. 6.4.3). Les prestations en nature ont fondamentalement pour but d’agir concrètement (« proaktiv ») sur le risque assuré ; à l’inverse, les prestations en espèces ont pour but de compenser les conséquences d’un risque qui ne peut plus être écarté (« reaktiv »). En l’espèce, la prise en charge des soins de base a pour but la fourniture de prestations concrètes, alors que l’API offre une compensation économique pour les désagréments provoqués par l’impotence. Il s’agit d’une prestation forfaitaire dont le ou la bénéficiaire peut faire ce qu’il ou elle entend. Il s’agit donc de deux prestations de nature différente, ce qui exclut déjà en soi un cas de surindemnisation au sens de l’art. 69 al. 1 LPGA (c. 6.5).
Comparant ensuite la législation applicable, respectivement, aux soins de base (LAMal) et à l’API (AI), le TF parvient à la conclusion que si les deux prestations ont une certaine parenté, elles n’ont pas le même but, ne serait-ce que parce que les soins de base doivent faire l’objet d’une évaluation par du personnel qualifié et correspondent à des mesures précises dont la mise en œuvre doit être validée par un médecin, alors que l’API a pour but de combler les difficultés permanentes pour accomplir les actes de la vie quotidienne. Les deux prestations n’ont donc pas le même but (c. 6.6.2).
Faute de prestations étant de même nature et ayant le même but, il ne peut être question, en cas de perception concurrente de prestations de la LAMal pour les soins de base et d’une API de l’AI, de surindemnisation. La concordance du SSI, qui est une prestation accessoire à l’API, n’a pas à être examinée séparément et se rattache à cette dernière (c. 6.6.3).
Le TF se livre ensuite à l’interprétation de l’art. 69 al. 1 et 2 LPGA, et parvient à la conclusion que l’art. 69 al. 2 LPGA a uniquement pour but de fixer une limite de surindemnisation lorsque des prestations en espèces concordantes sont perçues et qu’il n’existe pas d’autre disposition fixant cette limite. Cette disposition n’est donc pas pertinente dans la constellation qui nous occupe (c. 8). L’art. 122 OAMal non plus (c. 9). Le TF rappelle finalement que le cumul des prestations de la LAMal pour les soins de base et de l’API correspond à la volonté politique (c. 10).
En conclusion, les soins de base au sens de l’art. 7 al. 2 let. c OPAS doivent être pris en charge indépendamment de la perception, par la personne assurée, d’une API et d’un SSI.
Note : cet arrêt apporte une précision bienvenue s’agissant de la compréhension de la surindemnisation dans le contexte de la coordination intersystémique, en rejetant la méthode globale, soutenue par une partie de la doctrine mais contraire, à notre avis et comme le confirme cet arrêt, à la volonté du législateur (cf. DUPONT ANNE-SYLVIE, L’interdiction de la surindemnisation : un « principe général » tout en nuances, in : Dupont/Müller, Concepts fondamentaux de l’indemnisation : convergence et divergences, Bâle/Neuchâtel 2023, 147 ss, N 22). La méthode de la concordance des droits est ici affinée par la précision que la concordance fonctionnelle (« nature et but identiques ») doit bien faire l’objet d’une analyse en deux temps, d’abord sur la question de l’identité de nature, puis sur celle de l’identité de but. La terminologie employée prête à confusion dans la sens où l’identité de nature est désignée par les termes de « sachliche Kongruenz » et l’identité de but par celle de « funktionnelle Kongruenz ». Traditionnellement, le premier concept désigne la concordance événementielle (ou matérielle), et le second, précisément, l’identité de buts et de nature. Cela ne change rien, fondamentalement, au fait que la concordance doit s’examiner à l’aune des quatre critères identifiés ci-dessus, le dernier (concordance fonctionnelle) devant faire l’objet d’une analyse en deux temps, sous l’angle de la nature des prestations d’abord et de leur but ensuite.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
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