Une agression particulièrement grave a été commise en 2004 par un adolescent adopté sur une jeune femme en vacances à la frontière italo-suisse. L’acte avait provoqué un traumatisme crânien, la perte d’un œil, ainsi que des séquelles physiques irréversibles. L’auteur, âgé de 16 ans à l’époque, avait été condamné pénalement en Suisse. Sur le plan civil, la victime avait engagé une action en dommages-intérêts contre le jeune homme et ses parents adoptifs, résidant tous en Suisse. Les premiers juges ont partiellement admis l’action, retenant la responsabilité de l’auteur mais rejetant celle des parents, estimant qu’il n’y avait pas de faute ou de violation du devoir de surveillance suffisamment grave au sens de l’art. 333 CC. Il avait appliqué le droit suisse à la lumière du contexte très helvétique de l’affaire : domicile des parties, procédure pénale menée en Suisse, auditions, exécution de la mesure, etc.
En appel, les juges ont appliqué le droit italien, considérant que l’agression s’était entièrement déroulée en territoire italien, et a condamné solidairement les parents avec leur fils sur la base de l’art. 2048 du Code civil italien, qui régit la responsabilité des parents pour les actes de leurs enfants mineurs non émancipés. Cette norme impose une preuve libératoire cumulative : les parents doivent démontrer à la fois une bonne éducation et une surveillance adéquate, ce qui constitue une exigence probatoire bien plus stricte que celle de l’art. 333 CC, qui permet une exonération dès qu’une surveillance suffisante ou une absence de lien causal est démontrée.
Saisi par les parents, le TF a d’abord confirmé l’application du droit italien en vertu de l’art. 133 al. 2 LDIP, rejetant l’exception de l’art. 15 LDIP (rapport plus étroit avec le droit suisse) au motif que les faits se sont tous déroulés en Italie, même si brièvement. L’argument selon lequel le juge aurait dû harmoniser l’appréciation du droit applicable en raison de la condamnation du fils en droit suisse a également été écarté, le TF rappelant que seule la partie du jugement concernant les parents était en discussion et que la motivation du premier juge sur le droit applicable n’avait pas acquis force de chose jugée.
Sur le fond, les recourants invoquaient une violation de l’art. 8 CC, en faisant valoir que la cour cantonale aurait pris en compte des éléments non allégués par la demanderesse, notamment des comportements antisociaux de leur fils extraits de l’expertise psychiatrique. Ils soutenaient que ces faits n’avaient pas été établis par voie régulière et que les conclusions du psychiatre ne pouvaient fonder une condamnation. Le TF a balayé ces griefs. Il a souligné que la question de la surveillance et de l’éducation était au cœur du litige dès le départ, que la demanderesse avait bien allégué les troubles du comportement, et que l’expertise judiciaire, régulièrement ordonnée, avait confirmé ces éléments. Les parents ne les avaient pas contestés sérieusement en appel. Le TF a validé l’analyse de la cour cantonale selon laquelle les parents n’avaient pas su identifier ni traiter les signaux manifestes de trouble chez leur fils. Certes, l’éducation n’était pas jugée déficiente en soi. Mais les juges retiennent une minimisation fautive des comportements agressifs et inquiétants du jeune homme, ainsi qu’une absence de réaction appropriée, alors même que les parents étaient des professionnels instruits et capables. Leur inaction a empêché toute prise en charge thérapeutique, pourtant nécessaire. Ils ont dès lors échoué à rapporter la preuve libératoire exigée par l’art. 2048 CCit, en particulier s’agissant de la surveillance. Leur responsabilité civile est donc engagée.
Note : En comparaison avec le droit suisse, cette affaire illustre la rigueur accrue du droit italien en matière de responsabilité du chef de famille. Là où l’art. 333 CC permet une exonération dès qu’une surveillance suffisante est démontrée, l’art. 2048 CCit impose une double preuve, sans laquelle la responsabilité est automatiquement retenue. Le changement de droit applicable a donc été décisif pour l’issue du litige.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême |