NLRCAS septembre 2024
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 9C_169/2023 du 3 mai 2024
Assurance-maladie; soins de longue durée, intervention d’une OSAD dans un établissement stationnaire, surindemnisation; art. 7 et 7a OPAS; 69 LPGA
Le TF a considéré qu’une organisation de soins et d’aide à domicile reconnue au sens de l’art. 51 OAMal pouvait valablement facturer ses prestations (art. 7 al. 2 OPAS) prodiguées dans un établissement stationnaire qui n’est pas considéré comme un EMS (art. 39 al. 3 LAMal), selon le tarif fixé à l’art. 7a al. 1 OPAS, et non selon le système forfaitaire prévu à l’art. 7a al. 3 OPAS. Un éventuel risque de surindemnisation ne peut pas être pallié, faute de base légale, lorsque les prestations de l’assureur-maladie sont versées parallèlement à des subventions cantonales. L’art. 69 LPGA n’est en particulier pas applicable dans une telle situation.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_657/2023 du 14 juin 2024
Assurance-accidents; taux d’invalidité, revenu d’invalide, statistiques ESS, niveau de compétence; art. 6 al. 1 et 18 al 1 LAA; 16 LPGA
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’OFS par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé. Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé. Le TF a rappelé que, pour déterminer le niveau de compétences, l’accent est avant tout mis sur le type de tâches à assumer en fonction des qualifications de la personne concernée. En particulier, avoir suivi des cours de droit à l’université, toutefois sans titre universitaire à la clé, ne remplace pas la formation et l’expérience nécessaires pour accomplir les tâches spécifiques de la profession de secrétaire juridique. Il en va de même pour les autres domaines, en particulier la profession de photographe ou de « dirigeant d’une petite entreprise », lorsque l’expérience acquise par l’assuré à cet égard a été développée dans son temps libre, à côté de son activité de garde-frontière. Sans nier d’emblée ses capacités, le TF a confirmé qu’on ne peut pas considérer, selon le degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré puisse directement exercer ces mêmes activités en tant que professionnel et assumer les tâches pratiques complexes qui s’y rapportent. Seul le niveau de compétences 2 dans la détermination du revenu d’invalide doit dès lors être pris en considération.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_485/2023 du 19 juin 2024
Assurance-accidents; travailleuse salariée à temps partiel, activité indépendante non assurée en LAA, accident survenant pendant l’exercice de l’activité indépendante, accident non professionnel; art. 1a, 7 et 8 LAA; 13 OLAA
En présence d’une assurée, salariée à 25 % pour une activité de cuisinière à hauteur de 8.5 heures hebdomadaires auprès de l’entreprise B. AG, et exerçant parallèlement une activité à 75 % en qualité d’agricultrice indépendante, avec son époux, sur leur propre domaine agricole (sans couverture d’assurance facultative pour cette activité indépendante), le TF a considéré que les conséquences d’un accident, survenu dans le cadre de travaux agricoles et ayant entraîné un traitement dentaire, devaient être prises en charge par l’assureur-accidents de l’entreprise B. AG, au titre d’accident non professionnel (d’un assuré travaillant à temps partiel et non assuré à titre facultatif pour son activité lucrative indépendante). Le TF a ainsi confirmé sa jurisprudence antérieure (ATF 139 V 457), la doctrine partageant unanimement cette interprétation dans la perspective d'une couverture d'assurance la plus globale possible.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_748/2023 du 6 juin 2024
Assurance-accidents; indemnité journalière, âge de la retraite, absence de surindemnisation; art. 16 LAA; 22 al.3 OLAA; 68 LPGA; 62 CO
En date du 8 juillet 2021, l’assurée, née en septembre 1958, s’est blessée notamment au membre supérieur gauche ainsi qu’à la cheville droite à la suite d’une chute à son domicile. L’assureur-accidents (SWICA) a diligenté une première expertise orthopédique, prévoyant une probable stabilisation des troubles dans un délai de 18 mois dès l’accident, avant de se raviser et de décider que cette expertise n’était pas assez complète. Durant l’instruction complémentaire, l’employeur a fait savoir à SWICA que l’assurée, engagée par contrat de travail de durée déterminée jusqu’à sa retraite, n’avait pas l’intention de travailler au-delà du 31 octobre 2022 (64 ans). SWICA en a, dès lors, profité pour mettre un terme au versement de ses indemnités journalières LAA avec effet au 31 octobre 2022. Le Tribunal cantonal genevois a annulé la décision de SWICA et condamné l’assureur à verser des indemnités journalières jusqu’au 27 mars 2023.
En substance, dans son recours, SWICA conteste auprès du TF le droit de l’assurée à l’indemnité journalière au-delà du moment où elle a atteint l’âge de la retraite.
Le TF rappelle sa jurisprudence en la matière (ATF 130 V 35 et ATF 134 V 392) et nie toute violation du principe de l’égalité de traitement, rappelant que l’indemnité journalière est calculée de manière abstraite et rétrospective, sur la base du revenu perçu avant l’accident ; pour éviter des lacunes d’assurance et pour des raisons de simplification administrative, le législateur a renoncé à mettre fin au versement des indemnités journalières pour les assurés qui auraient cessé leur activité après l’âge de la retraite, pour autant que leur droit aux indemnités journalières ait pris naissance auparavant ; il s’agit donc d’un choix du législateur, guidé par des motifs de praticabilité, dont il n’y a pas lieu de s’écarter, selon le TF.
Par ailleurs, en ce qui concerne la surindemnisation invoquée par SWICA pour soutenir un enrichissement illégitime (art. 62 CO), le TF nie toute absence de cause légitime, le versement de l’indemnité journalière LAA trouvant son fondement dans l’accident, tandis que l’allocation de rente AVS a pour origine l’arrivée de l’assurée à l’âge de la retraite. Dès lors, la concordance événementielle requise par l’art. 69 LPGA doit être niée entre ces prestations qui ne sont pas de même nature.
Le TF rejette donc le recours de SWICA.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion
TF 9C_705/2023 du 4 juin 2023
Assurance-vieillesse et survivants; ajournement de la rente vieillesse ordinaire pour le bénéficiaire d’une rente d’invalidité, légalité d’une disposition réglementaire; art. 39 al. 1 LAVS; 55bis let. b RAVS
Le bénéficiaire d’un quart de rente AI se voit refuser l’ajournement de sa rente de vieillesse. Dans cet arrêt, le TF rappelle la teneur des dispositions litigieuses, à savoir l’art. 39 LAVS qui prévoit que les personnes qui ont droit à une rente de vieillesse peuvent faire ajourner d’une année au moins et de cinq ans au plus le début du versement de la totalité de la rente ou d’un pourcentage de celle-ci et peuvent en tout temps révoquer l’ajournement à compter du début du mois suivant (al. 1). La rente de vieillesse ajournée est augmentée de la contre-valeur actuarielle des prestations ajournées (al. 3). Le Conseil fédéral fixe les taux d’augmentation de manière uniforme et règle la procédure. Il peut exclure l’ajournement de certains types de rentes (al. 4). Selon l’art. 55bis let. b RAVS, les rentes de vieillesse qui remplacent une rente d’invalidité sont exclues de l’ajournement prévu par l’art. 39 LAVS.
Le TF examine ensuite si l’art. 55bis lit. b RAVS est conforme à la Constitution et à la loi. Il relève notamment que l’ajournement de la rente vieillesse existe indépendamment du fait qu’une activité lucrative a été exercée avant la naissance du droit à la rente de vieillesse et qu’un revenu a été réalisé pendant l’ajournement de la rente ou au-delà de l’âge ordinaire de la retraite. Il considère qu’il ressort du Message (FF 1968 636 ch. D.I) que l’exclusion de la possibilité d’ajourner la rente a pour seul but de limiter les « tracasseries administratives » et que l’on ne saurait expliquer en quoi le simple fait d’avoir perçu une rente d’invalidité avant l’ajournement de la rente vieillesse pourrait entrainer des complications considérables. Dans ce contexte, le TF retient que le Conseil fédéral a dépassé, avec l’art. 55bis let. b RAVS, les limites des pouvoirs qui lui étaient conférés par l’art. 39 al. 3 2e phrase LAVS lesquels ne l’autorisent pas à édicter une règlementation contraire à la Constitution (c. 3.3)
Ainsi, selon le TF, le simple fait que la rente de vieillesse remplace une rente d’invalidité n’est pas une raison sérieuse ou raisonnable pour refuser aux personnes assurées concernées l’ajournement de leur rente de vieillesse et la liberté de disposition et la flexibilité qui y sont liées. La réglementation de l’art. 55bis let. b RAVS est ainsi arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. (c. 3.4).
Dès lors, l’art. 55bis let. b RAVS viole des prescriptions légales et constitutionnelles, raison pour laquelle cette disposition ne doit pas être appliquée (c. 3.5).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne
TF 9C_540/2023 du 3 juin 2024
Assurance-vieillesse et survivants; convention de sécurité sociale Suisse-Portugal, exercice du droit à libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, périodes de cotisations à l’étranger; art. 33bis LAVS
Un assuré, né en 1956 au Portugal, y a travaillé et accompli des périodes de cotisations jusqu’à son entrée en Suisse le 2 avril 1987, cotisant depuis lors au système suisse d’assurances sociales. Souffrant des séquelles d’un accident survenu en 1991, il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité à compter du 1er octobre 1992. Sa rente s’élevait à Frs 2’390 par mois depuis le 1er janvier 2021 et était calculée en fonction d’une durée de cotisations de quinze ans, de l’échelle de rente 44, de bonifications pour tâches éducatives (2.5), d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 67’398.- et d’une durée de cotisations pour ce dernier de quatre ans et cinq mois. Elle tenait compte des périodes de cotisations au Portugal et d’un supplément pour veuvage. Ayant atteint l’âge de la retraite, la caisse de compensation lui a accordé une rente de vieillesse mensuelle de Frs 1’310 depuis le 1er novembre 2021. La rente était calculée en fonction d’une durée de cotisations de trente-quatre ans et cinq mois, de l’échelle de rente 34, de bonifications pour tâches éducatives (3.0), d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 24’378.- et d’une durée de cotisations pour ce dernier de trente-trois ans et sept mois. Elle ne tenait plus compte des périodes de cotisations au Portugal, mais toujours d’un supplément pour veuvage.
Le litige porte sur la question du montant de la rente de vieillesse du recourant succédant à sa rente AI. L’assuré reproche en effet à la caisse de compensation de ne pas avoir pris en compte les périodes de cotisations accomplies au Portugal et d’avoir retenu une échelle de rente ainsi qu’un revenu annuel moyen erronés.
En vertu de l’art. 33bis al. 1 LAVS, les rentes de vieillesse ou de survivants sont calculées sur la base des mêmes éléments que la rente d’invalidité à laquelle elles succèdent, s’il en résulte un avantage pour l’ayant droit. En ce qui concerne les périodes de cotisations acquittées à l’étranger, le TF a examiné s’il y a lieu de prendre en compte les périodes de cotisations réalisées au Portugal dans le calcul d’une rente de vieillesse succédant à une rente d’invalidité d’un ressortissant portugais ayant exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etat membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, et dont la rente suisse de vieillesse avait été octroyée par décision rendue en octobre 2021.
Pour les juges fédéraux, un litige relève de la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur de l’ALCP lorsque le champ d’application temporel de cet accord et des règlements de coordination qui en découlent, ainsi que le champ d’application personnel du R CE n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, sont remplis. Selon ce règlement, l’assuré avait droit à la conversion de sa rente suisse d’invalidité en une rente suisse de vieillesse calculée en fonction exclusivement des périodes suisses de cotisations dès qu’il avait atteint l’âge de la retraite en Suisse. Il ne pouvait, en revanche, pas prétendre une rente portugaise de vieillesse tant qu’il n’avait pas atteint l’âge de la retraite au Portugal. Toutefois, dans l’intervalle de ces deux dates, il pouvait prétendre à une rente portugaise transitoire d’invalidité, calculée en fonction des périodes portugaises de cotisations, qui se cumule provisoirement avec la rente suisse de vieillesse. Le Tribunal fédéral a précisé qu’il serait ensuite procédé à un nouveau calcul de la rente suisse de vieillesse, une fois l’âge de la retraite au Portugal atteint.
En l’occurrence, comme l’assuré a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, il peut se prévaloir de l’application d’une convention se sécurité sociale plus favorable. Il convenait par conséquent de déterminer concrètement si le système mis en place par la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal est plus favorable que celui mis en place par l’ALCP.
L’art. 12 par. 2 de de la convention Suisse-Portugal prévoit que les rentes ordinaires de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse venant se substituer à une rente d’invalidité sont calculées sur la base des dispositions légales suisses compte tenu exclusivement des périodes de cotisations suisses. Si toutefois les périodes d’assurance portugaise, compte tenu de l’art. 20 de la convention et des dispositions d’autres conventions internationales, n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation portugaise analogue, elles sont également prises en compte pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base au calcul des rentes suisses susmentionnées.
Dès lors que les textes des conventions Suisse-Portugal et Suisse-Espagne sont identiques, il n’y a pas lieu de faire une interprétation différente de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal que celle qui a été faite de l’art. 9 par. 4 de la convention Suisse-Espagne dans l’ATF 112 V 145. La totalisation des périodes portugaises d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation portugaise analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation portugaise naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 12 par. 2 première phrase de la convention Suisse-Portugal. Cela signifie concrètement que l’assuré peut prétendre la prise en compte des périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente de vieillesse jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la retraite au Portugal, pour autant que cette solution soit plus favorable au système mis en place par le R n° 883/2004.
In casu, il ne ressort pas du dossier que la caisse aurait examiné si le système de la convention Suisse-Portugal ou celui du R n° 883/2004 s’appliquerait, ni lequel serait plus favorable au recourant. A cet égard, le TF a déjà considéré que le point de savoir quel système était plus favorable au recourant nécessitait un calcul comparatif fondé sur les informations dont l’obtention, ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale. Il convient par conséquent de rejeter la conclusion principale, en tant qu’elle postule le versement de la rente la plus favorable pour une durée indéterminée, et d’admettre la conclusion subsidiaire de renvoi.
L’arrêt cantonal attaqué est annulé, et la cause est renvoyée à l’administration pour complément d’instruction et nouvelle décision. Le TF précise toutefois qu’il n’y a pas lieu d’annuler la décision de rente litigieuse dont il n’est pas encore établi qu’elle soit contraire au droit. Il n’est pas davantage nécessaire de se prononcer sur les autres griefs de l’assuré dans la mesure où la caisse intimée devra justifier ses nouveaux calculs. Le TF admet ainsi partiellement le recours de l’assuré.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne
Note : dans une affaire dont l’état de fait était comparable, mais qui concernait une personne qui n’avait pas bénéficié au préalable d’une rente d’invalidité, le TF a jugé qu’il n’y avait pas d’inégalité de traitement entre les deux situations (TF 9C_631/2023).
TF 8C_690/2023 du 2 juillet 2024
Prestations complémentaires; fortune mobilière, prise en compte d’une prestation de libre passage, demande de rente d’invalide pendante; art. 9a al. 1 let. a LPC; 16 al. 2 OLP
Le TF se penche sur le droit du recourant aux prestations complémentaires à compter du 1er juin 2022, qui correspond au mois suivant l’entrée en force d’une décision de l’assurance-invalidité allouant une rente entière d’invalidité à celui-ci. Le recourant s’est vu refuser le droit aux prestations complémentaires, la caisse cantonale de compensation AVS ayant considéré que sa fortune mobilière de CHF 144'037.30 (avoir de libre passage) dépassait le seuil de CHF 100'000.- à partir duquel les personnes seules n’avaient pas droit aux prestations (art. 9a al. 1 let. a LPC). L’autorité administrative, suivie par les juges cantonaux, a considéré que le recourant avait la possibilité de demander le versement de son capital de prévoyance sur la base de l’art. 16 al. 2 OLP et que ce retrait était exigible de sa part compte tenu de son devoir d’atténuer les conséquences du dommage causé par le fait de toucher des prestations complémentaires. Le recourant se prévalait de l’existence d’une action judiciaire visant à obtenir une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle, toujours pendante.
Selon une jurisprudence constante, seuls les revenus effectivement perçus et les valeurs patrimoniales existantes dont le bénéficiaire de prestations peut disposer sans restriction peuvent être prises en compte dans l’évaluation du droit aux prestations complémentaires, dans la mesure où celles-ci ont pour but de couvrir les besoins vitaux courants. Demeure réservé le cas de la renonciation à des revenus ou à des valeurs patrimoniales. En d’autres termes, la prise en compte d’une valeur patrimoniale dans le cadre de l’art. 11 al. 1 let. c LPC repose sur la fiction qu’elle peut être transformée en tout temps en fortune liquide et consommée en tant que telle. Si la conversion en liquidités n’est pas possible ou si l’accès à celles-ci est refusé, la prise en compte n’a pas lieu.
Le capital de libre passage que l’ayant droit aux prestations complémentaires pourrait percevoir en vertu de l’art. 16 al. 2 OLP doit être imputé comme élément de fortune non seulement en cas de versement effectif mais déjà lorsque le versement est légalement admissible. Le TF a ainsi jugé que le droit au versement au sens de l’art. 16 al. 2 OLP d’un avoir provenant d’un compte de libre passage naissait au moment de l’entrée en force de la décision d’octroi d’une rente entière de l’assurance-invalidité.
Le TF a rappelé que, le cas échéant, l’absence de restitution de l’avoir de prévoyance professionnelle serait sanctionnée par une réduction des prestations d’invalidité. Ainsi, le TF a considéré qu’il n’était pas exigible du recourant qu’il retire son capital de libre passage si cela avait pour conséquence de prétériter son droit à une rente d’invalidité non réduite de la prévoyance professionnelle. Il s’ensuit en l’espèce que l’avoir figurant sur le compte de libre passage du recourant ne doit pas être pris en compte dans l’évaluation de son droit aux prestations complémentaires, cela jusqu’à droit connu sur la procédure relative à son droit éventuel à une rente de la prévoyance professionnelle. Ensuite, si le recourant se voit dénier le droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle, il n’y aura plus d’obstacle à la prise en considération de l’avoir de prévoyance dans le calcul des prestations complémentaires. Dans le cas contraire, en cas de paiement rétroactif de rentes d’invalidité du deuxième pilier, le montant de la rente arriérée afférente à la même période devra être pris en compte dans l’année civile pour laquelle une prestation complémentaire a été payée, afin d’éviter tout risque de surindemnisation. Le recourant pourra alors être tenu de restituer les éventuelles prestations complémentaires versées en trop, dans un but de rétablissement de l’ordre légal.
En résumé, le droit au versement de l’avoir de libre passage selon l’art. 16 al. 2 OLP ne doit pas être pris en compte dans l’évaluation du droit aux prestations complémentaires lorsqu’un assuré fait valoir de manière active son droit à une rente d’invalidité du deuxième pilier. Sont réservées les situations où l’assuré ne concrétise pas son intention d’obtenir la rente d’invalidité du deuxième pilier ou si, après un examen sommaire des circonstances, ses prétentions apparaissent clairement mal fondées.
Auteures : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne, et Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg
TF 8C_184/2023 du 29 mai 2024
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, restitution, péremption, délai relatif, dies a quo; art. 25 al. 2 LPGA
Il n’est pas possible de maintenir la jurisprudence du TF qui s’écarte de l’ATF 110 V 304 en ce qui concerne la restitution de prestations indûment versées à la suite de la suppression d’une rente invalidité.
Le délai de péremption relatif devra donc à l’avenir toujours être déterminé sur la base des circonstances concrètes du cas d’espèce, en fonction de la prise de connaissance avec l’attention requise et raisonnablement exigible. L’abandon de la pratique particulière qui consistait à retenir l’entrée en force de la décision de suppression de la rente comme le moment déclencheur du délai de péremption relatif signifie qu’il faut toujours se baser pour fixer le début du délai de péremption relatif sur le moment où l’administration a reconnu ou aurait dû reconnaître, en faisant preuve de l’attention qu’on pouvait attendre d’elle – et indépendamment de l’entrée en force de la décision de suppression de la rente – que les conditions pour une restitution étaient remplies. Sur la base de la jurisprudence selon l’ATF 148 V 217 (c. 5.1.1), il ne peut y avoir un point fixe temporel uniforme pour le début du délai de péremption relatif. Ce sont toujours les circonstances du cas d’espèce qui sont déterminantes pour savoir à quel moment l’administration doit avoir connaissance de l’existence et de l’étendue du droit à la restitution. La condamnation pénale peut, mais ne doit pas nécessairement, coïncider avec cette connaissance de l’administration.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg
TF 9C_141/2023 du 5 juin 2024
Assurance-invalidité; indemnité journalière, personne de condition indépendante, indépendant, fixation du montant de l’indemnité journalière, salaire soumis à cotisations; art. 23 et 24 LAI; 21quater RAI
Selon l’art. 23 LAI, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2012, l’indemnité de base s’élève à 80 % du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé. Le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fond sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant) (al. 3). Selon l’art. 21quater al. 1 RAI, l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS. Selon le chiffre 0835 de la circulaire de l’OFAS concernant les indemnités journalières de l’assurance-invalidité (CIJ), en vigueur depuis le 1er janvier 2022, pour les personnes de condition indépendante, le revenu déterminant pour le calcul de l’indemnité journalière se fonde sur le dernier revenu d’activité lucrative, converti en revenu journalier, précédant la survenance de l’atteinte à la santé, et sur lequel des cotisations AVS ont été prélevées
La juridiction cantonale a retenu que selon l’extrait du compte individuel AVS, le revenu annuel (brut) du recourant s’élevait à CHF 66'400.- pour l’année 2013. Les cotisations sociales correspondantes n’avaient cependant pas été acquittées par le recourant dans leur totalité. Pour l’année 2013, le recourant avait uniquement versé les cotisations correspondant à un revenu annuel (brut) de CHF 9'333.-, le solde des créances de cotisations étant présumé irrécouvrable. L’argumentation du recourant soulève la question de savoir quel est le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI : celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées, comme l’a retenu la juridiction cantonale, ou celui qui est soumis au prélèvement de cotisations et sert de base pour la fixation des cotisations, comme le prétend le recourant.
Le TF procède à une interprétation du texte légal. Selon lui, la volonté du législateur est claire. Les interprétations historique et systématique conduisent à retenir que l’art. 23 al. 1 LAI, lu en corrélation avec les art. 17 ss RAI, ne prévoit nullement que les cotisations sont réputées formatrices des indemnités journalières de la LAI dans la mesure seulement où elles sont versées. Au contraire, il y a lieu de comprendre que l’art. 23 al. 1 LAI, en lien avec l’art. 21quater al. 1 RAI, prévoit que l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS (et non pas celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées).
En conséquence, la juridiction cantonale a fait une application erronée du droit fédéral en fixant le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI en fonction du « revenu pour lequel le recourant avait matériellement versé les cotisations » (de CHF 9'333.-) et en corrigeant en conséquence le revenu de l’année 2013 soumis aux cotisations (de CHF 66'400.-). Bien fondé, le recours est admis
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève
TF 8C_741/2023 du 14 juin 2024
Assurance-invalidité; allocation pour impotent, prestation supplémentaire en raison du besoin d’accompagnement, coordination des prestations; art. 66 LPGA; 42 al. 3 LAI; 37 al. 1 et 38 RAI; 26 LAA; 38 OLAA
L’assuré gravement impotent au sens de l’art. 37 al. 1 RAI a droit à une allocation maximale suivant l’art. 42ter LAI, indépendamment du fait qu’il aurait en outre besoin ou non d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, selon les prévisions des art. 42 al. 3 LAI et 38 RAI, correspondant à une impotence faible. Une prestation supplémentaire en raison du besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie n’entre alors pas en considération (c. 6.1).
Quant à l’impotence qui résulte d’un accident et qui suscite l’octroi d’une indemnité pour impotence grave selon les art. 26 LAA et 38 al. 2 OLAA, elle ne justifie pas non plus une prestation en vertu de l’art. 42 al. 3 LAI, quand bien même la législation sur l’assurance-accidents ne connaît pas l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie comme cause d’impotence (cf. art. 38 OLAA). En effet, l’octroi de l’allocation pour impotence grave LAA exclut, en vertu de l’art. 66 LPGA, aussi bien une allocation pour impotence grave au sens de l’art. 37 al. 1 RAI qu’une hypothétique prestation pour un tel accompagnement, qui n’est pas prévue de façon distincte en matière d’assurance-invalidité (c. 6.2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle
TF 9F_18/2023 du 19 juin 2024
Assurance-invalidité; révision, expertise; art. 123 LTF
Un assuré obtient, en 2000, une rente d’invalidité avec effet rétroactif à partir de novembre 1992. En 2016, à la suite d’une enquête pénale pour soupçon de fraude à l’assurance, la rente est suspendue par l’assurance-invalidité. Cette dernière a, dans le cadre de son instruction, mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire auprès du centre d’expertise PMEDA SA. Sur la base du rapport d’expertise notamment, l’assurance-invalidité a rendu une décision mettant un terme aux prestations rétroactivement à compter du 1er octobre 2005 et une décision ordonnant la restitution d’un montant de CHF 249’589.-. Le recours de l’assuré à l’encontre de ces décisions a été rejeté par le TF (TF 9C_444/2021 et 9C_496/2021). Le 4 octobre 2023, la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans l’évaluation médicale (COQEM) a recommandé de ne plus attribuer de mandats au centre d’expertises PMEDA SA en raison de graves lacunes sur le plan de la forme et du contenu. L’assuré dépose une requête en révision auprès du TF des deux jugements précités.
Le TF rappelle ainsi que conformément à l’art. 123 al. 2 let. a LTF, la révision peut être demandée dans les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’il n’avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt. Seuls peuvent donc être invoqués des faits anciens, découverts après coup (pseudo nova), la nouveauté se rapportant ainsi à la découverte et non aux faits eux-mêmes, les faits postérieurs, soit les véritables nova, étant exclus (c. 4.1). Le TF souligne également que 5 conditions doivent être remplies pour obtenir une révision au sens de la disposition précitée (c. 4.1 et 4.2).
Dans le cas d’espèce, le TF précise que la Commission a procédé à une vérification du travail du centre PEMEDA SA afin notamment de s’assurer du respect de certaines directives applicables dès le 1er janvier 2022. Cet examen a montré que les expertises présentaient des lacunes considérables, tant en ce qui concerne le respect des prescriptions formelles de l’OFAS qu’en ce qui concerne la qualité du contenu technique et la traçabilité (c. 5.3.2). Cela étant dit, le TF souligne que le travail de la Commission s’est fondé sur des échantillons d’expertises PMEDA SA des années 2022 et 2023. Aussi, les constatations et recommandations de la Commission ne constituent pas des faits nouveaux importants au sens de l’art. 123 al. 2 let. a LTF car l’annonce de la Commission concernait une situation postérieure à la date de transmission de l’expertise de l’assuré (expertise rendue le 30 octobre 2018). Aussi, le communiqué de la Commission n’apportait aucun éclairage nouveau quant à la propre situation du recourant.
Par ailleurs, le présent cas différait également de la jurisprudence publiée à l’ATF 144 V 258. En effet, dans cette décision le TF a admis le motif de révision dans un dossier expertisé auprès d’une clinique genevoise au motif que, s’il avait été informé des graves manquements relatifs à ces rapports, il aurait considéré que ceux-ci entachaient la confiance placée dans une exécution lege artis de l’expertise de sorte qu’il aurait constaté que le rapport en question ne pouvait servir de fondement à la décision relative au droit aux prestations de l’assurance-invalidité (c. 5.4.1).
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains
TF 8C_823/2023 du 8 juillet 2024
Assurance-invalidité; revenu de valide, abattement sur le salaire statistique, disposition réglementaire, légalité; art. 16 LPGA; 28a al. 1 LAI; 26bis al. 3 aRAI
L’art. 26bis al. 3 RAI, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, n’est pas conforme au droit supérieur. S’agissant d’une disposition d’ordonnance dépendante visant à compléter la loi, elle doit être conforme à la disposition légale sur laquelle elle se fonde, en l’espèce sur l’art. 28a al. 1, 2e phrase, LAI. Procédant à l’interprétation littérale et historique de cette disposition, le TF parvient à la conclusion que le législateur n’a jamais eu la volonté de voir abandonner la pratique jurisprudentielle adoptée jusqu’ici en matière d’abattement sur le salaire statistique. Si le recours aux statistiques est souvent nécessaire pour évaluer la perte de gain, le but des assurances sociales, singulièrement de l’assurance-invalidité, dont la vocation est universelle, n’en demeure pas moins de tenir compte le plus possible des particularités de la personne assurée (« im Versicherungsfall steht der oder die einzelne versicherte Person im Fokus » ; c. 9.5.1). Il n’existe pas d’indice permettant de penser que le nouveau droit implique un changement de ce paradigme, réaffirmé à plusieurs reprises par le TF, y compris dans sa jurisprudence récente. Au contraire, le fait d’avoir désormais adopté un système de rente linéaire rend plus importante encore l’évaluation de l’invalidité au point de pourcentage près (c. 9.5.2).
Le TF critique la décision du législateur d’adopter une réglementation spécifique pour l’évaluation du revenu d’invalide, singulièrement pour les facteurs d’abattement sur le salaire statistique, dans le domaine de l’assurance-invalidité. En effet, l’évaluation de l’invalidité fait l’objet d’une disposition légale se trouvant à l’art. 16 LPGA, disposition applicable non seulement à l’assurance-invalidité, mais aussi à l’assurance-accidents et à l’assurance militaire. L’interprétation que l’OFAS veut faire de l’art. 26bis al. 3 RAI ferait obstacle à une évaluation uniforme de l’invalidité. La cohérence de l’ordre juridique commande au contraire que l’on interprète cette disposition en laissant la possibilité, dans l’assurance-invalidité également, d’autres facteurs d’abattement que le travail à temps partiel (c. 10.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 1C_653/2022 du 3 juin 2024
LAVI; aide immédiate, frais d’hébergement, degré de la preuve; art. 2 let. a LAVI
Une femme victime de contrainte de la part de son mari demandait l’aide d’urgence au sens de l’art. 2 let. a LAVI. Les autorités inférieures avaient nié à la requérante le droit à cette prestation au motif que l’atteinte dont elle avait souffert n’était pas d’une gravité suffisante et n’était pas en lien de causalité avec sa demande d’aide. La requérante avait quitté le domicile familial pour se rendre dans un centre d’accueil d’urgence. Elle demandait le remboursement des frais d’hébergement.
Le TF a rappelé tout d’abord que la contrainte au sens de l’art. 181 CP constituait une infraction susceptible de porter une atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne et pouvant ainsi ouvrir le droit à l’aide de la LAVI conformément à l’art. 1 al. 1 LAVI. Il a rappelé que, pour l’examen du droit aux prestations, ce n’était pas la gravité de l’infraction pénale qui était déterminante, mais la gravité de l’atteinte subie par la personne lésée. S’agissant de l’aide d’urgence, le TF a relevé qu’il ne fallait pas se fonder sur un degré de preuve stricte. Au contraire, dans la mesure où l’aide doit être accordée d’urgence, l’autorité doit se contenter d’une simple crédibilité de l’allégation de la part de la requérante. C’est ainsi que l’aide peut être fournie même si la situation de fait n’est pas entièrement clarifiée. En particulier, on ne peut exiger un diagnostic concret d’ordre médical. Dans le cas d’espèce, le TF a réformé l’avis des autorités précédentes en considérant que la contrainte subie par la requérante, laquelle l’avait poussée à quitter le domicile familial pour un centre d’accueil d’urgence, couplé à un suivi psychologique, avait causé une atteinte suffisante pour justifier l’octroi de prestations d’urgence au sens de la LAVI.
Dans un considérant complémentaire, le TF s’est également prononcé sur la question de la causalité entre l’atteinte subie et la prestation à allouer d’urgence. Il a considéré que la notion de causalité était identique à celle du droit de l’assurance accident. A nouveau, dans le cadre d’un examen d’une prestation d’urgence, la preuve ne doit pas être stricte et l’on peut se contenter d’une situation de fait simplement crédible. Il a également considéré, dans le cas d’espèce, que ce lien de causalité était donné.
Le TF a enfin considéré que le séjour dans un centre d’urgence à la suite d’une contrainte émanant du conjoint était approprié et adéquat. Par conséquent, il a considéré que les conditions liées au droit à une aide d’urgence, sous la forme d’un hébergement dans un centre, étaient données dans le cas d’espèce. Il a ainsi réformé l’arrêt cantonal afin que les coûts d’hébergement puissent être pris en charge.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne
TF 1C_443/2023 du 7 mai 2024
LAVI; réparation morale, gravité de l’atteinte, atteinte à l’intégrité physique de peu de gravité; art. 22 al. 1 et 23al. 2 let. a LAVI; 47 et 49 CO
Selon l’art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l’atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 CO s’appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit. La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Le législateur n’a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu’elle a subi. Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d’une allocation ex aequo et bono, étant précisé que toute lésion corporelle n’ouvre pas le droit à la réparation morale, encore faut-il qu’elle revête une certaine gravité.
La victime qui présente (à la suite d’une agression au sortir d’une discothèque) des séquelles psychiques difficiles à identifier, dont l’état de stress post-traumatique n’a pas été diagnostiqué, qui n’a suivi aucune psychothérapie, ni aucun traitement médical, qui a presque repris immédiatement le travail et a recommencé à sortir de nuit, ne peut pas se prévaloir d’une lésion corporelle suffisante pour atteindre le seuil de gravité relativement élevé qu’exige l’art. 22 al. 1 LAVI.
Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne
TF 4A_249/2023 du 22 avril 2024
Responsabilité du fait des produits; procédure, Convention de Lugano, for de l’action en constatation de droit négative, for du lieu de commission de l’acte illicite; art. 5 par. 3 CL
Le TF rappelle qu’en vertu de l’art. 5 par. 3 CL, l’action peut être intentée au lieu où le fait dommageable s’est produit, et de préciser que cela vise tant le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage, à savoir le lieu de commission de l’acte (Handlungsort), tant le lieu de la matérialisation du dommage, soit le lieu du résultat de l’acte (Erfolgsort).
Aussi, les objectifs de prévisibilité du for et de la sécurité juridique poursuivis par l’art. 5 par. 3 CL n’ont trait ni à l’attribution des rôles des parties, ni à la protection de l’un deux. Dès lors, cette disposition vaut tant pour l’action positive en responsabilité du fait des produits que pour l’action en constatation de droit négative portant sur l’absence de responsabilité du fait des produits.
En matière de responsabilité civile du fait des produits, la détermination du lieu de commission de l’acte illicite peut être ardue puisque le défaut du produit peut dépendre d’actes ou d’omissions qui se produisent au stade de la conception, de la fabrication ou de la commercialisation du produit. Dans la chaîne des causes du défaut, il y a lieu de considérer que le lieu de commission de l’acte dépend à la fois du concepteur/producteur dont le lésé met en cause la responsabilité et du lieu où celui-ci a agi, et non tous les lieux où celui-ci a fait réaliser ses produits par des tiers.
En l’espèce, la société attaquée par le lésé, ayant son siège en Suisse, qui conçoit un modèle de vélo en Suisse, est légitimée à ouvrir une action en constatation de droit négative à Fribourg, quand bien même la fabrication « matérielle » du vélo ne s’effectue pas en Suisse, mais en Chine, voire en Hollande pour ce qui est de l’assemblage du vélo et la distribution se faisant depuis la Belgique.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève
TF 4A_411/2023 du 3 juin 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; accidents successifs de la circulation routière, causalité naturelle, pluralité de causes, causalité alternative; art. 58 LCR
La personne lésée qui, sans faute de sa part, est impliquée dans un premier accident en tant que conductrice de son véhicule, puis dans un second accident en tant que passager d'une dépanneuse, a le fardeau de prouver la causalité naturelle (art. 8 CC ; c. 3.1). Il y a causalité alternative lorsqu’un préjudice résulte de plusieurs causes entières, dont une seule peut avoir provoqué le préjudice, sans qu’il soit possible de déterminer laquelle. Dans un tel cas de figure, la responsabilité est exclue, car la simple possibilité de causer un préjudice ne suffit pas à établir un lien de causalité (c. 4).
Auteur : Scott Greinig, MLaw, assistant-doctorant à la Faculté de droit de Neuchâtel
Brèves...
Pour établir un lien de causalité hypothétique en matière de responsabilité civile, la preuve du lien de causalité doit être établie avec une vraisemblance prépondérante, c’est-à-dire un degré de probabilité supérieur à 51 %, voire proche de 75 % selon la doctrine. En l’espèce, la cour cantonale a versé dans l’arbitraire (TF 4A_401/2023 c. 6.4).
Les frais d’avocat engagés avant procès ne peuvent être indemnisés en vertu de l’art. 41 CO que s’ils sont suffisamment détaillés, justifiés, nécessaires et adéquats. En l’absence de preuve claire et d’allégation précise de ces éléments, toute réparation est exclue (TF 4A_346/2023 c. 5).
Les conditions de détention contraires à l’art. 3 CEDH justifient une réparation morale. En l’espèce, une indemnisation fixée à CHF 50.- par jour de détention violant l’art. 3 CEDH a été jugé insuffisante, nécessitant un nouveau calcul par l’autorité inférieure afin de tenir compte des circonstances spécifiques de la détention (TF 2C_900/2022).
Le TF confirme que l’arrêt Beeler c. Suisse ne déploie pas d’effet rétroactif et ne permet pas de « réactiver » une rente de veuf arrivée à son terme avant le 11 octobre 2022, en dehors d’un cas de reconsidération ou de révision procédurale ; un changement de loi ou de jurisprudence ne représente pas un tel cas (TF 9C_229/2024).
Le revenu tiré d’un mandat politique exercé à côté d’une activité à temps partiel fait partie du gain assuré par l’assurance-chômage, et ne représente pas un gain accessoire (TF 8C_380/2023).
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