TF 6B_1190 et 1195/2023 du 4 septembre 2024
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence, violation de normes de sécurité, indemnité, arbitraire; art. 11 ss CPP
La direction des travaux et l’entreprise d’échafaudage forment chacun un recours en matière pénale au TF contre le jugement d’inculpation consécutivement à la chute d’un couvreur depuis la hauteur d’un échafaudage.
Selon l’art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l’auteur a agi sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. La négligence suppose, en premier lieu, la violation d’un devoir de prudence. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d’associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence.
En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. Dans les conditions fixées par la loi, l’employeur est responsable, sur le plan civil, des dommages causés par ses employés à ses cocontractants (art. 101 CO) ou à des tiers (art. 55 CO). Il a donc l’obligation juridique de veiller à ce que ses employés prennent les mesures de précaution nécessaires pour éviter la survenance d’un dommage ; il assume en particulier la cura in eligendo, in instruendo et in custodiendo. Il se trouve ainsi dans une position de garant.
Il faut en outre qu’il existe un rapport de causalité naturelle et adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Concernant la direction des travaux, la cour cantonale a retenu que ce dernier avait œuvré sur le chantier en qualité de directeur des travaux de l’entreprise générale. Il était donc responsable du suivi du chantier et ne pouvait pas soutenir qu’il n’aurait pas eu, à ce titre, de devoir de surveillance pour garantir le bon déroulement des travaux et la sécurité du chantier. Il était en effet évident qu’en raison de son cahier des charges, le directeur des travaux devait veiller au montage et à la maintenance de la structure de l’échafaudage, de façon qu’elle présentât la sécurité requise, et donner toute instruction utile à l’entreprise mandatée pour cette installation. L’expert mandaté avait mis en évidence plusieurs manquements dans le cadre du montage de l’échafaudage litigieux et il incombait à la direction des travaux d’y faire remédier.
Concernant l’entreprise d’échafaudage, la cour cantonale a retenu qu’en sa qualité de directeur technique et personne de contact, l’intéressé devait veiller à ce que, tant le chef d’équipe qu’il avait lui-même désigné que les ouvriers de son entreprise, avaient correctement monté l’échafaudage. Il lui revenait en effet de composer son équipe et de donner des instructions claires et précises à son chef d’équipe. Sa responsabilité résidait donc dans le choix d’une équipe compétente pour le montage de l’échafaudage. Il s’agissait d’une cura in eligendo qui était incontestablement susceptible d’engager sa responsabilité. L’entreprise d’échafaudage avait donc bien une position de garant. L’instruction avait en outre révélé que l’échafaudage n’avait pas été monté correctement. D’une part, la hauteur constructive du pont couvreur n’était pas conforme. D’autre part, les plateaux utilisés présentaient des défectuosités. A cet égard, il avait été constaté que de nombreuses pièces de liaison étaient absentes ou insuffisamment sorties et poussées sous le cadre de l’échafaudage.
La cour cantonale a considéré que la faute de l’entreprise d’échafaudage résidait essentiellement dans le fait de n’avoir pas instruit adéquatement son équipe au montage, équipe qui s’était d’ailleurs révélée incompétente puisque son chef était également condamné. L’entreprise aurait dû être d’autant plus vigilante que la SUVA avait déjà relevé à plusieurs reprises les risques d’instabilité des structures.
Enfin, la cour cantonale a considéré qu’une éventuelle faute de la victime, qui avait pris appui à tort sur la plinthe, n’était aucunement de nature à interrompre le lien de causalité, tant il était évident que c’était avant tout le contexte défaillant dans lequel l’ouvrier avait travaillé sur le plan de la sécurité qui expliquait le processus accidentel. Ainsi, l’éventuelle erreur commise par l’intimé, outre qu’il n’y avait pas de compensation des fautes au pénal, n’était que la conséquence de ces défaillances techniques imputables aux prévenus.
Leurs recours respectifs ont ainsi été rejetés par le TF.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême