NLRCAS Décembre 2019
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 8C_357/2019 du 24 octobre 2019
Assurance-chômage; coordination avec l’assurance-invalidité, terme du devoir d’avancer les prestations, adaptation du gain assuré; art. 8, 15 et 23 LACI; 5, 15 et 40b OACI; 70 al. 2 LPGA
Selon le TF, dès que le degré de l’incapacité de gain est fixé par projet de décision ou décision de l’autre assureur social, le devoir d’avancer les prestations de l’assurance-chômage prend fin et le gain assuré doit être adapté avec effet rétroactif au moment de la réduction de la capacité de gain (art. 23 al. 1 LACI cum 40b OACI) (c. 4.1).
Si aucune objection n’est soulevée à l’encontre du projet de décision ou que la décision n’est pas contestée, la période d’incertitude prend fin, puisque le degré d’incapacité de gain est fixé (c. 4.1.2).
Il peut par ailleurs arriver que la fin de la période d’incertitude et le moment de l’adaptation du gain assuré ne concordent pas. Dans un tel cas, l’adaptation du gain assuré ne peut toutefois survenir à l’avance que si l’assuré et la caisse de chômage se sont déjà mis d’accord sur un certain degré d’invalidité. En d’autres termes, ce n’est en principe que la décision de l’AI ou de l’autre assureur social qui constitue une base suffisante pour adapter le gain assuré en fonction du degré d’incapacité de gain reconnu, ou du moins du pourcentage non contesté de l’invalidité (ATF 142 V 380) (c. 4.1.3).
En l’espèce, seule la décision de l’office AI du 7 septembre 2018 constitue une base suffisante pour adapter le gain assuré selon l’art. 40b OACI, et non pas la communication préalable de cette décision à la caisse de chômage.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève
TF 9C_329/2019 du 17 octobre 2019
Assurance-vieillesse et survivants (LAVS); statut d’indépendant, nullité de la décision de la caisse de compensation AVS; art. 23 al.4 RAVS; 130 al. 2 LFID
Les caisses de compensation AVS doivent déterminer elles-mêmes de manière autonome, sans reprendre simplement les qualifications énoncées le cas échéant par l’autorité fiscale, si un revenu a été réalisé en tant qu’indépendant ou en tant que salarié. L’art. 23 al. 4 RAVS comporte une obligation de s’en tenir aux données fiscales cantonales seulement une fois que le statut d’indépendant est établi (c. 4.1-2).
Les principes développés par la jurisprudence en application de l’art. 130 al. 2 LIFD visant les taxations fiscales d’office valent par analogie en matière de fixation des cotisations AVS à l’endroit d’un assuré qui nie toute activité indépendante. De telles décisions sont nulles si elles tombent dans l’arbitraire crasse. En particulier, les suppositions ou présomptions fondant la décision doivent être plausibles (c. 4.2 et 6.2).
En présence d’un assuré qui affirme n’avoir déployé aucune activité indépendante depuis plusieurs années et envers lequel il s’est avéré impossible de recouvrer des cotisations facturées à ce titre pour les six derniers exercices, est nulle la décision de la caisse de compensation AVS qui retient sans plus ample instruction un revenu d’indépendant de Fr. 150’000.- taxé par l’autorité fiscale et s’éloigne ainsi, consciemment et de manière criante, de l’état de fait allégué par l’intéressé (c. 6.3.1-2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle
TF 8C_185/2019 du 11 octobre 2019
Assurance militaire; affection préexistante au service, séquelles tardives, causalité adéquate, présomption, responsabilité partielle; art.5 al. 2 et 3 et 64 LAM
Le lien de causalité adéquat entre l’atteinte à la santé survenue pendant le service et ses effets est présumé. Par conséquent, la responsabilité de l’assurance militaire ne peut être exclue que par la preuve certaine du contraire. Il y a preuve contraire certaine, s’il est établi que selon l’expérience médicale, l’influence des circonstances aggravantes pendant le service est pratiquement exclue (art. 5 LAM).
Les exigences de responsabilité de l’art. 5 LAM (affection constatée pendant le service) varient de celles de l’art. 6 LAM (affection constatée après le service). Selon l’art. 6 LAM, si l’affection est constatée après le service ou si des séquelles tardives sont invoquées, l’assurance militaire n’en répond que s’il est établi au degré de vraisemblance prépondérante que l’affection a été causée ou aggravée durant le service.
Contrairement au principe du « tout ou rien » prévu par la LAA, la LAM permet, par le biais de son art. 64, une réduction légale des prestations en cas de responsabilité partielle, notamment pour les assurés prédisposés. Ainsi, si l’assurance militaire n’apporte pas avec certitude la preuve contraire, elle peut réduire ses prestations selon l’art. 64 LAM si elle prouve que le dommage à la santé ou l’aggravation de l’état de santé n’est que partiellement causé pendant le service. L’art. 64 LAM vient donc compléter les art. 5 ss LAM (en particulier art. 5 al. 3 LAM et art. 6 LAM). La prestation est réduite si l’on peut supposer, de manière adéquate, que les causes de l’événement assuré n’ont pas provoqué à elles seules l’ensemble du dommage survenu.
Contrairement à la LAA (ATF 130 V 380), l’art. 5 LAM exclut que l’assureur mette fin avec effet ex nunc et pro futuro à son obligation de prester. En effet, la volonté du législateur est que la personne assurée bénéficie de l’éventuel doute au sujet de la preuve contraire à apporter par l’assurance militaire.
En l’espèce, il s’agit d’un mécanicien sur poids lourd engagé pendant six mois au Kosovo dans la Swisscoy en 2003 qui souffre de troubles de la personnalité graves avec aggravation dès la fin de son engagement. Une rente entière de l’AI lui est accordée dès le mois de novembre 2004. Des prestations médicales et financières sont accordées par l’assurance militaire d’octobre 2003 à novembre 2013. Les prestations sont ensuite réduites puis supprimées malgré une expertise médicale concluant à une causalité partielle (50 %).
En l’occurrence, l’assurance militaire n’a pas apporté la preuve certaine permettant de renverser la présomption au sens de l’art. 5 al. 2 let. b LAM. Elle a donc, tout comme le Tribunal cantonal d’Appenzell Rhodes-Extérieures qui a confirmé sa position, violé le droit fédéral.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier
TF 9C_521/2019 du 16 octobre 2019
Assurance-invalidité; infirmités congénitales, mesures médicales, traitement hospitalier, tarif, compétences du tribunal arbitral; art. 13, 14, 27 et 27bis LA
De la même manière que dans l’assurance-maladie, la législation en matière d’assurance-invalidité prévoit que la structure tarifaire pour déterminer la rémunération des séjours hospitaliers effectués dans le cadre des art. 13 et 14 LAI (traitement d’une infirmité congénitale) doit en premier lieu être définie par accord des partenaires tarifaires. En l’absence d’accord, c’est au Gouvernement d’agir par voie d’ordonnance. La compétence du tribunal arbitral est limitée aux litiges qui surviennent ensuite dans l’application de ce tarif (c. 6).
S’agissant de la rémunération des séjours hospitaliers financés par l’assurance-invalidité, ni la loi, ni l’ordonnance ne prévoit les principes généraux et abstraits sur lesquels pourrait se fonder une décision individuelle. Si les parties ne peuvent les déterminer conventionnellement, il n’appartient pas au tribunal arbitral de faire œuvre de législateur. C’est à l’autorité d’exécution qu’il appartient d’établir ces principes, dans la loi ou dans l’ordonnance (c. 7, qui résume TAF C-529/2012)
Cela vaut également lorsque les parties s’accordent, comme en l’espèce, pour utiliser la structure tarifaire SwissDRG, mais ne parviennent pas à s’entendre sur le montant du baserate. C’est donc à juste titre que le tribunal arbitral du canton de Zurich a refusé d’entrer en matière sur la demande en paiement dirigée par le Kinderspital zurichois contre les 27 offices AI.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_574/2019 du 16 octobre 2019
Assurance-invalidité; capacité résiduelle de travail, mise en œuvre, exigibilité, travailleuse âgée; art. 7 al. 1, 8 et 16 LPGA; 4 LAI
Une femme sans formation a exercé plusieurs activités (serveuse, aide de cuisine, vendeuse) puis, durant 20 ans, l’activité de magasinière. En avril 2013, alors qu’elle a 56 ans, elle subit un accident avec lésion au pied droit. En mars 2019, l’office AI lui accorde une rente AI entière d’avril 2014 à juillet 2018. Dès le mois d’août 2018, l’assurée est jugée apte à exercer une activité adaptée à 100 % (avec certaines restrictions physiques).
Saisi du recours de l’assurée contre le jugement cantonal qui confirme l’arrêt de la rente, le TF juge qu’au vu des circonstances, l’office AI n’a pas violé le droit en retenant que l’assurée, âgée de 60 ans et ¾ au moment de l’arrêt de la rente, pouvait exploiter sa capacité résiduelle de travail sur le marché, compte tenu de sa disponibilité, de sa capacité médicale, non contestée, et des diverses activités exercées par le passé.
En revanche, le TF estime qu’il faut appliquer la jurisprudence selon laquelle un assuré de 55 ans ou plus ou ayant bénéficié d’une rente depuis au moins 15 ans qui voit sa rente réduite ou supprimée doit pouvoir bénéficier de mesures de réadaptation (ATF 145 V 209). Il appartient à l’office AI d’établir les circonstances particulières qui permettent de renoncer aux mesures de réadaptation. La question du moment auquel l’âge de 55 ans doit être atteint (moment de la décision, de la fin de la rente ou moment où l’activité est médicalement exigible) peut rester ouverte ici, car l’assurée avait dépassé les 55 ans à chacun de ces moments.
L’office AI a implicitement admis que l’assurée était dans le cas exceptionnel où on pouvait exiger d’elle une réadaptation personnelle sans l’aide de l’AI. Compte tenu de la longue inactivité due à l’invalidité et du parcours professionnel de l’assurée, le TF estime que l’Office AI ne pouvait pas se dispenser de l’examen des mesures de réadaptation. La décision de l’AI est donc levée en ce qui concerne la fin de la rente et la cause est renvoyée à l’office AI.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne
TF 4A_253/2019 du 5 septembre 2019
Assurances privées; indemnités journalières maladie LCA, incapacité de travail, appréciation (anticipée ou pas) des preuves de l’existence ou non d’une incapacité de travail, possibilités de discuter cette appréciation par-devant le TF; art. 97 al. 1, 105 et 106 LTF
Dans son recours en matière civile, l’assuré soutient premièrement que c’est à tort que le tribunal cantonal a retenu qu’il ne présentait pas, en avril 2017, et pour cause de coxa saltans (ressauts de hanche), une incapacité le travail d’au moins 25 %. Il se plaint deuxièmement, lui qui avait demandé la mise en œuvre de deux expertises, d’une violation, par le tribunal cantonal, de son droit à la preuve. Troisièmement, il fait valoir que le délai de trois mois qui lui a été accordé pour changer de métier est, dans les circonstances de son cas, trop court.
Sur la question de l’existence très vraisemblable d’une incapacité de travail d’au moins 25 % avant le 30 avril 2017, date à laquelle ont pris fin tant la couverture d’assurance que les rapports de travail, le TF estime que le tribunal cantonal s’est, pour nier l’existence d’une telle incapacité, fondé principalement sur la lettre par laquelle l’assurance de protection juridique du recourant avait, le 6 février 2018, fait savoir à l’assurance que la coxa saltans de l’assuré n’était, pour la première fois, devenue symptomatique qu’en mi-2017. Or le recourant n’a pas, explique le TF, démontré en quoi cette manière de voir les choses était manifestement erronée. De sorte que, selon le TF, le tribunal cantonal n’a pas, en retenant que l’assuré n’avait pas, au degré de la vraisemblance prépondérante, prouvé la survenance d’une incapacité de travail de 25 % au moins avant le 31 avril 2017, fait preuve d’arbitraire (c. 3.2).
Sur la question de la violation du droit à la preuve, le TF admet que le tribunal cantonal ne s’est pas exprimé sur les demandes d’expertises formulées par l’assuré, mais il estime que cela n’est pas déterminant. Puisque le tribunal cantonal pouvait, aux conditions qui sont énoncées par la jurisprudence (l’autorité peut renoncer à la mise en œuvre des mesures d’instruction demandées par le justiciable lorsque les preuves déjà administrées lui ont permis de forger sa conviction et qu’elle a acquis la certitude que la mesure qui lui est proposée par le justiciable ne pourrait pas l’amener à modifier son opinion et/ou lorsqu’elle estime que la mesure probatoire qui lui est proposée par le justiciable est, très largement, inapte à établir le fait à prouver), procéder à une appréciation anticipée des preuves. Or le TF ne revoit une telle appréciation (anticipée des preuves), du moins quand elle ne vise qu’à l’établissement concret de tel ou tel fait, que sous l’angle restreint de l’arbitraire (c. 3.4.1).
Enfin, sur la question du délai d’adaptation accordé à l’assuré pour changer d’activité, le TF admet que les conséquences de la coxa saltans, même non assurée, auraient pu jouer un rôle dans l’appréciation de ce qu’aurait dû être le délai à accorder à l’assuré pour changer d’activité, mais que cela n’avait pas d’incidence ici, puisque le tribunal cantonal n’a pas, en considérant que l’assuré avait très rapidement, après le traitement qu’il a suivi auprès d’un chiropraticien, été en mesure de reprendre une activité nouvelle, abusé de son pouvoir d’appréciation (c. 4.2 et 4.3).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne
TF 4A_599/2018 du 26 septembre 2019
Responsabilité aquilienne; revenu hypothétique du lésé, calcul du dommage, tort moral; art. 42 al. 2 CO; 3 § 1 CDE
Le TF rappelle que pour calculer le revenu hypothétique du lésé, il convient de prendre comme référence le revenu qu’il réalisait au moment de l’accident. Etant précisé que l’élément déterminant repose encore davantage sur ce que le lésé aurait gagné dans le futur, il lui incombe de rendre vraisemblables (degré de la vraisemblance prépondérante) les circonstances de fait – à l’instar des augmentations futures probables du revenu durant la période considérée pour établir le revenu qui aurait été réalisé sans l’accident.
Dire s’il y a eu dommage et quelle en est la quotité (partant, également la détermination du revenu hypothétique) est une question de fait qui lie le TF. Il en va de même lorsque le juge doit déterminer en équité le montant du dommage (art. 42 al. 2 CO).
Seules constituent des questions de droit le point de savoir quel degré de vraisemblance le revenu hypothétique allégué doit atteindre pour justifier l’application de l’art. 42 al. 2 CO et si les faits allégués, en la forme prescrite et en temps utile, permettent de statuer sur l’indemnisation réclamée en justice.
En l’espèce, le lésé (recourant) qui avait 17 ans lors de l’accident, considère que les seuls éléments de fait retenus par les juges cantonaux ne permettent pas de trancher la question de son revenu hypothétique. Selon lui, les juges auraient dû tenir compte de son statut d’enfant (au moment de l’accident) et reconnaître qu’il aurait perçu un revenu supérieur à celui qui a été fixé. Dans ce contexte, il est d’avis que les instances inférieures ont omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en violation de l’art. 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) qui prévoit que, pour les Etats signataires, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Or, l’art. 3 § 1 CDE ne fonde aucune prétention directe qui permettrait au lésé de bénéficier d’un avantage lors du calcul du revenu hypothétique.
Le lésé reproche ensuite aux juges cantonaux d’avoir, pour compenser le renchérissement futur, d’avoir écarté le taux de capitalisation de 2 % au profit de celui de 3,5 %. Le TF rappelle que la question du taux de capitalisation doit être résolue en fonction des circonstances économiques déterminantes. Il appert que devant les instances inférieures, le demandeur n’a présenté aucune allégation à cet égard. Ainsi, le TF n’entre pas en matière sur cette critique
Evoquant à nouveau l’art. 3 § 1 CDE, le recourant affirme que le « jeune âge du lésé » est « un élément primordial » qui doit être pris en compte lors du calcul du tort moral. La CDE n’énonce aucun principe nouveau qui n’aurait pas été pris en compte par les juges précédents au moment de calculer l’indemnité correspondant au tort moral. L’argument invoqué par le recourant est donc rejeté.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève
TF 4A_137/2019 du 26 septembre 2019
Responsabilité aquilienne; rixation du dommage; art. 42 CO
Une entreprise obtient la condamnation de son ancien responsable de production pour gestion déloyale. Il lui était reproché de ne pas avoir traité certaines demandes de clients, d’avoir transféré des commandes sur sa propre société ou facturé au nom de cette même société des livraisons effectuées en réalité par la demanderesse. Les plaignants ont été renvoyés à faire valoir leurs prétentions en dommages-intérêts devant le juge civil.
Selon l’art 42 al. 1 CO, le dommage doit être prouvé de la façon la plus concrète possible. L’allègement du fardeau de la preuve prévu par l’art. 42 al. 2 CO ne peut s’appliquer que si le demandeur a allégué tous les éléments de fait possibles et raisonnablement exigibles, permettant d’établir l’existence et l’ampleur du dommage. (c. 5.1).
En l’espèce la cour cantonale et le TF ont considéré que la société demanderesse aurait dû notamment établir que les marchandises facturées par la société du défendeur avaient bien été produites par elle. Elle aurait dû également apporter la preuve qu’elle était en mesure d’exécuter les commandes détournées par le défendeur, tout en exposant pourquoi les clients avaient résilié leurs contrats chez elle et signé de nouveaux engagements auprès du défendeur. Il aurait fallu également exposer en quoi la marge nette de 17 % à la base de ses prétentions était valable pour tous les clients et tous les produits. La demanderesse n’avait enfin pas démontré en quoi il était vraisemblable que ses clients auraient encore pendant six ans passé le même volume de commandes (c. 5.2 et 5.3).
Les juges cantonaux avaient encore rappelé à juste titre qu’une offre de preuve, telle qu’une expertise, ne remplace pas une allégation en bonne et due forme (c. 5.4).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 6B_804/2019 du 9 octobre 2019
Responsabilité aquilienne; incendie par négligence, infraction par omission improprement dite (commission par omission), causalité hypothétique; art. 222 al. 1 CP
Un incendie s’est déclaré dans une grange du complexe agricole dont le recourant était propriétaire et dans laquelle il avait entreposé du fourrage. Le recourant conteste sa condamnation pour incendie par négligence.
Le fait de ne pas avoir procédé à tous les sondages requis par la directive de l’Association des Etablissements cantonaux d’assurance incendie constitue, selon le TF, une infraction par omission improprement dite (commission par omission).
L’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée (causalité hypothétique). En effet, si le recourant avait dûment procédé aux sondages, il aurait selon toute vraisemblance constaté une augmentation dangereuse de la température du fourrage entreposé dans sa grange, ce qui lui aurait permis de prendre des mesures, notamment celles préconisées par la directive, propres à éviter l’incendie. Ainsi, l’accomplissement de l’acte dont l’omission est imputée au recourant aurait très vraisemblablement permis d’éviter l’incendie.
Le TF confirme en conséquence la condamnation du recourant pour incendie par négligence.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne
TF 4A_225/2019 du 2 septembre 2019
Responsabilité du détenteur d’ouvrage; notion de bâtiment et autre ouvrage, armoire murale; art. 58 CO
Une femme de ménage se blesse en nettoyant l’armoire d’un hôpital public bâlois ; plus précisément, elle reçoit sur la tête un tablard mal monté ou même pas monté du tout, ce qui lui occasionne un coup-du-lapin ainsi qu’une commotion cérébrale.
Répond à la notion d’ouvrage, au sens de l’art. 58 CO, uniquement l’équipement ou l’aménagement stable d’un bâtiment ; c’est le cas d’une armoire murale incorporée au bâtiment. La question de savoir si un tablard, qui aurait dû être monté, car faisant partie de l’armoire, mais qui n’a pas été monté, constitue un ouvrage, au sens de l’art. 58 CO, est laissée ouverte par le TF.
Par contre, un tablard de taille différente que ceux montés dans l’armoire, et qui est simplement posé sur un autre tablard, ne constitue pas un ouvrage.
Le TF se réfère également au rapport de la SUVA, laquelle n’a pas constaté de défaut aux armoires en tant que telles.
La demanderesse n’ayant pas pu prouver, respectivement n’ayant pas suffisamment substantifié que le tablard avait été mal monté, il n’y a donc en l’espèce pas de responsabilité de l’hôpital propriétaire du bâtiment.
Auteur : Didier Elsig, avocat
TF 2C_1098/2018 du 27 septembre 2019
Responsabilité de l’Etat; prescription de l’action en dommages-intérêts; art. 9 Cst; 8 LRCPA-VS
A la suite d’une intempérie, une commune a déposé du gravier et des troncs arrachés sur le terrain des recourants, propriétaires du terrain. Ces derniers l’ayant interpellée par courrier du 19 juin 2012, la commune s’est engagée dans un courrier du 6 juillet 2012 à remettre le terrain dans son état initial, ce qui n’a pas été fait. L’action en dommage-intérêts des propriétaires contre la commune a été intentée le 10 juillet 2015 et rejetée par le tribunal cantonal au motif que l’action serait prescrite depuis juillet 2013, le dommage ayant été connu au plus tard le 19 juin 2012.
Les recourants font valoir que la municipalité aurait invoqué la prescription de manière abusive et contraire à la bonne foi puisque, par courrier du 6 juillet 2012, elle s’était engagée à réparer le dommage (c. 2.6).
Le TF rappelle quelles sont les conditions qui doivent être remplies afin qu’un administré puisse se prévaloir de la protection de sa bonne foi selon l’art. 9 Cst. Ce dernier doit avoir reçu des assurances particulières et expresses de l’administration qui doit être intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées. L’administration doit en outre avoir agi ou être censée avoir agi dans les limites de ses compétences. Quant à l’administré, il ne doit pas s’être rendu compte ou ne devait pas pouvoir se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore que qu’il se soit effectivement fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée (c. 2.6.2).
En l’espèce, la question à examiner est de savoir s’il existe une relation de confiance entre la municipalité et les recourants. En s’engageant par courrier du 6 juillet 2012 à réparer le dommage, la municipalité s’est comportée de telle façon que les recourants étaient légitimés à croire qu’ils n’avaient pas à agir dans le délai de prescription d’un an. La confiance donnée par l’autorité est comparable à une reconnaissance de dette au sens de l’art. 137 al. 2 CO (c. 2.6.3).
Les autres conditions susmentionnées nécessaires pour que la bonne foi de l’administré soit protégée étant remplies, c’est à tort que les instances inférieures ont considéré que la créance était prescrite.
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne.
TF 8C_193/2019 du 1 octobre 2019
Assurance-accidents; réduction des prestations, participation à une rixe, légitime défense, zone de danger, interruption du lien de causalité; art. 49 al. 2 OLAA; 926 al. 1 et 2 CC; 133 CP
Le fait d’arracher au voleur la veste que ce dernier a dérobée ne peut être qualifié d’acte de participation à une bagarre ou à une rixe, laquelle est une notion autonome qui ne doit pas empêcher les assurés d’exercer les prérogatives légales qui pourraient être reconnues sur la base du droit pénal – comme la légitime défense – ou du droit civil, lequel autorise notamment le possesseur à repousser par la force tout d’acte d’usurpation ou de troubles (art. 921 al. 1 et 2 CC).
Le trouble mental de l’agresseur, diagnostiqué par les experts, relègue par ailleurs à l’arrière-plan le rôle causal joué par l’assuré, par son attitude ou ses propos, dans le contexte de l’altercation.
La décision de réduction des prestations LAA est annulée, l’assuré ayant droit à de pleines et entières prestations.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne
TF 9C_221/2019 du 7 octobre 2019
Assurance-maladie; soins de longue durée, conformité de la méthode d’évaluation des besoins en soins; art. 25a et 32 LAMal; 7 ss OPAS
Le TF confirme que la méthode d’évaluation des besoins en soins « Resident Assessment Instrument/Resource Utilization Groups » (RAI/RUG) est conforme au système légal en vigueur. Les adaptations futures prévues de l’OPAS continueront de laisser aux cantons un choix du système, seul un standard minimum sera exigé. De plus, les juges fédéraux rappellent que l’arrêté du Conseil d’Etat du canton de Soleure du 27 juin 2016 fixant les tarifs maximum dans le domaine des soins prodigués dans les milieux hospitalier et semi-hospitalier, dont les données sont appelées à varier régulièrement, est une décision d’abord politique et qui n’a nullement besoin de figurer dans une loi au sens formel. Dans ce cadre, les assureurs-maladie ne sauraient enfin invoquer valablement un droit d’être entendu ou de participer au processus décisionnel. Au surplus, dans la mesure où cet arrêté n’a pas pour objectif de faire supporter des charges supplémentaires aux assureurs-maladie et qu’il ne viole pas le principe de l’économicité inscrit à l’art. 32 LAMal, il respecte le cadre légal en place.
Auteur : Guy Longchamp
Brèves...
Dans l’assurance-accidents, en cas de troubles psychiques, la procédure probatoire structurée de l’ATF 141 V 281 n’a pas pour but d’établir le lien de causalité entre les troubles psychiques et l’évènement accidentel. Si ce lien n’est pas établi selon les règles habituelles, il n’est pas nécessaire de recourir à une procédure probatoire structurée, le caractère accidentel des troubles pouvant d’emblée être nié (TF 8C_517/2019).
La directrice d’une association qui, à peine licenciée par cette dernière, en voie de dissolution, fonde et dirige une Sàrl dont l’activité paraît être la continuation de celle de l’association précitée, occupe une fonction dirigeante qui la prive de tout droit aux indemnités de chômage. Cet état de fait s’apparente à une réduction de l’horaire de travail qui se manifeste par une suspension d’activité (TF 8C_448/2018).
La préparation des examens d’avocat compte en règle générale comme période de formation qui permet de libérer la personne sans emploi de la condition d’une durée suffisante de cotisation (art. 13 al. 1 et 14 LACI). Le TF confirme l’appréciation cantonale selon laquelle, dans le cas d’espèce, seuls onze mois sans cotisations étaient en relation de causalité avec la préparation des examens (sur 22 au total), soit une durée insuffisante pour bénéficier de l’exception (TF 8C_294/2019).
Le montant de l’indemnité journalière de l’assurance-chômage s’élève à 70 % du gain assuré pour la personne qui n’a pas d’obligation d’entretien envers un enfant de moins de 25 ans (art. 22 al. 2 let. a LACI). Il s’agit d’une limite d’âge absolue, introduite par le législateur au 1er avril 2011, rendant la jurisprudence antérieure (plus généreuse) caduque (TF 8C_497/2019).
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