Meilleurs voeux pour 2022
Toute l'équipe de la Newsletter RC Assurances sociales vous souhaite de belles fêtes de fin d'année et nos voeux de bonheur et de succès pour 2022.
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Responsabilité aquilienne; omission, faute, causalité; art. 125 et 219 CP
Un étudiant de 15 ans, interne dans un collège privé, est rentré dans l’établissement un vendredi soir vers 20h, dans un état laissant soupçonner une alcoolisation. L’éthylotest auquel l’avait soumis le maître de l’internat avait révélé une alcoolémie de 1.4 o/oo, de sorte qu’il avait averti l’étudiant qu’il en informerait sa famille. Le jeune homme avait alors regagné sa chambre où il devait préparer ses affaires pour le week-end. Un peu plus tard, un autre élève et le maître de l’internat, alerté par le premier qui avait constaté que la chambre était verrouillée, avaient découvert que l’étudiant alcoolisé s’était jeté par la fenêtre. Il y avait aussi du sang sur le balcon. L’étudiant avait déjà eu des épisodes d’alcoolisation aux dires de deux autres étudiants et était en conflit avec sa famille, particulièrement avec son père, ce qui expliquait son inquiétude que ce dernier fût mis au courant de son état. Le malheureux, tombé de 15 mètres, a présenté de graves séquelles.
Le lésé a recouru jusqu’au TF contre une ordonnance de non entrée en matière rendue par le MP, qui estimait qu’aucune infraction ne pouvait être reprochée au maître d’internat. Après avoir rappelé les conditions de l’art. 219 CP (supposant notamment une mise en danger concrète, mais non forcément une atteinte à l’intégrité corporelle), le TF a admis que le maître d’internat occupait une position de garant au sens de la disposition précitée, ainsi que de l’art. 125 CP, le lésé ayant été blessé. Le TF a aussi rappelé la notion de négligence découlant de l’art. 12 CP. Ainsi il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l’auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. Il faut que l’auteur ait, d’une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d’autre part, il n’ait pas déployé l’attention et les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir. Une des conditions essentielles pour l’existence d’une violation d’un devoir de prudence, et partant, d’une responsabilité pénale fondée sur la négligence, est la prévisibilité du résultat. Pour l’auteur, le déroulement des événements jusqu’au résultat doit être prévisible, au moins dans ses grandes lignes. C’est pourquoi il faut commencer par se demander si l’auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique la règle de la causalité adéquate. Le comportement incriminé doit être propre, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à produire ou à favoriser un résultat du type de celui qui est survenu. La causalité adéquate ne doit être niée que lorsque d’autres causes concomitantes, par exemple la faute d’un tiers, un défaut de matériel ou un vice de construction, constituent des circonstances si exceptionnelles qu’on ne pouvait s’y attendre, de telle sorte qu’elles apparaissent comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amender et notamment le comportement de l’auteur.
En l’occurrence, le TF a confirmé le bien-fondé de l’ordonnance de non entrée en matière. Vu les circonstances de fait (vidéosurveillance montrant le comportement auto-agressif de l’étudiant avant qu’il ne se jette dans le vide : va-et-vient de la chambre au balcon en prenant des repères, signes religieux, attente avant de sauter, couteau retrouvé avec du sang sur le balcon…), il était acquis qu’il ne s’agissait pas d’un accident mais d’un acte auto-agressif que rien ne laissait supposer. Ainsi, il n’y avait aucun indice par le passé lors des précédents états d’ivresse que l’étudiant agirait de cette manière. Il n’y avait eu aucune manifestation de colère ou de révolte ni encore de menace de se supprimer ou d’attenter à son intégrité corporelle si ses parents apprenaient sa consommation d’alcool. Son isolement prolongé dans sa chambre n’était pas de nature à susciter de crainte particulière pour sa sécurité, puisqu’il était censé regagner sa chambre pour préparer ses bagages pour le départ en week-end. Vu l’ensemble des circonstances, un défaut de surveillance ne pouvait être imputé au maître d’internat. Par ailleurs, l’intention auto-agressive du recourant, pour n’avoir pas été reconnaissable avant qu’il ne se rende dans sa chambre, aurait de toute manière rompu le lien de causalité entre cette éventuelle carence et le saut par-delà le balcon : comme le maître d’internat ne pouvait pas anticiper un comportement auto-agressif jamais manifesté par le passé (absence du moindre indice), alors que l’étudiant avait en plus pu malgré son alcoolisation revenir au collège, s’entretenir avec le maître d’internat, se soumettre à l’éthylotest, se confier à des camarades et rejoindre sa chambre, le lien entre l’alcoolémie du recourant et un geste auto-agressif, commis dans cet état, n’allait pas de soi. La notion de causalité adéquate n’avait donc pas été violée par la cour cantonale, de sorte que la question de savoir si la cour cantonale pouvait également exclure toute violation des devoirs de prudence pouvait rester ouverte, l’application de l’art. 219, voire 125 CP étant déjà exclue dans cette mesure.
Enfin, en l’absence de toute autre perturbation dans le comportement de l’étudiant, l’établissement scolaire n’avait pas failli à ses devoirs de prendre des mesures de sécurité qui s’imposent face à un danger en ne lui offrant pas un soutien thérapeutique, même s’il avait déjà été alcoolisé par le passé. En effet, le collège avait prévenu ses parents et mis en place un suivi particulier du recourant, à fréquence hebdomadaire. L’établissement scolaire n’était donc pas resté passif par rapport à la problématique de l’alcoolisation du recourant, étant par ailleurs relevé que la consommation d’alcool en soirée ne constitue pas encore une situation absolument exceptionnelle chez un adolescent.
Note de la soussignée :
Selon moi, le TF mélange dans cet arrêt les notions de négligence et de causalité adéquate. L’on rappellera en effet que, selon la doctrine et la jurisprudence, pour savoir si un fait est la cause adéquate d’un préjudice, le juge procède à un pronostic rétrospectif objectif : se plaçant au terme de la chaîne des causes, il lui appartient de remonter du dommage dont la réparation est demandée au chef de responsabilité invoqué et de déterminer si, dans le cours normal des choses et selon l’expérience générale de la vie humaine, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles, le cas échéant aux yeux d’un expert. La jurisprudence a précisé que, pour qu’une cause soit généralement propre à avoir des effets du genre de ceux qui se sont produits, il n’est pas nécessaire qu’un tel résultat doive se produire régulièrement ou fréquemment. L’exigence du caractère adéquat ne doit pas conduire à ne prendre en considération que les conséquences d’un accident qui sont habituellement à prévoir d’après le déroulement de l’accident et ses effets sur le corps humain. Il convient bien plutôt de partir des conséquences effectives et de décider rétrospectivement si et dans quelle mesure l’accident apparaît encore comme leur cause essentielle. Si un événement est en soi propre à provoquer un effet du genre de celui qui s’est produit, même des conséquences singulières, c’est-à-dire extraordinaires, peuvent constituer des conséquences adéquates de l’accident. Ce n’est précisément pas la prévisibilité subjective mais la prévisibilité objective du résultat qui compte (arrêt du 31 octobre 2003 5C.125/2003 c. 4.1 et 4.2 et références citées dont ATF 119 Ib 334 c. 5b, 112 II 439 c. 1d, ATF 112 V 30 c. 4b. DESCHENAUX/STEINAUER, La responsabilité civile, Berne 1982, N 33 s.). Le juge n’a ainsi pas à se demander si l’auteur aurait pu ou dû prévoir l’effet constaté : la prévisibilité (ex ante) ne peut jouer de rôle qu’en relation avec la faute (WERRO, La responsabilité civile, Berne 2017, 3e éd., N 264).
Dans le cas jugé, je suis d’avis que le TF aurait objectivement dû retenir, en tout cas dans une première phase, l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’atteinte à l’intégrité corporelle et le défaut de surveillance d’un étudiant alcoolisé en conflit avec sa famille, même s’il ne s’agissait pas d’un accident mais d’un acte auto-agressif. En effet, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles. En particulier, un acte d’auto-agression paraît de manière générale être favorisé par les effets désinhibiteurs de l’alcool couplés à un mal-être général (conflit avec la famille et le père, antécédents d’alcoolisation avec suivi de l’étudiant), de sorte qu’objectivement le défaut de surveillance/d’attention du maître de l’internat vis-vis de l’étudiant est en relation de causalité adéquate avec le résultat qui est survenu. Autre la question de savoir si, dans une deuxième phase, l’acte d’auto-agression, comme faute concomitante de l’étudiant, a rompu le lien de causalité adéquate entre l’omission du maître d’internat et le résultat qui est survenu. Le TF l’affirme en indiquant que la Cour cantonale n’a pas méconnu la notion de causalité adéquate (c. 4.3 i.f.), mais en confirmant une analyse se rapportant non pas à la notion de causalité adéquate (absence totale d’examen dans le cas particulier des conditions de la causalité adéquate, puis dans un second temps des conditions de la rupture du lien de causalité, à savoir faute grave et prépondérante de la victime reléguant à l’arrière-plan l’omission de l’auteur), mais en basant tout son raisonnement sur l’absence de possibilité de prévisibilité subjective et ex ante des faits par l’auteur (c. 4.2 et 4.3), et en concluant que l’on peut laisser la question de la violation des devoirs de prudence ouverte (c. 4.3 i.f.).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg
Responsabilité aquilienne; responsabilité de l’administrateur, dommage, causalité, preuve; art. 42 et 754 CO
Il s’agit d’un litige classique où des créanciers d’une société en faillite ouvrent action à l’encontre de ses administrateurs en leur faisant le reproche d’avoir tardé à aviser le juge d’un état de surendettement. Dans ce cadre, le TF rappelle que l’art. 754 al. 1 CO vise non seulement les membres du conseil d’administration, mais également toute personne qui s’occupe de la gestion, à l’instar des directeurs de la société anonyme, lesquels dépendent directement du conseil d’administration. La responsabilité fondée sur cette disposition incombe donc aussi aux organes de fait, c’est-à-dire à toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d’une manière déterminante.
Parmi les tâches de l’administrateur, figure le devoir de contrôler de manière régulière la situation économique et financière de la société. L’obligation de surveillance subsiste même si l’administrateur a délégué le pouvoir d’agir à l’actionnaire unique et propriétaire économique de la société. En effet, l’administrateur n’est pas seulement responsable envers les actionnaires, il l’est aussi envers la société en tant qu’entité juridique autonome et envers les créanciers de la société.
Pour déterminer s’il existe des raisons sérieuses d’admettre un surendettement, le conseil d’administration ne doit pas seulement se fonder sur le bilan, mais aussi tenir compte d’autres signaux d’alarme liés à l’évolution de l’activité de la société, tels que l’existence de pertes continuelles ou l’état des fonds propres. L’administrateur doit avoir commis une faute intentionnelle ou par négligence. Toute faute, même une négligence légère, suffit.
Lorsqu’il s’agit de déterminer le dommage que les organes ont causé à la société en tardant de manière fautive à aviser le juge de l’état de surendettement, il y a lieu de comparer, conformément à la théorie de la différence, le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant qu’aurait ce même patrimoine si l’événement dommageable ne s’était pas produit. Le dommage à la société consiste dans l’augmentation du découvert entre le moment où la faillite aurait été prononcée si l’administrateur n’avait pas manqué à ses devoirs et le moment (impliquant une perte supérieure) où la faillite a effectivement été prononcée.
Si la preuve exacte du dommage ne peut pas être apportée, parce que les pièces comptables nécessaires au calcul de la valeur de liquidation des actifs de la société faillie n’ont pas été conservées par les administrateurs, il est juste de déterminer en équité le montant du dommage selon l’art. 42 al. 2 CO, sans que l’on puisse par ailleurs faire le reproche aux créanciers de n’avoir pas requis la production de documents comptables qui n’existaient pas.
Lorsque le manquement reproché consiste en une omission, à savoir de n’avoir pas avisé le juge du surendettement en temps utile, le rapport de causalité doit exister entre l’acte omis et le dommage. Dans ce cas, le rapport de cause à effet est nécessairement hypothétique, une inaction ne pouvant pas modifier le cours extérieur des évènements, de sorte qu’il faut se demander si le dommage aurait été empêché dans l’hypothèse où l’acte omis aurait été accompli ; dans l’affirmative, il convient d’admettre l’existence d’un rapport de causalité entre l’omission et le dommage. Lorsqu’un tel lien est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne
Responsabilité aquilienne; faute, homicide par négligence, exploitant d’une piscine, maître-nageur, position de garant, devoir de diligence, causalité adéquate; art. 117 CP
Le gérant B. et le maître-nageur C. d’une piscine valaisanne ont été reconnus coupables d’homicide par négligence, et tenus pour responsables de la noyade et du décès d’une fillette de 9 ans, survenus le 18 août 2013. Comme ils avaient été acquittés en instance cantonale, un recours a été porté devant le TF tant par les parents de la fillette que par le Ministère public. Les oncle et tante de la victime, qui avaient été condamnés à la même peine pour avoir négligé de surveiller leur nièce, n’ont pas fait recours, de sorte que le jugement de première instance leur reste applicable.
La Cour pénale II du Tribunal cantonal valaisan avait relevé, de manière à lier le TF, qu’un nombre important d’éléments étaient demeurés incertains à l’issue de l’instruction. Ainsi, il n’avait pas été possible de déterminer ni précisément où la victime avait coulé, ni l’endroit exact où elle avait été retrouvée. Elle a en outre retenu que les actes de la cause ne permettaient pas non plus d’établir que la victime avait déjà sombré lorsque son oncle a demandé à C. s’il avait aperçu sa nièce, semble-t-il, juste après avoir été lui-même interpellé à ce sujet par une amie de sa fille aînée. Il ressort à cet égard du jugement entrepris que C. s’était alors rendu au bord de la piscine, avait vérifié le bassin et n’avait rien remarqué.
Le moment précis où la victime a sombré, tout comme le laps de temps durant lequel elle est restée inanimée dans l’eau étaient eux aussi restés indéterminés. Les actes de la cause ne permettaient pas d’établir les motifs pour lesquels cette dernière avait perdu le bas de son maillot de bain et avait déféqué. Les médecins légistes ne s’étaient pas exprimés sur ce point et n’étaient pas non plus parvenus à établir l’origine de la noyade. On ignorait en particulier si la victime avait sombré subitement et sans lutte contre l’eau à la suite d’un malaise. Enfin, l’instruction n’avait pas non plus permis d’établir quelle était l’activité exercée par C. au moment précis où la victime avait sombré, même s’il est établi que le prénommé encaissait une finance d’entrée lorsqu’une personne qui se trouvait dans l’eau, au sud du bassin, avait donné l’alerte. Avant le drame, il n’avait pas vu la victime, alors qu’elle se trouvait dans la partie profonde du bassin, plonger, émerger, remettre la tête sous l’eau et agiter les bras au-dessus de sa tête, mais avait toutefois constaté la présence de P., du frère de cette dernière et de Q. Il avait aperçu les échanges de ballon entre les frère et sœur et observé cette dernière pénétrer dans le bassin. Il était ainsi, selon la Cour cantonale, attentif aux baigneurs.
Le TF retient que le jugement attaqué met en évidence une impossibilité d’établir une chronologie globale et précise de l’ensemble des événements et des différentes actions des personnes présentes sur les lieux du drame. Il considère que c’est à juste titre que la cour cantonale s’est focalisée sur déposition de P., décrite comme étant très vraisemblablement la dernière personne à avoir observé la victime en vie, et dont la déposition permettait d’établir une continuité des événements, en l’occurrence circonscrite entre le moment où elle a aperçu la victime se rendre dans la partie profonde du bassin jusqu’à celui où elle a sombré, respectivement celui où la prénommée s’est aperçue qu’elle gisait au fond du bassin. S’agissant du grief de l’appréciation erronée des faits, les moyens appellatoires soulevés par les parents de la victime et par le Ministère public ont été écartés dans la mesure de leur recevabilité.
Le TF rappelle la jurisprudence portant sur les art. 12 al. 3 CP et 117 CP. Il développe la jurisprudence nourrie rendue s’agissant du devoir de diligence relatif à la sécurité et à la surveillance des installations de bains publics et rappelle le principe suivant : « Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de souligner, dans sa jurisprudence, qu’il appartient à l’exploitant d’une piscine publique de permettre à l’usager d’utiliser les installations mises à sa disposition sans qu’il en résulte un préjudice pour sa santé ou son intégrité corporelle. Il lui incombe de prendre toutes les mesures raisonnables et nécessaires commandées par les circonstances pour lui assurer la sécurité voulue. Outre de la sécurité des installations elles-mêmes (normes de construction, qualité de l’eau, etc.), les mesures de sécurité requises concernent également la surveillance des usagers, en particulier aux endroits les plus dangereux (bassins, plongeoirs, etc.). Celle-ci revêt un caractère essentiel et implique, de la part du gardien, une attention soutenue, depuis le bord ou à proximité de la piscine, à l’égard de tout acte ou événement insolite ou pouvant présenter un danger, pour autant qu’il soit perceptible. Le gardien doit ainsi être en mesure d’intervenir de façon immédiate dès qu’une anomalie ou un danger lui est signalé par toute personne l’ayant perçu. Il incombe à l’exploitant, respectivement au gardien, d’interdire les bousculades, de veiller à ce que les baigneurs ne se poussent pas à l’eau et de s’assurer que celui qui tombe dans un bassin sait bien nager. Le Tribunal fédéral a toutefois considéré que la diligence à observer dans la surveillance ne peut pas raisonnablement porter sur tous les actes des usagers, même lorsqu’ils se trouvent dans l’eau. Il n’appartient pas au gardien de vérifier que chaque baigneur reste en surface, ou s’il est sous l’eau, qu’il remonte à temps. Le risque lié à l’usage normal de l’eau, ou à son usage apparemment normal, doit être assumé par le nageur lui-même ou par ceux qui ont une autorité directe sur lui. L’exploitant, respectivement le gardien, n’est tenu d’intervenir que si le risque encouru se concrétise ».
Aux considérants 4.2, 4.3 et 4.5 de l’arrêt, le TF se penche sur le cas d’espèce. Il retient qu’il est constant que les intimés aient été mis en cause pour diverses omissions au niveau de l’organisation et de la mise en œuvre des mesures de surveillance de l’installation de bains. Dès lors que B. était le supérieur direct de C. et que sa tâche dans l’organisation interne était d’assurer la surveillance et l’ordre par des personnes qualifiées, le TF retient que la cour cantonale a considéré à juste titre que la position de garant du premier à l’égard des utilisateurs de la piscine ne souffrait aucun doute. Il en va de même en ce qui concerne le second, en sa qualité de maître-nageur affecté à la surveillance de l’installation. Sur cette base, la question litigieuse est celle de savoir s’il y a en l’occurrence matière à leur imputer des manquements au niveau de la surveillance, que ce soit en termes d’organisation ou en ce qui concerne sa mise en œuvre effective, et, dans l’affirmative, si les éventuels manquements constatés ont joué un rôle causal par rapport au décès de la victime (c. 4.2).
A cet égard, la cour cantonale a relevé, en substance, que B. avait mis à disposition des usagers une installation exempte de défaut, notamment en ce qui concerne la qualité de l’eau et l’hygiène. Il avait également voué l’attention nécessaire au choix du surveillant, à savoir C., qui disposait des qualifications et des compétences requises. Le premier avait attiré l’attention du second sur son « plus grand souci », soit le respect des normes. Tous deux avaient ainsi évoqué les dispositions en la matière. La cour cantonale en a conclu que B. s’était en ce sens conformé aux obligations de l’exploitant. S’agissant de la surveillance en tant que telle (cf. art. 10 ss VHF), la cour cantonale a considéré que la présence d’un seul gardien était en principe suffisante, compte tenu de la fréquentation relativement peu importante de l’installation et du fait qu’elle ne comportait qu’un seul bassin. Elle a également jugé que, depuis sa position de surveillance principale, C. disposait d’une vue d’ensemble du bassin, à l’exception de l’escalier d’accès situé au nord-ouest, dans sa partie peu profonde. Un pas de côté lui permettait également de couvrir cet endroit. Depuis la « loge de surveillance », il disposait également, suivant sa position, d’une vue sur la zone présentant un danger accru, soit en deçà de la ligne peinte en noir. En outre, le prénommé se déplaçait régulièrement et effectuait des tournées de contrôle qui lui permettaient de changer d’angle de vue et bénéficiait de surcroît, en sus du contact visuel, d’un contact acoustique qui lui avait en l’occurrence permis d’intervenir immédiatement lorsque l’alerte avait été donnée, en empruntant la porte qui, du local d’accueil, donnait sur le bassin, situé à moins de 2 m. La cour cantonale en a conclu que, sous cet angle, la surveillance était organisée conformément aux règles de l’art.
La cour cantonale a en revanche considéré que la tâche relative à l’accueil des usagers (y compris le contrôle des laissez-passer et l’encaissement des entrées) également assumée par le maître-nageur, bien que marginale, était de nature à détourner son attention, ponctuellement et pour une très courte durée, de la surveillance des baigneurs. Elle impliquait un court laps de temps durant lequel C. ne veillait pas à la sécurité des usagers. La cour cantonale a dès lors considéré qu’en l’absence de mesures destinées à pallier ces interruptions de la surveillance, les intimés avaient violé leur devoir de prudence (cf. art. 16 VHF) sur ce point particulier. Elle n’en a pas moins considéré que cette violation du devoir de prudence n’avait pas joué de rôle causal dans le déroulement du drame, eu égard, en particulier, au fait qu’aucun comportement insolite ou dangereux justifiant une attention soutenue du gardien à l’égard de la victime n’avait été constaté, mais aussi dans la mesure où il n’avait pas pu être établi que C. était occupé à cette tâche d’accueil au moment précis où la victime avait coulé. Au surplus, aucun manquement ne pouvait être imputé au gardien une fois l’alerte donnée, sachant qu’il est intervenu immédiatement, a ramené le corps de la victime à la surface et a pratiqué une assistance cardiaque et respiratoire jusqu’à l’arrivée des secours héliportés. La cour cantonale a enfin rappelé que l’origine de la noyade n’avait pas pu être déterminée, en ajoutant que l’on ignorait si la victime avait sombré subitement et sans lutte contre l’eau à la suite d’un malaise. Elle en a conclu que les intimés devaient être acquittés (c. 4.3).
Le TF rappelle que si la jurisprudence rendue a souligné l’importance de la surveillance des installations de bains et la rigueur qui devait y être associée, elle n’en a pas moins défini des limites claires, en premier lieu par rapport à la surveillance en tant que telle, en soulignant qu’elle ne pouvait raisonnablement porter sur tous les actes des usagers, et en second lieu par rapport au fait que le risque lié à l’usage normal de l’eau relève d’abord et avant tout de la responsabilité individuelle du nageur lui-même ou de ceux qui assument un devoir de garde ou de protection à son égard. Ces éléments sont du reste explicitement repris par les normes VHF, auxquelles la cour cantonale s’est référée, et qui font elles aussi figurer la responsabilité propre des usagers ou de ceux à qui en incombe la garde parmi les premières règles en la matière (cf. art. 3 à 5 VHF). Sur ce point, la cour cantonale n’a d’ailleurs pas manqué de relever que C. avait expressément attiré l’attention de l’oncle de la victime sur la nécessité d’avoir constamment les enfants à l’œil.
En ce qui concerne l’organisation de la surveillance, le TF retient que la cour cantonale a considéré à juste titre que la taille et la fréquentation somme toute modestes de l’installation permettaient d’admettre, en principe, que la présence d’un seul gardien était suffisante (cf. ATF 113 II 424 c. 1c [présence d’un gardien pour une piscine enregistrant quotidiennement une cinquantaine d’entrées] ; cf. aussi art. 14 VHF), puisqu’il est en l’occurrence question d’une installation ne comportant qu’un seul bassin de 18 m 60 par 10 m pour 2 m 80 de profondeur au maximum, fréquenté en moyenne quotidienne par une trentaine de personnes durant les six à sept heures d’exploitation. La motivation cantonale ne prête pas non plus le flanc à la critique s’agissant du lieu d’où la surveillance était exercée, sachant qu’il a été retenu de manière à lier le TF (art. 105 al. 1 LTF) que C. l’exerçait principalement depuis la porte de sa loge, qu’il était en mesure d’y observer le bassin dans sa presque totalité, qu’il avait vue sur la partie profonde du bassin depuis la loge elle-même, qu’il se déplaçait régulièrement et qu’en sus du contact visuel, le contact auditif était également assuré. On ne saurait davantage reprocher à la cour cantonale d’avoir retenu que le prénommé était attentif aux baigneurs. En l’absence de comportement insolite ou dangereux, elle était fondée à considérer que ce dernier n’avait pas à porter une attention accrue sur la victime. Au demeurant, face à un accident de ce type, on ne saurait déduire un manque d’attention du seul fait que le gardien n’a pas vu la victime avant qu’elle sombre, sauf à verser dans un raisonnement circulaire consistant à retenir un manque de diligence du fait même de la survenance d’un accident. Il n’est de surcroît pas établi que la victime serait, après avoir sombré sans que personne ne s’en aperçoive, demeurée immergée de longues minutes, ce qui aurait certes pu constituer une circonstance insolite. Toutefois, à défaut d’un tel constat, on ne peut donc rien reprocher à C. sous cet angle. Son comportement une fois l’alerte donnée n’est pas non plus en cause.
S’agissant enfin de la question de l’interruption de la surveillance liée à l’accueil des usagers (cf. art. 16 VHF), au contrôle des laissez-passer et à l’encaissement des entrées également assumés par C., le TF admet avec la cour cantonale que cette situation impliquait, de manière générale, un court laps de temps durant lequel le prénommé ne veillait pas à la sécurité des baigneurs. Il est constant également qu’aucune mesure spécifique n’a été prise, ni par C. ni par son supérieur B., pour pallier cette situation. La cour cantonale a donc retenu, en soi à juste titre, une violation par omission du devoir de prudence imputable à ces derniers. Mais au final, s’agissant de l’éventuelle causalité hypothétique entre le manquement retenu et le décès de la victime, le TF a retenu qu’il était certes établi que le maître-nageur encaissait une finance d’entrée au moment où l’alerte a été donnée, mais qu’il n’a pas été établi qu’il accomplissait une telle tâche lorsque la victime a sombré, sachant que le moment précis auquel cela s’est produit n’a pas pu être établi. Ainsi, il n’a pas pu être retenu la très grande vraisemblance exigée par la jurisprudence pour considérer un lien de causalité hypothétique entre l’omission concrètement imputée aux intimés, à savoir l’absence de mesures destinées à pallier les brèves interruptions de la surveillance, liées à l’accueil des usagers et le décès de la victime. Et le TF de préciser que la simple possibilité que des mesures idoines l’eussent empêché ne suffit pas. Il confirme donc l’acquittement de l’exploitant de la piscine et de son maître-nageur.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, causalité adéquate, interruption, art. 117 CP
Un homicide par négligence a été retenu à l’encontre du surveillant d’un aérodrome ayant placé son véhicule de service au travers de la piste d’atterrissage pour empêcher deux motocyclistes de poursuivre leur course de vitesse. Selon l’état de fait retenu par la cour cantonale, le motocycliste ne disposait pas de la visibilité suffisante pour s’apercevoir à temps de la présence de l’obstacle. Il est entré en collision avec le véhicule, placé au centre de la piste sans aucun dispositif particulier permettant d’attirer l’attention des usagers. La cour cantonale a retenu que l’auteur avait violé les devoirs élémentaires de prudence qui s’imposaient à lui. Le respect des règles de sécurité ne l’autorisait pas à créer un état de fait dangereux à même de provoquer l’accident qui s’est produit. L’auteur devait s’attendre à ce que la victime qui avait emprunté la voie dans un sens, sans obstacle, ferait le chemin inverse. Pour interrompre le lien de causalité, le comportement de la victime doit constituer une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaissant si extraordinaire qu’il ne pouvait être prévu.
Le TF rappelle que le caractère imprévisible du fait concomitant n’est pas suffisant pour interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l'auteur. La théorie du risque consciemment assumé par la victime (« eigenverantwortliche Selbstgefährdung ») n’est pas applicable en l’espèce, le risque ayant été directement créé par l’auteur.
Selon le TF, la question de l’application des normes du droit de la circulation à la piste de l’aérodrome peut demeurer indécise dans le cas d’espèce, au vu de l’état de fait dangereux créé par l’auteur, lequel ne peut se prévaloir non plus du principe de la confiance dégagé de l’art. 26 LCR.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
Responsabilité aquilienne; procédure, classement, motivation insuffisante, annulation, piste de luge, normes de sécurité, art. 319 CPP et 125 CP
Selon l’art. 319 al. 1 CPP, le Ministère public ordonne le classement lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis (let. b). La jurisprudence n’autorise cependant un classement que si la non-punissabilité est clairement établie, particulièrement en cas d’infraction grave. Son pouvoir d’examen étant limité à l’arbitraire s’agissant des constatations de fait (art. 97 al. 1 LTF), le TF annule un classement si l’autorité cantonale retient de manière insoutenable un état de fait ou une situation de preuves comme clairement établis (c. 2.4.1).
Une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé est commise par négligence, au sens de l’art. 125 CP, si elle résulte d’une violation fautive des règles de la prudence. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, au moins dans les grandes lignes, le déroulement des événements et quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter le résultat. Le degré de diligence requis s’apprécie en premier lieu au regard des prescriptions édictées pour la prévention des accidents dans un domaine déterminé, par le législateur, ou des associations spécialisées si les règles en question sont généralement reconnues ; leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence (c. 2.4.2).
La jurisprudence reconnaît ainsi la pertinence des directives de la Commission suisse pour la prévention des accidents sur les descentes pour sport de neige (SKUS) et celles de la Commission juridique des Remontées mécaniques suisses (RMS), car ces normes permettent de concrétiser le devoir de prudence. Les circonstances locales peuvent toutefois exiger un standard de sécurité plus élevé (c. 2.4.3). En l’occurrence, l’accident s’est produit sur une piste de luge dans la soirée du 31 décembre 2017 et le TF mentionne les directives SKUS 2015/2019 (protection des usagers contre les dangers atypiques, interdiction d’utiliser les pistes fermées), ainsi que les directives RMS 2019 concernant les obligations spécifiques en cas d’organisation de manifestations du type « Night Events » (c. 2.4.4).
Le classement de la procédure pénale est annulé car le Tribunal cantonal d’Obwald s’est focalisé sur la fermeture formelle de la piste, signalée sur les tableaux d’information, sans tenir compte du fait qu’une information différente était disponible sur internet, que la piste était accessible par l’installation de remontée mécanique et que des luges étaient mises en location, même après la fermeture, en raison d’une fête de Nouvel An organisée dans une cabane, que cette fermeture dès 17h00 le 31 décembre était incohérente avec une réouverture spéciale prévue durant la nuit du 1er janvier de 01h00 à 02h00. Le TF souligne aussi que l’enquête est lacunaire car on ignore si l’organisateur de la fête avait pris, en coordination avec l’exploitant des remontées mécaniques, des mesures pour garantir la sécurité des participants à la descente, selon les directives RMS 2019 (c. 2.5).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations des personnes n’exerçant pas durablement une activité à plein temps; art. 10 al. 1 LAVS; 28bis RAVS
En décembre 2019, la caisse de compensation du canton de Schwytz a appliqué l’art. 28bis RAVS et fixé les cotisations d’une personne pour l’année 2014 sur la base des règles pour les personnes sans activité lucrative, au motif qu’elle n’exerçait pas durablement une activité lucrative à plein temps et que les cotisations perçues sur le revenu de son travail d’indépendant n’atteignaient pas la moitié de la cotisation due selon le calcul de l’art. 28 RAVS pour les cotisations des personnes sans activité lucrative. La caisse a donc fixé les cotisations à CHF 2’520.-, compte tenu de la fortune de l’administré. Cette année 2014 était la première au cours de laquelle la personne retirait un gain de son activité d’indépendant (CHF 4’517.-), tandis que les années précédentes avaient été conclues par une perte et donné lieu à la perception de cotisations minimales (CHF 413.- par année) par la caisse.
Saisi du recours de l’administré, le tribunal cantonal a rappelé que n’est pas considéré comme exerçant durablement une activité lucrative à plein temps au sens de l’art. 28bis RAVS une personne qui n’exerce pas d’activité lucrative pendant au moins neuf fois dans l’année ou qui n’accomplit pas au moins la moitié du temps de travail usuel sur l’année (ATF 140 V 338). Dans ce cas de figure, il y a lieu de procéder à une comparaison de la cotisation due selon le calcul pour les indépendants et de celle due selon le calcul pour les personnes sans activité lucrative. Si la cotisation pour les indépendants n’atteint pas la moitié de la cotisation pour les personnes sans activité lucrative, c’est cette dernière qui est applicable, les cotisations payées sur la base de l’activité lucrative pouvant être déduites (art. 28bis al. 2 et 30 RAVS).
En l’espèce, le tribunal cantonal a admis que le recourant n’exerçait pas durablement une activité lucrative à plein temps. Tout en admettant que le calcul individuel de la caisse sur l’année 2014 n’était formellement pas faux, le tribunal lui a reproché d’avoir procédé au calcul comparatif selon l’art. 28bis RAVS en 2014, première année de gain dans l’activité indépendante, alors que les années précédentes avaient donné lieu à perception de la cotisation minimale, ce qui aboutissait à un résultat choquant et contradictoire. La situation professionnelle de l’assuré n’avait en effet pas changé entre ces deux périodes et la caisse devait procéder à une appréciation globale et fixer les cotisations en tant qu’indépendant.
Saisi du recours de la caisse, le TF casse le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de la caisse. Il confirme qu’avec à peine 400 heures facturées sur l’année, l’administré ne réalise pas la moitié d’une activité à plein temps, estimée à plus de 900 heures, ceci indépendamment des raisons pour lesquelles son revenu est aussi bas. Si une personne n’exerce pas durablement une activité à plein temps, il faut procéder à la comparaison des cotisations selon l’art. 28bis RAVS. Contrairement à ce que pense l’instance inférieure, il n’est pas possible de renoncer à cette comparaison et de procéder à une appréciation globale. Le fait que la cotisation pour l’année 2015 ait de nouveau été fixée en fonction du revenu de l’activité lucrative n’est pas pertinent car cette fixation résulte du calcul comparatif de l’art. 28bis RAVS et du fait que les cotisations prélevées sur le résultat de l’activité lucrative étaient supérieures à la moitié des cotisations calculées pour une personne sans activité lucrative. Enfin, le TF relève qu’il n’est pas exclu que la caisse aurait fixé les cotisations des années 2008 à 2013 de manière analogue si elle avait pu sauvegarder le délai de péremption de l’art. 16 LAVS.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), activité salariée, siège social; art. 31 ss LACI; 121 al. 1 let. a et b LACI; R (CE) 883/2004 et 987/2009
L’employé d’une société dont l’activité économique n’est pas liée à des structures opérationnelles permanentes en Suisse n’a pas droit à l’indemnité en cas de RHT fondée sur le droit suisse, même s’il exerce une activité salariée en Suisse et est soumis à la législation sur la sécurité sociale suisse.
Le seul fait que l’employé dirige cette société, dont il est également le fondateur et le directeur, depuis un poste de travail situé en Suisse lorsqu’il travaille à domicile n’est pas suffisant pour reconnaître l’existence de structures opérationnelles en Suisse.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne
Assurance-invalidité; mesures médicales, traitement dentaire stationnaire, tarification; art. 13, 14, 26bis et 27 LAI
C’est à juste titre que les prestations d’un dentiste pour des soins dispensés lors du séjour stationnaire d’une personne assurée ayant droit aux mesures médicales conformément à l’art. 13 LAI ont été rémunérées sur la base du tarif SwissDRG, et non sur celle du tarif dentaire SSO.
Les tarifs conclus en application de l’art. 27 al. 1 LAI sont des contrats-cadres qui ne créent pas à eux seuls des relations contractuelles entre l’AI et le fournisseur de prestations. Le contrat de mandat (art. 394 ss CO) entre ces deux partenaires est conclu dans chaque cas concret, en principe par acte concluant, le fournisseur de prestations acceptant de fournir les prestations que la personne assurée s’est vu octroyer par communication de l’assurance sociale. Le mandat règle la question de la nature et de l’ampleur des mesures médicales, et le contrat-cadre complète ce contrat en réglant la question de la tarification et de la protection tarifaire (c. 3.4).
Le tarif SwissDRG, destiné à la facturation des traitements stationnaires en soins aigus, est entré en vigueur dans le domaine de la LAMal au 1er janvier 2012. Bien que la situation soit moins claire dans le domaine de l’AI en raison des difficultés intervenues dans les négociations entre partenaires tarifaires (cf. c. 3.8), SwissDRG s’applique en principe aussi pour la facturation des traitements stationnaires pris en charge par cette assurance sociale. En l’espèce, s’agissant de la clinique dans laquelle le traitement avait été dispensé à la personne assurée, l’application de SwissDRG avait été convenue à partir du 1er juillet 2013, soit avant le traitement litigieux, intervenu en juillet 2014.
Dès lors que le tarif dentaire SSO ne confère aucun droit aux membres de la SSO de se voir confier des traitements, l’AI est libre, dans les cas particuliers, de conclure des mandats avec les fournisseurs de prestations de son choix. En l’espèce, elle a confié le mandat à un établissement de soins (la clinique), et non à l’un ou l’autre de ses médecins agréés (c. 5.1.2). Le fournisseur de prestations est donc la clinique, et non le médecin. En conséquence, les prestations – stationnaires – devaient être facturées selon le tarif SwissDRG, et non selon le tarif SSO, qui n’a plus vocation qu’à s’appliquer aux prestations fournies de manière ambulatoire (c. 5.1.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, liste des spécialités (LS), caractère économique; art. 65b et 65d OAMal
Dans le cadre de la comparaison du caractère économique avec d’autres médicaments selon l’art. 65b al. 2 let. b OAMal, le TF a précisé ce qu’il fallait entendre par la même « gamme » de médicaments (cf. TF 9C_710/2020 du 10 août 2021 destiné à publication et résumé dans la Newsletter du mois d’octobre 2021). Par « gamme », il faut entendre notamment les différents dosages et tailles d’emballage d'un même médicament (même principe actif, composition essentiellement identique, indications identiques et informations sur le médicament concordantes, notamment même recommandation de dosage). En vertu de l’art. 65d al. 3 OAMal, le TF a ainsi admis un recours et renvoyé le dossier à l’OFSP, en reconnaissant que rien ne permettait d’interdire la comparaison, dans leur plus petit emballage, entre des comprimés filmés (« Filmtabletten ») et des gélules (« Kapseln »), selon le chiffre 4.7 des Instructions concernant la Liste des spécialités.
Auteur : Guy Longchamp
Assurances privées; assurance RC professionnelle, interprétation, étendue de la couverture d’assurance, clause insolite; art. 33 LCA; 2 et 8 CC
Le litige porte sur l’interprétation d’une clause contractuelle d’assurance entre une société financière (la recourante) et son assurance responsabilité professionnelle, qui a refusé d’entrer en matière sur la demande d’indemnisation de la recourante. La cour cantonale l’avait préalablement déboutée, faute pour celle-ci d’avoir été en mesure de démontrer la survenance d’un cas d’assurance (c. 6.1).
Le TF rappelle la règle d’interprétation des contrats selon le principe de la confiance. Il convient, en premier lieu, de procéder à une interprétation selon les termes convenus en fonction du contexte et des circonstances de la conclusion du contrat et non sur la base d’éléments isolés. Il est généralement présumé que les parties conviennent d’en faire une application raisonnable et appropriée (c. 6.3.1).
En droit de la responsabilité civile, il ne suffit pas d’inférer qu’une créance en responsabilité résulte de manière générale de l’activité commerciale assurée pour en déduire un droit de couverture assurantiel. Il faut également un lien de causalité entre la fourniture de service dans le cadre de l’activité commerciale définie et la responsabilité civile qui en découle. Dans le cas d'espèce, le TF retient que la clause litigieuse comporte trois conditions : (i) un dommage résultant de prétentions formulées par des tiers contre le preneur d’assurance, au titre de la responsabilité civile ; (ii) la responsabilité civile doit résulter des activités et services prévus dans le contrat d’assurance ; et (iii) ces activités doivent être en lien avec l’activité commerciale de l’assuré. Le TF considère que de telles conditions sont habituelles et claires (c. 6.3.2).
Dès lors que l’application des conditions discutées mènent à un résultat clair, qui ne fait subsister aucun doute, la recourante ne saurait se prévaloir de la clause de règle insolite (c. 6.3.4).
En matière de couverture et de limitation des risques, dans le cadre de contrats d’assurance, le TF procède à une dichotomie. La première est dite « limitation primaire » et dépend d’une description positive du risque. Dans ce cas, le fardeau de la preuve incombe au preneur d’assurance, qui doit prouver que le dommage allégué entre dans le champ d’application de la couverture d’assurance, mais il lui appartient également de démontrer le lien de causalité entre le service ou l’activité définie contractuellement et les prétentions en responsabilité civile formulées à son encontre, respectivement le dommage. La seconde limitation est dite « limitation secondaire » et consiste à énumérer de manière négative des événements ou des situations expressément exclus du contrat. Dans ce dernier cas de figure, c'est à l'assurance de prouver le cas d'exclusion (c. 6.4.1).
L’art. 33 LCA concrétise la règle de la clause insolite et ne trouve application qu’en cas de résultat d’interprétation ambigüe ou équivoque, ce que la recourante n’a pas été en mesure de démontrer (c. 6.4.2).
Il appartient au preneur d’assurance de faire valoir de manière suffisamment étayée le lien de causalité nécessaire entre les prestations fournies et le dommage allégué de responsabilité civile, sous peine de voir ses prétentions refusées (c. 7.1).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières maladie; art. 9 LCA; 243 al. 2 let. f et 247 al. 2 let. a CPC
Le directeur d’une Sàrl s’était assuré en septembre 2010 en perte de gain maladie (collective) pour un salaire fixe de CHF 90’000.- par année. En juillet 2011, il a annoncé à son assurance une incapacité de travail de 100 % débutant le 4 mai 2011. Avec effet au 1er mai 2012, l’assuré a été licencié de la Sàrl pour des raisons « économiques et de santé ». L’assurance a nié tout droit de l’assuré à des indemnités journalières pour perte de gain, en raison à la fois de l’art. 9 LCA et d’une interruption de couverture. Le litige porte donc principalement sur la question de savoir si c’est à bon droit que l’assurance perte de gain maladie s’est prévalue de l’art. 9 LCA (nullité du contrat), en d’autres termes si le sinistre était déjà survenu avant la conclusion du contrat en raison d’une maladie chronique des intestins diagnostiquée précédemment (« Pancolitis Ulcerosa »).
Lorsqu’il s’agit d’une assurance maladie, il convient de considérer que la maladie constitue le risque pour lequel une telle assurance est conclue. L’apparition de symptômes d’une maladie préexistante, respectivement la rechute d’une telle maladie, n’est pas considérée par la jurisprudence du TF comme une maladie indépendante, mais comme la continuation d’une maladie préexistante déjà survenue, en d’autres termes comme un risque déjà survenu au sens de l’art. 9 LCA (cf. ATF 127 III 21). A la suite des critiques émanant de la doctrine, le TF a relativisé cette jurisprudence à l’ATF 142 III 671.
En l’espèce, l’instance cantonale a estimé que la cause de l’incapacité de travail résidait bien dans la Pancolitis Ulcerosa diagnostiquée déjà en 2009. Il s’agissait d’une maladie chronique, pour laquelle l’assuré avait déjà été, en 2009, hospitalisé et incapable de travailler. Cette maladie et le traitement n’avaient, cependant, pas été signalés dans le questionnaire de santé rempli en 2010 auprès de l’assurance perte de gain par l’assuré. L’assuré fait valoir qu’il n’y avait pas de comparaison entre les fortes poussées de cette maladie (Pancolitis Ulcerosa), réellement diagnostiquée selon lui en mai 2011 seulement, et les premiers symptômes apparus précédemment. Au moment de la poussée de mai 2011, l’assuré fait valoir qu’il travaillait à plein temps et de manière indépendante. L’assuré se prévaut également de la nouvelle jurisprudence du TF (ATF 142 III 671) et soutient, dès lors, que doit être assurée l’apparition d’une incapacité de travail, indépendamment de la véritable maladie sous-jacente. De plus, il se prévaut de troubles supplémentaires, débordant du tableau clinique initial.
De l’avis du TF, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a considéré que l’assuré avait déjà, avant la conclusion du contrat, souffert à plusieurs reprises de Pancolitis Ulcerosa et qu’il avait été hospitalisé pour cela, tout en admettant qu’une hospitalisation englobait forcément une incapacité de travail, à tout le moins pour un séjour stationnaire en hôpital, même si elle n’avait alors pas formellement été attestée. Au passage, le TF précise que l’instruction et la mise en œuvre des preuves ne servent pas à combler les défauts d’allégation ou l’absence de « substantification », mais qu’au contraire les preuves nécessitent au préalable une allégation suffisante. Qu’il s’agisse de la procédure simplifiée soumise à la maxime inquisitoire (sociale), par application des art. 243 al. 2 let. f et 247 al. 2 let. a CPC, n’y change rien, car le juge ne doit aider les parties qu’avec un questionnaire plus approprié, d’autant plus lorsque la partie en question est représentée par un avocat. De la même manière qu’en procédure civile ordinaire, ce sont les parties qui doivent « alimenter » le procès.
En l’espèce, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a admis une incapacité de travail, à tout le moins partielle, ayant débuté avant la conclusion du contrat, même si certains certificats médicaux du médecin traitant semblaient indiquer un début d’incapacité de travail postérieur. Par conséquent, c’est à bon droit que l’art. 9 LCA a été appliqué dans le cas d’espèce et la couverture refusée.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion
APG COVID; indemnités pour indépendants, cas de rigueur; art. 6 et 10a O 2 COVID-19; 2 al. 3 et 3bis O APG COVID-19
La réglementation prise par le Conseil fédéral pour indemniser les personnes de conditions indépendantes pour les conséquences économiques de la crise sanitaire de la COVID-19 est exhaustive. Elle distingue entre les personnes indépendantes directement touchées par la fermeture de leur entreprise ou l’interdiction des manifestations qu’elles organisent, et les personnes indépendantes indirectement touchées, dont l’activité pouvait certes se poursuivre mais dont le travail, et donc les revenus, étaient néanmoins affectés par la pandémie (cas de rigueur). Dans ce cas, le Conseil fédéral a décidé de limiter le droit à une indemnisation aux personnes dont les revenus, en 2019, s’étaient élevés à un montant compris entre CHF 10’000.- et CHF 90’000.-. Il n’y a donc pas de lacune, contrairement à ce dont se prévalait la recourante, médecin dont l’activité avait été limitée aux actes urgents (c. 4.2 et 4.3).
La différence de traitement opérée entre les personnes dont l’activité a été totalement empêchée et celles dont elle n’a été que partiellement réduite, même dans une proportion importante (90 % en l’espèce) est justifiée (c. 5.3.1-5.3.3). Les effets de seuil induits par des limites de revenus sont un mécanisme bien connu de l’administration de prestations, en particulier des assurances sociales ; les limites de revenu fixées par le Conseil fédéral ne sont donc pas arbitraires (c. 5.3.4). La différence de traitement avec un médecin salarié occupant une position assimilable à celle de l’employeur, qui a pu toucher une indemnité de CHF 3'320.- dans le cadre des RHT, est également justifiée dès lors que contrairement au médecin indépendant, le médecin salarié a cotisé à l’assurance-chômage (c. 5.3.5). La liberté économique n’est pas non plus touchée (c. 5.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
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