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unine - Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel

NLRCAS Septembre 2023

Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz

TF 2C_901/2022 du 31 mai 2023

Responsabilité du propriétaire d’ouvrage; irrecevabilité de l’action fondée sur la loi cantonale sur la responsabilité de l’Etat; art. 58 CO

Dans le cas d’espèce, le recourant soutenait du fait que la réalisation d’un remblai terreux aménagé en contrebas d’une route communale aurait contribué à accélérer le mouvement de son terrain. Ce phénomène aurait entraîné des fissures à l’intérieur et à l’extérieur de son chalet. Il avait attaqué en responsabilité la commune sur la base de la loi cantonale sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents.

La responsabilité des collectivités publiques cantonales et communales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons et des communes à l’égard des particuliers pour le dommage qu’ils causent dans l’exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO. Les cantons sont toutefois libres de soumettre cette problématique au droit public cantonal en adoptant une réglementation spécifique en vertu de l’art. 59 al. 1 CC et de l’art. 61 al. 1 CO. Le canton de Fribourg a fait usage de cette faculté (c. 4.1).

La compétence des cantons d’édicter des dispositions sur la responsabilité civile de l’Etat et de ses agents dérogeant aux règles ordinaires de droit privé n’est cependant pas générale. S’il existe une norme fédérale de responsabilité régie par une loi spéciale (p. ex. l’art. 58 LCR, les art. 56 et 58 CO, l’art. 679 CC), cette norme fédérale prime et les cantons ne peuvent, en vertu de l’art. 49 Cst., pas y déroger (c. 4.2). Ainsi, la responsabilité d’un canton ou d’une commune s’examine en principe à l’aune de l’art. 58 CO lorsqu’une personne a subi préjudice causé par un ouvrage appartenant à l’une de ces collectivités (c. 4.3).

Après avoir émis quelques considérations sur la définition classique de l’ouvrage au sens de l’art. 58 CO, le TF rappelle que cette notion peut aussi s’étendre à certaines choses naturelles qui, lorsqu’elles sont artificiellement aménagées, peuvent acquérir la qualité d’ouvrages. Tel est notamment le cas d’un remblai installé en vue d’assurer la fonctionnalité d’un ouvrage, dont il fait dès lors partie intégrante (c. 5.2). Le fait que, dans le cas d’espèce, le propriétaire du terrain sur lequel avait été aménagé le remblai est non pas la commune, mais un tiers, est sans portée. Certes, la jurisprudence impose de déterminer qui est propriétaire (au sens du Code civil) de l’ouvrage défectueux ou mal entretenu. Cette règle doit cependant être tempérée, notamment lorsque deux choses juridiquement indépendantes forment un seul et même ouvrage d’un point de vue fonctionnel et que le défaut affectant la chose la moins importante se présente comme un défaut de l’autre ; dans un tel cas, il importe peu que les deux choses appartiennent à des propriétaires différents. La responsabilité du propriétaire de l’ouvrage de l’art. 58 CO est alors encourue par le propriétaire de la partie la plus importante (c. 5.4 et 5.5).

Le recourant avait tenté d’échapper à l’application du droit privé fédéral en soutenant que ce n’était pas le défaut du remblai qui avait provoqué le dommage, mais la décision prise par la commune de le réaliser. Telle n’est pas la question, objecte le TF  il s’agit de savoir si la commune est responsable des dégâts causés au chalet du recourant en application de l’art. 58 CO, ce qu’il n’y a pas lieu de trancher dans le cadre d’une procédure relevant de la responsabilité étatique (c. 5.7). Le TF confirme dès lors l’arrêt d’irrecevabilité qui avait été rendu par l’instance cantonale (c. 5.8).

Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

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Responsabilité du maître de l’ouvrage

TF 4A_323/2021 du 5 juillet 2023

Responsabilité aquilienne; prescription, délai plus long de l’action pénale, classement, monnaie de l’obligation; art. 60 al. 2 CO

Pour le TF, lorsque le délai de prescription décennal absolu de l’art. 60 al. 2 CO s’est écoulé sans avoir été interrompu, les demandeurs ne peuvent se prévaloir de la prescription plus longue de l’action pénale selon l’art. 60 al. 2 CO si des décisions de classement ont déjà été rendues par des autorités pénales et que les faits à la base des deux procédures sont les mêmes.

Si la prétention est réclamée dans la mauvaise monnaie, soit en francs suisses plutôt qu’en dollars, la demande doit être déclarée irrecevable. Au surplus, pour le TF, un changement de monnaie dans le libellé des conclusions est une modification de l’objet de l’action. Ainsi, si les conclusions des demandeurs ont été faussement formulées en francs suisses, elles lient le juge et ne peuvent être modifiées par les demandeurs. Le juge ne peut ainsi que rejeter ce poste de la demande.

Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont

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Responsabilité aquilienne Dommage

ATF 149 II 246, TF 1C_344/2022 du 2 juin 2023

Responsabilité aquilienne; procédure, LAVI, indemnisation des honoraires d’avocat; art. 4 et 13 LAVI

Une victime a été représentée par un avocat dans le cadre d’une procédure pénale. Elle a alors demandé une indemnisation à concurrence de CHF 12'294.50 pour ses frais d’avocat au titre de l’aide aux victimes.

Dans son arrêt, le TF commence par relever que s’agissant de prestations découlant de la LAVI, les frais d’avocat ne peuvent être réclamés qu’exclusivement au titre de l’aide immédiate ou de l’aide à plus long terme au sens de l’art. 13 LAVI. Il relève ensuite que les cantons sont libres d’organiser comme ils le souhaitent les procédures en matière d’aide aux victimes et qu’il n’est pas contraire au droit fédéral qu’une autorité administrative se charge de statuer sur les demandes d’indemnisation.

Puis le TF examine si la demande de prise en charge des honoraires d’avocat d’une victime au sens de l’art. 13 LAVI pouvait être formulée en tout temps et si elle était subsidiaire à une demande d’assistance judiciaire.

A cet égard, il est d’abord rappelé la jurisprudence rendue sous l’angle de l’ancienne LAVI selon laquelle la demande de prise en charge des frais d’avocat devait être déposée, dans la mesure du possible, avant que les frais d’avocat ne soient engagés. Toutefois, les juges fédéraux ont relevé que si une victime était tardive dans sa demande de prise en charge, son droit ne s’éteignait pas. Tout au plus prend-elle le risque que l’intégralité de ses frais ne soient pas pris en charge au titre de l’aide aux victimes. Il n’existe ainsi pas de péremption du droit à la prise en charge de frais d’avocat au sens de la LAVI. A ce sujet, le TF rappelle encore que contrairement aux droits à l’indemnisation et à la réparation morale qui sont soumis à un délai de péremption selon l’art. 25 LAVI, le droit à l'aide des centres de consultation ne se périme pas (art. 15 al. 2 LAVI).

Quant à la question de la subsidiarité de l’aide aux victimes, il est d’abord rappelé que ce principe est ancré à l’art. 4 al. 1 LAVI, mais que cette disposition ne traite pas de l’institution de l’assistance judiciaire. Le TF rappelle ensuite que les cantons sont débiteurs à la fois de l’assistance judiciaire et des prestations d’aide aux victimes. Il procède à une interprétation de l’art. 4 al. 1 LAVI et parvient à la conclusion que l’aide aux victimes n’est pas subsidiaire à l’assistance judiciaire. Par conséquent, une victime ne requérant pas l’assistance judiciaire peut encore demander la prise en charge de ses honoraires d’avocat par le biais de l’aide aux victimes.

Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Procédure Publication prévue

TF 6B_513 et 520/2022 du 9 juin 2023

Responsabilité aquilienne; lien de causalité, position de garant, négligence, violation des règles de l’art; art. 11 al. 2, 12 al. 3, 229 CP

Un directeur de succursale a confié la réalisation de travaux d’étanchéité à l’intérieur d’un bâtiment à l’un de ses techniciens. Le directeur a personnellement assisté à une séance de chantier dans le but de planifier les travaux. Le technicien a ensuite expliqué les travaux à accomplir à deux de ses collaborateurs, l’un ouvrier qualifié, l’autre non, puis a quitté les lieux. Les deux ouvriers n’étaient pas pourvus des équipements usuels de protection. L’ouvrier qualifié a entrepris une manœuvre visant à accélérer la réalisation des travaux, ce qui a entraîné un départ de feu et la propagation de vapeurs chimiques avec pour conséquences qu’il a souffert de brûlures, a été hospitalisé et a subi un arrêt de travail complet de longue durée. La violation des règles de l’art de construire a notamment été retenue contre le directeur et son technicien, lesquels recourent jusqu’au TF.

Le TF constate que le directeur des travaux est tenu de veiller au respect des règles de l’art de construire et répond d’une action ou d’une omission. Il rappelle que la responsabilité pénale d’un participant à la construction se détermine sur la base des prescriptions légales, des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chacun est tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence que l’on peut attendre de lui pour veiller au respect des règles de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, à l’instar du technicien en charge, il existe un devoir de donner des instructions nécessaires et de surveiller. Une seule et même violation des règles de l’art peut être le fait de plusieurs personnes. L’art. 229 CP implique une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il astreint les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution d’un ouvrage à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de responsabilité. En raison de sa conception en tant que délit spécial, l’art. 229 CP limite d’emblée la punissabilité aux personnes pour lesquels une position de garant doit être admise.

Deux conditions doivent être remplies pour que la négligence soit fondée : l’auteur doit violer les règles de prudence et la violation doit pouvoir être imputée à faute. En l’espèce, le TF retient que le directeur a assisté à une séance de chantier avec le but de planifier celui-ci. Il n’est donc pas intervenu personnellement sur le chantier, ou s’occuper de la mise en œuvre opérationnelle, respectivement en assurer la coordination. Ne s’étant pas personnellement impliqué dans la direction des travaux, il ne fait pas partie du cercle des auteurs de l’infraction visée à l’art. 229 CP et a donc été acquitté.

En revanche, le TF retient la responsabilité du technicien. Celui-ci avait pour tâche la mise en œuvre opérationnelle du chantier soit de donner des instructions aux ouvriers, de rappeler régulièrement les règles de sécurité et de passer régulièrement sur le chantier vu son rôle de cadre intermédiaire. Son rôle implique d’emblée une position de garant en lien avec les tâches qui lui reviennent. Il ne pouvait pas se décharger de ses devoirs d’information et de surveillance sur ses ouvriers. Dans le cas présent, la réalisation des travaux nécessitait des instructions particulières en raison des risques liés à l’usage du produit en cause, qui peut provoquer des vapeurs chimiques. Les règles de sécurité devaient également être rappelées. Le technicien n’a donné aucune instruction concernant la pose du produit ou l’aération des locaux par exemple. Il y a eu omission. Ce dernier a donc violé les règles de l’art au sens de l’art. 229 CP. Il a été négligent, car il n’a pas instruit et surveillé les ouvriers quand bien même il avait 15 ans d’expérience dans l’entreprise. Le lien de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et la mise en danger existe car la violation des règles de l’art par le technicien a conduit à l’augmentation du risque d’incendie et a ainsi exposé les ouvriers présents sur le chantier à une mise en danger. Les conditions objectives et subjectives de l’art. 229 CP sont dans ce cas remplies selon le TF.

Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate

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Responsabilité aquilienne Causalité

TF 6B_658/2022 du 24 mai 2023

Responsabilité aquilienne; causalité, art. 117 CP; 32 LCR; 41 CO

En examinant les circonstances d’un accident de la circulation lors duquel un cycliste a mortellement heurté un piéton, les juges fédéraux rappellent que pour qu’il y ait négligence, il faut tout d’abord que l’auteur ait, d’une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d’autre part, il n’ait pas déployé l’attention et les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir.

Selon l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur doit rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer au devoir de la prudence. L’observation de la règle de l’adaptation de la vitesse aux circonstances est la première condition de la maîtrise du véhicule. La règle de l’art. 32 al. 1 LCR implique aussi qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité le permettent. Il faut notamment réduire sa vitesse dans un virage à visibilité réduite. La règle de la possibilité d’arrêt sur la distance de visibilité, et en fonction des risques prévisibles, est la règle fondamentale de l’adaptation de la vitesse.

Dans le cas d’espèce, le choc a eu lieu au sortir du deuxième segment d’une grande courbe à droite. Le TF retient que le cycliste a violé son devoir de prudence en n’adoptant pas une vitesse adéquate aux circonstances et à la visibilité dont il disposait, compte tenu de la courbe sur laquelle il circulait. Le cycliste devait compter avec la possibilité de se retrouver face à un danger au sortir de la courbe, laquelle restreignait sa visibilité et donc aussi l’anticipation possible. Or, son allure ne lui permettait pas de s’arrêter sur la distance visible. Ainsi, la prudence commandée par les circonstances aurait dû l’amener à ralentir et à adapter sa vitesse à la visibilité dont il disposait.

La présence d’un piéton traversant une route touristique du Lavaux un dimanche soir d’été, vers 19h50, ne constitue pas un fait extraordinaire ou imprévisible qui relègue à l’arrière-plan le rôle causal joué par la faute du cycliste. Il n’y a donc pas rupture du lien de causalité adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et le décès de la victime.

Le TF renvoie la cause aux juges vaudois qui avaient acquitté le cycliste du chef d’homicide par négligence en violation du droit fédéral.

Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Causalité

TF 6B_286/2022 du 15 juin 2023

Responsabilité du détenteur d’un véhicule automobile; causalité, interruption, principe de la confiance, principe non applicable aux enfants; art. 12 al. 3, 26, 32 al. 1, 33 al. 2, 122 et 125 al. 2 CP; 58 LCR

Condamné en première instance pour lésions corporelles graves par négligence, un automobiliste, conduisant en état d’ébriété et à une vitesse de 45-47 km/h aux abords d’un passage pour piétons et d’une école, est acquitté en deuxième instance. La Cour d’appel pénale du tribunal cantonal vaudois a considéré que le lien de causalité entre les lésions corporelles subies par l’enfant et le comportement négligent du prévenu, qui n’avait pas ralenti à l’approche du passage pour piétons, avait été rompu par celui du lésé, âgé de cinq ans, qui avait surgi au guidon de sa trottinette, à une vitesse de 9-11 km/h, alors qu’il était précédemment masqué par un muret excédant sa taille. Le TF ne partage pas l’avis de la Cour et renvoie la cause à l’autorité cantonale pour nouvelle décision.

Le TF rappelle que cause des lésions corporelles graves par négligence le conducteur qui viole les règles de prudence que les circonstances imposaient, celles-ci étant en particulier définies par les règles régissant la circulation routière (LCR). Un tel comportement négligent doit s’inscrire dans un rapport de causalité naturelle et adéquate, avec les conséquences de celui-ci, à savoir d’avoir porté gravement atteinte à l’intégrité corporelle de la victime. Ainsi, un conducteur doit adapter sa vitesse aux circonstances et donc être en mesure de s’arrêter aux abords d’un passage pour piétons, même si ces derniers doivent également prêter une attention particulière aux véhicules.

En vertu du principe de la confiance, un usager de la route peut présumer que les autres usagers adopteront un comportement conforme aux règles de la circulation. Cependant, un tel principe ne s’applique pas aux enfants, lesquels ont, selon le TF, une notion de prudence vis-à-vis de la circulation routière « particulièrement ténue ». Dès lors, le lien de causalité ne peut être considéré comme interrompu que lorsque l’acte imprévisible de la victime relègue à l’arrière-plan les fautes du responsable.

En l’espèce, le conducteur connaissait très bien la configuration des lieux, se situant sur le trajet séparant son lieu de travail de son domicile, en particulier la présence d’un muret à droite du passage pour piétons. De plus, il avait aperçu que des enfants jouaient aux abords du complexe scolaire et sportif jouxtant le passage pour piétons et le long du trottoir à gauche. En outre, il n’était pas imprévisible qu’un enfant se déplace sur une trottinette, à une vitesse excédant celle de l’homme au pas. Enfin, par son comportement, à savoir le fait de déporter son véhicule à gauche, le conducteur a démontré qu’il n’est pas imprévisible qu’un enfant traverse la route sans prêter gare à la circulation. Le prévenu aurait par conséquent dû adapter sa vitesse aux circonstances, qu’il connaissait et avait malgré tout appréhendées, et ralentir à 35 km/h, vitesse qui lui aurait permis de s’arrêter et d’éviter de blesser grièvement un enfant de cinq ans.

Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile Causalité

ATF 149 V 136, TF 8C_670/2022 du 25 mai 2023

Assurance-chômage; prestations transitoires, prestations de préretraite, qualification en droit européen; art. 3 par. 1 let. h et i, 66 R (CE) n° 883/2004; 5 al. 1 let. b LPtra

La loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra) prévoit des prestations de préretraite au sens de l’art. 3 par. 1 let. i R (CE) n°883/2004, et non des prestations de chômage au sens de l’art. 3 par. 1 let. h de ce règlement. En conséquence, en vertu de l’art. 66 R (CE) n°883/2004, les périodes de cotisation accomplies à l’étranger ne doivent pas être prises en considération pour le calcul de la durée minimale d’assurance de vingt ans, dont au moins cinq ans après l’âge de 50 ans, exigée par l’art. 5 al. 1 let. b LPtra.

Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

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Assurance-chômage Publication prévue

TF 9C_223/2022 du 15 mai 2023

Prestations complémentaires; calcul de la prestation complémentaires, revenus déterminants, franchise sur le revenu de l’activité lucrative; art. 11 al. 1 let. a LPC

L’affaire concerne le calcul des prestations complémentaires pour l’année 2021 pour une femme percevant une rente AI (taux d’invalidité de 62 %), n’exerçant aucune activité lucrative. Cette dernière vit en ménage commun avec sa fille au bénéfice d’une rente pour enfant de l’AI et percevant un revenu de son activité d’apprentie. La cour cantonale a procédé à un calcul commun, en déduisant d’abord du revenu de l’activité lucrative de la fille de l’assurée les dépenses dûment justifiées pour son obtention (art. 10 al. 3 let. a LPC) et les cotisations aux assurances sociales obligatoires prélevées sur le revenu (art. 10 al. 3 let. c LPC). Ensuite, la franchise de CHF 1'500.- a été déduite, car la fille vit avec sa mère, soit le parent qui a droit à une rente ; par conséquent, la prestation complémentaire est déterminée globalement avec la rente du parent (art. 7 al. 1 let. b OPC-AVS/AI). Le montant intermédiaire a été retenu à hauteur des deux tiers, en tant que revenu privilégié (art. 11 al. 1 let. a, première phrase, LPC). La cour cantonale a considéré en substance que la franchise devait être appliquée à ce revenu, n’ayant pas déjà pu être déduite concrètement d’un autre revenu privilégié – étant inexistant – c’est-à-dire celui de la mère, soit la personne ayant droit aux prestations complémentaires (cf. c. 5.6 in initio). La caisse de compensation recourt au TF.

Le litige porte sur le calcul du revenu de l’activité lucrative réalisé par la fille de l’assurée, seul revenu dans le ménage provenant de l’exercice d’une activité lucrative, ainsi que sur la déduction ou non de la franchise de CHF 1'500.- sur ce revenu (c. 3.1). L’examen de l’affaire s’effectue sous l’angle du nouveau droit, entré en vigueur le 1er janvier 2021 (c. 3.3).

Le TF procède à l’interprétation littérale de l’art. 11 al. 1 let. a, première phrase, LPC. Selon cette disposition, le revenu déterminant correspond aux deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l’exercice d’une activité lucrative, pour autant qu’elles excèdent annuellement CHF 1'500.- pour les personnes qui ont des enfants donnant droit à une rente pour enfant de l’AI (situation du cas d’espèce). Le libellé de la disposition n’indique pas clairement si la franchise doit s’appliquer au revenu du bénéficiaire seul ou à celui du ménage. Il est donc nécessaire de recourir à d’autres méthodes d’interprétation (c. 5.5 in initio).

Dans le cadre de l’interprétation historique, la combinaison d’une déduction fixe et le calcul du solde du revenu à hauteur des deux tiers « favorise particulièrement les personnes se trouvant dans une situation économique précaire, tout en les incitant à conserver une certaine activité lucrative ou à économiser en vue de l’octroi d’une rente ou d’une pension, étant donné que le revenu excédant le montant sujet à déduction ne conduit pas à une réduction proportionnelle de la prestation complémentaire » (FF 1964 II 705 ss, 718). Il existe donc à la fois un aspect social et un incitatif à conserver une activité lucrative, principalement pour les bénéficiaires de prestations complémentaires mais aussi pour les autres membres de la famille. L’intention du législateur, avec la prise en compte seulement partielle des revenus, était d’encourager les bénéficiaires des prestations complémentaires à exercer une activité lucrative sans être pénalisé par une diminution correspondante du montant de la prestation complémentaire (c. 5.5).

Selon le TF, la franchise de CHF 1'500.- doit être déduite une seule fois, car elle est établie pour le ménage et appliquée au ménage, mais elle ne doit pas être déduite en principe uniquement du revenu de l’activité lucrative du bénéficiaire des prestations complémentaires. La franchise ne s’applique donc pas au seul bénéficiaire des prestations complémentaires (c. 5.6).

Le TF arrive à la conclusion que le revenu de l’activité d’apprentie de la fille de la bénéficiaire des prestations complémentaires – qui ne perçoit aucun revenu et auquel aucun revenu ne peut être imputé au sens de l’art. 14a OPC-AVS/AI, diminué des frais d’obtention du revenu (art. 11a OPC AVS/AI) et des cotisations aux assurances sociales (art. 10 al. 3 let. c LPC), doit être réduit de la franchise de CHF 1'500.-, puis pris en compte à hauteur des deux tiers dans le revenu déterminant de la mère, en tant que revenu privilégié au sens de l’art. 11 al. 1 let. a, 1re phrase, LPC (consid. 5.7).

Le TF souligne également le fait que le N 3421.11 DPC est contraire à l’art. 11 al. 1 let  a LPC. Il en est de même de l’annexe 6 des DPC (« Facteurs pour la prise en compte du revenu de l'activité lucrative »), dans la mesure où aucune franchise n'est prévue pour le revenu des enfants (c. 5.8).

Le TF rejette le recours de la caisse de compensation et confirme l’arrêt du tribunal cantonal.

Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne

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Prestations complémentaires Publication prévue

ATF 149 V 97, TF 9C_198/2022 du 30 mai 2023

Assurance invalidité; coordination européenne, ALCP, rente d’invalidité, calcul, totalisation des périodes de cotisations; art. 8 ch. 1 R (CE) n° 883/2004; 12 Convention de sécurité sociale CH-P

Le litige porte sur le calcul de la rente d’invalidité allouée au recourant, plus particulièrement sur la prise en compte, dans le calcul de sa rente à partir du 1er septembre 2021, des périodes de cotisations accomplies au Portugal. Le droit du recourant à une rente d’invalidité est en l’espèce né le 1er janvier 2018, après l’entrée en vigueur du R (CE) n° 883/2004. Ratione temporis, le litige doit ainsi être tranché à la lumière de ce règlement.

L’art. 8 ch. 1 R (CE) n° 883/2004 prévoit que « dans son champ d’application, le présent règlement se substitue à toute convention de sécurité sociale applicable entre les Etats membres. Toutefois, certaines dispositions de conventions de sécurité sociale que les Etats membres ont conclues avant la date d’application du présent règlement restent applicables, pour autant qu’elles soient plus favorables pour les bénéficiaires ou si elles découlent de circonstances historiques spécifiques et ont un effet limité dans le temps. Pour être maintenues en vigueur, ces dispositions doivent figurer dans l’annexe II. Il sera précisé également si, pour des raisons objectives, il n’est pas possible d’étendre certaines de ces dispositions à toutes les personnes auxquelles s’applique le présent règlement. »

Ni l’office intimé, ni la juridiction cantonale n’ont examiné le point de savoir si le système de la Convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et le Portugal est plus favorable au recourant que le système du R (CE) n° 883/2004. A cet égard, le TF a considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal ; art. 84 R [CE] n° 1408/71 ; art. 76 ss R [CE] n° 883/2004 ; art. 2 ss R [CE] n° 987/2009).

En conséquence, il convient d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction sur ce point et rende une nouvelle décision.

Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 8C_661/2022 du 26 juin 2023

Assurance-invalidité; procédure, décision incidente, recevabilité du recours au TF, pratique cantonale contraire à la jurisprudence fédérale, nouvelle demande, mesures de réadaptation; art. 93 LTF; 29 LPGA; 87 RAI

Par décision du 10 septembre 2020, un Office AI avait refusé toute prestation à une assurée. Cette décision était entrée en force. Une année après, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations, visant l’octroi de mesures d’ordre professionnel. L’office AI a refusé d’entrer en matière, au motif qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable que sa situation s’était modifiée de manière à influencer ses droits. Le tribunal cantonal a admis partiellement le recours de l’assurée et renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il entre en matière et instruise la demande de prestations concernant les mesures d’ordre professionnel. L’office AI recourt au TF.

Lorsque le tribunal cantonal renvoie la cause à l’assureur social pour compléter l’instruction sans donner de directives matérielles concrètes, on se trouve en présence d’une décision incidente qui ne cause aucun préjudice irréparable aux parties au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF. Une exception à cette disposition est néanmoins possible lorsqu’il apparaît qu’un tribunal adopte une pratique régulière contraire à la jurisprudence fédérale. En l’espèce, le TF arrive à la conclusion que le Tribunal cantonal saint-gallois a déjà, à de nombreuses reprises, considéré que les nouvelles demandes de prestations concernant les mesures d’ordre professionnel n’étaient pas soumises à la condition de l’art. 87 al. 3 RAI et que l’Office AI devait ainsi entrer en matière sur une demande de mesures d’ordre professionnel même si la personne assurée n’avait rendu vraisemblable aucune modification de sa situation depuis le dernier refus de prestations. Cette pratique étant contraire à la jurisprudence fédérale, le TF considère donc qu’il y a ici matière à faire une exception à la règle de l’art. 93 al. 1 LTF et entre en matière sur le recours (c. 3.6.4).

Sur le fond, le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle l’art. 87 al. 2 et 3 RAI s’applique également à une nouvelle demande d’octroi de mesures d’ordre professionnel lorsque de telles mesures ont été préalablement refusées par une décision entrée en force. Cette disposition réglementaire ne s’applique dès lors pas uniquement lorsque la nouvelle demande porte sur le versement d’une rente, d’une allocation pour impotent ou une contribution d’assistance. A cet égard, le TF considère que l’art. 29 al. 1 LPGA pose simplement le principe de la demande, soit une règle générale du droit des assurances sociales selon laquelle le droit aux prestations présuppose qu’une demande ait été déposée, les prestations n’étant pas versées d’office. On ne peut donc pas déduire de cette disposition un principe général selon lequel l’assureur social devrait systématiquement entrer en matière sur toute demande qui lui est adressée (c. 4). Le recours de l’office AI est donc admis.

Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 4A_472/2022 du 15 juin 2023

Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières LCA, obligation de diminuer le dommage, Covid-19; art. 61a et 38 aLCA; 8 CC; 9 Cst.; 7 CPC

L’assurée, née en 1959, a travaillé, dès le 1er janvier 1996, pour une entreprise en qualité d’employée de commerce. L’employeuse avait souscrit une assurance collective perte de gain en cas de maladie après de la société d’assurance intimée. En cas de sinistre, elle s’engageait à verser des indemnités journalières pendant 730 jours, sous déduction d’un délai d’attente de sept jours. L’art. D1 des conditions générales d’assurance précisait : « Est incapable de travailler la personne qui, en raison d’une maladie, ne peut exercer son activité professionnelle habituelle, ou, si l’incapacité dure un certain temps, reste dans l’impossibilité d’exercer tout autre activité raisonnablement exigible eu égard à son état de santé et à ses aptitudes » (c. A).

Victime d’une atteinte psychiatrique, soit une phobie de contamination par la COVID-19 cumulée à un épisode dépressif moyen, l’assurée a été incapable de travailler du 9 au 31 mars 2020, puis dès le 11 mai 2020. L’employeuse lui a signifié son licenciement pour le 28 février 2021 (c. A.b). Sur le plan médical, les troubles de l’assurée étaient incompatibles avec une quelconque activité exigeant un contact avec autrui. La seule activité exigible était du télétravail à domicile, sans aucun contact avec des personnes et objets venant de l’extérieur. Le handicap n’était pas lié à une incapacité d’exercer le métier en lui-même, mais à une incapacité de surmonter les exigences de contact minimal exigible pour un travail (c. A.c).

La société d’assurance intimée a versé 301 indemnités journalières jusqu’au 28 février 2021 et cessé ses versements à cette date sur avis de son médecin-conseil qui estimait la capacité de travail de l’assurée à 100 % dès le 1er mars 2021 (c. A.f). Sur action de l’employée contre la société d’assurance portant sur un solde de 412 indemnités journalières, le tribunal cantonal l’a admise (c. B).

En droit, s’il est acquis que l’assurée est inapte au travail dans son activité habituelle en entreprise dès le 1er mars 2021, le litige dont est saisi le TF porte uniquement sur la question de savoir si un changement d’activité intégrant ses limitations fonctionnelles peut raisonnablement être exigé d’elle – l’enjeu étant le solde d’indemnités journalières (c. 3).

L’art. 61 aLCA, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, consacrait une « obligation de sauvetage » et son pendant actuel figure à l’art. 38a LCA (c. 4.1). L’obligation de réduire le dommage, codifiée à l’art. 61 aLCA, peut impliquer un changement de profession si cela peut raisonnablement être exigé de l’ayant droit et si cela permet de réduire l’incapacité de travail. L’assureur qui entend être mis au bénéficie de l’art. 61 al. 2 aLCA doit inviter l’ayant droit à changer d’activité et lui impartir un délai d’adaptation approprié ; en règle générale, un délai de trois à cinq mois est jugé adéquat. L’art. 61 al. 2 aLCA ne permet pas à l’assureur de réduire ses prestations dans la perspective d’un changement d’activité purement théorique, irréalisable en pratique : le juge doit bien plutôt analyser la situation concrète. Partant, il doit se demander, d’après l’âge de l’ayant droit et l’état du marché du travail, quelles sont ses chances réelles de trouver un emploi avec ses limitations fonctionnelles. Le juge doit également examiner, en fonction de la formation, de l’expérience et de l’âge de l’ayant droit, si un tel changement d’activité peut réellement être exigé de lui (c. 4.2). L’assureur doit prouver que l’ayant droit a violé son devoir de réduire le dommage (art. 8 CC), à savoir qu’il n’a pas pris les mesures qu’on aurait pu raisonnablement attendre de lui en vue de diminuer le dommage (c. 4.3).

En l’espèce et sur la base des principes ci-dessus, la cour cantonale a estimé que l’assurée n’avait aucune chance de retrouver un travail adapté à ses limitations fonctionnelles, que ce fût le 1er mars 2021 ou plus tard (c. 5.1). Le TF confirme le raisonnement de l’instance inférieure et rejette le recours, ne décelant aucun arbitraire dans la constatation des faits ou l’appréciation des preuves, respectivement aucune violation de l’art. 61 aLCA (c. 5.2 et 5.3).

Sous l’angle de cas particulier de la pandémie, le TF souligne encore que la COVID-19 n’est ici qu’un épiphénomène. L’assurée a certes développé une phobie à cause de cette maladie, mais elle aurait tout aussi bien pu contracter sans cette pandémie une maladie entraînant les mêmes limitations sans que le raisonnement ne s’en trouve modifié. Ses perspectives de retrouver un emploi sans pouvoir ne serait-ce que se présenter à un entretien d’embauche, réceptionner des objets extérieurs ou avoir un simple contact humain direct sont inexistantes, si on les met en perspective avec son âge, sa formation et la profession qu’elle a exercée durant plus de vingt-cinq ans (c. 5.3).

Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud

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Assurances privées

TF 4A_293/2023 du 27 juin 2023

Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, preuve à futur; art. 158 CPC

La recourante est assurée pour la perte de gain en cas d’incapacité de travail par le contrat d’assurance de son employeur. Elle ne répond pas à la convocation du médecin spécialisé désigné par l’assureur qui lui annonce suspendre le paiement des indemnités journalières pour ce motif. L’assurée engage une procédure de mesures provisionnelles et requiert la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire pour établir son incapacité de travail. La cour des assurances sociales du tribunal cantonal la déboute de sa demande, estimant qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable son droit aux prestations. Par son refus de collaborer, en ne se rendant pas à l’examen médical demandé par l’assureur, sa demande de preuve à futur contrevenait au principe de la bonne foi.

Un recours peut être formé contre le rejet d’une requête de preuves à futur visée par l’art. 158 CPC, qualifiée de mesure provisionnelle par la LTF, pour la seule violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF).

L’art. 158 al. 1 let. b CPC permet au tribunal d’administrer les preuves en tout temps lorsque la mise en danger des preuves ou un intérêt digne de protection est rendu vraisemblable par le requérant. L’administration des preuves à futur est reconnue lorsqu’elle a pour but d’assurer la conservation de la preuve, lorsque le moyen de preuve risque de disparaître ou que son administration ultérieure se heurterait à de grandes difficultés. Elle peut aussi servir à clarifier les chances de succès d’un procès ou d’apporter une preuve. La locution « intérêt digne de protection » se réfère à cette possibilité qui permet d’éviter des procès dénués de chance de succès. Le TF rappelle que le requérant doit rendre vraisemblable qu’il a une prétention matérielle contre le défendeur et – cumulativement – que l’administration de la preuve tend à établir l’état de fait dont il tire son droit.

Dans le cas d’espèce, l’instance cantonale a rejeté la requête de preuve à futur en s’appuyant sur les conditions générales d’assurance de l’intimée, selon lesquelles l’assuré ne peut pas faire valoir un droit à des prestations tant qu’il s’oppose à un examen médical spécialisé (c. 4.2.2). La recourante n’a donc pas rendu vraisemblable l’existence de sa prétention matérielle, plus précisément l’état de fait dont elle tire son droit. Selon le TF, la recourante ne démontre pas que l’instance précédente serait tombée dans l’arbitraire en considérant que la prétention au fond n’avait pas été rendue vraisemblable pour défaut de collaboration de l’assurée.

L’art. 24.1 des CGA de l’intimée stipule explicitement que les prestations d’assurance sont réduites ou refusées, temporairement ou durablement, si la personne assurée ne remplit pas les obligations fixées par la loi ou le contrat. La recourante n’a ainsi pas le droit d’opter pour l’expertise judiciaire dans le cadre de l’administration d’une preuve à futur selon l’art. 158 CPC à la place (ou avant) l’examen médical spécialisé par le médecin-conseil de l’intimée (c. 5).

Le risque lié à la disparition de la preuve n’a pas été reconnu par l’autorité cantonale. La recourante, qui se prévaut d’un défaut de motivation, n’a pas, selon le TF, démontré la violation de ce droit constitutionnel (art. 29 al. 2 Cst. et art. 6 ch. 1 CEDH), ni le caractère arbitraire de la décision (c. 4.3). L’autorité cantonale a motivé son refus d’administrer la preuve à futur, estimant que les médecins établissaient régulièrement des expertises rétrospectives sur l’état de santé et la capacité de travail. La recourante ne peut pas non plus s’appuyer sur la jurisprudence du TF pour se voir reconnaître la mise en œuvre d’une expertise en temps réel.

L’arrêt 4A_247/2020 du 7 décembre 2020 (c. 5.2), en particulier, ne lui est d’aucune utilité (c. 4.3.1). Dans cet arrêt, le TF avait reconnu que l’assuré avait diligemment déposé une requête de preuve à futur. La demande de l’assuré avait été écartée au motif que l’expertise médicale pouvait être réalisée dans la procédure au fond. Par la suite, la cour cantonale avait refusé de mettre en œuvre l’expertise médicale demandée par l’assureur. Le TF avait admis le recours de ce dernier considérant que les certificats médicaux et les expertises des assureurs sont des allégations de partie au sens du CPC. Le TF retient donc que le contexte décrit par cet arrêt était différent et ne portait pas en particulier sur le devoir de collaboration de l’assuré. Il n’y a donc aucune violation des droits constitutionnels à refuser d’administrer la preuve à futur, dans le cas d’espèce, en raison du comportement contradictoire et contraire à la bonne foi de la recourante.

Le TF ajoute que celle-ci avait demandé à être évaluée par une femme médecin, ne s’est pas présentée au rendez-vous fixé et a déposé enfin une expertise preuves à futur demandant à être expertisée par un médecin (et plus une femme médecin) (c. 4.6).

Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

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Assurances privées

TF 9C_474/2022 du 16 mars 2023

Assurance-maladie; procédure arbitrale, compétence ratione loci, pratique intercantonale; art. 89 al. 2 LAMal

Un médecin soupçonné d’avoir fourni des soins dans un canton sans autorisation de pratique (art. 36 LPMéd) se voit demander de rembourser un montant de l’ordre de CHF 125'000.-. Le tribunal arbitral du canton dans lequel le médecin est autorisé à pratiquer (Saint-Gall), saisi par les assureurs, se déclare incompétent et transmet la cause au tribunal dans lequel des prestations auraient été fournies sans autorisation (Zurich). Les assureurs recourent au TF contre la décision de non entrée en matière.

Interprétant l’art. 89 al. 2 LAMal, qui dispose que « le tribunal arbitral compétent est celui du canton dont le tarif est appliqué ou du canton dans lequel le fournisseur de prestations est installé à titre permanent », le TF indique tout d’abord que le lieu dans lequel le médecin est installé à titre permanent est celui dans lequel il exploite son cabinet (c. 3.4). La question se pose donc de savoir comment procéder lorsque le médecin exploite des cabinets dans plusieurs cantons.

D’un point de vue strictement littéral, l’art. 89 al. 2 LAMal ne semble permettre qu’un seul canton d’établissement (« …celui du canton… dans lequel… » ; c. 3.5). Les travaux préparatoires ne permettent pas d’aboutir à une autre conclusion (c. 3.6). D’un point de vue historique, l’institution du tribunal arbitral a été introduite dans l’ancienne LAMA en 1964, à une époque où l’exercice intercantonal de la médecine n’était pas monnaie courante. Pourtant, le fait que le législateur ait prévu, à l’époque déjà, deux fors alternatifs, montre qu’il a envisagé cette hypothèse et exclut l’admission d’une lacune, le législateur ayant manifestement voulu fixer le for dans un lieu ayant un lien étroit avec l’objet du litige. Son choix s’est clairement porté sur le lieu d’exercice du fournisseur de prestations, et non sur celui dans lequel les prestations litigieuses sont fournies (c. 3.7).

Si le fournisseur de prestations exerce dans plusieurs cantons, il faut rechercher le centre de son activité professionnelle (Schwerpunkt). Les exigences de preuve à cet égard ne doivent pas être trop élevées (c. 4.1). En l’espèce, les caisses-maladie avaient notamment fait valoir que le médecin mis en cause était visible sur le site Internet de l’endroit où il pratiquait dans le canton de Saint-Gall, avec photo et CV et possibilité de le contacter par le biais du site, alors qu’il n’était même pas mentionné sur le site Internet de l’institution dans laquelle il pratiquait dans le canton de Zurich. Par ailleurs, il lui était précisément reproché de ne pas avoir d’autorisation de pratiquer dans le canton de Zurich (c. 4.2). Le médecin incriminé n’a pas contesté avoir sa pratique principale dans le canton de Saint-Gall et ne pas avoir travaillé plus de 90 jours par année dans le canton de Zurich avant d’y avoir obtenu son autorisation de pratiquer (c. 4.3). Faute de comparaison entre le volume d’activité dans les deux cantons, à laquelle le tribunal arbitral saint-gallois devait procéder d’office, la décision de non entrée en matière n’est pas conforme au droit. La cause lui est donc renvoyée pour instruction dans ce sens, et nouvelle décision (c. 4.4).

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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