NLRCAS décembre 2023
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 1C_19/2023 du 11 octobre 2023
Indemnisation LAVI; demande de réparation du dommage matériel; art. 19 al. 3 LAVI
Le salaire non perçu est un dommage matériel, dont l’indemnisation est exclue par l’art. 19 al. 3 LAVI. L’employé, victime de traite d’êtres humains pour lequel son employeur a été condamné par jugement pénal, ne dispose pas d’un droit subjectif à l’indemnisation de son salaire impayé par l’autorité cantonale LAVI.
Dans cette affaire, le TF constate l’inexistence d’une lacune proprement dite à l’art. 19 al. 3 LAVI. Sans privilégier une méthode d’interprétation mais en s’inspirant d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme, les juges fédéraux confirment que l’art. 19 al. 3 LAVI exclut clairement la prise en charge des dommages matériels dans le cadre de l’indemnisation LAVI (c. 3.4).
L’art. 4 CEDH, interprété à l’aune de l’art. 15 de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (CETEH, RS : 0.311.543), ne prévoit pas d’obligation positive, à charge de l’Etat, d’instaurer un mécanisme d’indemnisation subsidiaire des salaires impayés des victimes de traite d’êtres humains (c. 4.3).
Le TF relève que le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) du Conseil de l’Europe s’intéresse à cette problématique comme l’illustrent les questions adressées en 2023 à ce sujet. La Suisse s’est contentée de renvoyer à l’art. 19 LAVI et aux règles de calcul du dommage du droit civil (GRETA, Questionnaire pour l’évaluation de la mise en œuvre de la CETEH – Troisième cycle d’évaluation, 2023, ch. 3.4 et 4). Or, comme le relève le TF, le futur rapport d’évaluation dudit questionnaire pourrait apporter certaines clarifications à la notion de préjudice matériel visé par l’art. 15 al. 4 CETEH pouvant conduire, cas échéant, le législateur suisse à se pencher sur un élargissement de la notion de préjudice couvert par l’art. 19 LAVI (c. 4.3).
Auteur : Scott Greinig, avocat et assistant-doctorant
TF 1C_195/2023 du 27 septembre 2023
Responsabilité aquilienne; LAVI, dommage matériel, tort moral; Art. 41, 46 al. 1, 47 et 49 CO; 19, 22 et 23 LAVI; 14 CEDH
Le TF rappelle que la notion de dommage selon la LAVI correspond de manière générale à celle du droit de la responsabilité civile. Il peut ainsi être renvoyé aux principes prévus par les art. 46 al. 1 CO en cas de lésions corporelles, auquel l’art. 19 al. 2 LAVI fait d’ailleurs expressément référence. Le législateur a cependant choisi de ne pas reprendre en tous points le régime de la responsabilité civile et l’instance LAVI peut donc s’en écarter au besoin. Ainsi, toutes les prétentions résultant des dispositions sur la responsabilité civile ne fondent pas nécessairement le droit à une aide financière au sens de la LAVI. Des solutions spécifiques sont donc possibles, même si des différences en matière de détermination du dommage ne se justifient qu’exceptionnellement, étant précisé que dans tous les cas, lorsqu’une des conditions des art. 41 ss CO fait défaut, une indemnisation LAVI n’est jamais octroyée.
En vertu de l’art. 46 al. 1 CO, la victime de lésions corporelles a droit à la réparation du dommage qui résulte de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l’atteinte portée à son avenir économique ; est déterminante à cet égard la diminution de la capacité de gain. Lors de l’appréciation de ce préjudice, celui-ci doit être rendu suffisamment vraisemblable au regard de toutes les circonstances concrètes entrant en jeu. Cette vraisemblance n’ayant pas été suffisamment démontrée dans le cas d’espèce, le dommage matériel allégué n’a pas lieu d’être indemnisé.
Selon l’art. 22 al. 1 LAVI, la victime a droit à une réparation morale lorsque la gravité de l’atteinte le justifie. Le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l’atteinte (art. 23 al. 1 LAVI). Au regard des particularités de ce système d’indemnisation, le TF confirme que le législateur n’avait pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage. Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d’une allocation « ex aequo et bono ». La collectivité n’est en effet pas responsable des conséquences de l’infraction, mais seulement liée par un devoir d’assistance publique envers la victime. Ainsi, elle n’est pas nécessairement tenue à des prestations aussi étendues que celles exigibles de la part de l’auteur de l’infraction. Si le principe d’un droit subjectif à la réparation morale est ancré dans la LAVI (art. 22 LAVI), le plafonnement de l’indemnisation implique que les montants alloués en vertu de cette loi sont nettement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé. Sans avoir voulu instaurer une réduction systématique et proportionnelle des montants alloués en vertu du droit privé, le législateur a fixé les plafonds environ aux deux tiers des montants de base généralement attribués en droit de la responsabilité civile. La fourchette des montants à disposition est ainsi plus étroite qu’en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves, tels qu’une invalidité à 100%.
L’OFJ a à cet égard établi un guide qui prévoit notamment, des montants allant jusqu’à CHF 8'000.- pour les victimes ayant subi une atteinte grave à leur intégrité sexuelle. Pour des atteintes à l’intégrité physiques « atteintes corporelles non négligeables, en voie de guérison [et des] atteintes de peu de gravité avec circonstances aggravantes » , des montants allant jusqu’à CHF 5'000.- sont prévus. Pour des atteintes à l’intégrité psychique « atteinte à l’intégrité psychique non négligeable même si temporaire avec circonstances aggravantes déterminées par l’acte », ce guide prévoit des montants allant jusqu’à CHF 5'000.-, ainsi que des montants allant de CHF 5'000.- à CHF 15'000.- pour une « atteinte à l’intégrité psychique sévère en raison de circonstances dramatiques avec de lourdes séquelles ».
Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d’application ; toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles constituent une référence permettant d’assurer une certaine égalité de traitement, tant que le CF n’impose pas de tarif en application de l’art. 45 al. 3 LAVI.
Dans le cas d’espèce, force est de constater que l’instance inférieure a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et que l’indemnité fixée se situe dans la fourchette des cas qui peuvent offrir une comparaison avec celui de la victime. Le montant de l’indemnité octroyée, par l’instance précédente, soit CHF 3'000.- dans le cadre d’un cas d’agression sexuelle, est conforme au droit fédéral.
La victime, une travailleuse du sexe, invite encore le TF à constater que l’indemnité qu’elle a reçue à titre de tort moral est symbolique et reflète par conséquent une pratique discriminatoire à l’égard des femmes. Elle considère que la pratique du système LAVI, consistant à octroyer des montants si faibles à titre de tort moral pour les séquelles d’une agression sexuelle, touche principalement les femmes, dans la mesure où elles sont majoritairement victimes de violences sexuelles ; cela constituerait par conséquent une défaillance structurelle qui équivaudrait à une pratique discriminatoire, même si celle-ci ne découle pas de la volonté expresse des autorités.
Le fait que les indemnités octroyées par la LAVI à titre de tort moral soient peu élevées n’est pas constitutif d’une discrimination envers les femmes, telle qu’interdite par l’art. 14 CEDH. Il appert que l’autorité précédente a procédé à un examen de la jurisprudence et des directives pertinentes afin de s’assurer que la somme octroyée corresponde aux indemnités habituellement allouées dans des cas similaires. Au surplus, on ne voit pas en quoi le système instauré par la LAVI en matière d’indemnités pour tort moral, qui est subsidiaire aux autres possibilités d’obtenir réparation à disposition de la victime et qui se rapproche d’une allocation « ex aequo et bono », constituerait une pratique discriminatoire, qui défavoriserait particulièrement les femmes.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève
TF 6B_1333 et 1353/2022 du 2 octobre 2023
Responsabilité du détenteur d’animal; lésions corporelles graves par négligence, position de garant, maîtrise de fait, instructions; art. 122 CP; 56 CO; 16 al. 2 LPolC
Au mois de mai 2020, un électricien qui était venu faire des travaux à l’extérieur d’une maison familiale a été attaqué par les deux chiens du propriétaire. Celui-ci avait quitté les lieux en laissant à son père la garde de ses deux dogues argentins, un mâle et une femelle, dont il connaissait le potentiel de dangerosité compte tenu notamment de leur race et d’un antécédent de morsure de la femelle. Au moment de s’absenter, il avait dicté comme unique consigne de sécurité à son père de maintenir ses animaux enfermés à clé dans la maison le temps que l’électricien finisse les travaux. En particulier, le propriétaire n’avait pas commandé à son père de maintenir fermé le portail intermédiaire qui avait spécialement été aménagé afin que les chiens ne puissent aller jusqu’au portail principal donnant sur la voie publique. Au retour de sa pause de midi, l’électricien avait sonné au portail mais n’avait pas attendu qu’un membre de la famille vienne lui ouvrir. Il avait pénétré dans le jardin seul. Les chiens s’étaient rués sur lui alors que le père ouvrait la porte de la maison et s’étaient acharnés pendant une quinzaine de minutes sur leur victime. Ce n’est qu’en tapant sur la tête d’un des chiens avec une pierre que celui-ci a finalement lâché prise. L’ouvrier a été mordu à la tête, aux bras, aux fessiers, aux jambes et aux pieds. Il a souffert d’une multitude de plaies ouvertes avec perforation et arrachement musculaire et d’une fracture d’un doigt de la main gauche. Sa plaie à la tête a nécessité 42 points de suture. Le père du propriétaire a quant à lui été sévèrement mordu au bras. Le risque causé par les chiens a été qualifié de « très sérieux à mortel » par un vétérinaire. L’enquête a par ailleurs révélé que le propriétaire avait utilisé deux colliers électriques pour dresser ses dogues argentins, et que la chienne avait déjà mordu au bras et au visage un voisin qui mangeait chez les propriétaires l’année précédente, raison pour laquelle le vétérinaire cantonal avait décidé que le molosse devrait être mis à l’écart au domicile en présence de personnes inconnues.
Les juges cantonaux ont notamment observé que le fils connaissait le potentiel de dangerosité de ses chiens et qu’il ne pouvait qu’en être conscient. Il avait du reste pris des mesures pour éviter que ceux-ci soient en contact avec des personnes qui ne leur étaient pas familières, en les enfermant à l’intérieur de la maison lorsque des personnes étrangères étaient présentes sur la propriété et en installant deux portails successifs ainsi que deux pancartes de mise en garde sur le portail d'entrée. Pour autant, ces mesures ne s’étaient pas révélées suffisantes. Dans ce contexte, le fait de ne pas avoir donné de consignes suffisamment claires à son père dénotait déjà une violation fautive du devoir de prudence auquel était tenu le propriétaire en vertu des art. 56 CO et 16 al. 2 LPoIC. L'attaque s'était en outre révélée complètement disproportionnée, même pour des chiens supposés garder une propriété, dénotant ainsi un défaut d’éducation, également imputable à leur maître. De son côté, le père – en laissant la porte de la maison entre-ouverte ainsi qu’en ne fermant pas le portail intermédiaire – avait non seulement permis que les chiens sortent de la maison et s’en prennent à l’électricien, mais il s’était en plus par la suite montré incapable de se faire obéir et de faire cesser l’attaque. Une violation du devoir de prudence, qui lui incombait en tant que détenteur effectif des chiens, devait dès lors également lui être imputée. Dans ces circonstances, peu importait en définitive pour les juges cantonaux que l’électricien ait pris l’habitude, lors de ses précédentes visites dans les mois et semaines qui précédaient, d’attendre que le propriétaire ou son père viennent lui ouvrir. L’omission d’attendre l’autorisation d’entrer ne constituait pas, dans le contexte du cas d’espèce, une circonstance exceptionnelle imprévisible, pouvant interrompre le lien de causalité entre la violation des devoirs de prudence du père et du fils et l’attaque survenue. A tout le moins, les instances cantonales ont estimé qu’on ne pouvait en déduire qu'il avait volontairement pris un risque de se faire attaquer.
Le propriétaire et son père ont contesté leur condamnation pour lésions corporelles graves par négligence devant le TF, qui a relevé d’emblée que le fils, en sa qualité de détenteur principal et « maître » des chiens, était tenu de prendre les mesures nécessaires et utiles à éviter tout accident, y compris lorsque les chiens demeuraient au domicile pendant qu’il s’absentait. Il assumait par conséquent une position de garant.
Dans ces circonstances, il appartenait au fils de donner des consignes claires à son père afin d’assurer la sécurité de l’électricien, qu’il savait en train d’effectuer des travaux sur la propriété. A cet égard, il aurait dû insister sur la nécessité de verrouiller le portail intermédiaire, qui avait été spécialement conçu pour que les chiens ne puissent pas aller jusqu’au portail principal qui donnait sur la voie publique. Le fait que son père s’occupait régulièrement des chiens ne le déchargeait pas de son devoir de donner des instructions claires compte tenu du contexte et de l’antécédent agressif de l’un d’eux. En confiant ses chiens à une personne manifestement incapable de les maîtriser, le fils a violé fautivement son devoir de diligence.
La réalisation de la position de garant du père découle quant à elle des circonstances, puisqu’il a accepté de surveiller les chiens de son fils durant l’absence de celui-ci et qu’il avait la maîtrise de fait sur les animaux confiés, ce qui lui imposait de prendre, lui aussi, les mesures nécessaires et utiles à éviter un accident. Dès lors qu’il savait que l’ouvrier reviendrait après sa pause, il devait prendre les mesures propres à empêcher les chiens de se trouver au contact de l'intimé, ce qui impliquait à tout le moins de verrouiller le portail intermédiaire, ce qu'il a omis de faire.
Le TF rejette par ailleurs l’argument d’une rupture du lien de causalité adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions corporelles de la victime au motif que l’électricien aurait fait preuve d'imprudence au moment de son retour sur la propriété et que son comportement était volontaire. Compte tenu du fait que les chiens étaient demeurés enfermés jusqu’à la pause de midi, il n’y avait rien d’inhabituel à ce que la victime, après avoir sonné, entreprenne de franchir le portail principal, alors qu’il avait travaillé tout le matin sur la propriété et fait librement des allers-retours entre le jardin et l’extérieur. A ce propos, le TF a encore rappelé que la cour cantonale n’avait pas établi que l'intimé aurait fait fi des instructions du père.
Ainsi, après avoir confirmé la qualification de lésions corporelles graves, le TF a rejeté les recours du père et du fils.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne
TF 4A_383/2022 du 25 septembre 2023
Responsabilité de l’employeur; procédure, privilège de recours, employeur, faute, organe, délégation de compétence; art.75 al. 2 LPGA
Une société exploite un entrepôt qu’elle loue. Deux employés de cette société, dont le directeur de l’entrepôt, ont enlevé l’une des six grilles métalliques situées au sol devant un ascenseur, afin de la nettoyer. Sous celle-ci, le propriétaire avait fait poser des panneaux de polystyrène non-porteurs destinés à éviter des courants d’air. Un troisième employé de cette même société a marché accidentellement sur lesdits panneaux, lesquels ont cédé sous son poids. Il a chuté de 4 mètres et a été grièvement blessé. A la suite à l’accident, les assurances sociales (AI et AVS) ont versé des prestations à l’employé lésé. Elles se sont retournées ensuite contre l’employeur. Les tribunaux de première et de seconde instances du canton ont tous deux rejeté l’action, au motif que l’employeur, respectivement ses organes, n’avait pas provoqué l’accident, si bien qu’il n’existait pas de droit de recours contre l’employeur au sens de l’art. 75 al. 2 LPGA. Les assurances recourent au TF.
Le TF examine en premier lieu si l’art. 75 al. 2 LPGA supprime le privilège de recours uniquement lorsqu’un organe de l’employeur a provoqué l’accident intentionnellement ou par négligence grave, ou si ce privilège tombe également lorsque le reproche de négligence grave ou de dol est formulé à l’encontre d’un auxiliaire. Le TF rappelle qu’avec l’introduction de l’art. 75 al. 2 LPGA, le privilège de responsabilité (prévu par l’ancien art. 44 al. 2 LAA) a disparu, laissant place au privilège de recours. S’il s’applique, cela signifie que les assureurs sociaux doivent fournir les prestations légales, sans pouvoir se retourner contre l’employeur. Si le législateur avait voulu limiter l’étendue du privilège également en ce qui concerne les prestations des assureurs sociaux, il n’aurait pas simplement remplacé le privilège de responsabilité et de recours par un simple privilège de recours, mais il aurait limité celui-ci dans son libellé par rapport au privilège de responsabilité, par exemple en mentionnant expressément les auxiliaires de l’employeur (cf. par exemple art. 58 al. 4 LCR). En édictant l’art. 75 al. 2 LPGA, le législateur a délibérément proposé de remplacer les privilèges de responsabilité par des privilèges de recours. Si, à cette occasion, il avait envisagé d’élargir le cercle des personnes exclues du privilège lorsqu’elles ont provoqué le cas d’assurance intentionnellement ou par négligence grave, en s’écartant de la jurisprudence alors en vigueur et dans le sens d’une prise en compte de la faute de simples auxiliaires, cela aurait été expressément mentionné, d’autant plus que le législateur était parfaitement conscient du fait que certains auteurs remettaient même en question le privilège de recours et proposaient l’abolition pure et simple de tels privilèges (c. 1.3.4).
Le TF examine ensuite le second grief des recourantes, qui soutiennent que l’accident aurait été causé par un organe de fait de l’employeur et éventuellement en vertu d’une délégation des pouvoirs. Les recourantes s’appuient sur une jurisprudence publiée à l’ATF 128 III 76, dans laquelle le TF a considéré que le directeur de l’exploitation était un organe de fait de l’institut agricole qui l’employait et qu’un autre salarié, à qui des compétences avaient été déléguées par le directeur de l’exploitation, devenait également un organe en raison de cette délégation, faisant ainsi une interprétation extensive de la notion d’organe. Le TF retient que dans la jurisprudence précitée, le directeur de l’exploitation avait lui-même provoqué la situation dangereuse qui a finalement conduit à l'accident, sans donner les instructions nécessaires et sans assurer une surveillance suffisante. S’il a délégué celle-ci à un collaborateur, cela ne change rien au fait qu'il était responsable de la situation dangereuse. Il ne pouvait pas se soustraire à cette responsabilité par le biais d’une délégation. Cela ne signifie cependant pas que tout collaborateur qui agit dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées doit être considéré comme un organe de l'employeur en vertu de la délégation (c. 2.3.1).
En outre, le TF relève que la situation du directeur de l’entrepôt, dans le cas d’espèce, n’est pas comparable à celle du directeur de l’exploitation, dans la jurisprudence précitée, lequel était responsable de toute une unité autonome. Il ne s’agissait donc pas d’une personne qui exerçait une tâche plus ou moins étroitement définie au sein de cette unité, comme c'était le cas du directeur de l’entrepôt (c. 2.3.2).
Enfin, le TF retient que le directeur de l’entrepôt ne peut pas non plus être considéré comme un organe de l’employeur sur la base d’une délégation générale de compétence d’un organe formel – soit le directeur général – comme cela a été retenu dans l’ATF 128 III 74. En effet, si le directeur général avait connaissance du projet de nettoyage des grilles, il n’a pas ordonné lui-même l’enlèvement de celles-ci et n’avait même pas conscience qu’il fallait enlever ces grilles pour nettoyer. La manière de procéder au nettoyage n’a jamais fait l’objet de discussions. Le directeur général a ainsi placé cette procédure dans le domaine de compétences du directeur de l’entrepôt. Il n’a donc pas créé lui-même la situation dangereuse et n’a pas non plus délégué une compétence d’organe, si bien que le cas d’espèce ne peut pas être comparé à celui de l'ATF 128 III 76.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne
TF 2C_11/2023 du 9 octobre 2023
Responsabilité de l’Etat; responsabilité de la Confédération, subsidiarité de l’action en responsabilité, dommage; art. 3 et 12 LRCF
L’arrêt traite de l’obligation de la Confédération d’indemniser selon la loi sur la responsabilité (LRCF) un fonctionnaire en raison d'éventuels dommages et torts moraux subis en lien avec son emploi au sein de l’administration fédérale.
Selon la jurisprudence, le régime de la LRCF (art. 3) trouve également application lorsque le lésé est ou a été fonctionnaire fédéral et prétend avoir subi un dommage résultant d’actes illicites commis par d’autres fonctionnaires, dans la mesure où il n’existe aucune raison de soumettre le fonctionnaire lésé à d’autres règles que l’administré ordinaire. Cependant, certains actes dommageables ne peuvent en principe donner lieu à aucune indemnisation de la Confédération en application de cette loi, en particulier les décisions, arrêtés et jugements ayant force de chose jugée qui ne peuvent pas être revus dans une procédure en responsabilité, selon le principe de la primauté de la protection juridictionnelle par rapport à une procédure en responsabilité de l’Etat (art. 12). Conformément à ce principe, généralement repris en droit cantonal, celui qui a épuisé, sans succès, les voies de droit contre une décision, de même que celui qui n’a pas utilisé tous les moyens de droit qui étaient à sa disposition pour faire corriger cette même décision, ne peut en principe plus en contester (encore une fois) la licéité dans un procès en responsabilité contre l’Etat, dès lors que cette décision entrée en force, ou confirmée sur recours, bénéficie d’une sorte de présomption irréfragable (fiction) de conformité au droit.
Dans la présente affaire, à défaut d’un quelconque acte illicite justifiant une indemnisation fondée sur la LRCF, le TF a nié les différentes prétentions en indemnisation émises par le recourant à l’encontre de la Confédération, pour les raisons suivantes :
1. Des prétentions directement liées à une procédure pénale ne relèvent en aucun cas du droit public sur la responsabilité de l’Etat. L’indemnisation de tels préjudices est du ressort exclusif des autorités pénales. Ainsi, en cas d’acquittement total ou partiel du prévenu, l’Etat doit réparer l’intégralité du dommage en rapport de causalité adéquate avec la procédure pénale. Une indemnisation ne peut en principe plus intervenir dans une procédure ultérieure indépendante. Si l’autorité pénale omet de statuer dans son jugement ou son ordonnance sur les prétentions du prévenu acquitté, celui-ci doit en règle générale utiliser les voies de droit contre le jugement ou l’ordonnance en question.
2. La licéité d’un licenciement – de même que les motifs qui l’ont entouré – ne peut pas être remise en question dans le cadre d’une procédure en responsabilité contre la Confédération, si celle-ci a déjà été définitivement tranchée par une autorité judiciaire, dans le cadre d’une précédente procédure.
3. Des faits ne témoignant pas d’un dénigrement systématique qui aurait visé à isoler ou à marginaliser un fonctionnaire sur son lieu de travail ne sauraient être assimilables à un quelconque harcèlement psychologique ou mobbing susceptible d’engager la responsabilité de la Confédération. Tel est le cas d’un dysfonctionnement général ainsi que d’une ambiance de travail délétère au sein d’un service étatique, même si ceux-ci ont contribué à déclencher l’ouverture d’une procédure pénale et de licenciement, avec pour conséquence des répercussions pénibles pour le fonctionnaire lésé.
4. La responsabilité de la Confédération ne saurait être engagée en raison d’un certificat de travail, prétendument négatif, si l’intéressé ne parvient pas à démontrer avoir été pénalisé en raison de la teneur de ce certificat. Indépendamment de son contenu exact et de sa justesse, il y a lieu de constater l’absence de toute responsabilité de la Confédération en raison d’un tel document lorsque le fonctionnaire lésé n’en a jamais demandé la modification auprès du service compétent, ni attaqué une éventuelle décision de refus. Il lui appartient de subir les conséquences de son choix consistant à n’agir, en la matière, qu’en responsabilité au sens de la LRCF.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne
TF 8C_620/2022 du 16 mars 2023
Assurance-accidents; rrais de traitement, prise en charge après la fixation de la rente, âge de référence AVS, interprétation de la norme; art. 10 et 21 al. 1 let. c LAA; 15 OLAA
Il s’agit de déterminer si une personne accidentée invalide à 41 % des suites de l’accident, qui s’est vu reconnaître le droit à des séances de physiothérapie après la fixation de la rente en application de l’art. 21 al. 1 let. c LAA, voit son droit maintenu après qu’elle a atteint l’âge de référence AVS, ou si, au contraire, l’assureur LAA était en droit de mettre un terme à cette prestation à ce moment-là.
Le litige porte sur l’interprétation de la condition du besoin « pour conserver sa capacité résiduelle de gai » posée par l’art. 21 al. 1 let. c LAA. Il s’agit de savoir si cette condition suppose que l’on puisse encore exiger de la personne assurée qu’elle exploite effectivement sa capacité résiduelle de gain, ce qui n’est plus le cas lorsqu’elle a atteint l’âge de référence.
Le TF rappelle dans un premier temps le champ d’application respectif des quatre hypothèses permettant, selon l’art. 21 LAA, de maintenir le droit à la prise en charge de traitements médicaux après que le droit à la rente a été fixé, étant précisé que l’art. 19 LAA prévoit en principe la fin du droit au traitement médical au moment de la fixation de la rente (c. 3.3 et 4). Il mentionne ensuite les différentes affaires dans lesquelles il a eu à juger de situations proches, mais non identiques, aucun précédent n’ayant donc tranché clairement la question (c. 5.1). Il mentionne la maigre littérature à ce sujet, et son caractère controversé (c. 5.2). Il procède ensuite à l’interprétation de l’art. 21 al. 1 let. c LAA.
Le TF constate d’abord que le texte de la loi est clair et qu’il n’exige pas que la personne assurée mette effectivement en œuvre sa capacité de travail résiduelle pour donner droit à la prise en charge du traitement (c. 6.1). Les travaux préparatoires ne sont d’aucune utilité, pas plus que la LAMA qui ne contenait pas de disposition équivalente (c. 6.2).
D’un point de vue systématique, l’art. 21 al. 1 let. c LAA doit être lu en lien avec les art. 18, 19 et 22 LAA. L’octroi de la prise en charge du traitement médical après la stabilisation de l’état de santé est une prestation de durée, qui est en principe protégée au titre de droit acquis. Cette prestation est ainsi comparable à la rente, qui est protégée après l’âge de référence AVS, puisqu’il n’est alors plus possible de la réviser (art. 22 LAA). Si l’on admettait le contraire pour les frais de traitement, cela voudrait dire qu’on aurait des situations dans lesquelles la prise en charge du traitement est supprimée, mais pas le droit à la rente. Les trois autres hypothèses visées par l’art. 21 al. 1 LAA, en particulier par la let. d qui s’adresse aux personnes totalement invalides (100 %), ne prévoient pas la fin du droit au traitement à l’âge de référence ; il serait ainsi étranger de faire de la let. c une exception.
S’agissant de déterminer le sens et le but de la norme, le TF discute différents arguments allant dans les deux sens pour, finalement, juger qu’il serait contradictoire de demander aux personnes ayant atteint l’âge de référence de prouver que si elles avaient été en bonne santé, elles auraient continué de travailler au-delà de cet âge, alors qu’il n’est pas exigé des personnes qui ne l’ont pas encore atteint qu’elles mettent en œuvre leur capacité de travail résiduelle pour avoir droit à la prise en charge du traitement sous l’angle de l’art. 21 al. 1 let. c LAA. L’argument décisif reste cependant le non-sens d’une différence de traitement entre les personnes totalement invalides et les personnes partiellement invalides. Pour les premières en effet, la condition est que le traitement permette le maintien de l’état de santé. En l’absence d’indices permettant de conclure à une claire volonté du législateur de traiter différemment ces deux situations, il n’y a pas lieu de le faire. La prise en charge du traitement médical après la fixation de la rente en application de l’art. 21 al. 1 let. c LAA n’est donc pas limitée à l’âge de référence AVS (c. 6.3.5 et 6.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 8C_120/2023 du 11 octobre 2023
Assurance-accidents; causalité naturelle, expertise médicale; art. 44 LPGA
Une assurée a été victime d’un traumatisme craniocérébral (TCC) lors d’un accident de la route. L’assureur LAA, après avoir consulté un spécialiste en neurologie et ancien médecin de son centre de compétence, met un terme au versement des prestations avec effet au 30 avril 2020, invoquant l’absence de lien de causalité, au-delà de cette date.
Le TF rappelle que lorsqu’un cas d’assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure conforme à l’art. 44 LPGA, l’appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères. Lorsqu’il y a un doute, même minime, sur la fiabilité et la validité des constatations d’un médecin de l’assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (c. 3).
Le TF indique ensuite que la cour cantonale a retenu à juste titre l’existence d’un TCC en se fondant sur le mécanisme de l’accident et un témoignage, sans qu’il soit nécessaire de connaître l’endroit exact où la tête de l’assurée avait heurté le véhicule (c. 5.2.2). A cet égard, il écarte l’avis du médecin consulté par l’assureur LAA pour différents motifs d’ordre factuels.
S’agissant du lien de causalité, le TF relève que l’avis du médecin consulté par l’assureur LAA ne convainc pas non plus, pour les mêmes motifs. Malgré cela, les objections du médecin de l’assurance au sujet du rapport d’un autre médecin sont suffisantes pour justifier une expertise pluridisciplinaire.
La cause est ainsi renvoyée à l’assureur LAA pour la mise en place d’une expertise.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève
TF 8C_610/2022 du 13 septembre 2023
Assurance-chômage; gain assuré, taux de placement, gain intermédiaire; art. 23 et 24 LACI; 41a OACI
Engagé à 50% en qualité de joueur de hockey professionnel pour un revenu de CHF 100’000.- par an, un assuré travaillait en sus à 50% pour un salaire de CHF 26’325.- par an. Ayant démissionné de ce dernier emploi, il a sollicité l’indemnisation de sa perte de gain auprès de la caisse de chômage, indiquant qu’il cherchait désormais une activité à 40%. La caisse de chômage a refusé d’allouer ses prestations au motif que l’assuré ne subissait aucune perte de gain. Saisi d’un recours de l’assuré, le TF a confirmé le refus du droit aux prestations.
Est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS qui est obtenu normalement au cours d’un ou de plusieurs rapports de travail durant une période de référence, y compris les allocations régulièrement versées et convenues contractuellement, dans la mesure où elles ne sont pas des indemnités pour inconvénients liés à l’exécution du travail (art. 23 al. 1, 1re phrase, LACI). Le gain assuré doit encore être adapté au « taux de placement », respectivement à la disponibilité de la personne assurée sur le marché du travail, et éventuellement réduit en conséquence (c. 3.3).
Selon l’art. 24 al. 1 LACI, est réputé intermédiaire tout gain que le chômeur retire d’une activité salariée ou indépendante durant une période de contrôle. La personne assurée qui perçoit un gain intermédiaire a droit à la compensation de la perte de gain. Est réputée perte de gain la différence entre le gain assuré et le gain intermédiaire, ce dernier devant être conforme, pour le travail effectué, aux usages professionnels et locaux (art. 24 al. 3 LACI). Selon l’art. 41a al. 1 OACI, lorsque la personne assurée réalise un revenu inférieur à son indemnité de chômage, il a droit à des indemnités compensatoires pendant le délai-cadre d’indemnisation (c. 3.4).
Selon l’art. 16 al. 2 let. i LACI, n’est pas réputé convenable tout travail qui procure à la personne assurée une rémunération qui est inférieure à 70% du gain assuré, sauf si celle-ci touche des indemnités compensatoires conformément à l’art. 24 (gain intermédiaire). La jurisprudence a précisé que tant qu’une personne assurée a droit à des indemnités compensatoires en vertu de l’art. 24 al. 4 LACI, le seuil du travail convenable se situe à 70% ou 80% du gain assuré (selon le taux d’indemnisation applicable). Pour déterminer si la limite de 70% ou 80% du gain assuré est atteinte (seuil réputé convenable), il faut prendre en compte les revenus de tous les rapports de travail. Les revenus de plusieurs activités exercées à temps partiel sont ainsi cumulés pour l’examen de la prétention à la compensation de la perte de gain. Une prétention aux indemnités compensatoires n’existe que si le revenu global de la personne assurée demeure inférieur à l’indemnité de chômage à laquelle elle pourrait prétendre (ATF 127 V 479 c. 4a). Il s’ensuit qu’une perte de gain ne dépassant pas 20% ou 30% du gain assuré n’ouvre pas droit à l’indemnité puisqu’elle reste dans les normes du travail convenable selon l’art. 16 LACI (c. 5.3).
Il découle de ce qui précède que si une personne assurée a perdu l’un de ses emplois à temps partiel et continue d’exercer une ou plusieurs autre(s) activité(s) à temps partiel, il convient, pour déterminer si elle a droit à l’indemnisation de sa perte de gain, de comparer le revenu mensuel brut qu’elle réalise malgré son chômage partiel (revenu provenant d’une ou de plusieurs autres activités à temps partiel) avec l’indemnité de chômage à laquelle elle aurait droit si elle n’était pas au chômage partiel mais si elle était totalement sans emploi (c. 5.4).
En l’espèce, le revenu mensuel brut réalisé par le recourant dans son activité de hockeyeur est de CHF 8'333,33, ce qui correspond à un gain journalier brut de CHF 384.- (CHF 8'333,33/21,7). Quant à l’indemnité journalière que toucherait le recourant en cas de chômage complet dans les limites de sa disponibilité, il est obtenu en multipliant le gain assuré (total réalisé par le recourant dans ses deux activités à temps partiel) de CHF 10'527.- par 70% ou 80% (selon le taux d’indemnisation entrant en ligne de compte en l’espèce ; art. 22 LACI) puis en divisant le montant obtenu par 21,7 (art. 40a OACI). Il convient encore de réduire ce montant au prorata du taux de placement global du recourant, à savoir 90% (50% dans l’activité de hockeyeur + 40% dans une nouvelle activité), ce qui donne une indemnité journalière de CHF 349,30 par jour (90% x [80% x CHF 10'527.-] / 21,7) pour un taux d’indemnisation de 80% (art. 22 al. 1 LACI), respectivement de CHF 305,60 par jour (90% x [70% x CHF 10'527.-]/21,7) pour un taux d’indemnisation de 70% (art. 22 al. 2 LACI).
Dès lors que le gain journalier brut du recourant dans son activité de hockeyeur (CHF 384.-) est supérieur à l’indemnité journalière qu’il percevrait en cas de chômage complet (CHF 349,30), l’activité encore exercée à temps partiel est réputée convenable eu égard au salaire perçu et il n’y a dès lors pas de place pour la prise en considération d’un gain intermédiaire, respectivement pour la compensation de sa perte de gain (art. 24 LACI).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne
TF 9C_259/2023 du 18 septembre 2023
Assurance-maladie; Polypragmasie, méthode anova, critères justifiant des coûts plus élevés, dépens; art. 59 al. 1 let b LAMal; 68 al. 3 LTF
Un pédiatre interjette un recours au TF contre un jugement du Tribunal arbitral de Bâle-Campagne le condamnant à la restitution de ses honoraires à hauteur de CHF 877'646.- pour la période allant de 2013 à 2016 et lui adressant un avertissement.
Dans cet arrêt, le TF confirme l’applicabilité de la méthode statistique de l’analyse de la variance (anova) comme méthode de contrôle du caractère économique des prestations médicales LAMal (c. 3.2 et 3.3).
Il procède ensuite à l’examen du caractère économique de l’activité du recourant selon ladite méthode rappelant, dans un premier temps, que la jurisprudence reconnaît comme caractéristiques atypiques d’un cabinet justifiant une moyenne plus élevée des coûts par cas, entre autres, un grand nombre de patients de longue date, un grand nombre de patients âgés, un nombre de visites à domicile supérieur à la moyenne, une très forte proportion de patients étrangers et le fait de ne pas traiter de patients en urgence (c. 5.2).
Dans le cas d’espèce, le TF confirme le jugement cantonal qui considère que le nombre élevé de patients adultes est une particularité du cabinet qui augmente la valeur de tolérance pour un cabinet de pédiatrie (150 points). Il nie d’autres particularités du cabinet augmentant la valeur de tolérance, notamment le nombre élevé de patients atteints de tuberculose ainsi qu’un nombre de patients étrangers élevé, du fait que le recourant maîtrise les langues parlées par une grande partie de ses patients issus de l’immigration (c. 5.6).
Finalement, le TF considère qu’il n’y a pas lieu d’allouer de dépens aux vingt-deux assureurs LAMal intimés. Après avoir rappelé que les assurances qui garantissent l'assurance obligatoire des soins sont des organisations chargées de tâches de droit public au sens de l'art. 68 al. 3 LTF, il relève qu’il ne se justifie plus de s’en tenir à la jurisprudence publiée qui dérogeait à l’art. 68 al. 3 LTF. Notre Haute Cour considère ainsi que la complexité des questions juridiques qui se posent et une éventuelle surcharge des organisations chargées de tâches publiques ne suffisent plus à justifier une dérogation à l'art. 68 al. 3 LTF (c. 7).
Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat
TF 9C_340/2023 du 4 octobre 2023
Prestations complémentaires; procédure, procédure judiciaire, compétence à raison du lieu, entrée en force matérielle et formelle, conflit de compétence, délai de recours, dies a quo; art. 100 al. 5 LTF; 58 LPGA; 21 LPC
Le TF rappelle qu’en matière de PC, la compétence territoriale pour la procédure administrative (interne) est déterminée uniquement par l’art. 21 LPC. Selon cette disposition, c’est le canton dans lequel la personne est domiciliée qui est compétent pour statuer sur la demande de PC et pour verser les prestations. L’entrée en home ne fonde pas de nouveau domicile. Depuis début 2021, ce canton reste compétent même si la personne assurée fonde un nouveau domicile dans un autre canton (art. 21 al. 1quater LPC). La compétence territoriale pour la procédure judiciaire, en revanche, est déterminée conformément à l’art. 58 LPGA. C’est donc le canton dans lequel la personne est civilement domiciliée au moment du dépôt du recours qui est compétent (c. 5.2.1).
Conformément à l’art. 100 al. 5 LTF, en cas de conflit de compétences entre deux cantons, le délai de recours ne commence à courir qu’à partir du moment où les deux cantons ont statué en rendant un jugement contre lequel le recours au TF est ouvert. Le premier jugement rendu est attaqué avec le second et n’entre en force qu’en même temps que lui. En l’espèce, la recourante n’avait attaqué ni le premier (canton de Glaris), ni le second arrêt (canton de Zurich) refusant d’entrer en matière.
Le TF examine en conséquence si l’arrêt zurichois (le second arrêt) est formellement entré en force. Il parvient à la conclusion que non, car dans l’intervalle, le domicile civil de l’assurée avait été définitivement fixé, dans le canton de Zurich, et il n’y avait dès lors plus de conflit de compétence. La procédure zurichoise ayant perdu tout objet, l’arrêt du tribunal cantonal des assurances (non entrée en matière) n’est pas entré en force ; ce dernier aurait dû, selon le TF, revenir d’office sur sa décision de non entrée en matière (c. 5.2.4 et 5.2.5).
Cela ne vaut toutefois, selon le TF, que si le jugement n’a pas acquis matériellement la force de chose jugée. En l’espèce, ce n’est pas le cas car le tribunal qui se tient pour incompétent doit transmettre l’affaire au tribunal qu’il estime être compétent ; il peut le faire de manière informelle ou en rendant une décision de non entrée en matière. Dans les deux cas, sa décision ne peut pas acquérir autorité de chose jugée avant que le second tribunal ne se soit prononcé (c. 5.3).
En définitive, une décision de non entrée en matière pour incompétence, à raison du lieu, rendue en application de l’art. 58 LPGA ne peut pas entrer formellement en force tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas de conflit de compétence, ou qu’un autre tribunal n’a pas statué à son tour. Elle n’entre pas non plus matériellement en force.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 4A_279/2023 du 14 septembre 2023
Assurances privées; indemnités journalières maladie LCA, faillite, prétentions frauduleuses; art. 40 LCA
En raison d’une incapacité de travail, un assuré perçoit des indemnités journalières perte de gain maladie LCA. A la suite d’une surveillance, l’assureur constate que ses capacités physiques, notamment sa mobilité, sont nettement meilleures que celles décrites dans les certificats médicaux qui lui ont été transmis. Invoquant l’art. 40 LCA concernant les prétentions frauduleuses, il met un terme au contrat d’assurance et au versement des indemnités journalières. Le 3 février 2021, l’assureur ouvre action en restitution d’un montant de CHF 47'316,30 correspondant aux indemnités journalières versées à tort, ainsi qu’en paiement d’un montant de CHF 7'914,25 relatif aux frais de surveillance. L’assuré conclut au rejet de la demande et, à titre reconventionnel, au paiement du solde des indemnités journalières à hauteur de CHF 24'881,90. Le 28 avril 2022, une procédure de faillite est ouverte à l’encontre de l’assuré. En date du 12 octobre 2022, l’administration de la faillite reconnait la créance de l’assureur en la cataloguant en 3e classe. Par décision du 26 avril 2023, le tribunal cantonal procède, compte tenu de la reconnaissance précitée, à la radiation de la cause du rôle et condamne l’assuré à verser des intérêts sur les sommes réclamées par l’assureur. La demande reconventionnelle est, quant à elle, rejetée. Le TF est saisi d’un recours déposé par l’assuré à l’encontre de ce jugement.
Le TF rappelle que, sauf dans les cas d’urgence, les procès civils auxquels le failli est partie et qui influent sur l’état de la masse en faillite sont suspendus (art. 207 al. 1, 1ère phrase LP). Si le procès n’est continué ni par la masse ni par les créanciers autorisés à le faire (art. 260 LP), la prétention produite est considérée comme reconnue et est inscrite de façon définitive à l’état de collocation (art. 63 al. 2 OAOF ; c. 2.2.1). Dans ce cas, la collocation définitive de la créance réclamée en justice rend sans objet la procédure judiciaire dirigée contre le failli, la cause devant être radiée du rôle.
A l’appui de son recours, l’assuré requiert du TF de clarifier la portée du dispositif cantonal en indiquant que la reconnaissance de la créance par la masse en faillite n’a d’effets qu’en application de l’art. 64 al. 1 OAOF et ne constitue pas une reconnaissance de dette au sens de l’art. 82 LP. Il soutient ainsi que la décision rendue par l’instance cantonale constituerait en réalité un titre à la mainlevée définitive portant sur une somme que lui-même n’avait pas reconnue (c. 2.4). Le TF écarte le grief en relevant que l’instance cantonale n’a pas condamné le recourant au paiement des sommes réclamées par l’assureur, mais a fixé le point de départ des intérêts compte tenu, vraisemblablement, de l’imprécision de l’action en paiement (les intérêts ayant été réclamés « seit wann rechtens » par l’assureur). Les juges fédéraux rappellent, en outre, qu’il n’appartient pas au TF d’interpréter le dispositif d’un jugement cantonal, pas plus que de préciser les conséquences de l’inscription de la créance à l’état de collocation au sens de l’art. 63 al. 2 OAOF (c. 2.5).
Dans un second moyen, le recourant critiquait l’application de l’art. 40 LCA et le rejet de sa demande reconventionnelle. Les juges fédéraux précisent que les conditions de l’art. 40 LCA étaient remplies dans le cas d’espèce, et rappellent ainsi qu’il importe peu de savoir que les prestations d'assurance avaient été versées par l’assureur sur la base d'attestations médicales et non directement sur des déclarations faites par l’assuré à l’assureur. En effet, les médecins dépendent largement des informations fournies par leurs patients (c. 3.2.3). Or, le recourant avait fourni des informations incorrectes à ses médecins traitants concernant ses limitations médicales. Son intention était ainsi de continuer à percevoir des indemnités journalières sur la base d'une incapacité totale de travail. Les conditions de l'article 40 LCA étaient dès lors remplies et le recours est rejeté (c. 3.2.2 et 3.2.3).
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains
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