TF 6B_208 et 209/2021 du 29 mars 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles simples par négligence, devoir de diligence, faute dans l’acceptation d’une tâche acceptation du risque, entrave à la circulation publique; art. 125 al. 1 et 237 CP
Lors d’un vol d’examen de parapente en tandem, dans la phase d’approche transversale en vue de l’atterrissage, A. a freiné fortement en tirant sur les deux drisses de frein, puis sur celle actionnant le frein gauche, et a provoqué le décrochage puis la chute du parapente. Le passager B. a subi des lésions. A. a été reconnu coupable de lésions corporelles simples par négligence. Il a cependant été acquitté du chef d’accusation d’entrave à la circulation publique. A. et le Ministère public de la Confédération recourent au TF.
Se référant au jugement cantonal, le TF rappelle que pour déterminer l’étendue de la diligence à observer lors d’un vol plané en tandem, il y a lieu de se référer tout d’abord aux dispositions légales relatives à l’aviation, en particulier à l’ordonnance du DETEC du 24 novembre 1994 sur les aéronefs de catégories spéciales (OACS), à l’ordonnance du DETEC du 20 mai 2015 concernant les règles de l’air applicables aux aéronefs (ORA), à l’ordonnance du 22 janvier 1960 sur les droits et obligations du commandant de bord d’un aéronef (OCdt), aux directives de la Fédération suisse de vol libre (FSVL) du 1er septembre 2015 concernant l’examen d’aptitude pour pilotes de biplace en parapente niveau 1, aux documents théoriques remis pour l’examen et aux connaissances et aptitudes personnelles du pilote. En outre, conformément à l’art. 5a OACP, les dispositions de l’annexe du règlement d’exécution (UE) n° 923/2012 de la Commission européenne du 26 septembre 2012 (Standardised European Rules of the Air, SERA) sont applicables (c. 3.2).
Le TF rappelle ensuite qu’agit par négligence celui qui, par imprévoyance coupable, n’a pas réfléchi aux conséquences de son comportement ou n’en a pas tenu compte. L’imprévoyance est coupable lorsque l’auteur n’a pas pris les précautions auxquelles il était tenu en raison des circonstances et de sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP). Un comportement est considéré comme imprudent si, au moment de l’infraction, l’auteur aurait pu et dû reconnaître la mise en danger des intérêts juridiques de la victime sur la base des circonstances ainsi que de ses connaissances et compétences et s’il a en même temps dépassé les limites du risque autorisé. Lorsque des normes particulières de prévention des accidents et de sécurité imposent un certain comportement, la mesure de la diligence à observer se détermine en premier lieu d’après ces prescriptions. En l’absence de telles règles, le reproche de négligence peut se baser sur des règles de comportement généralement reconnues d’associations privées ou semi-privées ou sur des principes généraux de droit tels que le devoir de prudence face à une situation dangereuse. La prudence à laquelle un auteur est tenu est finalement déterminée par les circonstances concrètes et sa situation personnelle. L’imprévoyance coupable peut également être fondée sur le fait pour le prévenu d’accepter d’accomplir une tâche qu’il n’est manifestement pas en mesure d’accomplir en raison de sa situation personnelle, notamment de sa formation (Übernahmeverschulden). Dans ce cas, la violation de la diligence ne réside pas dans le fait que le prévenu se comporte de manière imprudente et contraire à ses devoirs dans le cadre d’une activité, mais plutôt dans le fait qu’il exerce cette activité alors qu’il aurait pu se rendre compte qu’il n’était pas à la hauteur (c. 3.3).
En l’espèce, le recourant A. affirme qu’au moment de l’accident, il ne pouvait pas se rendre compte de sa vitesse trop basse en raison des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités encore insuffisantes en tant que pilote biplace. Ce serait en effet lors de l’examen pratique qu’il serait possible de vérifier si le sentiment de vol, en particulier en lien avec la vitesse minimale, est suffisamment développé. Le TF relève que dans la mesure où le recourant fait valoir qu’il n’était pas (encore) en mesure d’évaluer la vitesse de vol adéquate en raison de son manque d’expérience, on peut, contrairement à son opinion, lui imputer une faute ou une négligence (Übernahmeverschulden). En effet, il n’est pas contesté que l’apprentissage du vol en zone de vitesse de sécurité et la problématique de la vitesse minimale de vol font l’objet d’une formation théorique et pratique dans le cadre de la formation de pilote solo et tandem. Selon les explications non contestées de l’expert, chaque candidat est conscient du fait qu’un examen sera interrompu et considéré comme échoué au moindre signe de décrochage. Le vol d’examen est en outre le premier vol du candidat sous sa propre responsabilité, au cours duquel il n’existe en principe pas de liaison radio avec un instructeur de vol. Le candidat assume donc (pour la première fois) seul une grande partie de la responsabilité d’un passager, ce qui rend essentielle la garantie d’une expertise aéronautique suffisante. En outre, conformément au ch. 4.1.3. des directives FSVL, les candidats à l’examen confirment, par leur signature sur le procès-verbal d’examen remis avant celui-ci, qu’ils ont pris connaissance des directives FSVL et qu’ils s’estiment prêts à passer l’examen. Une inscription à l’examen ne doit donc avoir lieu que lorsqu’un candidat est convaincu d’avoir les capacités nécessaires pour passer l’examen – dont fait partie, selon les directives FSVL, l’atterrissage. Le vol d’examen ne semble en effet pas approprié pour « tester » le niveau de formation actuel du pilote. Le recourant ne peut donc pas, après avoir confirmé de manière expresse qu’il était prêt à passer l’examen, se disculper d’une erreur de vol telle que celle commise en l’espèce en faisant référence à son inexpérience ou à son sens du vol insuffisamment développé. Avant de s’inscrire à l’examen, il aurait dû s’assurer qu’il disposait des compétences aéronautiques nécessaires pour passer l’examen en toute sécurité, et il doit se voir imputer son manque d’expérience de vol (c. 3.4).
Le recourant A. soutient ensuite que le passager B. aurait délibérément consenti à une situation de risque accru. Le TF rappelle que pour délimiter les risques illicites des risques encore autorisés dans le sport, il faut se référer aux règles du jeu applicables à la compétition en question. Les différentes approches proposées dans la doctrine ont en commun le fait qu’en cas de réalisation du risque de base spécifique à la discipline sportive, il convient de renoncer à une sanction pénale. Toutefois, plus les règles servant à la protection physique des joueurs sont violées de manière flagrante, moins on peut parler de la réalisation d’un risque spécifique au jeu et plus la responsabilité pénale du joueur devient envisageable. S’agissant du parapente, il n’y a pas de « règles du jeu », mais les bases légales pertinentes rappelées ci-dessus s’appliquent. En particulier, le ch. 3101 SERA stipule qu’un aéronef ne doit pas être exploité d’une façon négligente ou imprudente pouvant entraîner un risque pour la vie ou les biens de tiers. Conformément à l’art. 6 al. 1 OCdt, le commandant est tenu de prendre, dans les limites des prescriptions légales, des instructions données par l’exploitant de l’aéronef et des règles reconnues de la navigation aérienne, toutes les mesures propres à sauvegarder les intérêts des passagers, de l’équipage, des ayants droit à la cargaison et de l’exploitant de l’aéronef. Les points 4.1.1 à 4.1.5 des directives FSVL définissent les conditions objectives et subjectives à remplir avant de se présenter à l’examen pratique. En outre, le principe est qu’un expert peut interrompre un examen à tout moment si un candidat est manifestement insuffisamment préparé ou s’il met en danger sa sécurité ou celle de tiers (ch. 4.10 des directives FSVL). Ces normes et règles peuvent être prises en compte pour l’évaluation des risques typiques de la discipline sportive in casu. En omettant de respecter une vitesse minimale adéquate, le recourant a mis en danger la santé et la sécurité de son passager, en violation des prescriptions susmentionnées. Il s’ensuit qu’une erreur d’appréciation de la vitesse n’est pas un simple écart mineur par rapport aux règles reconnues de l’art du vol. Il ne s’agit donc pas de la concrétisation d’un risque typique de la discipline dans le cadre de vols d’examen en parapente, sous la forme d’une légère infraction aux règles de l’art du vol, dont le passager B. aurait éventuellement dû se voir imputer la responsabilité (c. 3.5).
Le TF examine ensuite la question de savoir si un vol en parapente en tandem peut être considéré comme une infraction au sens de l’art. 237 CP (entrave à la circulation publique). Après un rappel très détaillé de l’évolution de la jurisprudence et des avis de doctrine en la matière, le TF revient sur sa jurisprudence actuelle et renoue avec sa jurisprudence initiale en retenant que la personne mise en danger ou lésée au sens de l’art. 237 CP doit représenter la collectivité et, dans ce but, l’identité de la victime concrètement mise en danger ou lésée ne doit dépendre que du hasard. C’est cette atteinte supra-individuelle de la collectivité qui légitime la pénalisation supplémentaire d’un comportement qui met en danger ou porte atteinte aux intérêts juridiques individuels. En d’autres termes, la victime au sens de l’art. 237 CP ne peut être que l’usager de la circulation publique qui est touché par hasard par la mise en danger de l’auteur et qui représente ainsi la collectivité par rapport à l’auteur. En l’occurrence, B. s’est délibérément rendu disponible en tant que passager, si bien qu’il ne peut pas être considéré comme une personne atteinte par hasard par le danger spécifique que représente la circulation publique. Par rapport au pilote du parapente, B. ne représente pas la « collectivité ». Une condamnation pour entrave à la circulation publique n’entre donc pas en ligne de compte (c. 5.2).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne
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