NLRCAS Février 2021
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 6B_181/2020 du 21 décembre 2020
Responsabilité aquilienne; tort moral, seuil de gravité, méthode des deux phases; art. 47 CO
L’octroi d’une indemnité au sens de l’art. 47 CO implique que des circonstances particulières soient réunies. Seules les lésions physiques, les douleurs et les limitations en résultant, leurs répercussions, notamment dans le temps, sur l’état psychique, ainsi que les modifications induites sur la vie professionnelle et personnelle du recourant, constituent des critères pertinents pour déterminer la quotité du tort moral. La question, purement juridique, de la qualification pénale de l’infraction commise par le tiers responsable, n’est quant à elle pas pertinente (c. 3.2).
Lorsque l’état antérieur de la victime n’est pas un simple facteur très secondaire dans l’évolution de son état à la suite de l’accident, une réduction de l’indemnité au motif de l’existence d’une prédisposition constitutionnelle n’est pas critiquable dans son principe, en particulier lorsque le responsable n’a commis qu’une faute légère (c. 3.3).
Pour fixer le montant de l’indemnité pour tort moral, le droit fédéral n’impose pas de doubler le montant de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité au sens de la LAA. La méthode des deux phases ne fournit qu’une valeur indicative. Dans le cas d’espèce, le montant arrêté par les premiers juge apparaît par ailleurs soutenable, même au regard de cette méthode, compte tenu des facteurs de réduction à prendre en compte (c. 3.5).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 4A_197/2020 du 10 décembre 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage, moment du calcul, décision de renvoi, intérêts moratoires, répartition des frais; art. 42 al. 2 CO
Il s’agit en l’espèce d’une action en responsabilité civile régie par l’ancienne procédure civile cantonale, qui permet de condamner la partie défenderesse à supporter l’intégralité des frais de procédure lorsque les conclusions de la demande ne peuvent être chiffrées de manière précise. Le TF confirme que la pratique connaît ce principe aussi en application de l’art. 42 al. 2 CO (c. 4.3).
Le TF rappelle aussi les effets contraignants de la décision de renvoi pour l’autorité cantonale qui ne peut se saisir de novas que si le droit procédural le permet. Le renvoi par le TF de la cause à l’instance cantonale peut impliquer un calcul du dommage à une autre date. L’objet de la décision de renvoi ne peut cependant être ni étendu, ni se fonder sur une nouvelle base juridique. La partie qui a obtenu gain de cause en instance de recours ne peut donc, dans la nouvelle procédure cantonale, subir une aggravation de sa position juridique. Il ne s’agit pas d'une question d’autorité de chose jugée au sens strict, mais plutôt d’une question de caractère contraignant de la décision de renvoi.
En l’espèce, le dommage ménager ne pouvait être calculé, au jour du dernier jugement cantonal, sur de nouvelles bases de calcul, en l’absence de renvoi sur cet objet. De la même manière, l’intérêt moratoire court à la date du premier jugement cantonal pour les sommes non contestées ou confirmées par le TF.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
TF 6B_1288/2019 du 21 décembre 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; procédure, preuves interdites ou obtenues illlgalement; art. 140 et 141 CPP
L’objet du litige a trait à la possibilité d’utiliser un enregistrement vidéo réalisé au moyen d’un système de vidéosurveillance installé à la synagogue de la Communauté juive de Bâle, qui enregistre l’intersection où la quasi-collision entre l’automobiliste recourant et une cycliste s’est produit.
Le TF rappelle que les preuves obtenues en violation de l’art. 140 CPP ne peuvent en aucun cas être exploitées (art. 141 al. 1 CPP) ; les preuves administrées d’une matière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (art. 141 al. 2 CPP). L’application de l’art. 141 al. 2 CPP suppose une pesée des intérêts : plus l’infraction à juger est grave, plus il est probable que l’intérêt public à établir la vérité l’emporte sur l’intérêt privé de l’accusé à ce que les preuves en question ne soient pas exploitées. Pour déterminer si une infraction grave a été commise au sens de l’art. 141 al. 2 CPP, est déterminante non pas la sanction abstraite encourue, mais la gravité de l’acte concret (c. 2.1).
La Communauté juive de Bâle est une collectivité publique ; à ce titre, elle est une autorité cantonale au sens des art. 194 al. 2 et 44 CPP et est donc tenue de fournir une assistance juridique. Toutefois, le ministère public ne peut se soustraire à l’obligation de recueillir légalement des preuves en faisant appel à l’assistance d’autres organes de l’Etat, étant rappelé que ceux-ci demeurent tenus par les principes de l’art. 5 Cst. et doivent respecter les droits fondamentaux (c. 2.2).
La vidéosurveillance touche le droit à la vie privée au sens de l’art. 13 Cst. Cette disposition protège les aspects les plus divers de la vie privée, avec ses formes spécifiques de menace. Elle comprend notamment, selon son alinéa 2, la protection contre l’utilisation abusive de données à caractère personnel. Ce droit à l’autodétermination en matière d’information garantit qu’en principe, indépendamment du degré de sensibilité réel des informations en question, toute personne doit pouvoir se déterminer, vis-à-vis d’un traitement des informations la concernant (qu’il soit étatique ou privé) si et dans quel but celles-ci seront traitées. Le TF a jugé à plusieurs reprises que la conservation et le traitement de données d’identification, qui comprennent également les enregistrements vidéo, portent atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’autodétermination en matière d’information. Comme d’autres droits fondamentaux, l’autodétermination en matière d’information peut être limitée sur la base et selon les critères définis à l’art. 36 Cst. (exigence d’une base légale, existence d’un intérêt public ou d’une protection des droits fondamentaux de tiers, respect de la proportionnalité). Afin de satisfaire aux garanties de l’art. 13 Cst., le TF exige que la collecte et la conservation systématiques des données soient assorties de garanties juridiques adéquates et efficaces pour prévenir les abus et l’arbitraire. A cet égard, la sauvegarde de l’ordre et de la sécurité publics ne saurait justifier une surveillance illimitée (c. 2.3).
Dans le cas d’espèce, l’enregistrement vidéo a été fait contrairement à la législation cantonale applicable et est, par conséquent, illégal (c. 2.5). Le recourant n’est accusé d’aucune infraction grave : avoir ignoré le marquage d’un passage pour piétons et ne pas avoir prêté garde à une cycliste par manque de prudence et d’attention (sans qu’il y ait eu collision et sans que les constatations médicales aient pu être mises en lien avec son comportement) ne constituent pas des infractions graves au sens de l’art. 141 al. 1 CPP. C’est donc à tort que la juridiction inférieure a considéré que l’enregistrement vidéo était utilisable. Le recours contre la condamnation de l’automobiliste recourant est donc admis.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg
TF 8C_118/2020 du 5 octobre 2020
Assurance militaire; moyen auxiliaire, acquisition d’un véhicule, changement de pratique; art. 21 et 39 al. 3 LAM
Un véhicule est utilisé par un assuré ayant subi un accident pendant son école de recrue en 1993, ce qui a entraîné une amputation de la cuisse et la mise en place d’une prothèse. La rétribution versée pour l’acquisition et l’emploi de sa voiture a été drastiquement diminuée.
Sous réserve de la remise de moyens auxiliaires (art. 21), l’assuré a droit au remboursement des frais supplémentaires dus à son invalidité, pour se rendre au travail et en revenir ou pour exercer sa profession (art. 39 al. 3 LAM). L’art. 21 al. 5 LAM dispose que l’assurance militaire alloue également des contributions pour les frais d’adaptation d’appareils et d’immeubles pour autant que l’affection assurée rende nécessaire cette adaptation en vue de développer l’autonomie personnelle de l’assuré ou de lui faciliter l’exercice de son activité professionnelle. Quant à l’al. 6 de cette disposition, il prévoit que si l’emploi, l’entraînement à l’utilisation, les réparations d’un moyen auxiliaire ou d’une installation, selon l’al. 5, occasionnent d’importantes dépenses à l’assuré, celles-ci sont alors prises en charge par l’assurance militaire. Contrairement à ce qu’expose la SUVA militaire, l’al. 6 vaut alternativement pour les moyens auxiliaires et les installations de l’al. 5 et non seulement pour ces dernières. En revanche, les frais de prise en charge demeurent limités par l’art. 21 al. 2 2e phrase LAM qui dispose que lorsqu’un moyen auxiliaire lui est remis en remplacement d’objets qui auraient dû être également acquis même sans l’affection dont il est atteint, l’assuré peut être tenu de participer aux frais (c. 5).
La SUVA militaire a changé sa pratique en relation avec la prise en charge des frais de véhicule, ce qui entraîne en l’espèce une diminution drastique de la prise en charge. Ce changement de pratique se fonde sur des motifs solides et sérieux, de sorte qu’il est admissible (c. 6).
Le TF estime encore que les déplacements à la salle de sport et à des séances de comité ne peuvent entrer que dans le cadre de l’art. 21 al. 1 let. e (déplacements) et g (contacts avec l’entourage) LAM. Ces frais ne sont pas indemnisés en sus de la prise en charge des frais d’adaptation de la voiture elle-même (c. 9).
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg
TF 9C_791/2019 du 9 novembre 2020
Allocations pour perte de gain; étudiant, service long, calcul de l’allocation journalière; art. 4 RAPG
Les personnes qui effectuent un service dans l’armée suisse ou dans le service de la Croix-Rouge ont droit à une allocation pour chaque jour de solde (art. 1a LAPG). A teneur de l’art. 9 al. 1 LAPG, durant le recrutement, l’école de recrues et l’instruction de base, les personnes qui accomplissent leur service sans interruption (personnes en service long) ont droit à une allocation journalière de base qui s’élève à 25 % du montant maximal de l’allocation totale. Après l’instruction de base, l’allocation pour les personnes en service long se détermine selon l’art. 10 al. 1 RAPG, soit à 80 % du revenu moyen acquis avant le service. Sont des personnes avec activité lucrative au sens de cette disposition les personnes qui ont exercé une telle activité pendant au moins quatre semaines au cours des douze mois précédant l’entrée en service (art. 1 al. 1 RAPG). Sont assimilés aux personnes exerçant une activité lucrative : les chômeurs, les personnes qui rendent vraisemblable qu’elles auraient entrepris une activité lucrative de longue durée si elles n’avaient pas dû entrer en service, les personnes qui ont terminé leur formation professionnelle immédiatement avant d’entrer en service ou qui l’auraient terminée pendant le service (art. 1 al. 2 RAPG).
Selon l’art. 4 al. 1 RAPG, l’allocation est calculée sur la base du dernier salaire déterminant acquis avant l’entrée en service. Pour les personnes qui rendent vraisemblable que, durant le service, elles auraient entrepris une activité salariée de longue durée ou gagné sensiblement plus qu’avant d’entrer en service (art. 1 al. 2 let. b RAPG), l’allocation est calculée d’après le revenu qu’elles ont perdu (art. 4 al. 2 RAPG).
Le cas d’espèce concernait un étudiant qui avait terminé sa maturité gymnasiale en juin 2018 avant de se lancer dans son école de recrue puis son service militaire long, du 27 octobre 2018 au 17 avril 2019. Il n’est plus litigieux qu’il ne peut pas être considéré comme ayant exercé une activité lucrative au sens de l’art. 1 al. 1 RAPG, ni comme une personne ayant terminé une formation professionnelle au sens de l’art. 1 al. 2 let c RAPG pour calculer le montant de l’allocation journalière durant le service long.
Demeure seule litigieuse la qualification au sens de l’art. 1 al. 1 let b RAPG pour pouvoir prétendre à des allocations journalières basées sur un salaire mensuel hypothétique. Le but de cette disposition est de ne pas défavoriser les personnes qui ne peuvent pas prendre un emploi en raison de leur service militaire et qui rendent vraisemblables qu’elles auraient exercé une activité durable sans le service militaire. La jurisprudence admet une activité de longue durée au sens de cette disposition en cas d’activité de durée indéterminée ou d’une durée minimale d’une année. Pour juger si l’étudiant entre dans les cas de l’art. 1 al. 2 let. b RAPG, on doit uniquement examiner s’il est vraisemblable qu’il aurait exercé une activité lucrative de longue durée s’il n’avait pas fait le service militaire. L’argument qu’il aurait obtenu une allocation plus élevée s’il avait fait son service à l’issue de ses études supérieures en 2024 n’est pas relevant.
L’attestation d’une entreprise, selon laquelle elle aurait employé l’étudiant durant dix mois entre juin 2018 et avril 2019 ne suffit pas à rendre vraisemblable une activité de longue durée au sens de l’art. 1 al. 2 let b RAPG, même si le tribunal devait retenir, comme le demande l’étudiant, une activité de 6 jours sur 7, qui correspondrait à un emploi de 5 jours sur 7 d’une année. L’étudiant n’établit pas non plus pourquoi il aurait dû interrompre ses études, s’il n’avait pas fait le service militaire, pour gagner temporairement de l’argent, alors qu’il n’a pas eu à le faire durant la période gymnasiale. Par conséquent, le recours de l’étudiant est rejeté.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne
TF 8C_468/2020 du 27 octobre 2020
Assurance-chômage; refus d’un travail convenable et/ou violation de l’obligation de réduire son dommage, suspension du droit à l’indemnité; art. 30 al. 1 let. d LACI
Le TF expose les faits de la cause comme il suit. Par e-mail à l’assuré A., daté du 1er avril 2019, le collaborateur C., de l’entreprise privée de placement B. SA, a fait savoir à A. qu’il avait reçu de l’Office régional de placement de l’assurance-chômage (ORP) les données le concernant, qu’il était prêt à discuter avec lui de ses expériences professionnelles, et qu’il le priait donc, n’ayant pas réussi à le joindre par téléphone, de le rappeler. Parallèlement, par e-mail du même jour, C. a indiqué à l’ORP qu’il avait, depuis un certain temps déjà, cherché à contacter A., sans succès, et qu’il était toutefois prêt à placer A., et désireux que l’ORP enjoigne celui-ci de le contacter aussi rapidement que possible. De son côté, A. a, le 1er avril 2019 toujours, répondu à C. qu’il était prêt à lui envoyer un curriculum vitae avec un descriptif de ses capacités, mais que, compte tenu des mauvaises expériences qu’il avait faites dans la branche du jardinage-paysagisme, il recherchait plutôt une activité dans le domaine social. Là-dessus, C. a fait rapport à l’ORP, en lui disant que l’e-mail de A. du 1er avril 2019 l’avait quelque peu irrité, puisque l’emploi à trouver pour A. était, en principe, celui de jardinier-paysagiste. Ensuite de quoi, l’entreprise privée de placement B. SA a, par e-mail du 17 avril 2019, sommé A. de le rappeler. Enfin, par e-mail à B. SA du 19 avril 2019, A. s’est enquis du rendez-vous qui lui avait été promis et a demandé que lui soient communiqués les noms des entreprises intéressées par ses services, sachant qu’il n’avait pas reçu la moindre information de C. à ce sujet. Il a, dans ce même e-mail du 19 avril 2019, dit vouloir être informé à l’avenir du nom des entreprises auxquelles ses données étaient envoyées, ce tout en expliquant qu’il y avait des entreprises pour lesquelles il ne travaillerait « pour rien au monde » (« für kein Geld der Welt »). A. disait de plus vouloir obtenir de B. SA une prompte réponse à ses questions et la communication rapide d’une date de rendez-vous, date qu’il aurait à coordonner avec les sept autres entretiens d’embauche qu’il avait de prévus par ailleurs (c. 4.1).
Dans de telles circonstances, le Tribunal des assurances du canton de Bâle-Campagne pouvait-il, à bon droit, annuler purement et simplement la suspension pendant 32 jours du droit de A. à des indemnités journalières du chômage ?
Sur la question de savoir si l’assuré A. aurait refusé un travail convenable au sens de l’art. 30 al. 1 let. d LACI, le TF répond – après avoir rappelé comment le contrat de placement et le contrat individuel de travail s’insèrent, de par leur nature distincte, dans le système d’indemnisation de l’assurance-chômage (c. 5.3) – que l’on ne peut pas parler d’un tel refus lorsque c’est de contact entre l’assuré et une entreprise privée de placement qu’il s’agit, et cela sans qu’il y ait eu là de perspective concrète de placement. D’autant qu’une suspension du droit de 31 jours au moins, selon l’art. 45 al. 3 let. c et 4 let. b OACI, consiste toujours dans une sanction radicale (c. 5.4).
Quant à la question de savoir si l’assuré a eu un comportement susceptible de compromettre la prise par lui d’un emploi, comportement qui équivaudrait à une violation de l’obligation générale de réduire son dommage – que la jurisprudence du TF rattache par défaut à la règle énoncée par l’art. 30 al. 1 let. d LACI – le TF répond que, certes, le Tribunal cantonal aurait dû discuter les éléments qui figurent dans l’e-mail de l’assuré du 19 avril 2019, mais sans que cela ne porte à conséquence par-devant lui. En effet, les premiers juges n’ont pas procédé à une appréciation de l’ensemble des faits de la cause, qui soit manifestement erronée. Le TF explique à ce propos qu’en dépit de la rudesse de certaines tournures employées par A. dans ledit e-mail, il n’y avait là aucun désintéressement manifesté par A. à l’égard d’un placement par B. SA. Pas plus que dans l’e-mail envoyé le 1er avril 2019 par A., dans lequel ce dernier a dit sa préférence pour un emploi dans le domaine social, sans pour autant exclure une activité de jardinier-paysagiste ; activité de jardinier-paysagiste qui est, du reste, celle qu’il exerce à nouveau (c. 6.1 et 6.2). Pour le surplus, le TF n’expose pas ce qu’il aurait, si le Tribunal cantonal avait confirmé la suspension pendant 32 jours de l’indemnité de A., dit du caractère manifestement erroné ou non d’une telle décision.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne
TF 9C_179/2020 du 16 novembre 2020
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, révision, base de calcul; art. 29bis LAVS; 36 al. 2 LAI; 32bis RAI
Le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle, en cas de révision de la rente AI (17 LPGA), les bases de calcul pour le nouveau montant de la rente (échelle de rente et revenu annuel moyen déterminant) restent les mêmes que celles appliquées pour la rente allouée jusque-là. L’évolution ou la variation des éléments de calcul de la rente prévus par l’art. 29bis LAVS survenus postérieurement à la survenance du risque invalidité ne doit pas être prise en compte. Ainsi, le fait que le titulaire de la rente a été en mesure de réaliser subséquemment des revenus conséquents soumis à cotisations n’est pas pris en compte lors d’un nouveau calcul du montant de la rente, même si celle-ci a été initialement fixée après seulement six ans de cotisations sur la base de revenus d’assistant-étudiant (c. 5.1 et 5.2).
Le TF nie toute violation de l’interdiction de la discrimination indirecte au sens de l’art. 8 al. 2 Cst. en rappelant que l’art. 29bis LAVS s’applique en principe par analogie au calcul de la rente d’invalidité de chaque titulaire d’une rente, quelle que soit la cause de son invalidité et indépendamment du moment où survient l’invalidité dans son parcours de vie (c. 5.2.2).
Il ne peut pas être considéré que l’aggravation d’une perte de gain liée à l’invalidité serait assimilable à un nouveau risque, car l’augmentation du degré d’invalidité à la suite d’une aggravation de l’état de santé justifiant une rente plus élevée constitue un cas de révision et non un nouveau cas d’assurance susceptible de conduire à la reconnaissance d’une prestation fondée sur de nouvelles bases de calcul (c. 5.3).
Le TF rappelle encore que la situation des jeunes personnes ayant subi une invalidité au début de leur parcours professionnel a été prise en considération et fait l’objet d’une règlementation particulière (art. 36 al. 3 aLAI ; art. 37 al. 2 LAI) (c. 5.4.1).
Il appartient cas échéant au législateur de prévoir une disposition qui dérogerait à l’art. 29bis al. 1 LAVS pour permettre la prise en considération de l’évolution des revenus postérieure à la survenance de l’invalidité. Une telle dérogation ne ressort pas de l’art. 32bis RAI, lequel concerne la « renaissance de l’invalidité » et non pas la situation ou une demi-rente cède le pas à une rente entière (c. 5.4.2).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds
TF 9C_82/2020 du 27 octobre 2020
Assurance-invalidité; méthode mixte, suppression d’une rente entière après la naissance d’un enfant; art. 27bis RAI; 17 LPGA
Une assurée était au bénéfice d’une rente entière d’invalidité en raison de diverses malformations congénitales. En 2017, elle a accouché d’un fils et a indiqué à l’office AI que, sans atteinte à la santé, elle travaillerait à 20% et serait ménagère à 80%. Procédant à une révision selon l’art. 17 LPGA, l’office AI a appliqué la méthode mixte, retenu un taux d’invalidité de 20% et supprimé la rente entière de l’assurée. Le TC lucernois a annulé la décision de l’Office AI en se fondant sur l’arrêt Di Trizio de la CrEDH. Il a considéré que seule la naissance de l’enfant était à l’origine du changement de statut et que, par conséquent, la rente devait être maintenue.
Le TF a admis le recours déposé par l’office AI. Selon notre Haute Cour, les modifications de l’art. 27bis al. 2 à 4 RAI relatives à la méthode mixte sont conformes à la CEDH. En application de ces nouvelles dispositions, tant la part professionnelle que la part ménagère sont calculées comme si chacune était pratiquée à 100%. L’empêchement est ensuite établi pour chacune de ces parts et la pondération des deux permet d’obtenir le taux d’invalidité. Cette nouvelle méthode de calcul permet, selon le TF, de supprimer le fait que l’on tenait auparavant compte deux fois du fait que l’activité était exercée à temps partiel, à savoir dans la détermination du revenu sans invalidité, d’une part, et dans le cadre de la pondération proportionnelle des deux domaines, d’autre part. Le TF considère par ailleurs que les différences de traitement qui subsistent entre une personne exerçant une activité lucrative à plein temps et celle exerçant une activité lucrative à temps partiel – et consacrant le reste de son temps à l’accomplissement de ses travaux habituels – sont raisonnables et proportionnées.
Remarque : En réalité, les modifications de l’art. 27bis al. 2 à 4 RAI n’éliminent pas entièrement la discrimination envers les femmes. En définitive, seule la naissance de l’enfant a entraîné un changement de statut de l’assurée. Aussi, la CrEDH sera peut-être appelée à se prononcer sur la compatibilité des modifications précitées avec l’art. 14 CEDH en lien avec l’art. 8 CEDH.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne
TF 9C_777/2019 du 24 novembre 2020
Assurance-invalidité; infirmité congénitale, allocation pour impotent, supplément pour soins intenses, contribution d’assistance, surveillance constante; art. 42ter al. 3 LAI; 39 RAI
La surveillance constante exercée auprès d’un enfant qui respire au moyen d’une canule trachéale dont l’obstruction par les sécrétions doit à tout prix être évitée entre dans la catégorie des traitements et soins de base visés à l’art. 39 al. 2 RAI, et non dans celle des mesures de simple surveillance au sens de l’art. 39 al. 3 RAI. Le supplément pour soins intenses doit être quantifié en conséquence, par comparaison avec la surveillance requise pour un enfant du même âge en bonne santé (c. 4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_174/2020 du 2 novembre 2020
Assurance-invalidité; procédure, expertise pluridisciplinaire, rapport de suivi; art. 72bis RAI
L’attribution d’un mandat d’expertise pluridisciplinaire selon le principe de désignation aléatoire prévu par la plateforme SuisseMED@P rend sans objet des craintes d’ordre général de dépendance et de partialité à l’égard du centre ainsi retenu. Il n’existe pas d’obstacle à ce qu’un rapport de suivi soit établi dans les trois ans suivant l’expertise initiale par le même centre d’expertise. Cela est d’autant plus vrai qu’un rapport de suivi ne sert pas à obtenir un second avis « second opinion ». L’art. 72bis RAI n’est donc pas violé si, dans le cadre de la même procédure d’instruction, un rapport de suivi est obtenu du même centre d’expertises pour autant que celui-ci ait été désigné, au départ, de manière aléatoire (c. 7.4.5).
Dans le cas d’espèce, le rapport initial du centre d’expertise a été commandé sur une base aléatoire. Le SMR a considéré que ce rapport avait une pleine valeur probante en dépit des objections de l’assuré. Néanmoins, pour tenir compte d’une éventuelle aggravation de son état de santé, le SMR a demandé au centre d’expertise un rapport de suivi. En raison du lien temporel étroit avec le rapport initial et compte tenu du fait qu’aucune crainte de dépendance ou de partialité ne pouvait être émise, l’obtention d’un tel rapport de suivi auprès du même centre d’expertise ne viole par le droit fédéral. Le fait que l’assuré n’était pas d’accord avec les conclusions du rapport initial n’y change rien. Ainsi, il n’y avait aucune raison d’obtenir un second avis auprès d’un autre centre d’expertise (c. 7.5).
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève
TF 9C_531/2020 du 17 décembre 2020
Assurance-vieillesse et survivants; Rente de vieillesse, ajournement, délai péremptoire; art. 39 LAVS; 55quater RAVS
Un assuré, ayant atteint l’âge légal de la retraite en décembre 2015, sollicite l’octroi d’une rente AVS mais uniquement en septembre 2018. La caisse AVS refuse d’ajourner la rente, faute de demande écrite déposée dans le délai légal et octroie une rente vieillesse depuis janvier 2016 (c. A). Le TF confirme tout d’abord que le Conseil fédéral n’a pas excédé la délégation de compétence législative de l’art. 39 al. 3 LAVS en édictant l’art. 55quater al. 1, 2e phrase RAVS qui impose le respect de la forme écrite et du délai d’un an, dès le 1er jour du mois qui suit la survenance de l’âge légal de la retraite (c. 3.2). Il affirme ensuite qu’une telle lecture se justifie également en regard de la finalité des règles concernant l’ajournement de la rente qui ne pourrait être atteinte, si la possibilité d’un report restait ouverte durant plusieurs années permettant à l’assuré de réagir à l’évolution individuelle de son état de santé et de choisir rétrospectivement la solution la plus avantageuse, comme l’avait fait remarquer la juridiction cantonale. Pour le TF, cela ne se justifierait pas non plus en regard du fait que la contre-valeur actuarielle versée en cas de rente ajournée ne peut être calculée de manière fiable que si le choix de l’assuré est exclu à partir d’une certaine date (c. 3.2).
Le TF confirme donc que toute demande d’ajournement doit être faite absolument par écrit, dans le délai légal d’une année après le 1er jour du mois suivant la survenance de l’âge légal de la retraite, exigence qui n’est pas du formalisme excessif même si, comme dans le cas d’espèce, l’assuré a continué de cotiser et n’a pas fait de demande pour bénéficier d’une rente de vieillesse (c. 3.3). Le TF rejette enfin l’argumentation du recourant relatif à une violation de l’art. 27 LPGA (c. 3.4). Au final, il confirme la position de la caisse AVS (c. 3.3 et 3.4).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne
TF 4A_247/2020 du 7 décembre 2020
Assurances privées, assurance d’indemnités journalières, procédure, moyens de preuve, expertise privée; art. 168 CPC
Le TF rappelle la jurisprudence énoncée à l’ATF 141 III 433, selon laquelle les rapports d’expertise privés produits par les parties, qu’il s’agisse de l’assureur privé ou de l’assuré, ne constituent pas des moyens de preuve, formellement, au sens de l’art. 168 CPC, mais de simples allégations de parties ; il s’agit, selon cette jurisprudence un peu surannée, tout au plus d’indices devant se conjuguer avec des preuves formelles.
Le TF reconnaît, cependant, que sa jurisprudence est critiquée par une partie de la doctrine et n’est pas satisfaisante, preuve en soit la modification de l’art. 168 CPC prévue par le législateur ; en outre, cette jurisprudence, appliquée à la lettre, peut conduire à des difficultés dans les litiges portant sur des indemnités journalières, où justement les positions des parties reposent sur des avis médicaux recueillis unilatéralement par les parties, qu’il s’agisse du médecin traitant de l’assuré ou du médecin conseil de l’assureur. En outre, tout particulièrement sur le plan psychiatrique, le recours à une expertise rétrospective, c’est-à-dire déconnectée au niveau temporel, est problématique.
Dans le cas d’espèce, puisque les deux parties se réfèrent toutefois à la jurisprudence précitée (ATF 141 III 433) sans la remettre en cause et puisqu’une réforme est en cours, le TF en reste aux principes découlant de celle-ci et juge que les certificats médicaux et l’avis médical produits en l’espèce par l’assuré ne constituaient que de simples allégations de parties et qu’il en allait de même de l’expertise privée de l’assureur.
L’instance cantonale, qui avait admis la demande de l’assuré, a donc violé les principes rappelés ci-dessus et l’art. 168 CPC. La cause doit être renvoyée à la Cour cantonale zurichoise, afin que celle-ci mette en œuvre une expertise psychiatrique judiciaire.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion
TF 4A_366/2020 du 29 septembre 2020
Assurances privées; réticence; art. 6 al. 2 LCA
La connaissance de la réticence faisant démarrer le délai de péremption de quatre semaines dont dispose l’assureur pour résilier le contrat en vertu de l’art. 6 al. 2 LCA suppose que ledit assureur dispose d’informations fiables, permettant de retenir sans risque une violation du devoir de déclaration incombant au preneur. L’assureur doit être pleinement orienté sur tous les points relatifs à cette violation, c’est-à-dire qu’il doit en avoir acquis une connaissance certaine, sans aucun doute (c. 3.1). Tel n’est pas le cas d’un assureur couvrant les soins pour maladie, qui reçoit une facture révélant uniquement la réalisation de divers examens, sans mention d’un constat de l’existence d’une affection ni du traitement d’une plainte du patient (c. 3.4).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle
Brèves...
Lorsqu’à la suite d’un recours contre une décision sur opposition, l’assureur social rend une nouvelle décision annulant partiellement la première, la cause est rayée du rôle et le recourant n’a droit qu’à des dépens réduits s’il n’obtient que partiellement satisfaction à travers la nouvelle décision (TF 8C_17/2020).
Lorsque l’office AI, après avoir proposé deux experts qui ont été récusés, et constaté l’indisponibilité d’un troisième expert, rend une décision en désignant un de son choix, il faut considérer qu’il a suffisamment mis en œuvre son obligation de s’efforcer à une désignation consensuelle de l’expert et qu’il a statué à bon droit (TF 9C_297/2020).
...et en tous temps, en tous lieux
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