Jurisprudence


  Analyses

Analyse de Scott Greinig

Analyse des arrêts du Tribunal fédéral 4A_17/2023 et 4A_18/2023 du 9 mai 2023

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Analyse de Sabrine Magoga-Sabatier

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_70/2022 du 16 février 2023

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Analyse de Marco Meli

Analyse des arrêts du Tribunal fédéral 8C_322, 325 et 328/2022 du 30 janvier 2023

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (Grande Chambre) Beeler c. Suisse (requête n° 78630/12)

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Analyse de Mathieu Singer

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_179/2021 du 20 mai 2022

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Analyse de François Bohnet

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_624_2021 du 8 avril 2021

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Analyse de Stéphanie Perrenoud

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_469/2021 du 8 mars 2022

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse des arrêts du Tribunal fédéral 8C_110 et 175/2021 du 26 janvier 2021

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Analyse de Matthias Stacchetti

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_330/2021 du 5 janvier 2022

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Analyse de Marco Meli

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_272/2021 du 17 novembre 2021

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Analyse de Alexis Overney

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_389 et 4A_415/2020

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_538/2020 du 30 avril 2021

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Analyse de Sabrine Magoga-Sabatier

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_962/2020 du 29 mars 2021

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Analyse de Emilie Conti Morel

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_424/2020 du 19 janvier 2021

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Analyse de Alexandre Guyaz

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_181/2020 du 21 décembre 2020

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de la CourEDH - B. c. Suisse (requête n° 78630/12) du 20 octobre 2020

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Analyse de François Bohnet

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_132/2020 du 8 septembre 2020

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du 2020 9C_388 et 389/2019 Tribunal fédéral du 1er juillet 2020

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Analyse de Alexis Overney, Vincent Perritaz

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_397/2019 du 1er juillet 2020

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_409/2019 du 5 mai 2020

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Analyse de Emilie Conti Morel

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_58/2019 du 13 janvier 2020

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_749/2019 du 21 février 2020

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Analyse de Christoph Müller

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_554/2013 du 6 novembre 2019

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Analyse de Emilie Conti Morel

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_357/2019 du 24 octobre 2019

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_540/2018 du 29 août 2019

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Analyse de Matthias Stacchetti

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_196/2019 du 10 juillet 2019

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_724/2018 du 11 juillet 2019

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Analyse de Christoph Müller, Estelle Vuilleumier

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_394/2018 du 20 mai 2019

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Analyse de Alexandre Guyaz

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_52/2019 du 5 mars 2019

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Analyse de Emilie Conti Morel

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_163/2018 du 28 janvier 2019

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_228/2018 du 22 janvier 2019

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Belli et Arquier-Martinez c. Suisse (requête n° 65550 /13)

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Analyse de Matthias Stacchetti

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_488/2017 du 9 octobre 2018

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_446/2017 du 20 juillet 2018

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_617/2017 du 28 mai 2018

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Analyse de Christoph Müller

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_602/2017 du 7 mai 2018

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Analyse de Stéphanie Perrenoud

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_202/2018 du 23 avril 2018

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Analyse de François Bohnet

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_618/2017 du 11 janvier 2018

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_214/2017 du 2 février 2018

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Analyse de Eric Maugué

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2017 du 22 décembre 2017

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse des arrêts du Tribunal fédéral 8C_130/2017 et 8C_841/2016 du 30 novembre 2016

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Analyse de Christoph Müller

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_241/2016 du 19 septembre 2017

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_106/2017 du 19 septembre 2017

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Analyse de Alexandre Guyaz

Analyse des arrêts du Tribunal fédéral 6B_360 et 361/2016 du 1er juin 2017

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_806/2016 du 14 juillet 2017

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Analyse de Alexandre Guyaz

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4a_26/2017 du 17 juin 2017

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_776/2016 du 20 avril 2017

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Analyse de Frédéric Erard

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_613/2015 du 7 mars 2017

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Analyse de Alexis Overney

Analyse des arrêts du Tribunal fédéral 4A_301/2016 et 4A_311/2016 du 15 décembre 2016

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_541/2016 du 26 janvier 2016

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Analyse de Christoph Müller

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_234/2016 du 19 décembre 2016

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Analyse de Alexandre Guyaz

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_674/2015 du 22 septembre 2016

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_730/2015 du 16 septembre 2016

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Analyse de Guy Longchamp

Analyse de l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_704/2015 du 8 août 2015

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Analyse de Christoph Müller

Analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_637/2015 (destiné à la publication) du 29 juin 2016

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Analyse de Alexandre Guyaz

Analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 6B_788/2015 du 13 mai 2016

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Analyse de Anne-Sylvie Dupont

Analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_178/2015 du 4 mai 2016

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Analyses

  Jurisprudence

TF 1C_19/2023 du 11 octobre 2023

Indemnisation LAVI; demande de réparation du dommage matériel; art. 19 al. 3 LAVI

Le salaire non perçu est un dommage matériel, dont l’indemnisation est exclue par l’art. 19 al. 3 LAVI. L’employé, victime de traite d’êtres humains pour lequel son employeur a été condamné par jugement pénal, ne dispose pas d’un droit subjectif à l’indemnisation de son salaire impayé par l’autorité cantonale LAVI.

Dans cette affaire, le TF constate l’inexistence d’une lacune proprement dite à l’art. 19 al. 3 LAVI. Sans privilégier une méthode d’interprétation mais en s’inspirant d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme, les juges fédéraux confirment que l’art. 19 al. 3 LAVI exclut clairement la prise en charge des dommages matériels dans le cadre de l’indemnisation LAVI (c. 3.4).

L’art. 4 CEDH, interprété à l’aune de l’art. 15 de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (CETEH, RS : 0.311.543), ne prévoit pas d’obligation positive, à charge de l’Etat, d’instaurer un mécanisme d’indemnisation subsidiaire des salaires impayés des victimes de traite d’êtres humains (c. 4.3).

Le TF relève que le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) du Conseil de l’Europe s’intéresse à cette problématique comme l’illustrent les questions adressées en 2023 à ce sujet. La Suisse s’est contentée de renvoyer à l’art. 19 LAVI et aux règles de calcul du dommage du droit civil (GRETA, Questionnaire pour l’évaluation de la mise en œuvre de la CETEH – Troisième cycle d’évaluation, 2023, ch. 3.4 et 4). Or, comme le relève le TF, le futur rapport d’évaluation dudit questionnaire pourrait apporter certaines clarifications à la notion de préjudice matériel visé par l’art. 15 al. 4 CETEH pouvant conduire, cas échéant, le législateur suisse à se pencher sur un élargissement de la notion de préjudice couvert par l’art. 19 LAVI (c. 4.3).

Auteur : Scott Greinig, avocat et assistant-doctorant

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Responsabilité aquilienne Dommage Publication prévue

TF 9C_458/2022 du 05 octobre 2023

Assurance-invalidité; restitution d’une subvention à la pierre, cas de rigueur; art. 73 al. 1 aLAI; 29 LSu

L’art. 73 al. 1 LAI prévoyait, jusqu’à la fin 2007, que «  l’assurance-invalidité alloue des subventions pour la construction, l’agrandissement et la rénovation d’établissements et d’ateliers publics ou reconnus d’utilité publique, qui appliquent des mesures de réadaptation dans une proportion importante ». En relation avec cette disposition, l’art. 104bis RAI (également abrogé au 1er janvier 2008) prévoyait que « si, avant l’expiration d’un délai de 25 ans à compter du paiement final, l’établissement est détourné de son but ou transféré à un organisme responsable dont le caractère d’utilité publique n’est pas reconnu, la subvention doit être remboursée. Le montant à rembourser est diminué de 4 % pour chaque année d’utilisation conforme à l’affectation prévue » (al. 1). Dans le cadre de la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons entrée en vigueur le 1er janvier 2008, les art. 73 LAI et 104bis RAI ont été abrogés et le contenu de cette dernière disposition a été repris dans les dispositions transitoires de la modification de l’AI du 6 octobre 2006.

Une fondation reconnue d’utilité publique a bénéficié d’une subvention fondée sur l’ancien art. 73 LAI en 1994, finalisée en 1999, pour la réalisation d’un centre résidentiel pour la réintégration socio-professionnelles de personnes toxicodépendantes. Apprenant la démolition du bâtiment en 2016, l’OFAS a demandé la restitution d’une partie de la subvention, ce qui a été confirmé par le TAF.

Saisi du recours de la fondation, le TF statue en premier lieu sur la notion de « détournement de son but » contenue à l’art. 73 LAI. Quand bien même cette disposition doit être considérée comme une lex specialis par rapport à l’art. 29 al. 1 de la loi fédérale sur les aides financières et les indemnités (LSu) (« désaffectation ou aliénation d’un bien »), le TF retient que la notion de l’art. 73 LAI ne doit pas être interprétée plus restrictivement que celle de l’art. 29 LSu et que la démolition du bâtiment constitue bien un détournement du but du bâtiment qui entraîne une obligation de restitution à la charge de la fondation.

Le TF entre cependant en matière sur l’argumentation subsidiaire de la fondation, consistant à demander l’examen de la question de l’existence d’un cas de rigueur conduisant à la réduction du montant à restituer, selon l’art. 29 al. 1 3e phrase LSu. Il estime tout d’abord que cette argumentation, formulée pour la première fois dans le cadre du recours devant son autorité, est admissible, dès lors que cette question constitue un aspect du rapport juridique qui fait l’objet de la procédure. Il juge ensuite que l’absence d’indication à ce propos dans la LAI n’empêche pas l’application de l’art. 29 al. 1 3e phrase LSu en concurrence, les deux dispositions n’étant pas contradictoires sur ce point. La cause est donc renvoyée à l’OFAS pour examen de cette question et nouvelle décision.

Auteure : Pauline Duboux, Lausanne

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Assurance-invalidité

TF 4A_32/2023 du 31 août 2023

Responsabilité aquilienne; procédure, fardeau de l’allégation du dommage, devoir de motiver l’appel et le recours au TF; art. 8 CC; 311 CPC

La recourante, entreprise fabriquant et vendant des boîtes de montres, a prétendu avoir subi un dommage de CHF 63'004.- lors d’une interruption de sa production due à une coupure de courant électrique. Selon elle, la responsabilité en incombait à l’entreprise de construction chargée de déplacer deux conduites électriques, qui ne les avait pas enfouies assez profondément ou protégées notamment par des plaques métalliques. En effet, le paysagiste occupé à des travaux de jardin avait endommagé l’une des conduites entraînant une coupure de courant de 35 minutes. Une expertise a confirmé que les conduites auraient dû être enfouies plus profondément ou protégées par la pose de plaques métalliques pour prévenir des dommages mécaniques.

Le juge de première instance a rejeté l’action en responsabilité de la demanderesse-recourante. Elle a exclu la responsabilité de l’entreprise de construction parce que cette dernière n’était que simple exécutante des travaux, sans pouvoir décisionnel. En effet, après avoir averti la société exploitante et propriétaire des conduites qu’il fallait enfouir les conduites plus profondément qu’elles ne l’étaient en l’état ou les protéger, l’entreprise de construction n’avait fait que s’en tenir aux instructions de la société en question qui avait refusé d’agir selon ses conseils. Il n’y avait donc pas de faute de la part de l’entreprise de construction. Le juge de première instance n’a pas examiné les autres conditions de la responsabilité dont celle de dommage, vu que la condition de la faute faisait défaut.

L’appel de la recourante a été rejeté, par substitution de motif : la cour cantonale a exclu que la défenderesse ait commis un acte illicite, pour les mêmes raisons que celles retenues par le juge de première instance. Examinant encore la condition du dommage, la cour cantonale a estimé que l’appel n’était pas suffisamment motivé sur ce point (art. 311 CPC) et le dommage insuffisamment allégué : même si le juge de première instance ne s’était pas prononcée sur la question du dommage, dans son appel, la demanderesse s’était contentée de renvoyer aux arguments présentés et aux pièces produites en première instance ou figurant au dossier, ne satisfaisant ni à son devoir de motivation de l’appel, ni à son devoir d’alléguer le dommage, alors que le dommage était contesté par la demanderesse.

Saisi d’un recours portant sur les deux conditions (acte illicite et dommage), le TF a déclaré le recours de la demanderesse irrecevable : par-devant le TF, la recourante n’avait pas démontré que la cour cantonale avait violé le droit en retenant une violation de l’art. 311 CPC et un défaut d’allégation s’agissant du dommage. Elle s’était limitée à affirmer que le dommage avait été exposé et explicité avec offre d’expertise rejetée et qu’on ne pouvait lui faire le reproche de ne pas avoir motivé son appel conformément à l’art. 311 CPC, vu que le juge de première instance n’avait pas tranché la question du dommage et rejeté son expertise tendant à prouver ledit dommage que contestait la défenderesse. Sur le fond, le TF a ajouté que bien que la cour cantonale ait mêlé exigence de motivation de l’appel découlant de l’art. 311 CPC et devoir d’alléguer le dommage découlant du droit matériel, il résultait de sa motivation qu’elle considérait que la demanderesse n’avait consacré à son dommage et à sa quotité que des allégués insuffisants. Or, pour faire partie du cadre du procès, cette condition du dommage devait avoir été alléguée, le demandeur supportant le fardeau de l’allégation objectif conformément à l’art. 8 CC et la charge de la motivation suffisante. Les allégués relatifs ne permettaient pas une administration des preuves, par expertise ou par témoignage, de sorte que c’est avec raison que la cour cantonale avait rejeté l’action de la demanderesse faute d’allégation suffisante. Un renvoi de la cause à la première instance était ainsi superflu.

Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

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Responsabilité aquilienne Procédure

TF 8C_662/2022 du 25 août 2023

Assurance-accidents; troubles psychiques, causalité adéquate, accident grave ou de gravité moyenne, circonstances particulièrement dramatiques; art. 4 LPGA; 6 LAA

Une agression violente subie en pleine nuit, à l’occasion de laquelle l’assurée et ses amies ont été frappées violemment par plusieurs hommes, l’une des femmes restant inconsciente au sol et devant par la suite être plongée dans le coma et subir différentes interventions, l’assurée elle-même présentant d’importantes blessures à la tête, est un accident de gravité moyenne ou grave. La délimitation n’est en l’espèce par nécessaire, car le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du critère particulièrement impressionnant de l’événement s’est ici manifesté avec une intensité particulière, de sorte qu’il suffit, à lui seul, à faire admettre la causalité adéquate entre l’agression et les troubles psychiques réactionnels dont souffre l’assurée.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-accidents Causalité

TF 8C_646/2022 du 23 août 2023

Assurance-accidents; assurance facultative, accident survenu après l’âge ordinaire de la retraite, rente d’invalidité, interprétation du contrat, principe de la bonne foi; art. 4, 5 et 18 al. 1 LAA; 136 OLAA

Le litige porte sur l’interprétation d’un contrat d’assurance-accidents facultative alors que l’assureur-accidents avait transmis par erreur le renouvellement automatique d’une police fixant expressément le montant de la rente d’invalidité, alors même que l’assurée, née en 1946, avait déjà largement passé l’âge ordinaire de la retraite, ce qui excluait d’emblée tout droit à une rente d’invalidité en cas d’accident. La cour cantonale avait préalablement débouté l’assurée en vertu de l’art. 18 al. 1 LAA, applicable par analogie conformément à l’art. 5 al. 1  LAA, qui exclut cette prestation pour les accidents survenant après l’âge de la retraite.

Dans un premier temps, le TF se penche sur la question de savoir si une dérogation à l’art. 18 al. 1 LAA est possible dans le cadre d’un contrat d’assurance-accidents facultative (c. 4.6). Le TF retient que le droit à une rente d’invalidité pour les accidents survenant après l’âge ordinaire de la retraite a été supprimé – avec l’entrée en vigueur au 1er janvier 2017 – pour éviter toute surindemnisation (c. 4.6.2). En outre, le TF souligne qu’admettre un droit à une rente d’invalidité en faveur des personnes assurées facultativement en cas d’accident au-delà de l’âge ordinaire de la retraite – en dérogation de l’art. 18 al. 1 in fine LAA – reviendrait à procurer un avantage aux assurées soumis au régime facultatif (c. 4.6.3). Par conséquent, le TF retient que le contrat liant les parties doit être interprété conformément à cette disposition légale à laquelle il ne peut être dérogé (c. 4.7).

Dans un second temps, le TF se penche sur la question de savoir si l’octroi d’une rente d’invalidité est possible sur la base des principes relatifs à la protection de la bonne foi (c. 4.7). Le TF rappelle les conditions de l’art. 27 LPGA et le principe de la bonne foi découlant directement de l’art. 9 Cst., valant pour l’ensemble de l’activité étatique. Ce principe protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronée de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (2) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) que l’administré se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, (5) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée et (6) que l’intérêt à l’application du droit n’apparaisse pas prépondérant.

Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (3) devant toutefois être formulée de la façon suivante : que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (c. 5.1). En l’espèce, la recourante soutient que les juges cantonaux ont évalué le dommage de manière incorrecte en ne prenant en compte que les mesures « actives » qu’elle aurait pu prendre, mais elle aurait aussi adopté un comportement passif préjudiciable à ses intérêts en ne cherchant pas d’autres sources de revenus ou d’autres couvertures d’assurance (c. 5.3). Le TF estime que ce grief est mal fondé et explique que la recourante n’a pas prouvé avoir subi un préjudice spécifique en se basant sur les informations incorrectes, ce qui a été retenu à juste titre par les premiers juges. Le TF estime également qu’il est peu probable qu’elle aurait pu prendre des mesures significatives pour couvrir un éventuel préjudice (c. 5.4). Au vu des éléments qui précèdent et en raison de l’absence de preuves de préjudice, le TF rejette le recours de la recourante (c. 6).

Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 9C_511 et 516/2022 du 23 août 2023

Assurance-invalidité; infirmité congénitale, mesures médicales, soins de base; art. 13 ss aLAI

Une enfant atteinte d’infirmités congénitales séjourne une partie du temps dans une école spécialisée, non pas pour des raisons médicales, mais essentiellement afin de décharger sa famille. Elle y bénéficie de soins de base fournis par une OSAD, soins qui sont, le reste du temps, fournis par les parents. Le TF confirme qu’il ne s’agit pas d’une mesure médicale au sens de l’art. 14 aLAI.

Cette affaire n’avait pas pour objet les soins de base fournis par les parents eux-mêmes, notamment par la mère, infirmière diplômée. Dans un obiter dictum (c. 7.3), le TF rappelle que ces soins, respectivement la décharge des parents par une OSAD, peuvent, respectivement doivent, être compensés dans le cadre de l’allocation pour impotent et du supplément pour soins intenses, et ne sont pas des mesures médicales au sens de l’art. 14 aLAI.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 5A_86/2023 du 22 août 2023

Responsabilité du propriétaire foncier; rapports de voisinage, immissions (moustiques), devoir d’allégation, nécessité de l’expertise; art. 684 CC; 55 CPC

Des propriétaires d’étage disposent chacun d’une terrasse sur le toit. L’un d’eux a aménagé sur sa terrasse un bassin de plus de 4m2 qui, selon les propriétaires de la terrasse voisine, est à l’origine d’une présence accrue de moustiques. Ceux-ci demandent l’enlèvement du bassin, subsidiairement une indemnité correspondant à la diminution de la valeur vénale de leur bien, ainsi qu’une indemnisation pour la perte de la possibilité de jouir de leur terrasse. Déboutés en première et en seconde instances, ils saisissent le TF.

Après avoir rappelé la notion d’atteinte excessive au sens de l’art. 684 CC (c. 3.1), le TF confirme que la présence d’insectes peut constituer une telle atteinte (c. 3.2). Le débat porte en réalité sur le devoir d’allégation et de preuve des immissions, ainsi que sur la preuve du lien de causalité entre le bassin et la présence de moustiques. Sur la première question, l’instance précédente reprochait aux recourants de n’avoir pas allégué qu’ils auraient été attaqués ou piqués par les moustiques lorsqu’ils séjournaient sur leur propre terrasse ; ils n’auraient pas non plus étayé ce qu’ils entendaient par une « énorme nuée de moustiques », ni indiqué à quels moments et dans quelles périodes lesdits moustiques étaient apparus à chaque fois ainsi que la durée de la présence de ces insectes sur leur terrasse (c. 5.3.1). Le TF estime que les exigences posées par la cour cantonale sont excessives. On ne voit pas pourquoi ils auraient dû prétendre avoir été piqués : cette question peut être prise en compte dans la pesée des intérêts nécessaire lors de l’examen de l’art. 684 CC ; elle ne peut en revanche pas conduire à ce qu’aucun examen matériel des nuisances alléguées n’ait lieu. A cet égard, les recourants avaient allégué la présence de nuées de moustiques en précisant la température et les heures auxquelles ceux-ci apparaissaient. Dans un mouvement d’humeur (et d’humour), le TF relève que « wenn die Vorinstanz darauf hinaus will, die Beschwerdeführer hätten die einzelnen Mücken zählen müssen, kann dem jedenfalls nicht gefolgt werden » (c. 5.3.2). S’agissant de la preuve du lien de causalité, l’instance cantonale avait écarté la demande d’expertise des recourants, au motif que ceux-ci n’avaient pas apporté la démonstration que l’avis d’un spécialiste pourrait démontrer que les insectes issus de larves se trouvant dans le bassin seraient exclusivement ou principalement responsables de la prolifération des moustiques sur leur propre terrasse (c. 6.2.1). Le TF rejette cet argument, au motif que cette question relève précisément de la compétence de l’expert et non de celle des parties. C’est donc à tort que la cour cantonale avait rejeté la requête d’expertise dans le cadre de l’appréciation anticipée des preuves (c. 6.2.2 à 6.2.8). La cause est donc renvoyée au tribunal cantonal pour nouvelle décision.

Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

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Responsabilité du propriétaire foncier

TF 4A_206/2023 du 17 août 2023

Assurances privées; exclusion de couverture, interprétation de la clause de sanction, principe de la confiance; art. 18 CO

Une société cotée en bourse a été victime d’une cyberattaque bien connue qui consiste à crypter les fichiers, notamment les données clients, de sorte que ces fichiers ne peuvent plus être lus. Seul le code de décryptage, connu des cyberattaquants, permet de décrypter les données. En l’espèce, une rançon de 1'500 bitcoins était demandée pour la remise du code de décryptage. Cette rançon a été payée par la société victime de cette attaque (c. A).

La société demande ensuite la couverture de son dommage à son assureur, qui refuse de le couvrir en invoquant une exclusion de couverture. Selon la clause invoquée, l'assurance serait libérée de son obligation de paiement si le paiement de la somme assurée contrevient notamment au droit américain des sanctions. Le paiement de la somme demandée contreviendrait, selon l’assurance, au droit américain des sanctions car l’attaque aurait été proférée par des cyberattaquants russes inscrits sur la « Specially Designated Nationals and Blocked Persons-List » (liste SDN) du « U.S. Treasury Department’s Office of Foreign Assets Controls » (OFAC) (c  A). La liste SDN contient des entreprises, des organisations et des individus qui ont été identifiés comme constituant une menace pour la sécurité nationale et la politique étrangère et économique des États-Unis. Leurs avoirs sont bloqués et il est généralement interdit aux ressortissants américains de traiter avec eux (https://ofac.treasury.gov/specially-designated-nationals-list-data-formats-data-schemas).

Le Handelsgericht de Zurich admet la demande en paiement déposée par la société en raison du fait qu’il serait hautement improbable que l’assureur soit sanctionné par l’OFAC en cas de paiement de la somme assurée. Cela rendrait la clause de sanction inapplicable. En effet, l’assureur n’est pas parvenu à prouver que l’attaque était le fait des cyberattaquants russes inscrits sur la liste américaine précitée et que cette société aurait profité financièrement de l’attaque (c. B). L’assureur dépose un recours en matière civile au TF à l’encontre du jugement du « Handelsgericht » de Zurich (c. C).

Le recours est rejeté par le TF qui confirme l’appréciation du tribunal zurichois. En effet, l’assurance n’a pas été en mesure de prouver que les cyberattaquants russes, sanctionnés par le gouvernement américain étaient les auteurs de la cyberattaque contre la société ou qu’ils en ont profité. Il manque donc un point de rattachement au droit américain des sanctions. Une sanction de l’assurance en cas de versement de la somme assurée à la société pour violation du droit américain des sanctions est hautement improbable. Le TF confirme ainsi que la clause de sanction invoquée par l’assurance ne s’applique pas (c. 5). De plus, il interprète la clause de sanction et considère qu’il faut un risque de sanction pour violation du droit américain des sanctions, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (c. 6). A cela s’ajoute que le simple fait que le logiciel utilisé proviendrait des cyberattaquants russes inscrits sur la liste SDN ne suffit pas à prouver l’existence d’un lien entre les cyberattaquants russes et la cyberattaque contre la société, ce qui serait insuffisant pour appliquer la clause de sanction (c. 7.1.1. et 7.1.4.). Pour finir, le TF relève que l’assurance ne peut pas se plaindre du fait qu’un droit étranger, soit le droit américain en l’espèce, n’a pas été correctement appliqué (art. 96 let. b LTF). Seul l’arbitraire et la violation de l’art. 9 Cst. dans son application peuvent être invoqués (c. 7.2.1.).

Note : Il s’agit, à notre connaissance, du premier arrêt du TF relatif au paiement d’une rançon suite à une cyberattaque dans le domaine du droit des assurances privées.

Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

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Assurances privées

TF 6B_1310/2021 du 15 août 2023

Responsabilité aquilienne; procédure, action civile par adhésion à la procédure pénale, conclusions civiles et prétentions contractuelles; art. 119, 122 et 126 CPP; 41 à 46 CO

Le TF rappelle en premier lieu les conditions auxquelles des prétentions civiles peuvent être octroyées sur la base d’un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, nonobstant un verdict d’acquittement. Il précise alors la portée de l’art. 126 al. 1 let. b CPP, en disant que si l’acquittement résulte de motifs juridiques, c’est-à-dire en cas de non-réalisation d’un élément constitutif de l’infraction, les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut et les conclusions civiles doivent être rejetées. Le juge pénal peut néanmoins statuer sur les conclusions civiles, malgré un acquittement, lorsque l’élément constitutif subjectif de l’infraction fait défaut mais que le comportement reproché au prévenu constitue un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, tel est par exemple le cas lorsque la culpabilité fait défaut en raison de l’irresponsabilité du prévenu au sens de l’art. 19 al. 1 CP.

En l’espèce, il ressort de l’arrêt attaqué que la cour cantonale a acquitté le recourant en raison de la non-réalisation des éléments constitutifs tant objectif que subjectif des infractions d’abus de confiance et d’escroquerie. L’acquittement prononcé résulte donc de motifs juridiques, en particulier de la non-réalisation d’éléments constitutifs objectifs des art. 138 ch. 1 al. 2 et 146 al. 1 CP. La cour cantonale ne pouvait pas conclure, à la fois, qu’aucune utilisation illicite des avoirs confiés ne pouvait être reprochée au recourant, puis constater une appropriation par celui-ci des fonds prêtés en violation de ses pouvoirs pour fonder une responsabilité civile au sens de l’art. 41 CO. Il s’ensuit que les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut.

En second lieu, le TF tranche la question de savoir si des prétentions contractuelles, in casu découlant d’un contrat de prêt, peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale. En procédant aux interprétations littérales, téléologiques et systématiques de l’art. 122 al. 1 CPP, le TF considère que la notion de conclusions civiles ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui peuvent se déduire d’une infraction pénale, ce qui n’est pas le cas des prétentions contractuelles. Ainsi, ces prétentions ne peuvent pas faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale et sont donc exclues du champ d’application de l’art. 122 al. 1 CPP. Pour de telles prétentions, la partie plaignante doit donc être renvoyée à agir par la voie civile.

En condamnant le recourant à verser les intérêts dus sur la base du contrat de prêt, la cour cantonale a statué sur des prétentions fondées sur un contrat. Or de telles prétentions ne peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale au sens de l’art. 122 al. 1 CPP.

Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

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Assurance-invalidité

TF 8C_113/2023 du 12 août 2023

Moyens auxiliaires, monte-escaliers; art. 8 et 14 CEDH; 8 al. 3 let. d et 21 al. 1 et 2 LAI; 14 RAI; ch. 14.05 OMAI

L’assuré, né en 1989, souffre d’un trouble moteur spastique. Sa demande porte sur la modernisation du lift d’escalier situé dans la maison familiale, étant relevé que depuis quelques années il vit dans un home, mais visite parfois ses parents. L’assuré argue qui lui est désormais impossible de séjourner dans la maison de ses parents, sans adaptation de ce lift pour l’escalier.

Le présent litige porte ainsi sur le droit de l’assuré à des moyens auxiliaires en général (art. 8 al. 3 let. d, art. 21 al. 1 et 2 LAI ; art. 14 RAI). Le 1er juillet 2020 est entrée en vigueur la nouvelle mouture de l’ordonnance du DFI sur les moyens auxiliaires de l’AI (OMAI  ; RS 831.232.51). Plus particulièrement, les mesures et moyens visés dans le cas présent cas tombent sous le chiffre 14.05 de l’annexe à l’OMAI, étant cependant relevé que la prise en charge de cette mesure ou de ce moyen (concernant les lifts ou monte-rampes d’escalier) est en principe exclue pour les personnes vivant dans un home. De l’avis de l’OFAS, il s’agit cependant d’un cas limite, car il ne porte pas sur l’octroi d’un nouveau moyen auxiliaire, mais uniquement sur la modernisation d’un tel moyen octroyé il y a plus de 25 ans. Le recourant a par ailleurs rendu vraisemblable qu’il ne pouvait pas, sans cette adaptation du lift, visiter ses parents, respectivement y passer la nuit dans leur demeure ou se rendre aux toilettes. Le lien avec ses parents est par ailleurs un contact essentiel pour l’assuré.

Le TF considère quant à lui que dans une telle situation, il n’est pas impossible que le recourant puisse invoquer une violation de son droit à la vie de famille (art. 8 CEDH) et, éventuellement, faire valoir une discrimination (art. 14 CEDH) dans ce contexte. Cette question peut cependant rester ouverte en l’état, car le dossier pèche par un manque d’instruction et de détails fournis sur la vie familiale, en particulier concernant le mode de vie de l’assuré avec ses parents et sur la fréquence et la durée de ses visites. De plus, le moyen auxiliaire litigieux devant être adapté dans le cas d’espèce par la voie de la révision, il conviendra d’examiner la nécessité de l’adaptation sous l’angle de l’autonomie de la personne assurée, de la proportionnalité (« Verhältnismässigkeit ») et de l’obligation de diminuer le dommage, d’autant, qu’il n’y a en l’espèce pas de possibilité de reclassement professionnel (c. 3.3).

En raison de ces lacunes dans le dossier, l’affaire, comme le concède d’ailleurs l’OFAS, doit être renvoyée à l’administration pour complément d’instruction.

Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion

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Assurance-invalidité

TF 8C_125/2023 du 08 août 2023

Assurance-accidents; notion d’accident, causalité naturelle, état préexistant; art. 4 LPGA; 6 al. 1 LAA

L’assurée, âgée de 58 ans, a mordu dans un caillou alors qu’elle mangeait une salade emballée achetée en supermarché. Une semaine après, son dentiste a tenté de traiter sa dent. Un mois plus tard, il a dû se résoudre à extraire la dent. Le cas a été annoncé à Helsana, assureur LAA. Helsana a toutefois refusé de prendre le cas en charge à défaut de lien de causalité naturelle.

Le TF confirme tout d’abord que le cas doit être qualifié d’accident au sens de la LAA (c. 4). Au niveau de la causalité naturelle, il rappelle qu’une causalité partielle suffit. Encore faut-il que l’élément déclenchant paraisse avoir joué un rôle dans la survenance du sinistre, et non pas être seulement un élément fortuit (c. 5.1). L’analyse de la causalité adéquate se recoupe avec celle de la causalité naturelle. Celle-ci ne devrait être niée que lorsqu’il s’avère que la dent préalablement affaiblie aurait succombé à un acte ordinaire de la vie au même moment si l’accident n’était pas survenu (c. 5.2).

En matière dentaire, il ne suffit pas de dire, pour pouvoir exclure la causalité naturelle, qu’une dent entièrement saine aurait résisté au choc contrairement à une dent préalablement traitée (c. 5.3). En l’occurrence, selon le TF, l’avis du médecin conseil d’Helsana, qui excluait tout lien de causalité compte tenu de l’état antérieur de la dent, ne déployait pas de valeur probante. En effet, même si la dent était abîmée, rien ne laissait supposer qu’elle ne permettait plus de remplir sa fonction ordinaire de mastication. Les spécificités de l’accident n’avaient pas non plus été suffisamment analysées (c. 5.5).

La cause a été renvoyée à Helsana pour mise en place d’une expertise (c. 6).

Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

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Assurance-accidents

TF 4A_82/2023 du 08 août 2023

Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; causalité naturelle, preuve du dommage, expertises judiciaire et privée, valeur probante, appréciation arbitraire des preuves; art.168 CPC; 95, 97 et 105 LTF

Une infirmière en formation subit un accident de la route et se plaint ensuite de douleurs cervicales qui la conduisent à interrompre sa formation d’infirmière, incompatible avec les douleurs. Elle obtient ensuite un diplôme en travail social avec orientation en éducation sociale, avec une activité réduite à 70 % auprès d’une prison vaudoise. Plusieurs rapports et expertises médicales privées et judiciaires, dans le cadre de procédures avec les assureurs sociaux, sont effectués, aboutissant à des conclusions contradictoires sur le lien de causalité naturelle entre les plaintes de la lésée et l’accident. La lésée obtient très partiellement gain de cause en première instance. Elle est intégralement déboutée en appel, les juges considérant qu’elle n’a pas apporté la preuve du lien de causalité entre l’accident et les cervico-scapulalgies chroniques, ni du lien causal entre l’accident et la fin de sa formation en soins infirmiers. Le TF admet un premier recours de la lésée et renvoie la cause à la cour cantonale afin qu’elle rende une nouvelle décision. Il a considéré que les rapports d’expertise mis en œuvre par l’assureur-accidents de la lésée, ne devaient pas être considérés comme des expertises privées mais comme de simples allégations d’une partie. La cour d’appel rend un nouveau jugement admettant largement les prétentions de la lésée. L’assureur RC recourt au TF

Le TF statue sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l’autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d’une violation du droit au sens de l’art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). « Manifestement inexactes » signifie ici « arbitraires ». Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d’influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). En matière d’appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables.

Le juge civil peut utiliser, à titre de preuve, une expertise mise en œuvre par une autre autorité dans une autre procédure (par exemple, une expertise médicale ordonnée par un assureur social). Une telle expertise « extérieure » a valeur probante dans la mesure où le juge civil respecte le droit d’être entendu des parties. L’expertise extérieure est alors dotée de la même valeur probante qu’une expertise ordonnée par le juge civil lui-même. Si l’expertise n’a pas été requise par une autre autorité dans une autre procédure, il s’agit d’une expertise privée. Celle-ci n’est pas un moyen de preuve au sens de l’art. 168 al. 1 CPC, mais doit être assimilée aux allégués de la partie qui la produit.

Lorsque la juridiction cantonale se rallie au résultat d’une expertise, le TF n’admet le grief d’appréciation arbitraire des preuves que si l’expert n’a pas répondu aux questions, si ses conclusions sont contradictoires ou si, de quelque autre manière, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même en l’absence de connaissances ad hoc, qu’il n’était tout simplement pas possible de les ignorer.

L’existence d’un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante. L’allègement se justifie car, en la matière, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de celui qui en supporte le fardeau. La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération.

Le TF a retenu que le raisonnement tenu par les juges cantonaux, reposant sur une série de constatations non étayées par des moyens de preuve et des appréciations manifestement inexactes, a abouti à la conclusion arbitraire selon laquelle il existait un lien de causalité entre l’accident et l’interruption des études d’infirmière par l’intimée. Ainsi, le degré de preuve requis pour retenir l’existence d’un tel lien de causalité – dont l’autorité avait pourtant une juste conception – n’était manifestement pas atteint en l’espèce.

De même il a retenu que la cour cantonale a versé dans l’arbitraire en retenant comme établies une incapacité de travail alléguée de 30 % et une incapacité ménagère de 20 %, dès lors que ces éléments, ressortant exclusivement d’expertises privées, avaient été soigneusement contestés par la recourante et n’étaient étayés par aucune preuve.

Enfin, la cour cantonale a fondé arbitrairement son raisonnement sur des faits non établis, en retenant que l’intéressée présentait une incapacité de gain partielle. La lésée n’a pas offert le moindre moyen de preuve visant à établir une prétendue atteinte à son avenir économique. Elle n’a jamais allégué, ni a fortiori démontré qu’elle serait désavantagée sur le marché du travail car il lui serait plus difficile de trouver et de conserver un emploi avec une rémunération identique, ou que ses douleurs pourraient entraver un changement de profession ou réduire ses chances de promotion. Elle n’a surtout jamais prouvé que son taux d’invalidité médico-théorique était encore supérieur à 10 %, ce qui, selon la jurisprudence, exclut toute atteinte à l’avenir économique.

Le TF a admis dans une large mesure le recours de l’assureur responsabilité civile, le condamnant à payer à l’intimée la somme de CHF 6’799,80.

Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile Causalité Dommage

TF 9C_381/2022 du 19 juillet 2023

Prévoyance professionnelle; rente d’invalide LPP, survenance de l’incapacité de travail, lien de connexité temporelle et matérielle; art. 23 et 26a LPP

A. a travaillé jusqu’au 30 septembre 2016 pour la banque E. et a été assurée en conséquence pour la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de pension des Grisons. Depuis le 15 octobre 2018, elle travaillait pour l’administration F. et était, de ce fait, assurée auprès de la caisse de pension glaronnaise. En décembre 2016, une tumeur cérébrale bénigne a été découverte chez A. Celle-ci a été enlevée chirurgicalement le 20 janvier 2017. L’assurance-invalidité a prononcé différentes mesures d’intervention précoce et d’insertion professionnelle, qui se sont déroulées pour l’essentiel entre l’été 2017 et la mi-2018. A partir de juillet 2018, A. était entièrement apte au travail et, depuis le 15 octobre 2018, elle était employée par l’administration F. pour une durée indéterminée. A l’automne 2018, une récidive du méningiome est survenue. Lors de son ablation chirurgicale le 10 décembre 2018, une artère cérébrale a été lésée, entraînant une invalidité et une impotence. Sur recours, le tribunal des assurances du canton de Saint-Gall a alloué à A. une rente entière de l’assurance-invalidité avec effet de juillet 2017 à septembre 2018 ainsi qu’à partir de décembre 2018. La Caisse de pension glaronnaise (ci-après : la recourante) a exclu A. de l’assurance étant donné le maintien provisoire de l’assurance auprès de la caisse de pension des Grisons (art. 26a LPP), avec effet rétroactif au 1er octobre 2018. Le TF a toutefois confirmé qu’il incombait bien à la recourante, et non à la caisse de pension des Grisons, caisse antérieure où était assurée A., de verser des prestations de prévoyance professionnelle, à compter du 10 décembre 2018.

La recourante a tout d’abord fait valoir que la question litigeuse du lien temporel et matériel doit être tranchée sur la base des constatations contraignantes effectuées dans le cadre de la procédure AI. Dans cette procédure, et dans le cadre de l’application de l’art. 29bis RAI, le Tribunal des assurances du canton de Saint-Gall a retenu que l’incapacité de travail survenue le 10 décembre 2018, à la suite de l’ablation chirurgicale, était « suffisamment imputable à la même affection », soit à la tumeur cérébrale découverte en décembre 2016 (c. 2.2.2). Le TF a toutefois indiqué qu’en raison des différentes règles édictées par les art  29bis RAI et 23 LPP, la recourante n’était pas liée par les constatations spécifiques à l’AI qui retenait que l’incapacité de travail jusqu’en juin 2018 et celle développée à partir du 10 décembre 2018 étaient imputables à la même affection (c. 2.2.5).

S’agissant du lien de connexité étroit au sens de l’art. 23 let. a LPP, la question à examiner était celle de savoir si les états de santé à comparer (incapacité existante depuis 2016 et atteinte invalidante survenue à la suite de l’opération du 10 décembre 2018) avaient un lien matériel étroit entre elles. Le TF a considéré, contrairement à ce que soutenait la recourante, que les conséquences de l’opération n’étaient pas liées à l’ancienne affection et que l’incapacité de travail survenue après le 10 décembre 2018 constituait le point de départ de l’incapacité de travail au sens de l’art. 23 let. a LPP, de sorte que l’institution de prévoyance à qui incombait l’obligation de verser des prestations était celle auprès de qui A. était assurée au moment de l’opération, soit la recourante (c. 2.3.4 et 3).

S’agissant de l’application de l’art. 26a LPP, le TF a exposé que cette disposition s’appliquait notamment lorsque la diminution du degré d’invalidité entrainant la réduction ou la surpression de la rente était l’effet d’une mesure de réadaptation au sens de l’art. 8a LAI (c. 3.3). Dans le cas d’espèce, le TF a retenu que les mesures mises en place en faveur de A. l’avaient été pour adapter son emploi à son état de santé postopératoire, de sorte que, selon le TF, les conditions de l’art. 26a LPP n’étaient pas remplies. Partant, le TF a considéré que la recourante n’était pas en mesure de résilier rétroactivement son rapport de prévoyance d’avec A. en se référant au l’art. 26a LPP, confirmant que la recourante était tenue d’allouer les prestations de prévoyance dès l’engagement de A. auprès de l’administration F. en octobre 2018 (c. 3.4 et 3.5).

Finalement, la recourante contestait devoir des intérêts moratoires dès lors qu’elle estimait être en demeure du paiement des rentes de prévoyance professionnelle uniquement lorsque A. lui aurait transmis une déclaration de céder ses créances contre des tiers responsables (c. 5.1). Le TF a toutefois relevé qu’il n’existait « absolument aucune raison » de faire dépendre l’échéance de prestations de prévoyance à la cession ou déclaration de cession des droits d’un assuré, précisant que les prestations légalement dues par les assurances de prévoyances professionnelles étaient exigibles sans aucune réserve et que le cours des intérêts était déclenché en conséquence (c. 5.2 et 5.3).

Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

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Prévoyance professionnelle

TF 6B_64/2023 du 14 juillet 2023

Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, faute, prescription, dies a quo; art.97, 98 et 117 CP

Le début de la prescription coïncide, en matière d’infractions contre la vie ou l’intégrité corporelle par négligence, avec le moment où l’auteur a agi contrairement à ses devoirs de prudence ou, en cas de délit d’omission improprement dit, à partir du moment où le garant aurait dû agir ; si ce devoir est durable, à partir du moment où les obligations du garant prennent fin. La distinction entre une infraction de commission et une infraction d’omission improprement dite n’est pas toujours aisée : faut-il reprocher à l’auteur d’avoir agi comme il ne devait pas le faire ou d’avoir omis d’agir comme il le devait ? Dans les cas limites, il faut s’inspirer du principe de la subsidiarité et retenir un délit de commission dès que l’on peut imputer à l’auteur un comportement actif. Si une activité dangereuse est entreprise sans prendre les mesures de sécurité suffisantes, il y a lieu, en principe, de considérer un comportement actif. L’élément déterminant réside ainsi dans le fait d’accomplir l’activité sans observer les mesures de sécurité.

Dans le cas d’espèce, il a été reproché au prévenu de s’être contenté de la mise en place de barrières de type « Vauban » au travers de la route, en n’ayant prévu aucune signalisation qui indiquait la présence du chantier et la fermeture du chemin. La violation du devoir de diligence est intervenue le jour de l’installation de la barrière « Vauban » et non le jour où il a été décidé que la mise en place d’une barrière non signalée de type « Vauban » en travers de la chaussée constituerait une installation adéquate.

La négligence suppose la violation fautive d’un devoir de prudence, c’est-à-dire qu’il faut reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. Le TF a confirmé le caractère fautif de la violation dans le cas d’espèce, après avoir rappelé que le recourant avait violé son devoir de prudence en ne respectant pas les normes de sécurité prescrites pour la signalisation des chantiers. Non seulement le recourant n’a pas obtenu la confirmation expresse par les employés communaux présents que les barrières « Vauban » constituaient le moyen approprié pour procéder, en toute sécurité, à la fermeture des routes en vue de l’exécution des travaux mais encore le TF a souligné qu’il n’était nul besoin de connaissances spécifiques pour se rendre compte que l’installation d’une barrière métallique de couleur grise en travers de la chaussée, dépourvue de toute mesure permettant d’en signaler préalablement la présence, créait une situation hautement dangereuse pour les usagers de la route.

Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

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Responsabilité aquilienne Faute

TF 4A_37/2023 du 10 juillet 2023

Assurances privées; contrat d’assurance, interprétation des CGA, clause d’exclusion; art. 33 LCA

Les clauses ambiguës des conditions générales doivent être interprétées, dans le doute, au détriment de la partie qui les a rédigées.

Dans le domaine particulier du contrat d’assurance, l’art. 33 LCA précise d’ailleurs que l’assureur répond de tous les événements qui présentent le caractère du risque contre les conséquences duquel l’assurance a été conclue, à moins que le contrat n’exclue certains événements d’une manière précise, non équivoque. Il en résulte que le preneur d’assurance est couvert contre le risque tel qu’il pouvait le comprendre de bonne foi à la lecture des conditions générales ; si l’assureur entendait apporter des restrictions ou des exceptions, il lui incombait de le dire clairement.

Conformément au principe de la confiance, c’est à l’assureur qu’il incombe de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées. Il ne suffit donc pas que les parties discutent de la signification d’une déclaration ; il faut au contraire que la déclaration puisse être comprise de bonne foi de différentes manières et qu’il ne soit pas possible d’éliminer le doute par d’autres moyens d’interprétation.

Dans le cas d’espèce, les conditions générales d’assurance excluaient de la couverture d’assurance les parcours dans les circuits de courses. Quand bien même le recourant participait à un « trackday » réservé à une circulation touristique dans le circuit national de Monza, il n’a pas démontré à satisfaction de droit que la clause d’exclusion des CGA était ambiguë ou que son interprétation laissait apparaître le moindre doute sur le fait que l’assureur n’entendait clairement exclure de la couverture casco, les accidents même en cas de conduite dans les circuits lors d’événements touristiques.

Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême

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Assurances privées

TF 4A_323/2021 du 05 juillet 2023

Responsabilité aquilienne; prescription, délai plus long de l’action pénale, classement, monnaie de l’obligation; art. 60 al. 2 CO

Pour le TF, lorsque le délai de prescription décennal absolu de l’art. 60 al. 2 CO s’est écoulé sans avoir été interrompu, les demandeurs ne peuvent se prévaloir de la prescription plus longue de l’action pénale selon l’art. 60 al. 2 CO si des décisions de classement ont déjà été rendues par des autorités pénales et que les faits à la base des deux procédures sont les mêmes.

Si la prétention est réclamée dans la mauvaise monnaie, soit en francs suisses plutôt qu’en dollars, la demande doit être déclarée irrecevable. Au surplus, pour le TF, un changement de monnaie dans le libellé des conclusions est une modification de l’objet de l’action. Ainsi, si les conclusions des demandeurs ont été faussement formulées en francs suisses, elles lient le juge et ne peuvent être modifiées par les demandeurs. Le juge ne peut ainsi que rejeter ce poste de la demande.

Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont

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Responsabilité aquilienne Dommage

TF 4A_293/2023 du 27 juin 2023

Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, preuve à futur; art. 158 CPC

La recourante est assurée pour la perte de gain en cas d’incapacité de travail par le contrat d’assurance de son employeur. Elle ne répond pas à la convocation du médecin spécialisé désigné par l’assureur qui lui annonce suspendre le paiement des indemnités journalières pour ce motif. L’assurée engage une procédure de mesures provisionnelles et requiert la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire pour établir son incapacité de travail. La cour des assurances sociales du tribunal cantonal la déboute de sa demande, estimant qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable son droit aux prestations. Par son refus de collaborer, en ne se rendant pas à l’examen médical demandé par l’assureur, sa demande de preuve à futur contrevenait au principe de la bonne foi.

Un recours peut être formé contre le rejet d’une requête de preuves à futur visée par l’art. 158 CPC, qualifiée de mesure provisionnelle par la LTF, pour la seule violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF).

L’art. 158 al. 1 let. b CPC permet au tribunal d’administrer les preuves en tout temps lorsque la mise en danger des preuves ou un intérêt digne de protection est rendu vraisemblable par le requérant. L’administration des preuves à futur est reconnue lorsqu’elle a pour but d’assurer la conservation de la preuve, lorsque le moyen de preuve risque de disparaître ou que son administration ultérieure se heurterait à de grandes difficultés. Elle peut aussi servir à clarifier les chances de succès d’un procès ou d’apporter une preuve. La locution « intérêt digne de protection » se réfère à cette possibilité qui permet d’éviter des procès dénués de chance de succès. Le TF rappelle que le requérant doit rendre vraisemblable qu’il a une prétention matérielle contre le défendeur et – cumulativement – que l’administration de la preuve tend à établir l’état de fait dont il tire son droit.

Dans le cas d’espèce, l’instance cantonale a rejeté la requête de preuve à futur en s’appuyant sur les conditions générales d’assurance de l’intimée, selon lesquelles l’assuré ne peut pas faire valoir un droit à des prestations tant qu’il s’oppose à un examen médical spécialisé (c. 4.2.2). La recourante n’a donc pas rendu vraisemblable l’existence de sa prétention matérielle, plus précisément l’état de fait dont elle tire son droit. Selon le TF, la recourante ne démontre pas que l’instance précédente serait tombée dans l’arbitraire en considérant que la prétention au fond n’avait pas été rendue vraisemblable pour défaut de collaboration de l’assurée.

L’art. 24.1 des CGA de l’intimée stipule explicitement que les prestations d’assurance sont réduites ou refusées, temporairement ou durablement, si la personne assurée ne remplit pas les obligations fixées par la loi ou le contrat. La recourante n’a ainsi pas le droit d’opter pour l’expertise judiciaire dans le cadre de l’administration d’une preuve à futur selon l’art. 158 CPC à la place (ou avant) l’examen médical spécialisé par le médecin-conseil de l’intimée (c. 5).

Le risque lié à la disparition de la preuve n’a pas été reconnu par l’autorité cantonale. La recourante, qui se prévaut d’un défaut de motivation, n’a pas, selon le TF, démontré la violation de ce droit constitutionnel (art. 29 al. 2 Cst. et art. 6 ch. 1 CEDH), ni le caractère arbitraire de la décision (c. 4.3). L’autorité cantonale a motivé son refus d’administrer la preuve à futur, estimant que les médecins établissaient régulièrement des expertises rétrospectives sur l’état de santé et la capacité de travail. La recourante ne peut pas non plus s’appuyer sur la jurisprudence du TF pour se voir reconnaître la mise en œuvre d’une expertise en temps réel.

L’arrêt 4A_247/2020 du 7 décembre 2020 (c. 5.2), en particulier, ne lui est d’aucune utilité (c. 4.3.1). Dans cet arrêt, le TF avait reconnu que l’assuré avait diligemment déposé une requête de preuve à futur. La demande de l’assuré avait été écartée au motif que l’expertise médicale pouvait être réalisée dans la procédure au fond. Par la suite, la cour cantonale avait refusé de mettre en œuvre l’expertise médicale demandée par l’assureur. Le TF avait admis le recours de ce dernier considérant que les certificats médicaux et les expertises des assureurs sont des allégations de partie au sens du CPC. Le TF retient donc que le contexte décrit par cet arrêt était différent et ne portait pas en particulier sur le devoir de collaboration de l’assuré. Il n’y a donc aucune violation des droits constitutionnels à refuser d’administrer la preuve à futur, dans le cas d’espèce, en raison du comportement contradictoire et contraire à la bonne foi de la recourante.

Le TF ajoute que celle-ci avait demandé à être évaluée par une femme médecin, ne s’est pas présentée au rendez-vous fixé et a déposé enfin une expertise preuves à futur demandant à être expertisée par un médecin (et plus une femme médecin) (c. 4.6).

Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

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Assurances privées

TF 8C_661/2022 du 26 juin 2023

Assurance-invalidité; procédure, décision incidente, recevabilité du recours au TF, pratique cantonale contraire à la jurisprudence fédérale, nouvelle demande, mesures de réadaptation; art. 93 LTF; 29 LPGA; 87 RAI

Par décision du 10 septembre 2020, un Office AI avait refusé toute prestation à une assurée. Cette décision était entrée en force. Une année après, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations, visant l’octroi de mesures d’ordre professionnel. L’office AI a refusé d’entrer en matière, au motif qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable que sa situation s’était modifiée de manière à influencer ses droits. Le tribunal cantonal a admis partiellement le recours de l’assurée et renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il entre en matière et instruise la demande de prestations concernant les mesures d’ordre professionnel. L’office AI recourt au TF.

Lorsque le tribunal cantonal renvoie la cause à l’assureur social pour compléter l’instruction sans donner de directives matérielles concrètes, on se trouve en présence d’une décision incidente qui ne cause aucun préjudice irréparable aux parties au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF. Une exception à cette disposition est néanmoins possible lorsqu’il apparaît qu’un tribunal adopte une pratique régulière contraire à la jurisprudence fédérale. En l’espèce, le TF arrive à la conclusion que le Tribunal cantonal saint-gallois a déjà, à de nombreuses reprises, considéré que les nouvelles demandes de prestations concernant les mesures d’ordre professionnel n’étaient pas soumises à la condition de l’art. 87 al. 3 RAI et que l’Office AI devait ainsi entrer en matière sur une demande de mesures d’ordre professionnel même si la personne assurée n’avait rendu vraisemblable aucune modification de sa situation depuis le dernier refus de prestations. Cette pratique étant contraire à la jurisprudence fédérale, le TF considère donc qu’il y a ici matière à faire une exception à la règle de l’art. 93 al. 1 LTF et entre en matière sur le recours (c. 3.6.4).

Sur le fond, le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle l’art. 87 al. 2 et 3 RAI s’applique également à une nouvelle demande d’octroi de mesures d’ordre professionnel lorsque de telles mesures ont été préalablement refusées par une décision entrée en force. Cette disposition réglementaire ne s’applique dès lors pas uniquement lorsque la nouvelle demande porte sur le versement d’une rente, d’une allocation pour impotent ou une contribution d’assistance. A cet égard, le TF considère que l’art. 29 al. 1 LPGA pose simplement le principe de la demande, soit une règle générale du droit des assurances sociales selon laquelle le droit aux prestations présuppose qu’une demande ait été déposée, les prestations n’étant pas versées d’office. On ne peut donc pas déduire de cette disposition un principe général selon lequel l’assureur social devrait systématiquement entrer en matière sur toute demande qui lui est adressée (c. 4). Le recours de l’office AI est donc admis.

Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 4A_62/2023 du 16 juin 2023

Responsabilité aquilienne; enrichissement illégitime, protection des données, données non commandées, substantification du dommage; art. 41, 42, 43, 62 et 924 ss CO; 5 let. c, 6 et 9 al. 3 LCD

La société A. qui a pour objet, notamment la collecte d’informations économiques, la distribution de renseignements sur le crédit ainsi que l’édition et l’entretien d’une banque de données a conclu un contrat avec la société B. qui a notamment pour but la gestion et l’administration de sociétés. Le 25 juin 2018, ces deux sociétés ont passé un contrat visant à éditer et à enrichir le fichier des créanciers de la société B. de même qu’à utiliser le service Online de la société A. afin de rechercher les sociétés par leur numéro d’identification. Les 15 et 16 avril 2020, la société B. a consulté, via l’outil en ligne de la société A., des données de base (Stamm-) et de solvabilité (Bonitätsdaten) concernant 32'051 entreprises. La société A. était d’avis que la société B. avait obtenu ces données, grâce à son outil en ligne, données qui devaient être indemnisées. Cette facture n’a pas été honorée. La société B. estimait, de son côté, que les données de solvabilité lui étaient parvenues sans qu’elle ne l’ait souhaité. Ces données représentaient un résultat non commandé. Une comparaison globale de ces données (Gestamtdatenabgleich) n’avait pas eu lieu de sorte que la société A. n’avait pas droit à une indemnisation.

Le tribunal de commerce saisi a confirmé que la société A. n’avait aucune prétention à faire valoir. Il a estimé, dans un premier temps, que l’on devait faire une distinction entre les données de base et les données de solvabilité. Il a estimé ensuite que le contrat passé ne contenait aucune indication selon laquelle des données de solvabilité pouvaient être obtenues via l’outil en ligne. Une telle offre avait même été refusée par la société B. lors des négociations. Dans ces conditions, cette société ne pouvait pas partir du principe que l’outil en ligne lui permettrait d’obtenir de telles données. Le Tribunal a rappelé que les deux sociétés s’accordaient sur le fait que le contrat passé ne portait pas sur ces données. Comme la preuve d’un contrat ultérieur qui aurait été conclu en 2019 n’avait pas été apportée à satisfaction de droit par la société A., elle ne pouvait élever de prétention en dommages-intérêts, fondé sur une violation contractuelle comprise comme la violation des devoirs accessoires visant à préserver la sphère juridique et patrimoniale de la recourante (c. 4.1). L’autorité inférieure a ensuite rejeté l’existence d’une prétention fondée sur l’art. 41 CO. Elle a constaté que la société A. n’avait pas démontré son dommage, soit l’existence de coûts externes assumés en relation avec la consultation de ces données ou encore un manque à gagner. Elle a également rappelé que l’obtention de ces données par un autre moyen que l’outil en ligne était douteuse, puisque la société B. ne disposait pas de moyens technologiques pour ce faire, qu’elle n’obtenait ce type de données que de manière isolée en amont de transactions stratégiques et qu’elle recourait justement à un prestataire tiers pour ce faire (c. 4.1). La Cour cantonale a enfin rejeté une éventuelle prétention en enrichissement illégitime selon l’art. 62 CO. Elle a estimé que le rétablissement de l’état initial devait se faire, en premier lieu, en nature, ce qui faute de système de stockage suffisant de la société B. pouvait simplement se faire par la suppression des données. Or, la société A. ne l’avait pas requis, de sorte que la société B. ne pouvait y être astreinte. La société B. n’avait pas prétendu réaliser un bénéfice à l’aide de ces données, de sorte que l’examen d’une restitution du bénéfice était superflu (c. 4.1 et 4.2). Dans un second temps, l’instance inférieure a examiné la situation des données de base. Elle a considéré que la société A. n’avait pas établi le montant dû uniquement pour l’obtention de ces données. Elle a rappelé que l’art. 43 al. 1 en relation avec l’art. 99 al. 3 CO ne dispensait pas la recourante de chiffrer son dommage. Le manque à gagner aurait pu être déterminé à l’aide du prix de la comparaison globale des données, de sorte que l’art. 42 al. 2 CO ne trouvait pas non plus son application. Faute de prétentions chiffrées, la société A. échouait à démontrer l’existence d’un dommage indemnisable. Enfin, pour les mêmes raisons qu’en ce qui concernait les données de solvabilité, aucune prétention en enrichissement illégitime ne pouvait être élevée (c. 4.2).

En réponse aux griefs de la société A. (c. 5), le TF a répondu en 3 temps (c. 6, c. 7 et c. 8).

Tout d’abord, en ce qui concerne les données de solvabilité, il a rejeté les critiques concernant l’appréciation de la Cour cantonale quant au contenu des relations contractuelles entre les parties (c. 6.1). Il a confirmé que les allégations relatives aux « instructions données par la société A. concernant les possibilités d’obtenir des données de solvabilité au moyen de l’outil en ligne » représentaient un fait précis qui aurait pu et dû être introduit en temps utile dans la procédure cantonale. A défaut, il n’y avait pas à en tenir compte (c. 6.2). Il a soutenu également l’appréciation de l’instance inférieure lorsqu’elle retenait qu’il n’y avait pas eu d’utilisation ou de mise en valeur des données de solvabilité, faute de moyens technologiques idoines à disposition (c. 6.3). Il n’a pas remis en cause le fait que les juges cantonaux aient considéré que la société A. n’avait pas prouvé l’existence de son dommage (frais externes et manque à gagner). L’absence de dommage était un argument qui à lui seul avait clos la discussion sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres conditions (c. 6.4). Il a donné ensuite tort à la recourante lorsqu’elle estimait que les conditions de substantification de son dommage étaient excessives ou que l’autorité aurait dû attirer son attention sur le caractère éventuellement incomplet de son exposé en application de l’art. 56 CPC (c. 6.5).

Ensuite, en ce qui concerne les données de base, le TF a simplement constaté que la recourante n’expliquait pas pourquoi elle aurait dû être dispensée de chiffrer son dommage. Il a ajouté que si d’aventure ce chiffrement n’était pas possible, elle aurait alors dû exposer toutes les circonstances qui auraient permis d’estimer le dommage relatif aux données de base (c. 7.2).

Dans un dernier élan, le TF a contesté que le comportement de la société B. puisse constituer des infractions à la LCD, en relation avec les art. 5 et 6 LCD. Il a indiqué que l’art. 5 let. c et 6 LCD exigeaient une exploitation de l’information obtenue ou du résultat du travail d’autrui à des fins économiques, ce qui n’avait pas été le cas (c. 8.1.1.). Il a rappelé, également au passage, que les conditions de la prétention en dommage-intérêt visée à l’art. 9 al. 3 LCD étaient identiques à celles du code des obligations. Ainsi, même en admettant l’existence d’une infraction, la recourante aurait dû prouver l’existence de son dommage ou que la société B. avait réalisé un bénéfice, ce qu’elle n’avait pas fait (c. 8.1.2). Il a rejeté également les griefs relatifs à une instruction déficiente de l’autorité inférieure (c. 8.2). Il a terminé enfin en indiquant qu’il ne voyait pas de raison d’appliquer les art. 924 ss CO, à savoir de considérer les données comme des choses, estimant que cela ne changerait de toute façon rien au résultat du présent litige.

Le recours est rejeté.

Auteure : Rébecca Grand, avocate à Winterthur

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Responsabilité aquilienne Dommage

TF 6B_286/2022 du 15 juin 2023

Responsabilité du détenteur d’un véhicule automobile; causalité, interruption, principe de la confiance, principe non applicable aux enfants; art. 12 al. 3, 26, 32 al. 1, 33 al. 2, 122 et 125 al. 2 CP; 58 LCR

Condamné en première instance pour lésions corporelles graves par négligence, un automobiliste, conduisant en état d’ébriété et à une vitesse de 45-47 km/h aux abords d’un passage pour piétons et d’une école, est acquitté en deuxième instance. La Cour d’appel pénale du tribunal cantonal vaudois a considéré que le lien de causalité entre les lésions corporelles subies par l’enfant et le comportement négligent du prévenu, qui n’avait pas ralenti à l’approche du passage pour piétons, avait été rompu par celui du lésé, âgé de cinq ans, qui avait surgi au guidon de sa trottinette, à une vitesse de 9-11 km/h, alors qu’il était précédemment masqué par un muret excédant sa taille. Le TF ne partage pas l’avis de la Cour et renvoie la cause à l’autorité cantonale pour nouvelle décision.

Le TF rappelle que cause des lésions corporelles graves par négligence le conducteur qui viole les règles de prudence que les circonstances imposaient, celles-ci étant en particulier définies par les règles régissant la circulation routière (LCR). Un tel comportement négligent doit s’inscrire dans un rapport de causalité naturelle et adéquate, avec les conséquences de celui-ci, à savoir d’avoir porté gravement atteinte à l’intégrité corporelle de la victime. Ainsi, un conducteur doit adapter sa vitesse aux circonstances et donc être en mesure de s’arrêter aux abords d’un passage pour piétons, même si ces derniers doivent également prêter une attention particulière aux véhicules.

En vertu du principe de la confiance, un usager de la route peut présumer que les autres usagers adopteront un comportement conforme aux règles de la circulation. Cependant, un tel principe ne s’applique pas aux enfants, lesquels ont, selon le TF, une notion de prudence vis-à-vis de la circulation routière « particulièrement ténue ». Dès lors, le lien de causalité ne peut être considéré comme interrompu que lorsque l’acte imprévisible de la victime relègue à l’arrière-plan les fautes du responsable.

En l’espèce, le conducteur connaissait très bien la configuration des lieux, se situant sur le trajet séparant son lieu de travail de son domicile, en particulier la présence d’un muret à droite du passage pour piétons. De plus, il avait aperçu que des enfants jouaient aux abords du complexe scolaire et sportif jouxtant le passage pour piétons et le long du trottoir à gauche. En outre, il n’était pas imprévisible qu’un enfant se déplace sur une trottinette, à une vitesse excédant celle de l’homme au pas. Enfin, par son comportement, à savoir le fait de déporter son véhicule à gauche, le conducteur a démontré qu’il n’est pas imprévisible qu’un enfant traverse la route sans prêter gare à la circulation. Le prévenu aurait par conséquent dû adapter sa vitesse aux circonstances, qu’il connaissait et avait malgré tout appréhendées, et ralentir à 35 km/h, vitesse qui lui aurait permis de s’arrêter et d’éviter de blesser grièvement un enfant de cinq ans.

Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile Causalité

TF 4A_472/2022 du 15 juin 2023

Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières LCA, obligation de diminuer le dommage, Covid-19; art. 61a et 38 aLCA; 8 CC; 9 Cst.; 7 CPC

L’assurée, née en 1959, a travaillé, dès le 1er janvier 1996, pour une entreprise en qualité d’employée de commerce. L’employeuse avait souscrit une assurance collective perte de gain en cas de maladie après de la société d’assurance intimée. En cas de sinistre, elle s’engageait à verser des indemnités journalières pendant 730 jours, sous déduction d’un délai d’attente de sept jours. L’art. D1 des conditions générales d’assurance précisait : « Est incapable de travailler la personne qui, en raison d’une maladie, ne peut exercer son activité professionnelle habituelle, ou, si l’incapacité dure un certain temps, reste dans l’impossibilité d’exercer tout autre activité raisonnablement exigible eu égard à son état de santé et à ses aptitudes » (c. A).

Victime d’une atteinte psychiatrique, soit une phobie de contamination par la COVID-19 cumulée à un épisode dépressif moyen, l’assurée a été incapable de travailler du 9 au 31 mars 2020, puis dès le 11 mai 2020. L’employeuse lui a signifié son licenciement pour le 28 février 2021 (c. A.b). Sur le plan médical, les troubles de l’assurée étaient incompatibles avec une quelconque activité exigeant un contact avec autrui. La seule activité exigible était du télétravail à domicile, sans aucun contact avec des personnes et objets venant de l’extérieur. Le handicap n’était pas lié à une incapacité d’exercer le métier en lui-même, mais à une incapacité de surmonter les exigences de contact minimal exigible pour un travail (c. A.c).

La société d’assurance intimée a versé 301 indemnités journalières jusqu’au 28 février 2021 et cessé ses versements à cette date sur avis de son médecin-conseil qui estimait la capacité de travail de l’assurée à 100 % dès le 1er mars 2021 (c. A.f). Sur action de l’employée contre la société d’assurance portant sur un solde de 412 indemnités journalières, le tribunal cantonal l’a admise (c. B).

En droit, s’il est acquis que l’assurée est inapte au travail dans son activité habituelle en entreprise dès le 1er mars 2021, le litige dont est saisi le TF porte uniquement sur la question de savoir si un changement d’activité intégrant ses limitations fonctionnelles peut raisonnablement être exigé d’elle – l’enjeu étant le solde d’indemnités journalières (c. 3).

L’art. 61 aLCA, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, consacrait une « obligation de sauvetage » et son pendant actuel figure à l’art. 38a LCA (c. 4.1). L’obligation de réduire le dommage, codifiée à l’art. 61 aLCA, peut impliquer un changement de profession si cela peut raisonnablement être exigé de l’ayant droit et si cela permet de réduire l’incapacité de travail. L’assureur qui entend être mis au bénéficie de l’art. 61 al. 2 aLCA doit inviter l’ayant droit à changer d’activité et lui impartir un délai d’adaptation approprié ; en règle générale, un délai de trois à cinq mois est jugé adéquat. L’art. 61 al. 2 aLCA ne permet pas à l’assureur de réduire ses prestations dans la perspective d’un changement d’activité purement théorique, irréalisable en pratique : le juge doit bien plutôt analyser la situation concrète. Partant, il doit se demander, d’après l’âge de l’ayant droit et l’état du marché du travail, quelles sont ses chances réelles de trouver un emploi avec ses limitations fonctionnelles. Le juge doit également examiner, en fonction de la formation, de l’expérience et de l’âge de l’ayant droit, si un tel changement d’activité peut réellement être exigé de lui (c. 4.2). L’assureur doit prouver que l’ayant droit a violé son devoir de réduire le dommage (art. 8 CC), à savoir qu’il n’a pas pris les mesures qu’on aurait pu raisonnablement attendre de lui en vue de diminuer le dommage (c. 4.3).

En l’espèce et sur la base des principes ci-dessus, la cour cantonale a estimé que l’assurée n’avait aucune chance de retrouver un travail adapté à ses limitations fonctionnelles, que ce fût le 1er mars 2021 ou plus tard (c. 5.1). Le TF confirme le raisonnement de l’instance inférieure et rejette le recours, ne décelant aucun arbitraire dans la constatation des faits ou l’appréciation des preuves, respectivement aucune violation de l’art. 61 aLCA (c. 5.2 et 5.3).

Sous l’angle de cas particulier de la pandémie, le TF souligne encore que la COVID-19 n’est ici qu’un épiphénomène. L’assurée a certes développé une phobie à cause de cette maladie, mais elle aurait tout aussi bien pu contracter sans cette pandémie une maladie entraînant les mêmes limitations sans que le raisonnement ne s’en trouve modifié. Ses perspectives de retrouver un emploi sans pouvoir ne serait-ce que se présenter à un entretien d’embauche, réceptionner des objets extérieurs ou avoir un simple contact humain direct sont inexistantes, si on les met en perspective avec son âge, sa formation et la profession qu’elle a exercée durant plus de vingt-cinq ans (c. 5.3).

Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud

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Assurances privées

TF 6B_513 et 520/2022 du 09 juin 2023

Responsabilité aquilienne; lien de causalité, position de garant, négligence, violation des règles de l’art; art. 11 al. 2, 12 al. 3, 229 CP

Un directeur de succursale a confié la réalisation de travaux d’étanchéité à l’intérieur d’un bâtiment à l’un de ses techniciens. Le directeur a personnellement assisté à une séance de chantier dans le but de planifier les travaux. Le technicien a ensuite expliqué les travaux à accomplir à deux de ses collaborateurs, l’un ouvrier qualifié, l’autre non, puis a quitté les lieux. Les deux ouvriers n’étaient pas pourvus des équipements usuels de protection. L’ouvrier qualifié a entrepris une manœuvre visant à accélérer la réalisation des travaux, ce qui a entraîné un départ de feu et la propagation de vapeurs chimiques avec pour conséquences qu’il a souffert de brûlures, a été hospitalisé et a subi un arrêt de travail complet de longue durée. La violation des règles de l’art de construire a notamment été retenue contre le directeur et son technicien, lesquels recourent jusqu’au TF.

Le TF constate que le directeur des travaux est tenu de veiller au respect des règles de l’art de construire et répond d’une action ou d’une omission. Il rappelle que la responsabilité pénale d’un participant à la construction se détermine sur la base des prescriptions légales, des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chacun est tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence que l’on peut attendre de lui pour veiller au respect des règles de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, à l’instar du technicien en charge, il existe un devoir de donner des instructions nécessaires et de surveiller. Une seule et même violation des règles de l’art peut être le fait de plusieurs personnes. L’art. 229 CP implique une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il astreint les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution d’un ouvrage à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de responsabilité. En raison de sa conception en tant que délit spécial, l’art. 229 CP limite d’emblée la punissabilité aux personnes pour lesquels une position de garant doit être admise.

Deux conditions doivent être remplies pour que la négligence soit fondée : l’auteur doit violer les règles de prudence et la violation doit pouvoir être imputée à faute. En l’espèce, le TF retient que le directeur a assisté à une séance de chantier avec le but de planifier celui-ci. Il n’est donc pas intervenu personnellement sur le chantier, ou s’occuper de la mise en œuvre opérationnelle, respectivement en assurer la coordination. Ne s’étant pas personnellement impliqué dans la direction des travaux, il ne fait pas partie du cercle des auteurs de l’infraction visée à l’art. 229 CP et a donc été acquitté.

En revanche, le TF retient la responsabilité du technicien. Celui-ci avait pour tâche la mise en œuvre opérationnelle du chantier soit de donner des instructions aux ouvriers, de rappeler régulièrement les règles de sécurité et de passer régulièrement sur le chantier vu son rôle de cadre intermédiaire. Son rôle implique d’emblée une position de garant en lien avec les tâches qui lui reviennent. Il ne pouvait pas se décharger de ses devoirs d’information et de surveillance sur ses ouvriers. Dans le cas présent, la réalisation des travaux nécessitait des instructions particulières en raison des risques liés à l’usage du produit en cause, qui peut provoquer des vapeurs chimiques. Les règles de sécurité devaient également être rappelées. Le technicien n’a donné aucune instruction concernant la pose du produit ou l’aération des locaux par exemple. Il y a eu omission. Ce dernier a donc violé les règles de l’art au sens de l’art. 229 CP. Il a été négligent, car il n’a pas instruit et surveillé les ouvriers quand bien même il avait 15 ans d’expérience dans l’entreprise. Le lien de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et la mise en danger existe car la violation des règles de l’art par le technicien a conduit à l’augmentation du risque d’incendie et a ainsi exposé les ouvriers présents sur le chantier à une mise en danger. Les conditions objectives et subjectives de l’art. 229 CP sont dans ce cas remplies selon le TF.

Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate

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Responsabilité aquilienne Causalité

TF 1C_344/2022 du 02 juin 2023

Responsabilité aquilienne; procédure, LAVI, indemnisation des honoraires d’avocat; art. 4 et 13 LAVI

Une victime a été représentée par un avocat dans le cadre d’une procédure pénale. Elle a alors demandé une indemnisation à concurrence de CHF 12'294.50 pour ses frais d’avocat au titre de l’aide aux victimes.

Dans son arrêt, le TF commence par relever que s’agissant de prestations découlant de la LAVI, les frais d’avocat ne peuvent être réclamés qu’exclusivement au titre de l’aide immédiate ou de l’aide à plus long terme au sens de l’art. 13 LAVI. Il relève ensuite que les cantons sont libres d’organiser comme ils le souhaitent les procédures en matière d’aide aux victimes et qu’il n’est pas contraire au droit fédéral qu’une autorité administrative se charge de statuer sur les demandes d’indemnisation.

Puis le TF examine si la demande de prise en charge des honoraires d’avocat d’une victime au sens de l’art. 13 LAVI pouvait être formulée en tout temps et si elle était subsidiaire à une demande d’assistance judiciaire.

A cet égard, il est d’abord rappelé la jurisprudence rendue sous l’angle de l’ancienne LAVI selon laquelle la demande de prise en charge des frais d’avocat devait être déposée, dans la mesure du possible, avant que les frais d’avocat ne soient engagés. Toutefois, les juges fédéraux ont relevé que si une victime était tardive dans sa demande de prise en charge, son droit ne s’éteignait pas. Tout au plus prend-elle le risque que l’intégralité de ses frais ne soient pas pris en charge au titre de l’aide aux victimes. Il n’existe ainsi pas de péremption du droit à la prise en charge de frais d’avocat au sens de la LAVI. A ce sujet, le TF rappelle encore que contrairement aux droits à l’indemnisation et à la réparation morale qui sont soumis à un délai de péremption selon l’art. 25 LAVI, le droit à l'aide des centres de consultation ne se périme pas (art. 15 al. 2 LAVI).

Quant à la question de la subsidiarité de l’aide aux victimes, il est d’abord rappelé que ce principe est ancré à l’art. 4 al. 1 LAVI, mais que cette disposition ne traite pas de l’institution de l’assistance judiciaire. Le TF rappelle ensuite que les cantons sont débiteurs à la fois de l’assistance judiciaire et des prestations d’aide aux victimes. Il procède à une interprétation de l’art. 4 al. 1 LAVI et parvient à la conclusion que l’aide aux victimes n’est pas subsidiaire à l’assistance judiciaire. Par conséquent, une victime ne requérant pas l’assistance judiciaire peut encore demander la prise en charge de ses honoraires d’avocat par le biais de l’aide aux victimes.

Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Procédure Publication prévue

TF 2C_901/2022 du 31 mai 2023

Responsabilité du propriétaire d’ouvrage; irrecevabilité de l’action fondée sur la loi cantonale sur la responsabilité de l’Etat; art. 58 CO

Dans le cas d’espèce, le recourant soutenait du fait que la réalisation d’un remblai terreux aménagé en contrebas d’une route communale aurait contribué à accélérer le mouvement de son terrain. Ce phénomène aurait entraîné des fissures à l’intérieur et à l’extérieur de son chalet. Il avait attaqué en responsabilité la commune sur la base de la loi cantonale sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents.

La responsabilité des collectivités publiques cantonales et communales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons et des communes à l’égard des particuliers pour le dommage qu’ils causent dans l’exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO. Les cantons sont toutefois libres de soumettre cette problématique au droit public cantonal en adoptant une réglementation spécifique en vertu de l’art. 59 al. 1 CC et de l’art. 61 al. 1 CO. Le canton de Fribourg a fait usage de cette faculté (c. 4.1).

La compétence des cantons d’édicter des dispositions sur la responsabilité civile de l’Etat et de ses agents dérogeant aux règles ordinaires de droit privé n’est cependant pas générale. S’il existe une norme fédérale de responsabilité régie par une loi spéciale (p. ex. l’art. 58 LCR, les art. 56 et 58 CO, l’art. 679 CC), cette norme fédérale prime et les cantons ne peuvent, en vertu de l’art. 49 Cst., pas y déroger (c. 4.2). Ainsi, la responsabilité d’un canton ou d’une commune s’examine en principe à l’aune de l’art. 58 CO lorsqu’une personne a subi préjudice causé par un ouvrage appartenant à l’une de ces collectivités (c. 4.3).

Après avoir émis quelques considérations sur la définition classique de l’ouvrage au sens de l’art. 58 CO, le TF rappelle que cette notion peut aussi s’étendre à certaines choses naturelles qui, lorsqu’elles sont artificiellement aménagées, peuvent acquérir la qualité d’ouvrages. Tel est notamment le cas d’un remblai installé en vue d’assurer la fonctionnalité d’un ouvrage, dont il fait dès lors partie intégrante (c. 5.2). Le fait que, dans le cas d’espèce, le propriétaire du terrain sur lequel avait été aménagé le remblai est non pas la commune, mais un tiers, est sans portée. Certes, la jurisprudence impose de déterminer qui est propriétaire (au sens du Code civil) de l’ouvrage défectueux ou mal entretenu. Cette règle doit cependant être tempérée, notamment lorsque deux choses juridiquement indépendantes forment un seul et même ouvrage d’un point de vue fonctionnel et que le défaut affectant la chose la moins importante se présente comme un défaut de l’autre ; dans un tel cas, il importe peu que les deux choses appartiennent à des propriétaires différents. La responsabilité du propriétaire de l’ouvrage de l’art. 58 CO est alors encourue par le propriétaire de la partie la plus importante (c. 5.4 et 5.5).

Le recourant avait tenté d’échapper à l’application du droit privé fédéral en soutenant que ce n’était pas le défaut du remblai qui avait provoqué le dommage, mais la décision prise par la commune de le réaliser. Telle n’est pas la question, objecte le TF  il s’agit de savoir si la commune est responsable des dégâts causés au chalet du recourant en application de l’art. 58 CO, ce qu’il n’y a pas lieu de trancher dans le cadre d’une procédure relevant de la responsabilité étatique (c. 5.7). Le TF confirme dès lors l’arrêt d’irrecevabilité qui avait été rendu par l’instance cantonale (c. 5.8).

Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

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Responsabilité du maître de l’ouvrage

TF 9C_198/2022 du 30 mai 2023

Assurance invalidité; coordination européenne, ALCP, rente d’invalidité, calcul, totalisation des périodes de cotisations; art. 8 ch. 1 R (CE) n° 883/2004; 12 Convention de sécurité sociale CH-P

Le litige porte sur le calcul de la rente d’invalidité allouée au recourant, plus particulièrement sur la prise en compte, dans le calcul de sa rente à partir du 1er septembre 2021, des périodes de cotisations accomplies au Portugal. Le droit du recourant à une rente d’invalidité est en l’espèce né le 1er janvier 2018, après l’entrée en vigueur du R (CE) n° 883/2004. Ratione temporis, le litige doit ainsi être tranché à la lumière de ce règlement.

L’art. 8 ch. 1 R (CE) n° 883/2004 prévoit que « dans son champ d’application, le présent règlement se substitue à toute convention de sécurité sociale applicable entre les Etats membres. Toutefois, certaines dispositions de conventions de sécurité sociale que les Etats membres ont conclues avant la date d’application du présent règlement restent applicables, pour autant qu’elles soient plus favorables pour les bénéficiaires ou si elles découlent de circonstances historiques spécifiques et ont un effet limité dans le temps. Pour être maintenues en vigueur, ces dispositions doivent figurer dans l’annexe II. Il sera précisé également si, pour des raisons objectives, il n’est pas possible d’étendre certaines de ces dispositions à toutes les personnes auxquelles s’applique le présent règlement. »

Ni l’office intimé, ni la juridiction cantonale n’ont examiné le point de savoir si le système de la Convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et le Portugal est plus favorable au recourant que le système du R (CE) n° 883/2004. A cet égard, le TF a considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal ; art. 84 R [CE] n° 1408/71 ; art. 76 ss R [CE] n° 883/2004 ; art. 2 ss R [CE] n° 987/2009).

En conséquence, il convient d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction sur ce point et rende une nouvelle décision.

Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 8C_670/2022 du 25 mai 2023

Assurance-chômage; prestations transitoires, prestations de préretraite, qualification en droit européen; art. 3 par. 1 let. h et i, 66 R (CE) n° 883/2004; 5 al. 1 let. b LPtra

La loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra) prévoit des prestations de préretraite au sens de l’art. 3 par. 1 let. i R (CE) n°883/2004, et non des prestations de chômage au sens de l’art. 3 par. 1 let. h de ce règlement. En conséquence, en vertu de l’art. 66 R (CE) n°883/2004, les périodes de cotisation accomplies à l’étranger ne doivent pas être prises en considération pour le calcul de la durée minimale d’assurance de vingt ans, dont au moins cinq ans après l’âge de 50 ans, exigée par l’art. 5 al. 1 let. b LPtra.

Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

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Assurance-chômage Publication prévue

TF 6B_658/2022 du 24 mai 2023

Responsabilité aquilienne; causalité, art. 117 CP; 32 LCR; 41 CO

En examinant les circonstances d’un accident de la circulation lors duquel un cycliste a mortellement heurté un piéton, les juges fédéraux rappellent que pour qu’il y ait négligence, il faut tout d’abord que l’auteur ait, d’une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d’autre part, il n’ait pas déployé l’attention et les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir.

Selon l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur doit rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer au devoir de la prudence. L’observation de la règle de l’adaptation de la vitesse aux circonstances est la première condition de la maîtrise du véhicule. La règle de l’art. 32 al. 1 LCR implique aussi qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité le permettent. Il faut notamment réduire sa vitesse dans un virage à visibilité réduite. La règle de la possibilité d’arrêt sur la distance de visibilité, et en fonction des risques prévisibles, est la règle fondamentale de l’adaptation de la vitesse.

Dans le cas d’espèce, le choc a eu lieu au sortir du deuxième segment d’une grande courbe à droite. Le TF retient que le cycliste a violé son devoir de prudence en n’adoptant pas une vitesse adéquate aux circonstances et à la visibilité dont il disposait, compte tenu de la courbe sur laquelle il circulait. Le cycliste devait compter avec la possibilité de se retrouver face à un danger au sortir de la courbe, laquelle restreignait sa visibilité et donc aussi l’anticipation possible. Or, son allure ne lui permettait pas de s’arrêter sur la distance visible. Ainsi, la prudence commandée par les circonstances aurait dû l’amener à ralentir et à adapter sa vitesse à la visibilité dont il disposait.

La présence d’un piéton traversant une route touristique du Lavaux un dimanche soir d’été, vers 19h50, ne constitue pas un fait extraordinaire ou imprévisible qui relègue à l’arrière-plan le rôle causal joué par la faute du cycliste. Il n’y a donc pas rupture du lien de causalité adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et le décès de la victime.

Le TF renvoie la cause aux juges vaudois qui avaient acquitté le cycliste du chef d’homicide par négligence en violation du droit fédéral.

Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Causalité

TF 9C_223/2022 du 15 mai 2023

Prestations complémentaires; calcul de la prestation complémentaires, revenus déterminants, franchise sur le revenu de l’activité lucrative; art. 11 al. 1 let. a LPC

L’affaire concerne le calcul des prestations complémentaires pour l’année 2021 pour une femme percevant une rente AI (taux d’invalidité de 62 %), n’exerçant aucune activité lucrative. Cette dernière vit en ménage commun avec sa fille au bénéfice d’une rente pour enfant de l’AI et percevant un revenu de son activité d’apprentie. La cour cantonale a procédé à un calcul commun, en déduisant d’abord du revenu de l’activité lucrative de la fille de l’assurée les dépenses dûment justifiées pour son obtention (art. 10 al. 3 let. a LPC) et les cotisations aux assurances sociales obligatoires prélevées sur le revenu (art. 10 al. 3 let. c LPC). Ensuite, la franchise de CHF 1'500.- a été déduite, car la fille vit avec sa mère, soit le parent qui a droit à une rente ; par conséquent, la prestation complémentaire est déterminée globalement avec la rente du parent (art. 7 al. 1 let. b OPC-AVS/AI). Le montant intermédiaire a été retenu à hauteur des deux tiers, en tant que revenu privilégié (art. 11 al. 1 let. a, première phrase, LPC). La cour cantonale a considéré en substance que la franchise devait être appliquée à ce revenu, n’ayant pas déjà pu être déduite concrètement d’un autre revenu privilégié – étant inexistant – c’est-à-dire celui de la mère, soit la personne ayant droit aux prestations complémentaires (cf. c. 5.6 in initio). La caisse de compensation recourt au TF.

Le litige porte sur le calcul du revenu de l’activité lucrative réalisé par la fille de l’assurée, seul revenu dans le ménage provenant de l’exercice d’une activité lucrative, ainsi que sur la déduction ou non de la franchise de CHF 1'500.- sur ce revenu (c. 3.1). L’examen de l’affaire s’effectue sous l’angle du nouveau droit, entré en vigueur le 1er janvier 2021 (c. 3.3).

Le TF procède à l’interprétation littérale de l’art. 11 al. 1 let. a, première phrase, LPC. Selon cette disposition, le revenu déterminant correspond aux deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l’exercice d’une activité lucrative, pour autant qu’elles excèdent annuellement CHF 1'500.- pour les personnes qui ont des enfants donnant droit à une rente pour enfant de l’AI (situation du cas d’espèce). Le libellé de la disposition n’indique pas clairement si la franchise doit s’appliquer au revenu du bénéficiaire seul ou à celui du ménage. Il est donc nécessaire de recourir à d’autres méthodes d’interprétation (c. 5.5 in initio).

Dans le cadre de l’interprétation historique, la combinaison d’une déduction fixe et le calcul du solde du revenu à hauteur des deux tiers « favorise particulièrement les personnes se trouvant dans une situation économique précaire, tout en les incitant à conserver une certaine activité lucrative ou à économiser en vue de l’octroi d’une rente ou d’une pension, étant donné que le revenu excédant le montant sujet à déduction ne conduit pas à une réduction proportionnelle de la prestation complémentaire » (FF 1964 II 705 ss, 718). Il existe donc à la fois un aspect social et un incitatif à conserver une activité lucrative, principalement pour les bénéficiaires de prestations complémentaires mais aussi pour les autres membres de la famille. L’intention du législateur, avec la prise en compte seulement partielle des revenus, était d’encourager les bénéficiaires des prestations complémentaires à exercer une activité lucrative sans être pénalisé par une diminution correspondante du montant de la prestation complémentaire (c. 5.5).

Selon le TF, la franchise de CHF 1'500.- doit être déduite une seule fois, car elle est établie pour le ménage et appliquée au ménage, mais elle ne doit pas être déduite en principe uniquement du revenu de l’activité lucrative du bénéficiaire des prestations complémentaires. La franchise ne s’applique donc pas au seul bénéficiaire des prestations complémentaires (c. 5.6).

Le TF arrive à la conclusion que le revenu de l’activité d’apprentie de la fille de la bénéficiaire des prestations complémentaires – qui ne perçoit aucun revenu et auquel aucun revenu ne peut être imputé au sens de l’art. 14a OPC-AVS/AI, diminué des frais d’obtention du revenu (art. 11a OPC AVS/AI) et des cotisations aux assurances sociales (art. 10 al. 3 let. c LPC), doit être réduit de la franchise de CHF 1'500.-, puis pris en compte à hauteur des deux tiers dans le revenu déterminant de la mère, en tant que revenu privilégié au sens de l’art. 11 al. 1 let. a, 1re phrase, LPC (consid. 5.7).

Le TF souligne également le fait que le N 3421.11 DPC est contraire à l’art. 11 al. 1 let  a LPC. Il en est de même de l’annexe 6 des DPC (« Facteurs pour la prise en compte du revenu de l'activité lucrative »), dans la mesure où aucune franchise n'est prévue pour le revenu des enfants (c. 5.8).

Le TF rejette le recours de la caisse de compensation et confirme l’arrêt du tribunal cantonal.

Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne

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Prestations complémentaires Publication prévue

TF 4A_17/2023 du 09 mai 2023

Responsabilité aquilienne; dommage, théorie de la différence, dommage normatif; art. 41 al. 1 et 55 CO

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre du scandale des gaz d’échappement diesel (Diesel-Abgasskandal), désormais connu sous le nom de « dieselgate ». Cette polémique a mis en lumière l’installation par un constructeur automobile allemand, dans près de 11 millions de ses véhicules diesel, d’un logiciel manipulant les résultats des tests d’émissions polluantes.

Dans le cas d’espèce, la recourante a directement actionné le constructeur, avec lequel elle n’avait aucune relation contractuelle, auprès du Tribunal de commerce du canton de Zurich. Se fondant sur les art. 41 ss CO, respectivement l’art. 55 CO, elle a conclu à la restitution en nature, à savoir le remboursement du prix d’achat brut, de son véhicule de CHF 33'102.-, ainsi qu’au remboursement à hauteur de EUR 3'357.39 au titre de frais de réparation de la boîte de vitesses pour un défaut survenu le 27 mai 2016 en Allemagne, dans les deux cas en échange de la restitution du véhicule. A titre subsidiaire, la recourante a conclu au paiement de dommages-intérêts à hauteur de 25 % du prix du véhicule neuf, soit CHF 8’275.50. Le Tribunal de commerce du canton de Zurich a rejeté la restitution en nature et n’est pas entré en matière sur la prétention tendant au remboursement des frais de réparation de la boîte à vitesse, faute de compétence internationale.

Le TF a confirmé cette décision. En opérant une distinction parmi les prétentions, elle a conclu que la compétence des tribunaux suisses était donnée selon l’art. 24 CL pour celles liées directement au scandale des gaz d’échappement. En revanche, les juges fédéraux sont arrivés à la conclusion inverse concernant la prétention fondée sur le dommage causé par le défaut affectant la boîte à vitesses à mesure que celui-ci s’était produit en Allemagne (c. 2.2.4). Le TF a en outre rappelé que la CL ne connaissait pas de for général de cumul objectif d’actions (c. 2.2.5).

Pour fonder l’existence d’un dommage dans le cadre spécifique du « dieselgate », la recourante s’est basée sur un arrêt de la Cour fédérale de justice d’Allemagne et sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. La décision allemande a considéré comme décisif le fait que l’acheteur ait conclu un contrat de vente qu’il n’aurait raisonnablement pas conclu, s’il avait eu connaissance de la manipulation du logiciel. Selon la Cour fédérale de justice allemande, cet engagement involontaire constitue un dommage relevant du droit de la responsabilité civile extracontractuelle. La Cour de justice de l’Union européenne a abouti à la même conclusion en retenant que l’achat d’une voiture concernée par le « dieselgate » donnait droit à des dommages-intérêts contre le constructeur sur la base de ce même régime de responsabilité (c. 7.2).

Le TF affirme qu’il ne peut suivre un tel raisonnement pour le droit suisse (c. 7.3). Il explique que de jurisprudence constante, le dommage en droit de la responsabilité civile extracontractuelle est basé sur la théorie de la différence. Selon cette théorie, le dommage est la diminution involontaire du patrimoine net, correspondant à la différence entre l’état actuel du patrimoine et l’état hypothétique qu’il aurait sans le fait dommageable. La réparation d’un dommage normatif – non lié à une diminution du patrimoine – n’est accordée que dans deux cas de figure, à savoir le dommage ménager (Haushaltschaden) et le dommage de prise en charge (Pflegeschaden). Ce n’est que dans ces cas que des dommages-intérêts peuvent être versés, même s’il n’y a pas eu une diminution du patrimoine (c. 7.3.1).

En l’espèce, la recourante n’a pas démontré que le comportement du constructeur lui aurait causé un dommage. Elle n’a pas fait valoir que la valeur vénale de son véhicule aurait été plus élevée sans la manipulation du logiciel, respectivement qu’elle aurait pu obtenir un prix de revente plus élevé sans celle-ci. Elle n’a en outre pas invoqué une moins-value mercantile au sens de la jurisprudence, des frais de réparation et d’équipement ultérieur ou d’autres frais consécutifs tels qu’une consommation accrue de carburant (c. 7.3.2).

La conclusion involontaire d’un contrat ne constitue pas un préjudice indemnisable en vertu du droit de la responsabilité civile extracontractuelle. En définitive, la recourante demande une « réparation du tort moral déguisée pour défaut matériel » qui ne peut être accordée en vertu des art. 41 et 55 CO (c. 7.3.3).

Il en découle que ni la restitution en nature ni le remboursement des « overcharges » (différence entre le prix effectif et le prix hypothétique du véhicule) réclamés ne trouvent de fondement dans les art. 41 ou 55 CO, conduisant au rejet du recours (c. 7.4).

Auteur : Scott Greinig, avocat, MLaw, assistant-doctorant à Neuchâtel

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Responsabilité aquilienne Dommage

TF 4A_49/2023 du 03 mai 2023

Assurances privées; obligation de diminuer le dommage, assurance de sommes; art. 61 al. 1 aLCA ( 38a al. 1 LCA); 42 LTF

A. est un dentiste indépendant qui a conclu une assurance de perte de gain en cas de maladie sous forme d’une assurance de sommes avec un salaire de CHF 73'000.-. Après avoir pris en compte une incapacité de travail de presque une année dans la profession habituelle de A., l’assureur B. indique le 3 juillet 2019 à A. qu’en tenant compte d’une pleine capacité de travail dans une autre profession mieux adaptée à son état de santé, il ne pourra plus servir d’indemnités journalières à partir du 1er novembre 2019.

En premier lieu, le TF rappelle qu’un éventuel deuxième échange d’écritures ne saurait être utilisé pour améliorer ou compléter un recours, car au sens de l’art. 42 al. 1 LTF, les mémoires de recours doivent être déposés avec une motivation complète. Les griefs soulevés dans un deuxième temps sont donc irrecevables (c. 1.2).

Sur le fond, en considérant la teneur des conditions générales d’assurances qui permettent à l’assureur B. de tenir compte d’une incapacité de gain dans une autre activité professionnelle en cas d’incapacité de travail de longue durée, le TF confirme l’application de sa jurisprudence constante en matière d’obligation de réduire le dommage (c. 3.2 et 3.3.1).

En fixant à A. un délai de quatre mois pour un changement d’activité professionnelle, l’assureur B. respecte le délai de transition habituel (trois à cinq mois). Peu importe par ailleurs qu’il s’agisse d’une assurance de sommes ou de dommages, l’obligation de limiter le dommage s’applique (c. 3.3.1 et 3.3.3). Par ailleurs, A. considère qu’il n’y a pas lieu de comparer le salaire assuré de CHF 73'000.- avec un revenu à réaliser dans une activité professionnelle mieux adaptée à son état de santé, mais son salaire AVS qui est sensiblement plus élevé. Le TF estime à ce titre qu’en regard des conditions contractuelles du contrat d’assurance, la solution retenue par l’assureur (salaire assuré de CHF 73'000.- versus salaire de remplacement) ne viole pas le droit fédéral (c. 3.3.2).

Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

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Assurances privées

TF 9C_226/2022 du 02 mai 2023

Assurance-vieillesse et survivants, remise de moyens auxiliaires, âge AVS; art. 43quater al. 1 LAVS; 4 OMAV

Un assuré, amputé de sa jambe droite à la suite d’un accident survenu le 8 juillet 1981, a bénéficié de la prise en charge des frais d’entretien et de renouvellement de la prothèse standard qui lui avait été remise à titre de moyen auxiliaire de l’assurance-invalidité. En avril 2020, il présente une nouvelle demande de moyen auxiliaire, sous forme de prothèse de jambe avec genou articulé contrôlé par microprocesseur de type C-Leg, au motif que celle-ci serait nécessaire à l’exercice de l’activité poursuivie après l’âge de la retraite. La juridiction cantonale a nié le droit à la remise d’une prothèse de type C-leg, au motif que l’assuré (né en 1951) avait atteint l’âge ouvrant le droit à une rente de l’AVS lors du dépôt de sa dernière demande, de sorte que seules les dispositions de la LAVS trouvent application.

Pour le TF, il n’y a pas de discrimination en raison de l’âge dès lors que l’assuré a bénéficié, et continue de bénéficier depuis 1981, d’un modèle de moyen auxiliaire jugé simple et adéquat pour atteindre les buts fixés par la loi. La juridiction cantonale a ainsi considéré à bon droit que l’assuré ne peut pas prétendre, sous le régime de la LAVS, à un moyen auxiliaire plus perfectionné que celui qui lui avait été accordé depuis 1981 sous le régime de l’AI, sous peine d’étendre la garantie des droit acquis d’une manière contraire au sens et au but de l’art. 4 OMAV.

Le TF rappelle par ailleurs que le but de l’art. 4 OMAV est de maintenir les droits acquis avant l’âge de retraite, mais pas de conférer à l’assuré un droit à l’octroi d’un moyen auxiliaire s’adaptant à l’atteinte à la santé. Si le moyen auxiliaire remis sur la base de la garantie des droits acquis peut parfois être d’une meilleure qualité que celui accordé sous le régime de la LAI, l’octroi d’un tel moyen est toutefois toujours justifié par des motifs techniques foncièrement indépendants de la seule qualité intrinsèque du moyen en question. Le seul fait qu’une prothèse de type C-leg soit d’une meilleure qualité qu’une prothèse mécanique ne suffit dès lors pas à justifier sa remise.

Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne

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Assurance-vieillesse et survivants

TF 6B_197/2021 du 28 avril 2023

Responsabilité aquilienne; obligation de prévention des accidents, devoir de diligence; art. 117 CP; 29 al. 1 OPA

Un employé d’une usine chimique remplit des conteneurs avec des eaux usées issues de la fabrication d’un composant. Les cinq premières cuves sont remplies sans incident. Au cours du remplissage du sixième conteneur, l’employé ne réalise pas qu’il s’agit d’un ancien conteneur non conducteur d’électricité, contrairement aux cinq premiers, lequel contenait des restes d’un distillat facilement inflammable. Le mélange des substances génère une décharge électrique entraînant une explosion du conteneur et provoquant le décès d’un ouvrier à proximité. Le responsable de la sécurité du site de production, acquitté en première instance mais reconnu coupable d’homicide par négligence par le tribunal cantonal, interjette recours auprès du TF.

Le TF rappelle les principes juridiques relatifs à l’art. 117 CP (homicide par négligence) et aux infractions par omission de même que les obligations de protection de l’employeur en vertu des articles 328 al. 1 CO et 3 al. 1 OPA (consid. 3.2.1 à 3.2.4). Il souligne ensuite que l’art. 29 al. 1 OPA traite spécifiquement du danger d’incendie et d’explosion et relève que les exploitants d’installations techniques dangereuses sont en principe tenus de veiller, par des dispositifs de sécurité appropriés, à ce que les risques d’accidents spécifiques liés à l’exploitation de l’installation puissent être évités dans la mesure du possible. L’arrêt relève que, dans le cas d’espèce, la production du composant chimique était une activité dangereuse. Or le recourant n’avait mis aucune mesure en place afin de garantir que les conteneurs non conducteurs soient tous éliminés de l’usine. L’arrêt mentionne également l’absence d’étiquetage des différents conteneurs accessibles aux employés ainsi qu’un défaut de formation du personnel travaillant sur le remplissage des cuves. En outre, le TF relève qu’aucune sensibilisation aux dangers posés par les conteneurs non conducteurs n’avait été instaurée par le recourant. Ce dernier a donc fait preuve de négligence dans la prévention d’éventuels accidents mortels en ne mettant en place qu’une seule mesure de sécurité, consistant en la vérification d’un câble de mise à terre sur les conteneurs, mesure manifestement insuffisante au regard de la dangerosité de l’activité en cause (c. 3.4.3).

Le recourant affirmait qu’il ne pouvait s’attendre à ce qu’un employé ne vérifie pas le câble de mise à terre et ne devait pas compter sur la présence d’un travailleur à proximité de la cuve au cours du remplissage. Après avoir rappelé qu’il n’existe pas de compensation des fautes en droit pénal, le TF relève que le comportement d’un tiers ne peut interrompre le lien de causalité que si cette cause apparaît tout à fait exceptionnelle ou si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Le TF souligne qu’il est incontestable que l’ouvrier en charge du remplissage des cuves savait qu’il aurait dû contrôler le câble de mise à terre en question et qu’il a omis de procéder à cette étape de contrôle prévue dans les instructions de fabrication. Toutefois, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, une telle étape de contrôle peut être facilement ignorée au cours de travaux de routine comportant des tâches répétitives. En ce qui concerne la présence d’un employé à proximité de la cuve, l’arrêt souligne qu’il est notoire que les employés ne se tiennent pas toujours uniquement aux postes de travail qui leur sont attribués et qu’ils se déplacent sur le lieu de travail pour des raisons les plus diverses, par exemple pour aider un collègue ou pour discuter avec quelqu’un (c. 3.5.4).

Le TF rejette l’argument du recourant tiré du principe de la confiance d’après lequel il pouvait s’attendre à ce que les ouvriers en question se conforment aux prescriptions de sécurité instaurées au sein de l’entreprise par ses soins. Ainsi celui qui, comme le recourant, a une responsabilité spécifique de contrôle, doit s’attendre à des erreurs. Le principe de la confiance doit être relativisé lorsque les obligations de diligence en question visent précisément à surveiller, contrôler ou superviser les agissements d’autres personnes, et donc à prévenir leur comportement fautif.

Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains

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Responsabilité aquilienne

TF 6B_1108/2021 du 27 avril 2023

Aide sociale; perception de prestations indues, cas de peu de gravité; art. 148a al. 2 CP

Dans le cas d’une personne bénéficiaire de l’aide sociale ayant omis avoir perçu des avoirs de libre passage à hauteur de CHF 18'400.-, le TF a été amené à définir la notion de cas de peu de gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP. La distinction entre l’art. 148a al. 1 et al. 2 CP est essentielle, dans la mesure où une condamnation en vertu de l’art. 148a al. 1 CP est un cas d’expulsion obligatoire au sens de l’art. 66a CP, alors que ce n’est pas le cas si la condamnation est prononcée en application de l’art. 148a al. 2 CP.

Le TF délimite le champ d’application des deux alinéas en indiquant que si le montant du délit est inférieur à CHF 3'000.-, il s’agit toujours d’un cas de peu de gravité ; à l’inverse, s’il est supérieur à CHF 36'000.- il ne s’agit en règle générale plus d’un cas de faible gravité. Dans l’intervalle entre ces deux montants, un examen approfondi des circonstances du cas d’espèce est nécessaire. Une obtention illicite de prestations durant une courte période, un comportement ne traduisant pas une intention marquée d’enfreindre la loi, une motivation ou des buts compréhensibles, sont autant d’indices d’une faible culpabilité. En cas de procédé astucieux, il conviendrait avant toute chose d’examiner si les éléments constitutifs d’une escroquerie sont réalisés, auquel cas l’expulsion devrait obligatoirement être ordonnée.

En l’espèce, la personne bénéficiaire n’a passé sous silence qu’un seul montant, et s’est expliquée à première réquisition. Elle a produit toutes les pièces justificatives demandées. L’intention d’enfreindre la loi étant ici peu marquée, il s’agit d’un cas de faible gravité, de sorte que l’expulsion ne peut être ordonnée.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Aide sociale Publication prévue

TF 9C_489/2022 du 27 avril 2023

Prestations complémentaires à l’AVS/AI; procédure, conflit négatif de compétence ratione loci; art. 58 al.1 LPGA

L’enfant bénéficiaire de prestations complémentaires en lien avec une rente pour enfant d’invalide n’est ni la personne assurée, ni une autre partie à la procédure au sens de l’art. 58 al. 1 LPGA, disposition qui règle la question de la compétence territoriale des tribunaux cantonaux des assurances. En cas de litige portant sur des prestations complémentaires pour enfant d’invalide, le tribunal des assurances du canton de domicile du bénéficiaire de la rente de base (« Stammrente ») est territorialement compétent. Dans le cas présent, il s’agit du tribunal des assurances du canton du domicile de la mère bénéficiaire de la rente d’invalidité (c. 3.3).

Auteur : Eric Maugué

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Prestations complémentaires Procédure

TF 8C_689/2022 du 26 avril 2023

Assurance-chômage; indemnité pour insolvabilité, personne dirigeante; art. 31 al. 3 let. c et 51 al. 2 LACI

L’art. 51 al. 2 LACI limite le droit à l’indemnité pour cause d’insolvabilité des personnes jouissant d’une position dirigeante de fait ou de droit dans une entreprise. On applique les mêmes principes et la même jurisprudence qu’en matière d’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (art. 31 al. 3 let. c LACI).

Si la personne concernée a une position dirigeante de par la loi (par ex. : associée d’une Sàrl, membre du conseil d’administration d’une SA), elle fait d’emblée partie des personnes qui sont exclues du cercle des ayants droit aux indemnités susmentionnées. Lorsque la personne concernée ne jouit pas d’une telle position, il faut prendre en compte la structure interne de l’entreprise. Ainsi, ce n’est pas parce que l’employé ne dispose d’aucune signature qu’il ne dispose pas d’un certain pouvoir décisionnel et influent.

En l’espèce, le TF renverse un arrêt cantonal zurichois, car l’employé était gérant, certes sans pouvoir de signature. Il avait toutefois une influence effective et importante sur la marche de l’entreprise. Dans ces conditions, le droit à une indemnité pour insolvabilité n’est pas ouvert.

Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

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Assurance-chômage

TF 4A_168/2023 du 21 avril 2023

Responsabilité aquilienne; dommage, fardeau et ampleur de l’allégation; art. 42 al. 2 CO

Le TF rappelle que même dans le champ d’application de l’art. 42 al. 2 CO et indépendamment de la méthode d’évaluation du dommage, le demandeur doit exposer toutes les circonstances auxquelles il a accès et sur la base desquelles le tribunal peut éventuellement estimer le dommage. L’art. 42 al. 2 CO ne libère pas le demandeur de la charge de fournir au juge, dans la mesure où cela est possible et où on peut l‘attendre de lui, tous les éléments de fait qui constituent des indices de l’existence du dommage et qui permettent ou facilitent son estimation ; il n’accorde pas au lésé la faculté de formuler sans indications plus précises des prétentions en dommages-intérêts de n’importe quelle ampleur.

Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

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Responsabilité aquilienne Dommage

TF 4A_557/2022 du 18 avril 2023

Assurances privées; procédure, légitimation passive, for, maxime inquisitoire, fardeau de l’allégation, fardeau de la preuve; art. 95a LCA; 7, 32 et 243 CPC

Dans le cadre d’une procédure ayant pour objet la restitution d’indemnités journalières maladie, un employé assuré par le biais d’un contrat collectif conclu par son employeur recourt au TF en contestant notamment sa légitimation passive ainsi que le for de l’art. 32 CPC sur lequel s’est fondé l’autorité inférieure pour statuer.

Le TF rappelle que l’art. 95a LCA (anciennement art. 87a LCA) prévoit que la personne en faveur de laquelle une assurance-maladie collective a été conclue dispose, dès la survenance de la maladie, d’un droit propre contre l’entreprise d’assurance. Si l’employeur conclut une assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, l’employé est ainsi l’ayant droit de la prestation d’assurance. A l’inverse, l’assureur est habilité à faire valoir d’éventuelles prétentions en restitution directement contre la personne assurée par un contrat collectif (c. 3.2).

Le TF renonce à se prononcer sur la question du for de l’art. 32 CPC dans la mesure où, même si l’on suivait le point de vue du recourant et que l’on considérait qu’il n’y avait pas de contrat de consommation, le recourant aurait dû être poursuivi en tous les cas en tant que partie défenderesse au for de son domicile, ce qui a été le cas en l’espèce (c. 4.1).

Finalement, le TF rejette le grief de violation des articles 7 et 243 CPC invoqué par le recourant. Selon ce dernier, l’intimée aurait invoqué l’ensemble du dossier sans aucune justification, ce qui devrait être considéré comme insuffisant, même au regard de la maxime inquisitoire sociale. A cet égard, le TF considère suffisante comme justification des prétentions l’énumération au chiffre 27 de la réplique des indemnités journalières versées sous forme de tableau et l’offre de preuve par la mention de la pièce correspondante au dossier. Il considère ainsi infondé le grief selon lequel l’intimée n’aurait pas suffisamment prouvé ses prétentions (c. 4.2).

Auteure : Tania Francfort, Titulaire du brevet d’avocat

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Assurances privées Procédure

TF 8C_57/2023 du 17 avril 2023

Assurance-chômage; aptitude au placement, obligation de diminuer le dommage, personne en formation; art. 8 et 15 LACI

Dans cet arrêt, le TF est amené à examiner l’aptitude au placement d’un assuré suivant une formation universitaire.

L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective (d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue) et n’est pas sujette à fractionnement. Lorsqu’un assuré est disposé à n’accepter qu’un travail à temps partiel (d’un taux d’au moins 20 %), il convient d’admettre l’aptitude au placement de l’intéressé dans le cadre d’une perte de travail partielle (et non une aptitude au placement partielle pour une perte de travail de 100 %). Ainsi, c’est sous l’angle de la perte de travail à prendre en considération qu’il faut, le cas échéant, tenir compte du fait qu’un assuré au chômage ne peut ou ne veut pas travailler à plein temps.

Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, être objectivement disposé – et être en mesure de le faire – à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Il faut que la volonté de l’assuré se traduise – pendant toute la durée du chômage – par des actes (une simple allégation de celui-ci ne suffit pas). La disponibilité d’un assuré à l’exercice d’un emploi salarié et au suivi d’une mesure du marché du travail s’examine d’après toutes les circonstances concrètes, en tenant compte du caractère vraisemblable de la possibilité d’interrompre la formation dans de brefs délais et de la volonté de l’assuré de le faire.

Le devoir de diminuer le dommage à l’assurance-chômage oblige l’assuré qui fait valoir des prestations à élargir le champ de ses recherches d’emploi – au besoin et assez rapidement – à d’autres activités que celles exercées précédemment et à accepter en règle générale immédiatement tout travail convenable.

Vu que l’aptitude au placement doit être évaluée de manière prospective et compte tenu des exigences sévères du devoir de limiter le dommage, le TF confirme l’appréciation de la cour cantonale, laquelle a retenu une aptitude de placement de 60 %, sur la base de la grille horaire des cours de la formation, et en déduisant des affirmations de l’assuré – selon lesquelles il était prêt à renoncer à sa formation d’une durée de quatre semestres s’il se présentait un emploi à plein temps ou était assigné à une mesure de l’ORP – qu’il n’aurait pas été prêt à interrompre sa longue formation à bref délai (à l’exception des réserves émises). En effet, à l’examen de l’ensemble des circonstances liées à la formation universitaire suivie par le recourant, il a été jugé inconcevable que celui-ci trouve un emploi à un taux de 100 %, voire 75 %, ni qu’un employeur s’accommode des horaires imposés par sa formation.

Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel

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Assurance-chômage

TF 9C_549/2022 du 12 avril 2023

Prestations complémentaires à l’AVS/AI; renonciation aux prestations d’assurance; Art. 23 LPGA

En 2021, une bénéficiaire de rente AI demande à renoncer aux PC dont elle bénéficie pour éviter que ses héritiers ne soient amenés à les rembourser.

Il ne doit pas être tenu compte des faits survenus postérieurement à la décision sur opposition. Ces faits doivent faire l’objet d’une nouvelle procédure administrative (c. 6.1)

La cour cantonale ayant constaté que le revenu de l’assurée se monte à CHF 1'931.00, qu’elle ne dispose pas de liquidités suffisantes et disponibles rapidement pour faire face à ses dépenses et qu’elle risque donc de léser les intérêts de l’aide sociale et de ses proches, le TF confirme la décision cantonale mettant en évidence l’existence d’un préjudice pour l’aide sociale au sens de l’art. 23 al. 2 LPGA (c. 6.2).

Les conditions pour protéger la bonne foi de la recourante, qui fait valoir que sa conseillère lui aurait garanti en 2015 qu’elle ne devrait jamais rembourser les PC perçues, ne sont pas données car elles supposent que la loi n’ait pas changé depuis le moment où la garantie a été donnée. Tel est le cas ici dans la mesure où la loi a changé avec entrée en vigueur le 1er janvier 2021 (c. 6.3).

Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

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Prestations complémentaires

TF 9C_512/2022 du 06 avril 2023

Assurance-maladie; « Listes noires », moment de l’inscription, procédure cantonale (Aarau); art. 64a al. 7 LAMal

La question litigieuse est celle de savoir à partir de quelle date la personne assurée peut être inscrite sur la liste tenue par le canton d’Argovie de personnes n’ayant pas payé leurs primes et faisant l’objet de poursuites (« liste noire »). Le droit argovien prévoyant que cette inscription peut intervenir à l’échéance d’un délai de 30 jours dès la « communication de la poursuite » (« Betreibungsmeldung »), les premiers juges avaient retenu, suivant en cela la personne assurée, que le délai de 30 jours courait depuis la date de la notification du commandement de payer.

Procédant à l’interprétation du droit cantonal selon les méthodes usuelles, le TF parvient à la conclusion que le droit argovien n’est pas formulé de manière aussi restrictive, et que la solution des juges cantonaux est arbitraire. Sur la base des travaux préparatoires, mais également de son texte, qui ne reprend pas la formulation du droit des poursuites, ou encore du but de la norme, il fallait ici comprendre que le législateur argovien entendait faire partir le délai de 30 jours depuis le moment où la personne assurée avait été informée que des poursuites allaient être engagées à son encontre en raison de primes ou de participations impayées, et non depuis la notification formelle d’un commandement de payer.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-maladie Publication prévue

TF 9C_534/2021 du 04 avril 2023

Assurance-maladie; calcul du remboursement des recettes de médicaments, droit transitoire; art. 18 et 32 LAMal; 65b, 65d, 65f et 67 OAMal; 37e OPAS; LS

A. SA est titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament C., lequel figure sur la liste des spécialités pharmaceutiques et des médicaments confectionnés avec prix (LS) depuis le 1er août 2014. L’examen d’économicité requis avait alors été effectué sur la base d’une comparaison thérapeutique transversale (CTT) et d’une comparaison avec les prix pratiqués à l’étranger (CPE). Sur demande de A. SA en vue du réexamen périodique triennal des conditions d’admission à la LS, l’OFSP a baissé le prix du médicament C. de 30 % au 1er janvier 2018. Le 3 septembre 2018, l’OFSP a ordonné le remboursement des recettes supplémentaires en se fondant sur une CTT et une CPE. Le litige porte sur la question de savoir si l’instance inférieure a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’OFSP par laquelle le montant du remboursement a été calculé sur la base tant d’une CPE que d’une CTT, et non pas seulement d’une CPE (c. 2.1).

Au moment de l’admission du médicament C. dans la LS au 1er août 2014, la différence entre le prix de fabrique lors de l’admission et celui après la baisse de prix était généralement calculée exclusivement sur la base d’une CPE (c. 2.2.1). La prise en compte régulière de la CTT dans le cadre de l’examen périodique triennal des conditions d’admission a été introduite – dans le sillage de l’ATF 142 V 26 – de manière explicite dans l’OAMal et l’OPAS avec les révisions du 1er février 2017 (c. 2.3).

Le TF rappelle que lors de l’introduction du médicament C. le 1er août 2014, le prix de fabrique a été fixé sur la base d’une CPE et d’une CTT, ce qui est correct tant selon le droit de l’époque que selon le droit actuel (c. 3.1). Il considère en effet qu’il ne ressort pas des dispositions transitoires relatives aux modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 29 avril et du 21 octobre 2015 que seule une CPE doit être effectuée (c. 3.2.1). Le TF rappelle de plus que l’ATF 142 V 26 a constaté l’illégalité du réexamen triennal du caractère économique d’un médicament basé uniquement sur un CPE – et donc de l’art. 65d al. 1bis OAMal dans sa version en vigueur du 1er juin 2013 au 31 mai 2015 – et a conclu à la nécessité d’effectuer également une CTT (c. 4). Il considère donc qu’au moment de l’admission du médicament C. dans la LS le 1er août 2014, il fallait effectuer non seulement une CPE, mais également une CTT lors du contrôle triennal (c. 5.1).

Concernant le droit transitoire, le TF considère que les dispositions transitoires des modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 29 avril et du 21 octobre 2015 ne permettent pas de conclure que, lors du calcul des éventuelles recettes supplémentaires à restituer dans une constellation comme celle du cas d’espèce (admission de la LS avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l’ordonnance au 1er juin 2015, pas de nouvel examen des conditions d’admission jusqu’à présent), une CTT doit également être effectuée. Cela n’est toutefois pas étonnant car à l’époque l’ATF 142 V 26 n’était pas encore disponible. La question peut donc rester ouverte de savoir si les normes de droit transitoire correspondantes s’appliquent à cet endroit, étant donné que les modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 1er février 2017, entrées en vigueur le 1er mars 2017, ne contiennent aucune disposition transitoire sur le thème du remboursement des recettes supplémentaires pour les médicaments (c. 5.3.2).

Selon le TF, le calcul des recettes supplémentaires remboursables sur la base d’une CPE et d’une CTT ne constitue pas une violation du principe de non rétroactivité. Au contraire, il ne fait que mettre en œuvre ce qui aurait déjà dû être conforme à la législation en 2014 (c. 6). En l’absence de violation de l’interdiction de la rétroactivité, le principe de la confiance ne peut pas non plus justifier l’application de la pratique contraire à la loi selon l’ATF 144 V 26, qui consisterait à procéder au contrôle triennal sur la base d’une CPE uniquement (c. 7.2).

Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

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Assurance-maladie Publication prévue

TF 9C_457/2022 du 03 avril 2023

Assurance-invalidité; révision procédurale, délai de péremption; art. 53 al. 1 LPGA; 67 al. 1 PA

Par décision du 15 novembre 2007, l’Office AI pour le canton de Vaud a rejeté la première demande de prestations AI de A. Le 29 août 2013, l’autorité précitée a également rejeté la deuxième demande de prestations déposée par l’assuré, ayant relevée qu’aucun fait médical nouveau n’avait été constaté lors de l’instruction de la demande. En date du 2 septembre 2021, l’Office AI a rejeté la troisième demande de prestations de A. Le Tribunal cantonal a admis le recours de l’assuré et renvoyé la cause dans le sens des considérants. A. forme un recours contre cet arrêt dont il demande l’annulation, concluant principalement à ce qu’il soit admis « la présence d’un motif de révision procédure au sens de l’article 53 al. 1 LPGA des décisions du 15 novembre 2007, respectivement du 29 août 2013 » et subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée à l’office AI pour nouvelle expertise psychiatrique portant sur le droit aux prestations à partir de 2004. Le TF précise que le litige porte uniquement sur la révision procédurale des décisions de l’office AI des 15 novembre 2007 et 29 août 2013, le jugement rendu par le Tribunal cantonal étant une décision partielle au sens de l’art. 9 LTF.

S’agissant des délais applicables en matière de révision, l’art. 53 al. 1 LPGA n’en prévoit pas. En vertu du renvoi prévu par l’art. 55 al. 1 LPGA, sont déterminants les délais applicables à la révision de décisions rendues sur recours par une autorité soumise à la PA. A cet égard, l’art. 67 al. 1 PA prévoit un délai (de péremption) absolu de dix ans dès la notification de la décision sur recours (soit la décision soumise à révision). La jurisprudence a précisé que ce délai absolu de dix ans était aussi applicable lorsque la révision procédurale portait sur une décision de l’administration.

Après dix ans, la révision ne peut être demandée qu’en vertu de l’art. 66 al. 1 PA (art. 67 al. 2 PA). Aux termes de cette disposition, l’autorité de recours procède, d’office ou à la demande d’une partie, à la révision de sa décision lorsqu’un crime ou un délit l’a influencée.

Ainsi, la demande de révision procédurale de la décision du 15 novembre 2007 devait être adressée par écrit à l’autorité qui a rendu la décision dans les 90 jours qui suivaient la découverte du motif de révision, mais au plus tard dix ans après la notification de la décision (art. 67 al. 1 PA en corrélation avec l’art. 55 al. 1 LPGA). En agissant le 5 janvier 2021, soit plus de 13 ans après la notification de la décision du 15 novembre 2007, le recourant a agi tardivement. Il ne prétend par ailleurs pas qu’un crime ou un délit a influencé cette décision (révision « propter falsa », au sens de l’art. 66 al. 1 PA). Dans ces conditions, le droit de demander la révision procédurale de la décision du 15 novembre 2007, fondé sur les irrégularités alléguées de l’expertise psychiatrique du 25 novembre 2005, était périmé au moment où le recourant s’en est prévalu le 5 janvier 2021.

A moins qu’il existe un motif de révision matérielle (art. 17 LPGA), l’autorité de la chose décidée interdit de recommencer la procédure qui a conduit à la décision du 15 novembre 2007 sur le même objet. Pour demander la révision procédurale de la décision du 29 août 2013, le recourant devait invoquer, conformément aux exigences découlant de la sécurité du droit, des faits nouveaux importants ou des nouveaux moyens de preuve qui ne fondaient pas déjà la décision du 15 novembre 2007. La répétition des moyens invoqués tardivement pour demander la révision de la décision du 15 novembre 2007 ne saurait par conséquent ouvrir la voie de la révision « propter nova » de la décision du 29 août 2013.

Par cet arrêt, le TF limite le droit de l’assuré à déposer une demande de révision procédurale au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, en soumettant cette dernière au délai de péremption de dix ans prévu par l’art. 67 al. 1 PA. Toutefois, notre Haute Cour considère qu’un tel délai ne s’applique pas à la révision d’une décision pour un motif matériel, tel que le prévoit l’art. 17 LPGA. Il reste également muet sur la question de savoir si un tel délai s’applique aussi à la révision d’office par l’autorité, prévu également à l’art. 53 al. 1 LPGA.

Auteur : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

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Assurance-invalidité Procédure

TF 9C_510/2022 du 30 mars 2023

Assurance-invalidité; mesures médicales de réadaptation, traitement de durée indéterminée; art. 12 LAI

Le TF confirme que les mesures médicales de réadaptation doivent notamment permettre d’atteindre un résultat certain dans un laps de temps déterminé. En l’espèce, l’enfant est âgé de moins de dix ans et il ressort des constats médicaux que les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie devront se poursuivre jusqu’à la fin de sa croissance et de son développement, soit au-delà de sa majorité, sans aucune autre précision quant à la durée du traitement. En conséquence, le droit à la prise en charge de ces traitements par l’AI doit être nié, quand bien même l’enfant bénéficie d’une API et quand bien même les traitements lui seraient profitables. La notion de pronostic favorable n’a ici pas à être investiguée.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 6B_208 et 209/2021 du 29 mars 2023

Responsabilité aquilienne; lésions corporelles simples par négligence, devoir de diligence, faute dans l’acceptation d’une tâche acceptation du risque, entrave à la circulation publique; art. 125 al. 1 et 237 CP

Lors d’un vol d’examen de parapente en tandem, dans la phase d’approche transversale en vue de l’atterrissage, A. a freiné fortement en tirant sur les deux drisses de frein, puis sur celle actionnant le frein gauche, et a provoqué le décrochage puis la chute du parapente. Le passager B. a subi des lésions. A. a été reconnu coupable de lésions corporelles simples par négligence. Il a cependant été acquitté du chef d’accusation d’entrave à la circulation publique. A. et le Ministère public de la Confédération recourent au TF.

Se référant au jugement cantonal, le TF rappelle que pour déterminer l’étendue de la diligence à observer lors d’un vol plané en tandem, il y a lieu de se référer tout d’abord aux dispositions légales relatives à l’aviation, en particulier à l’ordonnance du DETEC du 24 novembre 1994 sur les aéronefs de catégories spéciales (OACS), à l’ordonnance du DETEC du 20 mai 2015 concernant les règles de l’air applicables aux aéronefs (ORA), à l’ordonnance du 22 janvier 1960 sur les droits et obligations du commandant de bord d’un aéronef (OCdt), aux directives de la Fédération suisse de vol libre (FSVL) du 1er septembre 2015 concernant l’examen d’aptitude pour pilotes de biplace en parapente niveau 1, aux documents théoriques remis pour l’examen et aux connaissances et aptitudes personnelles du pilote. En outre, conformément à l’art. 5a OACP, les dispositions de l’annexe du règlement d’exécution (UE) n° 923/2012 de la Commission européenne du 26 septembre 2012 (Standardised European Rules of the Air, SERA) sont applicables (c. 3.2).

Le TF rappelle ensuite qu’agit par négligence celui qui, par imprévoyance coupable, n’a pas réfléchi aux conséquences de son comportement ou n’en a pas tenu compte. L’imprévoyance est coupable lorsque l’auteur n’a pas pris les précautions auxquelles il était tenu en raison des circonstances et de sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP). Un comportement est considéré comme imprudent si, au moment de l’infraction, l’auteur aurait pu et dû reconnaître la mise en danger des intérêts juridiques de la victime sur la base des circonstances ainsi que de ses connaissances et compétences et s’il a en même temps dépassé les limites du risque autorisé. Lorsque des normes particulières de prévention des accidents et de sécurité imposent un certain comportement, la mesure de la diligence à observer se détermine en premier lieu d’après ces prescriptions. En l’absence de telles règles, le reproche de négligence peut se baser sur des règles de comportement généralement reconnues d’associations privées ou semi-privées ou sur des principes généraux de droit tels que le devoir de prudence face à une situation dangereuse. La prudence à laquelle un auteur est tenu est finalement déterminée par les circonstances concrètes et sa situation personnelle. L’imprévoyance coupable peut également être fondée sur le fait pour le prévenu d’accepter d’accomplir une tâche qu’il n’est manifestement pas en mesure d’accomplir en raison de sa situation personnelle, notamment de sa formation (Übernahmeverschulden). Dans ce cas, la violation de la diligence ne réside pas dans le fait que le prévenu se comporte de manière imprudente et contraire à ses devoirs dans le cadre d’une activité, mais plutôt dans le fait qu’il exerce cette activité alors qu’il aurait pu se rendre compte qu’il n’était pas à la hauteur (c. 3.3).

En l’espèce, le recourant A. affirme qu’au moment de l’accident, il ne pouvait pas se rendre compte de sa vitesse trop basse en raison des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités encore insuffisantes en tant que pilote biplace. Ce serait en effet lors de l’examen pratique qu’il serait possible de vérifier si le sentiment de vol, en particulier en lien avec la vitesse minimale, est suffisamment développé. Le TF relève que dans la mesure où le recourant fait valoir qu’il n’était pas (encore) en mesure d’évaluer la vitesse de vol adéquate en raison de son manque d’expérience, on peut, contrairement à son opinion, lui imputer une faute ou une négligence (Übernahmeverschulden). En effet, il n’est pas contesté que l’apprentissage du vol en zone de vitesse de sécurité et la problématique de la vitesse minimale de vol font l’objet d’une formation théorique et pratique dans le cadre de la formation de pilote solo et tandem. Selon les explications non contestées de l’expert, chaque candidat est conscient du fait qu’un examen sera interrompu et considéré comme échoué au moindre signe de décrochage. Le vol d’examen est en outre le premier vol du candidat sous sa propre responsabilité, au cours duquel il n’existe en principe pas de liaison radio avec un instructeur de vol. Le candidat assume donc (pour la première fois) seul une grande partie de la responsabilité d’un passager, ce qui rend essentielle la garantie d’une expertise aéronautique suffisante. En outre, conformément au ch. 4.1.3. des directives FSVL, les candidats à l’examen confirment, par leur signature sur le procès-verbal d’examen remis avant celui-ci, qu’ils ont pris connaissance des directives FSVL et qu’ils s’estiment prêts à passer l’examen. Une inscription à l’examen ne doit donc avoir lieu que lorsqu’un candidat est convaincu d’avoir les capacités nécessaires pour passer l’examen – dont fait partie, selon les directives FSVL, l’atterrissage. Le vol d’examen ne semble en effet pas approprié pour « tester » le niveau de formation actuel du pilote. Le recourant ne peut donc pas, après avoir confirmé de manière expresse qu’il était prêt à passer l’examen, se disculper d’une erreur de vol telle que celle commise en l’espèce en faisant référence à son inexpérience ou à son sens du vol insuffisamment développé. Avant de s’inscrire à l’examen, il aurait dû s’assurer qu’il disposait des compétences aéronautiques nécessaires pour passer l’examen en toute sécurité, et il doit se voir imputer son manque d’expérience de vol (c. 3.4).

Le recourant A. soutient ensuite que le passager B. aurait délibérément consenti à une situation de risque accru. Le TF rappelle que pour délimiter les risques illicites des risques encore autorisés dans le sport, il faut se référer aux règles du jeu applicables à la compétition en question. Les différentes approches proposées dans la doctrine ont en commun le fait qu’en cas de réalisation du risque de base spécifique à la discipline sportive, il convient de renoncer à une sanction pénale. Toutefois, plus les règles servant à la protection physique des joueurs sont violées de manière flagrante, moins on peut parler de la réalisation d’un risque spécifique au jeu et plus la responsabilité pénale du joueur devient envisageable. S’agissant du parapente, il n’y a pas de « règles du jeu », mais les bases légales pertinentes rappelées ci-dessus s’appliquent. En particulier, le ch. 3101 SERA stipule qu’un aéronef ne doit pas être exploité d’une façon négligente ou imprudente pouvant entraîner un risque pour la vie ou les biens de tiers. Conformément à l’art. 6 al. 1 OCdt, le commandant est tenu de prendre, dans les limites des prescriptions légales, des instructions données par l’exploitant de l’aéronef et des règles reconnues de la navigation aérienne, toutes les mesures propres à sauvegarder les intérêts des passagers, de l’équipage, des ayants droit à la cargaison et de l’exploitant de l’aéronef. Les points 4.1.1 à 4.1.5 des directives FSVL définissent les conditions objectives et subjectives à remplir avant de se présenter à l’examen pratique. En outre, le principe est qu’un expert peut interrompre un examen à tout moment si un candidat est manifestement insuffisamment préparé ou s’il met en danger sa sécurité ou celle de tiers (ch. 4.10 des directives FSVL). Ces normes et règles peuvent être prises en compte pour l’évaluation des risques typiques de la discipline sportive in casu. En omettant de respecter une vitesse minimale adéquate, le recourant a mis en danger la santé et la sécurité de son passager, en violation des prescriptions susmentionnées. Il s’ensuit qu’une erreur d’appréciation de la vitesse n’est pas un simple écart mineur par rapport aux règles reconnues de l’art du vol. Il ne s’agit donc pas de la concrétisation d’un risque typique de la discipline dans le cadre de vols d’examen en parapente, sous la forme d’une légère infraction aux règles de l’art du vol, dont le passager B. aurait éventuellement dû se voir imputer la responsabilité (c. 3.5).

Le TF examine ensuite la question de savoir si un vol en parapente en tandem peut être considéré comme une infraction au sens de l’art. 237 CP (entrave à la circulation publique). Après un rappel très détaillé de l’évolution de la jurisprudence et des avis de doctrine en la matière, le TF revient sur sa jurisprudence actuelle et renoue avec sa jurisprudence initiale en retenant que la personne mise en danger ou lésée au sens de l’art. 237 CP doit représenter la collectivité et, dans ce but, l’identité de la victime concrètement mise en danger ou lésée ne doit dépendre que du hasard. C’est cette atteinte supra-individuelle de la collectivité qui légitime la pénalisation supplémentaire d’un comportement qui met en danger ou porte atteinte aux intérêts juridiques individuels. En d’autres termes, la victime au sens de l’art. 237 CP ne peut être que l’usager de la circulation publique qui est touché par hasard par la mise en danger de l’auteur et qui représente ainsi la collectivité par rapport à l’auteur. En l’occurrence, B. s’est délibérément rendu disponible en tant que passager, si bien qu’il ne peut pas être considéré comme une personne atteinte par hasard par le danger spécifique que représente la circulation publique. Par rapport au pilote du parapente, B. ne représente pas la « collectivité ». Une condamnation pour entrave à la circulation publique n’entre donc pas en ligne de compte (c. 5.2).

Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Faute Publication prévue

TF 8C_382/2022 du 27 mars 2023

Assurances-accidents; rente complémentaire, limite de surindemnisation, pas de prise en compte des frais d’avocat; art. 20 al. 2 LAA; 69 al. 2 LPGA

Une assurée s’est vu réclamer par l’assureur-accidents, au titre de la restitution de rentes d’invalidité complémentaires versées en trop, un montant de CHF 24'416.55, après que l’assurance-invalidité lui a accordé rétroactivement une rente d’invalidité complète, en lieu et place d’une rente d’invalidité de 50 %. L’assurée a opposé à la restitution les frais d’avocats qu’elle avait encourus à la suite du sinistre à l’origine de son invalidité, soit un montant de CHF 27'770.95. Dans cette décision, la Haute Cour a considéré qu’un tel montant n’était pas opposable à l’assureur-accidents. En effet, contrairement à ce que prévoit l’art. 69 al. 2 LPGA, l’art. 20 al. 2 LAA ne laisse aucune place pour intégrer d’autres postes de dommages que le gain assuré dans le calcul de surindemnisation. En clair, l’art. 20 al. 2 LAA prévaut, en tant que disposition spéciale, sur la règle générale fixée à l’art. 69 LPGA.

Auteur : Guy Longchamp

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 2E_6/2021 du 23 mars 2023

Responsabilité de l’Etat; mesures de fermeture liées au Covid-19, manque à gagner d’un fitness, action en responsabilité contre la Confédération; art. 6 al. 2 let. d O 2 Covid-19; 120 al. 1 let. c LTF; 3 al. 1 LRCF

A. SA, une entreprise qui gère des fitness, a été forcée à la fermeture du 17 mars au 10 mai 2020, puis du 22 décembre 2020 au 18 avril 2021, dans le cadre de la crise sanitaire. A. SA a adressé une demande en réparation du dommage à la Confédération pour le manque à gagner estimé à CHF 259'245.-. Cette demande a ensuite été portée devant le TF.

En sa qualité d’instance unique, le TF n’est compétent que pour connaître des actions en dommages-intérêts basée sur la Loi sur la responsabilité, c’est-à-dire des actions pour actes illicites, et non pas des demandes d’indemnisation en équité basée sur l’art. 63 LEp ou encore des demandes en responsabilité pour actes licites. Pour ces deux dernières hypothèses, le lésé doit demander à l’autorité de statuer par la voie de la décision attaquable. La compétence du Tribunal fédéral basée sur l’art. 120 al. 1 let. c LTF ne doit pas être interprétée de manière extensive. Les prétentions de la recourante basée sur l’art. 63 LEp, respectivement sur la responsabilité pour actes licites, ne sont donc pas examinées (c. 1.2 et 4).

Pour que la Confédération soit tenue de réparer le dommage sur la base de la Loi sur la responsabilité, il appartient au lésé de prouver l’existence d’un acte illicite, d’un dommage et d’un lien de causalité entre l’un et l’autre (art. 3 al. 1 LResp) (c. 1.1 et 4.2).

En cas de préjudice purement économique, celui-ci ne peut donner lieu à réparation que lorsque l’acte dommageable viole une norme qui a pour finalité de protéger le lésé dans les droits atteints par l’acte incriminé (illicéité de comportement) (c. 5.1). Savoir si une telle norme existe en l’espèce est une question pouvant restée ouverte (c. 5.3).

En effet, selon la recourante, ce serait en décrétant la fermeture des fitness par voie d’ordonnance que le Conseil fédéral aurait commis un acte illicite. Or, seule une violation particulièrement crasse du devoir de fonction ou une erreur particulièrement lourde pourrait engager la responsabilité du Conseil fédéral en lien avec l’élaboration d’une ordonnance (c. 6.2).

Une telle violation crasse du devoir de fonction ne peut pas être reprochée au Conseil fédéral en lien avec les ordres de fermeture des fitness ancrés à l’art. 6 al. 2 let. d de l’O 2 Covid-19 et 5d al. 1 let. b O Covid-19 situation particulière. Ces mesures n’étaient pas disproportionnées dans le contexte de l’époque. La responsabilité de la Confédération ne peut donc pas être engagée en raison de ces actes (c. 7).

Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

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Responsabilité de l’Etat

TF 6B_47/2021 du 22 mars 2023

Responsabilité aquilienne; faute, causalité, homicide par négligence, position de garant; art. 12 al. 3 et 117 CP

Une boulangerie confie à une entreprise de peinture le soin de repeindre son conteneur à ordures métallique comportant à l’avant un dispositif permettant de verser les déchets et à l’arrière une trappe servant à les vider (Müll-Press-Box). Elle en informe son employé (ci-après : l’intimé). Le 26 mai 2015, l’employé de l’entreprise de peinture effectue les travaux de peinture sur le conteneur stationné sur le quai de chargement de la boulangerie. A cette occasion, il demande à un employé de la boulangerie de l’aider à ouvrir le couvercle de déchargement de la benne, qui pèse environ 220 kg. L’employé de la boulangerie demande à son supérieur, l’intimé, si lui ainsi qu’une autre personne peuvent aider le peintre à ouvrir la trappe en question et s’ils peuvent utiliser le transpalette électrique à cet effet. L’intimé l’autorise en précisant que la porte de déchargement doit être sécurisée lors de son ouverture. Lors de la manœuvre, la porte de déchargement du conteneur glisse des extrémités des fourches du transpalette et se referme, touchant le peintre à la tête. Celui-ci subi de très graves blessures à la tête et décède sur le lieu de l’accident. L’intimé est reconnu coupable d’homicide par négligence par le tribunal de première instance puis acquitté en seconde instance. La partie plaignante recourt au TF faisant valoir que l’intimé avait une position de garant vis-à-vis du peintre et qu’il aurait en outre violé son devoir de diligence (c. 3).

Le TF commence par rappeler que pour qu’une personne soit déclarée coupable d’homicide par négligence, il faut que l’auteur ait causé le résultat en violant un devoir de diligence et que, ce n’est que si celui-ci se trouve dans une position de garant, qu’il est possible de déterminer l’étendue du devoir de diligence et les actes concrets qu’il est tenu d’accomplir en vertu de ce devoir de diligence (c. 3.3.2 et 3.3.3).

Il examine ensuite la question de savoir si l’intimé avait une position de garant vis-à-vis du peintre et dans l’affirmative s’il a violé son devoir de diligence et considère que la décision attaquée viole le droit fédéral (c. 5). Le TF relève que lorsque l’intimé, dans le cadre de ses tâches contractuelles de responsable de la sécurité de l’entreprise, est sollicité pour autoriser une activité déterminée, il assume, en tant que responsable de la sécurité de l’entreprise, la responsabilité de ce projet en autorisant ou en n’interdisant pas une activité concrète – comme en l’occurrence l’ouverture manuelle et en partie mécanique de la trappe de déchargement du conteneur. Par conséquent, pour l’activité qu’il a autorisée ou n’a pas interdite, il devait également veiller à la sécurité au travail du peintre, même s’il s’agissait d’une personne extérieure à l’entreprise. Partant et selon le TF, l’intimé a étendu son obligation contractuelle de garant aux autres personnes impliquées dans le projet d’ouverture de la trappe. Cette position de garant a été établie par une prise en charge effective (c. 5.3).

Le TF conclut qu’en faisant preuve de la diligence requise, il aurait été tenu d’interdire l’ouverture non conforme de la trappe de déchargement ou, du moins, de procéder personnellement à une évaluation des risques sur place. En n’interdisant pas ou en autorisant cette procédure d’ouverture non conforme aux règles de l’art et en ne se rendant pas sur place pour s’assurer de la sécurité de l’ouverture de la porte de déchargement, il n’a pas fait preuve de la diligence requise et raisonnable dans les circonstances concrètes. C’est précisément la tâche d’un responsable de la sécurité d’informer, le cas échéant, les personnes concernées des éventuels dangers et de faire prendre les mesures de sécurité appropriées. En se limitant à indiquer que la porte de déchargement devait être sécurisée lors de son ouverture, l’intimé n’a pas rempli ses obligations (c. 5.4).

Le TF admet dès lors le recours et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour l’examen des éléments constitutifs de l’homicide par négligence qu’elle n’avait pas encore examinés (c. 5.5).

Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Etoy

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Responsabilité aquilienne Faute Causalité

TF 6B_239/2022 du 22 mars 2023

Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; raute, distance par rapport au piéton, juste indemnité; art. 34 al. 4 LCR; 433 al. 2 CPP

Il est pénalement reproché à l’automobiliste impliqué de ne pas avoir adapté sa vitesse (30-35 km/h) et d’être passé trop près d’un piéton situé au bord ou à proximité du trottoir, avant de lui passer sur le pied droit avec sa roue arrière droite.

Le TF rappelle que la distance nécessaire par rapport à un piéton ne peut pas être fixée une fois pour toutes en chiffres. Elle se détermine notamment en fonction de la largeur de la route. Selon les circonstances, une distance de 50 cm peut être admissible en cas de ruelle étroite et de vitesse modérée permettant un arrêt immédiat. En l’espèce, l’automobiliste a bien violé l’art. 34 al. 4 LCR car il devait se rendre compte que le piéton qui lui tournait le dos avait son attention complètement accaparée par un véhicule de livraison et qu’une distance aussi faible ne permettrait pas d’éviter une collision. L’automobiliste conteste en vain le taux de responsabilité de 100 % qui lui incombe car son recours ne contient pas suffisamment d’éléments permettant de remettre en cause ce taux de responsabilité.

Par contre, concernant la juste indemnité au sens de l’art. 433 al. 2 CPP, c’est à tort que la note d’honoraires de l’avocat du lésé n’a pas été communiquée – ni même ses conclusions civiles – à l’avocat de l’automobiliste prévenu. Ainsi ce dernier a été privé de l’occasion de se déterminer sur la quotité de l’indemnité pour les dépenses obligatoires de la partie lésée, ce qui constitue une violation de son droit d’être entendu. De plus, aucun examen de cette note d’honoraires ne semble avoir été effectué par l’instance inférieure. Le recours est donc recevable sur ce point et l’affaire renvoyée à l’instance inférieure pour qu’elle se détermine sur la juste indemnité de partie.

Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile Faute

TF 8C_583/2022 du 22 mars 2023

Assurance-invalidité; procédure judiciaire cantonale, recours, légitimation active des services sociaux, notion d’assistance régulière, délai de recours; art. 34 al. 1 PA; 55 al. 1 et 59 LPGA; 66 al. 1 RAI

La qualité pour recourir au tribunal cantonal contre une décision de l’office AI est régie par l’art. 59 LPGA. Selon cette disposition, « quiconque est touché par la décision ou la décision sur opposition et a un intérêt digne d’être protégé à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, a qualité pour recourir ». La qualité pour recourir des services sociaux ne découle pas déjà du fait qu’ils fournissent des prestations d’aide qui sont subsidiaires aux prestations sociales auxquelles la personne assurée a éventuellement droit. Il faut un lien particulier et concret avec l’affaire, ou une proximité toute particulière. C’est notamment le cas lorsque les services sociaux ont déposé la demande de prestations au nom de la personne assistée (c. 5.2).

Conformément à l’art. 66 RAI, l’exercice du droit aux prestations de l’assurance-invalidité appartient à la personne assurée ou à son représentant légal, ainsi qu’aux autorités ou tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente. En l’espèce, la personne assistée avait reçu de l’aide à concurrence d’environ CHF 48'000.- entre mars 2021 et mars 2022. Au moment de la décision entreprise, elle recevait une aide d’environ CHF 2'300.- par mois. Le fait que l’aide sociale ait pu, pendant un temps assez bref, être remboursée par le chômage, ne change rien au fait qu’en l’espèce, la personne assurée était régulièrement assistée par les services sociaux, ce qui confère à ces derniers la qualité pour recourir.

Le TF rappelle par ailleurs qu’une décision doit être notifiée à toutes les personnes légitimées à recourir. La décision n’ayant, en l’espèce, pas été communiquée aux services sociaux, le délai de recours a été respecté dans la mesure où ces derniers ont agi dans les 30 jours après avoir pris connaissance de la décision (c. 3).

Auteur : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 9C_474/2022 du 16 mars 2023

Assurance-maladie; procédure arbitrale, compétence ratione loci, pratique intercantonale; art. 89 al. 2 LAMal

Un médecin soupçonné d’avoir fourni des soins dans un canton sans autorisation de pratique (art. 36 LPMéd) se voit demander de rembourser un montant de l’ordre de CHF 125'000.-. Le tribunal arbitral du canton dans lequel le médecin est autorisé à pratiquer (Saint-Gall), saisi par les assureurs, se déclare incompétent et transmet la cause au tribunal dans lequel des prestations auraient été fournies sans autorisation (Zurich). Les assureurs recourent au TF contre la décision de non entrée en matière.

Interprétant l’art. 89 al. 2 LAMal, qui dispose que « le tribunal arbitral compétent est celui du canton dont le tarif est appliqué ou du canton dans lequel le fournisseur de prestations est installé à titre permanent », le TF indique tout d’abord que le lieu dans lequel le médecin est installé à titre permanent est celui dans lequel il exploite son cabinet (c. 3.4). La question se pose donc de savoir comment procéder lorsque le médecin exploite des cabinets dans plusieurs cantons.

D’un point de vue strictement littéral, l’art. 89 al. 2 LAMal ne semble permettre qu’un seul canton d’établissement (« …celui du canton… dans lequel… » ; c. 3.5). Les travaux préparatoires ne permettent pas d’aboutir à une autre conclusion (c. 3.6). D’un point de vue historique, l’institution du tribunal arbitral a été introduite dans l’ancienne LAMA en 1964, à une époque où l’exercice intercantonal de la médecine n’était pas monnaie courante. Pourtant, le fait que le législateur ait prévu, à l’époque déjà, deux fors alternatifs, montre qu’il a envisagé cette hypothèse et exclut l’admission d’une lacune, le législateur ayant manifestement voulu fixer le for dans un lieu ayant un lien étroit avec l’objet du litige. Son choix s’est clairement porté sur le lieu d’exercice du fournisseur de prestations, et non sur celui dans lequel les prestations litigieuses sont fournies (c. 3.7).

Si le fournisseur de prestations exerce dans plusieurs cantons, il faut rechercher le centre de son activité professionnelle (Schwerpunkt). Les exigences de preuve à cet égard ne doivent pas être trop élevées (c. 4.1). En l’espèce, les caisses-maladie avaient notamment fait valoir que le médecin mis en cause était visible sur le site Internet de l’endroit où il pratiquait dans le canton de Saint-Gall, avec photo et CV et possibilité de le contacter par le biais du site, alors qu’il n’était même pas mentionné sur le site Internet de l’institution dans laquelle il pratiquait dans le canton de Zurich. Par ailleurs, il lui était précisément reproché de ne pas avoir d’autorisation de pratiquer dans le canton de Zurich (c. 4.2). Le médecin incriminé n’a pas contesté avoir sa pratique principale dans le canton de Saint-Gall et ne pas avoir travaillé plus de 90 jours par année dans le canton de Zurich avant d’y avoir obtenu son autorisation de pratiquer (c. 4.3). Faute de comparaison entre le volume d’activité dans les deux cantons, à laquelle le tribunal arbitral saint-gallois devait procéder d’office, la décision de non entrée en matière n’est pas conforme au droit. La cause lui est donc renvoyée pour instruction dans ce sens, et nouvelle décision (c. 4.4).

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-maladie Publication prévue

TF 6B_1386/2021 du 16 mars 2023

Responsabilité aquilienne; devoir de prudence, violation des règles de l’art de construire, homicide par négligence; art. 12 al. 3, 117 et 229 CP

Le devoir de prudence s’apprécie en premier lieu au regard des normes de sécurité spécifiques qui imposent un comportement déterminé pour assurer la sécurité et prévenir les accidents. L’étendue de l’attention et de la diligence requises est d’autant plus élevée que le degré de spécialisation de l’auteur est important. Ainsi, la violation de prescriptions légales ou administratives, édictées dans un but de prévention des accidents, ou de règles analogues, émanant d’associations spécialisées reconnues, fait présumer la violation du devoir général de prudence (c. 2).

La responsabilité de celui qui collabore à la direction ou à l’exécution d’une construction se détermine sur la base des prescriptions légales (notamment LAA, OPA, OTConstr), des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chaque participant à une construction est donc tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence requise pour veiller au respect des règles de l’art de construire et de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, il existe le devoir de donner les instructions nécessaires et de surveiller l’exécution (c. 3). Ainsi, le directeur des travaux – soit la personne qui choisit les exécutants, donne les instructions et les recommandations nécessaires, surveille l’exécution des travaux et coordonne l’activité des entrepreneurs – répond tant d’une action que d’une omission, pouvant consister à ne pas surveiller, à ne pas contrôler le travail ou à tolérer une exécution dangereuse (c. 4).

En l’espèce, le TF considère que le recourant, en sa qualité de directeur des travaux, a créé un risque inadmissible pour autrui en ordonnant à son personnel de travailler en hauteur sur un chantier dangereux, au mépris des prescriptions et normes de sécurité élémentaires (absence de port d’un harnais, d’un casque de protection, etc.). Ce faisant, il a rendu possible la survenance de la chute mortelle de son employé inexpérimenté (apprenti), laquelle aurait par ailleurs pu être évitée par une intervention et une surveillance adéquates. Le décès de la victime est dès lors en lien de causalité naturelle et adéquate avec la violation fautive d’un devoir de prudence, constitutif d’un homicide par négligence (c. 7).

Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne

TF 9C_165/2022 du 16 mars 2023

Prévoyance professionnelle; calcul de surindemnisation, gain dont l’assuré est privé, revenu d’invalide AI; art. 34a LPP

Dans le cadre du calcul de surindemnisation, en présence d’une personne assurée qui travaillait à un taux d’activité partiel, l’institution de prévoyance est liée par le revenu sans invalidité pris en considération par l’assurance-invalidité, à moins que celui-ci soit manifestement insoutenable. Il découle de cette présomption que le revenu sans invalidité établi par l’assurance-invalidité correspond au « gain annuel dont on présumer que l’assuré est privé », au sens de l’art. 34a al. 1 LPP.

Auteur : Guy Longchamp

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 8C_616/2022 du 15 mars 2023

Assurance-accidents; rente d’invalidité, transaction, reconsidération; art. 25 al. 2, 50 al. 1 et 53 al. 2 LPGA; 22 LAA

Une puéricultrice, née en 1951, a été mise au bénéfice d’une IPAI de 25 % et d’une rente LAA de 25 % pour les suites de deux accidents de type « coup du lapin » survenus en 1994 et 1997, ce par décision-transaction du 30 septembre 2002. 18 ans plus tard, par décision d’octobre 2020, l’assureur LAA veut reconsidérer cette décision-transaction au motif d’une fausse application du droit et supprimer l’IPAI accordée, ainsi que la rente d’invalidité avec effet ex nunc et pro futuro.

Le TF rappelle que les exigences sont plus grandes pour une application de la reconsidération telle que prévue à l’art. 53 al. 2 LPGA lorsqu’il s’agit d’une décision prise sous la forme d’une transaction, au sens de l’art. 50 LPGA. Si le mécanisme de la pesée des intérêts est bien le même, il y a toutefois des différences concernant le poids donné à ces critères, en particulier pour ce qui est de la protection de la bonne foi, comme l’a rappelé à bon escient la cour cantonale.

L’assureur-accidents avait pris sa décision initiale sans procéder à un examen de la causalité adéquate pourtant déjà alors requise en 2002, selon la pratique existant de longue date en la matière, et n’aurait, en application de cette pratique, pas dû rendre sa décision, de l’avis de la cour cantonale. Cela étant, pour ce qui est tout d’abord de l’IPAI, celle-ci ne peut de toute manière pas être concernée par une reconsidération, en l’espèce, en raison de l’application de l’art. 25 al. 2 LPGA qui prévoit un droit d’exiger la restitution se prescrivant au plus tard cinq ans après le versement de la prestation indue. Ainsi, l’IPAI est de toute manière exclue du champ de la reconsidération pour ce seul motif.

Pour ce qui est de la rente d’invalidité LAA, le TF confirme que la décision initiale se basait sur une fausse application du droit et qu’elle était sans nul doute manifestement erronée, au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. A cela ne change rien le fait qu’elle ait été prise sous forme de transaction, malgré une pesée des intérêts différente, selon les principes précédemment rappelés par le TF. Il y a donc bel et bien matière à reconsidérer la rente d’invalidité avec effet ex nunc et pro futuro.

En effet, pour ce qui est de l’analyse des critères de l’adéquation pour cet accident devant être rangé dans la zone inférieure des accidents dits de gravité moyenne, l’assurée n’a procédé à aucun examen desdits critères dans le cadre de son recours au TF et, dès lors, il n’est pas possible pour la Haute Cour de deviner pour quelles raisons la cour cantonale aurait violé le principe de l’adéquation. Dans son recours, l’assurée se prévalait également de l’art. 22 LAA et soutenait qu’en raison de son âge de retraitée, sa rente d’invalidité LAA ne pouvait plus être reconsidérée. Le TF rejette aussi cet argument, rappelant que l’art. 22 LAA ne concerne que la révision (matérielle) prévue à l’art. 17 LPGA, et non la révision (procédurale) et la reconsidération prévues à l’art. 53 LPGA.

Tout en rejetant le recours de l’assurée, le TF critique cependant l’attitude de l’assureur-accidents ayant supprimé cette rente d’invalidité après l’avoir versée sans sourciller durant 20 ans et lui conseille une façon plus réfléchie de s’y prendre.

Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 8C_261/2022 du 09 mars 2023

Assurance militaire; causalité et contemporanéité, symptômes de pont, coup du lapin; art. 5 et 6 LAM

Le litige porte sur le point de savoir si c’est à juste titre que la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents, Division de l’assurance militaire (Suva AM – Recourante), a refusé l’octroi des prestations à A. (Intimé), à la suite d’un accident survenu lors du service militaire de ce dernier.

Le TF rappelle qu’il convient, en premier lieu, de procéder à la distinction des cas d’application des art. 5 et 6 LAM. En effet, l’assurance militaire est tenue d’allouer ses prestations sur la base de l’art. 5 LAM pour autant qu’une atteinte à la santé soit déclarée ou constatée pendant le service militaire, selon le principe dit de la « contemporanéité » (c. 2.3). En revanche, la responsabilité de l’assurance militaire fondée sur l’art. 6 LAM n’est de mise qu’à la condition que l’atteinte à la santé soit déclarée ou constatée après le service militaire (c. 2.5.1).

En outre, le TF relève que pour conduire à une appréciation de la responsabilité selon l’art. 5 LAM, la question des symptômes de pont (« Brückensymptome ») se pose également. Le status quo sine est présumé après un intervalle suffisamment long sans symptôme (c. 3.2.1). Des symptômes de pont d’une intensité et d’une constante suffisantes doivent être démontrés pour amener la preuve du lien de causalité entre l’événement accidentel et les troubles invoqués postérieurement à l’accident (c. 3.2.3).

Ensuite, le TF se penche sur la question de savoir si un intervalle sans symptôme plus long est admissible, c’est-à-dire qui caractériserait l’événement entre l’accident et les troubles invoqués postérieurement comme une entité unique. Dans le cas contraire, un nouveau cas d’assurance devra être déclaré, impliquant l’évaluation de la question de la responsabilité sur la base de l’art. 6 LAM (c. 4.1).

En tout état de cause, il convient de déterminer si les troubles invoqués postérieurement à l’accident se trouvent dans un rapport de causalité juridiquement pertinent avec l’accident assuré pendant le service militaire. Se référant à la jurisprudence applicable en cas de traumatisme de type « coup du lapin » (ATF 134 V 109), également valable en matière d’assurance militaire, le TF a considéré qu’aucun des critères n’entrait en considération dans le cas d’espèce (c. 5.2 ss).

Au vu des éléments qui précèdent et en l’absence du lien de causalité adéquate entre l’évènement accidentel et les troubles invoqués postérieurement à l’accident, le TF a conclu à l’admission du recours de l’assurance militaire (c. 5.5).

Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

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Assurance-militaire Causalité

TF 9C_219/2022 du 02 mars 2023

Assurance-vieillesse et survivants; restitution des acomptes, délai de péremption, dies a quo; art. 25 al. 3 LPGA; art. 16 al. 3 LAVS; art. 24 et 25 RAVS

Par arrêt du tribunal administratif du canton de Zoug du 28 mars 2022, les juges cantonaux ont admis le recours d’une assurée dans la mesure où celle-ci contestait son devoir de payer des cotisations AVS comme indépendante pour l’année 2007, mais ont rejeté ses prétentions en restitution des acomptes payés au motif que sa demande de restitution était périmée (c. 1.2). Selon eux, le délai de péremption avait commencé à courir en septembre 2013, lors de l’entrée en force d’une décision de l’autorité fiscale indiquant que tous les revenus du couple réalisés en 2007 devaient être attribués à l’activité dépendante du mari et imposés dans le canton d’Argovie. A défaut d’avoir agi avant fin 2008, la demande de l’assurée était donc périmée sous l’angle de l’art. 16 al. 3 LAVS (c. 3.1)

Le TF rappelle ce qu’il faut entendre par « cotisations versées indûment » au sens de l’art. 16 al. 3 1re phr. LAVS, respectivement « cotisations payées en trop » au sens de l’art. 25 al. 3 LPGA (c. 4). Cette notion n’englobe pas les prestations versées dans une situation de doute quant à l’obligation de prester, mais à raison, telles que les prestations provisoires visées à l’art. 70 LPGA ou les indemnités de chômage selon l’art. 29 al. 1 LACI (c. 4.5.1).

Les acomptes de cotisations AVS visent à sécuriser les cotisations dont l’existence et la quotité sont incertaines jusqu’à ce que la caisse de compensation ait statué sur les cotisations dues par une décision. Ces acomptes ne sont pas des cotisations versées à tort, mais des cotisations versées à raison, dans une situation de doute quant au devoir de cotiser. Il ne s’agit donc pas de « cotisations payées en trop » jusqu’à ce que l’autorité ait statué de manière définitive sur le montant des cotisations (c. 4.5.2).

La prétention en restitution des acomptes payés en trop naît au moment de la décision fixant les cotisations (voir art. 25 al. 3 RAVS). C’est donc à ce moment-là que les acomptes perdent leur caractère provisoire et que le délai de péremption de l’art. 16 al. 3 LAVS commence à courir (c. 4.5.3). En l’espèce, c’est par l’arrêt cantonal du 28 mars 2022 que le devoir de l’assurée de cotiser pour l’année 2007 a été définitivement nié. La demande de restitution des acomptes formulée dès le stade de l’opposition n’était donc pas périmée (c. 4.6).

Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

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Assurance-vieillesse et survivants Publication prévue

TF 6B_309/2022 du 22 février 2023

Responsabilité médicale; procédure, qualité pour recourir, classement, prétentions civiles, responsabilité d’un établissement de droit public cantonal; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF; 6, 182 et 319 al. 1 let. a et b CPP

Le patient D. A. a été pris en charge dans l’unité des soins intensifs de l’hôpital J., un établissement de droit public cantonal, après plusieurs opérations subies au niveau du cervelet. Le 8 février 2020, le patient est tombé alors qu’il était en train de faire ses besoins, sans surveillance directe, et a succombé à ses blessures. Au moment de la chute, l’infirmière responsable de l’unité se trouvait dans la chambre. Le Ministère public a ouvert une procédure pénale contre l’infirmière responsable de l’unité pour homicide par négligence. Il a clôturé la procédure par décision du 9 juin 2021. Les proches du patient décédé ont recouru jusqu’au TF contre cette décision.

Le TF rappelle que, conformément à l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la partie plaignante n’a qualité pour recourir en matière pénale que si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Sont considérées comme des prétentions civiles au sens de la disposition précitée celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s’agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO. En revanche, n’appartiennent pas à cette catégorie les prétentions fondées sur le droit public. De telles prétentions, y compris celles découlant de la responsabilité de l’Etat, ne peuvent pas être invoquées par adhésion dans le procès pénal et ne font partie des prétentions civiles au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1.1). En l’espère, les recourants reprochent à l’infirmière d’avoir provoqué par négligence le décès de D. A. en le laissant quelques instants sans surveillance aux WC. L’acte incriminé a donc été accompli dans le cadre de l’activité professionnelle de l’infirmière qui fait partie du personnel d’un établissement de droit public cantonal. Les dispositions légales cantonales pertinentes prévoient une responsabilité exclusive du canton pour les dommages causés par de tels actes. Les éventuelles prétentions des recourants ne pourraient ainsi relever que de la responsabilité de droit public de l’Etat. Il en découle que les recourants n’ont pas la légitimation active au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1.3).

Sans avoir la qualité pour recourir au sens de la disposition précitée, la partie plaignante peut néanmoins s’opposer au fond à un classement de la procédure pour autant qu’il existe en droit constitutionnel au prononcé des peines prévues par la loi. La jurisprudence reconnait, sur la base des art. 10 al. 3 Cst., 3 et 13 CEDH, 7 PIDCP et 13 de la Convention des Nations Unies contre les tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, un droit à une enquête officielle efficace et approfondie de celui qui fait valoir qu’il a été maltraité par des services de l’Etat. Pour tomber sous le coup de ces dispositions, le traitement incriminé doit cependant être intentionnel. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque les recourants font explicitement valoir que le décès a été causé par un comportement relevant de la négligence (c. 1.4).

Le TF relève que même si la qualité pour recourir était donnée et qu’il était possible d’entrer en matière sur le recours, celui-ci ne serait pas admis. En effet, en vertu de l’art. 319 al. 1 let. a et b CPP, la procédure doit être classée lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi ou lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis. La décision de classement doit se fonder sur le principe « in dubio pro duriore ». Selon ce principe, le classement de la procédure par le Ministère public ne peut intervenir que dans le cas où l’acte n’est clairement pas punissable ou lorsque que certaines conditions de l’action pénale ne sont manifestement pas remplies. Dans le cadre d’un recours contre un classement, le TF n’examine pas, comme par exemple en cas de condamnation, si les constatations de fait de l’instance précédente sont arbitraires, mais si, de manière arbitraire, l’instance précédente s’est fondée sur « une situation claire en matière de preuve » ou si, de manière arbitraire également, elle a admis des faits comme « clairement établis » (c. 2.1). En l’espèce, les recourants se méprennent sur ces principes lorsqu’ils reprochent à l’instance précédente une constatation inexacte des faits.

Enfin les recourants font valoir que l’instance précédente aurait omis à tort d’administrer diverses preuves en violation des art. 6 et 182 CPP. Le TF rappelle que, de jurisprudence constante, les autorités pénales peuvent, sans violer le droit d’être entendu ni la maxime de l’instruction, renoncer à l’administration de preuves supplémentaires si, en appréciant les preuves déjà administrées, elles ont la conviction que les faits juridiquement importants ont été suffisamment élucidés et si, en outre, elles arrivent à la conclusion par une appréciation anticipée, qu’un moyen de preuve en soit valable n’est pas en mesure d’ébranler leurs convictions quant à un fait litigieux, acquis sur la base des preuves déjà administrées. En l’espèce, l’instance précédente a considéré que les auditions avaient permis d’établir que l’infirmière en question avait agi conformément aux instructions avec la conviction fondée que son patient pouvait aller seul à selle. Aussi, l’expertise demandée par les recourants sur les causes théoriques de la chute du défunt et l’examen des données détaillées du moniteur des signes vitaux ne conduiraient pas à une appréciation différente du comportement de l’infirmière. Les recourants ne démontrent pas en quoi l’appréciation de l’instance précédente relèverait de l’arbitraire.

Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne

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Responsabilité médicale Procédure

TF 8C_109/2022 du 22 février 2023

Assurance-accidents; assujettissement à la Suva, entreprise unitaire ou composite, auxiliaire, accessoire ou mixte; art. 66 LAA et 88 OLAA

Une association de défense des automobilistes offre à ses membres un grand choix de prestations, notamment diverses assurances, des conseils juridiques, des cours et des stages de conduite. Elle effectue en outre, dans ses centres de service, de nombreux tests ainsi que des contrôles officiels de véhicules à moteur. Ladite association soutient le point de vue selon lequel ses employés ne seraient pas obligatoirement assurés auprès de la Suva.

L’art. 66 al. 1 let. a-q LAA énumère les entreprises dont les travailleurs sont obligatoirement assurés auprès de la Suva. Concernant l’assujettissement, il y a tout d’abord lieu de savoir si une entreprise doit être qualifiée d’entreprise unitaire ou de composite.

On se trouve en présence d’une entreprise unitaire lorsque l’entreprise se limite pour l’essentiel à un seul domaine d’activité « cohérent » ou à un domaine prédominant (p. ex. entreprise de construction, entreprise commerciale ou société fiduciaire) et exécute principalement des travaux qui relèvent du domaine d’activité habituel d’une entreprise de ce type (ATF 137 V 114). L’ensemble des travailleurs d’une telle entreprise est obligatoirement assuré auprès de la Suva, pour autant qu’un critère d’assujettissement selon l’art. 66 al. 1 let. a-q LAA soit rempli (ATF 113 V 327).

En revanche, dans le cas d’une entreprise composite, il convient d’abord d’examiner si les parties de l’entreprise sont en relation les unes avec les autres en tant qu’entreprises principales, auxiliaires ou accessoires (art. 88 al. 1 OLAA) ou s’il s’agit d’une entreprise mixte au sens d’une pluralité d’unités d’exploitation sans lien technique entre elles (art. 88 al. 2 OLAA). Dans le premier cas, il faut déterminer l’exploitation principale, c’est-à-dire la partie de l’exploitation qui fournit la production ou le service caractéristique de l’entreprise et qui détermine donc le caractère prédominant de l’exploitation. Celle-ci est en principe attribuée à la Suva ou aux autres assureurs en fonction de son caractère prédominant, conformément à l’art. 68 LAA. L’entreprise auxiliaire ou accessoire est soumise à l’assureur de l’entreprise principale (ATF 113 V 327).

En cas d’entreprise mixte, l’assujettissement doit être examiné séparément pour chaque unité d’exploitation. L’assujettissement se fait en fonction du caractère prédominant de chaque unité d’exploitation, ce qui peut conduire à des assujettissements différents dans la même exploitation. Une entreprise mixte ne peut être admise que si plusieurs unités d’exploitation d’un même employeur « n’ont aucun lien technique entre elles » (art. 88 al. 2 OLAA), ce qui suppose – en plus de la subdivision en différents domaines d’activité en vertu du droit de l’assujettissement – que les différentes parties de l’entreprise soient pratiquement totalement autonomes en termes de locaux et de personnel (ATF 113 V 341).

En l’espèce, selon le TF, l’association recourante ne doit certainement pas être qualifiée d’entreprise unitaire mais d’entreprise composite (cf. dans le même sens arrêt TFA U 62/89, qui qualifiait de composite une entreprise qui, outre une boulangerie et une confiserie, exploitait également des tea-rooms). Compte tenu de l’administration centrale de l’ensemble de l’entreprise, les différentes parties de l’entreprise ne sont pas totalement autonomes en termes de locaux et surtout de personnel, ce qui ne permet pas de parler d’une entreprise mixte au sens de l’art. 88 al. 2 OLAA. Du point de vue du droit de l’assujettissement, il s’agit donc de savoir quelle est l’entreprise principale (art. 88 al. 1 OLAA). Le fait que les quelques 5’500 à 6’000 contrôles annuels de véhicules à moteur constituent l’activité principale de la recourante permet de retenir que le domaine « centre de service » constitue l’entreprise principale. Or, comme les contrôles de véhicules effectués dans les centres de service relèvent de la compétence de la Suva en vertu de l’art. 66 al. 1 let. m en relation avec l’art. 66 al. 2 let. a LAA, tous les employés de la recourante doivent être assurés auprès de la Suva.

Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 4A_22/2022 du 21 février 2023

Assurances privées; prescription, créance en dommages-intérêts; art. 46 al. 1 LCA; 127 CO

La question litigieuse soumise au TF est de savoir si, lorsque l'assureur de protection juridique donne des conseils juridiques et qu’il viole à cette occasion son devoir de diligence et cause un préjudice à l’assuré, le délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré est régi par le délai de l’art. 46 al. 1 LCA ou par le délai de dix ans de l’art. 127 CO.

Pour répondre à la question litigieuse, il faut procéder à une interprétation de l’art. 46 al. 1 LCA, la doctrine étant divisée sur cette question. Ainsi, il faut tenir compte non seulement des termes « créances qui découlent du contrat d’assurance », mais également des termes se rapportant au point de départ de la prescription, soit le «  fait duquel naît l’obligation » (en allemand et en italien « fait sur lequel est fondée l’obligation de fournir la prestation »).

Dans l’assurance de protection juridique, l’assureur fournit, d’une part, un service sous forme d’assistance juridique et, d’autre part une prestation pécuniaire, ainsi que dès le début du litige, l’obligation de garantir à son assuré le paiement des frais du litige. Le fait duquel naît l’obligation de l’assureur correspond à la réalisation du risque, à savoir l’apparition du besoin d’assistance juridique. Le point de départ (dies a quo) du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA court donc dès ce moment-là. Les créances qui découlent du contrat d’assurance de protection juridique sont donc seulement celles dont l’assureur assume l’obligation en raison de la survenance du risque couvert, qui est le besoin d’assistance juridique, soit concrètement l’obligation de couvrir les frais d’un litige et/ou l’obligation de fournir des conseils. La créance en dommages-intérêts, fondée sur la responsabilité contractuelle, qui est subséquente à la prestation d’assurance (conseils fournis) et découle de la violation du devoir de diligence de l’assureur de protection juridique qui a fourni ces conseils, n’est pas visée par la lettre de l’art. 46 al. 1 LCA.

Approuvant une partie de la doctrine, le TF conclut qu’une telle créance en dommages-intérêts est soumise au délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO, la violation du devoir de diligence s’appréciant selon les règles du mandat (art. 398 et 97 CO).

Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

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Assurances privées Prescription

TF 9C_70, 71, 75 et 76/2022 du 16 février 2023

Assurance-vieillesse et survivants (AVS); activité dépendante, établissement stable; art. 1a al. 1 let. b et 12 al. 2 LAVS; 49 LPGA

Le TF rejette les recours des sociétés néerlandaises détentrices des droits d’exploitation des plateformes de mise en relation Uber et UberEats et leur reconnaît un statut d’employeur cotisant pour les activités lucratives dépendantes des chauffeurs et des livreurs. Ce faisant, il démontre que les critères des directives OFAS s’adaptent aux services en ligne d’intermédiation du travail. Sans revenir sur sa décision 147 V 174, il constate la présence d’un établissement stable en Suisse pour la société néerlandaise par l’exploitation commerciale des bureaux de sa filiale en Suisse.

Auteure : Sabrine Magoga-Sabatier, MLaw, assistante-doctorante à Neuchâtel

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Assurance-vieillesse et survivants Publication prévue

TF 8C_457/2022 du 07 février 2023

Assurance-invalidité; révision, suspension de prestation en cas d’exécution d’une peine ou d’une mesure; art. 21 al. 5 LPGA; 88bis al. 1 let. c RAI

Même si la lettre de l’art. 88bis al. 1 let. c RAI envisage, en cas de décision qui s’avère manifestement erronée, seulement une augmentation de la rente, de l’allocation pour impotent ou de la contribution d’assistance déjà allouée, cette disposition doit aussi permettre, appliquée par analogie, l’attribution d’une telle prestation refusée de manière manifestement erronée (c. 5.2).

La découverte du vice entachant la décision selon l’art. 88bis al. 1 let. c RAI survient dès que l’administration a fait des constatations, que ce soit sur la base d’une demande de révision ou d’office, qui rendent vraisemblable ou probable l’existence d’un vice pertinent et que l’administration a ainsi suffisamment de raisons de procéder d’office à des investigations supplémentaires. Le défaut est également considéré comme découvert lorsque la personne assurée a déposé une demande de révision qui devait amener l’administration à procéder à des clarifications supplémentaires (c. 5.4.2).

La suspension, en application de l’art. 21 al. 5 LPGA, de prestations pour perte de gain – notamment de la LAI – non destinées aux proches, en cas d’exécution d’une peine ou d’une mesure du Code pénal, ne se justifie pas si les modalités de cette exécution n’excluent pas en elles-mêmes l’exercice d’une activité lucrative par une personne valide. Il en va ainsi de modalités d’exécution d’une mesure permettant un travail externe au sens de l’art. 90 al. 2bis CP (c. 6.2.1-2).

Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 2C_362/2022 du 07 février 2023

Responsabilité de l’Etat; protection de la bonne foi; art. 5 al. 3 et 9 Cst.; 4 LRECA-VD

Une société constituée pour la création d’un nouveau port à Montreux dépose une action en responsabilité de l’Etat en raison de l’entrée en matière de la commune sur le projet portuaire. La société réclame différents frais pour sa constitution et des frais d’étude, après que le Plan partiel d’affectation (PPA) à l’origine de l’entrée en matière a été abrogé, rendant le projet de port irréalisable.

Le droit fondamental à la protection de la bonne foi protège le citoyen dans le confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après ces assurances qui peuvent également intervenir tacitement ou par actes concluants. Ce droit a pour corollaire que l’autorité est tenue de réparer le dommage subi par l’administré chez qui elle a créé puis déçu des attentes dignes de foi et qui a pris dans l’intervalle des dispositions patrimoniales préjudiciables.

Il est généralement acquis que la planification doit être périodiquement adaptée et révisée et qu’il n’existe en général pas d’assurance sur sa stabilité. C’est uniquement lorsqu’une modification de planification ou de réglementation est intervenue suite à une demande déterminée et pour en empêcher la réalisation que l’on peut admettre un droit à une indemnisation fondée sur la protection de la bonne foi, en combinaison avec la garantie de la propriété, en tout cas lorsque l’intention des autorités n’était pas prévisible. Une indemnisation est aussi envisageable lorsque la collectivité a donné des assurances sur le maintien des prescriptions en vigueur. En l’occurrence, ce n’est pas le projet litigieux qui avait justifié l’abrogation du PPA, mais une volonté générale découlant d’un plan directeur communal adopté avant l’entrée en matière de la commune.

Le fait que la société recourante n’avait pas obtenu elle-même les garanties, puisqu’elle ne s’était constituée que par la suite, conduit le TF à se demander « très sérieusement » si elle peut invoquer la protection de sa bonne foi. Il laisse toutefois la question ouverte et retient qu’aucune assurance suffisante n’a été donnée. Le fait de se montrer intéressé et curieux, d’entrer en matière et de suivre, même pendant plusieurs années, le projet ne peut et de doit pas être interprété comme une promesse d’issue favorable ou comme une assurance quant au maintien du PPA. En matière d’aménagement du territoire, il est très généralement admis et connu des acteurs de la construction que les décisions des autorités sont par nature sujettes à changement et qu’il n’existe dès lors pas d’expectative légitime au maintien d’un plan.

Le TF ne discerne ainsi pas d’acte illicite au sens de l’art. 4 LRECA-VD et ajoute que si la recourante estimait que l’abrogation du PPA violait le principe de la bonne foi, il lui appartenait de tout tenter pour en obtenir l’annulation, le cas échéant en recourant contre cet acte jusque devant lui.

Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

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Responsabilité de l’Etat

TF 8C_322/2022 du 30 janvier 2023

Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail (RHT), mesures de lutte contre le coronavirus, entreprise de droit public, statut du personnel, subvention; art. 31 al. 1 et 32 LACI

L’affaire concerne la demande d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) d’une société anonyme de droit privé active essentiellement dans le domaine du transport public de personnes. Selon la jurisprudence, les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sauraient, en règle générale, être remplies si l’employeur est une entreprise de droit public, faute pour celle-ci d’assumer un risque propre d’exploitation. Compte tenu des formes multiples de l’action étatique, on ne saurait de prime abord exclure que, dans un cas concret, le personnel des services publics remplisse les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT. Ce qui est déterminant en fin de compte, conformément à la finalité du régime de la prestation, c’est de savoir si, par l’allocation de l’indemnité en cas de RHT, un licenciement peut être évité (c. 4.2.1).

Les indemnités en cas de RHT sont des mesures temporaires. Le statut du personnel touché par la réduction de l’horaire de travail est dès lors décisif pour l’allocation de l’indemnité. Là où le personnel est au bénéfice d’un statut de fonctionnaire ou d’un statut analogue limitant les possibilités de licenciement que connaît le contrat de travail, ce statut fait échec à court terme – éventuellement à moyen terme – à la suppression d’emploi. Dans ce cas, les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sont pas remplies (c. 4.2.2).

L’exigence d’un risque économique à court ou moyen terme concerne aussi l’entreprise ; la perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. A l’évidence, cette condition ne saurait être remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou le risque de fermeture de l’exploitation. Or si l’entreprise privée risque l’exécution forcée, il n’en va pas de même du service public, dont l’existence n’est pas menacée par un exercice déficitaire (c. 4.2.2).

Dans le cas d’espèce (voir également TF 8C_325/2022 et 8C_328/2022 du 30 janvier 2023 dans deux causes parallèles similaires), la cour cantonale n’a pas clairement tranché la question de la couverture des coûts d’exploitation. Le TF rappelle que le fait de percevoir des subventions ne signifie pas encore que les coûts d’exploitation sont entièrement couverts par les pouvoirs publics. Par ailleurs, la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance s’examine non pas au regard de la main d’œuvre nécessaire pour fournir les prestations publiques selon l’offre soumise aux commanditaires, mais au regard de la règlementation applicable au personnel. La cour cantonale a violé le droit fédéral en niant le droit de la société aux indemnités en cas de RHT sans instruire et examiner de manière approfondie l’étendue de la couverture des frais d’exploitation par les pouvoirs publics ainsi que les possibilités concrètes de résiliation sur la base du régime applicable au personnel (c. 7.2).

Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne

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Assurance-chômage Analyse

TF 9C_300/2022 du 26 janvier 2023

Assurance-invalidité; mesures médicales, psychothérapie; art. 12 LAI

Le TF confirme l’octroi de mesures médicales sous forme d’une psychothérapie à une jeune assurée atteinte de troubles obsessionnels compulsifs et d’anorexie. En l’espèce, le but principal de la thérapie était de permettre à l’assurée de quitter la clinique de jour où elle séjournait pour reprendre ses études de niveau gymnasial. Le caractère de réadaptation du traitement était donc clairement prépondérant, et le fait qu’il ait fallu, à l’occasion d’épisodes de crise, reléguer cet objectif au second plan pour préserver en premier lieu la vie de l’assurée n’y change rien (c. 4.2). Par ailleurs, le fait que la thérapie dure un certain temps – deux ans au moment de la décision de l’office AI – n’exclut pas l’octroi de mesures médicales, ce d’autant moins qu’en l’espèce, durant ce laps de temps, des progrès considérables ont été réalisés, la personne assurée ayant pu quitter la clinique et retourner à ses études (c. 4.3)

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 4A_219/2021 du 25 janvier 2023

Responsabilité aquilienne; prescription, interruption introduction d’une poursuite, délai pénal plus long, ancien droit; art. 60 al. 2a, 135 ch. 2, 134 al. 1 ch. 3 et 138 al. 2 CO

En mai 1999, Mme A. a été grièvement blessée par le bateau dont son mari était copropriétaire lors d’une sortie sur le Léman. La victime et son mari se sont séparés en juin 2000. Leur divorce est devenu définitif et exécutoire le 29 mai 2012. Le conducteur et époux, suite à une plainte de la victime, a été condamné en janvier 2006 pour lésions corporelles graves par négligence. Dès la fin de l’année 2003, la victime a demandé à la compagnie d’assurance du bateau, contre laquelle elle avait un droit d’action directe, une série de déclarations de renonciation à la prescription. La dernière de ces déclarations était valable jusqu’au 29 février 2012. Ce même 29 février 2012, elle a déposé une réquisition de poursuite contre l’assureur, qui a fait opposition au commandement de payer, notifié le 16 mars 2012. La réquisition de poursuite suivante n’a été déposée que le 11 mars 2013, soit plus d’une année après la précédente réquisition de poursuite, mais moins d’une année après la notification du commandement de payer. En parallèle, la victime a déposé une réquisition de poursuite contre son ex-mari le 13 avril 2017. Le commandement de payer a été notifié le 28 avril 2017 ; il a été frappé d’opposition. Le 18 avril 2018, la lésée a déposé une nouvelle réquisition de poursuite contre son époux. Ella a enfin déposé le 31 mai 2018 une requête de conciliation à l’encontre aussi bien de l’assureur que de son ex-mari.

Alors que la Cour de justice du canton de Genève avait considéré que seule la réquisition de poursuite interrompait la prescription conformément à l’art. 135 ch. 2 CO, le TF a considéré que, conformément à une jurisprudence ancienne mais bien établie, la notification du commandement de payer était aussi constitutive d’un acte de poursuite au sens de l’art. 138 al. 2 CO. Dès lors, procédant en quelque sorte à une synthèse de jurisprudence, le TF a rappelé en substance que lorsque le créancier interrompait la prescription par voie de poursuite, la prescription était interrompue une première fois par la réquisition de poursuite, indépendamment du fait que cette réquisition soit concrètement suivie d’un commandement de payer. Cette réquisition fait donc partir un nouveau délai, conformément à l’art. 137 al. 1 CO. Par ailleurs, la notification du commandement de payer interrompt une nouvelle fois la prescription, et fait donc repartir aussi un nouveau délai de prescription. Cela résulte d’une ancienne jurisprudence confirmée par une large partie de la doctrine (c. 5.2).

Au terme de l’art. 134 al. 1 ch. 3 CO, la prescription ne court point et, si elle avait commencé à courir, elle est suspendue à l’égard des créances des époux l’un contre l’autre. L’ex-mari soutenait donc devant le TF qu’au moment où le divorce était devenu définitif et exécutoire, soit le 29 mai 2012, c’était un nouveau délai d’une année au sens de l’ancien article 60 al. 1 CO qui avait commencé à courir. Le TF n’a pas suivi ce raisonnement, estimant que selon l’art. 60 al. 2 aCO, c’était à l’époque un délai de cinq ans qui avait été empêché de courir pendant le temps qu’avait duré le mariage. En effet, la durée de ce délai pénal plus long de l’ancien droit était déterminée au jour de l’acte punissable, soit à un moment par définition antérieur à l’acquisition de la prescription pénale. C’est donc bien un délai de cinq ans qui, selon le TF, a commencé de courir à partir du 29 mai 2012, si bien que la lésée avait valablement interrompu la prescription en déposant une réquisition de poursuite en avril 2017 à l’encontre de son ex-mari.

Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Prescription

TF 4A_314/2022 du 24 janvier 2023

Responsabilité délictuelle; risque lié à l’emploi d’un véhicule, responsabilité civile du détenteur du véhicule; art. 58 al. 1 LCR

La responsabilité de l’art. 58 al. 1 LCR présuppose que le dommage ait été causé « par l’utilisation d’un véhicule à moteur ». La limite entre l’utilisation et la non-utilisation d’un véhicule à moteur doit être décidée en fonction des circonstances concrètes.

Dans le cas d’espèce, une camionnette de livraison, dont le catalyseur avait chauffé en raison du trajet, a été garée dans une aire de battage, ce qui a provoqué un incendie. La chaleur émanait certes d’un véhicule à moteur, mais cela ne suffit pas à transformer le risque d’incendie habituel en un risque d’exploitation particulier au sens de l’art. 58 al. 1 LCR. Ce qui est déterminant pour le risque d’exploitation n’est pas le fait que le véhicule à moteur soit une machine ou qu’il dispose d’un moteur, mais avant tout le fait que le véhicule puisse se déplacer à une vitesse importante et provoquer ainsi des dommages importants.

Le présent incendie n’a aucun rapport avec ce risque. A l’exception du fait que le catalyseur a chauffé pendant le trajet, il n’y a aucun lien entre l’incendie et le déplacement de la camionnette. Il ne s’agit donc pas d’un risque propre à l’utilisation d’un véhicule mais d’un risque ordinaire qui peut survenir lors du stockage inapproprié d’objets chauds.

L’incendie était donc certes une conséquence au sens large de l’utilisation du véhicule à moteur, mais l’utilisation ou le déplacement du véhicule joue en l’espèce un rôle si insignifiant que l’incendie n’est pas couvert par le but de l’art. 58 al. 1 LCR.

Auteur : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile

TF 9C_592/2021 du 24 janvier 2023

Assurance-invalidité; réadaptation, mesures d’ordre professionnel, condition d’assurance, personne de nationalité étrangère, discrimination; art. 6 al. 2, 9 al. 3 LAI; 8 Cst.; 8 et 14 CEDH; 24 CDPH

Le recourant, arrivé en Suisse en 2017 en tant que mineur non accompagné, a été admis provisoirement après le rejet de sa demande d’asile, le renvoi n’étant pas raisonnablement exigible. Sa demande tendant à l’octroi d’une formation professionnelle initiale a été rejetée. Ne contestant pas que les conditions d’assurance posées par les art. 6 al. 2 et 9 al. 3 LAI ne sont pas remplies, il invoque la violation des art. 8 et 14 CEDH.

Le TF rappelle que le droit à la vie privée garantit par l’art. 8 CEDH n’inclut pas le droit à des mesures d’enseignement pour les enfants handicapés. En effet, s’il ne fait pas de doute qu'une mesure de formation professionnelle initiale favorise indirectement l’épanouissement des personnes qui en bénéficient, le refus d’une telle formation (professionnelle) n’empêche pas ou ne rend pas plus difficile l’exercice d’un des aspects du droit au développement personnel et à l’autonomie personnelle couverts par cette disposition (c. 5). La jurisprudence de la Cour EDH dans l’affaire Beeler c. Suisse (voir ici) ne s’applique pas dans cette affaire, le refus de mesures d’ordre professionnel ne violant pas le droit à la vie privée et à la vie de famille au sens de l’art. 8 CEDH (cf. aussi c. 3)

La différence de traitement entre ressortissants étrangers et ceux qui ont la nationalité suisse opérée par l’art. 9 al. 3 LAI est justifiée par des motifs objectifs, en l’occurrence la nécessité de s’assurer de la présence de liens suffisamment étroits entre une personne étrangère et la Suisse. Cette disposition n’est donc pas discriminatoire (c. 6.2).

L’art. 24 CDPH, qui garantit l’accès des personnes handicapées à l’éducation, n’est pas non plus violé dans la mesure où il existe bel et bien en Suisse des offres de formation accessibles aux personnes en situation de handicap. Cette disposition n’impose pas l’allocation, sans condition, de prestations spécifiques par les assurances sociales (c. 7).

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 6B_1486/2021 du 18 janvier 2023

Responsabilité aquilienne; lésions corporelles, signalisation d’un chantier routier, négligence; art. 11, 12 et 125 CP; 4 LCR; 80 OSR

Un cycliste emprunte une route dont l’asphalte avait été fraisé en raison de travaux de revêtements. Il chute sur la chaussée et subit un grave traumatisme crânien. Condamné en première instance pour lésions corporelles graves par négligence, le chef de chantier responsable est acquitté par le tribunal cantonal. Le cycliste recourt au TF contre cet acquittement ; il reproche au chef de chantier un défaut de signalisation de la zone de travaux.

Le TF commence par rappeler les conditions qui permettent de retenir une imprévoyance coupable au sens de l’art. 12 CP ; une telle imprévoyance peut également être commise par une inaction contraire  aux devoirs (art. 11 al. 1 CP). De plus, le déroulement des événements conduisant au résultat doit être prévisible pour l’auteur ; pour déterminer si l’auteur aurait pu et dû prévoir le résultat, on applique le critère de l’adéquation. Enfin, une autre condition de la responsabilité pour négligence consiste dans le fait que le résultat aurait pu être évité si l’auteur avait eu un comportement conforme à ses obligations. Pour que le résultat soit imputable à l’auteur, il faut que le comportement de celui-ci en soit la cause avec un degré élevé de vraisemblance (c. 3.1.2). Les règles de signalisation d’un chantier routier découlent des art. 4 LCR et 80 OSR. Les éventuels manquements aux obligations des autorités n’excluent pas la responsabilité de tiers, p. ex. d’une entreprise de construction, en cas de signalisation défectueuse. Ni l’art. 4 LCR, ni l’art. 80 OSR ne se prononcent sur les modalités de surveillance (intensité, fréquence) de l’obligation de signaler les obstacles à la circulation et de leur élimination dans les meilleurs délais (c. 3.1.3).

Dans le cas d’espèce, l’instance inférieure avait considéré le fait de n’avoir pas barré la route ne constituait pas une violation du devoir de diligence du chef de chantier. Il est en effet notoire que des zones dans lesquelles l’asphalte a été fraisé demeurent ouvertes au trafic, pour autant que les usagers les empruntent à une vitesse adaptée (c. 3.2.1). Les autres conditions d’une responsabilité pour négligence n’étaient, toujours selon la juridiction cantonale, pas remplies. En particulier, la position de garant du chef de chantier était limitée aux tâches de sécurité et de surveillance, telles qu’elles ressortaient de son contrat de travail. Un contrôle sans faille n’était ainsi pas possible, compte tenu de l’avancement constant des travaux. Il n’existait pas non plus d’obligation générale de contrôler quotidiennement les travaux (c. 3.2.2 et 3.2.3). Le TF approuve ces considérations dans leur résultat (c. 3.3). Il aurait en effet été possible pour le cycliste de s’engager sans danger dans la zone fraisée ; il est incompréhensible qu’il se soit dirigé à une vitesse aussi excessive (il circulait à 57,3 km/h malgré un périmètre de visibilité restreint et la présence d’un virage) vers un chantier dûment signalé 355 mètres et à 24,5 mètres auparavant. Il n’a ainsi pas satisfait aux exigences que tout usager de la route est en droit d’attendre d’un conducteur attentif (c. 3.3.1). Même la délimitation du chantier par la pose d’une barrière rouge et blanche, comme l’exigeait le recourant, n’aurait probablement pas empêché la chue, compte tenu du fait que celui-ci n’a pas vu la signalisation et s’est engagé sur le lieu de l’accident à près de 60 km/h. On doit donc nier l’existence d’un lien de causalité hypothétique (c. 3.3.2).

Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

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Responsabilité aquilienne Prescription

TF 4A_244/2022 du 13 janvier 2023

Responsabilité aquilienne; causalité hypothétique, règles d’expérience, cognition du TF; art. 8CC; 55 et 221 CPC; 97 et 398 CO

Il est reproché à une société de courtage d’avoir violé de manière fautive ses obligations de mandataire. La question à résoudre est celle de savoir s’il existe un lien de causalité hypothétique entre la violation des obligations contractuelles et le dommage.

En l’occurrence, le lésé a juste eu à alléguer que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, elle n’aurait pas subi de dommage. Elle n’avait pas à prouver ni à alléguer quelles solutions de remplacement se présentaient à elle ni laquelle de ces solutions elle aurait choisie. La cour cantonale, en considérant que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, le lésé aurait pu entreprendre des démarches ce qui aurait eu pour conséquence de rechercher une autre solution pour éviter la survenance du dommage, a procédé, dans les circonstances concrètes, à une appréciation des faits en se fondant sur sa propre expérience générale de la vie. L’appréciation cantonale ne repose ainsi pas exclusivement sur une règle d’expérience mais sur l’appréciation des faits concrets, ce qui ne peut être revu par le TF que sous l’angle de l’arbitraire.

Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

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Responsabilité aquilienne Causalité

TF 8C_424/2022 du 10 janvier 2023

Assurance-chômage; coordination internationale, prise en compte des activités exercées au sein de l’UE, période d’assurance, période d’emploi; art. 6 et 61 R 883/2004; 27 LACI; 61 let. c LPGA

Une personne effectue un stage juridique non payé auprès d’un tribunal international aux Pays-Bas avant d’exercer un emploi de greffière en Suisse. Elle demande ensuite des indemnités de chômage et la caisse de chômage est amenée à s’interroger sur la prise en compte du stage non payé aux Pays-Bas pour déterminer si l’assurée a droit à 400 indemnités ou seulement 260 selon l’art. 27 al. 2 LACI. La caisse de chômage arrive à la conclusion qu’elle n’a pas à prendre en compte le stage non payé comme période de cotisation et applique donc une limite de 260 indemnités journalière, ce qui est confirmé par le tribunal cantonal. Celui-ci a tout d’abord admis que la totalisation des périodes prises en compte à l’étranger était possible selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004, dès lors que l’assurée avait exercé en dernier lieu un emploi en Suisse avant de s’annoncer à l’assurance-chômage, réalisant ainsi la condition de l’art. 61 al. 2 R 883/2004. Il a cependant jugé que la période de stage non payé aux Pays-Bas n’était pas une période d’assurance selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004. Un stage non rémunéré n’était pas considéré comme une activité soumise à cotisation selon le droit suisse et ne devait donc pas entrer en considération. Le fait que cette même activité non salariée avait été prise en considération pour calculer un revenu intermédiaire hypothétique pour un droit aux indemnités de chômage antérieur n’était pas non plus relevant, car il ne s’agissait pas d’une activité soumise à cotisation mais bien d’un revenu retenu sur la base de l’obligation de diminuer le dommage. L’assurée recourt devant le TF et reproche une mauvaise application de l’art. 61 al. 1 R 883/2004, en ce sens que le tribunal cantonal n’a pas appliqué le droit néerlandais pour qualifier le stage non payé. Elle reproche également une violation de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA).

Le TF rappelle tout d’abord le principe de la totalisation des périodes d’assurance et d’emploi survenues au sein des différents Etats parties à l’ALCP. Ce principe est consacré à l’art. 61 R 883/2004 s’agissant de l’assurance-chômage. En substance, l’Etat compétent doit prendre en compte toutes les périodes d’assurance survenues dans les pays membres. Est compétent le pays dans lequel la personne assurée a été occupée en dernier avant la période de chômage, en l’occurrence la Suisse. Les périodes d’emploi ne sont à prendre en compte que si elles auraient été considérées comme période d’assurance au sens du droit de l’Etat compétent si elles avaient eu lieu sur son sol. On fait donc la distinction entre période d’assurance et période d’emploi (c. 4.2.2).

On entend par périodes d’assurance les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées selon cette même législation (art. 1 let. t R 883/2004). Selon la jurisprudence de la CJUE, on ne tient pas seulement compte des périodes reconnues par le droit de l’assurance-chômage du pays. Il suffit au contraire que l’activité soit reconnue par un domaine de la sécurité sociale, par exemple l’assurance-accidents (Jugement du 12 mai 1989 Rs 388/87 Warmerdam-Steggerda). Les périodes d’emploi désignent quant à elle les périodes définies ou admises comme telles par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées (art. 1 let. u R 883/2004) (c. 4.2.3).

Les périodes d’assurance ou d’emploi accomplies au sein d’un autre Etat membre sont attestées au moyen d’un document portable PD U1. La personne assurée doit transmettre ce formulaire à l’assurance chômage auprès de laquelle elle demande des prestations. Les périodes qui ne sont ni considérées comme des périodes d’assurance, ni comme des périodes d’emploi ou des périodes assimilées ne seront pas prises en compte par l’assurance compétente pour la totalisation des périodes.

En l’espèce, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut rien déduire en sa faveur du fait que la période de stage non payée pourrait éventuellement être qualifiée de période d’emploi au sens de l’art. 1 let u R 883/2004. En effet, ce stage non payé n’aurait dans tous les cas pas été qualifié de période de cotisation en Suisse, raison pour laquelle une période d’emploi au sens du droit néerlandais n’aurait pas été prise en considération selon l’art. 61 al. 1 2e phrase R 883/2004 (c. 4.4).

Pour déterminer si le stage peut être considéré comme une période de cotisation, est pertinente la présence d’une période de cotisation ou d’une période assimilée au sens du droit néerlandais. Afin d’en juger, la caisse de chômage a demandé des informations à l’autorité compétente néerlandaise. Celle-ci lui a répondu qu’elle avait besoin du numéro de citoyen (Burgerservicenummer) pour pouvoir lui répondre. Or, l’assurée ne disposait pas de ce numéro et le tribunal international ayant été entretemps dissous, elle ne pouvait pas s’enquérir auprès de lui. Partant du constat que l’assurée n’avait jamais eu de numéro de citoyen aux Pays-Bas, la caisse de chômage est arrivée à la conclusion que la période d’activité n’avait pas été annoncée auprès de l’équivalent de la caisse de chômage aux Pays-Bas et qu’il ne s’agissait donc pas d’une période de cotisation à prendre en considération.

Le TF souligne que la question de savoir si le stage doit être considéré comme une période d’assurance s’apprécie selon le droit néerlandais. Le fait qu’aucune cotisation n’ait été versée aux Pays-Bas pour ce stage ne suffit pas à nier toute période d’assurance, dès lors que cette notion comprend également celle de période d’emploi ou de période assimilée. De plus, selon la jurisprudence, la prise en considération dans un seul domaine de sécurité sociale suffit. Par conséquent, la cour cantonale fait fausse route quand elle retient qu’il ne peut pas y avoir de période d’assurance aux Pays-Bas étant donné que l’assurée n’a pas été assujettie à l’équivalent de l’assurance-chômage là-bas (c. 4.5.2).

Etant rappelé que les procédures d’assurances sociales sont soumises à la maxime inquisitoire, la caisse de chômage ne pouvait pas se contenter de la réponse de l’autorité compétente néerlandais concernant le numéro de citoyen pour conclure que le stage ne devait pas être pris en considération. Il était en effet fort probable que l’assurée n’ait jamais été annoncée et enregistrée aux Pays-Bas compte tenu du fait que son stage n’était pas rémunéré. Un tel état de fait n’était cependant pas suffisant pour conclure à l’absence de toute période d’assurance dans ce pays. Il aurait donc été nécessaire que la caisse de chômage sollicite une seconde fois l’autorité compétente néerlandaise afin de l’interroger sur la nécessité d’avoir un numéro de citoyen pour une activité non rémunérée et sur la qualification d’une telle activité. En ne procédant pas de la sorte, la caisse de chômage a violé son obligation d’instruire (art. 61 let. c LPGA). Le fait que l’assurée aurait également pu demander ces éclaircissements n’est pas suffisant. Le SECO exige en effet que la caisse de chômage recherche elle-même les données pertinentes si l’assuré ne peut pas fournir le formulaire PD U1. Exiger de l’assurée qu’elle obtienne une attestation de la part des Pays-Bas dans les circonstances concrètes irait au-delà de son devoir de collaborer (c. 4.6.3).

Par conséquent, la cause est renvoyée à la caisse de chômage pour complément d’instruction au sens des considérants.

Auteur : Pauline Duboux, juriste

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Assurance-chômage

TF 8C_504/2022 du 23 décembre 2022

Assurance-chômage; gain intermédiaire, gain accessoire, jetons de présence du membre d’un organe législatif cantonal; art. 24 al. 3 et 23 al. 3 LACI

Constituent un gain accessoire qui n’est pas pris en compte en tant que gain intermédiaire les jetons de présence perçus par un membre du Grand Conseil dans la mesure où il s’agit d’une activité, exercée en dehors de la durée normale de son travail, et qu’elle a débuté avant la perte de l’activité principale qui avait été exercée à plein temps.

Les gains accessoires réalisés durant le délai-cadre de cotisation ne deviennent des gains intermédiaires durant le délai-cadre d’indemnisation que s’ils augmentent sensiblement après la perte de l’activité principale. Tel n’est pas le cas lorsque le membre du législatif a déjà par le passé réalisé un gain comparable et que la variation du montant de ses jetons de présence, d’une année à l’autre, dépend de circonstances qu’il ne maîtrise pas, notamment le nombre de séances de commissions et de séances plénières.

A cet égard, c’est à tort que l’instance cantonale s’est fondée uniquement sur les gains réalisés durant les deux dernières années précédant la perte de l’activité principale. Le recours est donc admis.

Auteur : Me Eric Maugué, avocat à Genève

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Assurance-chômage

TF 6B_1335/2021 du 21 décembre 2022

Responsabilité aquilienne; tort moral; art. 47 et 49 CO

Le recourant, victime de profondes balafres sur le visage et d’un stress post-traumatique à la suite d’une bagarre, se voit allouer une indemnité pour tort moral de CHF 30’000 en première instance. Cette indemnité est réduite à CHF 8’000 en appel. Le recourant critique le montant de l’indemnité devant le TF.

Dans cet arrêt, les juges fédéraux rappellent très soigneusement les principes applicables en matière de fixation d’une indemnité pour tort moral. Ils confirment qu’il est admissible de fixer une indemnité à titre de réparation du tort moral selon une méthode s’articulant en deux phases : la première consiste à déterminer l’indemnité de base, de nature abstraite ; la seconde implique une adaptation de cette somme aux circonstances du cas d’espèce. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) selon l’annexe 3 de l’OLAA peut constituer un point de départ objectif pour le calcul de l’indemnité ; cette façon de procéder n’est pas imposée par le droit fédéral et ne fournit qu’une valeur indicative.

Dans le cas d’espèce, les juges fédéraux retiennent qu’il n’était pas arbitraire, pour la cour cantonale, de partir d’un montant indicatif de base de CHF 29’640, à savoir 20 % de CHF 148’200 (cf. gain assuré maximal prévu par l’art. 22 OLAA). Par contre, la réduction de 73 % du montant de base opérée par les juges cantonaux est arbitraire, cette réduction n’étant pas suffisamment motivée. L’arrêt entrepris ne décrit pas la prise en charge médicale, pas plus qu’il n’expose la situation personnelle du recourant, dont on ignore l’âge, le lieu de vie, les liens qu’il entretient avec la Suisse et la situation professionnelle.

Dès lors, le recours est admis et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.

Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Tort moral

TF 9C_15/2022 du 19 décembre 2022

Assurance-invalidité; mesures d’ordre professionnel, reclassement, conditions d’octroi; art. 17 LAI

Le droit au reclassement conformément à l’art. 17 LAI suppose, d’une part, que l’invalidité rende cette mesure nécessaire et, d’autre part, que la mesure permette de maintenir ou d’améliorer la capacité de gain. La jurisprudence a précisé la condition de la nécessité dans ce sens que la perte de gain que subirait la personne assurée sans le reclassement, c’est-à-dire en travaillant dans une profession accessible sans formation supplémentaire, doit être de l’ordre de 20 % (ATF 139 V 399 c. 5.3). Cette condition a pour but de conserver une certaine proportion entre les coûts entraînés par le reclassement et le bénéfice à en espérer.

Il ne s’agit toutefois pas d’une limite absolue. Si la perte de gain se situe légèrement en-dessous de ce pourcentage, il faut procéder à un pronostic global pour juger si, à moyen et long terme, les coûts engagés pour le reclassement respectent le principe de proportionnalité (c. 6.2). Par ailleurs, en présence d’une personne assurée encore jeune, on peut s’écarter du seuil de 20 % lorsque l’activité qu’elle peut exercer sans reclassement consiste en des travaux non qualifiés qui ne sont pas équivalents, qualitativement, à l’activité apprise (c. 3 et 6.3). Cela ne concerne toutefois que les personnes qui sont au début de leur carrière professionnelle, et non, comme en l’espèce, une personne âgée de 43,5 ans, se trouvant plutôt au milieu de sa vie professionnelle. Le taux d’invalidité – non contesté – s’élevant à 8 %, il n’y avait pas lieu de lui accorder de reclassement, le seuil de 20 % devant dans ce cas être respecté (c. 6.4)

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 4A_338/2022 du 19 décembre 2022

Assurances privées; invalidité, réticence; art. 4 à 6 LCA

C. a conclu en 2001 un contrat d’assurance auprès de A. SA pour sa fille B., âgée de 14,5 ans à ce moment-là, couvrant les risques d’invalidité et de décès. Le 25 février 2019, l’assurance-invalidité fédérale a mis B. au bénéfice d’une rente entière. Celle-ci a ensuite sollicité auprès de A. SA le paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-, ce que la compagnie a refusé en invoquant une réticence au sens de l’art. 6 LCA, notamment en raison des faits importants non déclarés prétendument connus de la maman C. à la conclusion du contrat (art. 5 al. 1 LCA).

Les différentes instances judiciaires ont reconnu le droit de B. au paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-. A ce titre, le fait que B. ait annoncé en 2019 qu’elle souffrait de troubles psychiques depuis 2000 n’y change rien. Il en va de même pour les indications provenant des spécialistes consultés qui ont diagnostiqué l’existence d’une atteinte à la santé psychique plusieurs années après la conclusion du contrat, mais sans préciser clairement la date de début de la maladie. En effet, la seule chose pertinente est de déterminer si B. ou sa mère le savait ou aurait dû le savoir au moment de l’établissement de la proposition d'assurance, soit le 22 mai 2001 (c. 5.2.1).

Le TF laisse cependant ouverte la question de savoir si l’art. 5 al. 1 LCA est applicable au représentant légal d’un enfant mineur ou si les faits importants connus de l’enfant capable de discernement ou qu’il devait connaître ont de l’importance (c. 4.2).

Par ailleurs, A. SA fait valoir que C. avait certes déclaré une maladie ophtalmologique ainsi qu’un asthme, mais avait omis de mentionner le suivi de B. chez une psychologue pour enfants entre 1992 et 1998, ce qui représenterait une réticence sur différentes questions de la proposition d’assurance de l’époque. Pour la plupart des questions, une réticence a été niée par les différentes instances judiciaires, car soit les questions ne concernaient pas une atteinte psychique, soit il était question de l’état de santé de B. au moment de l’établissement de la proposition d’assurance. Par ailleurs, le TF rappelle que la réticence ne doit être admise qu’avec retenue s’agissant de questions ouvertes et à large portée posées par l’assureur. Cela est d’autant plus vrai si, à la suite de telles questions, l’assureur ne laisse pas au proposant suffisamment d’espace sous forme de lignes vides pour lui permettre d’exprimer d’éventuels doutes ou d’expliquer sa réponse (c. 3.2 et 5.3.5). Quant à l’absence de réponse positive de la proposante à une question concernant le fait de savoir si B. avait souffert d’une maladie nerveuse et de dépression pendant une période de cinq ans avant l’établissement de la proposition d’assurance, le TF confirme qu’il n’a pas été démontré que la personne assurée souffrait d’une véritable maladie, malgré un suivi psychologique sur plusieurs années (c. 5.3.5).

Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

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Assurances privées

TF 4A_295/2022 du 16 décembre 2022

Responsabilité médicale; omission, causalité hypothétique, expertise, degré de la preuve, vraisemblance; art. 8 CC; 97 et 398 CO

Le 11 mars 2013, la recourante A. a présenté des signes de paralysie à sa jambe droite. Elle a consulté le jour même son médecin de famille, qui a immédiatement demandé un examen IRM. L’examen IRM a été effectué le 13 mars 2013 à l’hôpital D. Le 13 mars encore, le médecin de famille a envoyé sa patiente à l’hôpital C. où une hernie discale a été enlevée chirurgicalement le 25 mars 2013. A. souffre, malgré l’opération, d’une faiblesse persistante du releveur du pied. Elle reproche à son médecin de famille de ne pas l’avoir adressée le 11 mars 2013 à un spécialiste pour qu’il procède à une opération visant à soulager le nerf. Le tribunal civil a rejeté la demande de la recourante. Il a considéré, en se basant sur l’expertise médicale qui a eu lieu en deux parties, que le lien de causalité et le dommage invoqué n’étaient pas établis avec une vraisemblance prépondérante.

La Cour d’appel du canton de Bâle-Ville a rejeté le recours de A. Il a considéré que la première instance avait admis à juste titre, sur la base de l’expertise médicale, qu’un degré de force M3 ou même pire n’avait pas été établi le 11 mars 2013 lors de l’examen par le médecin de famille. Ainsi, la question des chances de guérison en cas d’opération dans les 48 heures ne se poserait plus faute d’indication opératoire urgente. Dans une motivation éventuelle, il a constaté qu’il était juste que la première instance ne se soit pas basée uniquement sur l’étude de PETR concernant les chances de guérisons. Les déclarations de l’expert ne démontraient pas avec une probabilité prépondérante une récupération complète en cas d’opération rapide.

Le TF relève qu’en cas d’omission, le lien de causalité est déterminé par la question de savoir si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli. Il s’agit d’un déroulement hypothétique de la causalité, pour lequel une probabilité prépondérante doit plaider selon les expériences de la vie et le cours ordinaire des choses. En principe, la jurisprudence fait également la distinction entre le lien de causalité naturelle et le lien de causalité adéquate en cas d’omission. Les constatations du juge du fond en rapport avec des omissions lient le TF, conformément à la règle générale sur le caractère obligatoire des constatations relatives au lien de causalité naturelle ; ce n’est que lorsque la causalité hypothétique est établie exclusivement sur la base de l’expérience générale de la vie – et non sur la base de moyens de preuve – qu’elle est soumise au libre examen du TF (c. 6.2).

Le TF retient également que le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante doit notamment être distingué de celui de « la simple vraisemblance ». En effet, d’une part, « rendre vraisemblable » décrit souvent le degré de preuve qui s’applique dans le cadre de décisions provisoires, prises la plupart du temps avec des restrictions des moyens de preuve, notamment des mesures provisoires. D’autre part, le degré de vraisemblance exigé diffère selon les cas. Un fait est déjà rendu vraisemblable lorsque certains éléments parlent en faveur de son existence, même si le tribunal compte encore sur la possibilité qu’il ne se soit pas réalisé. En revanche, les exigences sont plus élevées en ce qui concerne le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante : la possibilité qu’il puisse en être autrement n’exclut certes pas la vraisemblance prépondérante, mais elle ne doit pas jouer un rôle déterminant pour le fait en question ni entrer raisonnablement en ligne de compte (c. 6.3).

Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

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Responsabilité médicale Causalité Expertises

TF 4A_315/2022 du 13 décembre 2022

Responsabilité médicale; information donnée au patient, consentement éclairé; art. 97 CO

Un patient s’était soumis à une opération des cavités nasales. Il avait auparavant reçu une fiche d’information contenant des indications sur différents effets secondaires et complications possibles, dont ceux survenant après des blessures à la base du crâne. Lors de l’opération, le patient avait effectivement subi une lésion de la base antérieure du crâne et des méninges, avec fuite de liquide et entrée d’air dans l’espace cérébral. Ce type d’incident était connu et considéré comme rare (0,2 à 0,5 %). Le problème avait été corrigé trois jours plus tard par une opération d’urgence, après un rendez-vous chez le médecin ORL opérateur et l’établissement d’un scanner.

A la suite d’une action partielle du patient, qui se plaignait de certaines séquelles, le tribunal d’arrondissement avait rendu une décision incidente admettant la responsabilité de principe du médecin opérateur, sur la base d’une violation du devoir d’information. L’appel interjeté par le médecin auprès du Tribunal supérieur du Canton de Berne avait été rejeté. Devant le TF, la question d’une éventuelle faute médicale ne se posait plus, cette hypothèse ayant été rejetée par les deux premières instances.

La Cour supérieure était parvenue à la conclusion qu’une fiche d’information avait été remise au patient avant l’opération, fiche dans laquelle il était fait mention de la complication possible d’une fuite de liquide céphalorachidien avec le risque d’une méningite consécutive. Il n’avait pas été établi par contre qu’une explication orale avait été donnée à ce sujet et que l’intimé avait lu et compris la feuille d’information. Bien au contraire, le formulaire d’information remis au patient contenait au verso une rubrique intitulée « Documentation », dans laquelle il fallait cocher que le formulaire d’information avait été lu et compris, que toutes les questions intéressantes avaient pu être posées lors de l’entretien d’information, et qu’il y avait été répondu de manière complète et compréhensible. Comme cette page était restée vide, les premiers juges en avaient conclu que la preuve de ces explications orales et du fait que le patient avait lu et compris le texte de la fiche d’information n’avait pas été apportée. Le TF a rejeté sur cette question de faits le grief d’arbitraire du recourant (c. 6.3).

Par contre, il a considéré que, sur le plan juridique, le médecin ORL avait bel et bien rempli correctement son devoir d’information. Le TF rappelle à ce sujet que l’information adressée au patient n’est en principe pas liée à une forme particulière, et qu’il convient plutôt de décider, en fonction des circonstances, si celui-ci a été informé de manière claire et compréhensible sur le diagnostic, la méthode de traitement et les risques. On ne peut donc pas partir du principe, comme l’ont fait les premiers juges, qu’une information donnée exclusivement par écrit est en soi insuffisante, même en ce qui concerne des complications hautement improbables (c. 7.1).

En l’espèce, comme une fiche d’information avait été remise à l’intimé avec l’invitation à la lire, comme cette fiche mentionnait en termes compréhensibles le risque spécifique tel qu’il s’était réalisé, comme il s’agissait d’une complication extrêmement rare, et que celle-ci avait pu être corrigée, comme le patient avait eu la possibilité d’étudier la fiche d’information chez lui, d’y préparer des questions et de les poser lors d’une consultation ultérieure après un délai de réflexion approprié, et comme il avait déclaré que le fait de savoir que toute opération comportait des risques lui avait « suffi », le TF conclut que le devoir d’information a été correctement rempli, même si aucune explication orale n’a été donnée. Il relève par ailleurs qu’il convient de laisser à cet égard une certaine marge de manœuvre au médecin, qui doit aussi pouvoir prendre en compte le fait qu’un excès d’informations peut être néfaste pour le patient, causer un état d’anxiété préjudiciable, et finalement l’empêcher de prendre une décision appropriée (c. 7.2).

Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

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Responsabilité médicale

TF 2C_259/2022 du 07 décembre 2022

Prévoyance professionnelle; prévoyance liée, déductibilité des primes, période fiscale déterminante; art. 82 al. 1 LPP; OPP3

Selon l’art. 15 al. 1 LHID, la période fiscale correspond à l’année civile. L’art. 82 al. 1 LPP prévoit que les salariés et les indépendants peuvent également déduire les cotisations affectées exclusivement et irrévocablement à d’autres formes reconnues de prévoyance assimilées à la prévoyance professionnelle (cf. aussi art. 1 al. 2 let. b OPP3 et 33 al. 1 let. e LIFD). Dans cette décision, le TF confirme que le montant de CHF 24'632.-, dont l’ordre de paiement a été effectué le 29 décembre 2017, ne peut pas être déduit fiscalement pour l’année 2017, dès lors que la somme litigieuse a été créditée à l’assureur le 3 janvier 2018 seulement (cf. art. 81 al. 3 LPP ; art. 8 OPP3).

Note : s’agissant d’une somme d’argent (dette portable ; cf. art. 74 al. 2 ch. 1 CO), la même règle prévaut dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, singulièrement en ce qui concerne le caractère déductible des rachats facultatifs (art. 79b LPP).

Auteur : Guy Longchamp

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 4A_376/2022 du 05 décembre 2022

Assurances privées; procédure; vice de forme; art. 132 al. 1 CPC

Un assuré a déposé une demande devant la cour des assurances sociales pour obtenir le paiement d’indemnités journalières maladie fondées sur un contrat d’assurance maladie complémentaire. L’assureur a déposé une réponse signée uniquement par un collaborateur disposant de la signature collective à deux au Registre du commerce. L’autorité de première instance a ainsi déclaré cette réponse irrecevable et admis l’intégralité des conclusions de la demande au motif que, sans réponse, il fallait considérer que l’assureur avait admis les allégués de la demande. L’assureur a déposé un recours au TF par lequel il relevait que l’art.  132 al.  CPC imposait à l’autorité de première instance de lui impartir un délai pour rectifier le vice de forme. Il invoquait également le droit d’être entendu de l’art.  29 al. 1 Cst.

Le TF explique que l’art. 132 al. 1 CPC a pour but d’atténuer la rigueur formelle qui ne serait justifiée par aucun intérêt digne de protection. C’est ainsi que si une partie dépose, par inadvertance ou involontairement, un acte vicié, un délai doit lui être imparti pour qu’il le rectifie. Il relève néanmoins qu’il n’y a aucune protection accordée à cette partie si le défaut constitue un abus de droit manifeste, comme par exemple volontairement déposer un acte vicié afin d’obtenir un délai supplémentaire ou afin de faire traîner la procédure.

Dans le cas d’espèce, le vice reproché à l’assureur avait déjà été constaté dans une procédure et l’attention de l’assureur avait ainsi été attirée sur cette problématique. Le TF relève toutefois qu’une telle récidive n’est en soi pas suffisante pour considérer qu’il y a abus de droit. Par conséquent, notre Haute Cour a considéré que l’autorité inférieure avait violé les art. 132 al. 1 CPC et 29 al. 1 Cst. dès lors qu’aucun délai n’avait été imparti à l’assureur pour rectifier la problématique de la signature. Il a ajouté que ces dispositions et l’obligation d’impartir un délai supplémentaire s’appliquaient également lorsque l’acte était signé par une personne seule si cette dernière ne dispose que de la signature collective à deux, inscrite au Registre du commerce. La cause a ainsi été renvoyé à l’autorité de première instance.

Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne

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Assurances privées Procédure

TF 4A_323/2022 du 05 décembre 2022

Assurances privées; procédure, preuve à futur, Lloyd’s; art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC

La société A. SA, (requérante, recourante) est une holding du groupe A., dont le siège est en Suisse. B. Limited (intimée 1) et C. Limited (intimée 2) sont des compagnies d’assurances anglaises qui proposent des contrats sur mesure (Spezialversicherungen) par l’intermédiaire du marché des assurances Lloyd’s de Londres. Le 19 décembre 2018, la recourante a signé un contrat d’assurance pour couvrir le risque d’annulation de grandes manifestations. En plus de la société D. plc (public limited company), quatre syndicats des Lloyd’s sont intervenus en tant qu’assureurs, soit les syndicats B. Lloyd’s Syndicate www et xxx et les C. Lloyd’s Syndicate yyy et zzz. Le contrat d’assurance a été conclu enfin par l’intermédiaire de la société E. Limited. L’intimée 1 est membre du syndicat B. Lloyd’s Syndicate www et l’intimée 2 est membre du syndicat C. Lloyd’s Syndicate yyy. En 2020, plusieurs manifestations internationales ont été annulées. Un conflit est né entre les parties en relation avec l’indemnisation du dommage subi. La recourante était de l’opinion que, pour faire valoir sa créance contractuelle, elle avait besoin des données (prénoms, noms ainsi que les adresses de domicile ou de siège) de tous les membres du syndicat des Lloyd’s, participant au contrat d’assurance en question. Le 4 octobre 2021, elle a donc introduit une requête de preuve à futur, dans ce but. Déboutée en première et en deuxième instance, elle porte l’affaire devant le TF.

Le TF rappelle, en premier lieu, qu’il y a une différence entre la demande en production de documents à des fins de preuve dans le cadre d’une procédure civile (Editionsbegehren zu Beweiszwecken) et une demande de production fondée sur un droit aux renseignements de nature matérielle (Editionsbegehren gestützt auf einen materiellrechtlichen Auskunftsanspruch). Alors que le droit aux renseignements ou à la reddition de compte peut être élevé, de manière indépendante et notamment être cumulé avec la prétention principale, en tant que prétention accessoire, dans le cadre d’une action échelonnée (Stufenklage), la demande de preuve en matière de procédure civile présuppose des allégations pertinentes sur les faits que les documents à éditer doivent prouver (c. 4 ss ; cf. ATF 144 III 43 c. 4).

Le TF rappelle ensuite rapidement le mode de fonctionnement du marché des Lloyd’s (c. 5.1 et réf. not. 4A_116/2015, 4A_118/2015 du 9 novembre 2015, c. 3.1, n. p. dans ATF 141 III 539). Il rappelle que les Lloyd’s ne contestent en principe pas leur légitimation passive lorsque la partie défenderesse est intitulée « les assureurs Lloyd’s signataires du contrat Nr. […], représentés par le mandataire général pour la Suisse ». Il reconnaît toutefois que cela ne change fondamentalement rien aux effets sur la capacité d’être partie. En passant, il mentionne que le projet de révision de la loi sur la surveillance des assurances prévoit un art. 15a P-LSA « association d’assureurs désignée par Lloyd’s ». Son al. 2 devrait prévoir que le mandataire général des Lloyd’s pour la Suisse a qualité de partie dans toutes les procédures concernant les prétentions et les créances découlant de contrats d’assurance, en lieu et place des assureurs des Lloyd’s concernés (c. 5.2 et réf.). Il examine ensuite le grief de la recourante qui conteste avoir voulu obtenir des preuves de manière contraire au droit. En effet, l’autorité cantonale avait considéré qu’il en allait ainsi puisque la recourante sollicitait des informations qu’elle ne connaissait pas encore et dont elle disait avoir besoin pour intenter une action contre les membres des syndicats, afin de prouver la capacité d’être partie et la légitimation passive, sur la base des art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC. Pour le TF, l’appréciation cantonale n’est pas arbitraire, parce que la recourante ne fait pas valoir qu’elle aurait eu effectivement connaissance des informations requises. Or, la requête de preuve à futur visant l’édition de documents ne sert pas à clarifier un état de fait mais à le prouver (c. 6.2.1). Du point de vue du TF, il n’est pas non plus arbitraire de rejeter l’action de la recourante au motif qu’un tel rejet reviendrait à ce que la demanderesse ne puisse, dans l’hypothèse d’une absence d’un droit contractuel à l’information, pas faire valoir ses prétentions en justice. Il a ainsi suivi la cour cantonale, estimant que cela ne représentait pas un résultat insoutenable et que cette impossibilité serait en outre imputable à la recourante, elle-même, laquelle avait accepté de conclure un contrat, sans connaître ses partenaires voire sans prévoir de clause impliquant une obligation de communication desdits partenaires (c.  6.2.2). Enfin, le TF considère que l’argumentation principale des juges cantonaux, à savoir que la recourante n’a pas sollicité l’édition de documents mais d’informations et qu’elle n’avait pas démontré que l’objet de ses conclusions juridiques était constitué de documents déjà existants, malgré les dénégations de la demanderesse, ne représentait pas une violation du droit d’être entendu de la recourante (c. 6.3 ss). Le recours est rejeté.

Auteur : Rébecca Grand, avocate à Winterthour

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Assurances privées Procédure

TF 8C_374/2022 du 05 décembre 2022

Assurance-accidents; assistance judiciaire, choix du mandataire, mandataire hors canton; art. 29 Cst.

L’art. 29 al. 3 Cst. ne garantit pas en principe le droit du justiciable au bénéfice de l’assistance judiciaire de choisir librement son conseil d’office. Les règlements cantonaux selon lesquels seuls les avocats inscrits dans leur propre canton peuvent se voir confier des mandats d’office peuvent être objectivement justifiés et sont compatibles avec l’art. 29 al. 3 Cst. Toutefois, sur la base du droit à un procès équitable (art. 29 al. 1 Cst), s’il existe une relation de confiance particulière entre le client et l’avocat ou si l’avocat a déjà traité l’affaire dans le cadre d’une procédure antérieure, les dispositions cantonales ne peuvent faire obstacle à la désignation d’un avocat d’office inscrit en dehors du canton.

Dans le cas d’espèce, le recourant s’était vu accorder l’assistance judiciaire et la désignation d’un conseil d’office dans le cadre d’une première procédure, qui avait été portée devant une autorité judiciaire incompétente. La cause a été transférée à l’autorité compétente, sise dans un autre canton dans lequel l’avocat en question n’était pas inscrit. Les instances cantonales ont refusé de désigner au recourant le même conseil d’office au motif que cet avocat n’était pas inscrit dans le canton concerné. Pour le TF, il faut considérer que l’avocat en question avait déjà traité l’affaire dans le cadre d’une procédure antérieure, contrairement à ce que soutenait l’autorité inférieure, si bien que c’est à tort que sa désignation en qualité de conseil d’office lui a été déniée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si une relation de confiance particulière entre le client et l’avocat existait en l’espèce.

Auteur : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 6B_171/2022 du 29 novembre 2022

Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence, procédure, acte d’accusation, causalité; art. 333 CP

Un chauffeur circule au volant de sa camionnette lorsqu’il détourne brièvement son regard sur quatre véhicules, dont une voiture de police, stationnés sur une piste cyclable. Lorsque son regard se porte à nouveau sur la route devant lui, le chauffeur est ébloui par une source lumineuse ou un reflet dont l’origine n’a pu être déterminée par l’enquête. Lorsqu’il retrouve la vue, le conducteur réalise qu’un véhicule est arrêté devant lui et entre en collision avec celui-ci provoquant le décès d’une conductrice.

Le TF écarte tout d’abord le grief du ministère public relatif à la violation de la maxime d’accusation (art. 9 CPP) en rappelant que l’acte d’accusation doit préciser les circonstances sur lesquelles le Ministère public se fonde pour retenir une violation du devoir de diligence du prévenu de même que le caractère prévisible et évitable du résultat. Dans le cas d’espèce, l’acte d’accusation exposait uniquement le bref regard sur les véhicules stationnés sur la piste cyclable ainsi que l’éblouissement comme fondement de la violation du devoir de diligence. Ainsi, l’éventuelle vitesse inadaptée aux conditions de circulation ou la distance de sécurité insuffisante, éléments évoqués dans un rapport d’expertise, ne figuraient pas parmi les reproches formulés à l’égard du prévenu et c’est donc à juste titre que l’autorité cantonale ne les a pas pris en compte (c. 2.1 à 2.6).

Le ministère public critiquait également la mauvaise application de l’art. 333 al. 1 CPP (modification et compléments de l’accusation). Le TF précise la portée de l’art. 333 CPP : le recours à l’art. 333 al. 1 CPP n’est possible qu’à des conditions limitées. Ainsi, cette disposition est applicable lorsque l’état de fait décrit dans l’acte d’accusation pourrait correspondre à une autre infraction ou à une infraction supplémentaire, mais qu’il est nécessaire d’y ajouter un nouvel élément factuel (c. 3.4.3 et 3.4.4). Le TF précise, en revanche, que l’art. 333 al. 1 CPP n’a pas vocation à être appliqué dans le but de modifier l’état de fait de l’acte d’accusation sans que cela ne change la qualification juridique de l’infraction. Dans le cas d’espèce, le TF constate que l’acte d’accusation ne contient pas la description de toutes les circonstances permettant de fonder une violation du devoir de prudence – notamment rien sur la vitesse inadaptée et l’absence de distance de sécurité - de sorte que le tribunal cantonal n’a, à juste titre, pas renvoyé l’acte d’accusation au ministère public. En effet, ce dernier n’aurait pu compléter que la description de l’état de fait sans que cela n’ait une quelconque influence sur la qualification juridique de l’infraction puisque seul l’homicide par négligence entrait en ligne de compte (c. 3.5).

Le TF examine finalement la question de la causalité. Le tribunal cantonal avait considéré, sur la base d’une expertise, que la violation du devoir de prudence concrètement reprochée au conducteur (bref regard sur le côté et éblouissement) avait certes retardé son freinage d’urgence de 0.5 à 0.7 secondes mais n’auraient pas empêché la survenance de l’accident. A cet égard, le TF observe que même si la collision serait survenue de toute manière en raison des violations du devoir de prudence du conducteur non décrites dans l’acte d’accusation (vitesse inadaptée à la circulation et non-respect des distances de sécurité), les violations concrètement reprochées et figurant dans ce dernier ont pu contribuer au résultat final. En effet, l’élément déterminant pour envisager l’imputation objective d’un résultat à un auteur est que ce dernier ait, par son comportement, réalisé l’une des conditions dont le résultat, dans sa manifestation concrète, est la conséquence. En outre, les conséquences de la collision auraient pu être différentes si le conducteur avait freiné 0.5 à 0.7 secondes plus tôt. Aussi le TF admet-il partiellement le recours et renvoie la cause au tribunal cantonal pour nouvel examen.

Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile Causalité Procédure Publication prévue

TF 6B_375/2022 du 28 novembre 2022

Lésions corporelles graves par négligence; violation du devoir de prudence de l’employeur, causalité adéquate, interruption; art. 125 CP; 8 al. 2 let. a, 15 al. 1, 16 et 19 al. 1 aOTConst; 11 et 21 OPA

Pour éviter de faire un détour, un ouvrier a décidé de ne pas emprunter la sortie réglementaire du chantier sur lequel il travaillait. Il est passé par une autre ouverture où se trouvait un échafaudage duquel il a chuté, entraînant de graves blessures. Il est admis que l’employeur n’a pas manqué à son devoir de surveillance et d’information, ni à son devoir de prudence s’agissant du choix et de l’installation des échafaudages. L’employeur a néanmoins manqué à son devoir de prudence, découlant des art. 21 OPA, 15 al. 1, 16 et 19 al. 1 aOTConst, en n’installant pas de protection et en ne prenant ainsi pas les mesures nécessaires pour prévenir les chutes.

Dans le cadre de l’analyse de l’art. 125 CP, le TF s’attarde sur le concept général de la causalité adéquate qui demeure litigieuse en l’espèce. Il est rappelé qu’en cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée.

L’existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance ; autrement dit, elle n’est réalisée que lorsque l’acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat. La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’eût empêché.

La causalité adéquate peut aussi être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d’un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.

Il convient en l’espèce de se poser la question de savoir si l’installation de protections latérales ou de mesures de protection équivalentes aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité que l’ouvrier emprunte volontairement ce passage et, conséquemment, chute. Si l’employeur avait installé des protections latérales ou des mesures de protection équivalentes, l’ouvrier n’aurait eu d’autre choix que de franchir ces installations avant de pouvoir emprunter le passage dont il est question, ce qui aurait nécessairement pris du temps. La simple présence de protections latérales ou de mesures de protection équivalentes aurait, à tout le moins, eu pour effet de porter son attention sur les risques inhérents à la manœuvre envisagée et l’aurait très vraisemblablement décidé à emprunter la sortie réglementaire. Il résulte de ce qui précède que la causalité adéquate doit être admise.

Reste encore à se demander si le comportement de l’ouvrier est à ce point extraordinaire et inattendu qu’il relègue à l’arrière-plan les manquements de l’employeur. Travailler sur un chantier est en soi une activité dangereuse, raison pour laquelle des normes de sécurité strictes s’appliquent à cette activité. En particulier, l’OTConst et l’OPA contiennent de nombreuses prescriptions visant à prévenir les chutes, précisément parce qu’il n’y a rien de surprenant à ce qu’un ouvrier, pour gagner du temps ou pour toute autre raison, prenne des risques pouvant conduire à une chute involontaire.

En cela, le comportement de l’ouvrier ne s’impose pas comme la cause la plus probable et la plus immédiate de son accident, reléguant à l’arrière-plan les manquements de l’employeur. La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en retenant une rupture du lien de causalité adéquate.

Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

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Responsabilité aquilienne Causalité

TF 4A_603/2020 du 16 novembre 2022

Responsabilité aquilienne; responsabilité délictuelle, faute, dol éventuel, norme de protection, blanchiment d’argent; art. 41 al. 1, 55 al. 1 CO; 29, 305bis CP; 9 LBA

Un prétendu gérant de fortune indépendant a ouvert un compte dans une banque et berné des clients. Une procédure pour blanchiment d’argent a notamment été ouverte. A la suite de son décès, la procédure pénale a pris fin. Plusieurs clients ont fait valoir des dommages-intérêts et indemnités pour tort moral contre la banque, fondant leur action sur les principes de la responsabilité délictuelle (art. 41 ss CO). La norme de protection invoquée est l’art. 305bis CP, la banque se trouvant selon eux dans une position de garant. L’action a été rejetée, les clients échouant à démontrer l’intention délictueuse et le lien de causalité entre les manquements de la banque et le dommage subi. Ce jugement a été annulé en appel car la banque aurait dû réaliser le caractère insolite des transactions et disposait d’indices quant à la provenance douteuse des avoirs. Le dol éventuel pouvait ainsi être retenu, les agissements de la banque tombaient sous le coup de l’art. 305bis CP. L’action délictuelle était fondée et le dossier renvoyé aux premiers juges pour déterminer la quotité du dommage. La banque a recouru en matière civile auprès du TF et a conclu à l’annulation de la décision incidente rendue.

Le TF rappelle que la banque peut également engager sa responsabilité de par l’art. 55 al. 1 CO. L’acte de l’employé doit toutefois être illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO. Lorsqu’un acte illicite lèse le patrimoine, il faut établir la violation d’une norme de comportement (Schutznorm) visant à protéger le lésé dans les droits atteints par l’acte incriminé. L’art. 305bis CP est une de ces normes de comportement. Cette infraction ne peut être réalisée que sous la forme intentionnelle. Le blanchiment d’argent doit être intentionnel, ce qui signifie que son auteur doit agir « avec conscience et volonté ». L’intention est déjà réalisée lorsque l’auteur tient pour possible la réalisation de l’infraction et l’accepte au cas où celle-ci se produirait (art. 12 al. 1 et 2 CP). Est ici visé le dol éventuel : l’auteur envisage le résultat dommageable mais agit néanmoins, même s’il ne le souhaite pas, parce qu’il s’en accommode pour le cas où il se produirait. La frontière avec la négligence consciente est ténue ; elle se situe au niveau volitif. L’auteur négligent envisage lui aussi l’avènement du résultat dommageable mais escompte, ensuite d’une imprévoyance coupable, que ce résultat qu’il refuse en soi ne se produira pas. A défaut d’aveux, le juge doit se fonder sur les circonstances extérieures pour déterminer quelle forme de faute il retient.

En l’espèce, l’enjeu consistait à établir un acte intentionnel de blanchiment d’argent qui fût propre à engager la responsabilité civile de la banque. Le caractère insolite de la situation était apparu dans le cadre de la procédure pour blanchiment d’argent, la banque aurait dû s’interroger en particulier sur l’origine illicite des fonds. La responsabilité de la banque ne peut être engagée que dans la mesure où une/des personne(s) physique(s) a/ont commis un acte illicite, soit réalisé les éléments constitutifs objectifs et subjectif du blanchiment. Deux écueils se dressent à cet égard : d’une part, il faut pouvoir reprocher à une/des personne(s) physique(s) d’avoir contrevenu aux obligations juridiques qualifiées instaurées par la LBA. D’autre part, un comportement intentionnel est requis. L’art. 29 CP trace le cercle limité des personnes physiques auxquelles l’on peut reprocher d’avoir enfreint un devoir particulier incombant à la personne morale – ici en vertu de la LBA. Il s’agit des membres d’un organe (let. a), des associés (let. b), des collaborateurs dotés d’un pouvoir de décision indépendant (let. c) ou enfin, des dirigeants effectifs (let. d).

En l’occurrence, l’organisation de la banque pour lutter contre le blanchiment d’argent et les personnes en charge d’aviser le Bureau de communication au sens de l’art. 9 LBA ne sont pas indiquées. La responsable du service juridique était absente pendant la période problématique et il n’y a pas de détails quant au service de compliance. Un collaborateur précis ne peut ainsi être déterminé. Le TF rappelle qu’il faut ensuite démontrer l’intention délictueuse d’un employé précis. Les éléments au dossier ne permettent pas non plus de déduire une intention délictuelle. Les clients de la banque n’ont du reste pas requis l’audition de membres du personnel. Rien n’indique que la Commission ait pu identifier des collaborateurs animés d’une intention délictueuse. La cour cantonale ne pouvait s’inspirer d’un mécanisme étranger à l’art. 55 CO, qui n’est pas applicable faute d’acte illicite. L’enquête pénale n’a pas pu mettre en évidence des employés suspects. Devant la Cour de justice déjà, il était acquis que l’illicéité civile pouvait découler uniquement de la réalisation de l’art. 305bis CP, aucune autre norme pénale n’entrant en ligne de compte. Il était également admis que la violation des règles de la LBA était en soi inapte à fonder une responsabilité civile délictuelle au sens de l’art. 41 CO.

En définitive, le TF retient qu’aucun acte illicite susceptible d’engager une responsabilité de la banque selon l’art. 55 CO n’a pu être établi car aucune intention délictueuse n’a pu être prêtée à l’un ou l’autre collaborateur précis de la banque. Aussi le TF a-t-il rejeté les conclusions des demandeurs et admis le recours de la banque.

Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate, Lausanne

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Responsabilité aquilienne Faute

TF 4A_480/2021 du 09 novembre 2022

Responsabilité aquilienne; contrat de mandat, allégation du dommage, procédure; art. 42 al. 1 et 2, 398 al. 1 CO; 55 CPC

Dans le cadre de l’acquisition du capital-actions d’une société anonyme, la recourante reproche à la fiduciaire, chargée de réviser les comptes de la société visée, de ne pas avoir constaté que les fonds propres et les résultats de celle-ci étaient surévalués. Ayant payé un prix excessif pour les actions et invoquant la responsabilité de son mandataire, l’acheteuse a conclu à ce que la fiduciaire soit condamnée au paiement de la différence entre le coût des actions et leur valeur réelle, étant précisé qu’elle avait déduit du montant réclamé le versement effectué à bien plaire par le vendeur à la suite d’une action en réduction du prix de vente. Alors que les manquements de l’intimée et la différence de valeur avaient été démontrés par expertises, privée puis judiciaire, les deux instances cantonales ont intégralement rejeté les conclusions de la mandante.

Après avoir rappelé les conditions régissant la responsabilité du mandataire, soit la violation d’un devoir de diligence, l’existence d’une faute (présumée en cas de violation du contrat), un dommage et un lien de causalité entre le dommage et la violation fautive du devoir de diligence, le TF a confirmé le défaut d’allégation suffisante du dommage. En effet, en matière de responsabilité du mandataire, cas qui doit être distingué de la responsabilité du vendeur, l’acheteur doit alléguer quelle aurait été sa situation patrimoniale sans la survenance de l’événement dommageable, en l’espèce la violation par la fiduciaire des règles de l’art lors de la révision des comptes. Or, l’acheteuse s’est limitée à alléguer la valeur réelle de la société selon les comptes rectifiés de la société, et donc le trop-payé au regard du prix initialement versé. A l’appui de ces faits, elle a sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire portant sur la diligence du mandataire et la diminution de son patrimoine. Le préjudice ne peut toutefois être calculé par l’application purement arithmétique d’une formule mathématique dont on déduirait le delta entre le prix payé et la valeur réelle ; il faut comparer le patrimoine de la lésée en fonction des décisions qu’elle aurait prises si elle avait été correctement informée par la fiduciaire.

Le TF retient ainsi que la recourante aurait dû alléguer, puis offrir de prouver, quel aurait été son comportement si son mandataire avait correctement effectué la mission confiée, à savoir constaté que les fonds propres et les bénéfices de la société étaient surévalués. Dès lors, l’acheteuse aurait dû affirmer (i) qu’elle aurait renoncé à acheter les actions de la société compte tenu des résultats réels de celle-ci, son dommage s’élevant alors au prix payé, la valeur du bien en sa possession étant portée en déduction, ou (ii) qu’elle aurait été en mesure de négocier auprès du vendeur un prix inférieur, et a minima alléguer quel aurait été le prix réduit, son préjudice étant alors équivalent à la différence entre le prix versé et celui négocié à la baisse.

Le TF retient ainsi que les conclusions de l’expertise judiciaire, qui ne portait pas sur le dommage indemnisable, ont été écartées à juste titre. La violation du devoir d’allégation a donc été retenue à juste titre, que ce soit sous l’angle de l’établissement non arbitraire des faits ou de l’application correcte du droit fédéral. L’invocation de l’art. 42 al. 2 CO ne saurait remédier aux manquements de la recourante, cette disposition permettant certes au juge de définir l’indemnisation du dommage en équité, mais ne relevant pas le demandeur de son devoir d’allégation des faits pertinents et d’offrir les preuves à leur appui.

Ex cursus : cette procédure a également porté, à titre incident, sur la recevabilité d’un appel en cause, la Cour de justice l’ayant rejeté en raison de l’absence d’un lien de connexité suffisant entre la prétention principale et celle invoquée dans l’appel en cause, le TF, par substitution de motifs, retenant finalement que l’appelant en cause avait manqué de prendre des conclusions chiffrées contre l’appelé.

Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève

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Responsabilité aquilienne Dommage Procédure

TF 4A_298/2021 du 08 novembre 2022

Responsabilité médicale; prescription, créance en euros, requête de conciliation, conclusions libellées en francs suisses, principe de la confiance; Art. 135 al. 1 et 2, 84 al. 2 et 127 CO; 67 al. 1 ch. 1 à 4 LP; 58 al. 1 et 132 al. 1 CPC

Est litigieuse la question de savoir si le délai de prescription de trois créances, à savoir de trois postes de préjudice, selon les conclusions prises en euros dans la seconde action du 28 mars 2018, objet de la présente procédure de recours, a été ou non interrompu par la première action, introduite le 30 juin 2015 et donc dans le délai de 10 ans à compter de l’opération du 3 mai 2006, mais dont les conclusions étaient libellées en francs suisses (c. 4).

Le TF rappelle tout d’abord sa jurisprudence relative à la monnaie dans laquelle le créancier doit formuler ses conclusions et la conséquence attachée à des conclusions prises dans une monnaie erronée (c. 5, 5.1, 5.1.1, 5.1.2 et 5.2).

Selon la jurisprudence rendue en matière d’interruption de la prescription par une requête de conciliation, la désignation inexacte d’une partie peut être rectifiée lorsqu’il n’existe dans l’esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l’identité de la partie, notamment lorsque l’identité résulte de l’objet du litige. Cela présuppose évidemment que la requête de conciliation ait été effectivement communiquée à la partie qui a la qualité pour défendre, et non à un tiers, en d’autres termes que celle-ci en ait eu connaissance, à défaut de quoi il n’est évidemment pas possible de lui imputer qu’elle aurait compris ou dû comprendre, selon les règles de la bonne foi, que l’action ait été ouverte contre elle. Il en va de même en cas d’inexactitude de la désignation d’une partie dans la demande (c. 6.2.1.2).

Dans la droite ligne de la jurisprudence susmentionnée et du principe de la confiance sur lequel repose la validité de l’acte interruptif en dépit de la désignation inexacte d’une partie qui affecte celui-ci, il y a lieu d’admettre que le créancier qui a adressé, en temps utile, à une autorité de conciliation une première action, libellée en francs suisses, pour une créance qui était due en monnaie étrangère, a valablement interrompu le délai de prescription puisqu’il a ainsi bien fait connaître à une autorité officielle son intention, ou aurait dû la comprendre selon le principe de la confiance. La créance suffisamment individualisée par son fondement, et les montants en francs suisses et en euros ne sont que les deux faces d’une même pièce. Cette solution s’impose aussi pour deux autres motifs : premièrement, une réquisition de poursuite (obligatoirement) exprimée en francs suisses interrompt valablement la prescription de la créance due en monnaie étrangère ; deuxièmement, lorsqu’il est saisi de conclusions en paiement et en mainlevée, le tribunal prononce simultanément, pour la seule et même créance, une condamnation en monnaie étrangère et la mainlevée en francs suisses de l’opposition au commandement de payer. On ne verrait donc pas pourquoi la prescription d’une créance en monnaie étrangère pourrait être interrompue par une réquisition de poursuite en francs suisses et qu’elle ne pourrait pas l’être par une requête en conciliation en francs suisses. Certes, il faut distinguer entre l’effet interruptif de la prescription, qui se produit à un moment donné, sans égard à la suite de la procédure, et qui a pour but la sauvegarde du droit lui-même, laquelle relève du droit matériel, et la rectification d’une erreur dans la procédure en cours, qui relève du droit de procédure. A la différence de la désignation inexacte d’une partie, qui peut être corrigée dans la procédure introduite, l’erreur concernant la monnaie due ne pourra être corrigée que par l’introduction d’une nouvelle requête libellée dans la monnaie correcte (c. 6.2.2).

En l’espèce, la patiente a communiqué par une requête de conciliation du 30 juin 2015, soit dans le délai de prescription de 10 ans, qu’elle entendait obtenir le paiement d’une créance en dommages-intérêts dont le fondement était le prétendu dommage causé par l’intervention chirurgicale qu’elle avait subie le 3 mai 2006. Elle a donc valablement interrompu la prescription par ses conclusions libellées en francs suisses, et ce sans égard à la suite de la procédure. Par conséquent, la seconde requête de conciliation du 28 mars 2018, portant sur la même créance et alors exprimée en euros, a été introduite en temps utile, de sorte que cette action n’est pas prescrite (c. 6.3). Le recours est admis et l’arrêt attaqué est annulé et réformé, en ce sens que l’exception de prescription soulevée par les défendeurs est rejetée.

Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud

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Responsabilité médicale Prescription Publication prévue

TF 9C_650/2021 du 07 novembre 2022

Assurance-maladie; assurance facultative des indemnités journalières, réserves de santé, réticence, protection des données; art. 69 LAMal

En matière de protection des données, l’assureur-maladie social n’est en droit de traiter de données sensibles – dont les données sur la santé (art. 3 let. c LPD) – que si une loi au sens formel le prévoit expressément (cf., de manière générale, l’art. 84 LAMal) ou si, exceptionnellement (et entre autres éventualités), la personne concernée y a consenti ou a rendu ses données accessibles à tout un chacun et ne s’est pas opposée formellement au traitement (art. 17 al. 2 let. c LPD). Il est par ailleurs tenu de prendre les mesures techniques et organisationnelles nécessaires pour garantir la protection des données (art. 84b LAMal ; cf. aussi art. 7 al. 1 LPD). Dans ce cadre, il doit assurer que le traitement des données, y compris la collecte des données et leur exploitation (cf. art. 3 let. e LPD), soit effectué en conformité à la loi.

A juste titre, le TF a rappelé que la loi interdit un échange d’informations général entre une caisse-maladie et une assurance complémentaire privée, même si elles appartiennent à un même groupe d’assureurs, que le transfert de données se fasse de l’assureur-maladie social à l’assureur privé ou dans l’autre sens. Il a ainsi annulé la décision du tribunal cantonal, au motif qu’on ne pouvait retenir que l’assureur-maladie d’indemnités journalières selon la LAMal avait eu ou aurait pu avoir connaissance du rapport d’un médecin ayant traité la personne assurée au moment où il a été transmis à l’assureur privé. En conséquence, l’assureur-maladie social n’était pas en retard lorsqu’il a émis une réserve (rétroactive) à l’endroit de l’assurée, pour cause de réticence (art. 69 LAMal).

Auteur : Guy Longchamp

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Assurance-maladie Publication prévue

TF 9C_663/2021 du 06 novembre 2022

APG-COVID; revenu déterminant pour le calcul des indemnités, égalité de traitement; art. 8 Cst.; 5 al. 2 O APG COVID-19 des 6 juillet et 8 octobre 2020

Le TF examine la conformité de l’ordonnance sur les pertes de de gain COVID-19 des 6 juillet et 8 octobre 2020 avec la Constitution fédérale à l’occasion d’une affaire ayant débuté le 18 août 2020, lorsque la recourante, musicienne indépendante, a demandé à bénéficier des APG-COVID en lien avec la pandémie. La caisse cantonale de compensation lui a reconnu, à compter du 17 mars 2020, le droit à une indemnité journalière calculée sur la base des revenus taxés en 2018 (en application des art. 2 al. 3bis et art. 2 al. 1bis let. b ch. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet 2020). Se fondant sur la taxation fiscale de ses revenus pour l’année 2019, intervenue le 21 octobre 2020, la recourante a demandé une modification du calcul de l’indemnité journalière avec effet au 17 mars 2020.

L’autorité cantonale a refusé pour la période du 17 mars au 31 octobre 2020 au motif que l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet 2020 accordait au bénéficiaire le droit de demander jusqu’au 16 septembre 2020 un nouveau calcul de l’indemnité allouée sur la base de la taxation fiscale des revenus réalisés en 2019. Elle lui a également refusé le droit au nouveau calcul pour la période ultérieure à compter du 17 septembre 2020, au motif que l’O APG COVID-19 du 8 octobre 2020 disposait que les bases de calcul pour les indemnités allouées sur base de l’O APG COVID-19 applicable jusqu’au 16 septembre 2020 étaient maintenues pour la période ultérieure (art. 5 al. 2bis et 5 al. 2ter O APG COVID-19 dans sa teneur du 8 octobre 2020).

Le TF constate que l’O APG COVID-19, modifiée le 8 octobre 2020, après l’adoption de la loi COVID-19 du 25 septembre 2020, dont l’art. 15, entré en vigueur avec effet rétroactif au 17 septembre 2020, constitue la base légale des mesures destinées à compenser la perte de gain.

La recourante invoque une violation de l’art. 8 Cst. Selon elle, la limite temporelle, imposée par l’ordonnance dans sa teneur au 6 juillet et au 8 octobre 2020, désavantage sans motif valable les bénéficiaires dont les revenus 2019 ont été taxés après le 16 septembre 2020.

Le TF rappelle qu’une norme viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou si elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. L’inégalité de traitement injustifiée doit porter sur un aspect substantiel. Une inégalité de traitement peut se justifier par les buts poursuivis par le législateur ou par le Conseil fédéral, en cas d’ordonnance, ce dernier disposant en général d’une grande marge de manœuvre (c. 10).

L’O APG COVID-19 du 6 juillet 2020 a été adoptée par le Conseil fédéral dans le cadre des larges pouvoirs lui ayant été conférés par l’art. 185 al. 3 Cst. Le TF a le pouvoir d’examiner à titre préjudiciel le caractère constitutionnel de cette ordonnance de substitution indépendante d’une loi parlementaire et peut ne pas l’appliquer si elle viole les droits fondamentaux (c. 9 et 147 V 423 sur les ordonnances indépendantes qui se distinguent des ordonnances de substitution dites « dépendantes »).

Le TF constate qu’au cours du printemps et de l’été 2020, il était difficile de prévoir la durée des mesures sanitaires et le nombre de requêtes à traiter. Il se justifiait dès lors d’adopter des mesures simples pour répondre rapidement aux nombreuses demandes d’aide urgente dues aux conséquences économiques de la pandémie. La limite temporelle de l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet, fixée au 16 septembre 2020, pour déposer la demande et la taxation fiscale 2019, en vue d’un nouveau calcul de l’indemnité, se justifiait objectivement par l’urgence de la situation. Cette disposition n’est ainsi pas arbitraire et respecte le principe de l’égalité de traitement (c. 11.3.3). La décision cantonale est donc confirmée pour la période du 17 mars au 16 septembre 2020.

En revanche, l’O APG COVID-19 dans sa teneur du 8 octobre 2020 trouve son fondement dans la loi fédérale, laquelle ne contient aucune indication détaillée quant au contenu de l’ordonnance en matière d’indemnités perte de gain. Aucune immunité constitutionnelle ne peut être ainsi conférée à l’ordonnance du 18 octobre 2020 (c.11.3.4). Le TF relève d’ailleurs qu’à son art. 5 al. 2, l’ordonnance du 8 octobre 2020 renvoie, pour le calcul des indemnités, à l’application par analogie aux art. 11 al. 1 LAPG et 7 al. 1 RAPG. Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2021, ce dernier article permet de procéder à un nouveau calcul de l’indemnité si les revenus déterminants AVS de l’année de service diffèrent des revenus AVS déterminants antérieurs, pris en compte pour le calcul de l’indemnité journalière.

Le TF rappelle que l’O APG COVID- 19 a été modifiée le 1er juillet 2021 pour prescrire de calculer le montant des indemnités journalières sur la base de la taxation fiscale de l’année 2019 (c. 6.2.2 et 11.3.4). Les bénéficiaires des prestations pour la période du 17 septembre 2020 au 30 juin 2021 sont dès lors désavantagés, sans raison valable, par rapport à ceux qui ont pu bénéficier des prestations dès le 1er juillet 2021. La limite temporelle fixée par l’ordonnance du 8 octobre 2020 ne doit dès lors pas être appliquée. Il en résulte ainsi également une absence de violation du devoir d’informer de la part de l’assurée que lui avait reproché l’autorité cantonale pour ne pas avoir transmis les revenus AVS avant le 17 septembre 2020 (art. 31 LPGA, art. 24 al. 4 OAVS) (c. 11.5).

En l’absence du caractère urgent reconnu précédemment, le TF ne voit pas de motif justifiant de refuser aux bénéficiaires un nouveau calcul des indemnités journalières, fondé sur la taxation fiscale des revenus de l’année 2019, après le 16 septembre 2020.

Auteur : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

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APG COVID Publication prévue

TF 8C_366/2022 du 19 octobre 2022

Assurance-chômage; restitution, péremption, rectification de la décision; art. 53 al. 2 et 25 al. 2 LPGA

En matière d’assurances sociales, une décision entrée en force qui repose sur une application initialement erronée du droit peut faire l’objet d’une reconsidération. La reconsidération, qui se fonde sur l’art. 53 al. 2 LPGA, est soumise à deux conditions : l’importance notable de la rectification et l’existence d’une erreur manifeste. L’erreur manifeste peut résulter de l’application des mauvaises bases légales, de la non-application ou de la mauvaise application des normes déterminantes ainsi que de l’application erronée de la jurisprudence. Lorsque les conditions de la reconsidération sont réalisées, la décision reconsidérée est annulée.

L’art. 25 al. 2, 1re phrase, LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, prévoit que le droit de demander la restitution de prestations indûment touchées s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du motif de restitution, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Selon le TF, malgré la terminologie légale, il s’agit de délais (relatif ou absolu) de péremption et non de prescription. Ces délais ne peuvent par conséquent pas être interrompus. Par ailleurs, le délai de péremption est sauvegardé une fois pour toutes lorsque l’autorité a accompli l’acte conservatoire que prescrit la loi. Pour le TF, est déterminant pour la sauvegarde du délai de péremption le moment où la caisse a rendu sa décision de restitution.

S’agissant de l’interruption de la péremption de la créance en restitution de prestations indues, le TF considère qu’une première décision de restitution de prestations rendue avant l’échéance du délai de péremption sauvegarde valablement ce délai, quand bien même elle est par la suite annulée et remplacée sur le champ par une nouvelle décision de restitution portant sur un montant corrigé.

Le TF distingue cette situation de celle où une caisse de chômage rend une première décision de restitution en temps utile qui entre en force puis qui est annulée par voie de reconsidération. Lorsqu’ultérieurement, soit après l’échéance du délai de péremption d’une année, la caisse rend une nouvelle décision de restitution, cette dernière doit être jugée tardive car l’effet de la première décision quant au respect du délai de péremption ne perdure pas ; en effet, l’annulation de la décision de restitution sans remplacement entraîne également la disparition des conséquences et des effets juridiques qu’elle produisait.

Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont

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Assurance-chômage

TF 9C_536/2021 du 19 octobre 2022

Assurance-invalidité; contribution d’assistance, besoin d’aide, évaluation, ménage commun avec un autre adulte, réduction de la contribution, art. 42quater ss LAI; 39g al. 2 let. b RAI; CCA

Une personne assurée au bénéfice d’une contribution d’assistance de l’assurance-invalidité a vu le montant de cette dernière, réduit du moment que son assistante de vie a emménagé avec elle.

Le TF rappelle que le besoin d’aide est évalué au moyen de l’instrument FAKT2. Conformément au chiffre 4030 de la Circulaire sur la contribution d’assistance (CCA), le besoin d’aide est réduit ou augmenté en fonction de la composition du ménage dans lequel vit la personne assurée. En présence d’un ou deux autres adultes, la déduction est de 33 %. Il est expressément précisé que l’assistante ou l’assistant qui vit chez la personne assurée peut être considérée comme un adulte vivant dans le même ménage.

Une fois le besoin d’aide établi, les mêmes circonstances justifient encore la réduction d’un douzième du montant de la contribution d’assistance annuelle, conformément à l’art. 39g al. 2 let. b RAI.

Dans cet arrêt, le TF confirme que le recours à l’outil FAKT2 est conforme au droit (cf. ATF 140 V 543), de même que l’art. 39g al. 2 let. b RAI, qui concrétise l’obligation de diminuer le dommage de la personne assurée, à tout le moins lorsque la participation de la personne faisant ménage commun est objectivement possible et exigible. Tel n’est pas le cas lorsque cette dernière est elle-même impotente au sens de l’art. 9 LPGA, ou qu’en raison de l’âge, elle peine déjà à s’occuper d’elle-même. Dans une telle hypothèse, une réduction suppose d’examiner au préalable la possibilité et l’exigibilité objectives d’une aide (cf. ATF 141 V 462 ; c. 4.2).

Il n’existe pas, en l’espèce, de motifs objectifs sérieux pour un changement de jurisprudence (c. 5).

Note : la question de la conformité de l’art. 39g al. 1 let. b RAI et du ch. 4030 CCA avec l’art. 8 CEDH mérite d’être posée, compte tenu de la récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Beeler c. Suisse (pour une analyse, cf. ici).

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 9C_466/2021 du 17 octobre 2022

Assurance-vieillesse et survivants; cotisations, salaire déterminant, participation aux frais de garde, exemption des allocations familiales; art. 5 al. 2 et 4 LAVS; 6 al. 2 let. f RAVS

La participation aux frais de garde offerte par un hôpital à son personnel à certaines conditions pour les enfants en âge préscolaire fait partie du salaire déterminant soumis à cotisations AVS au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS.

Contrairement à l’avis de la dernière instance cantonale, cette prestation de l’employeur ne peut pas être assimilée à des allocations familiales exemptées de cotisations sociales en vertu de l’art. 6 al. 2 let. f RAVS. En effet, les allocations familiales sont octroyées forfaitairement pour chaque enfant, indépendamment des revenus des parents. Au contraire, la participation aux frais de garde n’est octroyée qu’aux membres du personnel de l’hôpital qui ont des enfants et qui remplissent certains critères bien précis (garde de leur enfant dans la crèche de l’hôpital ou une crèche affiliée, revenus des parents ne dépassant pas un certain seuil, taux d’occupation des parents, âge des enfants). Même parmi les bénéficiaires, le montant octroyé n’est pas identique pour chacun, puisqu’il est défini en fonction des revenus (c. 6 et 8).

En outre, les allocations familiales poursuivent un objectif de politique familiale et sociale, alors que la participation aux frais de garde vise également à faciliter le recrutement et le maintien du personnel de l’employeur, ce qui va au-delà de l’objectif purement social d’une allocation familiale (c. 7.2).

Ces prestations ne sont donc pas assimilables à des allocations familiales exemptées de charges sociales.

Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

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Assurance-vieillesse et survivants Publication prévue

TF 4A_303/2022 du 17 octobre 2022

Assurances privées; CGA, interprétation, ordonnances COVID, clauses ambiguës; art. 18 CO

Un assuré a contracté une assurance entreprise « tous risques » dont la police prévoit une couverture complémentaire pour les épidémies. Par la suite, le Conseil fédéral a promulgué plusieurs ordonnances en relation avec le COVID. Le recourant estime qu’il existe un nouvel événement assuré (et donc un nouveau sinistre) à l’occasion de la publication de chaque ordonnance, qui donne droit à l’indemnisation convenue avec l’assureur. Il estime qu’il peut se prévoir de la règle des clauses ambiguës en relation avec l’art. 18 CO. L’assureur estime, quant à lui, que ses CGA sont claires et que l’on doit considérer que l’on est en présence d’un seul sinistre.

Le TF rejoint l’argumentation de l’assureur, dont les clauses ne prêtent pas le flanc à la critique. D’une part, il ressort tant de la police que des CGA que l’événement assuré est l’ensemble des mesures successivement ordonnées par les autorités pour éviter la propagation d’une épidémie. D’autre part, un montant fixe est prévu pour dédommager les conséquences d’une fermeture et les coûts des salaires. En l’espèce, il y a bien eu une seule épidémie et les mesures successivement ordonnées par le Conseil fédéral constituent un paquet homogène. Il y a donc un seul sinistre et les règles établies par l’assurance sont claires, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se référer à la règle des clauses ambiguës.

Les juges fédéraux estiment même que le recourant se livre à un véritable ergotage conceptuel (Begriffsrabulisitik) qui est hors sujet.

Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

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Assurances privées

TF 8C_326/2022 du 13 octobre 2022

Assurance-invalidité; rente d’invalidité, incapacité de travail, incapacité de gain, absence de lacune à l’art. 28 al. 1 LAI; art. 6 et 8 LPGA; 28 al. 1 LAI

Le TF rappelle qu’est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA) et qu’il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas surmontable d’un point de vue objectif (c. 5.1 et 5.2).

Aussi, le TF considère qu’il n’existe pas de lacune à l’art. 28 al. 1 LAI dans le sens exposé par le tribunal cantonal. Ainsi, il considère comme erronée la position de l’instance inférieure selon laquelle l’art. 28 LAI comporterait une lacune qui doit être comblée en ce sens que les assurés qui ont été en moyenne en incapacité de travail à 40 % au moins pendant plus d’une année ont droit à une rente, même si des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, susceptibles d’améliorer leur capacité de travail peuvent être prises. Dans ce contexte, le TF rappelle le principe selon lequel « la réadaptation prime la rente » (art. 28 al. 1 let. a LAI). Le droit à une rente ne peut être admis que lorsqu’il n’existe plus de mesure de réadaptation possible (c. 6).

Par ailleurs, le TF relève que la procédure de mise en demeure de l’art. 21 al. 4 LPGA n’a pas à être appliquée dans le cas d’espèce. En effet, selon les éléments au dossier, l’assuré avait lui-même la possibilité de rétablir immédiatement une capacité de travail à 100 % en s’abstenant de consommer des drogues ou de l’alcool (c. 7).

Partant, le TF a admis le recours formé par l’office AI, considérant qu’il est contraire au droit fédéral d’octroyer une rente d’invalidité in casu (c.   8).

Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 8C_319/2022 du 12 octobre 2022

Assurance-chômage; RHT, personnes qui fixent ou influencent les décisions de l’employeur, fonction de cadre subalterne; art. 31 al. 3 let. c LACI

Cette affaire concerne le droit aux indemnités pour réduction de l’horaire de travail (RHT) d’une employée, occupant le poste de directrice au sein d’une entreprise individuelle, durant le mois de septembre 2020. Ce droit lui a été refusé par la Caisse de chômage, qui avait estimé qu’elle occupait une position similaire à celle d’un employeur.

Le TF commence par rappeler que l’ordonnance COVID-19 sur l’assurance-chômage avait introduit des allégements en matière de réduction de l’horaire de travail, notamment en étendant le droit aux indemnités de chômage à certaines catégories d’ayants droit. Il en allait ainsi de la dérogation faite à l’art. 31 al. 3 let. c LACI, en ce sens que les personnes qui fixaient les décisions que prenait l’employeur – ou pouvaient les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise, et les conjoints de ces personnes, occupés dans l’entreprise, pouvaient prétendre à des indemnités de chômage. Il conclut toutefois que dite ordonnance n’était pas applicable pour la période de septembre 2020 et que le régime de la LACI s’appliquait donc.

Le TF procède ensuite à l’examen de la notion de personne qui fixe ou influence de manière considérable les décisions de l’employeur. Pour trancher la question, il faut vérifier en premier lieu si ce pouvoir de décision découle de la loi, comme c’est le cas par exemple pour les associés d’une Sàrl. En second lieu, il faut examiner la structure interne de l’entreprise (confirmation de jurisprudence). Il passe ainsi en revue, de manière très détaillée, le cahier des charges de l’employée, son pouvoir décisionnel et son influence. Les critères examinés sont notamment le pouvoir de signature inscrit au registre du commerce, la limite des dépenses qu’elle pouvait engager sans en référer à l’employeur, le pouvoir de prendre des décisions dépassant le cadre des affaires courantes, l’influence sur la politique de l’entreprise et les compétences en matière de planification du personnel (existence ou non d’un pouvoir d’engagement, d’augmentation des salaires, de contrôle sur le temps de travail), etc. L’implication de l’employeur dans les activités non courantes est également examinée. Le montant du salaire en revanche n’est pas déterminant. Le TF conclut en l’espèce que la directrice n’avait pas d’influence déterminante sur son employeur, de sorte que le droit à l’indemnité de chômage lui était en principe ouvert.

Enfin, le TF rappelle que derrière la réglementation de l’art. 31 al. 3 let. c LACI se cache l’idée de prévenir les abus (auto-délivrance d’attestations nécessaires à l’indemnisation du chômage partiel, attestations de complaisance, impossibilité de contrôler la perte effective de travail, décision ou responsabilité dans l’introduction du chômage partiel, etc.). Un tel risque d’abus existe principalement chez les personnes qui, en tant que décideurs suprêmes d’une entreprise, sont habilitées à ordonner le chômage partiel. La disposition ne s’applique donc pas aux employés occupant des fonctions de cadre subalternes.

Auteur : Me David Métille, avocat à Lausanne

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Assurance-chômage

TF 8C_716/2021 du 12 octobre 2022

Assurance-accidents; rente d’invalidité; revenu statistique; abattement; âge; art. 28 al. 4 OLAA

De manière générale, une réduction au titre du handicap (abattement pour limitations fonctionnelles) dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré.

L’âge d’un assuré ne constitue pas en soi un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Selon le TF, pour atteindre son objectif, l’art. 28 al. 4 OLAA commande qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré. Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte. Il s’ensuit qu’un abattement à cause de l’âge avancé d’un assuré ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA.

Auteur : Guy Longchamp

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Assurance-accidents Publication prévue

Arrêt Beeler c. Suisse (requête n° 78630/12) du 11 octobre 2022

Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuf, fin du droit, discrimination, droit à la vie privée, prestations sociales; art. 8 et 14 CEDH; 24 al. 2 LAVS

La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme confirme l’arrêt rendu par la Cour le 20 octobre 2020, qui constatait la violation, par la Suisse, des art. 8 et 14 CEDH, en raison de la limitation du droit à la rente de veuf au 18e anniversaire du cadet des enfants (art. 24 al. 2 LAVS), cette limite ne s’appliquant pas aux rentes de veuves, qui sont viagères sous réserve de remariage (voir le résumé de cet arrêt ici et son analyse ici).

Constatant une jurisprudence non uniforme de la Cour à ce sujet, la Grande Chambre définit, dans cet arrêt, les critères qui permettent d’invoquer l’art. 8 CEDH, le cas échéant en combinaison avec l’art. 14 CEDH, lorsqu’il est question de refus de prestations sociales (N 47 à 72 de l’arrêt). Le raisonnement de la Grande Chambre peut être résumé de la manière suivante :

- l’art. 8 CEDH, même combiné avec l’art. 14 CEDH, ne permet pas d’exiger de l’Etat des prestations positives, singulièrement des prestations sociales ;

- cela étant, si l’Etat décide d’octroyer des prestations sociales par le biais de sa législation interne, il ne peut en aménager les conditions d’octroi de manière discriminatoire. Cela vaut de manière absolue lorsque le Protocole n° 1 s’applique (art. 1 Prot. n° 1 cum 14 CEDH), ce qui n’est pas le cas pour la Suisse ;

 - si le Protocole n° 1 ne s’applique pas, il faut encore déterminer si le droit aux prestations sociales peut être protégé par le biais de l’art.8 CEDH. La Grande Chambre résume la jurisprudence précédente de la Cour, identifiant trois critères non uniformément utilisés par le passé, et décide que désormais, les deux critères suivants doivent être cumulativement remplis : 1. les prestations sociales en question visent à favoriser la vie familiale, et 2. elles ont nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-vieillesse et survivants Publication prévue

TF 8C_367/2022 du 07 octobre 2022

Assurance-chômage; Indemnité en cas d’insolvabilité, obligation de réduire le dommage, mesures propres à sauvegarder le droit envers l’employeur; art. 51 et 55 LACI

Cette affaire porte sur l’examen du droit à une indemnité en cas d’insolvabilité d’un employé licencié avec effet immédiat, au motif que la société qui l’employait était dans l’impossibilité d’honorer son salaire. Ce droit lui a été refusé par la caisse de chômage, qui a considéré que l’assuré avait violé son obligation de diminuer le dommage en n’effectuant aucune démarche contraignante propre à sauvegarder ses prétentions salariales avant le prononcé de la faillite de la société en janvier 2021.

Le TF commence par rappeler que le travailleur qui n’a pas reçu son salaire, en raison de difficultés économiques de l’employeur, a l’obligation d’entreprendre à l’encontre de ce dernier les démarches utiles en vue de récupérer sa créance. L’assuré doit non seulement entreprendre une poursuite systématique et continue des démarches engagées contre l’employeur, mais également tenir compte d’une éventuelle péjoration de la situation financière de l’employeur. En d’autres termes, les salariés doivent se comporter vis-à-vis de l’employeur comme si l’institution de l’indemnité en cas d’insolvabilité n’existait pas du tout.

En l’occurrence, le TF observe d’emblée qu’au vu du risque de faillite – qui s’est matérialisé début 2021 – et de l’incertitude qui concernait le dédommagement de l’employeur par un assureur tiers, il n’apparaissait pas insoutenable de retenir que la situation de la société pouvait se dégrader à la suite du licenciement.

Il rappelle ensuite qu’entre son licenciement en octobre 2018 et la production de sa créance salariale auprès de l’office cantonal des faillites en février 2021, l’assuré s’est limité à interpeller oralement son employeur, à lui adresser une mise en demeure écrite en septembre 2018 et à se faire remettre une reconnaissance de dette en janvier 2019. Or, des interventions orales ne suffisent pas à satisfaire à l’obligation de réduire le dommage, à tout le moins lorsque, comme en l’espèce, l’employeur n’a pas rempli ses obligations contractuelles sur une longue période. Il en va de même de l’obtention d’une simple reconnaissance de dette. Dans ces conditions, l’inactivité prolongée de l’assuré constitue une violation fautive de son obligation de diminuer le dommage. Le seul espoir d’une amélioration de la situation financière de la société après un éventuel dédommagement par un assureur tiers ne justifie pas davantage l’inactivité de l’assuré. Les importants problèmes financiers de l’employeur- qui étaient connus de l’assuré – auraient en outre dû l’inciter à entreprendre rapidement des démarches « sérieuses » en vue de tenter de récupérer sa créance salariale.

Ainsi, pour le TF, l’assuré ne pouvait pas se contenter de rester inactif jusqu’à la mise en faillite de la société de son employeur, ce d’autant moins qu’en matière d’indemnité en cas d’insolvabilité, il n’appartient pas à l’assuré d’estimer lui-même si des démarches en vue de récupérer sa créance peuvent ou non être couronnées de succès.

Auteur : Me Patrick Moser, avocat à Lausanne

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Assurance-chômage

TF 6B_160/2022 du 05 octobre 2022

Responsabilité aquilienne; qualité pour recourir, objet de la procédure; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF

L’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF donne à la partie plaignante la qualité pour recourir en matière pénale au TF lorsque la décision attaquée peut avoir des effets sur ses prétentions civiles. En règle générale, un jugement d'acquittement a un effet direct sur ses prétentions civiles (c. 1).

Toutefois, la partie plaignante qui n’a pas contesté en appel le rejet de ses prétentions civiles par l’autorité de première instance n’a pas la qualité pour recourir en matière pénale au TF. En effet, le jugement de première instance étant entré en force sur ce point, le jugement d’acquittement prononcé par l’autorité d’appel n’a pas d’effet sur les prétentions civiles au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1).

Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

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Responsabilité aquilienne

TF 6B_1002/2021 du 03 octobre 2022

Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; raute, causalité, conclusions civiles; art. 125 al. 1 CP; 122 al. 2 CPP

L’art. 125 al. 1 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé. La réalisation de cette infraction suppose la réunion de trois éléments constitutifs, à savoir une négligence imputable à l’auteur, des lésions corporelles subies par la victime, ainsi qu’un lien de causalité naturelle et adéquate entre la négligence et les lésions. Un cycliste a contesté devant la juridiction d’appel la libération d’un automobiliste de l’accusation de lésions corporelles simples par négligence pour le motif, déjà retenu par le premier juge, qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le comportement contraire à la LCR de l’automobiliste et la blessure subie par le cycliste. II faisait valoir que le fait d’utiliser un véhicule pour forcer un cycliste à s’arrêter ou à changer de direction amenait notoirement à un risque de chute très marqué pour celui-ci.

Le lien de causalité naturelle serait dans ce cadre indéniablement réalisé en tant que, sans la manœuvre précitée, la chute ne serait pas intervenue. Quant à la causalité adéquate, elle devrait également être admise car d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, utiliser un véhicule automobile pour forcer un cycliste à dévier vers la gauche dans le but de l’obliger à s’arrêter est propre à entraîner la chute du cycliste et donc à le blesser. Le fait pour le cycliste d’avoir continué sa route alors qu’il se trouvait sur la gauche du véhicule ne saurait être vu comme un comportement à ce point inattendu et exceptionnel qu’il serait de nature à exclure un lien de causalité avec l’accident survenu. En d’autres termes, le comportement de l’automobiliste consistant à utiliser son véhicule automobile pour forcer le cycliste à dévier vers la gauche dans le but de l’obliger à s’arrêter, doit être considéré comme étant en lien de causalité naturelle et adéquate avec les blessures subies par ce dernier, sans que son comportement permette d’admettre une interruption du lien de causalité adéquate.

Conformément à l’art. 122 al. 1 CPP, en sa qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l’infraction par adhésion à la procédure pénale. Aux termes de l’art. 126 al. 1CPP, le tribunal statue sur les conclusions civiles présentées lorsqu’il rend un verdict de culpabilité à l’encontre du prévenu (let. a) ou lorsqu’il acquitte le prévenu et que l’état de fait est suffisamment établi (let. b). Lorsque l’état de fait est suffisamment établi – à défaut de quoi le tribunal doit renvoyer la partie plaignante à agir par la voie civile conformément à l’art. 126 al. 2 let. c CPP, un jugement d’acquittement peut donc aussi bien aboutir à la condamnation du prévenu sur le plan civil qu’au déboutement de la partie plaignante.

En instance d’appel, le cycliste a invoqué une responsabilité objective du détenteur de véhicule automobile pour conclure au versement en sa faveur d’un montant de CHF 12'963,70, avec intérêts à 5 % l’an dès le 5 mai 2018, pour les dommages causés par l’emploi dudit véhicule. Dès lors que le recours doit être admis s’agissant de l’infraction de lésions corporelles simples par négligence commise au préjudice du cycliste, il doit l’être aussi en ce qui concerne les conclusions civiles déduites de cette infraction. Il appartiendra à l’autorité cantonale, à laquelle la cause doit être renvoyée, d’examiner les conclusions civiles prises par le cycliste.

Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile Faute

TF 6B_677/2021 du 28 septembre 2022

Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence, devoir de diligence; art. 117 CP

Pour être déclaré coupable d’homicide par négligence, l’auteur doit avoir causé le résultat en violant un devoir de diligence.

En matière circulation routière, l’étendue de la diligence à observer est déterminée par les dispositions de la loi sur la circulation routière et des ordonnances y afférentes. Dans la circulation, chacun doit se comporter de manière à ne pas gêner ni mettre en danger autrui dans l’utilisation correcte de la route (art. 26 al. 1 LCR). En outre, le conducteur doit constamment maîtriser son véhicule de manière à pouvoir remplir ses devoirs de prudence (art. 31 al. 1 LCR). Le conducteur qui veut insérer son véhicule dans la circulation, faire demi-tour ou reculer ne doit pas gêner les autres usagers de la route ; ceux-ci ont la priorité (art. 36 al. 4 LCR). Avant de quitter son véhicule, le conducteur doit l’assurer de manière adéquate (art. 37 al. 3 LCR). Cela signifie notamment que le conducteur doit s’assurer, avant de quitter le véhicule, qu’il ne met pas en danger des enfants ou d’autres usagers de la route. Pour les véhicules dont la visibilité vers l’arrière est limitée, il faut faire appel à une personne auxiliaire pour effectuer la marche arrière si tout danger n’est pas exclu (art. 17 al. 1 OCR). Le conducteur doit couper le moteur lorsqu’il quitte le véhicule (art. 22 al. 1 OCR). Les règles de circulation reflètent des règles de base générales telles que le principe de confiance (cf. art. 26 al. 1 LCR) ou encore le principe de « non-mise en danger ». La jurisprudence a précisé le critère de diligence à appliquer dans la circulation routière en ce sens que celui qui quitte son véhicule, même pour une courte durée, doit couper le moteur. Si, en raison des circonstances concrètes, le conducteur doit s’attendre à la présence de personnes dans l’angle mort, il doit, le cas échéant, se lever brièvement de son siège, se pencher ou se déplacer légèrement sur le côté afin d’obtenir une visibilité. Le degré d’attention exigé du conducteur dépend de l’ensemble des circonstances, notamment de la densité du trafic, des conditions locales, de l’heure, de la visibilité et des sources de danger prévisibles. Si cette obligation est respectée et que l’espace nécessaire est libre, le conducteur peut effectuer sa manœuvre sans autre surveillance de la zone sans visibilité (c. 3.3.).

En l’espèce, le TF retient que l’instance cantonale a établi de manière incomplète les faits juridiquement pertinents, en lien avec la question de savoir si le conducteur intimé aurait pu voir ou entendre la victime lorsqu’il est monté dans le véhicule, compte tenu du déroulement chronologique des événements ainsi que des conditions de luminosité et des explications de l’expertise technique. Sans examen complémentaire des faits, il n’est pas possible d’examiner une éventuelle violation du devoir de diligence.

Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Faute Dommage

TF 6B_45/2022 du 21 septembre 2022

Responsabilité aquilienne; tort moral, présomption d’innocence; art. 177, 183 CP; 10 al.1, 122, 433 al. 1 CPP; 47 et 49 CO; 6 par. 2 CEDH

Le 10 juin 2017, alors qu’elle rentrait chez elle au volant de son véhicule, B. a été confrontée à une dispute qui avait éclatée entre A. et C. sur le parking de son immeuble. A. a insulté et frappé B. Celle-ci a dû consulter divers médecins et psychiatres, qui ont constaté un stress post traumatique directement en lien avec ces événements. B. a été hospitalisée plusieurs semaines et s’est trouvée en arrêt de travail total pendant près d’une année. B. n’avait pas eu de problèmes psychiatriques avant l’altercation du 10 juin 2017. Elle souffre depuis d’un trouble anxieux d’intensité sévère, de symptômes dépressifs d’intensité sévère ainsi que d’un stress post-traumatique avec modification durable de la personnalité. Par jugement du 3 décembre 2020, le Tribunal de police de la République est canton de Genève a reconnu A. coupable d’injures (art. 177 CP) et de menace (art. 180 CP). Outre certaines autres condamnations, A. a été condamné à titre de réparation du tort moral à verser CHF 5’000.- à B. Par arrêt du 3  novembre 2021, la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise a admis très partiellement l’appel de A., tout en confirmant le jugement de première instance relatif à la condamnation pour tort moral. A. forme un recours en matière pénale au tribunal fédéral afin de réduire l’indemnité pour tort moral à CHF 2’500.-.

La Cour cantonale a retenu que la gravité de l’atteinte à la santé psychique de l’intimée était indéniable au vu du long traitement psychologique, des trois semaines d’hospitalisation, du fait qu’elle avait été totalement incapable de travailler pendant de longs mois puis seulement à 50 %, de sa rechute suite au jugement de première instance et du fait qu’elle présentait encore une fragilité psychique. Que le recourant ait été acquitté de certains autres faits consécutivement à la prescription n’est pas pertinent, ceux-ci n’étant pas en lien direct avec les problèmes psychiques de l’intimée.

Ainsi que le relève le TF, la CourEDH n’a pas constaté une violation de la présomption d’innocence dans des affaires relatives à des actions civiles en réparation engagées par des victimes, indépendamment du point de savoir si les poursuites avaient débouché sur une décision de clôture des poursuites ou une décision d’acquittement. Sur ce point, elle a souligné que si l’acquittement prononcé au pénal devait être respecté dans le cadre de la procédure en réparation, cela ne faisait pas obstacle à l’établissement, sur la base de critères de preuve moins stricts, d’une responsabilité civile emportant obligation de verser une indemnité à raison des mêmes faits. Contrairement à ce qu’affirme le recourant, la Cour cantonale s’est bien basée sur les faits ayant conduit à la condamnation de ce dernier pour fixer l’indemnité pour tort moral.

La fixation de l’indemnité pour tort moral est une question d’application du droit fédéral, que le TF examine donc librement. Dans la mesure où celle-ci relève pour une part importante de l’appréciation des circonstances, il intervient avec retenue. Il le fait notamment si l’autorité cantonale a mésusé de son pouvoir d’appréciation, en se fondant sur des considérations étrangères à la disposition applicable, en omettant de tenir compte d’éléments pertinents ou encore en fixant une indemnité inéquitable parce que manifestement trop faible ou trop élevée. En l’espèce, la Cour cantonale a fixé le montant de l’indemnité pour tort moral conformément aux critères fixés par l’art. 49 CO. Elle a établi un lien direct entre les infractions retenues et l’atteinte à la santé psychique subie par l’intimée.

Le recourant se prévaut ensuite de plusieurs précédents jurisprudentiels. Toutefois la comparaison avec d’autres affaires doit se faire avec prudence, dès lors que le tort moral touche au sentiment d’une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment au malheur qui le frappe. Au vu de ces considérations, le montant de CHF 5’000.- ne prête pas flanc à la critique et ne viole pas le droit fédéral. La somme allouée tient suffisamment compte de la gravité de l’atteinte et ne paraît pas disproportionnée par rapport à l’intensité des souffrances morales de la victime, lesquelles ne sont d’ailleurs pas contestées de manière précise.

Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

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Responsabilité aquilienne Tort moral

TF 4A_114/2022 du 20 septembre 2022

Responsabilité aquilienne; qualité pour agir, dommage, fardeau de l’allégation, fardeau de la preuve; art. 41 al. 1 CO

A. Sàrl réclame à B., pour des objets que celui-ci lui aurait dérobé, un montant de CHF 46'400.-. Le Tribunal de première instance rejette la demande, au motif que A. Sàrl n’a pas apporté la preuve du montant de son dommage. Sur appel, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève confirme le jugement du Tribunal de première instance, au motif substitué que la demanderesse, A. Sàrl, ne disposait pas de la légitimation active. Devant le TF, A. Sàrl conteste que B. ait remis en cause sa légitimation active, et elle invoque que c’est à tort que la cour cantonale a nié sa légitimation active en retenant qu’elle n’était pas propriétaire des biens volés.

Précisément, s’agissant de la qualité pour agir de A. Sàrl, le TF rappelle que le fardeau de l’allégation de la preuve de ce fait implicite qu’est la qualité pour agir incombe à la partie demanderesse lorsque sa partie adverse l’a contesté et que c’est dans cette hypothèse, alors, qu’il lui appartient d’alléguer et d’offrir les moyens de preuve nécessaires pour établir l’existence de cette qualité (c. 3.1.1.).

Et le TF de reprendre les critiques que A. Sàrl formule dans son recours en matière civile, à l’encontre de la manière dont l’autorité précédente a retenu qu’il y avait eu remise en cause par B. de la qualité pour agir de A. Sàrl, et défaut de propriété de celle-ci sur les objets dérobés, pour arriver à la conclusion qu’aucune de ces critiques n’est de nature à faire apparaître que les faits ainsi retenus eussent été établis de manière manifestement inexacte.

Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Procédure

TF 8C_233/2022 du 14 septembre 2022

Assurance-chômage; procédure, suspension du droit à l’indemnité, restitution, péremption, notification de la décision; art. 30 et 95 LACI; 45 OACI

L’exécution de la suspension du droit à l’indemnité au sens des art. 30 LACI et 45 OACI (in casu, huit jours de suspension pour absence de recherches d’emploi avant l’inscription au chômage) devient caduque six mois après le début du délai de suspension (art. 30 al. 3 in fine LACI). Dans la situation du cas d’espèce, la suspension prend effet le premier jour suivant la fin des rapports de travail (c. 3.1). Après l’écoulement du délai de six mois, le droit d’exiger l’exécution de la suspension est périmé. (c. 3.2).

Lorsque les indemnités litigieuses ont été payées à l’assuré, il n’y a plus lieu de prendre une mesure de suspension après l’échéance du délai d’exécution, la restitution des prestations indûment versées ne pouvant plus être exigée en vue de faire exécuter la sanction. Si par contre l’assuré n’a pas encore perçu les indemnités litigeuses, rien ne s’oppose au prononcé d’une suspension au-delà du délai de six mois (c. 3.3).

Selon une jurisprudence constante, une décision ne déploie pas d’effets juridiques tant qu’elle n’a pas été notifiée à la personne concernée, cette dernière ne pouvant être tenue par une décision que si elle en a connaissance (c. 5.2). Ainsi, une décision notifiée irrégulièrement (in casu, par courriel) avant l’échéance du délai de caducité de six mois, puis régulièrement après l’échéance dudit délai est tardive et le droit d’exiger la restitution (des prestations in casu déjà versées à l’assuré) est périmé (c. 5.3).

Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

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Assurance-chômage Procédure

TF 4A_116/2022 du 13 septembre 2022

Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage, calcul du dommage futur, taux de capitalisation, pas de changement de jurisprudence; art. 46 CO

Alors qu’il traversait la chaussée en empruntant un passage pour piétons, un enfant, âgé de 9 ans, a été percuté par un véhicule en janvier 2002. Il a notamment subi un traumatisme craniocérébral avec fractures du crâne. Le lésé ouvre action le 14 janvier 2018 contre l’assureur RC du conducteur en réparation de son dommage total à hauteur de CHF 818’131.- avec intérêts. En première instance, la Cour civile condamne l’assureur RC à payer au lésé la somme de CHF 156’711,90 avec intérêts, sous déduction des montants déjà versés. Par arrêt du 19 août 2020, statuant sur les appels déposés par le lésé et l’assureur RC à l’encontre du jugement de première instance, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois renvoie la cause à la Cour civile pour qu’elle rende une nouvelle décision. En particulier, il convenait, selon les juges cantonaux, d’appliquer un taux de capitalisation de 2 % – et non de 3,5 % – dans le calcul du dommage futur. A la suite de l’arrêt de renvoi, la Cour civile a condamné l’assureur RC à payer au lésé la somme totale de CHF 424’389,75 avec intérêts, sous déduction des montants déjà versés. Par arrêt du 1er février 2022, la Cour d’appel civile a rejeté l’appel formé par l’assureur RC à l’encontre du jugement précité. L’assureur RC a recouru au TF.

Est litigieuse la question du taux de capitalisation de 2 % retenu par la Cour cantonale pour le calcul de la perte de gain future et de la perte sur rentes de vieillesse futures.

Le TF observe en premier lieu qu’à l’ATF 125 III 312, le taux de capitalisation de 3,5 %, appliqué depuis 1946, a été confirmé, avant d’examiner s’il y a lieu de modifier cette jurisprudence.

En se référant à une jurisprudence constante, le TF rappelle qu’un changement de jurisprudence ne peut se justifier que lorsqu’il apparaît que les circonstances ou les conceptions juridiques ont évolué ou qu’une autre pratique respecterait mieux la volonté du législateur. Les motifs du changement doivent être objectifs et d’autant plus sérieux que la jurisprudence est ancienne, afin de ne pas porter atteinte sans raison à la sécurité du droit. En l’occurrence, il faut tenir compte du fait que le besoin de sécurité du droit est particulièrement important dans le domaine du calcul du dommage. En l’occurrence, la question du taux de capitalisation n’appelle pas exclusivement un débat juridique, mais doit être résolue en fonction des circonstances économiques déterminantes, étant rappelé que, dans sa jurisprudence, le TF s’est opposé à un examen « au cas par cas », eu égard à la prévisibilité et à la sécurité du droit. La question de savoir quand les conditions d’un changement de pratique seraient réunies, à savoir qu’il existe des indices suffisamment sûrs qu’un rendement réel de 3,5 % sur les indemnités en capital n’est pas réalisable dans un avenir prévisible et qu’il est possible d’affirmer avec suffisamment de certitude que le taux d’intérêt de capitalisation en vigueur depuis 1946 n’est plus compatible avec le principe de la réparation intégrale du dommage, ne peut être résolue que sur la base d’une appréciation de l’ensemble des circonstances. Il appartient à celui qui se prévaut d’un taux différent de celui de 3,5 % appliqué jusqu’alors de présenter des allégations relatives aux circonstances économiques déterminantes.

Le TF remet en cause l’analyse de la Cour cantonale et considère que le lésé n’a pas suffisamment démontré l’existence de motifs importants justifiant un changement de jurisprudence. La Cour cantonale n’était par conséquent pas fondée à retenir un taux de 2 % et aurait dû confirmer le taux de 3,5 % appliqué par l’autorité de première instance.

Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile Dommage

TF 9C_131/2022 du 12 septembre 2022

Assurance-invalidité; mesures de réadaptation, formation professionnelle initiale, autisme, formation gymnasiale, art. 8 al. 1 et 16 al. 1 LAI

L’assuré, né en 2004, souffre notamment d’un trouble du spectre autistique et a sollicité l’assurance-invalidité pour l’aider dans sa formation professionnelle initiale. En effet, depuis août 2020, il étudie dans un collège privé en vue de l’obtention maturité gymnasiale.

Le TF rappelle tout d’abord la jurisprudence en la matière et l’obligation, pour une formation professionnelle initiale, de remplir également les exigences l’art. 8 al. 1 let. a LAI, c’est-à-dire que la mesure de réadaptation doit être nécessaire, proportionnelle et de nature à rétablir, maintenir ou améliorer la capacité de gain ou la capacité à accomplir les travaux habituels (c. 2.3 à 2.3.2).

Sur la question de l’opportunité de suivre une formation gymnasiale, le TF relève qu’elle permettrait certes d’accéder à tout un éventail de professions académiques, mais qu’en même temps l’objectif de la réadaptation professionnelle, qui est l’atteinte d’un revenu permettant de couvrir en tout cas une partie des frais d’entretien de la personne assurée, s’en retrouverait compliqué, puisque plus la qualification professionnelle est élevée et plus les exigences envers les collaborateurs sont importantes. De plus, l'écart entre la personne assurée avec ses limitations et d’autres collaborateurs ayant la même formation mais sans restrictions comparables se creuserait, ce qui affaiblirait les chances d'embauche de la personne assurée (c. 4.1.1).

Néanmoins, le TF précise qu’il est notoire que les personnes atteintes d'autisme ont de très bonnes chances de s'établir professionnellement dans certains secteurs du premier marché du travail. Elles sont généralement considérées comme ayant une bonne capacité de concentration et d’analyse, une pensée logique, de la rigueur et de la fiabilité. Dans ces conditions, les conclusions des spécialistes appelés à se prononcer sur les aptitudes du recourant sont erronées. En effet, il n’est pas déterminant de savoir si une personne atteinte d’autisme pourrait exercer une vaste palette d’activités sur le marché équilibré du travail, car pour la plupart, ces emplois ne sont pas adaptés aux restrictions et aux besoins particuliers d'une personne atteinte de cette maladie. Il convient plutôt de déterminer si la personne assurée peut s’insérer dans le marché du travail de niche existant pour les personnes atteintes d'autisme. Celui-ci se compose d'emplois qui, d'une part, requièrent des forces cognitives typiquement liées audit trouble et, d'autre part, comblent les déficits spécifiques à l'autisme (c. 4.1.4).

Quant à l’opportunité de suivre une formation gymnasiale dans une école privée située en dehors du canton de domicile de la personne assurée, il est rappelé que les préférences individuelles ne sont pas seules déterminantes pour la prise en charge des frais de formation par l’assurance-invalidité. Dans le cas d’espèce, il ne s'agit pas de savoir si un certain projet professionnel est nécessaire et approprié au sens de l'art. 8 al. 1 let. a LAI. Dans la mesure où il est contesté que la future réadaptation professionnelle nécessite un cursus gymnasial, il s'agit bien plus d'une question de niveau de formation. L'exigence de la simplicité et de l'adéquation de la mesure ne se rapporte pas à de telles orientations (c. 4.2.3).

En présence d’avis médicaux contradictoires et de conclusions inexploitables sur le potentiel de la personne assurée et ses aptitudes, un renvoi à l’office AI est ordonné pour un complément d’instruction (c. 4.1.2 et 5).

Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

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Assurance-invalidité

TF 6B_1271/2021 du 12 septembre 2022

Responsabilité du commandant d’aéronef; lésions corporelles graves par négligence, règle de l’art, causalité; art. 12 al. 3 CP

Les devoirs du commandant d’aéronef découlent de l’ordonnance du 22 janvier 1960 sur les droits et devoirs du commandant d’aéronef (RS 748.225.1). En particulier, le commandant est tenu de prendre, dans les limites des prescriptions légales, des instructions données par l’exploitant de l’aéronef et des règles reconnues de la navigation aérienne, toutes les mesures propres à sauvegarder les intérêts notamment des passagers (art. 6 al. 1). Le commandant est responsable de la conduite de l’aéronef conformément aux dispositions légales, aux prescriptions contenues dans les publications d’information aéronautique (AIP), aux règles reconnues de la navigation aérienne et aux instructions de l’exploitant (art. 7).

Pour se conformer aux prescriptions légales en matière d’aviation, le pilote doit notamment minimiser les risques au décollage. Pour ce faire, les informations contenues dans le manuel de vol de l’appareil sont déterminantes. Les données relatives à l’appareil et à son exploitation sont à ce titre décisives lorsqu’il s’agit de décider de la configuration des volets au décollage. Le commandant d’aéronef doit ainsi pouvoir s’adapter aux circonstances concrètes. Plus le danger créé est grand, plus la prudence doit être accrue. En particulier, les conditions de décollage (modèle et poids de l’aéronef, météo, distance de décollage, longueur de la piste) lui imposent une remise en question du choix de la configuration des volets et d’opter pour la plus sûre possible.

In casu, au vu de ses connaissances et aptitudes, le commandant de l’aéronef a agi par inattention et donc fautivement violé son devoir de prudence. Le choix d’une configuration des volets au décollage moins sûre constitue la cause naturelle et adéquate de l’accident survenu : le fait d’avoir choisi, dans les circonstances du jour de l’accident, la configuration de volets qui nécessitait une vitesse plus élevée et une longueur de piste plus importante (proche de la longueur totale de la piste), était propre, dans le cas d’une accélération moins rapide que celle envisagée, à causer un accident du type de celui qui s’est produit. Dans ce cadre, un freinage involontaire – qui peut intervenir durant la phase de décollage (phénomène connu dans le domaine de l’aviation) – n’est aucunement exceptionnel et ne saurait interrompre le lien de causalité adéquate.

Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat, Neuchâtel

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TF 8C_157/2022 du 08 septembre 2022

Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), entreprises publiques ou subventionnées, risque d’exploitation; art. 31 al. 1 LACI; 51 al. 1 OACI

A l’annonce des mesures prises par les autorités suisses suite à la pandémie Covid-19, une société ayant notamment pour buts de promouvoir, d’encadrer, de soutenir, de protéger et d’intégrer dans la société des personnes handicapées demande à bénéficier d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail. Déboutée par l’autorité administrative, puis par la juridiction cantonale, elle recourt au TF.

Le TF rappelle que, lors de l’appréciation des conditions de l’art. 31 al. 1 let. d LACI, il faut, selon une pratique constante, partir du caractère probablement temporaire de la perte de travail et du maintien des emplois lors de l’octroi de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, tant qu’il n’existe pas de faits concrets permettant de tirer la conclusion contraire. Selon la jurisprudence, le but de l’indemnité est de compenser le risque économique auquel le personnel concerné par la réduction de l’horaire de travail est exposé en raison de la perte de son emploi, perte due aux risques propres à l’entreprise (faillite, fermeture).

Dans le cas du personnel des entreprises publiques, l’élément déterminant pour l’évaluation du droit est de savoir si l’octroi de l’indemnité permet d’éviter à court terme un licenciement ou une non-réélection (« Nichtwiederwahl »). Dans le cas d’entreprises subventionnées par les pouvoirs publics, il convient d’examiner dans quelle mesure, respectivement dans quels domaines partiels de l’entreprise concernée il existe, d’une part, une assurance de couverture complète des frais d’exploitation et, d’autre part, s’il faut s’attendre, dans les domaines partiels financés exclusivement (ou éventuellement partiellement) par des fonds privés, à un recul de la demande dû à des mesures prises par les autorités et à la résiliation de postes de travail qui en résulterait (c. 3.1.2). Selon la juridiction cantonale, lorsqu’un employeur n’assume pas de risque d’exploitation, il n’a pas de raison de licencier des collaborateurs, même en cas de mauvaise marche des affaires ; tel est notamment le cas lorsque les éventuels déficits sont pris en charge par les pouvoirs publics. Dans le cas d’espèce, l’entreprise recourante avait conclu un contrat de prestations avec le canton, prévoyant le versement d’un forfait par personne prise en charge. Compte tenu de ce financement partiel par les pouvoirs publics, la situation n’était pas comparable à celle d’une entreprise privée. C’est donc à bon droit que l’autorité administrative avait, selon les juges cantonaux, nié le droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (c. 3.2).

Le TF ne partage pas cet avis. Il n’est pas prouvé, relève-t-il d’emblée, que les contributions versées par le canton constituent une garantie de déficit ; on ne peut donc soutenir que l’entreprise n’assume pas de véritable risque d’exploitation. Tout au plus est-il établi que celle-ci est partiellement subventionnée par les pouvoirs publics, ce qui ne suffit pas pour exclure l’indemnité pour réduction de l’horaire de travail (c. 3.4.1). L’argument selon lequel les emplois auraient de toute façon dû être maintenus en raison du but social de la recourante, de sorte que l’indemnité de chômage n’aurait servi qu’à compenser une perte de chiffre d’affaires, ne permet pas non plus de nier le droit à l’indemnité de chômage. Un risque de perte d’emploi existait au contraire, dès lors que l’institution n’était financée que partiellement par les pouvoirs publics. En l’absence de véritable garantie de déficit, la recourante supportait donc, comme une entreprise privée, un risque d’exploitation, voire de faillite. Enfin, le risque de licenciement ne peut être évalué rétrospectivement, comme l’avait fait l’instance cantonale (c. 3.4.2). Le TF admet donc le recours et renvoie la cause à la juridiction inférieure pour qu’elle procède à des investigations complémentaires et rende une nouvelle décision (c. 3.4.3).

Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

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Assurance-chômage

TF 9C_538/2021 du 06 septembre 2022

Assurance-invalidité; contribution d’assistance, domaine « éducation et garde des enfants », valeurs standard; art. 42quater ss LAI; 39b ss RAI

Une femme devenue paraplégique suite à un accident survenu en 1994 bénéficie d’un trois-quarts de rente ainsi que d’une allocation pour impotent de degré moyen de l’assurance-invalidité. Elevant seule ses deux jeunes enfants, elle a demandé en sus une contribution d’assistance. Le Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich a confirmé la décision de l’office AI se fondant sur l’instrument d’enquête standardisé FAKT2, selon lequel le besoin maximal d’aide dans le domaine « éducation et garde des enfants » s’élève à 14 heures par semaine pour une personne qui nécessite une assistance complète de tiers.

Le TF rappelle que les bénéficiaires d’une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité vivant à domicile peuvent demander une contribution d’assistance (c. 2.1). Celle-ci est accordée pour l’aide fournie par des tiers dont la personne concernée a besoin pour gérer son quotidien en dehors d’une structure institutionnelle. Le besoin d’aide individuel est évalué à l’aide de l’instrument d’enquête standardisé FAKT2 (c. 2.2). Celui-ci permet de déterminer tous les besoins d’aide pour différents domaines de la vie et de façon différenciée selon les degrés de limitation de la personne concernée, à l’aide de valeurs en minutes prédéfinies (c. 3.1). Dans un arrêt précédent, le Tribunal fédéral avait retenu que FAKT2 est propre en principe à établir tous les besoins d’aide de la personne (ATF 140 V 543) (c. 4.1).

Il ressort de l’enquête suisse sur la population active (ESPA) qu’en 2020 par exemple, le temps moyen consacré à la garde des enfants dans les ménages avec enfants était de 23 heures par semaine pour les femmes et de 14,8 heures pour les hommes. FAKT2 s’éloigne donc nettement de l’ESPA en retenant un besoin maximal d’aide de 14 heures par semaine dans le domaine « éducation et garde des enfants » pour une personne nécessitant une assistance complète de tiers. Le TF relève également que FAKT2 ne tient pas compte du nombre d’enfants ni de la présence ou non d’un autre parent (c. 4.6.5).

Il en découle que les valeurs standard appliquées dans le domaine « éducation et garde des enfants » de FAKT2 pour déterminer la contribution d’assistance sont inadéquates et contraires au droit fédéral. Le recours est ainsi partiellement admis. L’office AI devra procéder à des clarifications supplémentaires concernant le besoin d’aide dans le domaine « éducation et garde des enfants » et rendre une nouvelle décision (c. 4.7).

Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 4A_417/2021 du 01 septembre 2022

Responsabilité médicale; prescription, acte interruptif, action civile par adhésion au procès pénal, fondement juridique de l’action civile; art. 122 à 126 CPP; 135 ch. 2 CO

Un patient ayant conclu un mandat avec un médecin, qui est lésé par les actes de ce dernier dispose d’un concours objectif d’actions : il peut invoquer la responsabilité contractuelle des art. 398 al. 2 et 97 ss CO pour violation d’une obligation contractuelle et/ou la responsabilité délictuelle des art. 41 ss CO, pour violation d’un devoir général, comme l’atteinte illicite à son intégrité corporelle (c. 3.1). Toutefois, seule l’action fondée sur la responsabilité délictuelle peut faire l’objet d’une action civile par adhésion au procès pénal.

En effet, la notion de « conclusions civiles déduites de l’infraction » au sens de l’art. 122 CPP ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui découlent d’une ou de plusieurs infractions. Le fondement juridique de ces prétentions réside le plus souvent dans les règles de la RC des art. 41 ss CO ou des art. 58 et 62 LCR, mais peut aussi se trouver dans les actions tendant à la protection de la personnalité (art. 28 ss CC), en revendication (art. 641 CC) ou possessoires (art.  927, 928 et 934 CC).En revanche, les prétentions contractuelles ne se fondent pas sur une infraction pénale et sont donc exclues du champ d’application de l’art. 122 al. 1 CPP ; elles ne peuvent pas faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale (c. 3.2.1).

L’action fondée sur la responsabilité contractuelle du mandataire est donc de la compétence exclusive des tribunaux civils. Pour déployer ses effets, un acte interruptif de prescription doit notamment être adressé à un tribunal compétent. Ainsi, des conclusions civiles déposées dans la procédure pénale doivent nécessairement avoir pour fondement les actions délictuelles et extracontractuelles précitées pour avoir un effet interruptif au sens de 135 ch. 2 CO (c. 3.3.2).

Le délai de prescription d’une action purement contractuelle en responsabilité, ne pouvant pas faire l’objet d’une action civile par adhésion au procès pénal, à défaut de compétence du tribunal pénal, ne peut donc pas être interrompu par le dépôt d’une plainte pénale et constitution de partie plaignante (c  3.4).

Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

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Responsabilité médicale

TF 4A_172/2022 du 31 août 2022

Assurances privées; assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, appréciation des preuves, arbitraire; art. 39 LCA; 105 LTF; 8 CC

Le TF statue sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l’autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes, c’est-à-dire arbitraires (art. 105 al. 2 LTF), notamment dans le cadre de l’appréciation des preuves (c. 2.2-4).

Conformément à la règle fondamentale posée par l’art. 8 CC, également valable dans le domaine du contrat d’assurance, l’ayant droit doit prouver les faits permettant la « Justification des prétentions » (titre marginal de l’art. 39 LCA). Suivant un degré de preuve ordinaire, la preuve est apportée lorsque le tribunal est convaincu, d’un point de vue objectif, de la véracité d’une allégation (c. 2.5).

La preuve de l’existence d’un rapport de travail ne présente aucune difficulté particulière, raison pour laquelle elle est soumise à une preuve stricte, devant emporter une pleine conviction. En règle générale, cette preuve peut être apportée par un contrat de travail passé en la forme écrite ou par le versement d’un salaire (c. 3.3 princ.).

Faute de l’établissement de l’existence – retenue arbitrairement par l’autorité de première instance sur la base des preuves invoquées par l’assuré – d’un rapport de travail au moment où l’incapacité de travail a débuté (c. 3.3.3.2-4), la couverture d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie fait défaut (c. 3.4).

Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle

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Assurances privées Procédure

TF 9C_552/2021 du 25 août 2022

Assurance-vieillesse et survivants; activité lucrative, qualification, activité accessoire d’enseignante; Art. 5 et 8 LAVS

L’activité accessoire exercée en tant qu’enseignante de thérapies complémentaires dans une académie privée, à côté d’une activité principale indépendante en tant que thérapeute, doit être qualifiée d’activité dépendante au sens de l’AVS.

Après avoir rappelé les principes permettant de distinguer les activités dépendantes de celles indépendantes (appréciation au cas par cas, sans s’arrêter à la qualification utilisée par les parties, en fonction d’une pluralité de critères tels que le risque économique, la liberté d’organisation, etc.), le TF relève que l’art. 7 let. l RAVS précise que les honoraires des privat docent et d’autres enseignants rémunérés de manière analogue font partie du salaire déterminant. Les directives sur le salaire déterminant précisent quant à elles que la rétribution versée à celui qui enseigne régulièrement fait partie du salaire déterminant.

En l’espèce, l’enseignante se considère elle-même comme privat docent Dozent ») en acupressure sur son site Internet. Si elle a une grande liberté dans l’organisation de ses cours, c’est bien l’entreprise tierce, considérée comme l’employeuse et qui conteste cette qualification, qui recherche les élèves, gère les contrats et encaisse les écolages. C’est également l’entreprise qui offre l’infrastructure, en particulier les salles de cours. Le fait que l’entreprise fasse également de la location de salles en marge de son activité d’académie n’est pas déterminant, puisqu’il n’a jamais été question de louer la salle à l’enseignante dans le cas d’espèce. Au contraire, son enseignement est inclus dans l’offre de cours de l’entreprise.

Au niveau de la rémunération, les parties ont prévu que l’enseignante a droit à 45 % des encaissements nets de l’entreprise relatifs aux cours d’acupressure, ce qui implique un certain risque économique auprès de l’enseignante. Il n’est cependant pas contesté que l’enseignante avait droit à un forfait minimal de CHF 600.- par jour de cours, ce qui réduit considérablement son risque économique et le fait passer en second plan au regard des autres éléments.

Le fait que c’est l’enseignante qui a initié la relation et qui s’est adressée à l’entreprise pour proposer ses cours ne constitue qu’un élément secondaire parlant en faveur d’une activité indépendante, non déterminant. Les échanges de mails examinés démontrent au demeurant qu’un enseignement régulier était souhaité et proposé par l’enseignante et accepté par l’entreprise. A cet égard, le fait d’avoir offert environ 50 jours de cours sur une durée de quatre ans est considéré comme une activité régulière par le TF.

Compte tenu de l’ensemble des circonstances, le TF confirme le jugement cantonal et la qualification d’activité dépendante.

Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

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Assurance-vieillesse et survivants

TF 6B_322/2022 du 25 août 2022

Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; violation grave qualifiée des règles de la circulation, état de nécessité; art. 90 al. 3 et 4 LCR; 17 CP

L’accusé a été flashé à 200 km/h sur l’autoroute au volant d’une voiture de sport. Son épouse, qui l’accompagnait, souffrait d’une maladie cardiaque et avait soudainement ressenti des symptômes alarmants. Il s’était alors dépêché de rentrer à la maison pour qu’elle puisse prendre ses médicaments. Aussi bien le Tribunal d’arrondissement de Winterthur que le Tribunal cantonal de Zurich ont acquitté le conducteur, en retenant un état de nécessité au sens de l’art. 17 CP.

Le TF admet le recours du Ministère public zurichois, en rappelant que l’art. 90 al. 3 et 4 LCR protègent la vie et l’intégrité corporelle des autres usagers de la route. Ainsi, l’état de nécessité ne peut être admis qu’avec une grande retenue lors d’un excès de vitesse de cette importance. Dans ce cas, cette retenue s’impose même lorsque la protection immédiate de la vie d’une autre personne est en jeu. En effet, avec une telle vitesse, la mise en danger concrète d’un nombre indéterminé de personnes est possible, et ce n’est souvent que grâce au hasard que ce risque ne se réalise pas. Le TF prend également en compte le fait que l’accusé, en voulant sauver son épouse d’une vraisemblable crise cardiaque, l’avait en réalité mise en danger d’une autre façon en roulant avec elle à une telle vitesse.

Le TF rappelle encore qu’aussi bien l’état de nécessité licite que l’état de nécessité excusable (art. 17 et 18 CP) impliquent que le danger ne pouvait pas être écarté autrement. Ces dispositions ne peuvent donc être appliquées qu’à la condition d’une subsidiarité absolue. En l’espèce, il avait été établi que l’accusé aurait pu amener son épouse en 11 minutes à l’Hôpital cantonal de Winterthur, alors qu’un retour à la maison impliquait une distance trois fois supérieure. Le danger supposé pour la vie de son épouse pouvait donc être écarté d’une autre manière qu’en roulant à 200 km/h sur l’autoroute.

En résumé, le TF considère que l’acquittement de l’accusé viole le principe de la proportionnalité, et que le gain de temps de quelques minutes tout au plus ne pouvait pas l’emporter face à une vitesse aussi massivement excessive. Le seul fait que cet excès de vitesse ait été commis dans des bonnes conditions de route et de visibilité n’y change rien.

Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile

TF 8C_82/2022 du 24 août 2022

Assurance chômage; aptitude au placement, voyage à l’étranger, formation; art. 15 al. 1 LACI; O COVID-19 assurance-chômage

Selon l’art. 15 al. 1 LACI, est réputé apte au placement le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire. L’aptitude au placement comprend deux éléments, soit la capacité de travail et la disposition à accepter immédiatement un travail convenable (au taux minimum de 20 %) qui suppose non seulement la volonté de prendre un tel travail, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à l’emploi et quant au nombre des employeurs potentiels.

Un chômeur qui prend des engagements à partir d’une date déterminée et, de ce fait, n’est disponible sur le marché du travail que pour une courte période n’est en principe pas apte au placement car il n’aura que très peu de chances de conclure un contrat de travail. Ce principe s’applique notamment lorsque des chômeurs s’inscrivent peu avant un départ à l’étranger, une formation ou l’école de recrues, ce qui équivaut à un retrait du marché du travail. Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage, il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé – et être en mesure de le faire – à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. L’aptitude au placement doit être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l’existence d’autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi. Peu importe à cet égard le motif pour lequel le choix des emplois potentiels est limité.

Dans le contexte de la pandémie du COVID-19 et des restrictions ordonnées le 16 mars 2020, il n’y a eu aucune dérogation à l’art. 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement (O COVID-19 assurance-chômage ; RS 837.033).

En l’occurrence, l’aptitude au placement d’un assuré a été niée, celui-ci s’étant inscrit à l’assurance-chômage quelques jours avant son départ en Russie (22 mars 2020), sans prouver la nécessité et le caractère professionnel de son voyage, en connaissant les risques de ne pouvoir rentrer à temps pour être apte au placement au 1er avril 2020, vu la crise sanitaire et la limitation des vols. Dès lors, il faut admettre que le recourant s’était retiré du marché de travail suisse peu après son inscription au chômage, ce qui entraînait son inaptitude au placement.

Même si le recourant avait cherché uniquement des emplois pour lesquels des moyens numériques étaient utilisés pour le recrutement et pour l’entrée en service, une telle restriction dans le choix des postes de travail aurait rendu très incertaine sa possibilité de retrouver un emploi, situation qui était également sanctionnée d’inaptitude.

Enfin, l’application par analogie de la jurisprudence pour les chômeurs qui participent à un cours de formation n’y changeait rien. Comme il n’y a eu aucune dérogation à l’art. 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement, il ne justifie pas de déroger au principe de la disponibilité suffisante, soit disposition et capacité à commencer une activité professionnelle du jour au lendemain si elle se présente, condition non remplie par l’assuré.

Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

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Assurance-chômage

TF 8C_141/2022 du 17 août 2022

Assurance-accidents; litige entre assureur et fournisseur de prestations; art. 10 et 57 LAA

Dans cet arrêt, le TF a confirmé la décision de non-entrée en matière du Tribunal arbitral zurichois en matière d’assurance-accidents dans un litige opposant une clinique à la CNA (Suva). Le tribunal arbitral prévu à l’art. 57 LAA n’est fondé à rendre une décision que pour autant qu’il existe un litige, dans une situation concrète, opposant un assureur à un fournisseur de prestations. En l’espèce, le fait que la clinique soit d’avis que, de manière générale, la CNA favoriserait ses propres cliniques de réhabilitation à Bellikon et à Sion (art. 67a al. 2 let. a LAA) au détriment de celles que la clinique exploite n’est pas une question qui rentre dans le champ d’application des art. 10 et 57 LAA. Une clinique ne saurait employer cette voie de droit pour tenter d’améliorer sa situation concurrentielle par rapport aux cliniques rattachées à la CNA ou invoquer une inégalité de traitement entre cliniques habilitées à pratiquer à la charge de la LAA. La situation serait différente s’il s’agissait d’un véritable conflit, dans une situation concrète, découlant directement de l’application de la LAA.

Auteur : Guy Longchamp

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Assurance-accidents

TF 6B_1310/2021 du 15 août 2022

Responsabilité aquilienne; procédure, action civile par adhésion à la procédure pénale, conclusions civiles et prétentions contractuelles; art. 119, 122 et 126 CPP; 41 à 46 CO

Le TF rappelle en premier lieu les conditions auxquelles des prétentions civiles peuvent être octroyées sur la base d’un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, nonobstant un verdict d’acquittement. Il précise alors la portée de l’art. 126 al. 1 let. b CPP, en disant que si l’acquittement résulte de motifs juridiques, c’est-à-dire en cas de non-réalisation d’un élément constitutif de l’infraction, les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut et les conclusions civiles doivent être rejetées. Le juge pénal peut néanmoins statuer sur les conclusions civiles, malgré un acquittement, lorsque l’élément constitutif subjectif de l’infraction fait défaut mais que le comportement reproché au prévenu constitue un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, tel est par exemple le cas lorsque la culpabilité fait défaut en raison de l’irresponsabilité du prévenu au sens de l’art. 19 al. 1 CP.

En l’espèce, il ressort de l’arrêt attaqué que la cour cantonale a acquitté le recourant en raison de la non-réalisation des éléments constitutifs tant objectif que subjectif des infractions d’abus de confiance et d’escroquerie. L’acquittement prononcé résulte donc de motifs juridiques, en particulier de la non-réalisation d’éléments constitutifs objectifs des art. 138 ch. 1 al. 2 et 146 al. 1 CP. La cour cantonale ne pouvait pas conclure, à la fois, qu’aucune utilisation illicite des avoirs confiés ne pouvait être reprochée au recourant, puis constater une appropriation par celui-ci des fonds prêtés en violation de ses pouvoirs pour fonder une responsabilité civile au sens de l’art. 41 CO. Il s’ensuit que les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut.

En second lieu, le TF tranche la question de savoir si des prétentions contractuelles, in casu découlant d’un contrat de prêt, peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale. En procédant aux interprétations littérales, téléologiques et systématiques de l’art. 122 al. 1 CPP, le TF considère que la notion de conclusions civiles ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui peuvent se déduire d’une infraction pénale, ce qui n’est pas le cas des prétentions contractuelles. Ainsi, ces prétentions ne peuvent pas faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale et sont donc exclues du champ d’application de l’art. 122 al. 1 CPP. Pour de telles prétentions, la partie plaignante doit donc être renvoyée à agir par la voie civile.

En condamnant le recourant à verser les intérêts dus sur la base du contrat de prêt, la cour cantonale a statué sur des prétentions fondées sur un contrat. Or de telles prétentions ne peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale au sens de l’art. 122 al. 1 CPP.

Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

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Responsabilité aquilienne Procédure Publication prévue

TF 9C_37/2022 du 11 août 2022

Assurance perte de gain en cas de service; calcul du montant de l’indemnité, décomptes de prestations, nature, décision matérielle, délai d’opposition; art. 1 al. 2 let. b RAPG

Le recourant accomplit un service long durant lequel il perçoit une allocation pour perte de gain de CHF 62.- par jour pendant l’instruction de base en tant que recrue (du 15 janvier au 18 mai 2018) et une indemnité journalière de CHF 91.- pendant les services d’avancement (du 19 mai 2018 au 10 novembre 2019), ce qui correspond au taux minimal pour les cadres en service long. Il demande à la Caisse de compensation du canton de St-Gall que l’indemnité soit calculée sur la base d’un revenu annuel de CHF 60’091.-, conforme aux usages locaux et professionnels, et qu’elle lui soit versée ultérieurement. La Caisse de compensation et le Tribunal des assurances du canton de

St-Gall rejettent la demande.

Le TF relève que le recourant n’a pas eu la possibilité, après avoir terminé sa formation, de conclure un contrat de travail de longue durée pour les quelques mois qui le séparaient de son service militaire de deux ans. Le fait de combler un semestre de transition par un stage à l’étranger ne constitue pas un indice qu’il n’aurait pas cherché et accepté un emploi fixe. En revanche, les informations relatives à la formation et au parcours professionnel donnent des indices quant à l’activité lucrative hypothétique. Aucun élément ne permet de conclure à des parcours alternatifs, comme par exemple le fait que, sans service militaire, il aurait commencé des études à plein temps ou pris un congé sabbatique prolongé. Le recourant aurait donc dû être assimilé à une personne exerçant une activité lucrative au sens de l’art. 1 al. 2 let. b RAPG. La conclusion contraire de l’instance précédente repose sur une application incorrecte du degré de la preuve et viole le droit fédéral (c. 3.3).

Les décomptes de prestations sont des injonctions officielles par lesquels la prestation est fixée de manière contraignante. Ils ont la qualité d’une décision matérielle, même s’ils ne présentent pas les caractéristiques formelles d’une décision (art. 49 et 51 LPGA). Le TF soutient que si le destinataire n’est pas confronté à un acte administratif qualifié de décision et à un délai nominal, il aura en général besoin d’un peu plus de temps pour se rendre compte de la portée et du contenu de l’acte administratif ainsi que de l’éventuel recours. Dans ces cas, le délai de réclamation est généralement de 90 jours à compter de la notification de l’acte administratif informel (ici : réception du décompte), ce qui correspond au délai réglementaire pour les demandes de révision (c. 4.1).

Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

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Assurance perte de gain en cas de service Publication prévue

TF 8C_195/2022 du 09 août 2022

RHT-Covid; indemnité pour réduction horaire de travail, motivation, droit d’être entendu, reconsidération, restitution; art. 31 ss, 95 al. 2 LACI; 53 al. 2, 25 al. 1, 19 al. 2 LPGA; 4 OPGA

Un défaut de motivation d’une décision de reconsidération du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) n’est pas suffisamment grave pour constituer un cas de nullité. Dans la mesure où le recourant a pu s’exprimer dans la procédure d’opposition ainsi que devant l’instance cantonale de recours, le grief d’une violation du droit d’être entendu est réparé (c. 4.2).

La décision est manifestement erronée (art. 53 al. 2 LPGA) quand bien même la caisse a versé dans un premier temps des indemnités pour ensuite procéder à un second examen au terme duquel elle a réalisé que les documents remis étaient lacunaires et les explications de l’employeur contradictoires. A cela s’ajoute que qu’en dépit de demandes répétées, le recourant n'avait pas fourni les justificatifs demandés, raison pour laquelle il n'avait pas été possible de clarifier les faits déterminants (c. 5.1 et 5.2).

L’octroi d’indemnités RHT par l’assurance-chômage sur la base d’éléments lacunaires fournis par l’employeur et de contradictions dans ses déclarations ne constitue pas un obstacle à une reconsidération ultérieure. En l’espèce, une telle reconsidération n’est pas une nouvelle appréciation d’un état de fait identique mais résulte du constat de la violation par le recourant de son obligation de collaborer (c. 5.3).

Les conditions de la bonne foi et de la situation difficile qui permettent de s’opposer à une demande de restitution (art. 25 al. 1, 2e phrase, LPGA) sont examinées, en principe, à l’occasion d’une demande de remise, soit dans le cadre d’une procédure distincte qui intervient après que la décision de restitution est entrée en force (art. 4 OPGA). Exceptionnellement, le grief selon lequel la demande de restitution heurterait de manière choquante le principe de la confiance peut être immédiatement invoqué. Dans le cas d’espèce, les conditions pour admettre une telle exception ne sont pas réunies (c. 7.2 et 7.3).

L’argument selon lequel l’employeur n’intervient que comme « office de paiement » (art. 19 al. 2 LPGA) et ne pourrait être de ce fait appelé à rembourser n’est pas non plus recevable. En effet, l’art. 95 al. 2, 1re phrase, LACI prévoit expressément que les indemnités en cas de RHT versées à tort doivent être restituées par l’employeur (c. 8.1 et 8.2).

Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

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RHT COVID

TF 8C_242/2022 du 04 août 2022

Assurance chômage; position assimilable à celle de l’employeur, risque d’abus; art. 31 al. 3 let. c OACI

Le directeur d’une société s’est annoncé auprès d’une caisse de chômage à compter du 1er juin 2021 parce qu’il a été licencié. Il a toutefois conservé une signature individuelle jusqu’au 3 août 2021 et exécuté, dans cet intervalle, un certain nombre d’opérations pour le compte de la société, notamment la conclusion d’affaires contractuelles importantes, personne d’autre n’étant titulaire d’un droit de signature (c. 5.2 et 5.3). La caisse de chômage lui a dénié le droit à des indemnités journalières, en raison de sa position assimilable à celle de l’employeur. La Cour des assurances sociales cantonales de Zurich ayant infirmé cette décision, la caisse de chômage a porté l’affaire au TF.

Le TF remet en cause l’analyse juridique de l’instance précédente, en précisant qu’il est erroné de comparer cette situation avec celle d’une personne assimilée à celle de l’employeur qui aurait travaillé durant au moins six mois dans une entreprise tierce et se retrouverait au chômage suite à la perte de ce second emploi. Dans ce cas, il est admis que le droit à l’indemnité peut naître, nonobstant le maintien d’une position assimilable à celle de l’employeur que l’assuré aurait conservé dans la 1re société (c. 5.4). Cette jurisprudence n’est pas applicable dans cette affaire. L’assuré était bien inscrit au registre du commerce dans deux autres sociétés, toutes deux domiciliées à la même adresse que la société qui l’avait licenciée, mais, pour pouvoir prétendre à des indemnités, l’assuré aurait dû prouver en sus qu’il avait travaillé dans une société tierce durant au moins six mois et déposé une demande à la suite de la perte de ce second emploi. La société qui l’a licenciée ne peut pas être considérée comme une société tierce puisque c’est justement dans cette société que l’assuré exerçait une position assimilable à celle de l’employeur. Il y a donc manifestement un risque d’abus, ce qui justifie l’exclusion du droit aux indemnités journalières (c. 5.4 et 5.5). Le recours est admis.

Auteure : Rébecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Winterthour

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Assurance-chômage

TF 9C_586/2021 du 02 août 2022

Allocations pour perte de gain; calcul de l’indemnité, salaire déterminant, assuré sortant de formation; art. 4 al. 2 RAPG

Dans la présente affaire, le TF a été amené à préciser l’interprétation de l’art. 4 al. 2, 2e phrase RAPG. Etait litigieuse la question de savoir quel est le salaire déterminant pour fixer l’allocation perte de gain d’un assuré, lequel s’était vu délivré un bachelor en sciences économiques quelques semaines avant de débuter son service civil. Alors même qu’il avait effectué des postulations essentiellement pour des stages, le tribunal cantonal avait retenu un salaire annuel de CHF 72’000.- correspondant à la rémunération d’un économiste débutant sur le marché du travail. Dans les trois versions linguistiques, l’art. 4 al. 2 RAPG fixe le droit à l’indemnité en se rattachant au salaire initial usuel dans la profession concernée. La notion de profession n’est toutefois pas définie plus avant. Le texte ne précise donc pas sur quelle base l’allocation pour perte de gain doit être calculée, dans la mesure où une formation donne accès à plusieurs professions ou permet d’entrer dans le monde du travail sous différentes formes (c. 5.2.1).

Le TF observe que l’art. 4 al. 2 RAPG présente une structure en deux parties, qui se rattache, de par son libellé, à la structure de l’art. 1 al. 1 let. b et c RAPG. La première phrase détermine le calcul du droit à l’indemnité pour les personnes visées par l’art. 1 al. 2 let. b RAPG, soit les personnes qui rendent vraisemblable qu’elles auraient entrepris une activité lucrative de longue durée si elles n’avaient pas dû entrer en service. En revanche, la deuxième phrase de l’art. 4 al. 2 RAPG règle le droit des personnes qui auraient terminé leur formation immédiatement avant l’entrée en service ou qui l’auraient terminée pendant le service, c’est-à-dire les personnes définies à l’art. 1 al. 2 let. C RAPG (c. 5.2.2).

En se référant notamment aux débats parlementaires ainsi qu’à la jurisprudence relative à l’art. 4 al. 1, 1re phrase RAPG, le TF précise que s’agissant des personnes qui auraient terminé leur formation immédiatement avant l’entrée en service ou qui l’auraient terminée pendant le service, il convient de tenir compte du salaire qu’elles sont, de façon réaliste, empêchées de réaliser en raison du service civil. Afin d’arrêter le salaire déterminant pour le calcul de l’allocation, il est donc nécessaire de tenir compte notamment de la formation de l’assuré, de sa vision de l’avenir, des autres circonstances du cas d’espèce et de se fonder sur le salaire versé selon l’usage local dans la profession en question (c. 5.2.4 et 5.3).

Dans le cas d’espèce, le TF relève, qu’au vu de ces circonstances, il est probable que, s’il n’avait pas effectué son service civil, l’intimé aurait d’abord réalisé un stage après son bachelor universitaire en sciences économiques. Dans cette perspective, l’allocation pour perte de gain doit être déterminée sur la base du salaire versé dans le cadre d’un stage et non dans le cadre d’un emploi d’économiste.

Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Yverdon-les-Bains

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Service Militaire / Civil Publication prévue

TF 9C_126/2022 du 02 août 2022

Assurance-invalidité; invalidité, réadaptation, exigibilité, personne appartenant à la communauté des gens du voyage; art. 4 LAI; 7 et 8 LPGA; 105 al. 2 LTF

Cet arrêt est la suite de l’affaire jugée à l’ATF 138 I 205. Elle concerne une assurée membre de la communauté suisse des gens du voyage, ayant travaillé dans l’entreprise de brocante de son mari jusqu’à ce des troubles du rachis l’en empêchent. Elle avait demandé des prestations de l’assurance-invalidité qui lui avaient été refusées, au motif qu’elle jouissait d’une capacité de travail entière dans une activité adaptée. Le TF avait admis son recours au motif que l’office AI n’avait pas déterminé s’il existait des activités lucratives compatibles avec ses limitations fonctionnelles et adaptées qui lui permettent de respecter son mode de vie, protégé par les conventions internationales. Les prestations de l’assurance-invalidité lui ayant une nouvelle fois été refusées, sur la base notamment d’une expertise médicale ordonnée parce que l’assurée alléguait une aggravation de son état de santé, le TF est à nouveau saisi de son affaire.

Le TF, manifestement agacé par le fait que l’affaire lui revienne sans que les instructions données plus de dix ans auparavant aient été mises en œuvre, complète l’état de fait d’office (art. 105 al. 2 LTF).

Il ressort du dossier qu’après avoir procédé à l’examen des activités adaptées conformément aux instructions contenues dans le premier arrêt du TF, l’office AI était parvenu à déterminer un revenu d’invalide de CHF 35’700.- après abattement de 15 %. La personne assurée admettait pour sa part pouvoir réaliser le tiers de cette somme, correspondant à une activité déployée durant les quatre mois où elle séjournait à un endroit fixe. Sur la base des déclarations de la personne assurée et des constatations de l’office AI, il a été retenu qu’il n’existait pas d’activité adaptée pendant les périodes d’itinérance. En conséquence, compte tenu d’un revenu de valide de CHF 43’587.-, l’assurée a droit à une rente entière de l’assurance-invalidité (c. 7.2).

D’un point de vue temporel, le droit à la rente est ouvert depuis le 1er mars 2007, le délai d’attente ayant débuté le 1er mars 2006, selon des rapports du SMR. La question d’une aggravation de l’état de santé en 2014, alléguée par l’assurée, n’est pas déterminante pour l’issue du litige.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 9C_543/2021 du 20 juillet 2022

Prévoyance professionnelle; rente d’orphelin, surindemnisation, notion de formation; art. 22 al. 3 LPP

Le TF a rappelé que l’art. 22 al. 3 let. a LPP subordonne le maintien du droit aux prestations pour orphelin après que l’ayant droit a atteint l’âge de 18 ans à la poursuite d’une formation (« tant que l’orphelin fait un apprentissage ou des études »). A la différence de l’art. 25 al. 3 LAVS, l’art. 22 al. 3 LPP ne délègue pas au Conseil fédéral la compétence de définir ce que l’on entend par formation. Les juges fédéraux ont considéré qu’il était possible d’appliquer les art. 25 al. 3 LAVS et 49bis RAVS par analogie, s’agissant du critère « qualitatif » de la formation. En revanche, une telle application ne se justifiait pas en ce qui concerne le critère « quantitatif » de la formation, à savoir la fixation d’une limite forfaitaire en francs qui serait applicable de manière schématique. Le TF a toutefois réservé une situation dans laquelle une personne orpheline consacrerait la plus grande partie de son temps à l’exercice d’une activité lucrative tout en restant inscrit dans un cursus de formation pour ne pas perdre son droit.

Note :

Cette jurisprudence doit être nuancée, en ce sens qu’il importe d’examiner systématiquement les règlements de prévoyance des institutions de prévoyance (dans le domaine de la prévoyance professionnelle surobligatoire, y compris les plans enveloppants)

Auteur : Guy Longchamp, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 8C_596/2021 du 12 juillet 2022

Assurance-accidents; accident non professionnel, causalité adéquate; art. 6 LAA

A la suite d’une chute survenue le 4 octobre 1989 alors qu’il se trouvait sur un chantier, un assuré est devenu paraplégique et doit avoir recours à une chaise roulante depuis lors. Le 8 juillet 2019, soit à une période où l’assuré n’était plus assuré auprès de la CNA, il est tombé de sa chaise roulante, en restant notamment accroché à un coin du lit, ce qui a provoqué une chute sur son épaule gauche. L’assureur-accidents, suivi par le TF, a nié une quelconque obligation de prester, au motif que le critère de la causalité adéquate ne pouvait être rempli. En effet, selon l’expérience de la vie et le cours ordinaire des choses, la paraplégie et l’obligation de l’assuré d’avoir recours à une chaise roulante (depuis près de trente ans) ne pouvaient être à l’origine de l’accident du 8 juillet 2019. L’événement ayant provoqué l’accident devait bien plutôt être le fait d’être resté « accroché » au coin du lit, le fait de se déplacer en chaise roulante ne pouvant à cet égard être considéré comme une situation de « danger particulier ».

Auteur : Guy Longchamp

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Assurance-accidents Causalité Publication prévue

TF 8C_104/2021 du 27 juin 2022

Assurance-invalidité; troubles psychiques, indicateurs, revenu d’invalide, ESS, abattement, révision ou suppression de la rente, réadaptation, limite de 55 ans, moment déterminant; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI

Dans le cadre de l’évaluation du caractère invalidant de troubles psychiques, le TF revoit l’analyse des indicateurs de l’ATF 141 V 281 faite par les juges cantonaux, et ne trouve rien à y redire (c. 5.1). Il rejette également le grief d’arbitraire s’agissant de l’évaluation du caractère invalidant de ces troubles pour la période antérieure à l’expertise (c. 5.2).

Lorsque, comme en l’espèce, la personne assurée a travaillé de longues années dans un secteur économique déterminé (la construction dans ce cas) et qu’un travail dans un autre secteur économique paraît illusoire, il est correct de déterminer le salaire d’invalide en se fondant sur l’ESS, TA1, rubrique « total », plutôt que par référence aux moyennes dans les différentes branches (c. 6.3).

Le TF confirme l’abattement de 10 % sur le revenu d’invalide, déjà opéré par l’office AI et confirmé par les premiers juges, qui tient compte de ce que le rendement de la personne assurée est limité pour des raisons médicales, en l’espèce un diabète et des troubles du sommeil (c. 6.4).

Motif pour sa publication à venir, l’arrêt tranche la question du moment à prendre en considération pour savoir si la personne assurée, âgée de 55 ans, doit se voir proposer des mesures de réadaptation avant la baisse ou la suppression de sa rente, ou si l’on peut attendre d’elle qu’elle se réadapte par ses propres moyens. Cette question a jusqu’ici été laissée ouverte, l’arrêt de principe (cf. ATF 145 V 209) ayant mentionné trois moments possibles : la date de la décision administrative, la date depuis laquelle la rente est révisée vers le bas ou supprimée, et la date de l’évaluation médicale. En l’espèce, cette question ne peut rester ouverte car la personne assurée était âgée de 55 ans au moment de l’évaluation médicale puis de la décision administrative, mais n’était en revanche âgé que de 52 ans à la date depuis laquelle la rente a été supprimée.

Le TF, considérant qu’il n’y a pas lieu de traiter différemment la situation dans laquelle une rente limitée dans le temps (ou une rente diminuant au fil du temps) est accordée rétroactivement et une révision du droit à la rente selon l’art. 17 LPGA, retient que c’est la date à laquelle la décision administrative est rendue qui est déterminante. En effet, au moment de l’évaluation médicale, le droit à la rente n’a pas encore été entièrement examiné, et le moment de la diminution, respectivement de la suppression de la rente n’est connu que bien après (c. 7.3). En l’espèce, la personne assurée était âgée de 55 ans au moment où la décision administrative a été rendue, de sorte qu’il était nécessaire d’instruire la question de la possibilité d’une réadaptation par soi-même, et, le cas échéant, de mettre en œuvre des mesures de réadaptation, avant de pouvoir statuer définitivement. Le recours est donc admis.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité Publication prévue

TF 9C_91/2022 du 22 juin 2022

APG-COVID; notion de « perte de gain ou de salaire », subsidiarité de l’allocation Covid-19, art. 2 al. 3bis O APG COVID-19; 31 al. 3 let. b et c LACI

La société A. SA est active dans le domaine de l’événementiel. Depuis 2016, B. est le seul membre du conseil d’administration de A. SA, ainsi que le directeur de celle-ci. Quant à C., l’épouse de B., elle est employée par A. SA en qualité de collaboratrice. La Caisse de compensation de Lucerne a versé à C. une allocation pour perte de gain en lien avec les mesures COVID-19 pour la période du 1er juin au 16 septembre 2020. La caisse a encore reconnu un droit à dite allocation pour la période du 17 septembre au 30 novembre 2020 mais elle a ensuite nié un tel droit pour la période du 1er décembre 2020 au 30 avril 2021, par décision du 27 mai 2021 puis décision sur opposition du 7 juillet 2021. A. SA fait recours contre cette décision, que rejettent tant le Tribunal cantonal de Lucerne que le TF.

Le TF laisse ouverte la question de la qualité pour recourir de l’employeur dans les cas particuliers d’allocations perte de gain COVID-19, question qu’il a déjà laissée ouverte à l’arrêt 9C_356/2021.

L’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 du 20 mars 2020 (RS 830.31) s’applique ici dans sa version entrée en vigueur avec effet rétroactif au 17 septembre 2020, et valable jusqu’au 16 février 2022 (ci-après : art. 2 al. 3bis).

Le Tribunal cantonal a qualifié C. d’ayant droit au sens de l’art. 31 al. 3 let. c LACI, respectivement de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19. Il a en outre constaté qu’A. SA avait versé à C. son salaire durant toute la période litigieuse. En l’absence de perte de salaire (selon l’art. 2 al. 3bis let. b de dite ordonnance), les juges cantonaux ont donc nié tout droit à l’indemnité de perte de gain. Le TF estime ce jugement conforme au droit fédéral.

Le TF rappelle que le droit à l’allocation perte de gain COVID-19 des personnes assurées ayant une position similaire à celle d’un employeur est subsidiaire au maintien du salaire par l’employeur (cf. arrêt 9C_356/2021 du 10 mai 2022). Par arrêt 9C_448/2021, rendu le 10 mai 2022 lui aussi, le TF a par ailleurs conclu que cette subsidiarité du droit à l’allocation par rapport au maintien du salaire s’appliquait également au-delà du 17 septembre 2020.

Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

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APG COVID

TF 6B_1295/2021 du 16 juin 2022

Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, personnel soignant, faute, position de garant, devoir de prudence, gravité des manquements, infraction de commission; art. 11 al. 1 et 2 ainsi que 117 CP

Un comportement constitutif d’une négligence consiste en général en un comportement actif, mais peut aussi avoir trait à un comportement passif contraire à une obligation d’agir (cf. art. 11 al. 1 CP). Reste passif en violation d’une obligation d’agir celui qui n’empêche pas la mise en danger ou la lésion d’un bien juridique protégé par la loi pénale bien qu’il y soit tenu à raison de sa situation juridique, notamment en vertu de la loi, d’un contrat, d’une communauté de risque librement consentie ou de la création d’un risque (art. 11 al. 2 let. a-d CP). N’importe quelle obligation juridique ne suffit pas. Il faut qu’elle ait découlé d’une position de garant, c’est-à-dire que l’auteur se soit trouvé dans une situation qui l’obligeait à ce point à protéger un bien déterminé contre des dangers indéterminés (devoir de protection), ou à empêcher la réalisation de risques connus auxquels des biens indéterminés étaient exposés (devoir de surveillance), que son omission peut être assimilée au fait de provoquer le résultat par un comportement actif.

Lorsqu’il s’agit d’apprécier le comportement adopté par le personnel soignant d’une institution de soins médicaux, qui a, dans le cas particulier, laissé la victime prendre son bain sans surveillance, la position de garant au sens de l’art. 11 al. 2 let. b CP est de toute manière donnée, dès lors qu’il est admis que les personnes travaillant dans ce domaine d’activité assument une obligation contractuelle de protection vis-à-vis de leurs patients.

Dans le cas d’espèce toutefois, compte tenu de l’état de santé et des limitations de la victime en raison de ses handicaps, lui donner le bain doit être considéré comme une activité dangereuse. L’élément déterminant qui doit être examiné se rapporte ainsi au fait d’accomplir l’activité en cause sans observer les mesures de sécurité suffisantes. Il y a donc lieu de retenir en l’occurrence que l’on se trouvait en présence d’un comportement actif, soit d’une infraction de commission.

Pour le surplus, s’il est clair que l’absence de directives concernant le déroulement des bains a certainement favorisé les manquements du recourant, il n’empêche que ce dernier, qui était au bénéfice d’une formation professionnelle spécialisée, était parfaitement conscient de la dépendance totale de la victime, de la dégradation de son état de santé, et du fait que, peu avant les faits, elle avait présenté des épisodes de spasmes, fait l’objet d’une crise d’épilepsie, ainsi que de mouvements incontrôlés en lien avec la douleur, et qu’elle était récemment tombée de son fauteuil. Or, malgré cela, il a, avec son collègue, placé la victime dans un bain – soit une activité à risque dans le cas de la victime – certes avec une « cigogne », mais avec une bouée insuffisamment gonflée, pour une durée de 30 minutes, sans aucune surveillance. Ce faisant, il a commis une violation fautive de son devoir de prudence au sens de la jurisprudence relative à l’art. 117 CP.

Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne

TF 4A_440/2021 du 25 mai 2022

Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; expertise, appréciation par le juge, causalité naturelle, gravité de l’accident, observation; art. 46 al. 1 et 47 CO; 62 al. 1 LCR

Une personne est victime de trois accidents successifs dont le premier est une collision par l’arrière avec un diagnostic de traumatisme par accélération cranio-cervical ; le delta-v est compris entre 10 et 15 km/h, voire moins. Après un peu plus de deux mois, le lésé retrouve une pleine capacité de travail sans adaptation nécessaire et cesse de consulter pour ses cervicalgies. Une rechute est annoncée deux ans et demi plus tard avec apparition de nouveaux troubles visuels, auditifs et plus généraux (fatigue, difficultés de concentration, irritabilité). Un rapport de détective révèle l’absence de gêne fonctionnelle dans les activités du quotidien. Le lésé ouvre action contre l’assurance RC. L’expertise judiciaire conclut à une entorse cervicale de type II et des troubles associés à l’entorse cervicale (TAEC) et admet la causalité naturelle entre les troubles présentés et l’accident tout en relevant une évolution des symptômes atypiques, une majoration des plaintes et des contradictions entre les plaintes et les constatations objectives. Le tribunal de première instance, se basant sur l’expertise, retient un lien de causalité naturelle et adéquate entre les troubles et l’accident alors que le tribunal cantonal s’écarte de l’expertise et rejette la causalité naturelle.

Pour le TF, le juge, même s’il est dépourvu de connaissances médicales, est capable de faire la part des choses entre les différents moyens de preuve recueillis et apprécie librement la valeur probante d’une expertise médicale, à l’aune de toutes les circonstances. S’il s’écarte de l’expertise, il doit motiver son appréciation, ce qui est suffisant s’il indique les traits essentiels de sa motivation. En l’état, et cela n’est pas arbitraire selon le TF, les juges cantonaux se sont référés, pour réfuter le lien de causalité, à une étude scientifique de laquelle il ressort que l’apparition de nouveaux symptômes après un intervalle asymptomatique est peu probable.

Les juges étaient, d’autre part, autorisés à s’écarter de l’avis des experts réfutant tout lien de causalité entre les accidents deux et trois, puisqu’ils ont retenu deux éléments non pris en considération par les experts (décompensation des douleurs cervicales suite au deuxième accident selon le médecin AI et déclarations du lésé selon lesquelles il ressentait toujours des douleurs après le deuxième accident).

Ils ont en outre retenu, dans l’examen de la causalité naturelle, le critère de la gravité de l’accident, critère en principe pris en compte dans l’examen de la causalité adéquate. Rien n’empêche, selon le TF, le juge civil d’en tenir compte lorsqu’il étudie la causalité naturelle, le degré de gravité de l’accident constituant l’un des indices pertinents dans l’examen de la causalité naturelle. Selon le TF, diverses circonstances peuvent en effet influer tant la question de la causalité naturelle que celle de la causalité adéquate.

Enfin, le TF relève que le rapport de détective fournit une raison supplémentaire de s’écarter de l’expertise.

Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

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Responsabilité du détenteur de véhicule automobile Causalité Expertises

TF 8C_58/2022 du 23 mai 2022

Assurance-accidents; qualification d’un accident dû à la foudre, lien de causalité naturelle et adéquate; art. 4 LPGA; 6 LAA

A., médecin-assistante, pratiquait une randonnée en montagne lorsqu’elle a été frappée par la foudre. Cette dernière est passée à travers l’un des trous d’aération du casque situé sur le haut de l’arrière droit de la tête de A. et est ressortie par ses deux petits orteils droit et gauche. Des marques de brûlures claires ont été constatées par les médecins qui l’ont prise en charge. A. est restée aphasique et confuse durant plusieurs dizaines de secondes après avoir été frappée par la foudre. Après avoir servi les prestations légales durant un peu plus de deux ans, l’assurance LAA intimée a considéré que A. avait récupéré et que son état s’était stabilisé. Elle a cessé de verser les prestations légales, maintenant sa décision sur opposition. Le recours de A. a été rejeté par le Tribunal supérieur d’Appenzell Rhodes-Extérieures. Il est établi que A. a été frappée par la foudre, ce qui l’a rendue aphasique puis confuse, engourdie et désorientée. Selon la déclaration de sinistre, le dommage principal a été causé au cerveau. On ne connaît cependant pas les lésions exactes causées par le coup de foudre ni ses conséquences sur sa capacité de travail, respectivement de gain, le diagnostic exact n’ayant pas été posé.

Le TF considère qu’un accident dû à la foudre doit être qualifié de grave ou de moyennement grave à la limite des accidents graves et ne peut être comparé à un accident dû à l’électricité, et donc à une source de courant artificielle, même forte. En effet, les accidents dus à la foudre se caractérisent par une intensité de courant extrêmement élevée (plus de 100’000 ampères), une durée d’exposition très courte, avec une température très élevée (l’air s’échauffe dans le canal de la foudre jusqu’à environ 25’000 à 30’000° C), une onde de choc, et des tensions supérieur à 100 millions de volts (c. 4.3.5).

L’autorité cantonale a laissé ouverte la question de la causalité naturelle, dans la mesure où elle a considéré que la causalité adéquate devait être niée, les critères pour l’admettre n’étant pas remplis, à savoir des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques, respectivement le caractère particulièrement impressionnant (c. 4.4.2.). Selon le TF, la qualification des accidents de foudre en tant que moyennement graves à la limite de graves et la présence d’un seul des critères précités – sans qu’il ne soit réalisé de manière particulièrement prononcée – devrait suffire pour reconnaître le lien de causalité adéquate (c. 4.5.). Le TF considère en particulier qu’on ne peut nier que les accidents dus à la foudre sont particulièrement impressionnants (c. 4.4.5.). Cela étant, si le lien de causalité adéquate ne peut être nié schématiquement entre les troubles persistants et le choc accidentel lié à la foudre, il n’est pas admissible d’admettre sans autre en l’espèce un lien de causalité adéquate entre d’éventuels troubles psychiques ou organiques non démontrables et un accident avant que les questions relatives à la nature des atteintes à la santé et du lien de causalité naturelle ne soient clarifiées par une expertise (c. 4.5.1.). Le TF admet le recours et renvoie l’affaire à l’intimée, afin qu’elle procède à une expertise sur les questions de faits concernées. Elle devra ensuite statuer à nouveau sur la prétention de la recourante concernant ses troubles organiques non objectivables (c. 4.5.2.).

Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

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Assurance-accidents Causalité Publication prévue

TF 6B_491/2021 du 23 mai 2022

Responsabilité médicale; intervention dentaire, lésions corporelles, degré de gravité, pluralité d’auteurs, causalité; art. 125 CP

Une patiente, avec un lourd passif médical et au bénéfice d’une rente AI, recourt auprès du TF à l’encontre d’un acquittement prononcé en faveur de deux dentistes ayant eu à répondre de lésions corporelles graves par négligence. A cette occasion, le TF rappelle que les interventions médicales réalisent les éléments constitutifs objectifs d’une lésion corporelle en tout cas si elles touchent à une partie du corps (par exemple lors d’une amputation) ou si elles lèsent ou diminuent, de manière non négligeable et au moins temporairement, les aptitudes ou le bien-être physiques du patient. Cela vaut même si ces interventions étaient médicalement indiquées et ont été pratiquées dans les règles de l’art.

Pour que les lésions corporelles soient considérées comme graves, l’atteinte doit être permanente, c’est-à-dire durable et non limitée dans le temps ; il n’est en revanche pas nécessaire que l’état soit définitivement incurable et que la victime n’ait aucun espoir de récupération. Il faut procéder à une appréciation globale : plusieurs atteintes, dont chacune d’elles est insuffisante en soi, peuvent contribuer à former un tout constituant une lésion grave. Il faut tenir compte d’une combinaison de critères liés à l’importance des souffrances endurées, à la complexité et la longueur du traitement, à la durée de la guérison, respectivement de l’arrêt de travail, ou encore à l’impact sur la qualité de vie en général.

Lorsque plusieurs individus ont, indépendamment les uns des autres, contribué par leur négligence à créer un danger dont le résultat incriminé représente la concrétisation, chacun d’entre eux peut être considéré comme un auteur de l’infraction, que son comportement représente la cause directe et immédiate du résultat ou qu’il l’ait seulement rendu possible ou favorisé.

Dans le cas d’espèce, le TF confirme l’acquittement en retenant que les lésions corporelles, à savoir la dévitalisation et l’extraction de dents, n’étaient pas graves et que le lien de causalité faisait défaut.

Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

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Responsabilité médicale

TF 4A_179/2021 du 20 mai 2022

Responsabilité pour l’exploitation d’un chemin de fer; causalité adéquate, interruption, faute grave de la personne lésée; art. 40b al. 1 et 40c al. 2 let. b LCdF; 38 al. 1 LCR; 47 al. 2 1re phr. OCR

Le détenteur d’une entreprise ferroviaire répond du dommage causé par la réalisation d’un risque d’exploitation (art. 40b al. 1 LCdF). Il est dégagé de cette responsabilité si un fait qui ne lui est pas imputable, tel que la faute grave du lésé (art. 40c al. 2 let. b LCdF), a contribué à causer le dommage d’une façon si intense qu’il doit en être considéré comme la cause principale (art. 40c al. 1 LCdF). Le comportement d’un tiers constitue une cause principale seulement s’il présente un degré d’efficacité tellement élevé, s’il se situe à tel point en dehors du cours normal des choses, que la responsabilité causale du détenteur de l’entreprise ferroviaire n’est plus appréciée comme juridiquement pertinente à l’égard du dommage survenu. Ce comportement du tiers ne peut rompre le lien de causalité adéquate que si cette cause supplémentaire est si extérieure au déroulement normal des événements qu’on ne pouvait pas s’y attendre (c. 3.1-3.2).

La violation de la diligence résulte de la comparaison entre le comportement effectif de l’auteur de l’acte et le comportement hypothétique d’une personne moyennement diligente, la faute étant d’autant plus grave que l’écart par rapport au comportement moyen est important (c. 3.3).

Le tramway a en principe la priorité sur le piéton (art. 38 al. 1 LCR), même sur les passages pour piétons (art. 47 al. 2 1re phr. OCR). Tant que le conducteur du tramway n’enfreint ni la signalisation, ni les règles de circulation, et qu’il n’y a pas de défaillance technique, le piéton est en principe fautif en cas de collision (c. 3.4). Cette faute est grave, au sens de l’art. 40c al. 2 let. b LCdF, dans le cas d’un lésé familier des lieux, happé par un tram après s’être brusquement engagé sur les rails, en prêtant attention à son téléphone portable, sans avoir regardé, suivant une règle de prudence élémentaire, à gauche si un tram arrivait (c. 4.3).

Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

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Responsabilité chemin de fer Causalité Analyse Publication prévue

TF 6B_315/2020 du 18 mai 2022

Responsabilité aquilienne; faute, causalité, mise en danger par négligence en violation des règles de l’art de construire, lésion corporelles graves par négligence; art. 229 CP; 125 al. 2 CP; 11 OPA

Un grutier A. a été chargé de transporter un élément en béton d’environ dix tonnes depuis son lieu de stockage jusqu’à sa position finale. A cet endroit et selon les instructions de C., l’entrepreneur chargé du montage, a déposé l’élément en béton sur son côté longitudinal le plus étroit (20 cm) sur une plateforme élévatrice et a desserré les chaînes qui sécurisaient le bloc. Celui-ci est resté un certain temps jusqu’à ce qu’il tombe et heurte la plateforme élévatrice qui, à son tour, a poussé contre la façade de l’immeuble un travailleur présent sur le chantier, lequel a subi des lésions corporelles importantes. Le grutier est condamné pour lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP) et violation des règles de l’art de construire (art. 229 CP). Il recourt jusqu’au TF contre cette condamnation, invoquant principalement que la responsabilité de l’arrimage du chargement incombait à C.

Le TF rappelle que l’infraction visée à l’art. 229 CP consiste en l’inobservation des règles reconnues du droit de la construction. L’art. 229 CP instaure une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il oblige les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution de travaux à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de compétence. Il convient ainsi de déterminer pour chaque cas individuel l’étendue des tâches et donc du domaine de compétence. Il faut, à cet égard, se référer aux prescriptions légales, aux accords contractuels, aux fonctions exercées, ainsi qu’aux circonstances du cas d’espèce. Les usages dans le secteur de la construction doivent également être pris en compte, même s’ils ne règlent qu’une éventuelle responsabilité civile. La distinction entre les différents domaines de compétences est une conséquence de la division du travail, qui est inévitable dans le domaine de la construction, dans lequel les différentes activités ne peuvent souvent pas être délimitées de manière claire les unes par rapport aux autres, de sorte qu’en cas de violation constatée des règles de l’art de la construction, la responsabilité pénale selon l’art. 229 CP incombe souvent à plusieurs personnes en même temps (c. 6.3). Ces principes sont transposables aux éléments constitutifs de l’art. 125 al. 2 CP. En particulier, la position de garant peut être fondée sur les mêmes considérations que pour l’art. 229 CP.

S’agissant d’un grutier, il convient de se référer à l’ordonnance sur les conditions de sécurité régissant l’utilisation des grues qui prévoit, à son art. 6 al. 1, que les charges doivent être assurées pour le levage, arrimées aux crochets des grues et déposées après le levage, de sorte qu’elles ne puissent pas se renverser, tomber ou glisser et par là, constituer un danger. Lorsque l’ordonnance sur les grues ne prévoit rien, c’est l’ordonnance sur la prévention des accidents (OPA) qui s’applique. Son art. 11 al. 1 indique que l’employé est tenu d’observer les règles de sécurité généralement reconnues (c. 6.3.1).

Il convient de retenir en l’espèce une violation des règles de l’art de construire par le grutier. La répartition du travail entre ce dernier et C., en tant que chef d’équipe et instructeur, ne permet pas, dans les circonstances du cas d’espèce, de décharger le grutier. Dans son activité, celui-ci doit tenir compte des règles de sécurité généralement reconnues et doit immédiatement remédier aux éventuels défauts constatés qui portent atteinte à la sécurité du travail, conformément à l’art. 11 al. 1 OPA. En l’espèce, le grutier, vu qu’il se trouvait en hauteur, était en mesure de voir les dimensions et la position de l’élément en béton et de reconnaître le risque de basculement et l’état de fait dangereux ainsi créé. En omettant, malgré le « défaut » qu’il a constaté et qui porte atteinte à la sécurité du travail, de prendre ou de faire prendre les mesures de protection nécessaires pour l’éliminer, il n’a pas respecté les règles reconnues de l’art de construire. Le comportement fautif de C. n’était par ailleurs pas exceptionnel au point de rompre le lien de causalité entre la violation du devoir de diligence du grutier et la survenance du résultat.

Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne

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Responsabilité du maître de l’ouvrage

TF 8C_621/2021 du 18 mai 2022

Assurance-accidents; soins à domicile, prestataire de soins sans convention tarifaire, tarif applicable; art. 56 LAA

Un assureur-accidents doit prendre en charge le coût des prestations d’un fournisseur de prestations de soins à domicile admis à pratiquer, même lorsque celui-ci n’a ni signé, ni adhéré à une convention tarifaire. A juste titre, les juges fédéraux ont considéré que l’art. 56 LAA n’a pas pour but de limiter le choix du fournisseur de prestations, contrairement à ce qu’invoquait l’assureur-accidents, cette question étant exclusivement réglée aux art. 10 LAA et 18 OLAA. S’agissant du tarif à prendre en considération, le TF a précisé que, en faisant usage de l’art. 15 al. 2 OLAA par analogie, l’assureur-accidents devait rembourser les frais qu’il aurait dû prendre en charge, sur la base de la convention en vigueur.

Auteur : Guy Longchamp, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 9C_50/2022 du 17 mai 2022

Prestations complémentaires; renonciation à la fortune; art. 11 al. 1 let. g aLPC

Le TF commence par rappeler le principe selon lequel une renonciation à la fortune doit malgré tout être comptabilisée dans les revenus lors de l’examen du droit aux prestations complémentaires AVS/AI. On considère ainsi qu’il y a renonciation à la fortune lorsque la cession ne s’accompagne d’aucune obligation juridique ni d’aucune contrepartie adéquate.

Dans cette affaire, il s’agissait d’une personne qui vivait en-dessus de ses moyens et qui a ainsi dilapidé sa fortune jusqu’à devoir déposer une demande de prestations complémentaires. La situation étant antérieure à 2021 et ainsi, à l’entrée en vigueur de l’art. 11a al. 3 et 4 LPC, cette disposition n’était pas applicable.

Les premiers juges critiquaient la jurisprudence en arguant que la personne assurée qui consomme régulièrement plus de fortune que ce dont elle aurait besoin pour couvrir ses besoins vitaux préfinancerait en réalité son niveau de vie actuel plus élevé au moyen des prestations. L’adoption du nouvel art. 11a al. 3 LPC montrerait également que la jurisprudence du TF était erronée.

Le TF rappelle alors que pour retenir une renonciation à la fortune au sens de l’ancien art. 11 al.1 let. g LPC, il faut l’absence d’une obligation juridique, ainsi que l’absence de contrepartie adéquate (équivalente) en lien avec le dessaisissement de la fortune. Il continue en relevant que l’adoption du nouvel art. 11a al. 3 et 4 LPC soulève de nouvelles considérations juridiques. L’adoption de cette disposition ne reflète ainsi pas la situation qui prévalait avant son adoption. Dès lors, pour le TF, il n’y a pas de raison de s’écarter de la jurisprudence relative à l’ancien art. 11 al. 1 let. g LPC, selon laquelle il n’est pas important de savoir si un assuré vivait au-dessus de ses moyens avant de s’inscrire pour percevoir des prestations. Le train de vie de l’assuré n’est ainsi pas pertinent pour déterminer si l’on est en présence d’une renonciation à la fortune.

Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne

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Prestations complémentaires

TF 2C_704/2021 du 12 mai 2022

Responsabilité de l’Etat; prescription, dies a quo, conditions de détention illicites; art. 7 LRECA-VD

Selon l’art. 7 de la loi vaudoise sur la responsabilité de l’Etat (LRECA-VD), la créance en dommages-intérêts à l’encontre de l’Etat se prescrit par un an dès la connaissance du dommage et en tout cas par dix ans dès l’acte dommageable. Le TF rappelle que cette disposition doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 60 al. 1 CO, dont le texte est pratiquement identique. De jurisprudence constante, la notion de « connaissance du dommage » ne doit pas être appliquée de manière stricte, particulièrement lorsqu’elle correspond au dies a quo d’un délai de prescription très bref, comme en l’espèce.

Le TF relève ensuite qu’un détenu ayant souffert de conditions de détention illicites dans un établissement carcéral ne peut exclure le risque de subir à nouveau un traitement similaire à l’avenir. En l’absence de toute garantie quant à la pérennité de l’amélioration de sa situation, le détenu ne peut en aucun cas réaliser que le traitement carcéral illicite dont il a été victime a durablement pris fin ni prendre la mesure de son préjudice maximal.

En admettant que le délai de prescription avait commencé à courir le 12 janvier 2018, le Tribunal cantonal a en réalité fixé le moment de la connaissance du dommage d’un point de vue rétrospectif. Cette interprétation se heurte néanmoins à la jurisprudence constante rendue à propos de l’art. 60 al. 1 CO, selon laquelle le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le lésé a une connaissance effective du dommage. Or, tel ne peut être le cas, en l’espèce, qu’à partir du moment où le détenu a été transféré dans une autre prison, le 30 juillet 2018. Un détenu ayant subi des conditions de détention illicites ne peut en effet pas avoir une connaissance effective de son dommage avant d’avoir quitté l’établissement concerné. Le délai de prescription relatif qui présuppose la connaissance effective du dommage ne commence donc pas encore à courir au moment de l’amélioration des conditions de détention au sein d’un même établissement.

Le Tribunal cantonal aurait donc dû retenir que le délai de prescription d’une année n’avait pas commencé à courir avant le 30 juillet 2018. Dès lors, la prescription n’était pas encore acquise lorsque l’Etat de Vaud a renoncé, le 29 juillet 2019, à se prévaloir de la prescription jusqu’au 31 juillet 2020. L’arrêt attaqué repose ainsi sur une interprétation manifestement insoutenable de l’art. 7 LRECA-VD, tant dans son principe que dans son résultat, de sorte que le grief de violation de l’arbitraire est fondé. Partant, le recours est admis. L’affaire est renvoyée au Tribunal d’arrondissement pour nouvelle décision.

Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle

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Responsabilité de l’Etat Publication prévue

TF 9C_448/2021 du 10 mai 2022

APG-COVID; portée de la notion de « perte de gain ou de salaire » et de « perte de chiffre d’affaires »; art. 2 al. 3bis et 3ter O APG COVID-19 (au 3 février 2022)

La société A. (Sàrl), dont B. et C. sont les uniques associés et gérants, est active dans le domaine du sport et de l’événementiel. En septembre 2020, B. et C. ont requis l’octroi d’allocations pour perte de gain en lien avec les mesures COVID-19, ce qui leur a été refusé en raison d’une absence de perte de revenu. B. et C. avaient en effet continué à se verser un salaire mensuel qu’ils prélevaient toutefois sur les fonds propres de la Sàrl. Le litige porte ainsi essentiellement sur l’interprétation des notions de « perte de gain ou de salaire » et de « perte de chiffre d’affaires », prévues à l’art. 2 al. 3bis et 3ter O APG COVID-19 du 20 mars 2020.

Après avoir appliqué les méthodes habituelles d’interprétation de la loi, le TF arrive à la conclusion que le droit à une indemnité de perte de gain COVID-19 présuppose, outre une perte minimale du chiffre d'affaires, une perte de gain ou de salaire. Partant, un salarié qui a continué à percevoir son salaire mensuel usuel, même si celui-ci a dû être versé par le biais de fortune de la société, ne subit pas de perte de salaire et n’a ainsi pas le droit à des allocations pour perte de gain (c. 4.2.1 et 4.2.2). Le fait que la fortune ou le capital social de l’entreprise, mis à contribution pour le paiement du salaire, aient été constitués à partir de la fortune privée des salariés, n’a aucun impact sur ce qui précède (c. 4.2.1 et 4.2.2).

Les pertes de salaire ou de chiffre d’affaires doivent être déterminées sur la base de montants réels qui découlent de la situation financière d’une entreprise qui existait préalablement à la mise en œuvre des mesures de lutte contre le COVID-19. Partant, les recourants ne peuvent pas faire valoir des pertes de salaires basées sur des salaires hypothétiques et non étayés (c. 4.3).

Le TF a également examiné la qualité pour recourir d’une Sàrl dans le cadre d’un refus d’octroi d’indemnités pour perte de gain COVID-19 à l’encontre de ses employés. Il a considéré que dans le cas d’espèce, dès lors que la société avait continué à verser les salaires mensuels à ses employés durant la pandémie, sa qualité pour recourir pouvait potentiellement découler de l’art. 7 al. 2 O APG COVID-19. Compte tenu de l’issue de la procédure, le TF a estimé qu’il n'était pas nécessaire de décider si la société avait ou non la qualité pour former un recours en matière de droit public au sens de l’art. 89 LTF (c. 1.3.2).

Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

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APG COVID

TF 9C_356/2021 du 10 mai 2022

APG-COVID; revenu déterminant, notion de « perte de gain ou de salaire »; art. 2 al 3bis O APG COVID-19

Une SA, active dans l’organisation d’évènements, dépose un recours en matière de droit public au TF concluant au versement d’indemnités perte de gain COVID-19 pour son directeur. Ce dernier avait été engagé au 1er janvier 2020 et avait continué à percevoir un salaire suite à l’entrée en vigueur des mesures de lutte contre le coronavirus le 17 mars 2020. Après avoir laissée ouverte la question de la qualité pour recourir de l’employeur dans les cas particuliers d’allocations perte de gain COVID-19 compte tenu de l’issue de la procédure (c. 1.4), le TF rappelle les conditions d’octroi desdites allocations, à savoir notamment que le revenu annuel antérieur doit avoir été compris entre CHF 10'000.- et CHF 90'000.- et qu’une perte de gain ou de salaire est nécessaire par rapport à cette valeur de départ (c. 3 et 5.3.2).

Le TF considère que, s’agissant des allocations perte de gain COVID-19, seule la personne assurée est l’ayant droit. L’employeur ne devient l’ayant droit à la prestation ni en raison de son éventuel droit au versement, ni en raison de son rôle procédural de recourant. Dès lors, seul le revenu soumis à des cotisations AVS est déterminant pour décider s’il y a perte de gain. L’allocation perte de gain selon l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 n’a pas pour but d’amortir la baisse du chiffre d’affaires ou du bénéfice d’une entreprise, mais bien de compenser la perte de gain ou de salaire subie par les personnes assurées (c. 5.3.4.3).

Ainsi, le TF relève qu’il n’y a pas de perte de gain ou de salaire au sens de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 par une perte de chiffre d’affaires subie par l’employeur. Dans le cas d’une personne assurée ayant une position similaire à celle d’un employeur, le critère décisif est celui de savoir si elle a elle-même subi une perte de salaire. En d’autres termes, son droit à l’allocation perte de gain est subsidiaire au maintien du salaire par l’employeur (c. 5.3.5).

Au vu du maintien du versement du salaire par l’employeur, et partant, d’absence de perte de gain, le TF considère le recours comme infondé. Par ailleurs, le TF souligne que si l’on venait à considérer que le versement de plusieurs montants sur le compte courant du directeur ne suffisait pas à démontrer qu’il s’agissait d’un revenu soumis à cotisations au sens de l’art. 2 al. 3bis O APGV COVID-19, la condition d’un revenu annuel antérieur compris entre CHF 10'000.- et CHF 90'000.- n’aurait en tous les cas pas été remplie et le recours aurait également été infondé (c. 5.3.6).

Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

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APG COVID Publication prévue

TF 4A_160/2021 du 06 mai 2022

Responsabilité médicale; règles de l’art, obligation d’informer, prescription médicamenteuse; art. 398 al. 2 CO

Les recourants, soit une mère et son fils, qui présente de lourdes séquelles consécutivement à la prise de Roaccutane durant la grossesse, reprochent deux manquements à la doctoresse : elle aurait manqué à son devoir d’information lorsqu’elle a prescrit ce médicament et, en sus, aurait violé les règles de l’art médical en le prescrivant alors que les conditions du protocole n’étaient pas toutes remplies, la patiente ne souffrant pas d’une forme sévère d’acné et l’intimée n’ayant ordonné ni test de grossesse, ni traitement contraceptif.

Lorsqu’il prescrit un médicament, le praticien doit avertir le patient des risques particuliers induits par celui-ci (TFA 4C.229/2000 c. 3a/aa). En l’espèce, le TF rejette le recours au motif que, bien qu’il ait été préférable que les notes de la doctoresse indiquent expressément les risques liés à la prise de Roaccutane en cas de grossesse, il ressort néanmoins du dossier médical que cette dernière les a abordés avec sa patiente, ce qui doit conduire à écarter toute violation du devoir d’information.

S’agissant de la question d’une éventuelle violation des règles de l’art avec la prescription de Roaccutane, elle a été écartée par une expertise judiciaire. A cet égard, s’ils ont estimé que le dossier médical tenu par la doctoresse était lacunaire (absence de note selon laquelle elle avait bien informé sa patiente des risques du traitement, absence de plan de traitement, poids de la patiente non indiqué) et s’ils ont également pointé du doigt l’absence de test de grossesse réalisé avant le début du traitement, en relevant que le CHUV en pratiquait un, les experts ont toutefois considéré que ce test n’était pas imposé par les règles de l’art médical dans le cas d’espèce, car l’absence de relation sexuelle annoncée en début de traitement pouvait justifier ce manquement. En outre, ils ont déploré l’absence de contraception prescrite en notant que l’absence de partenaire ne justifiait pas ce manquement. Cela étant, ils ont conclu que ces lacunes ne constituaient pas une violation des règles de l’art, dans la mesure où la doctoresse avait dûment informé sa patiente des risques de foetopathie liés au traitement.

De l’avis du TF, si les experts n’ont pas, sur ces questions, accordé au protocole de prescription la portée contraignante que les recourants lui attribuent, l’on ne saurait en déduire que l’expertise était par là-même entachée d’un défaut à ce point évident ou reconnaissable que les juges ne pouvaient l’ignorer.

Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

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Responsabilité médicale

TF 8C_701/2021 du 04 mai 2022

Assurance-accidents; assurance facultative des indépendants, rechute, gain assuré pour la fixation de la rente; art. 4 al. 1, 5 al. 1 LAA; 22 al. 1, 24 al. 2 et 138 OLAA

En 1997, A. s’est assuré contre les accidents à la Suva d’abord de manière facultative comme indépendant, avec un gain assuré fixé à CHF 48'600.-, porté à CHF 60'000.- dès 2002, puis de manière obligatoire comme salarié de sa propre entreprise à partir de 2004. En 2000, alors que ses gains étaient déjà largement supérieurs au gain maximum assuré en LAA, il a été victime d’un accident de travail. Ses séquelles ne l’ont pas empêché de poursuivre sa carrière sans entrave jusqu’à une rechute survenue en 2018 ayant conduit à l’octroi d’une rente d’invalidité LAA de 50 % dès avril 2020. La Suva a fixé le montant de la rente sur la base du gain assuré à l’époque de l’accident, soit CHF 48'600.-. La cour cantonale a considéré qu’il fallait tenir compte du gain hypothétique qui aurait été réalisé lors de la naissance du droit à la rente en vertu de l’art. 24 al. 2 OLAA par analogie.

Le TF rappelle qu’une rechute ne constitue pas un nouvel accident et est donc à charge de l’assurance en vigueur lors de l’accident, soit en l’espèce l’assurance facultative (c. 6). L’assurance facultative devrait être équivalente à l’assurance obligatoire (c. 7.1). Les primes et les prestations financières sont définies en fonction du gain assuré, qui peut être adapté chaque début d’année (c. 7.2). Le gain assuré ne devrait pas être durablement nettement plus élevé que le gain effectif. Les parties sont tenues, le cas échéant, d’adapter le montant en fonction des circonstances concrètes (c. 7.3 et 9.3.4).

En LAA obligatoire, l’art. 24 al. 2 OLAA permet d’éviter de défavoriser les assurés dont la rente est fixée plus de cinq ans après l’accident compte tenu de l’augmentation des salaires réels survenue entretemps. Cette norme s’applique aussi en cas de rechutes ou séquelles tardives (c. 8.3). Cette norme avait été jugée inapplicable à l’assurance facultative par le TFA dans un arrêt U 167/95 en raison du principe d’équivalence (c. 8.4). Le TF renverse cette jurisprudence (c. 9). A l’instar de la cour cantonale, il considère qu’il n’y a pas de raison que le gain assuré ne puisse être adapté qu’en défaveur de l’assuré, en cas de gain assuré surévalué, et non pas en faveur de l’assuré, en cas de gain assuré trop bas par rapport aux revenus effectifs (c. 9.1 et 9.3.3). En définitive, il s’agira de fixer la rente selon le salaire réalisé par l’assuré au moment de l’accident, adapté selon l’évolution des salaires nominaux survenue depuis lors (c. 9.4).

Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 9C_79/2021 du 04 mai 2022

Assurance-vieillesse et survivants; délai de péremption, créances de cotisation, taxation fiscale, procédure de rappel d’impôt; art. 14, 16 al. 1 et 39 LAVS; 151 et 152 LIFD; 53 LPGA; 55, 66 et 67 PA

A. a été affilié, du 1er avril 1986 au 30 septembre 2005, en qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante auprès du GastroSocial Caisse de compensation (ci-après « la Caisse de compensation »). Au terme d’une procédure de rappel d’impôt à la suite d’une soustraction d’impôt, l’autorité fiscale cantonale a rendu des décisions de taxation rectificative le 28 août 2019. Sur la base des nouveaux revenus retenus par l’autorité précitée, la Caisse de compensation a requis le paiement par A. de cotisations sociales complémentaires pour l’année 2004 ainsi que pour la période du 1er janvier au 30 septembre 2005, par décisions du 14 octobre 2019 confirmées sur opposition le 8 janvier 2020. A l’issue du recours formé par A. par-devant la Chambre des assurances sociales de la Cour de Justice de la République et canton de Genève, les décisions précitées ont été annulées. La Caisse de compensation a alors formé un recours en matière de droit public à l’encontre de l’arrêt de la Cour de Justice.

Le litige vise à déterminer si la recourante était fondée à réclamer le solde des cotisations pour les années 2004 et 2005, respectivement si la créance correspondante était frappée de péremption.

A teneur de l’art. 16 al. 1 ph. 2 LAVS, l’exigibilité et le versement des cotisations visées aux articles 6 al. 1, 8 al. 1 et 10 al. 1 LAVS échoient dans un délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force. Le TF rappelle à cet égard qu’il s’agit d’un délai de péremption, malgré le titre marginal de cette disposition. L’article 16 al. 1 LAVS s’applique notamment lorsqu’une procédure de soustraction d’impôt a été mise en œuvre.

Le législateur fédéral a ainsi maintenu une règle spéciale permettant à l’organe d’exécution de la LAVS de fixer les cotisations devant être déterminées en fonction de la taxation fiscale dans un délai qui dépend de la date de l’entrée en force de cette taxation. Aussi, ce délai peut excéder dix années, au vu notamment du délai de 15 ans prévu par l’article 152 al. 3 LIFD à teneur duquel le droit de procéder au rappel de l’impôt s’éteint 15 ans après la fin de la période fiscale à laquelle il se rapporte.

Le TF précise que le délai de l’art. 16 al. 1 ph. 2 LAVS ne saurait être raccourci par celui prévu en matière de révision procédurale, par les art. 53 al. 1 LPGA cum 67 PA, ainsi que le retenaient les premiers juges. Ces derniers ont en effet considéré que l’art. 16 al. 1 LAVS ne contenait aucune mention qui dérogerait, en tant que lex specialis, à l’art. 53 LPGA, alors qu’une révision procédurale au sens de cette disposition ne pourrait intervenir que dans le délai de péremption de dix ans (art. 66 al. 1 et 67 al. 2 PA). Le TF indique à ce titre qu’en l’espèce, l’existence d’un motif de révision procédurale, soit la taxation fiscale rectificative issue de la procédure de soustraction d’impôt, constitue seulement la condition à laquelle la période de cotisations initiale peut être revue, mais n’évince toutefois pas la règle spéciale de la péremption prévue par la disposition LAVS concernée.

La Caisse de compensation a ainsi respecté le délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle les décisions de rappel d’impôt du 28 août 2019 sont entrées en force.

Le recours est dès lors admis.

Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

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Assurance-vieillesse et survivants Publication prévue

TF 8C_782/2021 du 03 mai 2022

Assurance-invalidité; infirmité congénitale, mesures médicales, traitement à l’étranger, droit à la substitution; art. 9 al. 1 LAI; 23bis al. 3 RAI

Pour la prise en charge par l’assurance-invalidité de mesures médicales à l’étranger, il faut interpréter la notion d’« autre raison méritant d’être prise en considération » de l’art. 23bis al. 3 RAI à la lumière de l’art. 9 al. 1 LAI, qui postule le caractère exceptionnel d’un traitement à l’étranger. Cette condition n’est pas réalisée en présence d’une infirmité congénitale relativement courante (en l’espèce une hypospadie, ch. 352 OIC) pour laquelle il existe des traitements régulièrement pratiqués en Suisse, même si une méthode différente pratiquée en Allemagne réduit de 5 % les risques de complications.

Il n’existe pas, dans ce contexte, de droit à la substitution.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 6B_158/2021 du 02 mai 2022

Responsabilité délictuelle; causalité adéquate; art. 125 al. 1 CP

Le recourant a été victime d’un accident de travail en relation avec l’usage d’une presse à plaquer. Plus précisément, sa main a été écrasée par la machine actionnée par un collègue alors qu’il replaçait un panneau de bois trop grand pour être placé en une fois. Il a été établi que le recourant n’avait pas respecté les instructions orales de l’employeur, selon lesquelles aucun doigt ne devait être placé sous la presse pendant le chargement. Le collègue avait lui aussi violé ces instructions, dans ce sens où il n’avait pas attendu le signal « OK » ou un signe de la main de la personne qui introduisait la pièce dans la presse avant d’actionner celle-ci.

Le Tribunal supérieur de Soleure a considéré que la causalité naturelle était bien réalisée entre le comportement du collègue opérateur et l’accident. Néanmoins, selon lui, ce dernier ne pouvait pas compter avec la survenance d’un tel accident, lequel avait été causé par la victime elle-même, puisqu’elle avait violé l’interdiction de mettre ses doigts dans la presse. En conséquence, selon les premiers juges, le fait que l’opérateur n’avait pas attendu le feu vert de son collègue n’avait pas de portée propre. Compte tenu du fait que l’accident n’était selon lui pas prévisible pour l’opérateur, le Tribunal supérieur a donc nié le lien de causalité adéquate, et considéré que les éléments constitutifs des lésions corporelles par négligence n’étaient pas réunis.

Le TF casse cette décision, en se fondant sur le fait que les deux employés concernés avaient l’un et l’autre violé les règles de sécurité de leur employeur. S’il est vrai que l’accident ne serait manifestement pas survenu si la victime n’avait pas mis ses doigts dans la presse, il est tout aussi clair, selon les faits retenus par le Tribunal supérieur, qu’il ne se serait pas non plus produit si l’opérateur avait attendu le feu vert exprès de son collègue avant de mettre en route la machine. Si l’employeur a mis en place un double concept de sécurité, c’est précisément parce que l’écrasement d’une main constitue un danger typique de ce type de presse. On doit ainsi tenir compte du fait qu’il n’était pas exclu en pratique qu’un ouvrier introduise ses mains dans la presse malgré l’interdiction d’agir de la sorte. Ce danger était donc prévisible, raison pour laquelle l’opérateur était tenu d’attendre le feu vert de son collègue avant de mettre la presse en marche. Le Tribunal supérieur a donc violé le droit fédéral en attribuant au comportement illicite de l’opérateur une importance aussi accessoire et en le privant de toute portée propre. Cette portée existe du seul fait que, sans ce comportement, l’accident n’aurait pas eu lieu. Le lien de causalité adéquate doit donc être admis.

Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

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Responsabilité aquilienne Causalité

TF 4A_28/2022 du 28 avril 2022

Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières en cas de perte de gain LCA, couverture d’assurance, cessation d’activité; art. 55 aLCA; 45 LCA et 45 aLCA

Est litigieuse en l’espèce la signification qui doit être donnée aux CGA de l’assurance collective en perte de gain LCA, selon lesquelles la couverture d’assurance prend fin notamment en cas de cessation dans les faits de l’activité professionnelle (« Geschäftsaufgabe »). Selon l’autorité cantonale, cette cessation d’activité intervient pour une société seulement au moment où l’ouverture de la faillite est prononcée et pas avant. Dans le cas d’espèce, cela signifie qu’à l’ouverture de la faillite du 16 janvier 2020, la couverture d’assurance était encore donnée pour le chef d’entreprise tombé en incapacité de travail à partir du 9 décembre 2019. L’assureur perte de gain ne partage, quant à lui, pas cet avis, estimant que dans les faits c’était déjà à compter du 2 décembre 2019 que l’activité de l’entreprise avait pris fin.

Le TF confirme, sur ce point, le jugement cantonal, estimant que l’assureur n’avait pas démontré dans son recours dans quelle mesure le droit fédéral aurait été violé par le sens donné par les juges cantonaux à l’expression de cessation d’activité (« Geschäftsaufgabe »), d’autant plus que cette interprétation se trouvait en accord avec l’art. 55 aLCA concernant la faillite du preneur d’assurance.

De même, le TF a renoncé à se prononcer sur la question de savoir s’il s’agissait d’une assurance de somme ou de dommage, au motif que l’assureur n’avait non plus pas suffisamment motivé ce point dans son recours.

Par contre, sur la question de la violation du devoir d’annonce, le TF constate une violation du droit d’être entendu par l’instance cantonale, laquelle n’a pas examiné les griefs de l’assureur en rapport avec les possibilités de réduction découlant de ses CGA, raison pour laquelle la cause est renvoyée à l’instance cantonale pour complément d’instruction, d’autant que les CGA peuvent, selon le Tribunal fédéral et contrairement à l’avis de l’instance cantonale, s’appliquer même si la violation du devoir d’annonce n’est pas causale, c’est-à-dire même si elle n’a eu aucun effet sur le dommage ; l’art. 45 aLCA, applicable en l’espèce, ne change rien à cela, car il ne prévoyait pas de règle sur la causalité, contrairement au nouvel art. 45 LCA.

Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion

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Assurances privées

TF 8C_514/2021 du 27 avril 2022

Assurance-accidents; expertise, récusation; art. 44 LPGA

Le TF a confirmé la décision de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois. Dans le cas où deux médecins, en l’espèce des chirurgiens orthopédistes, qui oeuvrent parallèlement au sein d’un même centre d’expertise pluridisciplinaire et qui travaillent tous les jours dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe dont ils partagent les frais, il est justifié de retenir une apparence de prévention. En effet, de tels contacts quotidiens doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais constituent des éléments objectifs suffisants – au vu des exigences élevées posées à l’impartialité des experts médicaux – pour faire naître à tout le moins une apparence de prévention lorsque l’un des associés est désigné comme expert par un assureur-accidents alors que son associé a déjà émis un avis médical sur le cas en tant que médecin-conseil dudit assureur.

Auteur : Guy Longchamp

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Assurance-accidents Procédure Publication prévue

TF 6B_1504/2021 du 25 avril 2022

Responsabilité délictuelle; lésions corporelles par négligence, circulation routière; art. 125 CP; 26 et 31 ss LCR

Dans cet arrêt rendu en matière pénale, le TF se penche sur un accident survenu alors qu’un cycliste qui circulait sur la route entre deux promeneuses de chiens s’est emmêlé dans la laisse extensible de l’un de chiens qui avait traversé la route. La piétonne qui tenait encore la laisse a chuté et a subi plusieurs blessures.

Le TF rappelle tout d’abord que, dans le contexte de la circulation routière, chacun doit pouvoir compter sur le fait que les autres usagers se comporteront de manière à ne pas gêner ou mettre en danger les autres usagers de la route. Ceux-ci doivent notamment avoir constamment la maîtrise de leur véhicule et consacrer leur attention à la circulation, le degré d’attention requis dépendant de la densité du trafic, de l’heure, de la visibilité et des sources de danger prévisibles.

Dans le cas d’espèce, le TF constate qu’il avait entre les deux piétonnes une distance suffisante pour passer sans danger avec un vélo. Le cycliste avait adapté sa vitesse et son placement en fonction de la situation et attiré l’attention des piétonnes en actionnant sa sonnette.

La laisse tendue à travers la route, qui était « pratiquement invisible » compte tenu de l’ensoleillement, ne faisait pas partie des dangers auxquels le cycliste devait raisonnablement s’attendre, de sorte qu’il n’a pas enfreint son devoir de prudence. L’existence d’une obligation de tenir les chiens en laisse dans cette zone est sans pertinence à cet égard.

Auteur : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

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Responsabilité aquilienne

TF 4A_431/2021 du 21 avril 2022

Responsabilité aquilienne; dommage, imputation des avantages, immeuble, plus-value en cas de rénovation; art. 41 et 42 CO

B. est propriétaire d’une maison mitoyenne et loue l’appartement situé au premier étage de l’immeuble à A. (la locataire). Le 10 février 2012, l’appartement occupé par la locataire a été entièrement détruit par un incendie qui a également endommagé l’appartement occupé par le propriétaire. La locataire a été condamnée pour incendie volontaire.

Le TF rappelle les deux types de dommages matériels qu’on distingue traditionnellement (c. 6.1.2). Lors du calcul du dommage (total ou partiel), il convient, dans la détermination de son montant, de procéder à l’imputation des avantages (en faveur du lésé) générés par l’événement dommageable, la valeur résiduelle d’un objet totalement détruit représente en principe un avantage financier à imputer (c. 6.1.3).

Le montant de CHF  617'556.20 fixé par les premiers juges se compose de trois postes de dommage : les travaux strictement nécessaires à la remise en état des parties endommagées (CHF 565'000.-) ; les taxes et frais divers (CHF 5'000.-) ; les frais de sécurisation et de couverture provisoire (CHF 47'556.20). S’agissant de la remise en état, la somme de CHF 565'000.- comprend, quant à lui, des postes pour lesquels la question d’une réduction de l’indemnité à la valeur du bien avant l’incendie ne se pose pas, par exemple pour ceux de la direction de la conception et de la construction (CHF 45'000.-) et de l’ingénieur civil (CHF 9'680.-), d’autant plus que le propriétaire ne peut en tirer aucun avantage. Sans ces postes de dommage, les frais d’assainissement s’élèveraient à environ CHF 510'320.-, proche de la valeur du bâtiment avant l’incendie de CHF 525'000 (selon la locataire). Il n’apparaît pas que le propriétaire ait subi une perte totale par rapport à l’immeuble, puisque le coût nécessaire à sa réparation ne dépasse pas la valeur de l’immeuble avant l’incendie et n’apparaît pas disproportionné (c. 6.2.1).

Le TF rejeté le grief de la locataire selon laquelle l’instance précédente n’aurait pas tenu compte de la plus-value que le propriétaire retire de la chose réparée, les explications de la locataire à ce sujet étant insuffisamment motivées (c. 6.2.4).

Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne

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Responsabilité aquilienne Dommage

TF 9C_400/2021 du 20 avril 2022

Assurance-maladie; médicaments, fixation du prix, comparaison internationale; art. 65b al. 3 OAMal; 34abis OPAS

Le caractère économique d’un médicament est évalué notamment sur la base d’une comparaison avec les prix pratiqués dans les pays de référence que sont l’Allemagne, le Danemark, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la France, l’Autriche, la Belgique, la Finlande et la Suède (art. 34abis al. 1 OPAS). La comparaison porte sur un médicament identique dans les pays de référence, quels qu’en soient la dénomination, le titulaire de l’autorisation ou la prise en charge dans le pays de référence, et indépendamment d’une influence du titulaire suisse sur le prix de fabrique. Par médicament identique, on entend les préparations originales contenant la même substance active et possédant une forme galénique identique (art. 34abis al. 2 OPAS). Les différences d’indication entre la Suisse et les pays de référence ne sont pas prises en compte (art. 34abis al. 3 OPAS).

Le prix de fabrique d’une crème qui est autorisée en Suisse par Swissmedic en tant que médication peut être comparé avec le prix de fabrique d’une crème de même composition (mêmes composants et même dosage), qui est enregistrée en France sous un autre nom et pour des indications quelque peu différentes dans la « Liste des Produits et Prestations », qui correspond plus ou moins à notre Liste des moyens et appareils auxiliaires (LiMA). Le nom différent, de même que les indications non identiques n’empêchent pas la comparaison de ces deux crèmes.

Le fait que la crème ne soit pas inscrite comme médicament en France mais comme dispositif médical n’est pas non plus décisif. En effet, lorsque l’art. 34abis al. 2 OPAS parle de comparaison avec un médicament identique, cette notion doit s’entendre dans un sens matériel. Le fait que l’art. 34abis al. 2, 2e phrase parle de préparation originale ne change rien à cette conclusion. En effet, un produit de référence étranger peut correspondre à la définition qui en est faite à l’art. 64a al. 1 OPAS, même s’il n’est pas enregistré comme médicament en tant que tel. Il convient donc bien plus de se focaliser sur une préparation contenant la même substance active et une forme galénique identique pour déterminer les produits de référence à comparer.

Dans le cas d’espèce, la baisse de prix ordonnée par l’OFSP sur la base de la comparaison avec le prix de fabrique de la crème en France est donc justifiée.

Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

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Assurance-maladie Publication prévue

TF 5A_907/2021 du 20 avril 2022

Prévoyance professionnelle; avoirs de prévoyance professionnelle, séquestre; art. 16 al. 1 OLP; 92 al. 1 ch. 10 et 93 LP

Le TF a jugé que l’exigibilité, au sens de l’art. 92 al. 1 ch. 10 LP, de la prestation de sortie versée sur un compte ou une police de libre passage à la survenance du cas de prévoyance nécessite une demande de l’ayant droit. Comme c’est le cas pour le paiement en espèces de la prestation de sortie (art. 5 LFLP), cette demande constitue une condition potestative et suspensive, dont dépend l’exigibilité du droit au paiement et qui s’analyse comme l’exercice d’un droit formateur. Par conséquent, la prestation est exigible au sens de l’art. 92 al. 1 ch. 10 LP et, partant, relativement saisissable (art.  93 LP), si le poursuivi en demande le versement et la touche effectivement.Avant qu’il ne dépose sa demande, il n’a qu’une expectative envers son institution de libre passage.

Auteur : Guy Longchamp

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 9C_31/2021 du 14 avril 2022

Prévoyance professionnelle; prévoyance obligatoire, obligation d’assurance, activité accessoire; art. 1j al. 1 let. c OPP2

L’art. 1j al. 1 let. c OPP2 ne trouve pas application en présence d’un travailleur exerçant une activité accessoire auprès de l’employeur pour lequel il est au bénéfice d’un contrat de travail pour une activité principale. En clair, les revenus tirés de ces deux activités pour un même employeur doivent être additionnés et assurés pour la prévoyance professionnelle obligatoire.

Auteur : Guy Longchamp

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 9C_469/2021 du 08 avril 2022

Congé maternité; allocation pour perte de gain, extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité; art. 16d al. 3 LAPG; 25 RAPG

Le TF a jugé que le fait, pour une conseillère nationale, de participer aux activités parlementaires entraîne l’extinction anticipée de son droit à l’allocation de maternité (art. 16d al. 3 LAPG, art. 25 RAPG ; c. 5). Il a également nié que le droit à l’allocation de maternité puisse renaître en cas de cessation ultérieure de l’activité lucrative qui avait été reprise avant l’échéance du congé de maternité selon l’art. 16d al. 1 LAPG (c. 6) et confirmé que la reprise anticipée d’une activité lucrative entraîne en principe également l’extinction du droit à l’allocation de maternité accordée en raison de l’exercice d’une autre activité lucrative (c. 7).

Auteure : Stéphanie Perrenoud, chargée d’enseignement

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Congé maternité Publication prévue Analyse

TF 9C_32/2021 du 05 avril 2022

Assurance-vieillesse et survivants; créance en restitution, péremption, procédure, défense de statuer ultra petita; art. 25 al. 2 1re phr. LPGA; 23 al. 4 let. a LAVS; 107 al. 1 LTF

Le 13 mai 2019, le remariage d’une veuve, qui a eu lieu le 11 juin 2015, est annoncé à une caisse de compensation. Toutefois, le 23 décembre 2016, une agence communale AVS avait déjà eu connaissance du remariage, une annonce de changement ayant été effectuée le 27 décembre 2016. Le 21 mai 2019, une décision de restitution est rendue, étant relevé que le remariage entraîne l’extinction du droit à la rente de veuve conformément à l’art. 23 al. 4 let. a LAVS. La Caisse de compensation prétend que la veuve doit se laisser imputer la violation de son devoir d’information, si bien qu’elle exige la restitution de la rente versée du 1er juillet 2015 au 31 mai 2019.

Selon l’art. 25 al. 1 1re phrase LPGA, dans sa teneur valable jusqu’à la fin décembre 2020, le droit de demander la restitution s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard trois ans après le versement de la prestation.

Selon la jurisprudence, par « moment où la caisse de compensation a eu connaissance » du fait justifiant la restitution d’une prestation versée à tort, il faut entendre le moment où l’administration aurait dû s’apercevoir d’un tel fait en faisant preuve de l’attention que les circonstances permettaient raisonnablement d’exiger d’elle. En outre, pour le cas où le versement d’une prestation indue repose sur une erreur de l’administration, le délai de péremption relatif d’un an n’est pas déclenché par le premier acte incorrect de l’office. Au contraire, selon la jurisprudence constante, il commence à courir le jour à partir duquel l’organe d’exécution aurait dû au plus tard reconnaître son erreur – par exemple à l’occasion d’un contrôle des comptes ou sur la base d’un indice supplémentaire – en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui (jurisprudence de la deuxième occasion – Zweiter Anlass).

En l’espèce, la rente de veuve s’est éteinte ex lege. L’octroi d’une rente après le remariage est objectivement erroné. Il n’y a pas eu de première faute de l’administration qui aurait pu donner le droit à une deuxième occasion à celle-ci de se rattraper et donc de reporter le délai de péremption. Au surplus, la connaissance du remariage par l’agence communale AVS doit être imputée à la caisse de compensation : ce que connaît l’agence AVS, la caisse de compensation le connaît aussi. Le délai de péremption étant manifestement échu lorsque la décision de restitution a été rendue, aucun montant ne doit être rétrocédé.

Il faut noter encore que dans cette affaire, c’est la Caisse de compensation qui recourt, le Tribunal cantonal ayant admis une partie de la créance en restitution. Ce montant reste dû, car l’assurée a omis de recourir, le TF n’étant pas fondé à statuer ultra petita (art. 107 al. 1 LTF).

Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

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Assurance-vieillesse et survivants Publication prévue

TF 9C_24/2022 du 05 avril 2022

Assurance-vieillesse et survivants; rente complémentaire pour enfant; art. 22ter al. 1 et 25 al. 1 et 3 LAVS; 49 al. 1 RAVS

A., né en 1952 et divorcé à deux reprises, est au bénéfice d’une rente AVS et part vivre en Thaïlande où il épouse B. une ressortissante locale née en 1985 et veuve d’un premier mariage, qui a eu un enfant C. issu de cette première union. Nonobstant le fait que C. perçoive déjà une rente d’orphelin de EUR 213.35 par mois, A. demande une rente d’enfant AVS pour l’enfant de son épouse. La caisse de compensation refuse l’octroi de cette prestation au motif que la rente d’orphelin couvre les frais d’entretien et d’éducation de l’enfant.

L’autorité cantonale a conclu que le montant des dépenses nécessaires à l’entretien de C., qui doit être fixé sur la base des taux non réduits définis par H. Winzeler en collaboration avec l’Office de la jeunesse du canton de Zurich (cf. ATF 122 V 125 c. 3), s’élevait à CHF 202.70 en tenant compte du niveau de vie en Thaïlande, ce qui conduit au refus du droit à une rente pour enfant à cause de la rente d’orphelin de EUR 213.35 qui est supérieure au montant précité (c. 4.2).

Dans le cadre de son recours au TF, A. conteste tout d’abord le fait que le critère de l’exigence de la gratuité de l’entretien et de l’éducation de l’enfant au sens de l’art. 49 RAVS repose sur une base légale suffisante (c. 5.1). Cet argument est rejeté (c. 5.2). Dans un second moyen, A. estime que l’exigence précitée constitue une notion juridique mal déterminée et peu claire, ce que rejette également la Haute cour en rappelant sa jurisprudence à ce titre (c. 5.3).

De plus, A. considère aussi qu’il conviendrait de ne pas se baser sur des montants forfaitaires pour déterminer si les conditions d’octroi d’une rente pour enfant seraient réalisées, mais qu’une détermination au cas par cas devrait pouvoir s’effectuer (c. 6.1). A ce titre également, le TF estime qu’il n’y a pas suffisamment de motifs pour s’écarter de sa jurisprudence en la matière (c. 6.2 et c. 6.3).

Finalement, le recourant est aussi d’avis que l’adaptation du forfait déterminé en Suisse au niveau de vie en Thaïlande n’est pas admissible et que l’index du coût de la vie d’UBS SA ne prend notamment pas en compte les frais de formation locaux (c. 7.1), ce que rejette également la Haute cour (c. 7.2 à 7.4), qui estime par ailleurs que les données provenant de cette banque constituent une base de calcul suffisamment fiable pour être prise en compte.

Auteur: Walter Huber, juriste à Puplinge

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Assurance-vieillesse et survivants

TF 9C_460/2021 du 01 avril 2022

Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, EMS, séjour extracantonal; art. 25a LAMal

Le canton de domicile est tenu de prendre en charge les coûts des soins lorsqu’une personne choisit de séjourner dans un EMS situé hors de ce canton, même si des places sont disponibles dans ce dernier. Par ailleurs, dans les rapports intercantonaux, la règle continue à se fonder sur le domicile, mais le principe du domicile cède le pas au principe du lieu de provenance (« Herkunftsprinzip ») lorsque la personne concernée entre dans un EMS extra-cantonal et transfère son domicile au lieu de situation de l’EMS. Le changement de domicile au moment de l’admission dans un EMS ne joue ainsi pas de rôle s'agissant du financement résiduel, selon l’art. 25a LAMal.

Auteur : Guy Longchamp

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Assurance-maladie Publication prévue

TF 4A_8/2022 du 01 avril 2022

Assurances privées; assurance indemnité journalière en cas de maladie, cessation de l’exploitation de l’entreprise; CGA

Un contrat d’assurance a été conclu par l’employeur pour prémunir les employés des conséquences d’une incapacité de travail en raison de la maladie. Lié par l’état de fait, le TF retient que le propriétaire de l’entreprise vendant ses actions au porteur met fin à son exploitation, ce qui équivaut à une cessation de l’activité au sens des CGA.

Il n’y a aucune violation du droit fédéral à retenir concernant la fin du droit aux prestations dans ce contexte, malgré la fonction du propriétaire, également directeur et salarié assuré et ayant perçu des indemnités journalières jusqu’à la vente de sa société, laquelle est tombée en faillite peu après.

Le TF rappelle et confirme la jurisprudence de son arrêt 4A_472/2018 du 5 avril 2019 concernant la cessation de l’exploitation (une agence d’assurances) ayant emporté la fin du droit aux prestations conformément aux conditions du contrat d’assurance. La cessation de l’activité, volontaire ou non, n’étant pas un événement assuré selon les CGA du contrat d’assurance, la perte de gain en résultant pour l’assuré, détenteur de l’entreprise, ne résulte pas de la maladie et n’est donc pas couverte.

La situation du cas d’espèce diffère de celle visée par son autre arrêt, 4A_238/2019 du 2 décembre 2019, concernant la cessation d'une entreprise individuelle dont le travail est fourni par son seul détenteur (une entreprise de taxis). Si l’abandon de l’activité résulte de l’incapacité de travail consécutive à la maladie de l’assuré, les prestations sont dues jusqu’à l’épuisement du droit aux indemnités journalières pour autant que l’assuré n’ait pas recouvré sa capacité de travail.

Auteur : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

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Assurances privées

TF 8C_787/2021 du 23 mars 2022

Assurance-invalidité; expertise, interprète, notes internes, suspicion de diagnostic; art. 44 LPGA

Dans le cadre d’un recours contre une décision lui refusant une rente de l’assurance-invalidité, se fondant sur une expertise psychiatrique, le TF rappelle, respectivement précise, certains points en lien avec la mise en œuvre d’expertises au sens de l’art. 44 LPGA :

- si la personne expertisée parle une langue étrangère que l’experte ou l’expert ne parle pas, il y a lieu de recourir aux services d’un interprète (ATF 140 V 260). La décision revient à l’expert. La valeur probante d’une expertise n’est pas diminuée lorsqu’il n’y a pas lieu de penser que les problèmes de compréhension ont influencé le résultat de l’expertise. En l’espèce, la personne assurée se limite à critiquer l’absence d’interprète, sans indiquer concrètement quelles questions ou quelles réponses auraient été mal comprises. Le grief est écarté (c. 8.2) ;

- dans le cadre d’une expertise, il n’existe pas de droit à pouvoir consulter les notes internes de l’experte ou de l’expert, ni les démarches préparatoires auxquelles il ou elle a procédé pour établir l’expertise. Dans ce sens, la personne assurée n’a pas à se voir garantir l’accès aux résultats des tests psychométriques (GAF et HAMD) (c. 9) ;

- une suspicion de diagnostic conçue par le médecin traitant n’atteint pas le degré de la vraisemblance prépondérante, de sorte que la personne assurée ne peut en tirer argument pour contester l’appréciation de l’experte ou de l’expert (c. 11.2).

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 4A_450/2021 du 21 mars 2022

Responsabilité du propriétaire d’ouvrage; défaut de l’ouvrage, faute concomitante; art. 58 et 44 al. 1 CO

Un jeune homme de 22 ans plonge la tête la première dans un lac depuis un ponton de baignade situé sur une plage communale dont l’accès est payant. Sa tête heurte le fond du lac, situé à une profondeur de 1,10 mètres. Blessé grièvement aux vertèbres cervicales, il est depuis paralysé. Le règlement communal n’interdisait pas de sauter du ponton ; la commune n’avait fait poser aucun panneau ni aucun dispositif pour interdire cette pratique, pourtant courante et connue du maître-nageur, qui n’intervenait pas pour la proscrire. La victime ouvre une action partielle contre la commune en chiffrant sa prétention à CHF 30’000.- au à titre de participation au dommage ménager. Le Tribunal de district de Horgen admet l’action, chiffre le dommage ménager à CHF 57'568,50 mais opère une réduction de 40 % en raison de la faute concomitante de la victime. La Cour suprême du canton de Zurich confirme ce jugement. La commune recourt au TF.

Le TF commence par rappeler les principes qui régissent la responsabilité du propriétaire d’ouvrage au sens de l’art. 58 CO. Il y a notamment défaut lorsque l’ouvrage n’offre pas une sécurité suffisante lorsqu’il est utilisé conformément à sa destination (c. 4.1.2). Il s’agit donc en premier lieu de déterminer le but ou la destination de l’ouvrage ; le propriétaire ne doit pas s’attendre à ce que quelqu’un utilise l’ouvrage de manière contraire à sa destination, une distinction devant toutefois être faite, en fonction du cercle des utilisateurs, entre les ouvrages destinés à être utilisés par le public et ceux qui servent à l’usage privé. La sécurité des premiers répond à des exigences accrues. On ne saurait non plus attendre du propriétaire de l’ouvrage des dépenses de sécurité disproportionnées par rapport à la destination de celui-ci (c. 4.1.3). Le TF relève que le principe selon lequel le propriétaire de l’ouvrage n’est responsable que de l’utilisation conforme à sa destination ne s’applique pas de manière illimitée. Doctrine et jurisprudence admettent exceptionnellement que la responsabilité du propriétaire est engagée en cas de comportement contraire à la destination provenant de certains groupes, notamment des enfants ; on pense notamment aux ouvrages pour lesquels il est évident, en raison de leur nature, qu’une imprévoyance peut entraîner des dommages graves (c. 4.1.4).

Procédant à l’examen du cas d’espèce, le TF considère que l’instance précédente n’a pas violé le droit dès lors qu’elle a correctement distingué l’éventuel comportement déraisonnable, respectivement la faute de la victime, de la question de savoir si l’ouvrage présentait un défaut. En considérant que, jusqu’au moment de l’accident, il était courant que des personnes sautent dans le lac depuis le ponton, également la tête la première, elle n’a pas fondé sa décision sur une définition abstraite du but d’un ponton, mais a logiquement évalué la finalité de l’ouvrage au moment de son utilisation effective lors de l’accident. Ce ponton se trouvant dans un établissement de baignade mis à la disposition du public contre paiement, le cercle des utilisateurs comprend sans aucun doute des enfants ; compte tenu du danger considérable que représente un plongeon dans une eau peu profonde, il tombe sous le sens qu’en raison de la nature du ponton, une imprudence peut entraîner des dommages graves. Dès lors, la commune ne peut invoquer sans autre l’absence de défaut de l’installation, en se prévalant du fait que le ponton constitue un simple passage vers un escalier permettant de descendre dans le lac si les utilisateurs se comportent avec prudence. Dès lors que les baigneurs avaient l’habitude de sauter dans le lac depuis le ponton, sans que le maître-nageur intervienne, l’instance précédente a considéré à juste titre que l’argument selon lequel le ponton n’était pas destiné à des sauts dans l’eau n’était pas pertinent. Dès lors qu’elle n’a pris aucune mesure pour empêcher les utilisateurs d’adopter un comportement dangereux malgré le risque connu, la commune doit se laisser opposer l’utilisation effective de l’installation, reconnue comme dangereuse. L’instance précédente a ainsi considéré à juste titre que l’ouvrage était défectueux ; il en irait différemment pour un ponton ne se trouvant pas dans un établissement de bains et n’étant pas utilisé pour des sauts. Ainsi, il n’est pas possible de rendre une commune lacustre responsable chaque fois qu’un nageur imprudent utilise un débarcadère, un ponton, une digue ou une installation similaire pour se jeter à l’eau (c  4).

Le TF examine ensuite si la victime a commis une faute concomitante de nature à interrompre le lien de causalité. Il retient, avec l’instance précédente, que la victime a commis une faute grave en plongeant la tête la première dans le lac sans avoir évalué la profondeur de l’eau. Les premiers juges ont cependant eu tort de se contenter d’indiquer de manière générale qu’il était courant, au moment de l’accident, de sauter dans le lac de différentes manières à partir du ponton. En effet, lors de l’examen de la causalité, la responsabilité personnelle des usagers (autrement dit le comportement attendu de l’ensemble des usagers visés) qui doit être prise en compte lors de l’évaluation du défaut de l’ouvrage, doit être distinguée de la faute qui peut être reprochée individuellement à la victime. Ainsi, pour déterminer si son comportement personnel a interrompu la causalité adéquate, la victime ne peut se contenter de soutenir qu’un certain comportement a déjà a été adopté par d’autres personnes à l’endroit en question. Dans le cas présent, plonger tête la première dans une surface d’eau naturelle dont la profondeur n’est pas indiquée et peut varier, dont le fond peut receler des rochers, constitue une faute personnelle grave. Il aurait été aisé à la victime de vérifier le niveau de l’eau à cet endroit. Cette faute grave ne relègue cependant pas l’omission des mesures de sécurité de la commune à l’arrière-plan : le défaut de l’ouvrage apparaît comme une cause juridiquement notable du dommage (c. 5.2).

Enfin, faute pour la commune d’avoir démontré dans quelle mesure l’instance précédente aurait violé l’art. 311 al. 1 CPC, le TF refuse de se pencher sur la réduction de 40 % opérée par l’instance précédente en application de l’art. 44 al. 1 CO pour tenir compte de la faute concomitante (c. 6).

Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

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Propriétaire d'ouvrage Faute

TF 8C_595/2021 du 17 mars 2022

Assurance-chômage; violation de l’obligation d’instruction, aptitude au placement, capacité de travail partielle, coordination avec l’assurance-invalidité; art. 43 al. 1 LPGA ; 15 al. 2 LACI ; 15 al. 3 OACI ; 70 LPGA

Dans cet arrêt, le TF a précisé la portée de l’obligation d’instruction fondée sur l’art. 43 al. 1 LPGA. Il a considéré que l’autorité inférieure avait violé ce devoir, en omettant de compléter son dossier pour tenir compte de l’état de fait tel qu’il s’était développé jusqu’à la décision sur opposition (c. 5.3.2 et réf.). Il a affirmé qu’il n’était pas correct de statuer en l’état du dossier pour trancher la question de l’aptitude au chômage du recourant et l’obligation de prise en charge provisoire de l’assurance-chômage fondée sur l’art. 70 LPGA, alors même que le recourant avait pu prendre connaissance de la liste des pièces versées à la cause et constater ainsi que les documents permettant de motiver et d’étayer ses objections, en l’occurrence son inscription à l’assurance-invalidité et le préavis de cette autorité lui reconnaissant une capacité de travail de 80 % dans une activité adaptée, ne s’y trouvaient pas (c. 4.2, 5.2 et 5.3.2). La cause est ainsi renvoyée à l’autorité intimée pour qu’elle prenne en considération les documents mentionnés et rende, après d’éventuels éclaircissements supplémentaires, une nouvelle décision (c. 5.3.2).

Auteur : Rébecca Grand, avocate à Winterthur

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Assurance-chômage

TF 9C_390/2021 du 17 mars 2022

APG-COVID; revenu déterminant soumis à cotisation, adaptation dans le temps; art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19; 11 al. 1 LAPG; 7 al. 1 RAPG

Le litige oppose une productrice de films indépendante à la Caisse de compensation du canton de Zurich concernant le revenu cotisant déterminant pour le calcul de l’indemnité perte de gain COVID-19. Le TF commence par rappeler sa jurisprudence tirée de l’arrêt 9C_390/2021 du 8 février 2022 concernant les principes généraux intertemporels relatifs aux modifications successives, en 2020, de l’O APG COVID-19. En principe, le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition (c. 3.2.1) (cf. résumé de Me David Métille in NLRCAS Avril 2022).

En l’espèce, la perte de gain a été subie entre le 17 mars et le 16 mai 2020 et la décision sur opposition a été rendue le 16 septembre 2020. Les art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19 sont donc applicables à la présente constellation dans la version de l’ordonnance en vigueur le 16 septembre 2020, étant précisé qu’ils ont un effet rétroactif au 17 mars 2020 (c. 3.2.2).

Le TF retient ensuite que, dans le cadre d’un premier examen du droit à l’indemnité perte de gain COVID-19, non seulement les décisions définitives de cotisations, mais aussi les décisions d’acomptes (provisoires) et les communications de la Caisse de compensation concernant le revenu soumis à cotisations AVS ainsi que les calculs d’acomptes qui en découlent, peuvent servir de base à la fixation du revenu déterminant en relation avec les conditions d’octroi de l’art. 2 al. 3bis de même qu’avec le calcul de l’indemnité selon l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19. En outre, il n’existe pas de limite temporelle au 17 mars 2020 pour la prise en compte des adaptations du revenu déterminant. Si la Circulaire Corona-perte de gain (CCPG) de l’OFAS devait contenir des dispositions contraires, elles ne seraient pas contraignantes pour le tribunal (c. 6.2.1 à 6.2.3).

En l’espèce, l’instance précédente a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’administration qui s’est fondée sur un revenu déterminant soumis à cotisation de CHF 27’900.- pour l’année 2019, conformément à une communication du 29 janvier 2019. La Caisse de compensation aurait dû calculer l’indemnité perte de gain COVID-19 sur la base d’un revenu soumis à cotisation de CHF 69’200.-, adapté selon le calcul de la différence du 9 avril 2020 (c. 6.3).

Le TF a ainsi partiellement admis le recours et renvoyé l’affaire à la Caisse de compensation pour procéder au nouveau calcul (c. 6.4).

Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

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APG COVID

TF 9C_442/2021 du 17 mars 2022

APG-COVID; revenu déterminant soumis à cotisation, adaptation dans le temps; art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19; 11 al. 1 LAPG; 7 al. 1 RAPG

Le litige oppose une productrice de films indépendante à la Caisse de compensation du canton de Zurich concernant le revenu cotisant déterminant pour le calcul de l’indemnité perte de gain COVID-19. Le TF commence par rappeler sa jurisprudence tirée de l’arrêt 9C_390/2021 du 8 février 2022 concernant les principes généraux intertemporels relatifs aux modifications successives, en 2020, de l’O APG COVID-19. En principe, le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition (c. 3.2.1) (cf. résumé de Me David Métille in NLRCAS Avril 2022).

En l’espèce, la perte de gain a été subie entre le 17 mars et le 16 mai 2020 et la décision sur opposition a été rendue le 16 septembre 2020. Les art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19 sont donc applicables à la présente constellation dans la version de l’ordonnance en vigueur le 16 septembre 2020, étant précisé qu’ils ont un effet rétroactif au 17 mars 2020 (c. 3.2.2).

Le TF retient ensuite que, dans le cadre d’un premier examen du droit à l’indemnité perte de gain COVID-19, non seulement les décisions définitives de cotisations, mais aussi les décisions d’acomptes (provisoires) et les communications de la Caisse de compensation concernant le revenu soumis à cotisations AVS ainsi que les calculs d’acomptes qui en découlent, peuvent servir de base à la fixation du revenu déterminant en relation avec les conditions d’octroi de l’art. 2 al. 3bis de même qu’avec le calcul de l’indemnité selon l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19. En outre, il n’existe pas de limite temporelle au 17 mars 2020 pour la prise en compte des adaptations du revenu déterminant. Si la Circulaire Corona-perte de gain (CCPG) de l’OFAS devait contenir des dispositions contraires, elles ne seraient pas contraignantes pour le tribunal (c. 6.2.1 à 6.2.3).

En l’espèce, l’instance précédente a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’administration qui s’est fondée sur un revenu déterminant soumis à cotisation de CHF 27’900.- pour l’année 2019, conformément à une communication du 29 janvier 2019. La Caisse de compensation aurait dû calculer l’indemnité perte de gain COVID-19 sur la base d’un revenu soumis à cotisation de CHF 69’200.-, adapté selon le calcul de la différence du 9 avril 2020 (c. 6.3).

Le TF a ainsi partiellement admis le recours et renvoyé l’affaire à la Caisse de compensation pour procéder au nouveau calcul (c. 6.4).

Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

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APG COVID

TF 9C_607/2021 du 11 mars 2022

Prestations complémentaires; frais de maladie et d’invalidité, établissement du besoin d’aide, instrument FAKT 2; art. 14 LPC

Le recourant A., diagnostiqué avec un trouble du spectre autistique, est titulaire d’une rente AI et d’une allocation pour impotence grave. Il touche également des prestations complémentaires de la caisse de compensation du canton de Glaris. En l’espèce, il a fait valoir auprès de la caisse de compensation des prétentions à hauteur de CHF 31'389.95 pour les salaires de l’assistant et de CHF 21'000.- pour des soins psychiatriques de base fournis par sa mère. La caisse de compensation a refusé la prise en charge. Le TC GL a rejeté le recours formé contre la décision de la caisse de compensation. Le recourant forme alors recours au Tribunal fédéral. Le recours est rejeté.

Le TF constate que, selon l’art. 14 al. 1 let. b LPC, les cantons remboursent les frais d’aide, de soins et de tâches d’assistance, étant précisé, qu’en l’espèce, la version de la LPC en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 fait foi. Les cantons restent compétents pour désigner quels frais sont effectivement remboursés. Les cantons ont notamment la possibilité de limiter le remboursement aux frais qui découlent d’une fourniture économique et appropriée de prestations sous réserve du montant minimum prévu par l’art. 14 al. 2 et 4 LPC (c. 2.1).

L’art. 14 de l’ordonnance cantonale du canton de Glaris (Ergänzungsleistungsverordnung, ELV ; GS VIII D/13/2) reprend ces montants minimaux et ajoute les conditions suivantes : pour les bénéficiaires d’une allocation pour impotence grave ou moyenne vivant à domicile, les frais ne sont remboursés que pour la partie des soins et de l’assistance qui ne peut être fournie par une organisation d’aide et de soins à domicile reconnue au sens de l’art. 51 al. 1 OAMal. Si des membres de la famille fournissent de telles prestations, celles-ci ne sont remboursées que si les membres de la famille concernés ne sont pas inclus dans le calcul des prestations complémentaires et subissent une perte de gain importante et de longue durée en raison des soins et de l’assistance (al. 1a) (c. 2.2).

Le recourant met en cause la conformité du système prévu par le canton de Glaris avec la Constitution et le droit supérieur en soutenant que le remboursement des frais d’aide, de soins et d’assistance à domicile serait systématiquement refusé lorsque la personne assurée perçoit une contribution d’assistance. Le TF rejette cet argument en relevant que, contrairement à ce que soutient le recourant, le refus des prestations est fondé sur un examen au cas par cas (c. 4.1).

Le recourant met aussi en cause la capacité du système FAKT 2 à établir le besoin d’aide d’un assuré. Dans le FAKT 2, seules les prestations de soins de base remboursées par l’assurance obligatoire des soins seraient déduites, mais ni l’ensemble des besoins en soins de base, ni les autres besoins en soins assurés selon l’art. 7 al. 2 OPAS ne seraient établis (c. 4.2). Après avoir relevé que le système FAKT 2 est un outil apte à déterminer le besoin d’aide d’un assuré, le TF rejette l’argumentation du recourant dès lors que ce dernier n’a nulle part indiqué quels sont les besoins d’assistance qu’il pourrait avoir qui ne seraient pas prévus par le FAKT 2. En outre, contrairement à ce qu’affirme le recourant, l’art. 14 al. 1 let. b LPC n’accorde pas des prestations de soins assurées plus étendus que la loi sur l’assurance invalidité (c. 4.2). Le TF relève en effet que l’art. 42sexies al. 1 let. c LAI parle clairement en faveur du fait que le besoin en soins de base au sens de l’art. 7 al. 2 let. c OPAS est couvert par l’art. 39c RAI et est donc (en principe) inclus dans le besoin d’aide global. Il convient de distinguer le besoin d’aide total déterminé au moyen du système FAKT 2 du besoin d’aide reconnu pour le droit à la contribution d’assistance ; à cet égard, l’art. 39e al. 2 RAI prévoit des montants maximaux (c. 4.3).

Le TF rappelle que le remboursement des frais qui ont été demandés se basent également sur les aides régulières, similaires à la contribution d’assistance. L’autorité n’a ainsi pas violé le droit en renonçant à administrer d’autres moyens de preuves (c. 4.4).

Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

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Prestations complémentaires

TF 8C_256/2021 du 09 mars 2022

Assurance- invalidité; comparaison des revenus, revenu d’invalide, salaire statistique, ESS, confirmation de jurisprudence; art. 7, 8 et 16 LPGA; 4 LAI

A l’occasion d’un recours introduit par une personne assurée contre une décision de rente AI moins généreuse qu’elle ne l’espérait, la première Cour de droit social se livre à l’examen de la méthode de comparaison des revenus découlant de l’art. 16 LPGA, à l’aune des nombreuses critiques publiées récemment par différents experts.

Après avoir rappelé la comparaison des revenus imposée par l’art. 16 LPGA, la Cour expose, s’agissant du revenu d’invalide, soit du revenu encore réalisable dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, qu’il convient si possible de le déterminer concrètement, si la personne assurée a repris un emploi, qu’elle exploite effectivement sa capacité de travail et que le salaire qu’elle perçoit n’est pas un salaire social. Si ces conditions ne sont pas réunies, il faut se fonder sur des statistiques, les données utilisées étant celles de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) établie tous les deux ans par l’OFS. Cette enquête répertoriant les salaires bruts standardisés, la valeur centrale (médiane) représente la base de départ de la réflexion. Le salaire ainsi identifié peut – ou en tout cas pouvait, jusqu’à l’entrée en vigueur du nouvel art. 26bis RAI au 1er janvier 2022, qui limite fortement les possibilités dans ce contexte – être adapté à la situation concrète par le biais d’un abattement (de 5 à 25 %), ou encore par la parallélisation des revenus s’il s’avère que la personne assurée percevait, avant l’atteinte à la santé, un revenu nettement inférieur à la moyenne dans son activité, en raison de facteurs étrangers à l’invalidité et sans qu’elle ne s’en contente délibérément.

La Cour relaie ensuite les trois avis récents critiquant la méthode décrite au paragraphe précédent :

1. L’expertise du bureau BASS du 8 janvier 2021 (« Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung ») ;

2. L’avis de droit du Prof. Gächter et des Drs Meier et Filippo du 22 janvier 2021 (« Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung ») et ses conclusions du 27 janvier 2021 (« Fakten oder Fiktion ? ») ;

3. L’article de la Prof. em. Gabriela Riemer-Kafka dans la Jusletter du 22 mars 2021 (« Invalideneinkommen Tabellenlöhne ») et l’article co-publié par cette dernière et Urban Schwegler dans la RSAS 6/2021, « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn ».

La Cour prend position sur les critiques émises en retenant, en substance que :

1. La référence au marché du travail équilibré est imposée par la loi et la jurisprudence ne porte aucune responsabilité dans son interprétation (c. 9.1) ;

2. L’utilisation des statistiques ESS est l’ultima ratio (c. 9.2.1) ;

3. La référence à la valeur médiane ne pose pas de problème dès lors que l’abattement permet de l’adapter aux situations individuelles. L’application de l’abattement relevant du pouvoir d’appréciation de l’office AI et la cognition du TF étant limitée, ce n’est pas de sa responsabilité s’il est appliqué de manière incohérente (c. 9.2.1 et 9.2.2) ;

4. Ce n’est pas le bon moment pour modifier la jurisprudence, étant donné la révision de la loi et du règlement entrée en vigueur au 1er janvier 2022.

La Cour refuse donc d’opérer un revirement de jurisprudence, ce qui dans le cas d’espèce, conduit à un rejet du recours.

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

Note : Près de 2000 ans après Ponce Pilate, la deuxième Cour de droit social marche dans ses pas, et se lave les mains de l’indignation que suscite, de toutes parts, la fiction « à la Disney » dans laquelle évolue l’assurance-invalidité depuis plusieurs décennies. On apprécie tout particulièrement, dans cette affaire, que la Cour rejette la responsabilité de la situation actuelle sur le législateur et la pratique administrative, comme si le Tribunal fédéral n’avait pas, depuis plus de 30 ans, la main sur la politique sociale dans cette branche de l’assurance sociale.

On s’étonne par ailleurs grandement de ce que la première Cour de droit social n’ait pas jugé bon, dans cette affaire, de procéder à une procédure commune conformément à l’art. 23 al. 2 LTF, dès lors que la question débattue en l’espèce est d’une importance primordiale pour la mise en œuvre du droit de l’assurance-invalidité, tâche assumée tout autant par la deuxième Cour de droit social que par la première. Cela laisse deviner des rapports de force entre les deux cours qui ne sont pas de bon augure.

Le seul point positif de cet arrêt est de laisser maintenant (enfin) la main au législateur et au débat démocratique. Le 6 avril 2022, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a, à l’unanimité, cela mérite d’être souligné, déposé une motion demandant au Conseil fédéral d'instaurer une nouvelle base de calcul du revenu avec invalidité d'ici fin juin 2023 (Mo 22.3377 CSSS-N). Affaire à suivre.

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Assurance-invalidité Procédure Publication prévue

TF 9C_362/2021 du 09 mars 2022

Prévoyance professionnelle; prévoyance individuelle liée (pilier 3a), droit d’accès à la comptabilité d’une compagnie d’assurance; art. 36 LSA; 92 et 94 LCA

Le TF a jugé qu’une compagnie d’assurance n’a pas à produire à l’assurée des pièces détaillées, même lorsqu’il s’agit de vérifier les calculs permettant d’établir les « participations aux excédents ou aux bénéfices » d’un produit d’assurance du troisième pilier (lié). L’assureur peut notamment invoquer le droit au secret des affaires. Le contrôle se fait selon les règles générales prévues à l’art. 36 al. 2 LSA, notamment les contrôles effectués par la FINMA (art. 92 al. 2 et 94 LCA).

Auteur : Guy Longchamp

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 4A_230/2021 du 07 mars 2022

Responsabilité de l’employeur; relation entre droit civil et droit pénal, auxiliaire, diligence; art. 53 et 58 CO

Selon l’art. 53 CO, le juge civil n’est point lié par l’acquittement prononcé au pénal. Pour le TF, cette disposition ne concerne pas l’établissement des faits ni l’illicéité qui en résulte, de sorte qu’il échoit à la procédure civile de décider si le juge civil est lié ou non par les faits constatés au pénal. Le CPC ne contenant aucune règle à ce sujet, le TF en déduit que le juge civil n’est pas lié par l’état de fait arrêté par le juge pénal ; il décide selon sa propre appréciation de reprendre ou non les faits constatés au pénal et se prononce librement sur l’illicéité. Le TF mentionne bien qu’il a par le passé reconnu une certaine autorité au jugement pénal en s’inspirant de la jurisprudence relative au retrait administratif du permis de conduire, afin d’éviter des décisions contradictoires. Il s’agissait toutefois d’un cas isolé. Ainsi, le juge civil, même lorsqu’un procès pénal a déjà été mené, lorsqu’il examine la responsabilité de l’employeur, peut établir librement les faits et statuer librement sur la licéité ou non du comportement adopté par l’auxiliaire.

L’art. 55 CO, qui traite de de la responsabilité de l’employeur institue une responsabilité spécifique pour le fait d’autrui, fondée sur un manque de diligence de l’employeur qui est présumé. L’employeur doit ainsi supporter les conséquences des manquements de son auxiliaire. Les exigences, qui permettent à l’employeur de s’exculper, sont élevées. La diligence requise est par ailleurs proportionnelle à la dangerosité du travail de l’auxiliaire. Il faut néanmoins s’en tenir à ce qui est raisonnablement exigible dans la marche quotidienne d’une entreprise.

Il est encore souligné que la jurisprudence requiert des circonstances très strictes pour retenir une rupture de la causalité en raison du fait d’un tiers ou de la victime. Ainsi, il ne suffit pas que la faute (ou le manquement) du tiers ou de la victime puisse apparaître plus grave que celle de l’auteur du dommage.

Si un chantier présente une configuration spécialement dangereuse, par exemple de par la présence d’un trou destiné à l’aménagement d’escaliers, on peut raisonnablement attendre d’un employeur qu’il se rende sur le chantier pour apprécier l’état des lieux, détermine dans quelles conditions précises les travaux d’isolation doivent se dérouler, se préoccupe de la coordination avec les autres entreprises et, surtout, dicte les mesures de précaution à prendre.

Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont

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Responsabilité de l’employeur

TF 8C_742/2021 du 04 mars 2022

Assurance accidents; restitution d’indemnités journalières par l’employeur; art. 49 et 50 LAA; 19 al. 2 LPGA; 2 al. 1 let. c OPGA

Les indemnités journalières en cas d’accident servent à compenser une perte de gain subie en raison d’un accident et à garantir ainsi la subsistance d’une personne assurée en incapacité de travail. Dans cette perspective, elles sont insaisissables et incessibles en vertu de l’art. 22 al. 1 LPGA (c. 5.3.1).

En vertu de l’art. 49 LAA, les assureurs peuvent déléguer le paiement des indemnités journalières à l’employeur. Selon l’art. 19 al. 2 LPGA, les indemnités journalières et autres indemnités similaires reviennent à l’employeur dans la mesure où celui-ci verse un salaire à la personne assurée malgré le droit aux indemnités journalières. Le législateur a ainsi admis un versement d’indemnités journalières à l’employeur plutôt qu’à la personne assurée, mais il en a limité le montant au salaire effectivement versé par l’employeur (c. 5.3.3). S’il a reçu de l’assureur des indemnités journalières en cas d’accident sans avoir rempli son obligation de verser le salaire (cf. art. 324a al. 1 CO) par un versement effectif, l’employeur n’est titulaire d’aucune prétention sur les prétentions de la personne assurée en matière d’indemnités journalières, sachant que celle-ci dispose d’un droit de paiement direct à l’encontre de l’assureur-accidents. Tant qu’il détient ainsi sans droit le montant correspondant aux indemnités journalières, l’obligation de verser celles-ci à l’assuré ne lui incombe pas. Une compensation d’une telle obligation avec une créance de l’employeur contre son salarié assuré n’entre donc pas en considération (c. 5.3.5).

On peut dès lors laisser ouverte la question de savoir si l’art. 50 LAA, prévoyant la compensation avec des prestations échues de l’assurance-accidents par l’assureur seulement (c. 5.3.2), doit ou non être interprété comme une disposition exhaustive excluant d’autres compensations à l’égard de ces prestations (c. 5.3.5). Cela dit, dans le cas particulier de l’employeur, la possibilité de paiement par un tiers prévue à l’art. 49 LAA et à l’art. 19 al. 2 LPGA n’a pas pour but de le protéger, à la charge de l’assurance-accidents, contre le risque d’une éventuelle insolvabilité de l’employé en rapport avec des créances résultant des rapports de travail ou d’actes illicites. Une compensation par l’employeur équivaudrait à un détournement des indemnités journalières d’accident, ce qui est inadmissible compte tenu du but d’entretien qu’elles poursuivent (c. 5.3.6).

Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 1C_336/2021 du 03 mars 2022

Prévoyance professionnelle; institution de prévoyance de droit public, accès à des documents; art. 86 LPP; 26 al. 4 LIPAD

Le TF a jugé qu’une institution de prévoyance professionnelle de droit public ne pouvait opposer à des tiers les art. 86 et 86a LPP pour refuser, sur le principe, l’accès à des documents. L’affaire a été renvoyée à l’autorité inférieure pour qu’elle examine si la séance dont le procès-verbal est demandé était publique, non publique ou à huis clos, au sens des dispositions cantonales (art. 5 à 7 LIPAD).

Auteur : Guy Longchamp

Note : Cette décision, sous l’angle restreint du principe de la transparence de l’administration, peut être suivie. Elle ne manquera toutefois pas de soulever un grand nombre de questions, notamment quant à la question de la responsabilité des personnes qui veulent avoir accès à des données stratégiques – aux fins de les commenter politiquement par exemple – sans vouloir assumer une quelconque responsabilité sur la base des art. 51, 51a et 52 LPP, contrairement aux membres du Conseil de fondation.

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 8C_466/2021 du 01 mars 2022

Assurance-accidents; réduction a posteriori des prestations pour faute, lien avec la procédure pénale; art. 53 al. 2 et 17 al. 1 LPGA; 320 al. 3 et 310 al. 2 CPP

L’assuré A., né en 1956, a été victime d’un polytraumatisme du fait d’un accident de moto. Son assureur LAA, Allianz Suisse Société d’Assurances SA, lui a octroyé, par décision du 7 novembre 2013, une rente invalidité de 41 %, non réduite, ainsi que, par décision du 19 décembre 2013, une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 67,5 %. Après que l’Office AI du canton de Berne a, selon préavis du 27 octobre 2016, prévu de porter à une rente entière dès le 1er juin 2016 le quart de rente d’invalidité accordé par décision du 30 avril 2014, Allianz a, de son côté, par décision du 7 février 2018, augmenté, dès le 1er juin 2016, la rente servie à A., de 41 à 55 %, tout en réduisant cependant celle-ci de 20 %, et refusé en outre une allocation pour impotent. L’assuré A. recourt contre cette décision par-devant le Tribunal administratif du canton de Berne, aux fins d’obtenir une rente de 64 % qui ne soit pas réduite selon l’art. 37 al. 3 LAA, ainsi que de bénéficier d’une allocation pour une impotence de degré léger. Par jugement du 25 mai 2021, le Tribunal administratif du canton de Berne rejette le recours de A., dans son ensemble.

Saisi d’un recours en matière de droit public de A., le TF commence par rappeler que, s’agissant de l’octroi ou du refus de prestations de l’assurance-accidents, il examine la cause librement en fait et en droit, en vertu de l’art. 97 al. 2 LTF. Cela étant, le TF considère que le degré d’invalidité tel que retenu par Allianz et les premiers juges n’est pas critiquable, les circonstances du cas n’étant pas de celles qui permettent de justifier, selon la jurisprudence, une déduction sur le salaire statistique (c. 3.1 à 3.7). Le TF estime par ailleurs que, A. n’ayant pas, selon les constatations de l’expert, besoin de façon régulière et importante de l’aide d’autrui pour se lever/s’asseoir/se coucher, il n’a pas droit à une allocation pour impotent (c. 8.1 à 8.4).

Quant à la question de savoir si Allianz pouvait, par sa décision du 7 février 2018, réduire la rente servie à A., au titre de l’art. 37 al. 3 LAA, le TF l’examine sous deux angles : d’abord sous l’angle de la reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), puis sous l’angle de la révision selon l’art. 17 al. 1 LPGA. Le TF commence par dire qu’en tant qu’il y était prononcé de ne pas réduire la rente de A. selon l’art. 37 al. 3 LAA, la décision d’Allianz du 7 novembre 2013 n’apparaît comme manifestement erronée au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. Au moment où Allianz a pris sa décision de rente non réduite, elle avait en effet connaissance de l’ordonnance de non entrée en matière à l’encontre de A., rendue le 16 mars 2010 par le Ministère public IV de l’Oberland bernois, ce malgré les violations graves des règles de la circulation routière commises par A. lors du dépassement ayant causé son accident. Une ordonnance que le ministère public dit avoir rendue en se fondant sur l’art. 54 CP, pour tenir compte des graves blessures subies par A. lors de son accident. La règle de principe posée par l’ATF 138 V 74 (un arrêt daté du 19 décembre 2011, et qui est donc antérieur à la décision d’Allianz du 7 novembre 2013) selon laquelle l’assureur social est, lorsqu’il réclame la restitution de prestations indûment versées, lié par une ordonnance de classement ou de non-entrée en matière entrée en force (art. 320 al. 3 et 310 al. 2 CPP), fait que la décision de non réduction de rente d’Alliance du 7 novembre 2013 ne peut pas apparaître comme manifestement erronée (c. 4.1 à 4.3. et 5.1 à 5.4).

Quant à savoir enfin si Allianz pouvait, pour justifier la réduction de rente de 20 % décidée le 5 février 2018, se fonder sur la règle formulée à l’ATF 141 V 9, règle selon laquelle, s’il existe un motif de révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA, le droit à la rente doit être à nouveau examiné globalement (« allseitig »), en fait et en droit, et sans référence à des évaluations antérieures de l’invalidité, le TF répond que cela n’est pas possible. La réduction d’une rente d’invalidité selon l’art. 37 al. 3 LAA est en effet, contrairement à ce qui vaut pour la capacité de travail et les facteurs de causalité, un point de fait circonscrit dans le temps, et qui, par là même, s’il a déjà été examiné précédemment, est soustrait à la procédure de révision de l’art. 17 al. 1 LPGA ; le TF rappelant qu’il a, à l’ATF 147 V 213, dit exactement la même chose concernant le gain assuré dans la LAA, gain qui, s’il a été déterminé par une décision antérieure, ne peut plus être revu par la suite dans le cadre d’une révision selon l’art. 17 al. 1 LPGA (c. 6.1 à 6.4).

Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 9C_689/2020 du 01 mars 2022

Assurance maladie; attestation de travailleur détaché, annulation couverture d’assurance obligatoire des soins, conditions d’affiliation, art. 3 LAMal; 1 al. 1 et 4 OAMal; 13 LPGA ; 23 ss CC; 6 Convention de sécurité sociale CH-USA

A. (mère) et C. (père) sont les parents de B., née aux USA (janvier 2013). A. et B. sont affiliées auprès de Helsana qui a décidé, en 2016, de résilier rétroactivement leur couverture LAMal car elles avaient leur domicile aux USA depuis décembre, respectivement janvier 2013. Le TC VD a rejeté leur recours, le centre de leurs intérêts se trouvant aux USA et, en l’absence d’attestation de détachement, les recourantes ne pouvant pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les USA restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.

Recours est formé au TF, qui relève que les formalités en cas de détachement aux USA correspondent aux standards de coordination prévus par le droit européen et international des assurances sociales. En relation avec le droit de l’UE, le TF rappelle que l’attestation concernant la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs détachés a un effet déclaratif et non pas constitutif (ATF 134 V 428). En délivrant une telle attestation, la caisse de compensation compétente se borne à déclarer que le travailleur demeure soumis à la législation de sécurité sociale suisse tout au long d’une période donnée au cours de laquelle il effectue un travail sur le territoire de l’Etat d’accueil. En conséquence, l’absence d’attestation de détachement ne suffit pas à nier le statut de travailleur détaché. Aussi, en retenant que les recourantes ne pouvaient se voir reconnaître le bénéfice de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché du simple fait qu’elles n’avaient pas produit une telle attestation, les premiers juges ont violé le droit fédéral. Les premiers juges devaient donc examiner librement si C. remplissait les conditions pour se voir reconnaître la qualité de travailleur détaché pendant la période litigieuse. En cas de réponse positive, ils devaient ensuite examiner si les recourantes pouvaient prétendre au statut de membres de la famille d’un travailleur détaché et si elles demeuraient, pour ce motif, soumises aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur, en l’occurrence la Suisse. Le recours a été partiellement admis et la cause renvoyée au TC VD pour nouvelle décision.

Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate à Lausanne

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Assurance-maladie

TF 4A_131/2021 du 11 février 2022

Responsabilité des chemins de fer; faute grave des lésés, causalité, interruption; art. 40b et 40c LCdF

Alors qu’elles souhaitent mettre à flot un catamaran récemment acquis dont le mat monté mesure près de 7 mètres, deux personnes prévoient de passer par un passage à niveau. Lorsqu’elles s’apprêtent à franchir ledit passage, le mât du catamaran heurte le caténaire du chemin de fer qui se trouve à 5,65 mètres de hauteur. Le courant est dévié par le catamaran et cause ainsi des lésions corporelles aux deux personnes. Le litige porte sur la question de savoir si les CFF peuvent s’exonérer de leur responsabilité en raison d’une faute grave des personnes lésées (art. 40c LCdF).

Le TF interprète l’art. 40c LCdF à la lumière de sa jurisprudence relative à la rupture du lien de causalité adéquate selon laquelle le comportement d’un tiers ne constitue une cause principale au sens de cette disposition que s’il présente un degré d’importance tellement élevé, qu’il se situe à tel point en dehors du cours ordinaire des choses, que la cause établie pour le responsable causal n’apparaît plus comme juridiquement pertinente pour le dommage survenu. Ainsi, le comportement d’un tiers ne peut rompre le lien de causalité que si cette cause additionnelle est à ce point extérieure au cours ordinaire des choses qu’on ne pouvait s’y attendre. Ainsi, la réalisation du risque d’exploitation doit être d’une importance si secondaire par rapport aux faits qui s’y ajoutent qu’elle n’apparaît plus que comme une cause partielle fortuite et insignifiante du dommage (c. 1.1).

In casu, le TF rejette les arguments de la recourante (assurance-accidents des lésés), qui fait valoir que la négligence inconsciente des lésés, contrairement aux cas de négligence consciente, ne permettrait pas de neutraliser le risque d’exploitation. Le TF considère que les lésés ont créé inutilement un risque de collision dont ils étaient parfaitement conscients, du moins en ce qui concernait une possibilité de collision avec des ponts, et que, partant, le mât aurait dû être démonté pour le transport du catamaran (c. 2.2 et 2.3). Finalement, le TF indique qu’on ne saurait considérer que les CFF doivent assumer un risque d’exploitation accru en raison d’un panneau d’avertissement insuffisamment grand (c. 2.5)

Il conclut que c’est à celui qui transporte des objets inhabituellement longs en position verticale de veiller à ce que l’espace libre vers le haut soit suffisant. Il considère que les lésés ont pris un risque inutile et incompréhensible en redressant le mât pour le transport du catamaran au lieu de le transporter démonté. Pour le TF, la seule cause de l’accident est le comportement de négligence grave des personnes lésées. Partant, les conditions pour une exonération de la responsabilité civile selon l’art. 40c LCdF sont, selon lui, remplies (c. 2.6).

Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Etoy

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Responsabilité chemin de fer Causalité Faute

TF 9C_390/2021 du 08 février 2022

APG-COVID; Droit applicable en cas de modifications de la loi, portée de la notion de « taxation fiscale plus récente »; art. 2 al. 3bis et 5 par. 2 O APG COVID-19 (état au 6 juillet 2020)

Il s’agit d’un examen de la version applicable de l’O APG COVID-19, qui a rencontré plusieurs modifications dans le courant 2020, dans le cadre d’une demande d’allocations déposée en août 2020 par une physiothérapeute indépendante, pour des prestations à partir du 17 mars 2020. La caisse AVS intimée a refusé d’allouer les prestations requises.

Le TF rappelle qu’en principe le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition. Pour ce qui concerne l’établissement de la perte de gain, qui entraîne des conséquences juridiques, il doit revêtir un caractère durable. Le principe de base n’étant pas suffisant, il convient de vérifier si la base juridique applicable contient des règles de droit transitoire, ce qui est le cas pour l’ordonnance examinée. A défaut de celles-ci, la cause doit être jugée selon les bases juridiques en vigueur au fil du temps ; l’ancien droit s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur de la modification juridique et ensuite, ex nunc et pro futuro, en ce qui concerne le nouveau droit, pour autant que les conditions soient remplies (c. 3.2.1 et 3.2.2).

Dans de telles situations intertemporelles, il ne faut pas confondre la validité temporelle de la norme et le champ d’application temporel de la loi, qui peuvent ne pas coïncider. La validité temporelle d’une disposition débute par son entrée en vigueur et se termine par son abrogation. Le champ d’application temporel de la norme juridique détermine la période pendant laquelle les faits couverts dans l’état de fait doivent s’être produits (c. 3.2.1).

Dans un second temps, le TF se penche sur l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19, qui conditionne l’octroi d’indemnités perte de gain à un revenu déterminant pour le calcul de cotisations AVS se situant entre CHF 10’000.00 et CHF 90’000.00 pour l’année 2019, et sur l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 qui précise qu’un nouveau calcul pouvait être effectué après la fixation de l’indemnité si une taxation fiscale plus récente était envoyée à l’ayant droit jusqu’au 16 septembre 2020 et que celui-ci déposait une demande de nouveau calcul avant cette date.

En l’espèce, l’assurée avait produit dans un premier temps la taxation fiscale de 2019, montrant un revenu supérieur à CHF 90’000.00. Après un refus de prestations de la part la Caisse, elle a produit une nouvelle décision de taxation, pour l’année 2018, faisant état d’un revenu inférieur à la limite précitée, celle-ci étant susceptible de remplir les conditions pour l’obtention d’indemnités perte de gain. Après avoir appliqué les méthodes habituelles d’interprétation de la loi, le TF arrive à la conclusion que l’expression « une taxation fiscale plus récente » se réfère uniquement aux taxations des années 2019 et suivantes, à l’exclusion de celles relatives aux années précédentes, quelle que soit la date de leur établissement (c. 5.2 et 5.3).

Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

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APG COVID Publication prévue

TF 8C_702/2021 du 04 février 2022

Assurance-chômage; aptitude au placement d’un indépendant; art. 15 LACI

Dans cet arrêt, le TF se penche sur la question de savoir si un employé licencié est apte au placement alors même qu’il avait, en parallèle de son activité salariée, fondé une société anonyme dans le but d’être, à terme, indépendant. La caisse de chômage puis le tribunal cantonal ont, en effet, nié l’aptitude au placement de cet assuré.

Le TF rejette le recours et rappelle qu’en règle générale, les personnes exerçant durablement une activité indépendante sont d’emblée exclues du droit à l’indemnité journalière de l’assurance-chômage. Toutefois, dans la mesure où une activité soumise à cotisation a été exercée avant l’activité d’indépendant, le droit à l’indemnité de chômage doit exceptionnellement être examiné à la lumière de l’ATF 123 V 234 (applicable au travailleur qui jouit d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur). Il convient ainsi de vérifier que la demande d’indemnisation déposée auprès de l’assurance-chômage ne soit pas abusive. Est ainsi déterminante la question de savoir si l’assuré projette, à long terme, d’exercer uniquement une activité économique indépendante (c. 4.1). En effet, lorsque l’activité indépendante commence juste après le début du chômage, l’aptitude au placement doit être admise si cette activité a été entreprise dans le but de diminuer le dommage à l’assurance (c’est-à-dire en réaction face au chômage), après une phase de recherches d’emploi sérieuses, et ne correspond pas à un objectif poursuivi de toute façon et décidé déjà bien avant le début du chômage (c. 4.2 et 4.3). L’assuré qui exerce une telle activité doit poursuivre intensivement ses recherches en vue de trouver une activité salariée. Il n’incombe, en effet, pas à l’assurance-chômage de compenser dans de pareils cas les risques d’un entrepreneur ou un manque à gagner dans une activité indépendante.

En l’espèce, le TF relève que, quand bien même l’assuré était disponible sur le marché de l’emploi durant une période de plus de trois mois, il avait, bien avant son licenciement, fondé sa société dans le but d’exercer, à terme, une activité indépendante. Il est également établi qu’au moment de son inscription auprès de l’assurance-chômage, la mise en place du commerce de l’assuré n’était pas terminée de telle sorte qu’il n’était pas en mesure d’exercer son activité indépendante. En outre, l’assuré n’avait réalisé que des postulations spontanées sans répondre à aucune offre concrète d’emploi. Il avait, par ailleurs, investi des montants conséquents pour le développement de son activité d’indépendant de sorte que la probabilité qu’il accepte à nouveau un emploi en tant que salarié était faible. Cette constellation de faits présentait, selon le TF, un risque d’abus, de sorte que les autorités cantonales avaient, à juste titre, nié son aptitude au placement.

L’assuré invoquait également une violation de l’art. 27 LPGA sur le devoir d’information de l’assurance-chômage. Le TF confirme l’appréciation des autorités cantonales d’après laquelle, même si l’assuré avait été informé sur l’absence de tout droit aux prestations de l’assurance-chômage, il aurait de toute évidence démarré son activité indépendante au vu des montants importants déjà investis au sein de la société (c. 5.2).

Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Yverdon-les-Bains

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Assurance-chômage

TF 8C_421/2021 du 27 janvier 2022

Assurance-accidents; troubles psychiques, causalité naturelle et adéquate, procédure d’examen, gain assuré; art. 4 LPGA; 6 LAA; 22 OLAA

Un employé a connu deux accidents successifs. Sa situation s’est progressivement stabilisée du point de vue des capacités fonctionnelles, de sorte qu’une capacité de travail entière a pu être retenue. Les avis des médecins divergent toutefois en ce qui concerne la répercussion de troubles psychiques sur la capacité de travail de l’assuré. L’assureur-accidents a considéré que les troubles psychiques n'étaient pas en relation de causalité adéquate avec les deux accidents, raison pour laquelle il n’entendait pas mettre en œuvre d’autres mesures d’instruction afin de départager les avis des médecins. Le litige porte sur le point de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral, premièrement en considérant sur le plan somatique que la capacité de travail du recourant était complète dans une activité adaptée, deuxièmement en niant le droit de celui-ci à des prestations d’assurance en raison de ses troubles psychiques et, troisièmement, en admettant le gain annuel assuré retenu par l’intimée. Le TF confirme d’emblée les conclusions des premiers juges sur la capacité résiduelle de travail de l’assuré compte tenu des seules atteintes physiques.

S’agissant des troubles psychiques, le TF observe que tant la cour cantonale que l’assureur-accidents ont procédé à l’examen du caractère adéquat du lien de causalité entre les troubles psychiques et les accidents subis en laissant ouverte la question du lien de causalité naturelle. Il rappelle par conséquent que si la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat, il n’est en revanche pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. En l’occurrence pour le TF, il convient de renvoyer la cause à l’intimée pour qu’elle instruise ces questions au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. Ceci fait, elle se prononcera définitivement sur le droit du recourant à des prestations pour ses troubles psychiques, en procédant, au besoin, à un nouvel examen circonstancié du lien de causalité adéquate.

Le TF précise encore que ce qui précède vaut également pour les autorités de recours de première instance qui se retrouveraient dans la même constellation, à savoir saisies d’un examen du lien de causalité adéquate à l’égard de troubles psychiques alors que la question de la causalité naturelle a été laissée ouverte. Dans ce cas, si le juge parvient à la conclusion que l’appréciation de l’assureur-accidents est erronée sur un ou plusieurs critères et que l’admission du lien du causalité adéquate pourrait entrer en considération, il doit, avant de statuer définitivement sur ce dernier point, instruire ou faire instruire par l’assureur-accidents les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle.

Ceci écrit, et puisque le recourant a de toute façon droit à une rente d’invalidité du fait des séquelles physiques, le TF a encore examiné la question du gain assuré. Dans ce cadre, il a rappelé que sont seuls déterminants, d’une part, le rapport de travail et les circonstances salariales qui existaient au moment de l’évènements accidentel et, d’autre part, que l’annualisation du salaire intervient lorsqu’au moment déterminant la relation de travail a duré moins d’une année (art. 22 al. 4, 1re et 2e phrase OLAA). Dans le cas d’espèce, c’est à juste titre que les juges cantonaux ont annualisé le salaire perçu au moment déterminant, soit celui afférent à la relation de travail précédant immédiatement l’événement accidentel. Ils n’avaient pas à tenir compte des salaires touchés pour les missions antérieures.

Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne

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Assurance-accidents Publication prévue

TF 4A_615/2021 du 26 janvier 2022

Responsabilité du détenteur d’ouvrage; prescription, connaissance du dommage, état médical définitif, dies a quo; art. 58 CO; 60 aCO

A la suite d’une chute intervenue depuis une terrasse, le lésé a déposé une action contre la communauté des copropriétaires, fondée sur l’art. 58 CO. Le TF examine si cette action est prescrite selon l’art. 60 aCO, qui est applicable dans le cas d’espèce, les faits remontant au 9 août 2014. Il recherche, dans un premier temps, si la prescription plus longue découlant de l’action pénale, soit en l’occurrence celle de dix ans valant pour les lésions corporelles graves par négligence (art. 125 et 97 al. 1 lit. c CP), pourrait s’appliquer, conformément à l’art. 60 al. 2 aCO (c. 4.1).

Le TF considère que les juges cantonaux étaient en droit de retenir, sans tomber dans l’arbitraire, que le déroulement précis de l’accident n’avait pu être reconstitué que sur la base des déclarations du lésé et que celles-ci étaient imprécises et contradictoires, si bien qu’aucun fait pertinent sur le plan pénal ne pouvait être établi. N’est pas non plus critiquable la renonciation des juges cantonaux à procéder à une inspection, dès lors que près de sept ans s’étaient écoulés depuis l’accident et qu’il fallait partir du principe que les conditions locales avaient changé depuis (c. 4.2 et 4.3). C’est ainsi à juste titre que les juges cantonaux n’ont pas appliqué une prescription pénale de plus longue durée selon l’art. 60 al. 2 aCO.

S’agissant de la prescription relative d’une année selon l’art. 60 al. 1 aCO, le TF rappelle que le délai commence à courir lorsque la personne lésée a connaissance de l’auteur et des éléments essentiels du dommage lui permettant d’apprécier approximativement celui-ci et de motiver une demande en justice. En cas de lésions corporelles, le lésé a une connaissance suffisante du dommage si les conséquences médicales de l’acte dommageable sont prévisibles et peuvent être déterminées avec un haut degré probabilité, une fois l’état de santé stabilisé. C’est le cas au plus tard avec la décision de l’assureur-accident portant sur la rente. Toutefois, le montant des prestations de cette assurance ne doit pas nécessairement être connu avec certitude. La subrogation de l’assurance dans les droits du lésé n’a aucune influence sur le début et le cours de la prescription, puisque la créance du lésé passe à l’assurance telle qu’elle existait pour le lésé contre l’auteur. En particulier, il n’est pas nécessaire de connaître l’issue de la procédure devant l’assurance sociale (c. 5.1).

Le délai de prescription relatif de l’art. 60 al. 1 aCO commence à courir dès que le lésé sait qu’il a atteint l’état médical définitif. En l’espèce, les effets de l’accident du 9 août 2014 étaient connus sous tous leurs aspects au moment où le lésé a été examiné par le médecin d’arrondissement de la SUVA le 10 février 2017. Il ressort du rapport de l’assurance, daté du même jour, que l’état médical définitif avait été atteint, ce dont le lésé avait été informé, vu qu’il avait consenti à ce que le rapport soit transmis à son médecin. Le TF considère que les juges cantonaux ont retenu de manière convaincante que dès le 10 février 2017, le lésé avait une connaissance suffisante de son dommage et qu’il était en mesure de l’estimer. Il n’y avait pas lieu d’attendre la décision fixant l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, qui a été rendue le 9 janvier 2018. Le délai relatif d’une année était ainsi échu lorsque le lésé a déposé sa requête de conciliation le 20 août 2018 (c. 5.3 et 5.4).

Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne

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Responsabilité du maître de l’ouvrage Prescription

TF 8C_110 et 175/2021 du 26 janvier 2022

Prévoyance professionnelle; oligation d’assurance, affiliation rétroactive, dommages-intérêts dus par l’employeur; art. 1 LPP; 10 OPP2; 3 ss LRCF

Le TF a jugé qu’un employeur (et non l’institution de prévoyance) devait compenser le dommage causé à un employé qui n’avait pas été annoncé à l’institution de prévoyance. Le dommage consiste en la différence entre la prestation de vieillesse que l’assuré aurait effectivement perçue sur la base des bonifications de vieillesse qui auraient dû être versées et la prestation de vieillesse réellement versée à l’assuré. La Haute Cour a précisé que les cotisations de l’assuré qui n’ont pas été prélevées sur son salaire pouvaient être portées en déduction du dommage.

Auteur : Guy Longchamp

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Responsabilité de l’Etat Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 8C_432/2021 du 20 janvier 2022

Assurance-chômage; domicile en Suisse, distinction entre vrai frontalier et faux frontalier, art. 65 al. 2 R (CE) n° 883/2004; 8 al. 1 let. c et 121 al. 1 let. a LACI

Un ressortissant italien est arrivé en Suisse en avril 2019 au bénéfice d’un permis L pour travailler comme ouvrier. Son contrat a pris fin le 14 novembre 2019, date de son inscription au chômage. Il a ensuite recommencé à travailler pour le même employeur en Suisse le 6 avril 2020. L’autorité valaisanne a refusé de lui allouer des indemnités de chômage, au motif qu’A. devait être qualifié de vrai frontalier et qu’il devait s’adresser à son Etat de résidence. Les juges cantonaux ont, au contraire, jugé que la condition du domicile en Suisse était remplie (c. 3.1).

Sur recours de l’autorité valaisanne, le TF rappelle qu’en présence d’une situation transfrontalière, les règlements de coordination conclus avec l’Union européenne s’appliquent, en particulier l’art. 65 al. 2 R (CE) n° 883/2004 cum 121 al. 1 let. a LACI (c. 4.1 s.). En parallèle, c’est le droit interne qui fixe les conditions d’octroi des prestations. En l’occurrence, l’art. 8 LACI prescrit que l’assuré doit résider en Suisse pour pouvoir prétendre aux prestations du chômage (c. 4.3). La question de savoir si le travailleur avait son domicile en Suisse ou en Italie peut toutefois rester ouverte (5.1). En effet, à défaut d’être retourné chaque jour ou au moins chaque semaine en Italie, auprès de sa famille, le travailleur doit être qualifié de faux frontalier (c. 5.2). Or, les faux frontaliers ont la possibilité de requérir les prestations du chômage dans l’Etat de leur dernier emploi plutôt que dans leur Etat de résidence (art. 65 al. 2 3e phr. R n° 883/2004). On ne peut pas exiger d’eux qu’ils disposent d’un domicile en Suisse au sens de l’art. 8 LACI. Il suffit qu’ils se mettent à disposition des services de placement en Suisse (c. 5.3).

In casu, le travailleur a toujours été à disposition du service de placement en Valais, où il se rendait fréquemment. De plus, en retournant travailler auprès du même employeur en Suisse en avril 2020, A. a démontré son intention de poursuivre son activité en Suisse. L’autorité compétente ne peut être suivie lorsqu’elle soutient que tant les vrais frontaliers (qui retournent chez eux chaque jour ou chaque semaine) que les faux frontaliers (qui ne retournent qu’occasionnellement chez eux) ne peuvent prétendre au chômage que dans leur Etat de résidence (c. 5.4). Le recours de l’autorité valaisanne est rejeté.

Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

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Assurance-chômage Publication prévue

TF 8C_558 et 559/2021 du 20 janvier 2022

RHT-COVID; employeur public, risque d’exploitation; art. 31 al. 1 let. b et d, 32 al. 1 et 3 LACI; 51 OACI

Les conditions posées par la loi et la jurisprudence en vue de l’octroi de l’indemnité en cas de RHT (ATF 121 V 362) sont les mêmes pour tout employeur, qu’il s’agisse d’un employeur public ou d’un employeur privé.

L’allocation de l’indemnité en cas de RHT qui a pour finalité d’éviter un licenciement associe le risque économique que court le personnel touché par la réduction de l’horaire de travail de perdre son emploi au risque propre d’exploitation qu’assume l’entreprise concernée. L’indemnité en cas de RHT est une mesure préventive au sens large et doit pouvoir éviter, à brève échéance, un licenciement. Le risque de licenciement doit être imminent.

La perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. Cette condition n’est pas remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou risque de fermeture de l’exploitation.

La directive 2020/06 du SECO qui prévoit que le risque de disparition d’emplois constitue une condition essentielle du droit à l’indemnité en cas de RHT ne fait que préciser les principes dégagés par la jurisprudence et repris par la doctrine.

Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

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RHT COVID

TF 9C_376/2021 du 19 janvier 2022

Prestations complémentaires; revenus déterminants, revenu hypothétique, dessaisissement; art. 9, 10 et 11 LPC; 14a OPC

Est litigieux le montant de la prestation complémentaire d’un assuré, invalide à 61 %, ayant atteint l’âge de 60 ans durant la période déterminante et dont l’épouse a perdu son emploi, avant de s’annoncer elle aussi à l’assurance-invalidité.

Selon la jurisprudence, il faut prendre en considération le revenu hypothétique d’un conjoint, au sens des ressources en espèces dont un ayant droit s’est dessaisi (art. 11 al. 1 let. a et g LPC), lorsqu’il a renoncé à une activité exigible. C’est à l’aune de la vraisemblance prépondérante qu’est jugée l’exigibilité de cette activité. Cette présomption est réfragable, si l’assuré prouve qu’interviennent – indépendamment d’une invalidité partielle ou non – des facteurs tels que l’âge, la formation, les connaissances linguistiques ou les circonstances personnelles.

L’art. 9 al. 5 let. c LPC donne le pouvoir au Conseil fédéral d’édicter des dispositions sur la prise en compte du revenu de l’activité lucrative pouvant ainsi être raisonnablement exigée des personnes concernées ; l’art. 14a OPC introduit une césure entre les invalides n’atteignant pas les montants maximum définis par cette disposition et âgés de moins de 60 ans, pour lesquels est pris en compte le revenu hypothétique (lequel ne correspond pas forcément à celui intervenant dans le calcul de la rente d’invalidité AI), et ceux âgés de 60 ans ou plus, pour lesquels c’est le montant effectivement obtenu qui est pris en compte.

Dans le cas d’espèce, selon le TF, c’est à tort que l’administration et la cour cantonale n’ont pas examiné plus précisément le revenu hypothétique exigible de l’assuré avant l’âge de 60 ans (on ne peut pas sans autre se baser sur la comparaison des revenus découlant de l’art. 16 LPGA) et n’ont pas déduit comme dépenses, à compter de l’âge de 60 ans, les frais d’obtention du revenu, au sens de l’art. 10 al. 3 let. a LPC. Pour ces motifs, la cause doit être renvoyée à l’administration, afin qu’elle procède à de nouveaux calculs.

En revanche, de l’avis du TF, c’est à bon droit que la cour cantonale a pris en considération un revenu hypothétique de CHF 28’194 de l’épouse de l’assuré, correspondant à son précédent revenu effectif. En effet, c’est en violation de son obligation de diminuer le dommage que celle-ci a mis fin à son emploi, au motif qu’elle ne gagnait pas assez, sans faire les efforts nécessaires pour recouvrer rapidement un emploi.

Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion

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Prestations complémentaires

TF 9C_759/2020 du 12 janvier 2022

Prévoyance professionnelle; prévoyance surobligatoire, prestations de vieillesse, concours de prestations sociales, surindemnisation, assuré atteignant l’âge de 65 ans, art. 34a LPP; 24a OPP2

Sur la base des dispositions légales et réglementaires en vigueur dans le domaine de la prévoyance surobligatoire, une institution de prévoyance peut valablement continuer de réduire pour cause de surindemnisation, même en présence d’un assuré ayant atteint l’âge légal de la retraite de 65 ans, une (demi-) rente d’invalidité, tout en accordant une demi-rente de vieillesse, au motif que l’assuré perçoit parallèlement une rente d’invalidité de l’assurance-accidents de 49 % (LAA) et une rente complète de vieillesse du premier pilier (LAVS).

Auteur : Guy Longchamp

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 8C_547/2021 du 11 janvier 2022

Assurance-invalidité; restitution de prestations indues, délai de l’action pénale, lien entre la procédure pénale et la procédure administrative, exigences pour la sauvegarde du délai; art. 25 LPGA

Le TF rappelle les règles applicables à la péremption de la demande en restitution de prestations versées à tort, en l’espèce pendant une longue période, en raison d’une violation, par la personne assurée, de son obligation de renseigner. En particulier, il rappelle que le délai de prescription de l’action pénale est déterminant si l’acte commis par la personne assurée relève d’une infraction pénale (art. 25 al. 2, 2e phr., LPGA).

Si une condamnation pénale a d’ores et déjà été prononcée et est entrée en force, l’assureur social, respectivement le juge des assurances sociales, est tenu par cette décision. En l’absence d’une telle décision, ces derniers doivent, à titre préjudiciel, déterminer si l’acte reproché à la personne assurée est constitutif ou non d’une infraction pénale. Ce faisant, ils doivent respecter les règles du droit pénal en matière de preuve. Le degré de la vraisemblance prépondérante, pertinent pour le droit des assurances sociales, ne l’est pas à cet égard (c. 6.2). En l’espèce, cette question n’ayant pas été suffisamment instruite, l’affaire doit être renvoyée à la cour cantonale (c. 9.2 et 10).

Pour sauvegarder valablement les délais de péremption de l’art. 25 al. 2 LPGA, la décision de l’office AI doit formuler clairement la demande de restitution ainsi que la période exacte sur laquelle elle porte. Il n’est en revanche pas nécessaire que le montant exact en francs soit indiqué. Une décision indiquant la réduction rétroactive de la quotité de la rente et mentionnant le retrait de l’effet rétroactif pour le cas où cette modification entraînerait une demande de restitution est insuffisante pour sauvegarder le délai (c. 7). Si la décision portant sur la demande de restitution et indiquant à satisfaction la période concernée est révoquée par la suite, cela ne fait pas obstacle à la sauvegarde du délai (c. 8).

Auteure : Anne-Sylvie Dupont

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Assurance-invalidité

TF 4A_394/2021 du 11 janvier 2022

Assurance perte de gain; comportement frauduleux, fardeau de la preuve; art. 40 LCA

Le TF commence par rappeler les conditions d’application de l’art. 40 LCA, à savoir une condition objective qui consiste à une dissimulation ou à une communication inexacte de faits susceptible d’exclure ou de réduire les prestations, ainsi qu’une condition subjective qui suppose une intention de tromper de la part de l’assuré.

Puis le TF rappelle les principes applicables en matière de fardeau de la preuve. L’assuré doit apporter la preuve des éléments fondant le droit à l’assurance et l’assureur doit démontrer les faits qui lui permettent de réduire ou de refuser de prester. La preuve doit être apportée de manière stricte et un allégement sous la forme de la vraisemblance prépondérante n’est admissible que si la preuve stricte n’existe pas. Notre Haute Cour relève alors que la preuve de la condition subjective de l’art. 40 LCA ne peut jamais être apportée de manière stricte ce qui justifie l’allègement sous la forme de la vraisemblance prépondérante. En revanche, s’agissant de la condition objective, la preuve doit en principe être apportée de manière stricte.

En application des principes susmentionnés, le TF a estimé que l’indépendant qui annonçait une incapacité de travail à l’assureur et qui, quelques jours après, reprenait son activité, même à titre temporaire, sans l’annoncer, commettait une fraude. L’assuré ne peut à la fois prétendre à des indemnités journalières et exercer une activité professionnelle. Dans cette affaire, l’assuré prétendait que la reprise de travail était une tentative censée refléter son obligation de réduire le dommage. Le TF a estimé que, non seulement, la reprise de l’activité à titre d’essai n’était pas démontrée et que, par ailleurs, même si tel était le cas cette tentative aurait dû être annoncée à l’assureur. Il est en outre exclu de considérer cette tentative comme faisant écho à l’obligation de réduire le dommage dans la mesure où l’assuré a malgré tout perçu des indemnités journalières.

Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne

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Assurances privées Publication prévue

TF 4A_330/2021 du 05 janvier 2022

Assurance privée; assurance perte d’exploitation, COVID-19, couverture des épidémies, validité de la clause d’exclusion d’une pandémie; art. 18 CO; 33 LCA

Dans cet arrêt, le TF statue pour la première fois, en relation avec le COVID-19, sur une clause d’exclusion de la couverture des conséquences économiques d’une pandémie de niveau 5 ou 6 selon la classification de l’OMS, dans le cadre d’un contrat qui couvre en principe les épidémies. Il renverse la décision cantonale favorable à l’assuré de manière quelque peu cavalière si l’on tient compte de l’objectif central visé par la législation sur le contrat d’assurance, qui est de protéger la partie qui se voit imposer l’utilisation des conditions d’assurance. Comme le TF le rappelle lui-même dans son arrêt, celle-ci ne doit pas nécessairement être faible et inexpérimentée. Même une partie rompue à une branche donnée peut être surprise par une disposition reprise globalement dans des conditions générales (c. 2.1.3.1).

Le TF procède pour ce faire au contrôle des conditions d’assurances, rédigées par l’assureur et acceptées de manière globale par le preneur d’assurance. Il vérifie tout d’abord si les clauses litigieuses ont été valablement incorporées au contrat (principe de transparence et règle de la clause insolite), puis si elles sont claires (règle de la clause ambiguë, art. 33 LCA). Ce faisant, il arrive, contrairement à l’autorité inférieure, à la conclusion que la clause d’exclusion litigieuse n’est pas objectivement insolite et qu’elle est rédigée de manière claire et non équivoque, de sorte qu’elle est valide. Il admet dès lors le recours de l’assureur.

Cette issue de la procédure devant le TF est étonnante, compte tenu du fait que le Prof. Walter Fellmann a rendu le 23 avril 2020, sur demande de l’Ombudsman de l’assurance privée et de la SUVA un avis de droit publié sur le site de ce dernier et que ce document semble ne pas avoir été pris en compte au cours de la procédure, à tout le moins dans cet arrêt.

Auteur : Matthias Stacchetti, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel

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Assurances privées Publication prévue Analyse

TF 2C_199/2020 du 28 décembre 2021

Prévoyance professionnelle; rachats, versement en capital, limitations d’ordre fiscal; art. 79b LPP

Le rachat effectué dans le but d’améliorer une rente transitoire versée jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite (rente pont AVS) n’est pas limité par l’art. 79b al. 3 LPP. En l’espèce, et dans ce contexte bien particulier, le TF a considéré que le rachat de CHF 62’050.40 effectué le 29 mai 2015 par l’assuré en vue d’améliorer spécifiquement la rente transitoire (pont AVS) débutant le 1er juillet 2015 pouvait entièrement être déduit fiscalement. Le fait que la prestation de vieillesse soit versée dans le délai de carence de trois ans n’est pas déterminant, dès lors qu’elle est effectuée sous forme de rente et non de capital.

Auteur : Guy Longchamp

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Prévoyance professionnelle Publication prévue

TF 9C_764/2020 du 23 décembre 2021

Assurance-maladie; financement hospitalier, passage du système du «financement des établissements» au système du «financement des prestations par cas», conséquence de ce passage pour des cas d’hospitalisation à cheval sur les deux systèmes; art. 41 al. 1bis, 49 al. 1 et 49a al. 1 LAMal

Le système dit du financement des prestations par cas est, dans le canton de Zurich, devenu effectif le 1er janvier 2012. Or, pour des hospitalisations qui se sont déroulées en partie avant le 1er janvier 2012 et en partie après le 31 décembre 2011, la société A. SA, qui exploite la clinique A., a réclamé au canton de Zurich le paiement, dans un premier temps, de la moitié de la part cantonale, de CHF 412'328.20, et, dans un deuxième temps, de la part cantonale non réduite, de CHF 824'656.36, demande de paiement que le canton de Zurich a refusé d’honorer. Par jugement du 3 novembre 2020, le Tribunal administratif du canton de Zurich a prononcé qu’au regard des principes généraux qui valent en matière de droit transitoire, c’est selon le nouveau modèle de financement par prestations que les hospitalisations à cheval entre 2011 et 2012 devaient être prises en compte, et ce pour leur durée entière.

Le TF admet partiellement le recours en matière de droit public du canton de Zurich, considérant que, s’agissant de l’application des principes de droit transitoire, les premiers juges ne pouvaient pas faire remonter l’application du nouveau système de financement par prestation à avant le 1er janvier 2012. Une telle rétroactivité n’aurait été possible que si elle avait été prévue par la loi ou si elle avait reposé sur un intérêt public prépondérant. Ni l’une ni l’autre de ces conditions n’est remplie ici (c. 5.3).

Au reste, étant donné que le système de financement en place avant le 1er janvier 2012 reposait sur le droit cantonal, le TF ne peut parler d’une violation du droit fédéral que pour la partie des traitements postérieure au 31 décembre 2011, le financement de cette partie devant se faire, dit le TF, pro rata temporis, à l’image de ce que prévoit le chiffre 3.6 des règles et définitions pour la facturation des cas établies par SwissDRG SA (c. 5.4).

Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

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Assurance-maladie Publication prévue

TF 9C_603/2021 du 16 décembre 2021

APG-COVID; indemnités pour indépendants, cas de rigueur; art. 15 Loi COVID-19; 2 al. 3 et 3bis O COVID-19

A. est musicien indépendant et affilié à la Caisse cantonale de compensation lucernoise en tant que tel depuis 1er janvier 2020. Le 15 janvier 2021, il a déposé une demande d’indemnisation en lien avec la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19. Sa demande a été rejetée notamment au motif qu’il n’avait pas réalisé en 2019 un revenu AVS d’au moins CHF 10’000.- au sens de l’art. 2 al. 3bis let. c O COVID-19. Néanmoins, A. fait valoir qu’il n’a initié son statut d’artiste indépendant qu’au début de l’année 2020 et qu’il avait de toute façon réalisé des revenus soumis AVS en 2019 provenant d’activités lucratives (dépendantes) en tant que salarié.

Le TF confirme le fait que l’interprétation des dispositions visées de l’O COVID-19 ne laisse place à aucun doute quand bien même il est également question de perte de gain ou de salaire dans le texte (cf. art. 2 al. 3 let. b O COVID-19). En effet, cette distinction concerne d’une part les indépendants au sens de l’art. 12 LPGA et de l’autre les personnes visées par l’art. 31 al. 3 let. b et c LACI (réduction de l’horaire de travail). Il ne peut donc pas être compris que les revenus AVS réalisés en 2019 en tant que salarié puissent également être pris en considération pour l’ouverture d’un droit à une indemnisation (c. 4.5).

Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

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APG COVID

TF 9C_386/2021 du 15 décembre 2021

Assurance invalidité; mesures médicales, blessures, origine inconnue; art. 12 LAI; 2 al. 4 aRAI

L’office AI interjette un recours contre une décision de l’instance cantonale aux termes de laquelle il lui appartiendrait de prester au titre de l’art. 12 LAI en relation avec une épiphysiolyses femoris capitis, faisant valoir que cette atteinte à la santé serait d’origine accidentelle.

Selon le TF, les premiers juges ne pouvaient pas se contenter d’observer que le traitement était directement nécessaire à la réadaptation professionnelle. Conformément à l’art. 2 al. 4 aRAI, dans sa teneur en vigueur au moment des faits, ne sont pas considérées comme mesures médicales au sens de l’art. 12 LAI, entre autres, les traitements de blessures.

A cet égard, la Circulaire sur les mesures médicales de réadaptation de l’AI (CMRM) dispose que les mesures médicales visant à traiter les épiphysiolyses qui sont apparues après des accidents ou qui ont provoqué des douleurs pour la première fois après un accident n’entrent pas dans le cadre des prestations de l’AI (ch. 734/934).

Comme l’instance précédente n’a pas instruit la question du caractère accidentel de l’atteinte à la santé, l’affaire doit lui être renvoyée afin qu’elle clarifie cette question et statue ensuite à nouveau sur l’éventuel droit à des mesures médicales selon l’art. 12 LAI.

Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

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Assurance-invalidité

TF 9C_736/2020 du 10 décembre 2021

Assurance-maladie; prix des médicaments, liste des spécialités, examen triennal, critères de l’adéquation et de l’économicité; art. 32 al. 1 et 2, 43 al. 6 et 52 al. 1 let. b LAMal; 30 ss OPAS; 65 ss OAMal

A. SA est titulaire d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le médicament B., délivrée par Swissmedic. B. figure sur la Liste des spécialités pharmaceutiques et des médicaments confectionnés avec prix (LS). Par circulaire du 13 décembre 2017, l’Office fédérale de la santé publique (OFSP) a informé A. SA que B. devait être soumis à l’examen triennal des conditions d’admission des préparations figurant sur la LS (art. 65d al. 1 OAMal et 34d OPAS). A ce titre, l’OFSP demandait des informations sur le respect des critères d’adéquation et d’économicité, notamment s’agissant de la comparaison thérapeutique transversale (CTT) effectuée. A. SA. a proposé d’analyser le rapport coût bénéfice en procédant à une comparaison thérapeutique (TQV) entre B. (forme galénique : substance sèche pour la préparation de solution injectable) et le médicament D. (forme galénique : comprimés pelliculés), les deux médicaments traitant la même pathologie. D. est en ce sens un médicament de substitution par rapport à B. Les parties ne sont toutefois pas parvenues à se mettre d’accord sur l’utilisation des critères d’adéquation et d’économicité. L’OFSP a finalement conclu par décision du 7 décembre 2018 que B. pouvait certes être considéré comme adéquat dans sa forme galénique actuelle, à condition que A. SA dépose, pour B., une demande d’inscription d’un plus petit emballage et d’un nouveau dosage dans la LS. En effet, les études menées avaient démontré que B. subissait d’importants rebus (gaspillages) pour une certaine quantité requise par kilogramme de poids corporel du patient. Il se justifiait donc de n’admettre à long terme l’utilité de B., déjà listé dans la LS, qu’à la condition d’introduire un emballage plus petit avec un dosage différent. S’agissant du critère d’économicité, il ne fallait pas selon l’OFSP tenir compte du coût de la dose effectivement administrée mais bien du prix du plus petit emballage lors de la comparaison des médicaments. Sur cette base, l’OFSP a retenu une baisse de prix du médicament B. Par arrêt du 7 octobre 2020, le TAF a rejeté le recours formé contre la décision du 7 décembre 2018. A. SA a alors interjeté devant le TF un recours en matière de droit public.

Rappel du critère de l’adéquation (c. 4) – Le critère de l’adéquation est déterminé par l’utilité diagnostique ou thérapeutique de l’application dans le cas d’espèce, compte tenu des risques qui y sont liés, mesurés en fonction du succès thérapeutique visé, à savoir la suppression aussi complète que possible de l’atteinte physique ou psychique ainsi que du risque d’utilisation abusive. Selon la pratique administrative, l’évaluation de l’adéquation se fait sur la base du rapport entre le succès et l’échec d’une application ainsi que de la fréquence des complications. L’examen de la taille des emballages eu égard au critère d’adéquation est correct, même si cet examen présente des interfaces avec le critère d’économicité (c. 4.3.2 et 4.3.3). L’OFSP peut assortir l’admission d’un médicament (y compris lors de son examen triennal) de conditions conformément à l’art. 65 al. 5 OAMal. Même si l’art. 33 OPAS est formulé de manière ouverte (ne mentionne pas expressément la question du dosage et de la taille de l’emballage) il constitue aux côtés de l’art. 32 al. 2 LAMal une base légale suffisante pour la condition contestée (c. 4.4). La proportionnalité de la condition contestée a été admise (c. 6).

Rappel du critère d’économicité (c. 7) – Selon l’art. 65b al. 1 OAMaL, un médicament est considéré comme économique s’il garantit l’effet thérapeutique indiqué avec un coût aussi faible que possible. Cette disposition concrétise l’objectif du réexamen périodique prévu à l’art. 32 al. 2 LAMal au sens de la garantie que les médicaments remplissent en tout temps le critère EAE de l’art. 32 al. 1 LAMal. L’efficacité et le coût (journalier ou par cure) des préparations originales qui figurent dans la LS au moment du réexamen par rapport à d’autres médicaments utilisés pour le traitement de la même maladie sont examinés à cette occasion. La TQV s’effectue sur la base du plus petit emballage et du plus petit dosage à moins que ceux-ci ne permettent pas une comparaison adéquate avec le médicament de référence (art. 65d al. 2 OAMal). Si le réexamen révèle que le prix maximum en vigueur est trop élevé, l’OFSP ordonne, pour le 1er décembre de l’année du réexamen, une baisse de prix au niveau du prix déterminé selon les art. 65b al. 5 et 67 al. 1quater OAMal (c.7.2). Il n’est pas contesté en l’espèce que la TQV devait s’effectuer en comparant B. à D. Toutefois, bien que la recourante considère qu’il est plus pertinent de se baser sur le coût de la dose effectivement utilisée (comme c’est le cas pour le médicament D.), l’important gaspillage résultant de l’administration du médicament B. est une raison suffisante pour s’écarter de la procédure utilisée pour le médicament D. Il convient donc en l’espèce de considérer le coût d’une boite entière de B. plutôt que la dose effectivement utilisée comme coût déterminant du traitement journalier. En procédant de la sorte, l’autorité intimée a tenu compte des particularités du médicament B. (c. 8 à 10). Le recours est rejeté.

Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

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Assurance-maladie Publication prévue

TF 6B_343/2021 du 09 décembre 2021

Responsabilité aquilienne; accident, moto sur circuit, lésions corporelles graves par négligence, violation des règles du sport, acceptation du risque; art. 125 al. 2 CP; 2.1.20 du code sportif établi par la Fédération française de motocyclisme

Se référant à un arrêt 6B_261/2018, le recourant soutient qu’il devrait être acquitté du chef d’inculpation de lésions corporelles graves par négligence, dans la mesure où il n’a pas violé les règles du sport. Selon lui, le risque de chute est inhérent à tous les roulages libres à moto, et la lésée l’avait accepté (c. 3).

Lorsqu’il existe des prescriptions spéciales de prévention d’accident ou de sécurité, il faut en tenir compte en premier lieu pour déterminer les devoirs imposés par la prudence. En l’absence de telles règles, il doit être tenu compte des règles édictées par des associations privées ou semi-publiques pour réglementer un domaine particulier ou une activité donnée. Lorsqu’aucune règle de sécurité spécifique n’existe ou n’a été violée, le devoir de diligence s’apprécie à l’aune des principes généraux du droit et notamment du principe « neminem laedere » (c. 3.2.1).

Il existe un risque de lésions corporelles inhérent à toute activité sportive. Les atteintes à l’intégrité corporelle infligées durant une rencontre sportive seront, jusque dans une certaine mesure, couvertes par l’assentiment (implicite) du lésé, et ainsi considérées comme licites. La pratique d’un sport n’implique toutefois que l’acceptation des risques normaux liés à l’exercice de ce sport conformément à ses règles. Il ne saurait y avoir acceptation de risques lorsque les lésions infligées résultent de la violation intentionnelle ou grossière des règles du sport par un autre participant (c. 3.2).

Dans l’arrêt 6B_261/2018, le TF avait considéré qu’il existait dans les courses cyclistes un risque élevé de chutes pouvant entraîner des lésions corporelles, voire le décès d’un coureur, étant donné qu’il était permis de rouler dans le sillage d’autres coureurs (c. 3.2.2). Dans cet arrêt, le TF avait retenu que la limite du risque spécifique à la discipline sportive n’avait pas été dépassée et que le danger avait été créé par l’ensemble des coureurs, sous leur propre responsabilité (c. 3.2.2).

La 1re Cour de droit social du Tribunal fédéral a considéré que la pratique de la moto sur circuit, en dehors de toute compétition, constituait une entreprise téméraire absolue, donnant lieu à réduction de prestations de l’assurance-accident (c. 3.2.3).

L’accident s’est produit sur un circuit, de sorte que le droit de la circulation, qu’il soit suisse ou français, ne trouve pas application. Est applicable en l’espèce, le code sportif établi par la Fédération française de motocyclisme qui prévoit notamment que « les coureurs sur le point de dépasser ou d’être dépassés ne doivent pas se gêner les uns les autres ». En particulier, il est admis qu’afin de garantir la sécurité de l’autre pilote et la sienne dans son dépassement, le pilote qui dépasse doit faire en sorte que le pilote qu’il veut dépasser ait le temps de le voir avant qu’il ne déclenche son virage (c. 3.3.1).

En l’espèce, l’accident est dû à une mauvaise appréciation de la situation par le recourant. En pratiquant la moto sur circuit, même en dehors de toute compétition, la lésée a accepté de prendre des risques, notamment ceux liés à des chutes provoquées par une faute personnelle, comme celle qu’elle avait déjà subie auparavant sur ce même circuit. Elle réduisait toutefois les risques, en roulant derrière son compagnon, qui lui montrait les trajectoires, et en respectant les distances. En cela son comportement n’est pas comparable à celui des cyclistes dans l’arrêt 6B_261/2018. Elle ne s’attendait pas qu’un participant surgisse de manière imprévue pour la dépasser, par l’intérieur du virage, sans respecter une distance latérale suffisante. Elle ne pouvait donc pas accepter le risque qu’une telle situation se produise. Compte tenu de la dangerosité du dépassement entrepris par le recourant, on ne saurait admettre que l’intimée a accepté les lésions corporelles qu’elle a subies. C’est donc à juste titre que la cour cantonale a condamné le recourant pour lésions corporelles graves par négligence (c. 3.3.2).

Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud

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Faute

TF 8C_555/2021 du 24 novembre 2021

RHT-COVID; réduction des horaires d’ouverture d’un bar, perte de travail à prendre en considération; art. 31 al. 1 let. b LACI

Le TF est saisi d’un recours du Service de l’emploi du canton de Schwytz. Ce service contestait la décision de la dernière instance cantonale confirmant que la réduction des heures d’ouverture d’un bar ne constituait pas une violation du devoir de diminution du dommage mais bien, une perte de travail à prendre en considération au sens de l’art. 31. al. 1 let. b LACI (c. 4.3 et 5). Après un examen in concreto, l’autorité inférieure avait considéré comme plausible que l’assurée ne pouvait pas exploiter son établissement de manière rentable pendant les heures de fermeture décidée par le tenancier. Cette réduction de l’horaire d’ouverture ne prenait pas sa source dans le fait que le temps de travail des collaborateurs avait été réduit. Elle était, au contraire, la conséquence des restrictions d’exploitation induites par les prescriptions relatives à la pandémie du COVID-19 (c. 4 ss). La réduction des horaires d’ouverture du bar avait donc une justification économique (betriebswirtschaflich sinnvoll) (c. 4.3). Le TF a confirmé la décision cantonale et débouté le Service de l’emploi (c. 5).

Auteure : Rébecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Winterthour

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RHT COVID

TF 8C_503/2021 du 18 novembre 2021

RHT-COVID; indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT); art. 32 al. 1 let. a et 33 al. 1 let. a LACI

Pour obtenir des indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en raison d’une pandémie, l’employeur doit rendre vraisemblable que celle-ci a causé une perte de travail allant au-delà des risques normaux d’exploitation qu’il doit supporter en vertu de l’art. 33 al. 1 let. a LACI. L’existence du droit à ces prestations doit être examinée en fonction de la situation particulière de l’employeur concerné ; le fait que la branche économique à laquelle celui-ci appartient ait en moyenne été peu touchée n’exclut pas qu’il puisse avoir subi des pertes excessives, en fonction de ses propres particularités (c. 4.3).

Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

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RHT COVID

TF 8C_272/2021 du 17 novembre 2021