Jurisprudence
Analyses

Jurisprudence
TF 6B_47/2021 du 22 mars 2023
Responsabilité aquilienne; faute, causalité, homicide par négligence, position de garant; art. 12 al. 3 et 117 CP
Une boulangerie confie à une entreprise de peinture le soin de repeindre son conteneur à ordures métallique comportant à l’avant un dispositif permettant de verser les déchets et à l’arrière une trappe servant à les vider (Müll-Press-Box). Elle en informe son employé (ci-après : l’intimé). Le 26 mai 2015, l’employé de l’entreprise de peinture effectue les travaux de peinture sur le conteneur stationné sur le quai de chargement de la boulangerie. A cette occasion, il demande à un employé de la boulangerie de l’aider à ouvrir le couvercle de déchargement de la benne, qui pèse environ 220 kg. L’employé de la boulangerie demande à son supérieur, l’intimé, si lui ainsi qu’une autre personne peuvent aider le peintre à ouvrir la trappe en question et s’ils peuvent utiliser le transpalette électrique à cet effet. L’intimé l’autorise en précisant que la porte de déchargement doit être sécurisée lors de son ouverture. Lors de la manœuvre, la porte de déchargement du conteneur glisse des extrémités des fourches du transpalette et se referme, touchant le peintre à la tête. Celui-ci subi de très graves blessures à la tête et décède sur le lieu de l’accident. L’intimé est reconnu coupable d’homicide par négligence par le tribunal de première instance puis acquitté en seconde instance. La partie plaignante recourt au TF faisant valoir que l’intimé avait une position de garant vis-à-vis du peintre et qu’il aurait en outre violé son devoir de diligence (c. 3).
Le TF commence par rappeler que pour qu’une personne soit déclarée coupable d’homicide par négligence, il faut que l’auteur ait causé le résultat en violant un devoir de diligence et que, ce n’est que si celui-ci se trouve dans une position de garant, qu’il est possible de déterminer l’étendue du devoir de diligence et les actes concrets qu’il est tenu d’accomplir en vertu de ce devoir de diligence (c. 3.3.2 et 3.3.3).
Il examine ensuite la question de savoir si l’intimé avait une position de garant vis-à-vis du peintre et dans l’affirmative s’il a violé son devoir de diligence et considère que la décision attaquée viole le droit fédéral (c. 5). Le TF relève que lorsque l’intimé, dans le cadre de ses tâches contractuelles de responsable de la sécurité de l’entreprise, est sollicité pour autoriser une activité déterminée, il assume, en tant que responsable de la sécurité de l’entreprise, la responsabilité de ce projet en autorisant ou en n’interdisant pas une activité concrète – comme en l’occurrence l’ouverture manuelle et en partie mécanique de la trappe de déchargement du conteneur. Par conséquent, pour l’activité qu’il a autorisée ou n’a pas interdite, il devait également veiller à la sécurité au travail du peintre, même s’il s’agissait d’une personne extérieure à l’entreprise. Partant et selon le TF, l’intimé a étendu son obligation contractuelle de garant aux autres personnes impliquées dans le projet d’ouverture de la trappe. Cette position de garant a été établie par une prise en charge effective (c. 5.3).
Le TF conclut qu’en faisant preuve de la diligence requise, il aurait été tenu d’interdire l’ouverture non conforme de la trappe de déchargement ou, du moins, de procéder personnellement à une évaluation des risques sur place. En n’interdisant pas ou en autorisant cette procédure d’ouverture non conforme aux règles de l’art et en ne se rendant pas sur place pour s’assurer de la sécurité de l’ouverture de la porte de déchargement, il n’a pas fait preuve de la diligence requise et raisonnable dans les circonstances concrètes. C’est précisément la tâche d’un responsable de la sécurité d’informer, le cas échéant, les personnes concernées des éventuels dangers et de faire prendre les mesures de sécurité appropriées. En se limitant à indiquer que la porte de déchargement devait être sécurisée lors de son ouverture, l’intimé n’a pas rempli ses obligations (c. 5.4).
Le TF admet dès lors le recours et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour l’examen des éléments constitutifs de l’homicide par négligence qu’elle n’avait pas encore examinés (c. 5.5).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Etoy



TF 6B_239/2022 du 22 mars 2023
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; raute, distance par rapport au piéton, juste indemnité; art. 34 al. 4 LCR; 433 al. 2 CPP
Il est pénalement reproché à l’automobiliste impliqué de ne pas avoir adapté sa vitesse (30-35 km/h) et d’être passé trop près d’un piéton situé au bord ou à proximité du trottoir, avant de lui passer sur le pied droit avec sa roue arrière droite.
Le TF rappelle que la distance nécessaire par rapport à un piéton ne peut pas être fixée une fois pour toutes en chiffres. Elle se détermine notamment en fonction de la largeur de la route. Selon les circonstances, une distance de 50 cm peut être admissible en cas de ruelle étroite et de vitesse modérée permettant un arrêt immédiat. En l’espèce, l’automobiliste a bien violé l’art. 34 al. 4 LCR car il devait se rendre compte que le piéton qui lui tournait le dos avait son attention complètement accaparée par un véhicule de livraison et qu’une distance aussi faible ne permettrait pas d’éviter une collision. L’automobiliste conteste en vain le taux de responsabilité de 100 % qui lui incombe car son recours ne contient pas suffisamment d’éléments permettant de remettre en cause ce taux de responsabilité.
Par contre, concernant la juste indemnité au sens de l’art. 433 al. 2 CPP, c’est à tort que la note d’honoraires de l’avocat du lésé n’a pas été communiquée – ni même ses conclusions civiles – à l’avocat de l’automobiliste prévenu. Ainsi ce dernier a été privé de l’occasion de se déterminer sur la quotité de l’indemnité pour les dépenses obligatoires de la partie lésée, ce qui constitue une violation de son droit d’être entendu. De plus, aucun examen de cette note d’honoraires ne semble avoir été effectué par l’instance inférieure. Le recours est donc recevable sur ce point et l’affaire renvoyée à l’instance inférieure pour qu’elle se détermine sur la juste indemnité de partie.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion


TF 8C_583/2022 du 22 mars 2023
Assurance-invalidité; procédure judiciaire cantonale, recours, légitimation active des services sociaux, notion d’assistance régulière, délai de recours; art. 34 al. 1 PA; 55 al. 1 et 59 LPGA; 66 al. 1 RAI
La qualité pour recourir au tribunal cantonal contre une décision de l’office AI est régie par l’art. 59 LPGA. Selon cette disposition, « quiconque est touché par la décision ou la décision sur opposition et a un intérêt digne d’être protégé à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, a qualité pour recourir ». La qualité pour recourir des services sociaux ne découle pas déjà du fait qu’ils fournissent des prestations d’aide qui sont subsidiaires aux prestations sociales auxquelles la personne assurée a éventuellement droit. Il faut un lien particulier et concret avec l’affaire, ou une proximité toute particulière. C’est notamment le cas lorsque les services sociaux ont déposé la demande de prestations au nom de la personne assistée (c. 5.2).
Conformément à l’art. 66 RAI, l’exercice du droit aux prestations de l’assurance-invalidité appartient à la personne assurée ou à son représentant légal, ainsi qu’aux autorités ou tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente. En l’espèce, la personne assistée avait reçu de l’aide à concurrence d’environ CHF 48'000.- entre mars 2021 et mars 2022. Au moment de la décision entreprise, elle recevait une aide d’environ CHF 2'300.- par mois. Le fait que l’aide sociale ait pu, pendant un temps assez bref, être remboursée par le chômage, ne change rien au fait qu’en l’espèce, la personne assurée était régulièrement assistée par les services sociaux, ce qui confère à ces derniers la qualité pour recourir.
Le TF rappelle par ailleurs qu’une décision doit être notifiée à toutes les personnes légitimées à recourir. La décision n’ayant, en l’espèce, pas été communiquée aux services sociaux, le délai de recours a été respecté dans la mesure où ces derniers ont agi dans les 30 jours après avoir pris connaissance de la décision (c. 3).
Auteur : Anne-Sylvie Dupont


TF 6B_1386/2021 du 16 mars 2023
Responsabilité aquilienne; devoir de prudence, violation des règles de l’art de construire, homicide par négligence; art. 12 al. 3, 117 et 229 CP
Le devoir de prudence s’apprécie en premier lieu au regard des normes de sécurité spécifiques qui imposent un comportement déterminé pour assurer la sécurité et prévenir les accidents. L’étendue de l’attention et de la diligence requises est d’autant plus élevée que le degré de spécialisation de l’auteur est important. Ainsi, la violation de prescriptions légales ou administratives, édictées dans un but de prévention des accidents, ou de règles analogues, émanant d’associations spécialisées reconnues, fait présumer la violation du devoir général de prudence (c. 2).
La responsabilité de celui qui collabore à la direction ou à l’exécution d’une construction se détermine sur la base des prescriptions légales (notamment LAA, OPA, OTConstr), des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chaque participant à une construction est donc tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence requise pour veiller au respect des règles de l’art de construire et de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, il existe le devoir de donner les instructions nécessaires et de surveiller l’exécution (c. 3). Ainsi, le directeur des travaux – soit la personne qui choisit les exécutants, donne les instructions et les recommandations nécessaires, surveille l’exécution des travaux et coordonne l’activité des entrepreneurs – répond tant d’une action que d’une omission, pouvant consister à ne pas surveiller, à ne pas contrôler le travail ou à tolérer une exécution dangereuse (c. 4).
En l’espèce, le TF considère que le recourant, en sa qualité de directeur des travaux, a créé un risque inadmissible pour autrui en ordonnant à son personnel de travailler en hauteur sur un chantier dangereux, au mépris des prescriptions et normes de sécurité élémentaires (absence de port d’un harnais, d’un casque de protection, etc.). Ce faisant, il a rendu possible la survenance de la chute mortelle de son employé inexpérimenté (apprenti), laquelle aurait par ailleurs pu être évitée par une intervention et une surveillance adéquates. Le décès de la victime est dès lors en lien de causalité naturelle et adéquate avec la violation fautive d’un devoir de prudence, constitutif d’un homicide par négligence (c. 7).
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 8C_261/2022 du 09 mars 2023
Assurance militaire; causalité et contemporanéité, symptômes de pont, coup du lapin; art. 5 et 6 LAM
Le litige porte sur le point de savoir si c’est à juste titre que la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents, Division de l’assurance militaire (Suva AM – Recourante), a refusé l’octroi des prestations à A. (Intimé), à la suite d’un accident survenu lors du service militaire de ce dernier.
Le TF rappelle qu’il convient, en premier lieu, de procéder à la distinction des cas d’application des art. 5 et 6 LAM. En effet, l’assurance militaire est tenue d’allouer ses prestations sur la base de l’art. 5 LAM pour autant qu’une atteinte à la santé soit déclarée ou constatée pendant le service militaire, selon le principe dit de la « contemporanéité » (c. 2.3). En revanche, la responsabilité de l’assurance militaire fondée sur l’art. 6 LAM n’est de mise qu’à la condition que l’atteinte à la santé soit déclarée ou constatée après le service militaire (c. 2.5.1).
En outre, le TF relève que pour conduire à une appréciation de la responsabilité selon l’art. 5 LAM, la question des symptômes de pont (« Brückensymptome ») se pose également. Le status quo sine est présumé après un intervalle suffisamment long sans symptôme (c. 3.2.1). Des symptômes de pont d’une intensité et d’une constante suffisantes doivent être démontrés pour amener la preuve du lien de causalité entre l’événement accidentel et les troubles invoqués postérieurement à l’accident (c. 3.2.3).
Ensuite, le TF se penche sur la question de savoir si un intervalle sans symptôme plus long est admissible, c’est-à-dire qui caractériserait l’événement entre l’accident et les troubles invoqués postérieurement comme une entité unique. Dans le cas contraire, un nouveau cas d’assurance devra être déclaré, impliquant l’évaluation de la question de la responsabilité sur la base de l’art. 6 LAM (c. 4.1).
En tout état de cause, il convient de déterminer si les troubles invoqués postérieurement à l’accident se trouvent dans un rapport de causalité juridiquement pertinent avec l’accident assuré pendant le service militaire. Se référant à la jurisprudence applicable en cas de traumatisme de type « coup du lapin » (ATF 134 V 109), également valable en matière d’assurance militaire, le TF a considéré qu’aucun des critères n’entrait en considération dans le cas d’espèce (c. 5.2 ss).
Au vu des éléments qui précèdent et en l’absence du lien de causalité adéquate entre l’évènement accidentel et les troubles invoqués postérieurement à l’accident, le TF a conclu à l’admission du recours de l’assurance militaire (c. 5.5).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 9C_219/2022 du 02 mars 2023
Assurance-vieillesse et survivants; restitution des acomptes, délai de péremption, dies a quo; art. 25 al. 3 LPGA; art. 16 al. 3 LAVS; art. 24 et 25 RAVS
Par arrêt du tribunal administratif du canton de Zoug du 28 mars 2022, les juges cantonaux ont admis le recours d’une assurée dans la mesure où celle-ci contestait son devoir de payer des cotisations AVS comme indépendante pour l’année 2007, mais ont rejeté ses prétentions en restitution des acomptes payés au motif que sa demande de restitution était périmée (c. 1.2). Selon eux, le délai de péremption avait commencé à courir en septembre 2013, lors de l’entrée en force d’une décision de l’autorité fiscale indiquant que tous les revenus du couple réalisés en 2007 devaient être attribués à l’activité dépendante du mari et imposés dans le canton d’Argovie. A défaut d’avoir agi avant fin 2008, la demande de l’assurée était donc périmée sous l’angle de l’art. 16 al. 3 LAVS (c. 3.1)
Le TF rappelle ce qu’il faut entendre par « cotisations versées indûment » au sens de l’art. 16 al. 3 1re phr. LAVS, respectivement « cotisations payées en trop » au sens de l’art. 25 al. 3 LPGA (c. 4). Cette notion n’englobe pas les prestations versées dans une situation de doute quant à l’obligation de prester, mais à raison, telles que les prestations provisoires visées à l’art. 70 LPGA ou les indemnités de chômage selon l’art. 29 al. 1 LACI (c. 4.5.1).
Les acomptes de cotisations AVS visent à sécuriser les cotisations dont l’existence et la quotité sont incertaines jusqu’à ce que la caisse de compensation ait statué sur les cotisations dues par une décision. Ces acomptes ne sont pas des cotisations versées à tort, mais des cotisations versées à raison, dans une situation de doute quant au devoir de cotiser. Il ne s’agit donc pas de « cotisations payées en trop » jusqu’à ce que l’autorité ait statué de manière définitive sur le montant des cotisations (c. 4.5.2).
La prétention en restitution des acomptes payés en trop naît au moment de la décision fixant les cotisations (voir art. 25 al. 3 RAVS). C’est donc à ce moment-là que les acomptes perdent leur caractère provisoire et que le délai de péremption de l’art. 16 al. 3 LAVS commence à courir (c. 4.5.3). En l’espèce, c’est par l’arrêt cantonal du 28 mars 2022 que le devoir de l’assurée de cotiser pour l’année 2007 a été définitivement nié. La demande de restitution des acomptes formulée dès le stade de l’opposition n’était donc pas périmée (c. 4.6).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 6B_309/2022 du 22 février 2023
Responsabilité médicale; procédure, qualité pour recourir, classement, prétentions civiles, responsabilité d’un établissement de droit public cantonal; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF; 6, 182 et 319 al. 1 let. a et b CPP
Le patient D. A. a été pris en charge dans l’unité des soins intensifs de l’hôpital J., un établissement de droit public cantonal, après plusieurs opérations subies au niveau du cervelet. Le 8 février 2020, le patient est tombé alors qu’il était en train de faire ses besoins, sans surveillance directe, et a succombé à ses blessures. Au moment de la chute, l’infirmière responsable de l’unité se trouvait dans la chambre. Le Ministère public a ouvert une procédure pénale contre l’infirmière responsable de l’unité pour homicide par négligence. Il a clôturé la procédure par décision du 9 juin 2021. Les proches du patient décédé ont recouru jusqu’au TF contre cette décision.
Le TF rappelle que, conformément à l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la partie plaignante n’a qualité pour recourir en matière pénale que si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Sont considérées comme des prétentions civiles au sens de la disposition précitée celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s’agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO. En revanche, n’appartiennent pas à cette catégorie les prétentions fondées sur le droit public. De telles prétentions, y compris celles découlant de la responsabilité de l’Etat, ne peuvent pas être invoquées par adhésion dans le procès pénal et ne font partie des prétentions civiles au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1.1). En l’espère, les recourants reprochent à l’infirmière d’avoir provoqué par négligence le décès de D. A. en le laissant quelques instants sans surveillance aux WC. L’acte incriminé a donc été accompli dans le cadre de l’activité professionnelle de l’infirmière qui fait partie du personnel d’un établissement de droit public cantonal. Les dispositions légales cantonales pertinentes prévoient une responsabilité exclusive du canton pour les dommages causés par de tels actes. Les éventuelles prétentions des recourants ne pourraient ainsi relever que de la responsabilité de droit public de l’Etat. Il en découle que les recourants n’ont pas la légitimation active au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1.3).
Sans avoir la qualité pour recourir au sens de la disposition précitée, la partie plaignante peut néanmoins s’opposer au fond à un classement de la procédure pour autant qu’il existe en droit constitutionnel au prononcé des peines prévues par la loi. La jurisprudence reconnait, sur la base des art. 10 al. 3 Cst., 3 et 13 CEDH, 7 PIDCP et 13 de la Convention des Nations Unies contre les tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, un droit à une enquête officielle efficace et approfondie de celui qui fait valoir qu’il a été maltraité par des services de l’Etat. Pour tomber sous le coup de ces dispositions, le traitement incriminé doit cependant être intentionnel. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque les recourants font explicitement valoir que le décès a été causé par un comportement relevant de la négligence (c. 1.4).
Le TF relève que même si la qualité pour recourir était donnée et qu’il était possible d’entrer en matière sur le recours, celui-ci ne serait pas admis. En effet, en vertu de l’art. 319 al. 1 let. a et b CPP, la procédure doit être classée lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi ou lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis. La décision de classement doit se fonder sur le principe « in dubio pro duriore ». Selon ce principe, le classement de la procédure par le Ministère public ne peut intervenir que dans le cas où l’acte n’est clairement pas punissable ou lorsque que certaines conditions de l’action pénale ne sont manifestement pas remplies. Dans le cadre d’un recours contre un classement, le TF n’examine pas, comme par exemple en cas de condamnation, si les constatations de fait de l’instance précédente sont arbitraires, mais si, de manière arbitraire, l’instance précédente s’est fondée sur « une situation claire en matière de preuve » ou si, de manière arbitraire également, elle a admis des faits comme « clairement établis » (c. 2.1). En l’espèce, les recourants se méprennent sur ces principes lorsqu’ils reprochent à l’instance précédente une constatation inexacte des faits.
Enfin les recourants font valoir que l’instance précédente aurait omis à tort d’administrer diverses preuves en violation des art. 6 et 182 CPP. Le TF rappelle que, de jurisprudence constante, les autorités pénales peuvent, sans violer le droit d’être entendu ni la maxime de l’instruction, renoncer à l’administration de preuves supplémentaires si, en appréciant les preuves déjà administrées, elles ont la conviction que les faits juridiquement importants ont été suffisamment élucidés et si, en outre, elles arrivent à la conclusion par une appréciation anticipée, qu’un moyen de preuve en soit valable n’est pas en mesure d’ébranler leurs convictions quant à un fait litigieux, acquis sur la base des preuves déjà administrées. En l’espèce, l’instance précédente a considéré que les auditions avaient permis d’établir que l’infirmière en question avait agi conformément aux instructions avec la conviction fondée que son patient pouvait aller seul à selle. Aussi, l’expertise demandée par les recourants sur les causes théoriques de la chute du défunt et l’examen des données détaillées du moniteur des signes vitaux ne conduiraient pas à une appréciation différente du comportement de l’infirmière. Les recourants ne démontrent pas en quoi l’appréciation de l’instance précédente relèverait de l’arbitraire.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne


TF 4A_22/2022 du 21 février 2023
Assurances privées; prescription, créance en dommages-intérêts; art. 46 al. 1 LCA; 127 CO
La question litigieuse soumise au TF est de savoir si, lorsque l'assureur de protection juridique donne des conseils juridiques et qu’il viole à cette occasion son devoir de diligence et cause un préjudice à l’assuré, le délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré est régi par le délai de l’art. 46 al. 1 LCA ou par le délai de dix ans de l’art. 127 CO.
Pour répondre à la question litigieuse, il faut procéder à une interprétation de l’art. 46 al. 1 LCA, la doctrine étant divisée sur cette question. Ainsi, il faut tenir compte non seulement des termes « créances qui découlent du contrat d’assurance », mais également des termes se rapportant au point de départ de la prescription, soit le « fait duquel naît l’obligation » (en allemand et en italien « fait sur lequel est fondée l’obligation de fournir la prestation »).
Dans l’assurance de protection juridique, l’assureur fournit, d’une part, un service sous forme d’assistance juridique et, d’autre part une prestation pécuniaire, ainsi que dès le début du litige, l’obligation de garantir à son assuré le paiement des frais du litige. Le fait duquel naît l’obligation de l’assureur correspond à la réalisation du risque, à savoir l’apparition du besoin d’assistance juridique. Le point de départ (dies a quo) du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA court donc dès ce moment-là. Les créances qui découlent du contrat d’assurance de protection juridique sont donc seulement celles dont l’assureur assume l’obligation en raison de la survenance du risque couvert, qui est le besoin d’assistance juridique, soit concrètement l’obligation de couvrir les frais d’un litige et/ou l’obligation de fournir des conseils. La créance en dommages-intérêts, fondée sur la responsabilité contractuelle, qui est subséquente à la prestation d’assurance (conseils fournis) et découle de la violation du devoir de diligence de l’assureur de protection juridique qui a fourni ces conseils, n’est pas visée par la lettre de l’art. 46 al. 1 LCA.
Approuvant une partie de la doctrine, le TF conclut qu’une telle créance en dommages-intérêts est soumise au délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO, la violation du devoir de diligence s’appréciant selon les règles du mandat (art. 398 et 97 CO).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 9C_70, 71, 75 et 76/2022 du 16 février 2023
Assurance-vieillesse et survivants (AVS); activité dépendante, établissement stable; art. 1a al. 1 let. b et 12 al. 2 LAVS; 49 LPGA
Le TF rejette les recours des sociétés néerlandaises détentrices des droits d’exploitation des plateformes de mise en relation Uber et UberEats et leur reconnaît un statut d’employeur cotisant pour les activités lucratives dépendantes des chauffeurs et des livreurs. Ce faisant, il démontre que les critères des directives OFAS s’adaptent aux services en ligne d’intermédiation du travail. Sans revenir sur sa décision 147 V 174, il constate la présence d’un établissement stable en Suisse pour la société néerlandaise par l’exploitation commerciale des bureaux de sa filiale en Suisse.
Auteure : Sabrine Magoga-Sabatier, MLaw, assistante-doctorante à Neuchâtel


TF 8C_457/2022 du 07 février 2023
Assurance-invalidité; révision, suspension de prestation en cas d’exécution d’une peine ou d’une mesure; art. 21 al. 5 LPGA; 88bis al. 1 let. c RAI
Même si la lettre de l’art. 88bis al. 1 let. c RAI envisage, en cas de décision qui s’avère manifestement erronée, seulement une augmentation de la rente, de l’allocation pour impotent ou de la contribution d’assistance déjà allouée, cette disposition doit aussi permettre, appliquée par analogie, l’attribution d’une telle prestation refusée de manière manifestement erronée (c. 5.2).
La découverte du vice entachant la décision selon l’art. 88bis al. 1 let. c RAI survient dès que l’administration a fait des constatations, que ce soit sur la base d’une demande de révision ou d’office, qui rendent vraisemblable ou probable l’existence d’un vice pertinent et que l’administration a ainsi suffisamment de raisons de procéder d’office à des investigations supplémentaires. Le défaut est également considéré comme découvert lorsque la personne assurée a déposé une demande de révision qui devait amener l’administration à procéder à des clarifications supplémentaires (c. 5.4.2).
La suspension, en application de l’art. 21 al. 5 LPGA, de prestations pour perte de gain – notamment de la LAI – non destinées aux proches, en cas d’exécution d’une peine ou d’une mesure du Code pénal, ne se justifie pas si les modalités de cette exécution n’excluent pas en elles-mêmes l’exercice d’une activité lucrative par une personne valide. Il en va ainsi de modalités d’exécution d’une mesure permettant un travail externe au sens de l’art. 90 al. 2bis CP (c. 6.2.1-2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle


TF 2C_362/2022 du 07 février 2023
Responsabilité de l’Etat; protection de la bonne foi; art. 5 al. 3 et 9 Cst.; 4 LRECA-VD
Une société constituée pour la création d’un nouveau port à Montreux dépose une action en responsabilité de l’Etat en raison de l’entrée en matière de la commune sur le projet portuaire. La société réclame différents frais pour sa constitution et des frais d’étude, après que le Plan partiel d’affectation (PPA) à l’origine de l’entrée en matière a été abrogé, rendant le projet de port irréalisable.
Le droit fondamental à la protection de la bonne foi protège le citoyen dans le confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après ces assurances qui peuvent également intervenir tacitement ou par actes concluants. Ce droit a pour corollaire que l’autorité est tenue de réparer le dommage subi par l’administré chez qui elle a créé puis déçu des attentes dignes de foi et qui a pris dans l’intervalle des dispositions patrimoniales préjudiciables.
Il est généralement acquis que la planification doit être périodiquement adaptée et révisée et qu’il n’existe en général pas d’assurance sur sa stabilité. C’est uniquement lorsqu’une modification de planification ou de réglementation est intervenue suite à une demande déterminée et pour en empêcher la réalisation que l’on peut admettre un droit à une indemnisation fondée sur la protection de la bonne foi, en combinaison avec la garantie de la propriété, en tout cas lorsque l’intention des autorités n’était pas prévisible. Une indemnisation est aussi envisageable lorsque la collectivité a donné des assurances sur le maintien des prescriptions en vigueur. En l’occurrence, ce n’est pas le projet litigieux qui avait justifié l’abrogation du PPA, mais une volonté générale découlant d’un plan directeur communal adopté avant l’entrée en matière de la commune.
Le fait que la société recourante n’avait pas obtenu elle-même les garanties, puisqu’elle ne s’était constituée que par la suite, conduit le TF à se demander « très sérieusement » si elle peut invoquer la protection de sa bonne foi. Il laisse toutefois la question ouverte et retient qu’aucune assurance suffisante n’a été donnée. Le fait de se montrer intéressé et curieux, d’entrer en matière et de suivre, même pendant plusieurs années, le projet ne peut et de doit pas être interprété comme une promesse d’issue favorable ou comme une assurance quant au maintien du PPA. En matière d’aménagement du territoire, il est très généralement admis et connu des acteurs de la construction que les décisions des autorités sont par nature sujettes à changement et qu’il n’existe dès lors pas d’expectative légitime au maintien d’un plan.
Le TF ne discerne ainsi pas d’acte illicite au sens de l’art. 4 LRECA-VD et ajoute que si la recourante estimait que l’abrogation du PPA violait le principe de la bonne foi, il lui appartenait de tout tenter pour en obtenir l’annulation, le cas échéant en recourant contre cet acte jusque devant lui.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 8C_322/2022 du 30 janvier 2023
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail (RHT), mesures de lutte contre le coronavirus, entreprise de droit public, statut du personnel, subvention; art. 31 al. 1 et 32 LACI
L’affaire concerne la demande d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) d’une société anonyme de droit privé active essentiellement dans le domaine du transport public de personnes. Selon la jurisprudence, les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sauraient, en règle générale, être remplies si l’employeur est une entreprise de droit public, faute pour celle-ci d’assumer un risque propre d’exploitation. Compte tenu des formes multiples de l’action étatique, on ne saurait de prime abord exclure que, dans un cas concret, le personnel des services publics remplisse les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT. Ce qui est déterminant en fin de compte, conformément à la finalité du régime de la prestation, c’est de savoir si, par l’allocation de l’indemnité en cas de RHT, un licenciement peut être évité (c. 4.2.1).
Les indemnités en cas de RHT sont des mesures temporaires. Le statut du personnel touché par la réduction de l’horaire de travail est dès lors décisif pour l’allocation de l’indemnité. Là où le personnel est au bénéfice d’un statut de fonctionnaire ou d’un statut analogue limitant les possibilités de licenciement que connaît le contrat de travail, ce statut fait échec à court terme – éventuellement à moyen terme – à la suppression d’emploi. Dans ce cas, les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sont pas remplies (c. 4.2.2).
L’exigence d’un risque économique à court ou moyen terme concerne aussi l’entreprise ; la perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. A l’évidence, cette condition ne saurait être remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou le risque de fermeture de l’exploitation. Or si l’entreprise privée risque l’exécution forcée, il n’en va pas de même du service public, dont l’existence n’est pas menacée par un exercice déficitaire (c. 4.2.2).
Dans le cas d’espèce (voir également TF 8C_325/2022 et 8C_328/2022 du 30 janvier 2023 dans deux causes parallèles similaires), la cour cantonale n’a pas clairement tranché la question de la couverture des coûts d’exploitation. Le TF rappelle que le fait de percevoir des subventions ne signifie pas encore que les coûts d’exploitation sont entièrement couverts par les pouvoirs publics. Par ailleurs, la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance s’examine non pas au regard de la main d’œuvre nécessaire pour fournir les prestations publiques selon l’offre soumise aux commanditaires, mais au regard de la règlementation applicable au personnel. La cour cantonale a violé le droit fédéral en niant le droit de la société aux indemnités en cas de RHT sans instruire et examiner de manière approfondie l’étendue de la couverture des frais d’exploitation par les pouvoirs publics ainsi que les possibilités concrètes de résiliation sur la base du régime applicable au personnel (c. 7.2).
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne


TF 9C_300/2022 du 26 janvier 2023
Assurance-invalidité; mesures médicales, psychothérapie; art. 12 LAI
Le TF confirme l’octroi de mesures médicales sous forme d’une psychothérapie à une jeune assurée atteinte de troubles obsessionnels compulsifs et d’anorexie. En l’espèce, le but principal de la thérapie était de permettre à l’assurée de quitter la clinique de jour où elle séjournait pour reprendre ses études de niveau gymnasial. Le caractère de réadaptation du traitement était donc clairement prépondérant, et le fait qu’il ait fallu, à l’occasion d’épisodes de crise, reléguer cet objectif au second plan pour préserver en premier lieu la vie de l’assurée n’y change rien (c. 4.2). Par ailleurs, le fait que la thérapie dure un certain temps – deux ans au moment de la décision de l’office AI – n’exclut pas l’octroi de mesures médicales, ce d’autant moins qu’en l’espèce, durant ce laps de temps, des progrès considérables ont été réalisés, la personne assurée ayant pu quitter la clinique et retourner à ses études (c. 4.3)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_219/2021 du 25 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; prescription, interruption introduction d’une poursuite, délai pénal plus long, ancien droit; art. 60 al. 2a, 135 ch. 2, 134 al. 1 ch. 3 et 138 al. 2 CO
En mai 1999, Mme A. a été grièvement blessée par le bateau dont son mari était copropriétaire lors d’une sortie sur le Léman. La victime et son mari se sont séparés en juin 2000. Leur divorce est devenu définitif et exécutoire le 29 mai 2012. Le conducteur et époux, suite à une plainte de la victime, a été condamné en janvier 2006 pour lésions corporelles graves par négligence. Dès la fin de l’année 2003, la victime a demandé à la compagnie d’assurance du bateau, contre laquelle elle avait un droit d’action directe, une série de déclarations de renonciation à la prescription. La dernière de ces déclarations était valable jusqu’au 29 février 2012. Ce même 29 février 2012, elle a déposé une réquisition de poursuite contre l’assureur, qui a fait opposition au commandement de payer, notifié le 16 mars 2012. La réquisition de poursuite suivante n’a été déposée que le 11 mars 2013, soit plus d’une année après la précédente réquisition de poursuite, mais moins d’une année après la notification du commandement de payer. En parallèle, la victime a déposé une réquisition de poursuite contre son ex-mari le 13 avril 2017. Le commandement de payer a été notifié le 28 avril 2017 ; il a été frappé d’opposition. Le 18 avril 2018, la lésée a déposé une nouvelle réquisition de poursuite contre son époux. Ella a enfin déposé le 31 mai 2018 une requête de conciliation à l’encontre aussi bien de l’assureur que de son ex-mari.
Alors que la Cour de justice du canton de Genève avait considéré que seule la réquisition de poursuite interrompait la prescription conformément à l’art. 135 ch. 2 CO, le TF a considéré que, conformément à une jurisprudence ancienne mais bien établie, la notification du commandement de payer était aussi constitutive d’un acte de poursuite au sens de l’art. 138 al. 2 CO. Dès lors, procédant en quelque sorte à une synthèse de jurisprudence, le TF a rappelé en substance que lorsque le créancier interrompait la prescription par voie de poursuite, la prescription était interrompue une première fois par la réquisition de poursuite, indépendamment du fait que cette réquisition soit concrètement suivie d’un commandement de payer. Cette réquisition fait donc partir un nouveau délai, conformément à l’art. 137 al. 1 CO. Par ailleurs, la notification du commandement de payer interrompt une nouvelle fois la prescription, et fait donc repartir aussi un nouveau délai de prescription. Cela résulte d’une ancienne jurisprudence confirmée par une large partie de la doctrine (c. 5.2).
Au terme de l’art. 134 al. 1 ch. 3 CO, la prescription ne court point et, si elle avait commencé à courir, elle est suspendue à l’égard des créances des époux l’un contre l’autre. L’ex-mari soutenait donc devant le TF qu’au moment où le divorce était devenu définitif et exécutoire, soit le 29 mai 2012, c’était un nouveau délai d’une année au sens de l’ancien article 60 al. 1 CO qui avait commencé à courir. Le TF n’a pas suivi ce raisonnement, estimant que selon l’art. 60 al. 2 aCO, c’était à l’époque un délai de cinq ans qui avait été empêché de courir pendant le temps qu’avait duré le mariage. En effet, la durée de ce délai pénal plus long de l’ancien droit était déterminée au jour de l’acte punissable, soit à un moment par définition antérieur à l’acquisition de la prescription pénale. C’est donc bien un délai de cinq ans qui, selon le TF, a commencé de courir à partir du 29 mai 2012, si bien que la lésée avait valablement interrompu la prescription en déposant une réquisition de poursuite en avril 2017 à l’encontre de son ex-mari.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_314/2022 du 24 janvier 2023
Responsabilité délictuelle; risque lié à l’emploi d’un véhicule, responsabilité civile du détenteur du véhicule; art. 58 al. 1 LCR
La responsabilité de l’art. 58 al. 1 LCR présuppose que le dommage ait été causé « par l’utilisation d’un véhicule à moteur ». La limite entre l’utilisation et la non-utilisation d’un véhicule à moteur doit être décidée en fonction des circonstances concrètes.
Dans le cas d’espèce, une camionnette de livraison, dont le catalyseur avait chauffé en raison du trajet, a été garée dans une aire de battage, ce qui a provoqué un incendie. La chaleur émanait certes d’un véhicule à moteur, mais cela ne suffit pas à transformer le risque d’incendie habituel en un risque d’exploitation particulier au sens de l’art. 58 al. 1 LCR. Ce qui est déterminant pour le risque d’exploitation n’est pas le fait que le véhicule à moteur soit une machine ou qu’il dispose d’un moteur, mais avant tout le fait que le véhicule puisse se déplacer à une vitesse importante et provoquer ainsi des dommages importants.
Le présent incendie n’a aucun rapport avec ce risque. A l’exception du fait que le catalyseur a chauffé pendant le trajet, il n’y a aucun lien entre l’incendie et le déplacement de la camionnette. Il ne s’agit donc pas d’un risque propre à l’utilisation d’un véhicule mais d’un risque ordinaire qui peut survenir lors du stockage inapproprié d’objets chauds.
L’incendie était donc certes une conséquence au sens large de l’utilisation du véhicule à moteur, mais l’utilisation ou le déplacement du véhicule joue en l’espèce un rôle si insignifiant que l’incendie n’est pas couvert par le but de l’art. 58 al. 1 LCR.
Auteur : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 9C_592/2021 du 24 janvier 2023
Assurance-invalidité; réadaptation, mesures d’ordre professionnel, condition d’assurance, personne de nationalité étrangère, discrimination; art. 6 al. 2, 9 al. 3 LAI; 8 Cst.; 8 et 14 CEDH; 24 CDPH
Le recourant, arrivé en Suisse en 2017 en tant que mineur non accompagné, a été admis provisoirement après le rejet de sa demande d’asile, le renvoi n’étant pas raisonnablement exigible. Sa demande tendant à l’octroi d’une formation professionnelle initiale a été rejetée. Ne contestant pas que les conditions d’assurance posées par les art. 6 al. 2 et 9 al. 3 LAI ne sont pas remplies, il invoque la violation des art. 8 et 14 CEDH.
Le TF rappelle que le droit à la vie privée garantit par l’art. 8 CEDH n’inclut pas le droit à des mesures d’enseignement pour les enfants handicapés. En effet, s’il ne fait pas de doute qu'une mesure de formation professionnelle initiale favorise indirectement l’épanouissement des personnes qui en bénéficient, le refus d’une telle formation (professionnelle) n’empêche pas ou ne rend pas plus difficile l’exercice d’un des aspects du droit au développement personnel et à l’autonomie personnelle couverts par cette disposition (c. 5). La jurisprudence de la Cour EDH dans l’affaire Beeler c. Suisse (voir ici) ne s’applique pas dans cette affaire, le refus de mesures d’ordre professionnel ne violant pas le droit à la vie privée et à la vie de famille au sens de l’art. 8 CEDH (cf. aussi c. 3)
La différence de traitement entre ressortissants étrangers et ceux qui ont la nationalité suisse opérée par l’art. 9 al. 3 LAI est justifiée par des motifs objectifs, en l’occurrence la nécessité de s’assurer de la présence de liens suffisamment étroits entre une personne étrangère et la Suisse. Cette disposition n’est donc pas discriminatoire (c. 6.2).
L’art. 24 CDPH, qui garantit l’accès des personnes handicapées à l’éducation, n’est pas non plus violé dans la mesure où il existe bel et bien en Suisse des offres de formation accessibles aux personnes en situation de handicap. Cette disposition n’impose pas l’allocation, sans condition, de prestations spécifiques par les assurances sociales (c. 7).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 6B_1486/2021 du 18 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles, signalisation d’un chantier routier, négligence; art. 11, 12 et 125 CP; 4 LCR; 80 OSR
Un cycliste emprunte une route dont l’asphalte avait été fraisé en raison de travaux de revêtements. Il chute sur la chaussée et subit un grave traumatisme crânien. Condamné en première instance pour lésions corporelles graves par négligence, le chef de chantier responsable est acquitté par le tribunal cantonal. Le cycliste recourt au TF contre cet acquittement ; il reproche au chef de chantier un défaut de signalisation de la zone de travaux.
Le TF commence par rappeler les conditions qui permettent de retenir une imprévoyance coupable au sens de l’art. 12 CP ; une telle imprévoyance peut également être commise par une inaction contraire aux devoirs (art. 11 al. 1 CP). De plus, le déroulement des événements conduisant au résultat doit être prévisible pour l’auteur ; pour déterminer si l’auteur aurait pu et dû prévoir le résultat, on applique le critère de l’adéquation. Enfin, une autre condition de la responsabilité pour négligence consiste dans le fait que le résultat aurait pu être évité si l’auteur avait eu un comportement conforme à ses obligations. Pour que le résultat soit imputable à l’auteur, il faut que le comportement de celui-ci en soit la cause avec un degré élevé de vraisemblance (c. 3.1.2). Les règles de signalisation d’un chantier routier découlent des art. 4 LCR et 80 OSR. Les éventuels manquements aux obligations des autorités n’excluent pas la responsabilité de tiers, p. ex. d’une entreprise de construction, en cas de signalisation défectueuse. Ni l’art. 4 LCR, ni l’art. 80 OSR ne se prononcent sur les modalités de surveillance (intensité, fréquence) de l’obligation de signaler les obstacles à la circulation et de leur élimination dans les meilleurs délais (c. 3.1.3).
Dans le cas d’espèce, l’instance inférieure avait considéré le fait de n’avoir pas barré la route ne constituait pas une violation du devoir de diligence du chef de chantier. Il est en effet notoire que des zones dans lesquelles l’asphalte a été fraisé demeurent ouvertes au trafic, pour autant que les usagers les empruntent à une vitesse adaptée (c. 3.2.1). Les autres conditions d’une responsabilité pour négligence n’étaient, toujours selon la juridiction cantonale, pas remplies. En particulier, la position de garant du chef de chantier était limitée aux tâches de sécurité et de surveillance, telles qu’elles ressortaient de son contrat de travail. Un contrôle sans faille n’était ainsi pas possible, compte tenu de l’avancement constant des travaux. Il n’existait pas non plus d’obligation générale de contrôler quotidiennement les travaux (c. 3.2.2 et 3.2.3). Le TF approuve ces considérations dans leur résultat (c. 3.3). Il aurait en effet été possible pour le cycliste de s’engager sans danger dans la zone fraisée ; il est incompréhensible qu’il se soit dirigé à une vitesse aussi excessive (il circulait à 57,3 km/h malgré un périmètre de visibilité restreint et la présence d’un virage) vers un chantier dûment signalé 355 mètres et à 24,5 mètres auparavant. Il n’a ainsi pas satisfait aux exigences que tout usager de la route est en droit d’attendre d’un conducteur attentif (c. 3.3.1). Même la délimitation du chantier par la pose d’une barrière rouge et blanche, comme l’exigeait le recourant, n’aurait probablement pas empêché la chue, compte tenu du fait que celui-ci n’a pas vu la signalisation et s’est engagé sur le lieu de l’accident à près de 60 km/h. On doit donc nier l’existence d’un lien de causalité hypothétique (c. 3.3.2).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 4A_244/2022 du 13 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; causalité hypothétique, règles d’expérience, cognition du TF; art. 8CC; 55 et 221 CPC; 97 et 398 CO
Il est reproché à une société de courtage d’avoir violé de manière fautive ses obligations de mandataire. La question à résoudre est celle de savoir s’il existe un lien de causalité hypothétique entre la violation des obligations contractuelles et le dommage.
En l’occurrence, le lésé a juste eu à alléguer que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, elle n’aurait pas subi de dommage. Elle n’avait pas à prouver ni à alléguer quelles solutions de remplacement se présentaient à elle ni laquelle de ces solutions elle aurait choisie. La cour cantonale, en considérant que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, le lésé aurait pu entreprendre des démarches ce qui aurait eu pour conséquence de rechercher une autre solution pour éviter la survenance du dommage, a procédé, dans les circonstances concrètes, à une appréciation des faits en se fondant sur sa propre expérience générale de la vie. L’appréciation cantonale ne repose ainsi pas exclusivement sur une règle d’expérience mais sur l’appréciation des faits concrets, ce qui ne peut être revu par le TF que sous l’angle de l’arbitraire.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 8C_424/2022 du 10 janvier 2023
Assurance-chômage; coordination internationale, prise en compte des activités exercées au sein de l’UE, période d’assurance, période d’emploi; art. 6 et 61 R 883/2004; 27 LACI; 61 let. c LPGA
Une personne effectue un stage juridique non payé auprès d’un tribunal international aux Pays-Bas avant d’exercer un emploi de greffière en Suisse. Elle demande ensuite des indemnités de chômage et la caisse de chômage est amenée à s’interroger sur la prise en compte du stage non payé aux Pays-Bas pour déterminer si l’assurée a droit à 400 indemnités ou seulement 260 selon l’art. 27 al. 2 LACI. La caisse de chômage arrive à la conclusion qu’elle n’a pas à prendre en compte le stage non payé comme période de cotisation et applique donc une limite de 260 indemnités journalière, ce qui est confirmé par le tribunal cantonal. Celui-ci a tout d’abord admis que la totalisation des périodes prises en compte à l’étranger était possible selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004, dès lors que l’assurée avait exercé en dernier lieu un emploi en Suisse avant de s’annoncer à l’assurance-chômage, réalisant ainsi la condition de l’art. 61 al. 2 R 883/2004. Il a cependant jugé que la période de stage non payé aux Pays-Bas n’était pas une période d’assurance selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004. Un stage non rémunéré n’était pas considéré comme une activité soumise à cotisation selon le droit suisse et ne devait donc pas entrer en considération. Le fait que cette même activité non salariée avait été prise en considération pour calculer un revenu intermédiaire hypothétique pour un droit aux indemnités de chômage antérieur n’était pas non plus relevant, car il ne s’agissait pas d’une activité soumise à cotisation mais bien d’un revenu retenu sur la base de l’obligation de diminuer le dommage. L’assurée recourt devant le TF et reproche une mauvaise application de l’art. 61 al. 1 R 883/2004, en ce sens que le tribunal cantonal n’a pas appliqué le droit néerlandais pour qualifier le stage non payé. Elle reproche également une violation de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA).
Le TF rappelle tout d’abord le principe de la totalisation des périodes d’assurance et d’emploi survenues au sein des différents Etats parties à l’ALCP. Ce principe est consacré à l’art. 61 R 883/2004 s’agissant de l’assurance-chômage. En substance, l’Etat compétent doit prendre en compte toutes les périodes d’assurance survenues dans les pays membres. Est compétent le pays dans lequel la personne assurée a été occupée en dernier avant la période de chômage, en l’occurrence la Suisse. Les périodes d’emploi ne sont à prendre en compte que si elles auraient été considérées comme période d’assurance au sens du droit de l’Etat compétent si elles avaient eu lieu sur son sol. On fait donc la distinction entre période d’assurance et période d’emploi (c. 4.2.2).
On entend par périodes d’assurance les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées selon cette même législation (art. 1 let. t R 883/2004). Selon la jurisprudence de la CJUE, on ne tient pas seulement compte des périodes reconnues par le droit de l’assurance-chômage du pays. Il suffit au contraire que l’activité soit reconnue par un domaine de la sécurité sociale, par exemple l’assurance-accidents (Jugement du 12 mai 1989 Rs 388/87 Warmerdam-Steggerda). Les périodes d’emploi désignent quant à elle les périodes définies ou admises comme telles par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées (art. 1 let. u R 883/2004) (c. 4.2.3).
Les périodes d’assurance ou d’emploi accomplies au sein d’un autre Etat membre sont attestées au moyen d’un document portable PD U1. La personne assurée doit transmettre ce formulaire à l’assurance chômage auprès de laquelle elle demande des prestations. Les périodes qui ne sont ni considérées comme des périodes d’assurance, ni comme des périodes d’emploi ou des périodes assimilées ne seront pas prises en compte par l’assurance compétente pour la totalisation des périodes.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut rien déduire en sa faveur du fait que la période de stage non payée pourrait éventuellement être qualifiée de période d’emploi au sens de l’art. 1 let u R 883/2004. En effet, ce stage non payé n’aurait dans tous les cas pas été qualifié de période de cotisation en Suisse, raison pour laquelle une période d’emploi au sens du droit néerlandais n’aurait pas été prise en considération selon l’art. 61 al. 1 2e phrase R 883/2004 (c. 4.4).
Pour déterminer si le stage peut être considéré comme une période de cotisation, est pertinente la présence d’une période de cotisation ou d’une période assimilée au sens du droit néerlandais. Afin d’en juger, la caisse de chômage a demandé des informations à l’autorité compétente néerlandaise. Celle-ci lui a répondu qu’elle avait besoin du numéro de citoyen (Burgerservicenummer) pour pouvoir lui répondre. Or, l’assurée ne disposait pas de ce numéro et le tribunal international ayant été entretemps dissous, elle ne pouvait pas s’enquérir auprès de lui. Partant du constat que l’assurée n’avait jamais eu de numéro de citoyen aux Pays-Bas, la caisse de chômage est arrivée à la conclusion que la période d’activité n’avait pas été annoncée auprès de l’équivalent de la caisse de chômage aux Pays-Bas et qu’il ne s’agissait donc pas d’une période de cotisation à prendre en considération.
Le TF souligne que la question de savoir si le stage doit être considéré comme une période d’assurance s’apprécie selon le droit néerlandais. Le fait qu’aucune cotisation n’ait été versée aux Pays-Bas pour ce stage ne suffit pas à nier toute période d’assurance, dès lors que cette notion comprend également celle de période d’emploi ou de période assimilée. De plus, selon la jurisprudence, la prise en considération dans un seul domaine de sécurité sociale suffit. Par conséquent, la cour cantonale fait fausse route quand elle retient qu’il ne peut pas y avoir de période d’assurance aux Pays-Bas étant donné que l’assurée n’a pas été assujettie à l’équivalent de l’assurance-chômage là-bas (c. 4.5.2).
Etant rappelé que les procédures d’assurances sociales sont soumises à la maxime inquisitoire, la caisse de chômage ne pouvait pas se contenter de la réponse de l’autorité compétente néerlandais concernant le numéro de citoyen pour conclure que le stage ne devait pas être pris en considération. Il était en effet fort probable que l’assurée n’ait jamais été annoncée et enregistrée aux Pays-Bas compte tenu du fait que son stage n’était pas rémunéré. Un tel état de fait n’était cependant pas suffisant pour conclure à l’absence de toute période d’assurance dans ce pays. Il aurait donc été nécessaire que la caisse de chômage sollicite une seconde fois l’autorité compétente néerlandaise afin de l’interroger sur la nécessité d’avoir un numéro de citoyen pour une activité non rémunérée et sur la qualification d’une telle activité. En ne procédant pas de la sorte, la caisse de chômage a violé son obligation d’instruire (art. 61 let. c LPGA). Le fait que l’assurée aurait également pu demander ces éclaircissements n’est pas suffisant. Le SECO exige en effet que la caisse de chômage recherche elle-même les données pertinentes si l’assuré ne peut pas fournir le formulaire PD U1. Exiger de l’assurée qu’elle obtienne une attestation de la part des Pays-Bas dans les circonstances concrètes irait au-delà de son devoir de collaborer (c. 4.6.3).
Par conséquent, la cause est renvoyée à la caisse de chômage pour complément d’instruction au sens des considérants.
Auteur : Pauline Duboux, juriste

TF 8C_504/2022 du 23 décembre 2022
Assurance-chômage; gain intermédiaire, gain accessoire, jetons de présence du membre d’un organe législatif cantonal; art. 24 al. 3 et 23 al. 3 LACI
Constituent un gain accessoire qui n’est pas pris en compte en tant que gain intermédiaire les jetons de présence perçus par un membre du Grand Conseil dans la mesure où il s’agit d’une activité, exercée en dehors de la durée normale de son travail, et qu’elle a débuté avant la perte de l’activité principale qui avait été exercée à plein temps.
Les gains accessoires réalisés durant le délai-cadre de cotisation ne deviennent des gains intermédiaires durant le délai-cadre d’indemnisation que s’ils augmentent sensiblement après la perte de l’activité principale. Tel n’est pas le cas lorsque le membre du législatif a déjà par le passé réalisé un gain comparable et que la variation du montant de ses jetons de présence, d’une année à l’autre, dépend de circonstances qu’il ne maîtrise pas, notamment le nombre de séances de commissions et de séances plénières.
A cet égard, c’est à tort que l’instance cantonale s’est fondée uniquement sur les gains réalisés durant les deux dernières années précédant la perte de l’activité principale. Le recours est donc admis.
Auteur : Me Eric Maugué, avocat à Genève

TF 6B_1335/2021 du 21 décembre 2022
Responsabilité aquilienne; tort moral; art. 47 et 49 CO
Le recourant, victime de profondes balafres sur le visage et d’un stress post-traumatique à la suite d’une bagarre, se voit allouer une indemnité pour tort moral de CHF 30’000 en première instance. Cette indemnité est réduite à CHF 8’000 en appel. Le recourant critique le montant de l’indemnité devant le TF.
Dans cet arrêt, les juges fédéraux rappellent très soigneusement les principes applicables en matière de fixation d’une indemnité pour tort moral. Ils confirment qu’il est admissible de fixer une indemnité à titre de réparation du tort moral selon une méthode s’articulant en deux phases : la première consiste à déterminer l’indemnité de base, de nature abstraite ; la seconde implique une adaptation de cette somme aux circonstances du cas d’espèce. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) selon l’annexe 3 de l’OLAA peut constituer un point de départ objectif pour le calcul de l’indemnité ; cette façon de procéder n’est pas imposée par le droit fédéral et ne fournit qu’une valeur indicative.
Dans le cas d’espèce, les juges fédéraux retiennent qu’il n’était pas arbitraire, pour la cour cantonale, de partir d’un montant indicatif de base de CHF 29’640, à savoir 20 % de CHF 148’200 (cf. gain assuré maximal prévu par l’art. 22 OLAA). Par contre, la réduction de 73 % du montant de base opérée par les juges cantonaux est arbitraire, cette réduction n’étant pas suffisamment motivée. L’arrêt entrepris ne décrit pas la prise en charge médicale, pas plus qu’il n’expose la situation personnelle du recourant, dont on ignore l’âge, le lieu de vie, les liens qu’il entretient avec la Suisse et la situation professionnelle.
Dès lors, le recours est admis et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne


TF 9C_15/2022 du 19 décembre 2022
Assurance-invalidité; mesures d’ordre professionnel, reclassement, conditions d’octroi; art. 17 LAI
Le droit au reclassement conformément à l’art. 17 LAI suppose, d’une part, que l’invalidité rende cette mesure nécessaire et, d’autre part, que la mesure permette de maintenir ou d’améliorer la capacité de gain. La jurisprudence a précisé la condition de la nécessité dans ce sens que la perte de gain que subirait la personne assurée sans le reclassement, c’est-à-dire en travaillant dans une profession accessible sans formation supplémentaire, doit être de l’ordre de 20 % (ATF 139 V 399 c. 5.3). Cette condition a pour but de conserver une certaine proportion entre les coûts entraînés par le reclassement et le bénéfice à en espérer.
Il ne s’agit toutefois pas d’une limite absolue. Si la perte de gain se situe légèrement en-dessous de ce pourcentage, il faut procéder à un pronostic global pour juger si, à moyen et long terme, les coûts engagés pour le reclassement respectent le principe de proportionnalité (c. 6.2). Par ailleurs, en présence d’une personne assurée encore jeune, on peut s’écarter du seuil de 20 % lorsque l’activité qu’elle peut exercer sans reclassement consiste en des travaux non qualifiés qui ne sont pas équivalents, qualitativement, à l’activité apprise (c. 3 et 6.3). Cela ne concerne toutefois que les personnes qui sont au début de leur carrière professionnelle, et non, comme en l’espèce, une personne âgée de 43,5 ans, se trouvant plutôt au milieu de sa vie professionnelle. Le taux d’invalidité – non contesté – s’élevant à 8 %, il n’y avait pas lieu de lui accorder de reclassement, le seuil de 20 % devant dans ce cas être respecté (c. 6.4)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_338/2022 du 19 décembre 2022
Assurances privées; invalidité, réticence; art. 4 à 6 LCA
C. a conclu en 2001 un contrat d’assurance auprès de A. SA pour sa fille B., âgée de 14,5 ans à ce moment-là, couvrant les risques d’invalidité et de décès. Le 25 février 2019, l’assurance-invalidité fédérale a mis B. au bénéfice d’une rente entière. Celle-ci a ensuite sollicité auprès de A. SA le paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-, ce que la compagnie a refusé en invoquant une réticence au sens de l’art. 6 LCA, notamment en raison des faits importants non déclarés prétendument connus de la maman C. à la conclusion du contrat (art. 5 al. 1 LCA).
Les différentes instances judiciaires ont reconnu le droit de B. au paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-. A ce titre, le fait que B. ait annoncé en 2019 qu’elle souffrait de troubles psychiques depuis 2000 n’y change rien. Il en va de même pour les indications provenant des spécialistes consultés qui ont diagnostiqué l’existence d’une atteinte à la santé psychique plusieurs années après la conclusion du contrat, mais sans préciser clairement la date de début de la maladie. En effet, la seule chose pertinente est de déterminer si B. ou sa mère le savait ou aurait dû le savoir au moment de l’établissement de la proposition d'assurance, soit le 22 mai 2001 (c. 5.2.1).
Le TF laisse cependant ouverte la question de savoir si l’art. 5 al. 1 LCA est applicable au représentant légal d’un enfant mineur ou si les faits importants connus de l’enfant capable de discernement ou qu’il devait connaître ont de l’importance (c. 4.2).
Par ailleurs, A. SA fait valoir que C. avait certes déclaré une maladie ophtalmologique ainsi qu’un asthme, mais avait omis de mentionner le suivi de B. chez une psychologue pour enfants entre 1992 et 1998, ce qui représenterait une réticence sur différentes questions de la proposition d’assurance de l’époque. Pour la plupart des questions, une réticence a été niée par les différentes instances judiciaires, car soit les questions ne concernaient pas une atteinte psychique, soit il était question de l’état de santé de B. au moment de l’établissement de la proposition d’assurance. Par ailleurs, le TF rappelle que la réticence ne doit être admise qu’avec retenue s’agissant de questions ouvertes et à large portée posées par l’assureur. Cela est d’autant plus vrai si, à la suite de telles questions, l’assureur ne laisse pas au proposant suffisamment d’espace sous forme de lignes vides pour lui permettre d’exprimer d’éventuels doutes ou d’expliquer sa réponse (c. 3.2 et 5.3.5). Quant à l’absence de réponse positive de la proposante à une question concernant le fait de savoir si B. avait souffert d’une maladie nerveuse et de dépression pendant une période de cinq ans avant l’établissement de la proposition d’assurance, le TF confirme qu’il n’a pas été démontré que la personne assurée souffrait d’une véritable maladie, malgré un suivi psychologique sur plusieurs années (c. 5.3.5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 4A_295/2022 du 16 décembre 2022
Responsabilité médicale; omission, causalité hypothétique, expertise, degré de la preuve, vraisemblance; art. 8 CC; 97 et 398 CO
Le 11 mars 2013, la recourante A. a présenté des signes de paralysie à sa jambe droite. Elle a consulté le jour même son médecin de famille, qui a immédiatement demandé un examen IRM. L’examen IRM a été effectué le 13 mars 2013 à l’hôpital D. Le 13 mars encore, le médecin de famille a envoyé sa patiente à l’hôpital C. où une hernie discale a été enlevée chirurgicalement le 25 mars 2013. A. souffre, malgré l’opération, d’une faiblesse persistante du releveur du pied. Elle reproche à son médecin de famille de ne pas l’avoir adressée le 11 mars 2013 à un spécialiste pour qu’il procède à une opération visant à soulager le nerf. Le tribunal civil a rejeté la demande de la recourante. Il a considéré, en se basant sur l’expertise médicale qui a eu lieu en deux parties, que le lien de causalité et le dommage invoqué n’étaient pas établis avec une vraisemblance prépondérante.
La Cour d’appel du canton de Bâle-Ville a rejeté le recours de A. Il a considéré que la première instance avait admis à juste titre, sur la base de l’expertise médicale, qu’un degré de force M3 ou même pire n’avait pas été établi le 11 mars 2013 lors de l’examen par le médecin de famille. Ainsi, la question des chances de guérison en cas d’opération dans les 48 heures ne se poserait plus faute d’indication opératoire urgente. Dans une motivation éventuelle, il a constaté qu’il était juste que la première instance ne se soit pas basée uniquement sur l’étude de PETR concernant les chances de guérisons. Les déclarations de l’expert ne démontraient pas avec une probabilité prépondérante une récupération complète en cas d’opération rapide.
Le TF relève qu’en cas d’omission, le lien de causalité est déterminé par la question de savoir si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli. Il s’agit d’un déroulement hypothétique de la causalité, pour lequel une probabilité prépondérante doit plaider selon les expériences de la vie et le cours ordinaire des choses. En principe, la jurisprudence fait également la distinction entre le lien de causalité naturelle et le lien de causalité adéquate en cas d’omission. Les constatations du juge du fond en rapport avec des omissions lient le TF, conformément à la règle générale sur le caractère obligatoire des constatations relatives au lien de causalité naturelle ; ce n’est que lorsque la causalité hypothétique est établie exclusivement sur la base de l’expérience générale de la vie – et non sur la base de moyens de preuve – qu’elle est soumise au libre examen du TF (c. 6.2).
Le TF retient également que le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante doit notamment être distingué de celui de « la simple vraisemblance ». En effet, d’une part, « rendre vraisemblable » décrit souvent le degré de preuve qui s’applique dans le cadre de décisions provisoires, prises la plupart du temps avec des restrictions des moyens de preuve, notamment des mesures provisoires. D’autre part, le degré de vraisemblance exigé diffère selon les cas. Un fait est déjà rendu vraisemblable lorsque certains éléments parlent en faveur de son existence, même si le tribunal compte encore sur la possibilité qu’il ne se soit pas réalisé. En revanche, les exigences sont plus élevées en ce qui concerne le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante : la possibilité qu’il puisse en être autrement n’exclut certes pas la vraisemblance prépondérante, mais elle ne doit pas jouer un rôle déterminant pour le fait en question ni entrer raisonnablement en ligne de compte (c. 6.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg



TF 4A_315/2022 du 13 décembre 2022
Responsabilité médicale; information donnée au patient, consentement éclairé; art. 97 CO
Un patient s’était soumis à une opération des cavités nasales. Il avait auparavant reçu une fiche d’information contenant des indications sur différents effets secondaires et complications possibles, dont ceux survenant après des blessures à la base du crâne. Lors de l’opération, le patient avait effectivement subi une lésion de la base antérieure du crâne et des méninges, avec fuite de liquide et entrée d’air dans l’espace cérébral. Ce type d’incident était connu et considéré comme rare (0,2 à 0,5 %). Le problème avait été corrigé trois jours plus tard par une opération d’urgence, après un rendez-vous chez le médecin ORL opérateur et l’établissement d’un scanner.
A la suite d’une action partielle du patient, qui se plaignait de certaines séquelles, le tribunal d’arrondissement avait rendu une décision incidente admettant la responsabilité de principe du médecin opérateur, sur la base d’une violation du devoir d’information. L’appel interjeté par le médecin auprès du Tribunal supérieur du Canton de Berne avait été rejeté. Devant le TF, la question d’une éventuelle faute médicale ne se posait plus, cette hypothèse ayant été rejetée par les deux premières instances.
La Cour supérieure était parvenue à la conclusion qu’une fiche d’information avait été remise au patient avant l’opération, fiche dans laquelle il était fait mention de la complication possible d’une fuite de liquide céphalorachidien avec le risque d’une méningite consécutive. Il n’avait pas été établi par contre qu’une explication orale avait été donnée à ce sujet et que l’intimé avait lu et compris la feuille d’information. Bien au contraire, le formulaire d’information remis au patient contenait au verso une rubrique intitulée « Documentation », dans laquelle il fallait cocher que le formulaire d’information avait été lu et compris, que toutes les questions intéressantes avaient pu être posées lors de l’entretien d’information, et qu’il y avait été répondu de manière complète et compréhensible. Comme cette page était restée vide, les premiers juges en avaient conclu que la preuve de ces explications orales et du fait que le patient avait lu et compris le texte de la fiche d’information n’avait pas été apportée. Le TF a rejeté sur cette question de faits le grief d’arbitraire du recourant (c. 6.3).
Par contre, il a considéré que, sur le plan juridique, le médecin ORL avait bel et bien rempli correctement son devoir d’information. Le TF rappelle à ce sujet que l’information adressée au patient n’est en principe pas liée à une forme particulière, et qu’il convient plutôt de décider, en fonction des circonstances, si celui-ci a été informé de manière claire et compréhensible sur le diagnostic, la méthode de traitement et les risques. On ne peut donc pas partir du principe, comme l’ont fait les premiers juges, qu’une information donnée exclusivement par écrit est en soi insuffisante, même en ce qui concerne des complications hautement improbables (c. 7.1).
En l’espèce, comme une fiche d’information avait été remise à l’intimé avec l’invitation à la lire, comme cette fiche mentionnait en termes compréhensibles le risque spécifique tel qu’il s’était réalisé, comme il s’agissait d’une complication extrêmement rare, et que celle-ci avait pu être corrigée, comme le patient avait eu la possibilité d’étudier la fiche d’information chez lui, d’y préparer des questions et de les poser lors d’une consultation ultérieure après un délai de réflexion approprié, et comme il avait déclaré que le fait de savoir que toute opération comportait des risques lui avait « suffi », le TF conclut que le devoir d’information a été correctement rempli, même si aucune explication orale n’a été donnée. Il relève par ailleurs qu’il convient de laisser à cet égard une certaine marge de manœuvre au médecin, qui doit aussi pouvoir prendre en compte le fait qu’un excès d’informations peut être néfaste pour le patient, causer un état d’anxiété préjudiciable, et finalement l’empêcher de prendre une décision appropriée (c. 7.2).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 2C_259/2022 du 07 décembre 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance liée, déductibilité des primes, période fiscale déterminante; art. 82 al. 1 LPP; OPP3
Selon l’art. 15 al. 1 LHID, la période fiscale correspond à l’année civile. L’art. 82 al. 1 LPP prévoit que les salariés et les indépendants peuvent également déduire les cotisations affectées exclusivement et irrévocablement à d’autres formes reconnues de prévoyance assimilées à la prévoyance professionnelle (cf. aussi art. 1 al. 2 let. b OPP3 et 33 al. 1 let. e LIFD). Dans cette décision, le TF confirme que le montant de CHF 24'632.-, dont l’ordre de paiement a été effectué le 29 décembre 2017, ne peut pas être déduit fiscalement pour l’année 2017, dès lors que la somme litigieuse a été créditée à l’assureur le 3 janvier 2018 seulement (cf. art. 81 al. 3 LPP ; art. 8 OPP3).
Note : s’agissant d’une somme d’argent (dette portable ; cf. art. 74 al. 2 ch. 1 CO), la même règle prévaut dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, singulièrement en ce qui concerne le caractère déductible des rachats facultatifs (art. 79b LPP).
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_376/2022 du 05 décembre 2022
Assurances privées; procédure; vice de forme; art. 132 al. 1 CPC
Un assuré a déposé une demande devant la cour des assurances sociales pour obtenir le paiement d’indemnités journalières maladie fondées sur un contrat d’assurance maladie complémentaire. L’assureur a déposé une réponse signée uniquement par un collaborateur disposant de la signature collective à deux au Registre du commerce. L’autorité de première instance a ainsi déclaré cette réponse irrecevable et admis l’intégralité des conclusions de la demande au motif que, sans réponse, il fallait considérer que l’assureur avait admis les allégués de la demande. L’assureur a déposé un recours au TF par lequel il relevait que l’art. 132 al. CPC imposait à l’autorité de première instance de lui impartir un délai pour rectifier le vice de forme. Il invoquait également le droit d’être entendu de l’art. 29 al. 1 Cst.
Le TF explique que l’art. 132 al. 1 CPC a pour but d’atténuer la rigueur formelle qui ne serait justifiée par aucun intérêt digne de protection. C’est ainsi que si une partie dépose, par inadvertance ou involontairement, un acte vicié, un délai doit lui être imparti pour qu’il le rectifie. Il relève néanmoins qu’il n’y a aucune protection accordée à cette partie si le défaut constitue un abus de droit manifeste, comme par exemple volontairement déposer un acte vicié afin d’obtenir un délai supplémentaire ou afin de faire traîner la procédure.
Dans le cas d’espèce, le vice reproché à l’assureur avait déjà été constaté dans une procédure et l’attention de l’assureur avait ainsi été attirée sur cette problématique. Le TF relève toutefois qu’une telle récidive n’est en soi pas suffisante pour considérer qu’il y a abus de droit. Par conséquent, notre Haute Cour a considéré que l’autorité inférieure avait violé les art. 132 al. 1 CPC et 29 al. 1 Cst. dès lors qu’aucun délai n’avait été imparti à l’assureur pour rectifier la problématique de la signature. Il a ajouté que ces dispositions et l’obligation d’impartir un délai supplémentaire s’appliquaient également lorsque l’acte était signé par une personne seule si cette dernière ne dispose que de la signature collective à deux, inscrite au Registre du commerce. La cause a ainsi été renvoyé à l’autorité de première instance.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne


TF 4A_323/2022 du 05 décembre 2022
Assurances privées; procédure, preuve à futur, Lloyd’s; art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC
La société A. SA, (requérante, recourante) est une holding du groupe A., dont le siège est en Suisse. B. Limited (intimée 1) et C. Limited (intimée 2) sont des compagnies d’assurances anglaises qui proposent des contrats sur mesure (Spezialversicherungen) par l’intermédiaire du marché des assurances Lloyd’s de Londres. Le 19 décembre 2018, la recourante a signé un contrat d’assurance pour couvrir le risque d’annulation de grandes manifestations. En plus de la société D. plc (public limited company), quatre syndicats des Lloyd’s sont intervenus en tant qu’assureurs, soit les syndicats B. Lloyd’s Syndicate www et xxx et les C. Lloyd’s Syndicate yyy et zzz. Le contrat d’assurance a été conclu enfin par l’intermédiaire de la société E. Limited. L’intimée 1 est membre du syndicat B. Lloyd’s Syndicate www et l’intimée 2 est membre du syndicat C. Lloyd’s Syndicate yyy. En 2020, plusieurs manifestations internationales ont été annulées. Un conflit est né entre les parties en relation avec l’indemnisation du dommage subi. La recourante était de l’opinion que, pour faire valoir sa créance contractuelle, elle avait besoin des données (prénoms, noms ainsi que les adresses de domicile ou de siège) de tous les membres du syndicat des Lloyd’s, participant au contrat d’assurance en question. Le 4 octobre 2021, elle a donc introduit une requête de preuve à futur, dans ce but. Déboutée en première et en deuxième instance, elle porte l’affaire devant le TF.
Le TF rappelle, en premier lieu, qu’il y a une différence entre la demande en production de documents à des fins de preuve dans le cadre d’une procédure civile (Editionsbegehren zu Beweiszwecken) et une demande de production fondée sur un droit aux renseignements de nature matérielle (Editionsbegehren gestützt auf einen materiellrechtlichen Auskunftsanspruch). Alors que le droit aux renseignements ou à la reddition de compte peut être élevé, de manière indépendante et notamment être cumulé avec la prétention principale, en tant que prétention accessoire, dans le cadre d’une action échelonnée (Stufenklage), la demande de preuve en matière de procédure civile présuppose des allégations pertinentes sur les faits que les documents à éditer doivent prouver (c. 4 ss ; cf. ATF 144 III 43 c. 4).
Le TF rappelle ensuite rapidement le mode de fonctionnement du marché des Lloyd’s (c. 5.1 et réf. not. 4A_116/2015, 4A_118/2015 du 9 novembre 2015, c. 3.1, n. p. dans ATF 141 III 539). Il rappelle que les Lloyd’s ne contestent en principe pas leur légitimation passive lorsque la partie défenderesse est intitulée « les assureurs Lloyd’s signataires du contrat Nr. […], représentés par le mandataire général pour la Suisse ». Il reconnaît toutefois que cela ne change fondamentalement rien aux effets sur la capacité d’être partie. En passant, il mentionne que le projet de révision de la loi sur la surveillance des assurances prévoit un art. 15a P-LSA « association d’assureurs désignée par Lloyd’s ». Son al. 2 devrait prévoir que le mandataire général des Lloyd’s pour la Suisse a qualité de partie dans toutes les procédures concernant les prétentions et les créances découlant de contrats d’assurance, en lieu et place des assureurs des Lloyd’s concernés (c. 5.2 et réf.). Il examine ensuite le grief de la recourante qui conteste avoir voulu obtenir des preuves de manière contraire au droit. En effet, l’autorité cantonale avait considéré qu’il en allait ainsi puisque la recourante sollicitait des informations qu’elle ne connaissait pas encore et dont elle disait avoir besoin pour intenter une action contre les membres des syndicats, afin de prouver la capacité d’être partie et la légitimation passive, sur la base des art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC. Pour le TF, l’appréciation cantonale n’est pas arbitraire, parce que la recourante ne fait pas valoir qu’elle aurait eu effectivement connaissance des informations requises. Or, la requête de preuve à futur visant l’édition de documents ne sert pas à clarifier un état de fait mais à le prouver (c. 6.2.1). Du point de vue du TF, il n’est pas non plus arbitraire de rejeter l’action de la recourante au motif qu’un tel rejet reviendrait à ce que la demanderesse ne puisse, dans l’hypothèse d’une absence d’un droit contractuel à l’information, pas faire valoir ses prétentions en justice. Il a ainsi suivi la cour cantonale, estimant que cela ne représentait pas un résultat insoutenable et que cette impossibilité serait en outre imputable à la recourante, elle-même, laquelle avait accepté de conclure un contrat, sans connaître ses partenaires voire sans prévoir de clause impliquant une obligation de communication desdits partenaires (c. 6.2.2). Enfin, le TF considère que l’argumentation principale des juges cantonaux, à savoir que la recourante n’a pas sollicité l’édition de documents mais d’informations et qu’elle n’avait pas démontré que l’objet de ses conclusions juridiques était constitué de documents déjà existants, malgré les dénégations de la demanderesse, ne représentait pas une violation du droit d’être entendu de la recourante (c. 6.3 ss). Le recours est rejeté.
Auteur : Rébecca Grand, avocate à Winterthour


TF 8C_374/2022 du 05 décembre 2022
Assurance-accidents; assistance judiciaire, choix du mandataire, mandataire hors canton; art. 29 Cst.
L’art. 29 al. 3 Cst. ne garantit pas en principe le droit du justiciable au bénéfice de l’assistance judiciaire de choisir librement son conseil d’office. Les règlements cantonaux selon lesquels seuls les avocats inscrits dans leur propre canton peuvent se voir confier des mandats d’office peuvent être objectivement justifiés et sont compatibles avec l’art. 29 al. 3 Cst. Toutefois, sur la base du droit à un procès équitable (art. 29 al. 1 Cst), s’il existe une relation de confiance particulière entre le client et l’avocat ou si l’avocat a déjà traité l’affaire dans le cadre d’une procédure antérieure, les dispositions cantonales ne peuvent faire obstacle à la désignation d’un avocat d’office inscrit en dehors du canton.
Dans le cas d’espèce, le recourant s’était vu accorder l’assistance judiciaire et la désignation d’un conseil d’office dans le cadre d’une première procédure, qui avait été portée devant une autorité judiciaire incompétente. La cause a été transférée à l’autorité compétente, sise dans un autre canton dans lequel l’avocat en question n’était pas inscrit. Les instances cantonales ont refusé de désigner au recourant le même conseil d’office au motif que cet avocat n’était pas inscrit dans le canton concerné. Pour le TF, il faut considérer que l’avocat en question avait déjà traité l’affaire dans le cadre d’une procédure antérieure, contrairement à ce que soutenait l’autorité inférieure, si bien que c’est à tort que sa désignation en qualité de conseil d’office lui a été déniée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si une relation de confiance particulière entre le client et l’avocat existait en l’espèce.
Auteur : Amandine Torrent, avocate à Lausanne


TF 6B_171/2022 du 29 novembre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence, procédure, acte d’accusation, causalité; art. 333 CP
Un chauffeur circule au volant de sa camionnette lorsqu’il détourne brièvement son regard sur quatre véhicules, dont une voiture de police, stationnés sur une piste cyclable. Lorsque son regard se porte à nouveau sur la route devant lui, le chauffeur est ébloui par une source lumineuse ou un reflet dont l’origine n’a pu être déterminée par l’enquête. Lorsqu’il retrouve la vue, le conducteur réalise qu’un véhicule est arrêté devant lui et entre en collision avec celui-ci provoquant le décès d’une conductrice.
Le TF écarte tout d’abord le grief du ministère public relatif à la violation de la maxime d’accusation (art. 9 CPP) en rappelant que l’acte d’accusation doit préciser les circonstances sur lesquelles le Ministère public se fonde pour retenir une violation du devoir de diligence du prévenu de même que le caractère prévisible et évitable du résultat. Dans le cas d’espèce, l’acte d’accusation exposait uniquement le bref regard sur les véhicules stationnés sur la piste cyclable ainsi que l’éblouissement comme fondement de la violation du devoir de diligence. Ainsi, l’éventuelle vitesse inadaptée aux conditions de circulation ou la distance de sécurité insuffisante, éléments évoqués dans un rapport d’expertise, ne figuraient pas parmi les reproches formulés à l’égard du prévenu et c’est donc à juste titre que l’autorité cantonale ne les a pas pris en compte (c. 2.1 à 2.6).
Le ministère public critiquait également la mauvaise application de l’art. 333 al. 1 CPP (modification et compléments de l’accusation). Le TF précise la portée de l’art. 333 CPP : le recours à l’art. 333 al. 1 CPP n’est possible qu’à des conditions limitées. Ainsi, cette disposition est applicable lorsque l’état de fait décrit dans l’acte d’accusation pourrait correspondre à une autre infraction ou à une infraction supplémentaire, mais qu’il est nécessaire d’y ajouter un nouvel élément factuel (c. 3.4.3 et 3.4.4). Le TF précise, en revanche, que l’art. 333 al. 1 CPP n’a pas vocation à être appliqué dans le but de modifier l’état de fait de l’acte d’accusation sans que cela ne change la qualification juridique de l’infraction. Dans le cas d’espèce, le TF constate que l’acte d’accusation ne contient pas la description de toutes les circonstances permettant de fonder une violation du devoir de prudence – notamment rien sur la vitesse inadaptée et l’absence de distance de sécurité - de sorte que le tribunal cantonal n’a, à juste titre, pas renvoyé l’acte d’accusation au ministère public. En effet, ce dernier n’aurait pu compléter que la description de l’état de fait sans que cela n’ait une quelconque influence sur la qualification juridique de l’infraction puisque seul l’homicide par négligence entrait en ligne de compte (c. 3.5).
Le TF examine finalement la question de la causalité. Le tribunal cantonal avait considéré, sur la base d’une expertise, que la violation du devoir de prudence concrètement reprochée au conducteur (bref regard sur le côté et éblouissement) avait certes retardé son freinage d’urgence de 0.5 à 0.7 secondes mais n’auraient pas empêché la survenance de l’accident. A cet égard, le TF observe que même si la collision serait survenue de toute manière en raison des violations du devoir de prudence du conducteur non décrites dans l’acte d’accusation (vitesse inadaptée à la circulation et non-respect des distances de sécurité), les violations concrètement reprochées et figurant dans ce dernier ont pu contribuer au résultat final. En effet, l’élément déterminant pour envisager l’imputation objective d’un résultat à un auteur est que ce dernier ait, par son comportement, réalisé l’une des conditions dont le résultat, dans sa manifestation concrète, est la conséquence. En outre, les conséquences de la collision auraient pu être différentes si le conducteur avait freiné 0.5 à 0.7 secondes plus tôt. Aussi le TF admet-il partiellement le recours et renvoie la cause au tribunal cantonal pour nouvel examen.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains




TF 6B_375/2022 du 28 novembre 2022
Lésions corporelles graves par négligence; violation du devoir de prudence de l’employeur, causalité adéquate, interruption; art. 125 CP; 8 al. 2 let. a, 15 al. 1, 16 et 19 al. 1 aOTConst; 11 et 21 OPA
Pour éviter de faire un détour, un ouvrier a décidé de ne pas emprunter la sortie réglementaire du chantier sur lequel il travaillait. Il est passé par une autre ouverture où se trouvait un échafaudage duquel il a chuté, entraînant de graves blessures. Il est admis que l’employeur n’a pas manqué à son devoir de surveillance et d’information, ni à son devoir de prudence s’agissant du choix et de l’installation des échafaudages. L’employeur a néanmoins manqué à son devoir de prudence, découlant des art. 21 OPA, 15 al. 1, 16 et 19 al. 1 aOTConst, en n’installant pas de protection et en ne prenant ainsi pas les mesures nécessaires pour prévenir les chutes.
Dans le cadre de l’analyse de l’art. 125 CP, le TF s’attarde sur le concept général de la causalité adéquate qui demeure litigieuse en l’espèce. Il est rappelé qu’en cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée.
L’existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance ; autrement dit, elle n’est réalisée que lorsque l’acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat. La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’eût empêché.
La causalité adéquate peut aussi être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d’un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.
Il convient en l’espèce de se poser la question de savoir si l’installation de protections latérales ou de mesures de protection équivalentes aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité que l’ouvrier emprunte volontairement ce passage et, conséquemment, chute. Si l’employeur avait installé des protections latérales ou des mesures de protection équivalentes, l’ouvrier n’aurait eu d’autre choix que de franchir ces installations avant de pouvoir emprunter le passage dont il est question, ce qui aurait nécessairement pris du temps. La simple présence de protections latérales ou de mesures de protection équivalentes aurait, à tout le moins, eu pour effet de porter son attention sur les risques inhérents à la manœuvre envisagée et l’aurait très vraisemblablement décidé à emprunter la sortie réglementaire. Il résulte de ce qui précède que la causalité adéquate doit être admise.
Reste encore à se demander si le comportement de l’ouvrier est à ce point extraordinaire et inattendu qu’il relègue à l’arrière-plan les manquements de l’employeur. Travailler sur un chantier est en soi une activité dangereuse, raison pour laquelle des normes de sécurité strictes s’appliquent à cette activité. En particulier, l’OTConst et l’OPA contiennent de nombreuses prescriptions visant à prévenir les chutes, précisément parce qu’il n’y a rien de surprenant à ce qu’un ouvrier, pour gagner du temps ou pour toute autre raison, prenne des risques pouvant conduire à une chute involontaire.
En cela, le comportement de l’ouvrier ne s’impose pas comme la cause la plus probable et la plus immédiate de son accident, reléguant à l’arrière-plan les manquements de l’employeur. La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en retenant une rupture du lien de causalité adéquate.
Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève


TF 4A_603/2020 du 16 novembre 2022
Responsabilité aquilienne; responsabilité délictuelle, faute, dol éventuel, norme de protection, blanchiment d’argent; art. 41 al. 1, 55 al. 1 CO; 29, 305bis CP; 9 LBA
Un prétendu gérant de fortune indépendant a ouvert un compte dans une banque et berné des clients. Une procédure pour blanchiment d’argent a notamment été ouverte. A la suite de son décès, la procédure pénale a pris fin. Plusieurs clients ont fait valoir des dommages-intérêts et indemnités pour tort moral contre la banque, fondant leur action sur les principes de la responsabilité délictuelle (art. 41 ss CO). La norme de protection invoquée est l’art. 305bis CP, la banque se trouvant selon eux dans une position de garant. L’action a été rejetée, les clients échouant à démontrer l’intention délictueuse et le lien de causalité entre les manquements de la banque et le dommage subi. Ce jugement a été annulé en appel car la banque aurait dû réaliser le caractère insolite des transactions et disposait d’indices quant à la provenance douteuse des avoirs. Le dol éventuel pouvait ainsi être retenu, les agissements de la banque tombaient sous le coup de l’art. 305bis CP. L’action délictuelle était fondée et le dossier renvoyé aux premiers juges pour déterminer la quotité du dommage. La banque a recouru en matière civile auprès du TF et a conclu à l’annulation de la décision incidente rendue.
Le TF rappelle que la banque peut également engager sa responsabilité de par l’art. 55 al. 1 CO. L’acte de l’employé doit toutefois être illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO. Lorsqu’un acte illicite lèse le patrimoine, il faut établir la violation d’une norme de comportement (Schutznorm) visant à protéger le lésé dans les droits atteints par l’acte incriminé. L’art. 305bis CP est une de ces normes de comportement. Cette infraction ne peut être réalisée que sous la forme intentionnelle. Le blanchiment d’argent doit être intentionnel, ce qui signifie que son auteur doit agir « avec conscience et volonté ». L’intention est déjà réalisée lorsque l’auteur tient pour possible la réalisation de l’infraction et l’accepte au cas où celle-ci se produirait (art. 12 al. 1 et 2 CP). Est ici visé le dol éventuel : l’auteur envisage le résultat dommageable mais agit néanmoins, même s’il ne le souhaite pas, parce qu’il s’en accommode pour le cas où il se produirait. La frontière avec la négligence consciente est ténue ; elle se situe au niveau volitif. L’auteur négligent envisage lui aussi l’avènement du résultat dommageable mais escompte, ensuite d’une imprévoyance coupable, que ce résultat qu’il refuse en soi ne se produira pas. A défaut d’aveux, le juge doit se fonder sur les circonstances extérieures pour déterminer quelle forme de faute il retient.
En l’espèce, l’enjeu consistait à établir un acte intentionnel de blanchiment d’argent qui fût propre à engager la responsabilité civile de la banque. Le caractère insolite de la situation était apparu dans le cadre de la procédure pour blanchiment d’argent, la banque aurait dû s’interroger en particulier sur l’origine illicite des fonds. La responsabilité de la banque ne peut être engagée que dans la mesure où une/des personne(s) physique(s) a/ont commis un acte illicite, soit réalisé les éléments constitutifs objectifs et subjectif du blanchiment. Deux écueils se dressent à cet égard : d’une part, il faut pouvoir reprocher à une/des personne(s) physique(s) d’avoir contrevenu aux obligations juridiques qualifiées instaurées par la LBA. D’autre part, un comportement intentionnel est requis. L’art. 29 CP trace le cercle limité des personnes physiques auxquelles l’on peut reprocher d’avoir enfreint un devoir particulier incombant à la personne morale – ici en vertu de la LBA. Il s’agit des membres d’un organe (let. a), des associés (let. b), des collaborateurs dotés d’un pouvoir de décision indépendant (let. c) ou enfin, des dirigeants effectifs (let. d).
En l’occurrence, l’organisation de la banque pour lutter contre le blanchiment d’argent et les personnes en charge d’aviser le Bureau de communication au sens de l’art. 9 LBA ne sont pas indiquées. La responsable du service juridique était absente pendant la période problématique et il n’y a pas de détails quant au service de compliance. Un collaborateur précis ne peut ainsi être déterminé. Le TF rappelle qu’il faut ensuite démontrer l’intention délictueuse d’un employé précis. Les éléments au dossier ne permettent pas non plus de déduire une intention délictuelle. Les clients de la banque n’ont du reste pas requis l’audition de membres du personnel. Rien n’indique que la Commission ait pu identifier des collaborateurs animés d’une intention délictueuse. La cour cantonale ne pouvait s’inspirer d’un mécanisme étranger à l’art. 55 CO, qui n’est pas applicable faute d’acte illicite. L’enquête pénale n’a pas pu mettre en évidence des employés suspects. Devant la Cour de justice déjà, il était acquis que l’illicéité civile pouvait découler uniquement de la réalisation de l’art. 305bis CP, aucune autre norme pénale n’entrant en ligne de compte. Il était également admis que la violation des règles de la LBA était en soi inapte à fonder une responsabilité civile délictuelle au sens de l’art. 41 CO.
En définitive, le TF retient qu’aucun acte illicite susceptible d’engager une responsabilité de la banque selon l’art. 55 CO n’a pu être établi car aucune intention délictueuse n’a pu être prêtée à l’un ou l’autre collaborateur précis de la banque. Aussi le TF a-t-il rejeté les conclusions des demandeurs et admis le recours de la banque.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate, Lausanne


TF 4A_480/2021 du 09 novembre 2022
Responsabilité aquilienne; contrat de mandat, allégation du dommage, procédure; art. 42 al. 1 et 2, 398 al. 1 CO; 55 CPC
Dans le cadre de l’acquisition du capital-actions d’une société anonyme, la recourante reproche à la fiduciaire, chargée de réviser les comptes de la société visée, de ne pas avoir constaté que les fonds propres et les résultats de celle-ci étaient surévalués. Ayant payé un prix excessif pour les actions et invoquant la responsabilité de son mandataire, l’acheteuse a conclu à ce que la fiduciaire soit condamnée au paiement de la différence entre le coût des actions et leur valeur réelle, étant précisé qu’elle avait déduit du montant réclamé le versement effectué à bien plaire par le vendeur à la suite d’une action en réduction du prix de vente. Alors que les manquements de l’intimée et la différence de valeur avaient été démontrés par expertises, privée puis judiciaire, les deux instances cantonales ont intégralement rejeté les conclusions de la mandante.
Après avoir rappelé les conditions régissant la responsabilité du mandataire, soit la violation d’un devoir de diligence, l’existence d’une faute (présumée en cas de violation du contrat), un dommage et un lien de causalité entre le dommage et la violation fautive du devoir de diligence, le TF a confirmé le défaut d’allégation suffisante du dommage. En effet, en matière de responsabilité du mandataire, cas qui doit être distingué de la responsabilité du vendeur, l’acheteur doit alléguer quelle aurait été sa situation patrimoniale sans la survenance de l’événement dommageable, en l’espèce la violation par la fiduciaire des règles de l’art lors de la révision des comptes. Or, l’acheteuse s’est limitée à alléguer la valeur réelle de la société selon les comptes rectifiés de la société, et donc le trop-payé au regard du prix initialement versé. A l’appui de ces faits, elle a sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire portant sur la diligence du mandataire et la diminution de son patrimoine. Le préjudice ne peut toutefois être calculé par l’application purement arithmétique d’une formule mathématique dont on déduirait le delta entre le prix payé et la valeur réelle ; il faut comparer le patrimoine de la lésée en fonction des décisions qu’elle aurait prises si elle avait été correctement informée par la fiduciaire.
Le TF retient ainsi que la recourante aurait dû alléguer, puis offrir de prouver, quel aurait été son comportement si son mandataire avait correctement effectué la mission confiée, à savoir constaté que les fonds propres et les bénéfices de la société étaient surévalués. Dès lors, l’acheteuse aurait dû affirmer (i) qu’elle aurait renoncé à acheter les actions de la société compte tenu des résultats réels de celle-ci, son dommage s’élevant alors au prix payé, la valeur du bien en sa possession étant portée en déduction, ou (ii) qu’elle aurait été en mesure de négocier auprès du vendeur un prix inférieur, et a minima alléguer quel aurait été le prix réduit, son préjudice étant alors équivalent à la différence entre le prix versé et celui négocié à la baisse.
Le TF retient ainsi que les conclusions de l’expertise judiciaire, qui ne portait pas sur le dommage indemnisable, ont été écartées à juste titre. La violation du devoir d’allégation a donc été retenue à juste titre, que ce soit sous l’angle de l’établissement non arbitraire des faits ou de l’application correcte du droit fédéral. L’invocation de l’art. 42 al. 2 CO ne saurait remédier aux manquements de la recourante, cette disposition permettant certes au juge de définir l’indemnisation du dommage en équité, mais ne relevant pas le demandeur de son devoir d’allégation des faits pertinents et d’offrir les preuves à leur appui.
Ex cursus : cette procédure a également porté, à titre incident, sur la recevabilité d’un appel en cause, la Cour de justice l’ayant rejeté en raison de l’absence d’un lien de connexité suffisant entre la prétention principale et celle invoquée dans l’appel en cause, le TF, par substitution de motifs, retenant finalement que l’appelant en cause avait manqué de prendre des conclusions chiffrées contre l’appelé.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève



TF 4A_298/2021 du 08 novembre 2022
Responsabilité médicale; prescription, créance en euros, requête de conciliation, conclusions libellées en francs suisses, principe de la confiance; Art. 135 al. 1 et 2, 84 al. 2 et 127 CO; 67 al. 1 ch. 1 à 4 LP; 58 al. 1 et 132 al. 1 CPC
Est litigieuse la question de savoir si le délai de prescription de trois créances, à savoir de trois postes de préjudice, selon les conclusions prises en euros dans la seconde action du 28 mars 2018, objet de la présente procédure de recours, a été ou non interrompu par la première action, introduite le 30 juin 2015 et donc dans le délai de 10 ans à compter de l’opération du 3 mai 2006, mais dont les conclusions étaient libellées en francs suisses (c. 4).
Le TF rappelle tout d’abord sa jurisprudence relative à la monnaie dans laquelle le créancier doit formuler ses conclusions et la conséquence attachée à des conclusions prises dans une monnaie erronée (c. 5, 5.1, 5.1.1, 5.1.2 et 5.2).
Selon la jurisprudence rendue en matière d’interruption de la prescription par une requête de conciliation, la désignation inexacte d’une partie peut être rectifiée lorsqu’il n’existe dans l’esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l’identité de la partie, notamment lorsque l’identité résulte de l’objet du litige. Cela présuppose évidemment que la requête de conciliation ait été effectivement communiquée à la partie qui a la qualité pour défendre, et non à un tiers, en d’autres termes que celle-ci en ait eu connaissance, à défaut de quoi il n’est évidemment pas possible de lui imputer qu’elle aurait compris ou dû comprendre, selon les règles de la bonne foi, que l’action ait été ouverte contre elle. Il en va de même en cas d’inexactitude de la désignation d’une partie dans la demande (c. 6.2.1.2).
Dans la droite ligne de la jurisprudence susmentionnée et du principe de la confiance sur lequel repose la validité de l’acte interruptif en dépit de la désignation inexacte d’une partie qui affecte celui-ci, il y a lieu d’admettre que le créancier qui a adressé, en temps utile, à une autorité de conciliation une première action, libellée en francs suisses, pour une créance qui était due en monnaie étrangère, a valablement interrompu le délai de prescription puisqu’il a ainsi bien fait connaître à une autorité officielle son intention, ou aurait dû la comprendre selon le principe de la confiance. La créance suffisamment individualisée par son fondement, et les montants en francs suisses et en euros ne sont que les deux faces d’une même pièce. Cette solution s’impose aussi pour deux autres motifs : premièrement, une réquisition de poursuite (obligatoirement) exprimée en francs suisses interrompt valablement la prescription de la créance due en monnaie étrangère ; deuxièmement, lorsqu’il est saisi de conclusions en paiement et en mainlevée, le tribunal prononce simultanément, pour la seule et même créance, une condamnation en monnaie étrangère et la mainlevée en francs suisses de l’opposition au commandement de payer. On ne verrait donc pas pourquoi la prescription d’une créance en monnaie étrangère pourrait être interrompue par une réquisition de poursuite en francs suisses et qu’elle ne pourrait pas l’être par une requête en conciliation en francs suisses. Certes, il faut distinguer entre l’effet interruptif de la prescription, qui se produit à un moment donné, sans égard à la suite de la procédure, et qui a pour but la sauvegarde du droit lui-même, laquelle relève du droit matériel, et la rectification d’une erreur dans la procédure en cours, qui relève du droit de procédure. A la différence de la désignation inexacte d’une partie, qui peut être corrigée dans la procédure introduite, l’erreur concernant la monnaie due ne pourra être corrigée que par l’introduction d’une nouvelle requête libellée dans la monnaie correcte (c. 6.2.2).
En l’espèce, la patiente a communiqué par une requête de conciliation du 30 juin 2015, soit dans le délai de prescription de 10 ans, qu’elle entendait obtenir le paiement d’une créance en dommages-intérêts dont le fondement était le prétendu dommage causé par l’intervention chirurgicale qu’elle avait subie le 3 mai 2006. Elle a donc valablement interrompu la prescription par ses conclusions libellées en francs suisses, et ce sans égard à la suite de la procédure. Par conséquent, la seconde requête de conciliation du 28 mars 2018, portant sur la même créance et alors exprimée en euros, a été introduite en temps utile, de sorte que cette action n’est pas prescrite (c. 6.3). Le recours est admis et l’arrêt attaqué est annulé et réformé, en ce sens que l’exception de prescription soulevée par les défendeurs est rejetée.
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud



TF 9C_650/2021 du 07 novembre 2022
Assurance-maladie; assurance facultative des indemnités journalières, réserves de santé, réticence, protection des données; art. 69 LAMal
En matière de protection des données, l’assureur-maladie social n’est en droit de traiter de données sensibles – dont les données sur la santé (art. 3 let. c LPD) – que si une loi au sens formel le prévoit expressément (cf., de manière générale, l’art. 84 LAMal) ou si, exceptionnellement (et entre autres éventualités), la personne concernée y a consenti ou a rendu ses données accessibles à tout un chacun et ne s’est pas opposée formellement au traitement (art. 17 al. 2 let. c LPD). Il est par ailleurs tenu de prendre les mesures techniques et organisationnelles nécessaires pour garantir la protection des données (art. 84b LAMal ; cf. aussi art. 7 al. 1 LPD). Dans ce cadre, il doit assurer que le traitement des données, y compris la collecte des données et leur exploitation (cf. art. 3 let. e LPD), soit effectué en conformité à la loi.
A juste titre, le TF a rappelé que la loi interdit un échange d’informations général entre une caisse-maladie et une assurance complémentaire privée, même si elles appartiennent à un même groupe d’assureurs, que le transfert de données se fasse de l’assureur-maladie social à l’assureur privé ou dans l’autre sens. Il a ainsi annulé la décision du tribunal cantonal, au motif qu’on ne pouvait retenir que l’assureur-maladie d’indemnités journalières selon la LAMal avait eu ou aurait pu avoir connaissance du rapport d’un médecin ayant traité la personne assurée au moment où il a été transmis à l’assureur privé. En conséquence, l’assureur-maladie social n’était pas en retard lorsqu’il a émis une réserve (rétroactive) à l’endroit de l’assurée, pour cause de réticence (art. 69 LAMal).
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_663/2021 du 06 novembre 2022
APG-COVID; revenu déterminant pour le calcul des indemnités, égalité de traitement; art. 8 Cst.; 5 al. 2 O APG COVID-19 des 6 juillet et 8 octobre 2020
Le TF examine la conformité de l’ordonnance sur les pertes de de gain COVID-19 des 6 juillet et 8 octobre 2020 avec la Constitution fédérale à l’occasion d’une affaire ayant débuté le 18 août 2020, lorsque la recourante, musicienne indépendante, a demandé à bénéficier des APG-COVID en lien avec la pandémie. La caisse cantonale de compensation lui a reconnu, à compter du 17 mars 2020, le droit à une indemnité journalière calculée sur la base des revenus taxés en 2018 (en application des art. 2 al. 3bis et art. 2 al. 1bis let. b ch. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet 2020). Se fondant sur la taxation fiscale de ses revenus pour l’année 2019, intervenue le 21 octobre 2020, la recourante a demandé une modification du calcul de l’indemnité journalière avec effet au 17 mars 2020.
L’autorité cantonale a refusé pour la période du 17 mars au 31 octobre 2020 au motif que l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet 2020 accordait au bénéficiaire le droit de demander jusqu’au 16 septembre 2020 un nouveau calcul de l’indemnité allouée sur la base de la taxation fiscale des revenus réalisés en 2019. Elle lui a également refusé le droit au nouveau calcul pour la période ultérieure à compter du 17 septembre 2020, au motif que l’O APG COVID-19 du 8 octobre 2020 disposait que les bases de calcul pour les indemnités allouées sur base de l’O APG COVID-19 applicable jusqu’au 16 septembre 2020 étaient maintenues pour la période ultérieure (art. 5 al. 2bis et 5 al. 2ter O APG COVID-19 dans sa teneur du 8 octobre 2020).
Le TF constate que l’O APG COVID-19, modifiée le 8 octobre 2020, après l’adoption de la loi COVID-19 du 25 septembre 2020, dont l’art. 15, entré en vigueur avec effet rétroactif au 17 septembre 2020, constitue la base légale des mesures destinées à compenser la perte de gain.
La recourante invoque une violation de l’art. 8 Cst. Selon elle, la limite temporelle, imposée par l’ordonnance dans sa teneur au 6 juillet et au 8 octobre 2020, désavantage sans motif valable les bénéficiaires dont les revenus 2019 ont été taxés après le 16 septembre 2020.
Le TF rappelle qu’une norme viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou si elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. L’inégalité de traitement injustifiée doit porter sur un aspect substantiel. Une inégalité de traitement peut se justifier par les buts poursuivis par le législateur ou par le Conseil fédéral, en cas d’ordonnance, ce dernier disposant en général d’une grande marge de manœuvre (c. 10).
L’O APG COVID-19 du 6 juillet 2020 a été adoptée par le Conseil fédéral dans le cadre des larges pouvoirs lui ayant été conférés par l’art. 185 al. 3 Cst. Le TF a le pouvoir d’examiner à titre préjudiciel le caractère constitutionnel de cette ordonnance de substitution indépendante d’une loi parlementaire et peut ne pas l’appliquer si elle viole les droits fondamentaux (c. 9 et 147 V 423 sur les ordonnances indépendantes qui se distinguent des ordonnances de substitution dites « dépendantes »).
Le TF constate qu’au cours du printemps et de l’été 2020, il était difficile de prévoir la durée des mesures sanitaires et le nombre de requêtes à traiter. Il se justifiait dès lors d’adopter des mesures simples pour répondre rapidement aux nombreuses demandes d’aide urgente dues aux conséquences économiques de la pandémie. La limite temporelle de l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet, fixée au 16 septembre 2020, pour déposer la demande et la taxation fiscale 2019, en vue d’un nouveau calcul de l’indemnité, se justifiait objectivement par l’urgence de la situation. Cette disposition n’est ainsi pas arbitraire et respecte le principe de l’égalité de traitement (c. 11.3.3). La décision cantonale est donc confirmée pour la période du 17 mars au 16 septembre 2020.
En revanche, l’O APG COVID-19 dans sa teneur du 8 octobre 2020 trouve son fondement dans la loi fédérale, laquelle ne contient aucune indication détaillée quant au contenu de l’ordonnance en matière d’indemnités perte de gain. Aucune immunité constitutionnelle ne peut être ainsi conférée à l’ordonnance du 18 octobre 2020 (c.11.3.4). Le TF relève d’ailleurs qu’à son art. 5 al. 2, l’ordonnance du 8 octobre 2020 renvoie, pour le calcul des indemnités, à l’application par analogie aux art. 11 al. 1 LAPG et 7 al. 1 RAPG. Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2021, ce dernier article permet de procéder à un nouveau calcul de l’indemnité si les revenus déterminants AVS de l’année de service diffèrent des revenus AVS déterminants antérieurs, pris en compte pour le calcul de l’indemnité journalière.
Le TF rappelle que l’O APG COVID- 19 a été modifiée le 1er juillet 2021 pour prescrire de calculer le montant des indemnités journalières sur la base de la taxation fiscale de l’année 2019 (c. 6.2.2 et 11.3.4). Les bénéficiaires des prestations pour la période du 17 septembre 2020 au 30 juin 2021 sont dès lors désavantagés, sans raison valable, par rapport à ceux qui ont pu bénéficier des prestations dès le 1er juillet 2021. La limite temporelle fixée par l’ordonnance du 8 octobre 2020 ne doit dès lors pas être appliquée. Il en résulte ainsi également une absence de violation du devoir d’informer de la part de l’assurée que lui avait reproché l’autorité cantonale pour ne pas avoir transmis les revenus AVS avant le 17 septembre 2020 (art. 31 LPGA, art. 24 al. 4 OAVS) (c. 11.5).
En l’absence du caractère urgent reconnu précédemment, le TF ne voit pas de motif justifiant de refuser aux bénéficiaires un nouveau calcul des indemnités journalières, fondé sur la taxation fiscale des revenus de l’année 2019, après le 16 septembre 2020.
Auteur : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 8C_366/2022 du 19 octobre 2022
Assurance-chômage; restitution, péremption, rectification de la décision; art. 53 al. 2 et 25 al. 2 LPGA
En matière d’assurances sociales, une décision entrée en force qui repose sur une application initialement erronée du droit peut faire l’objet d’une reconsidération. La reconsidération, qui se fonde sur l’art. 53 al. 2 LPGA, est soumise à deux conditions : l’importance notable de la rectification et l’existence d’une erreur manifeste. L’erreur manifeste peut résulter de l’application des mauvaises bases légales, de la non-application ou de la mauvaise application des normes déterminantes ainsi que de l’application erronée de la jurisprudence. Lorsque les conditions de la reconsidération sont réalisées, la décision reconsidérée est annulée.
L’art. 25 al. 2, 1re phrase, LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, prévoit que le droit de demander la restitution de prestations indûment touchées s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du motif de restitution, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Selon le TF, malgré la terminologie légale, il s’agit de délais (relatif ou absolu) de péremption et non de prescription. Ces délais ne peuvent par conséquent pas être interrompus. Par ailleurs, le délai de péremption est sauvegardé une fois pour toutes lorsque l’autorité a accompli l’acte conservatoire que prescrit la loi. Pour le TF, est déterminant pour la sauvegarde du délai de péremption le moment où la caisse a rendu sa décision de restitution.
S’agissant de l’interruption de la péremption de la créance en restitution de prestations indues, le TF considère qu’une première décision de restitution de prestations rendue avant l’échéance du délai de péremption sauvegarde valablement ce délai, quand bien même elle est par la suite annulée et remplacée sur le champ par une nouvelle décision de restitution portant sur un montant corrigé.
Le TF distingue cette situation de celle où une caisse de chômage rend une première décision de restitution en temps utile qui entre en force puis qui est annulée par voie de reconsidération. Lorsqu’ultérieurement, soit après l’échéance du délai de péremption d’une année, la caisse rend une nouvelle décision de restitution, cette dernière doit être jugée tardive car l’effet de la première décision quant au respect du délai de péremption ne perdure pas ; en effet, l’annulation de la décision de restitution sans remplacement entraîne également la disparition des conséquences et des effets juridiques qu’elle produisait.
Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 9C_536/2021 du 19 octobre 2022
Assurance-invalidité; contribution d’assistance, besoin d’aide, évaluation, ménage commun avec un autre adulte, réduction de la contribution, art. 42quater ss LAI; 39g al. 2 let. b RAI; CCA
Une personne assurée au bénéfice d’une contribution d’assistance de l’assurance-invalidité a vu le montant de cette dernière, réduit du moment que son assistante de vie a emménagé avec elle.
Le TF rappelle que le besoin d’aide est évalué au moyen de l’instrument FAKT2. Conformément au chiffre 4030 de la Circulaire sur la contribution d’assistance (CCA), le besoin d’aide est réduit ou augmenté en fonction de la composition du ménage dans lequel vit la personne assurée. En présence d’un ou deux autres adultes, la déduction est de 33 %. Il est expressément précisé que l’assistante ou l’assistant qui vit chez la personne assurée peut être considérée comme un adulte vivant dans le même ménage.
Une fois le besoin d’aide établi, les mêmes circonstances justifient encore la réduction d’un douzième du montant de la contribution d’assistance annuelle, conformément à l’art. 39g al. 2 let. b RAI.
Dans cet arrêt, le TF confirme que le recours à l’outil FAKT2 est conforme au droit (cf. ATF 140 V 543), de même que l’art. 39g al. 2 let. b RAI, qui concrétise l’obligation de diminuer le dommage de la personne assurée, à tout le moins lorsque la participation de la personne faisant ménage commun est objectivement possible et exigible. Tel n’est pas le cas lorsque cette dernière est elle-même impotente au sens de l’art. 9 LPGA, ou qu’en raison de l’âge, elle peine déjà à s’occuper d’elle-même. Dans une telle hypothèse, une réduction suppose d’examiner au préalable la possibilité et l’exigibilité objectives d’une aide (cf. ATF 141 V 462 ; c. 4.2).
Il n’existe pas, en l’espèce, de motifs objectifs sérieux pour un changement de jurisprudence (c. 5).
Note : la question de la conformité de l’art. 39g al. 1 let. b RAI et du ch. 4030 CCA avec l’art. 8 CEDH mérite d’être posée, compte tenu de la récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Beeler c. Suisse (pour une analyse, cf. ici).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_466/2021 du 17 octobre 2022
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations, salaire déterminant, participation aux frais de garde, exemption des allocations familiales; art. 5 al. 2 et 4 LAVS; 6 al. 2 let. f RAVS
La participation aux frais de garde offerte par un hôpital à son personnel à certaines conditions pour les enfants en âge préscolaire fait partie du salaire déterminant soumis à cotisations AVS au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS.
Contrairement à l’avis de la dernière instance cantonale, cette prestation de l’employeur ne peut pas être assimilée à des allocations familiales exemptées de cotisations sociales en vertu de l’art. 6 al. 2 let. f RAVS. En effet, les allocations familiales sont octroyées forfaitairement pour chaque enfant, indépendamment des revenus des parents. Au contraire, la participation aux frais de garde n’est octroyée qu’aux membres du personnel de l’hôpital qui ont des enfants et qui remplissent certains critères bien précis (garde de leur enfant dans la crèche de l’hôpital ou une crèche affiliée, revenus des parents ne dépassant pas un certain seuil, taux d’occupation des parents, âge des enfants). Même parmi les bénéficiaires, le montant octroyé n’est pas identique pour chacun, puisqu’il est défini en fonction des revenus (c. 6 et 8).
En outre, les allocations familiales poursuivent un objectif de politique familiale et sociale, alors que la participation aux frais de garde vise également à faciliter le recrutement et le maintien du personnel de l’employeur, ce qui va au-delà de l’objectif purement social d’une allocation familiale (c. 7.2).
Ces prestations ne sont donc pas assimilables à des allocations familiales exemptées de charges sociales.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 4A_303/2022 du 17 octobre 2022
Assurances privées; CGA, interprétation, ordonnances COVID, clauses ambiguës; art. 18 CO
Un assuré a contracté une assurance entreprise « tous risques » dont la police prévoit une couverture complémentaire pour les épidémies. Par la suite, le Conseil fédéral a promulgué plusieurs ordonnances en relation avec le COVID. Le recourant estime qu’il existe un nouvel événement assuré (et donc un nouveau sinistre) à l’occasion de la publication de chaque ordonnance, qui donne droit à l’indemnisation convenue avec l’assureur. Il estime qu’il peut se prévoir de la règle des clauses ambiguës en relation avec l’art. 18 CO. L’assureur estime, quant à lui, que ses CGA sont claires et que l’on doit considérer que l’on est en présence d’un seul sinistre.
Le TF rejoint l’argumentation de l’assureur, dont les clauses ne prêtent pas le flanc à la critique. D’une part, il ressort tant de la police que des CGA que l’événement assuré est l’ensemble des mesures successivement ordonnées par les autorités pour éviter la propagation d’une épidémie. D’autre part, un montant fixe est prévu pour dédommager les conséquences d’une fermeture et les coûts des salaires. En l’espèce, il y a bien eu une seule épidémie et les mesures successivement ordonnées par le Conseil fédéral constituent un paquet homogène. Il y a donc un seul sinistre et les règles établies par l’assurance sont claires, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se référer à la règle des clauses ambiguës.
Les juges fédéraux estiment même que le recourant se livre à un véritable ergotage conceptuel (Begriffsrabulisitik) qui est hors sujet.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

TF 8C_326/2022 du 13 octobre 2022
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, incapacité de travail, incapacité de gain, absence de lacune à l’art. 28 al. 1 LAI; art. 6 et 8 LPGA; 28 al. 1 LAI
Le TF rappelle qu’est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA) et qu’il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas surmontable d’un point de vue objectif (c. 5.1 et 5.2).
Aussi, le TF considère qu’il n’existe pas de lacune à l’art. 28 al. 1 LAI dans le sens exposé par le tribunal cantonal. Ainsi, il considère comme erronée la position de l’instance inférieure selon laquelle l’art. 28 LAI comporterait une lacune qui doit être comblée en ce sens que les assurés qui ont été en moyenne en incapacité de travail à 40 % au moins pendant plus d’une année ont droit à une rente, même si des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, susceptibles d’améliorer leur capacité de travail peuvent être prises. Dans ce contexte, le TF rappelle le principe selon lequel « la réadaptation prime la rente » (art. 28 al. 1 let. a LAI). Le droit à une rente ne peut être admis que lorsqu’il n’existe plus de mesure de réadaptation possible (c. 6).
Par ailleurs, le TF relève que la procédure de mise en demeure de l’art. 21 al. 4 LPGA n’a pas à être appliquée dans le cas d’espèce. En effet, selon les éléments au dossier, l’assuré avait lui-même la possibilité de rétablir immédiatement une capacité de travail à 100 % en s’abstenant de consommer des drogues ou de l’alcool (c. 7).
Partant, le TF a admis le recours formé par l’office AI, considérant qu’il est contraire au droit fédéral d’octroyer une rente d’invalidité in casu (c. 8).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat


TF 8C_319/2022 du 12 octobre 2022
Assurance-chômage; RHT, personnes qui fixent ou influencent les décisions de l’employeur, fonction de cadre subalterne; art. 31 al. 3 let. c LACI
Cette affaire concerne le droit aux indemnités pour réduction de l’horaire de travail (RHT) d’une employée, occupant le poste de directrice au sein d’une entreprise individuelle, durant le mois de septembre 2020. Ce droit lui a été refusé par la Caisse de chômage, qui avait estimé qu’elle occupait une position similaire à celle d’un employeur.
Le TF commence par rappeler que l’ordonnance COVID-19 sur l’assurance-chômage avait introduit des allégements en matière de réduction de l’horaire de travail, notamment en étendant le droit aux indemnités de chômage à certaines catégories d’ayants droit. Il en allait ainsi de la dérogation faite à l’art. 31 al. 3 let. c LACI, en ce sens que les personnes qui fixaient les décisions que prenait l’employeur – ou pouvaient les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise, et les conjoints de ces personnes, occupés dans l’entreprise, pouvaient prétendre à des indemnités de chômage. Il conclut toutefois que dite ordonnance n’était pas applicable pour la période de septembre 2020 et que le régime de la LACI s’appliquait donc.
Le TF procède ensuite à l’examen de la notion de personne qui fixe ou influence de manière considérable les décisions de l’employeur. Pour trancher la question, il faut vérifier en premier lieu si ce pouvoir de décision découle de la loi, comme c’est le cas par exemple pour les associés d’une Sàrl. En second lieu, il faut examiner la structure interne de l’entreprise (confirmation de jurisprudence). Il passe ainsi en revue, de manière très détaillée, le cahier des charges de l’employée, son pouvoir décisionnel et son influence. Les critères examinés sont notamment le pouvoir de signature inscrit au registre du commerce, la limite des dépenses qu’elle pouvait engager sans en référer à l’employeur, le pouvoir de prendre des décisions dépassant le cadre des affaires courantes, l’influence sur la politique de l’entreprise et les compétences en matière de planification du personnel (existence ou non d’un pouvoir d’engagement, d’augmentation des salaires, de contrôle sur le temps de travail), etc. L’implication de l’employeur dans les activités non courantes est également examinée. Le montant du salaire en revanche n’est pas déterminant. Le TF conclut en l’espèce que la directrice n’avait pas d’influence déterminante sur son employeur, de sorte que le droit à l’indemnité de chômage lui était en principe ouvert.
Enfin, le TF rappelle que derrière la réglementation de l’art. 31 al. 3 let. c LACI se cache l’idée de prévenir les abus (auto-délivrance d’attestations nécessaires à l’indemnisation du chômage partiel, attestations de complaisance, impossibilité de contrôler la perte effective de travail, décision ou responsabilité dans l’introduction du chômage partiel, etc.). Un tel risque d’abus existe principalement chez les personnes qui, en tant que décideurs suprêmes d’une entreprise, sont habilitées à ordonner le chômage partiel. La disposition ne s’applique donc pas aux employés occupant des fonctions de cadre subalternes.
Auteur : Me David Métille, avocat à Lausanne

TF 8C_716/2021 du 12 octobre 2022
Assurance-accidents; rente d’invalidité; revenu statistique; abattement; âge; art. 28 al. 4 OLAA
De manière générale, une réduction au titre du handicap (abattement pour limitations fonctionnelles) dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré.
L’âge d’un assuré ne constitue pas en soi un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Selon le TF, pour atteindre son objectif, l’art. 28 al. 4 OLAA commande qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré. Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte. Il s’ensuit qu’un abattement à cause de l’âge avancé d’un assuré ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA.
Auteur : Guy Longchamp


Arrêt Beeler c. Suisse (requête n° 78630/12) du 11 octobre 2022
Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuf, fin du droit, discrimination, droit à la vie privée, prestations sociales; art. 8 et 14 CEDH; 24 al. 2 LAVS
La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme confirme l’arrêt rendu par la Cour le 20 octobre 2020, qui constatait la violation, par la Suisse, des art. 8 et 14 CEDH, en raison de la limitation du droit à la rente de veuf au 18e anniversaire du cadet des enfants (art. 24 al. 2 LAVS), cette limite ne s’appliquant pas aux rentes de veuves, qui sont viagères sous réserve de remariage (voir le résumé de cet arrêt ici et son analyse ici).
Constatant une jurisprudence non uniforme de la Cour à ce sujet, la Grande Chambre définit, dans cet arrêt, les critères qui permettent d’invoquer l’art. 8 CEDH, le cas échéant en combinaison avec l’art. 14 CEDH, lorsqu’il est question de refus de prestations sociales (N 47 à 72 de l’arrêt). Le raisonnement de la Grande Chambre peut être résumé de la manière suivante :
- l’art. 8 CEDH, même combiné avec l’art. 14 CEDH, ne permet pas d’exiger de l’Etat des prestations positives, singulièrement des prestations sociales ;
- cela étant, si l’Etat décide d’octroyer des prestations sociales par le biais de sa législation interne, il ne peut en aménager les conditions d’octroi de manière discriminatoire. Cela vaut de manière absolue lorsque le Protocole n° 1 s’applique (art. 1 Prot. n° 1 cum 14 CEDH), ce qui n’est pas le cas pour la Suisse ;
- si le Protocole n° 1 ne s’applique pas, il faut encore déterminer si le droit aux prestations sociales peut être protégé par le biais de l’art.8 CEDH. La Grande Chambre résume la jurisprudence précédente de la Cour, identifiant trois critères non uniformément utilisés par le passé, et décide que désormais, les deux critères suivants doivent être cumulativement remplis : 1. les prestations sociales en question visent à favoriser la vie familiale, et 2. elles ont nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_367/2022 du 07 octobre 2022
Assurance-chômage; Indemnité en cas d’insolvabilité, obligation de réduire le dommage, mesures propres à sauvegarder le droit envers l’employeur; art. 51 et 55 LACI
Cette affaire porte sur l’examen du droit à une indemnité en cas d’insolvabilité d’un employé licencié avec effet immédiat, au motif que la société qui l’employait était dans l’impossibilité d’honorer son salaire. Ce droit lui a été refusé par la caisse de chômage, qui a considéré que l’assuré avait violé son obligation de diminuer le dommage en n’effectuant aucune démarche contraignante propre à sauvegarder ses prétentions salariales avant le prononcé de la faillite de la société en janvier 2021.
Le TF commence par rappeler que le travailleur qui n’a pas reçu son salaire, en raison de difficultés économiques de l’employeur, a l’obligation d’entreprendre à l’encontre de ce dernier les démarches utiles en vue de récupérer sa créance. L’assuré doit non seulement entreprendre une poursuite systématique et continue des démarches engagées contre l’employeur, mais également tenir compte d’une éventuelle péjoration de la situation financière de l’employeur. En d’autres termes, les salariés doivent se comporter vis-à-vis de l’employeur comme si l’institution de l’indemnité en cas d’insolvabilité n’existait pas du tout.
En l’occurrence, le TF observe d’emblée qu’au vu du risque de faillite – qui s’est matérialisé début 2021 – et de l’incertitude qui concernait le dédommagement de l’employeur par un assureur tiers, il n’apparaissait pas insoutenable de retenir que la situation de la société pouvait se dégrader à la suite du licenciement.
Il rappelle ensuite qu’entre son licenciement en octobre 2018 et la production de sa créance salariale auprès de l’office cantonal des faillites en février 2021, l’assuré s’est limité à interpeller oralement son employeur, à lui adresser une mise en demeure écrite en septembre 2018 et à se faire remettre une reconnaissance de dette en janvier 2019. Or, des interventions orales ne suffisent pas à satisfaire à l’obligation de réduire le dommage, à tout le moins lorsque, comme en l’espèce, l’employeur n’a pas rempli ses obligations contractuelles sur une longue période. Il en va de même de l’obtention d’une simple reconnaissance de dette. Dans ces conditions, l’inactivité prolongée de l’assuré constitue une violation fautive de son obligation de diminuer le dommage. Le seul espoir d’une amélioration de la situation financière de la société après un éventuel dédommagement par un assureur tiers ne justifie pas davantage l’inactivité de l’assuré. Les importants problèmes financiers de l’employeur- qui étaient connus de l’assuré – auraient en outre dû l’inciter à entreprendre rapidement des démarches « sérieuses » en vue de tenter de récupérer sa créance salariale.
Ainsi, pour le TF, l’assuré ne pouvait pas se contenter de rester inactif jusqu’à la mise en faillite de la société de son employeur, ce d’autant moins qu’en matière d’indemnité en cas d’insolvabilité, il n’appartient pas à l’assuré d’estimer lui-même si des démarches en vue de récupérer sa créance peuvent ou non être couronnées de succès.
Auteur : Me Patrick Moser, avocat à Lausanne

TF 6B_160/2022 du 05 octobre 2022
Responsabilité aquilienne; qualité pour recourir, objet de la procédure; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF
L’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF donne à la partie plaignante la qualité pour recourir en matière pénale au TF lorsque la décision attaquée peut avoir des effets sur ses prétentions civiles. En règle générale, un jugement d'acquittement a un effet direct sur ses prétentions civiles (c. 1).
Toutefois, la partie plaignante qui n’a pas contesté en appel le rejet de ses prétentions civiles par l’autorité de première instance n’a pas la qualité pour recourir en matière pénale au TF. En effet, le jugement de première instance étant entré en force sur ce point, le jugement d’acquittement prononcé par l’autorité d’appel n’a pas d’effet sur les prétentions civiles au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1).
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 6B_1002/2021 du 03 octobre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; raute, causalité, conclusions civiles; art. 125 al. 1 CP; 122 al. 2 CPP
L’art. 125 al. 1 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé. La réalisation de cette infraction suppose la réunion de trois éléments constitutifs, à savoir une négligence imputable à l’auteur, des lésions corporelles subies par la victime, ainsi qu’un lien de causalité naturelle et adéquate entre la négligence et les lésions. Un cycliste a contesté devant la juridiction d’appel la libération d’un automobiliste de l’accusation de lésions corporelles simples par négligence pour le motif, déjà retenu par le premier juge, qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le comportement contraire à la LCR de l’automobiliste et la blessure subie par le cycliste. II faisait valoir que le fait d’utiliser un véhicule pour forcer un cycliste à s’arrêter ou à changer de direction amenait notoirement à un risque de chute très marqué pour celui-ci.
Le lien de causalité naturelle serait dans ce cadre indéniablement réalisé en tant que, sans la manœuvre précitée, la chute ne serait pas intervenue. Quant à la causalité adéquate, elle devrait également être admise car d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, utiliser un véhicule automobile pour forcer un cycliste à dévier vers la gauche dans le but de l’obliger à s’arrêter est propre à entraîner la chute du cycliste et donc à le blesser. Le fait pour le cycliste d’avoir continué sa route alors qu’il se trouvait sur la gauche du véhicule ne saurait être vu comme un comportement à ce point inattendu et exceptionnel qu’il serait de nature à exclure un lien de causalité avec l’accident survenu. En d’autres termes, le comportement de l’automobiliste consistant à utiliser son véhicule automobile pour forcer le cycliste à dévier vers la gauche dans le but de l’obliger à s’arrêter, doit être considéré comme étant en lien de causalité naturelle et adéquate avec les blessures subies par ce dernier, sans que son comportement permette d’admettre une interruption du lien de causalité adéquate.
Conformément à l’art. 122 al. 1 CPP, en sa qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l’infraction par adhésion à la procédure pénale. Aux termes de l’art. 126 al. 1CPP, le tribunal statue sur les conclusions civiles présentées lorsqu’il rend un verdict de culpabilité à l’encontre du prévenu (let. a) ou lorsqu’il acquitte le prévenu et que l’état de fait est suffisamment établi (let. b). Lorsque l’état de fait est suffisamment établi – à défaut de quoi le tribunal doit renvoyer la partie plaignante à agir par la voie civile conformément à l’art. 126 al. 2 let. c CPP, un jugement d’acquittement peut donc aussi bien aboutir à la condamnation du prévenu sur le plan civil qu’au déboutement de la partie plaignante.
En instance d’appel, le cycliste a invoqué une responsabilité objective du détenteur de véhicule automobile pour conclure au versement en sa faveur d’un montant de CHF 12'963,70, avec intérêts à 5 % l’an dès le 5 mai 2018, pour les dommages causés par l’emploi dudit véhicule. Dès lors que le recours doit être admis s’agissant de l’infraction de lésions corporelles simples par négligence commise au préjudice du cycliste, il doit l’être aussi en ce qui concerne les conclusions civiles déduites de cette infraction. Il appartiendra à l’autorité cantonale, à laquelle la cause doit être renvoyée, d’examiner les conclusions civiles prises par le cycliste.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême


TF 6B_677/2021 du 28 septembre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence, devoir de diligence; art. 117 CP
Pour être déclaré coupable d’homicide par négligence, l’auteur doit avoir causé le résultat en violant un devoir de diligence.
En matière circulation routière, l’étendue de la diligence à observer est déterminée par les dispositions de la loi sur la circulation routière et des ordonnances y afférentes. Dans la circulation, chacun doit se comporter de manière à ne pas gêner ni mettre en danger autrui dans l’utilisation correcte de la route (art. 26 al. 1 LCR). En outre, le conducteur doit constamment maîtriser son véhicule de manière à pouvoir remplir ses devoirs de prudence (art. 31 al. 1 LCR). Le conducteur qui veut insérer son véhicule dans la circulation, faire demi-tour ou reculer ne doit pas gêner les autres usagers de la route ; ceux-ci ont la priorité (art. 36 al. 4 LCR). Avant de quitter son véhicule, le conducteur doit l’assurer de manière adéquate (art. 37 al. 3 LCR). Cela signifie notamment que le conducteur doit s’assurer, avant de quitter le véhicule, qu’il ne met pas en danger des enfants ou d’autres usagers de la route. Pour les véhicules dont la visibilité vers l’arrière est limitée, il faut faire appel à une personne auxiliaire pour effectuer la marche arrière si tout danger n’est pas exclu (art. 17 al. 1 OCR). Le conducteur doit couper le moteur lorsqu’il quitte le véhicule (art. 22 al. 1 OCR). Les règles de circulation reflètent des règles de base générales telles que le principe de confiance (cf. art. 26 al. 1 LCR) ou encore le principe de « non-mise en danger ». La jurisprudence a précisé le critère de diligence à appliquer dans la circulation routière en ce sens que celui qui quitte son véhicule, même pour une courte durée, doit couper le moteur. Si, en raison des circonstances concrètes, le conducteur doit s’attendre à la présence de personnes dans l’angle mort, il doit, le cas échéant, se lever brièvement de son siège, se pencher ou se déplacer légèrement sur le côté afin d’obtenir une visibilité. Le degré d’attention exigé du conducteur dépend de l’ensemble des circonstances, notamment de la densité du trafic, des conditions locales, de l’heure, de la visibilité et des sources de danger prévisibles. Si cette obligation est respectée et que l’espace nécessaire est libre, le conducteur peut effectuer sa manœuvre sans autre surveillance de la zone sans visibilité (c. 3.3.).
En l’espèce, le TF retient que l’instance cantonale a établi de manière incomplète les faits juridiquement pertinents, en lien avec la question de savoir si le conducteur intimé aurait pu voir ou entendre la victime lorsqu’il est monté dans le véhicule, compte tenu du déroulement chronologique des événements ainsi que des conditions de luminosité et des explications de l’expertise technique. Sans examen complémentaire des faits, il n’est pas possible d’examiner une éventuelle violation du devoir de diligence.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne



TF 6B_45/2022 du 21 septembre 2022
Responsabilité aquilienne; tort moral, présomption d’innocence; art. 177, 183 CP; 10 al.1, 122, 433 al. 1 CPP; 47 et 49 CO; 6 par. 2 CEDH
Le 10 juin 2017, alors qu’elle rentrait chez elle au volant de son véhicule, B. a été confrontée à une dispute qui avait éclatée entre A. et C. sur le parking de son immeuble. A. a insulté et frappé B. Celle-ci a dû consulter divers médecins et psychiatres, qui ont constaté un stress post traumatique directement en lien avec ces événements. B. a été hospitalisée plusieurs semaines et s’est trouvée en arrêt de travail total pendant près d’une année. B. n’avait pas eu de problèmes psychiatriques avant l’altercation du 10 juin 2017. Elle souffre depuis d’un trouble anxieux d’intensité sévère, de symptômes dépressifs d’intensité sévère ainsi que d’un stress post-traumatique avec modification durable de la personnalité. Par jugement du 3 décembre 2020, le Tribunal de police de la République est canton de Genève a reconnu A. coupable d’injures (art. 177 CP) et de menace (art. 180 CP). Outre certaines autres condamnations, A. a été condamné à titre de réparation du tort moral à verser CHF 5’000.- à B. Par arrêt du 3 novembre 2021, la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise a admis très partiellement l’appel de A., tout en confirmant le jugement de première instance relatif à la condamnation pour tort moral. A. forme un recours en matière pénale au tribunal fédéral afin de réduire l’indemnité pour tort moral à CHF 2’500.-.
La Cour cantonale a retenu que la gravité de l’atteinte à la santé psychique de l’intimée était indéniable au vu du long traitement psychologique, des trois semaines d’hospitalisation, du fait qu’elle avait été totalement incapable de travailler pendant de longs mois puis seulement à 50 %, de sa rechute suite au jugement de première instance et du fait qu’elle présentait encore une fragilité psychique. Que le recourant ait été acquitté de certains autres faits consécutivement à la prescription n’est pas pertinent, ceux-ci n’étant pas en lien direct avec les problèmes psychiques de l’intimée.
Ainsi que le relève le TF, la CourEDH n’a pas constaté une violation de la présomption d’innocence dans des affaires relatives à des actions civiles en réparation engagées par des victimes, indépendamment du point de savoir si les poursuites avaient débouché sur une décision de clôture des poursuites ou une décision d’acquittement. Sur ce point, elle a souligné que si l’acquittement prononcé au pénal devait être respecté dans le cadre de la procédure en réparation, cela ne faisait pas obstacle à l’établissement, sur la base de critères de preuve moins stricts, d’une responsabilité civile emportant obligation de verser une indemnité à raison des mêmes faits. Contrairement à ce qu’affirme le recourant, la Cour cantonale s’est bien basée sur les faits ayant conduit à la condamnation de ce dernier pour fixer l’indemnité pour tort moral.
La fixation de l’indemnité pour tort moral est une question d’application du droit fédéral, que le TF examine donc librement. Dans la mesure où celle-ci relève pour une part importante de l’appréciation des circonstances, il intervient avec retenue. Il le fait notamment si l’autorité cantonale a mésusé de son pouvoir d’appréciation, en se fondant sur des considérations étrangères à la disposition applicable, en omettant de tenir compte d’éléments pertinents ou encore en fixant une indemnité inéquitable parce que manifestement trop faible ou trop élevée. En l’espèce, la Cour cantonale a fixé le montant de l’indemnité pour tort moral conformément aux critères fixés par l’art. 49 CO. Elle a établi un lien direct entre les infractions retenues et l’atteinte à la santé psychique subie par l’intimée.
Le recourant se prévaut ensuite de plusieurs précédents jurisprudentiels. Toutefois la comparaison avec d’autres affaires doit se faire avec prudence, dès lors que le tort moral touche au sentiment d’une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment au malheur qui le frappe. Au vu de ces considérations, le montant de CHF 5’000.- ne prête pas flanc à la critique et ne viole pas le droit fédéral. La somme allouée tient suffisamment compte de la gravité de l’atteinte et ne paraît pas disproportionnée par rapport à l’intensité des souffrances morales de la victime, lesquelles ne sont d’ailleurs pas contestées de manière précise.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève


TF 4A_114/2022 du 20 septembre 2022
Responsabilité aquilienne; qualité pour agir, dommage, fardeau de l’allégation, fardeau de la preuve; art. 41 al. 1 CO
A. Sàrl réclame à B., pour des objets que celui-ci lui aurait dérobé, un montant de CHF 46'400.-. Le Tribunal de première instance rejette la demande, au motif que A. Sàrl n’a pas apporté la preuve du montant de son dommage. Sur appel, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève confirme le jugement du Tribunal de première instance, au motif substitué que la demanderesse, A. Sàrl, ne disposait pas de la légitimation active. Devant le TF, A. Sàrl conteste que B. ait remis en cause sa légitimation active, et elle invoque que c’est à tort que la cour cantonale a nié sa légitimation active en retenant qu’elle n’était pas propriétaire des biens volés.
Précisément, s’agissant de la qualité pour agir de A. Sàrl, le TF rappelle que le fardeau de l’allégation de la preuve de ce fait implicite qu’est la qualité pour agir incombe à la partie demanderesse lorsque sa partie adverse l’a contesté et que c’est dans cette hypothèse, alors, qu’il lui appartient d’alléguer et d’offrir les moyens de preuve nécessaires pour établir l’existence de cette qualité (c. 3.1.1.).
Et le TF de reprendre les critiques que A. Sàrl formule dans son recours en matière civile, à l’encontre de la manière dont l’autorité précédente a retenu qu’il y avait eu remise en cause par B. de la qualité pour agir de A. Sàrl, et défaut de propriété de celle-ci sur les objets dérobés, pour arriver à la conclusion qu’aucune de ces critiques n’est de nature à faire apparaître que les faits ainsi retenus eussent été établis de manière manifestement inexacte.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 8C_233/2022 du 14 septembre 2022
Assurance-chômage; procédure, suspension du droit à l’indemnité, restitution, péremption, notification de la décision; art. 30 et 95 LACI; 45 OACI
L’exécution de la suspension du droit à l’indemnité au sens des art. 30 LACI et 45 OACI (in casu, huit jours de suspension pour absence de recherches d’emploi avant l’inscription au chômage) devient caduque six mois après le début du délai de suspension (art. 30 al. 3 in fine LACI). Dans la situation du cas d’espèce, la suspension prend effet le premier jour suivant la fin des rapports de travail (c. 3.1). Après l’écoulement du délai de six mois, le droit d’exiger l’exécution de la suspension est périmé. (c. 3.2).
Lorsque les indemnités litigieuses ont été payées à l’assuré, il n’y a plus lieu de prendre une mesure de suspension après l’échéance du délai d’exécution, la restitution des prestations indûment versées ne pouvant plus être exigée en vue de faire exécuter la sanction. Si par contre l’assuré n’a pas encore perçu les indemnités litigeuses, rien ne s’oppose au prononcé d’une suspension au-delà du délai de six mois (c. 3.3).
Selon une jurisprudence constante, une décision ne déploie pas d’effets juridiques tant qu’elle n’a pas été notifiée à la personne concernée, cette dernière ne pouvant être tenue par une décision que si elle en a connaissance (c. 5.2). Ainsi, une décision notifiée irrégulièrement (in casu, par courriel) avant l’échéance du délai de caducité de six mois, puis régulièrement après l’échéance dudit délai est tardive et le droit d’exiger la restitution (des prestations in casu déjà versées à l’assuré) est périmé (c. 5.3).
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève


TF 4A_116/2022 du 13 septembre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage, calcul du dommage futur, taux de capitalisation, pas de changement de jurisprudence; art. 46 CO
Alors qu’il traversait la chaussée en empruntant un passage pour piétons, un enfant, âgé de 9 ans, a été percuté par un véhicule en janvier 2002. Il a notamment subi un traumatisme craniocérébral avec fractures du crâne. Le lésé ouvre action le 14 janvier 2018 contre l’assureur RC du conducteur en réparation de son dommage total à hauteur de CHF 818’131.- avec intérêts. En première instance, la Cour civile condamne l’assureur RC à payer au lésé la somme de CHF 156’711,90 avec intérêts, sous déduction des montants déjà versés. Par arrêt du 19 août 2020, statuant sur les appels déposés par le lésé et l’assureur RC à l’encontre du jugement de première instance, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois renvoie la cause à la Cour civile pour qu’elle rende une nouvelle décision. En particulier, il convenait, selon les juges cantonaux, d’appliquer un taux de capitalisation de 2 % – et non de 3,5 % – dans le calcul du dommage futur. A la suite de l’arrêt de renvoi, la Cour civile a condamné l’assureur RC à payer au lésé la somme totale de CHF 424’389,75 avec intérêts, sous déduction des montants déjà versés. Par arrêt du 1er février 2022, la Cour d’appel civile a rejeté l’appel formé par l’assureur RC à l’encontre du jugement précité. L’assureur RC a recouru au TF.
Est litigieuse la question du taux de capitalisation de 2 % retenu par la Cour cantonale pour le calcul de la perte de gain future et de la perte sur rentes de vieillesse futures.
Le TF observe en premier lieu qu’à l’ATF 125 III 312, le taux de capitalisation de 3,5 %, appliqué depuis 1946, a été confirmé, avant d’examiner s’il y a lieu de modifier cette jurisprudence.
En se référant à une jurisprudence constante, le TF rappelle qu’un changement de jurisprudence ne peut se justifier que lorsqu’il apparaît que les circonstances ou les conceptions juridiques ont évolué ou qu’une autre pratique respecterait mieux la volonté du législateur. Les motifs du changement doivent être objectifs et d’autant plus sérieux que la jurisprudence est ancienne, afin de ne pas porter atteinte sans raison à la sécurité du droit. En l’occurrence, il faut tenir compte du fait que le besoin de sécurité du droit est particulièrement important dans le domaine du calcul du dommage. En l’occurrence, la question du taux de capitalisation n’appelle pas exclusivement un débat juridique, mais doit être résolue en fonction des circonstances économiques déterminantes, étant rappelé que, dans sa jurisprudence, le TF s’est opposé à un examen « au cas par cas », eu égard à la prévisibilité et à la sécurité du droit. La question de savoir quand les conditions d’un changement de pratique seraient réunies, à savoir qu’il existe des indices suffisamment sûrs qu’un rendement réel de 3,5 % sur les indemnités en capital n’est pas réalisable dans un avenir prévisible et qu’il est possible d’affirmer avec suffisamment de certitude que le taux d’intérêt de capitalisation en vigueur depuis 1946 n’est plus compatible avec le principe de la réparation intégrale du dommage, ne peut être résolue que sur la base d’une appréciation de l’ensemble des circonstances. Il appartient à celui qui se prévaut d’un taux différent de celui de 3,5 % appliqué jusqu’alors de présenter des allégations relatives aux circonstances économiques déterminantes.
Le TF remet en cause l’analyse de la Cour cantonale et considère que le lésé n’a pas suffisamment démontré l’existence de motifs importants justifiant un changement de jurisprudence. La Cour cantonale n’était par conséquent pas fondée à retenir un taux de 2 % et aurait dû confirmer le taux de 3,5 % appliqué par l’autorité de première instance.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne


TF 9C_131/2022 du 12 septembre 2022
Assurance-invalidité; mesures de réadaptation, formation professionnelle initiale, autisme, formation gymnasiale, art. 8 al. 1 et 16 al. 1 LAI
L’assuré, né en 2004, souffre notamment d’un trouble du spectre autistique et a sollicité l’assurance-invalidité pour l’aider dans sa formation professionnelle initiale. En effet, depuis août 2020, il étudie dans un collège privé en vue de l’obtention maturité gymnasiale.
Le TF rappelle tout d’abord la jurisprudence en la matière et l’obligation, pour une formation professionnelle initiale, de remplir également les exigences l’art. 8 al. 1 let. a LAI, c’est-à-dire que la mesure de réadaptation doit être nécessaire, proportionnelle et de nature à rétablir, maintenir ou améliorer la capacité de gain ou la capacité à accomplir les travaux habituels (c. 2.3 à 2.3.2).
Sur la question de l’opportunité de suivre une formation gymnasiale, le TF relève qu’elle permettrait certes d’accéder à tout un éventail de professions académiques, mais qu’en même temps l’objectif de la réadaptation professionnelle, qui est l’atteinte d’un revenu permettant de couvrir en tout cas une partie des frais d’entretien de la personne assurée, s’en retrouverait compliqué, puisque plus la qualification professionnelle est élevée et plus les exigences envers les collaborateurs sont importantes. De plus, l'écart entre la personne assurée avec ses limitations et d’autres collaborateurs ayant la même formation mais sans restrictions comparables se creuserait, ce qui affaiblirait les chances d'embauche de la personne assurée (c. 4.1.1).
Néanmoins, le TF précise qu’il est notoire que les personnes atteintes d'autisme ont de très bonnes chances de s'établir professionnellement dans certains secteurs du premier marché du travail. Elles sont généralement considérées comme ayant une bonne capacité de concentration et d’analyse, une pensée logique, de la rigueur et de la fiabilité. Dans ces conditions, les conclusions des spécialistes appelés à se prononcer sur les aptitudes du recourant sont erronées. En effet, il n’est pas déterminant de savoir si une personne atteinte d’autisme pourrait exercer une vaste palette d’activités sur le marché équilibré du travail, car pour la plupart, ces emplois ne sont pas adaptés aux restrictions et aux besoins particuliers d'une personne atteinte de cette maladie. Il convient plutôt de déterminer si la personne assurée peut s’insérer dans le marché du travail de niche existant pour les personnes atteintes d'autisme. Celui-ci se compose d'emplois qui, d'une part, requièrent des forces cognitives typiquement liées audit trouble et, d'autre part, comblent les déficits spécifiques à l'autisme (c. 4.1.4).
Quant à l’opportunité de suivre une formation gymnasiale dans une école privée située en dehors du canton de domicile de la personne assurée, il est rappelé que les préférences individuelles ne sont pas seules déterminantes pour la prise en charge des frais de formation par l’assurance-invalidité. Dans le cas d’espèce, il ne s'agit pas de savoir si un certain projet professionnel est nécessaire et approprié au sens de l'art. 8 al. 1 let. a LAI. Dans la mesure où il est contesté que la future réadaptation professionnelle nécessite un cursus gymnasial, il s'agit bien plus d'une question de niveau de formation. L'exigence de la simplicité et de l'adéquation de la mesure ne se rapporte pas à de telles orientations (c. 4.2.3).
En présence d’avis médicaux contradictoires et de conclusions inexploitables sur le potentiel de la personne assurée et ses aptitudes, un renvoi à l’office AI est ordonné pour un complément d’instruction (c. 4.1.2 et 5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 6B_1271/2021 du 12 septembre 2022
Responsabilité du commandant d’aéronef; lésions corporelles graves par négligence, règle de l’art, causalité; art. 12 al. 3 CP
Les devoirs du commandant d’aéronef découlent de l’ordonnance du 22 janvier 1960 sur les droits et devoirs du commandant d’aéronef (RS 748.225.1). En particulier, le commandant est tenu de prendre, dans les limites des prescriptions légales, des instructions données par l’exploitant de l’aéronef et des règles reconnues de la navigation aérienne, toutes les mesures propres à sauvegarder les intérêts notamment des passagers (art. 6 al. 1). Le commandant est responsable de la conduite de l’aéronef conformément aux dispositions légales, aux prescriptions contenues dans les publications d’information aéronautique (AIP), aux règles reconnues de la navigation aérienne et aux instructions de l’exploitant (art. 7).
Pour se conformer aux prescriptions légales en matière d’aviation, le pilote doit notamment minimiser les risques au décollage. Pour ce faire, les informations contenues dans le manuel de vol de l’appareil sont déterminantes. Les données relatives à l’appareil et à son exploitation sont à ce titre décisives lorsqu’il s’agit de décider de la configuration des volets au décollage. Le commandant d’aéronef doit ainsi pouvoir s’adapter aux circonstances concrètes. Plus le danger créé est grand, plus la prudence doit être accrue. En particulier, les conditions de décollage (modèle et poids de l’aéronef, météo, distance de décollage, longueur de la piste) lui imposent une remise en question du choix de la configuration des volets et d’opter pour la plus sûre possible.
In casu, au vu de ses connaissances et aptitudes, le commandant de l’aéronef a agi par inattention et donc fautivement violé son devoir de prudence. Le choix d’une configuration des volets au décollage moins sûre constitue la cause naturelle et adéquate de l’accident survenu : le fait d’avoir choisi, dans les circonstances du jour de l’accident, la configuration de volets qui nécessitait une vitesse plus élevée et une longueur de piste plus importante (proche de la longueur totale de la piste), était propre, dans le cas d’une accélération moins rapide que celle envisagée, à causer un accident du type de celui qui s’est produit. Dans ce cadre, un freinage involontaire – qui peut intervenir durant la phase de décollage (phénomène connu dans le domaine de l’aviation) – n’est aucunement exceptionnel et ne saurait interrompre le lien de causalité adéquate.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat, Neuchâtel
TF 8C_157/2022 du 08 septembre 2022
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), entreprises publiques ou subventionnées, risque d’exploitation; art. 31 al. 1 LACI; 51 al. 1 OACI
A l’annonce des mesures prises par les autorités suisses suite à la pandémie Covid-19, une société ayant notamment pour buts de promouvoir, d’encadrer, de soutenir, de protéger et d’intégrer dans la société des personnes handicapées demande à bénéficier d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail. Déboutée par l’autorité administrative, puis par la juridiction cantonale, elle recourt au TF.
Le TF rappelle que, lors de l’appréciation des conditions de l’art. 31 al. 1 let. d LACI, il faut, selon une pratique constante, partir du caractère probablement temporaire de la perte de travail et du maintien des emplois lors de l’octroi de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, tant qu’il n’existe pas de faits concrets permettant de tirer la conclusion contraire. Selon la jurisprudence, le but de l’indemnité est de compenser le risque économique auquel le personnel concerné par la réduction de l’horaire de travail est exposé en raison de la perte de son emploi, perte due aux risques propres à l’entreprise (faillite, fermeture).
Dans le cas du personnel des entreprises publiques, l’élément déterminant pour l’évaluation du droit est de savoir si l’octroi de l’indemnité permet d’éviter à court terme un licenciement ou une non-réélection (« Nichtwiederwahl »). Dans le cas d’entreprises subventionnées par les pouvoirs publics, il convient d’examiner dans quelle mesure, respectivement dans quels domaines partiels de l’entreprise concernée il existe, d’une part, une assurance de couverture complète des frais d’exploitation et, d’autre part, s’il faut s’attendre, dans les domaines partiels financés exclusivement (ou éventuellement partiellement) par des fonds privés, à un recul de la demande dû à des mesures prises par les autorités et à la résiliation de postes de travail qui en résulterait (c. 3.1.2). Selon la juridiction cantonale, lorsqu’un employeur n’assume pas de risque d’exploitation, il n’a pas de raison de licencier des collaborateurs, même en cas de mauvaise marche des affaires ; tel est notamment le cas lorsque les éventuels déficits sont pris en charge par les pouvoirs publics. Dans le cas d’espèce, l’entreprise recourante avait conclu un contrat de prestations avec le canton, prévoyant le versement d’un forfait par personne prise en charge. Compte tenu de ce financement partiel par les pouvoirs publics, la situation n’était pas comparable à celle d’une entreprise privée. C’est donc à bon droit que l’autorité administrative avait, selon les juges cantonaux, nié le droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (c. 3.2).
Le TF ne partage pas cet avis. Il n’est pas prouvé, relève-t-il d’emblée, que les contributions versées par le canton constituent une garantie de déficit ; on ne peut donc soutenir que l’entreprise n’assume pas de véritable risque d’exploitation. Tout au plus est-il établi que celle-ci est partiellement subventionnée par les pouvoirs publics, ce qui ne suffit pas pour exclure l’indemnité pour réduction de l’horaire de travail (c. 3.4.1). L’argument selon lequel les emplois auraient de toute façon dû être maintenus en raison du but social de la recourante, de sorte que l’indemnité de chômage n’aurait servi qu’à compenser une perte de chiffre d’affaires, ne permet pas non plus de nier le droit à l’indemnité de chômage. Un risque de perte d’emploi existait au contraire, dès lors que l’institution n’était financée que partiellement par les pouvoirs publics. En l’absence de véritable garantie de déficit, la recourante supportait donc, comme une entreprise privée, un risque d’exploitation, voire de faillite. Enfin, le risque de licenciement ne peut être évalué rétrospectivement, comme l’avait fait l’instance cantonale (c. 3.4.2). Le TF admet donc le recours et renvoie la cause à la juridiction inférieure pour qu’elle procède à des investigations complémentaires et rende une nouvelle décision (c. 3.4.3).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 9C_538/2021 du 06 septembre 2022
Assurance-invalidité; contribution d’assistance, domaine « éducation et garde des enfants », valeurs standard; art. 42quater ss LAI; 39b ss RAI
Une femme devenue paraplégique suite à un accident survenu en 1994 bénéficie d’un trois-quarts de rente ainsi que d’une allocation pour impotent de degré moyen de l’assurance-invalidité. Elevant seule ses deux jeunes enfants, elle a demandé en sus une contribution d’assistance. Le Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich a confirmé la décision de l’office AI se fondant sur l’instrument d’enquête standardisé FAKT2, selon lequel le besoin maximal d’aide dans le domaine « éducation et garde des enfants » s’élève à 14 heures par semaine pour une personne qui nécessite une assistance complète de tiers.
Le TF rappelle que les bénéficiaires d’une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité vivant à domicile peuvent demander une contribution d’assistance (c. 2.1). Celle-ci est accordée pour l’aide fournie par des tiers dont la personne concernée a besoin pour gérer son quotidien en dehors d’une structure institutionnelle. Le besoin d’aide individuel est évalué à l’aide de l’instrument d’enquête standardisé FAKT2 (c. 2.2). Celui-ci permet de déterminer tous les besoins d’aide pour différents domaines de la vie et de façon différenciée selon les degrés de limitation de la personne concernée, à l’aide de valeurs en minutes prédéfinies (c. 3.1). Dans un arrêt précédent, le Tribunal fédéral avait retenu que FAKT2 est propre en principe à établir tous les besoins d’aide de la personne (ATF 140 V 543) (c. 4.1).
Il ressort de l’enquête suisse sur la population active (ESPA) qu’en 2020 par exemple, le temps moyen consacré à la garde des enfants dans les ménages avec enfants était de 23 heures par semaine pour les femmes et de 14,8 heures pour les hommes. FAKT2 s’éloigne donc nettement de l’ESPA en retenant un besoin maximal d’aide de 14 heures par semaine dans le domaine « éducation et garde des enfants » pour une personne nécessitant une assistance complète de tiers. Le TF relève également que FAKT2 ne tient pas compte du nombre d’enfants ni de la présence ou non d’un autre parent (c. 4.6.5).
Il en découle que les valeurs standard appliquées dans le domaine « éducation et garde des enfants » de FAKT2 pour déterminer la contribution d’assistance sont inadéquates et contraires au droit fédéral. Le recours est ainsi partiellement admis. L’office AI devra procéder à des clarifications supplémentaires concernant le besoin d’aide dans le domaine « éducation et garde des enfants » et rendre une nouvelle décision (c. 4.7).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 4A_417/2021 du 01 septembre 2022
Responsabilité médicale; prescription, acte interruptif, action civile par adhésion au procès pénal, fondement juridique de l’action civile; art. 122 à 126 CPP; 135 ch. 2 CO
Un patient ayant conclu un mandat avec un médecin, qui est lésé par les actes de ce dernier dispose d’un concours objectif d’actions : il peut invoquer la responsabilité contractuelle des art. 398 al. 2 et 97 ss CO pour violation d’une obligation contractuelle et/ou la responsabilité délictuelle des art. 41 ss CO, pour violation d’un devoir général, comme l’atteinte illicite à son intégrité corporelle (c. 3.1). Toutefois, seule l’action fondée sur la responsabilité délictuelle peut faire l’objet d’une action civile par adhésion au procès pénal.
En effet, la notion de « conclusions civiles déduites de l’infraction » au sens de l’art. 122 CPP ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui découlent d’une ou de plusieurs infractions. Le fondement juridique de ces prétentions réside le plus souvent dans les règles de la RC des art. 41 ss CO ou des art. 58 et 62 LCR, mais peut aussi se trouver dans les actions tendant à la protection de la personnalité (art. 28 ss CC), en revendication (art. 641 CC) ou possessoires (art. 927, 928 et 934 CC).En revanche, les prétentions contractuelles ne se fondent pas sur une infraction pénale et sont donc exclues du champ d’application de l’art. 122 al. 1 CPP ; elles ne peuvent pas faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale (c. 3.2.1).
L’action fondée sur la responsabilité contractuelle du mandataire est donc de la compétence exclusive des tribunaux civils. Pour déployer ses effets, un acte interruptif de prescription doit notamment être adressé à un tribunal compétent. Ainsi, des conclusions civiles déposées dans la procédure pénale doivent nécessairement avoir pour fondement les actions délictuelles et extracontractuelles précitées pour avoir un effet interruptif au sens de 135 ch. 2 CO (c. 3.3.2).
Le délai de prescription d’une action purement contractuelle en responsabilité, ne pouvant pas faire l’objet d’une action civile par adhésion au procès pénal, à défaut de compétence du tribunal pénal, ne peut donc pas être interrompu par le dépôt d’une plainte pénale et constitution de partie plaignante (c 3.4).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

TF 4A_172/2022 du 31 août 2022
Assurances privées; assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, appréciation des preuves, arbitraire; art. 39 LCA; 105 LTF; 8 CC
Le TF statue sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l’autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes, c’est-à-dire arbitraires (art. 105 al. 2 LTF), notamment dans le cadre de l’appréciation des preuves (c. 2.2-4).
Conformément à la règle fondamentale posée par l’art. 8 CC, également valable dans le domaine du contrat d’assurance, l’ayant droit doit prouver les faits permettant la « Justification des prétentions » (titre marginal de l’art. 39 LCA). Suivant un degré de preuve ordinaire, la preuve est apportée lorsque le tribunal est convaincu, d’un point de vue objectif, de la véracité d’une allégation (c. 2.5).
La preuve de l’existence d’un rapport de travail ne présente aucune difficulté particulière, raison pour laquelle elle est soumise à une preuve stricte, devant emporter une pleine conviction. En règle générale, cette preuve peut être apportée par un contrat de travail passé en la forme écrite ou par le versement d’un salaire (c. 3.3 princ.).
Faute de l’établissement de l’existence – retenue arbitrairement par l’autorité de première instance sur la base des preuves invoquées par l’assuré – d’un rapport de travail au moment où l’incapacité de travail a débuté (c. 3.3.3.2-4), la couverture d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie fait défaut (c. 3.4).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle


TF 9C_552/2021 du 25 août 2022
Assurance-vieillesse et survivants; activité lucrative, qualification, activité accessoire d’enseignante; Art. 5 et 8 LAVS
L’activité accessoire exercée en tant qu’enseignante de thérapies complémentaires dans une académie privée, à côté d’une activité principale indépendante en tant que thérapeute, doit être qualifiée d’activité dépendante au sens de l’AVS.
Après avoir rappelé les principes permettant de distinguer les activités dépendantes de celles indépendantes (appréciation au cas par cas, sans s’arrêter à la qualification utilisée par les parties, en fonction d’une pluralité de critères tels que le risque économique, la liberté d’organisation, etc.), le TF relève que l’art. 7 let. l RAVS précise que les honoraires des privat docent et d’autres enseignants rémunérés de manière analogue font partie du salaire déterminant. Les directives sur le salaire déterminant précisent quant à elles que la rétribution versée à celui qui enseigne régulièrement fait partie du salaire déterminant.
En l’espèce, l’enseignante se considère elle-même comme privat docent (« Dozent ») en acupressure sur son site Internet. Si elle a une grande liberté dans l’organisation de ses cours, c’est bien l’entreprise tierce, considérée comme l’employeuse et qui conteste cette qualification, qui recherche les élèves, gère les contrats et encaisse les écolages. C’est également l’entreprise qui offre l’infrastructure, en particulier les salles de cours. Le fait que l’entreprise fasse également de la location de salles en marge de son activité d’académie n’est pas déterminant, puisqu’il n’a jamais été question de louer la salle à l’enseignante dans le cas d’espèce. Au contraire, son enseignement est inclus dans l’offre de cours de l’entreprise.
Au niveau de la rémunération, les parties ont prévu que l’enseignante a droit à 45 % des encaissements nets de l’entreprise relatifs aux cours d’acupressure, ce qui implique un certain risque économique auprès de l’enseignante. Il n’est cependant pas contesté que l’enseignante avait droit à un forfait minimal de CHF 600.- par jour de cours, ce qui réduit considérablement son risque économique et le fait passer en second plan au regard des autres éléments.
Le fait que c’est l’enseignante qui a initié la relation et qui s’est adressée à l’entreprise pour proposer ses cours ne constitue qu’un élément secondaire parlant en faveur d’une activité indépendante, non déterminant. Les échanges de mails examinés démontrent au demeurant qu’un enseignement régulier était souhaité et proposé par l’enseignante et accepté par l’entreprise. A cet égard, le fait d’avoir offert environ 50 jours de cours sur une durée de quatre ans est considéré comme une activité régulière par le TF.
Compte tenu de l’ensemble des circonstances, le TF confirme le jugement cantonal et la qualification d’activité dépendante.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 6B_322/2022 du 25 août 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; violation grave qualifiée des règles de la circulation, état de nécessité; art. 90 al. 3 et 4 LCR; 17 CP
L’accusé a été flashé à 200 km/h sur l’autoroute au volant d’une voiture de sport. Son épouse, qui l’accompagnait, souffrait d’une maladie cardiaque et avait soudainement ressenti des symptômes alarmants. Il s’était alors dépêché de rentrer à la maison pour qu’elle puisse prendre ses médicaments. Aussi bien le Tribunal d’arrondissement de Winterthur que le Tribunal cantonal de Zurich ont acquitté le conducteur, en retenant un état de nécessité au sens de l’art. 17 CP.
Le TF admet le recours du Ministère public zurichois, en rappelant que l’art. 90 al. 3 et 4 LCR protègent la vie et l’intégrité corporelle des autres usagers de la route. Ainsi, l’état de nécessité ne peut être admis qu’avec une grande retenue lors d’un excès de vitesse de cette importance. Dans ce cas, cette retenue s’impose même lorsque la protection immédiate de la vie d’une autre personne est en jeu. En effet, avec une telle vitesse, la mise en danger concrète d’un nombre indéterminé de personnes est possible, et ce n’est souvent que grâce au hasard que ce risque ne se réalise pas. Le TF prend également en compte le fait que l’accusé, en voulant sauver son épouse d’une vraisemblable crise cardiaque, l’avait en réalité mise en danger d’une autre façon en roulant avec elle à une telle vitesse.
Le TF rappelle encore qu’aussi bien l’état de nécessité licite que l’état de nécessité excusable (art. 17 et 18 CP) impliquent que le danger ne pouvait pas être écarté autrement. Ces dispositions ne peuvent donc être appliquées qu’à la condition d’une subsidiarité absolue. En l’espèce, il avait été établi que l’accusé aurait pu amener son épouse en 11 minutes à l’Hôpital cantonal de Winterthur, alors qu’un retour à la maison impliquait une distance trois fois supérieure. Le danger supposé pour la vie de son épouse pouvait donc être écarté d’une autre manière qu’en roulant à 200 km/h sur l’autoroute.
En résumé, le TF considère que l’acquittement de l’accusé viole le principe de la proportionnalité, et que le gain de temps de quelques minutes tout au plus ne pouvait pas l’emporter face à une vitesse aussi massivement excessive. Le seul fait que cet excès de vitesse ait été commis dans des bonnes conditions de route et de visibilité n’y change rien.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 8C_82/2022 du 24 août 2022
Assurance chômage; aptitude au placement, voyage à l’étranger, formation; art. 15 al. 1 LACI; O COVID-19 assurance-chômage
Selon l’art. 15 al. 1 LACI, est réputé apte au placement le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire. L’aptitude au placement comprend deux éléments, soit la capacité de travail et la disposition à accepter immédiatement un travail convenable (au taux minimum de 20 %) qui suppose non seulement la volonté de prendre un tel travail, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à l’emploi et quant au nombre des employeurs potentiels.
Un chômeur qui prend des engagements à partir d’une date déterminée et, de ce fait, n’est disponible sur le marché du travail que pour une courte période n’est en principe pas apte au placement car il n’aura que très peu de chances de conclure un contrat de travail. Ce principe s’applique notamment lorsque des chômeurs s’inscrivent peu avant un départ à l’étranger, une formation ou l’école de recrues, ce qui équivaut à un retrait du marché du travail. Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage, il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé – et être en mesure de le faire – à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. L’aptitude au placement doit être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l’existence d’autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi. Peu importe à cet égard le motif pour lequel le choix des emplois potentiels est limité.
Dans le contexte de la pandémie du COVID-19 et des restrictions ordonnées le 16 mars 2020, il n’y a eu aucune dérogation à l’art. 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement (O COVID-19 assurance-chômage ; RS 837.033).
En l’occurrence, l’aptitude au placement d’un assuré a été niée, celui-ci s’étant inscrit à l’assurance-chômage quelques jours avant son départ en Russie (22 mars 2020), sans prouver la nécessité et le caractère professionnel de son voyage, en connaissant les risques de ne pouvoir rentrer à temps pour être apte au placement au 1er avril 2020, vu la crise sanitaire et la limitation des vols. Dès lors, il faut admettre que le recourant s’était retiré du marché de travail suisse peu après son inscription au chômage, ce qui entraînait son inaptitude au placement.
Même si le recourant avait cherché uniquement des emplois pour lesquels des moyens numériques étaient utilisés pour le recrutement et pour l’entrée en service, une telle restriction dans le choix des postes de travail aurait rendu très incertaine sa possibilité de retrouver un emploi, situation qui était également sanctionnée d’inaptitude.
Enfin, l’application par analogie de la jurisprudence pour les chômeurs qui participent à un cours de formation n’y changeait rien. Comme il n’y a eu aucune dérogation à l’art. 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement, il ne justifie pas de déroger au principe de la disponibilité suffisante, soit disposition et capacité à commencer une activité professionnelle du jour au lendemain si elle se présente, condition non remplie par l’assuré.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 8C_141/2022 du 17 août 2022
Assurance-accidents; litige entre assureur et fournisseur de prestations; art. 10 et 57 LAA
Dans cet arrêt, le TF a confirmé la décision de non-entrée en matière du Tribunal arbitral zurichois en matière d’assurance-accidents dans un litige opposant une clinique à la CNA (Suva). Le tribunal arbitral prévu à l’art. 57 LAA n’est fondé à rendre une décision que pour autant qu’il existe un litige, dans une situation concrète, opposant un assureur à un fournisseur de prestations. En l’espèce, le fait que la clinique soit d’avis que, de manière générale, la CNA favoriserait ses propres cliniques de réhabilitation à Bellikon et à Sion (art. 67a al. 2 let. a LAA) au détriment de celles que la clinique exploite n’est pas une question qui rentre dans le champ d’application des art. 10 et 57 LAA. Une clinique ne saurait employer cette voie de droit pour tenter d’améliorer sa situation concurrentielle par rapport aux cliniques rattachées à la CNA ou invoquer une inégalité de traitement entre cliniques habilitées à pratiquer à la charge de la LAA. La situation serait différente s’il s’agissait d’un véritable conflit, dans une situation concrète, découlant directement de l’application de la LAA.
Auteur : Guy Longchamp

TF 6B_1310/2021 du 15 août 2022
Responsabilité aquilienne; procédure, action civile par adhésion à la procédure pénale, conclusions civiles et prétentions contractuelles; art. 119, 122 et 126 CPP; 41 à 46 CO
Le TF rappelle en premier lieu les conditions auxquelles des prétentions civiles peuvent être octroyées sur la base d’un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, nonobstant un verdict d’acquittement. Il précise alors la portée de l’art. 126 al. 1 let. b CPP, en disant que si l’acquittement résulte de motifs juridiques, c’est-à-dire en cas de non-réalisation d’un élément constitutif de l’infraction, les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut et les conclusions civiles doivent être rejetées. Le juge pénal peut néanmoins statuer sur les conclusions civiles, malgré un acquittement, lorsque l’élément constitutif subjectif de l’infraction fait défaut mais que le comportement reproché au prévenu constitue un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, tel est par exemple le cas lorsque la culpabilité fait défaut en raison de l’irresponsabilité du prévenu au sens de l’art. 19 al. 1 CP.
En l’espèce, il ressort de l’arrêt attaqué que la cour cantonale a acquitté le recourant en raison de la non-réalisation des éléments constitutifs tant objectif que subjectif des infractions d’abus de confiance et d’escroquerie. L’acquittement prononcé résulte donc de motifs juridiques, en particulier de la non-réalisation d’éléments constitutifs objectifs des art. 138 ch. 1 al. 2 et 146 al. 1 CP. La cour cantonale ne pouvait pas conclure, à la fois, qu’aucune utilisation illicite des avoirs confiés ne pouvait être reprochée au recourant, puis constater une appropriation par celui-ci des fonds prêtés en violation de ses pouvoirs pour fonder une responsabilité civile au sens de l’art. 41 CO. Il s’ensuit que les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut.
En second lieu, le TF tranche la question de savoir si des prétentions contractuelles, in casu découlant d’un contrat de prêt, peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale. En procédant aux interprétations littérales, téléologiques et systématiques de l’art. 122 al. 1 CPP, le TF considère que la notion de conclusions civiles ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui peuvent se déduire d’une infraction pénale, ce qui n’est pas le cas des prétentions contractuelles. Ainsi, ces prétentions ne peuvent pas faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale et sont donc exclues du champ d’application de l’art. 122 al. 1 CPP. Pour de telles prétentions, la partie plaignante doit donc être renvoyée à agir par la voie civile.
En condamnant le recourant à verser les intérêts dus sur la base du contrat de prêt, la cour cantonale a statué sur des prétentions fondées sur un contrat. Or de telles prétentions ne peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale au sens de l’art. 122 al. 1 CPP.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève



TF 9C_37/2022 du 11 août 2022
Assurance perte de gain en cas de service; calcul du montant de l’indemnité, décomptes de prestations, nature, décision matérielle, délai d’opposition; art. 1 al. 2 let. b RAPG
Le recourant accomplit un service long durant lequel il perçoit une allocation pour perte de gain de CHF 62.- par jour pendant l’instruction de base en tant que recrue (du 15 janvier au 18 mai 2018) et une indemnité journalière de CHF 91.- pendant les services d’avancement (du 19 mai 2018 au 10 novembre 2019), ce qui correspond au taux minimal pour les cadres en service long. Il demande à la Caisse de compensation du canton de St-Gall que l’indemnité soit calculée sur la base d’un revenu annuel de CHF 60’091.-, conforme aux usages locaux et professionnels, et qu’elle lui soit versée ultérieurement. La Caisse de compensation et le Tribunal des assurances du canton de
St-Gall rejettent la demande.
Le TF relève que le recourant n’a pas eu la possibilité, après avoir terminé sa formation, de conclure un contrat de travail de longue durée pour les quelques mois qui le séparaient de son service militaire de deux ans. Le fait de combler un semestre de transition par un stage à l’étranger ne constitue pas un indice qu’il n’aurait pas cherché et accepté un emploi fixe. En revanche, les informations relatives à la formation et au parcours professionnel donnent des indices quant à l’activité lucrative hypothétique. Aucun élément ne permet de conclure à des parcours alternatifs, comme par exemple le fait que, sans service militaire, il aurait commencé des études à plein temps ou pris un congé sabbatique prolongé. Le recourant aurait donc dû être assimilé à une personne exerçant une activité lucrative au sens de l’art. 1 al. 2 let. b RAPG. La conclusion contraire de l’instance précédente repose sur une application incorrecte du degré de la preuve et viole le droit fédéral (c. 3.3).
Les décomptes de prestations sont des injonctions officielles par lesquels la prestation est fixée de manière contraignante. Ils ont la qualité d’une décision matérielle, même s’ils ne présentent pas les caractéristiques formelles d’une décision (art. 49 et 51 LPGA). Le TF soutient que si le destinataire n’est pas confronté à un acte administratif qualifié de décision et à un délai nominal, il aura en général besoin d’un peu plus de temps pour se rendre compte de la portée et du contenu de l’acte administratif ainsi que de l’éventuel recours. Dans ces cas, le délai de réclamation est généralement de 90 jours à compter de la notification de l’acte administratif informel (ici : réception du décompte), ce qui correspond au délai réglementaire pour les demandes de révision (c. 4.1).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 8C_195/2022 du 09 août 2022
RHT-Covid; indemnité pour réduction horaire de travail, motivation, droit d’être entendu, reconsidération, restitution; art. 31 ss, 95 al. 2 LACI; 53 al. 2, 25 al. 1, 19 al. 2 LPGA; 4 OPGA
Un défaut de motivation d’une décision de reconsidération du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) n’est pas suffisamment grave pour constituer un cas de nullité. Dans la mesure où le recourant a pu s’exprimer dans la procédure d’opposition ainsi que devant l’instance cantonale de recours, le grief d’une violation du droit d’être entendu est réparé (c. 4.2).
La décision est manifestement erronée (art. 53 al. 2 LPGA) quand bien même la caisse a versé dans un premier temps des indemnités pour ensuite procéder à un second examen au terme duquel elle a réalisé que les documents remis étaient lacunaires et les explications de l’employeur contradictoires. A cela s’ajoute que qu’en dépit de demandes répétées, le recourant n'avait pas fourni les justificatifs demandés, raison pour laquelle il n'avait pas été possible de clarifier les faits déterminants (c. 5.1 et 5.2).
L’octroi d’indemnités RHT par l’assurance-chômage sur la base d’éléments lacunaires fournis par l’employeur et de contradictions dans ses déclarations ne constitue pas un obstacle à une reconsidération ultérieure. En l’espèce, une telle reconsidération n’est pas une nouvelle appréciation d’un état de fait identique mais résulte du constat de la violation par le recourant de son obligation de collaborer (c. 5.3).
Les conditions de la bonne foi et de la situation difficile qui permettent de s’opposer à une demande de restitution (art. 25 al. 1, 2e phrase, LPGA) sont examinées, en principe, à l’occasion d’une demande de remise, soit dans le cadre d’une procédure distincte qui intervient après que la décision de restitution est entrée en force (art. 4 OPGA). Exceptionnellement, le grief selon lequel la demande de restitution heurterait de manière choquante le principe de la confiance peut être immédiatement invoqué. Dans le cas d’espèce, les conditions pour admettre une telle exception ne sont pas réunies (c. 7.2 et 7.3).
L’argument selon lequel l’employeur n’intervient que comme « office de paiement » (art. 19 al. 2 LPGA) et ne pourrait être de ce fait appelé à rembourser n’est pas non plus recevable. En effet, l’art. 95 al. 2, 1re phrase, LACI prévoit expressément que les indemnités en cas de RHT versées à tort doivent être restituées par l’employeur (c. 8.1 et 8.2).
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 8C_242/2022 du 04 août 2022
Assurance chômage; position assimilable à celle de l’employeur, risque d’abus; art. 31 al. 3 let. c OACI
Le directeur d’une société s’est annoncé auprès d’une caisse de chômage à compter du 1er juin 2021 parce qu’il a été licencié. Il a toutefois conservé une signature individuelle jusqu’au 3 août 2021 et exécuté, dans cet intervalle, un certain nombre d’opérations pour le compte de la société, notamment la conclusion d’affaires contractuelles importantes, personne d’autre n’étant titulaire d’un droit de signature (c. 5.2 et 5.3). La caisse de chômage lui a dénié le droit à des indemnités journalières, en raison de sa position assimilable à celle de l’employeur. La Cour des assurances sociales cantonales de Zurich ayant infirmé cette décision, la caisse de chômage a porté l’affaire au TF.
Le TF remet en cause l’analyse juridique de l’instance précédente, en précisant qu’il est erroné de comparer cette situation avec celle d’une personne assimilée à celle de l’employeur qui aurait travaillé durant au moins six mois dans une entreprise tierce et se retrouverait au chômage suite à la perte de ce second emploi. Dans ce cas, il est admis que le droit à l’indemnité peut naître, nonobstant le maintien d’une position assimilable à celle de l’employeur que l’assuré aurait conservé dans la 1re société (c. 5.4). Cette jurisprudence n’est pas applicable dans cette affaire. L’assuré était bien inscrit au registre du commerce dans deux autres sociétés, toutes deux domiciliées à la même adresse que la société qui l’avait licenciée, mais, pour pouvoir prétendre à des indemnités, l’assuré aurait dû prouver en sus qu’il avait travaillé dans une société tierce durant au moins six mois et déposé une demande à la suite de la perte de ce second emploi. La société qui l’a licenciée ne peut pas être considérée comme une société tierce puisque c’est justement dans cette société que l’assuré exerçait une position assimilable à celle de l’employeur. Il y a donc manifestement un risque d’abus, ce qui justifie l’exclusion du droit aux indemnités journalières (c. 5.4 et 5.5). Le recours est admis.
Auteure : Rébecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Winterthour

TF 9C_586/2021 du 02 août 2022
Allocations pour perte de gain; calcul de l’indemnité, salaire déterminant, assuré sortant de formation; art. 4 al. 2 RAPG
Dans la présente affaire, le TF a été amené à préciser l’interprétation de l’art. 4 al. 2, 2e phrase RAPG. Etait litigieuse la question de savoir quel est le salaire déterminant pour fixer l’allocation perte de gain d’un assuré, lequel s’était vu délivré un bachelor en sciences économiques quelques semaines avant de débuter son service civil. Alors même qu’il avait effectué des postulations essentiellement pour des stages, le tribunal cantonal avait retenu un salaire annuel de CHF 72’000.- correspondant à la rémunération d’un économiste débutant sur le marché du travail. Dans les trois versions linguistiques, l’art. 4 al. 2 RAPG fixe le droit à l’indemnité en se rattachant au salaire initial usuel dans la profession concernée. La notion de profession n’est toutefois pas définie plus avant. Le texte ne précise donc pas sur quelle base l’allocation pour perte de gain doit être calculée, dans la mesure où une formation donne accès à plusieurs professions ou permet d’entrer dans le monde du travail sous différentes formes (c. 5.2.1).
Le TF observe que l’art. 4 al. 2 RAPG présente une structure en deux parties, qui se rattache, de par son libellé, à la structure de l’art. 1 al. 1 let. b et c RAPG. La première phrase détermine le calcul du droit à l’indemnité pour les personnes visées par l’art. 1 al. 2 let. b RAPG, soit les personnes qui rendent vraisemblable qu’elles auraient entrepris une activité lucrative de longue durée si elles n’avaient pas dû entrer en service. En revanche, la deuxième phrase de l’art. 4 al. 2 RAPG règle le droit des personnes qui auraient terminé leur formation immédiatement avant l’entrée en service ou qui l’auraient terminée pendant le service, c’est-à-dire les personnes définies à l’art. 1 al. 2 let. C RAPG (c. 5.2.2).
En se référant notamment aux débats parlementaires ainsi qu’à la jurisprudence relative à l’art. 4 al. 1, 1re phrase RAPG, le TF précise que s’agissant des personnes qui auraient terminé leur formation immédiatement avant l’entrée en service ou qui l’auraient terminée pendant le service, il convient de tenir compte du salaire qu’elles sont, de façon réaliste, empêchées de réaliser en raison du service civil. Afin d’arrêter le salaire déterminant pour le calcul de l’allocation, il est donc nécessaire de tenir compte notamment de la formation de l’assuré, de sa vision de l’avenir, des autres circonstances du cas d’espèce et de se fonder sur le salaire versé selon l’usage local dans la profession en question (c. 5.2.4 et 5.3).
Dans le cas d’espèce, le TF relève, qu’au vu de ces circonstances, il est probable que, s’il n’avait pas effectué son service civil, l’intimé aurait d’abord réalisé un stage après son bachelor universitaire en sciences économiques. Dans cette perspective, l’allocation pour perte de gain doit être déterminée sur la base du salaire versé dans le cadre d’un stage et non dans le cadre d’un emploi d’économiste.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Yverdon-les-Bains


TF 9C_126/2022 du 02 août 2022
Assurance-invalidité; invalidité, réadaptation, exigibilité, personne appartenant à la communauté des gens du voyage; art. 4 LAI; 7 et 8 LPGA; 105 al. 2 LTF
Cet arrêt est la suite de l’affaire jugée à l’ATF 138 I 205. Elle concerne une assurée membre de la communauté suisse des gens du voyage, ayant travaillé dans l’entreprise de brocante de son mari jusqu’à ce des troubles du rachis l’en empêchent. Elle avait demandé des prestations de l’assurance-invalidité qui lui avaient été refusées, au motif qu’elle jouissait d’une capacité de travail entière dans une activité adaptée. Le TF avait admis son recours au motif que l’office AI n’avait pas déterminé s’il existait des activités lucratives compatibles avec ses limitations fonctionnelles et adaptées qui lui permettent de respecter son mode de vie, protégé par les conventions internationales. Les prestations de l’assurance-invalidité lui ayant une nouvelle fois été refusées, sur la base notamment d’une expertise médicale ordonnée parce que l’assurée alléguait une aggravation de son état de santé, le TF est à nouveau saisi de son affaire.
Le TF, manifestement agacé par le fait que l’affaire lui revienne sans que les instructions données plus de dix ans auparavant aient été mises en œuvre, complète l’état de fait d’office (art. 105 al. 2 LTF).
Il ressort du dossier qu’après avoir procédé à l’examen des activités adaptées conformément aux instructions contenues dans le premier arrêt du TF, l’office AI était parvenu à déterminer un revenu d’invalide de CHF 35’700.- après abattement de 15 %. La personne assurée admettait pour sa part pouvoir réaliser le tiers de cette somme, correspondant à une activité déployée durant les quatre mois où elle séjournait à un endroit fixe. Sur la base des déclarations de la personne assurée et des constatations de l’office AI, il a été retenu qu’il n’existait pas d’activité adaptée pendant les périodes d’itinérance. En conséquence, compte tenu d’un revenu de valide de CHF 43’587.-, l’assurée a droit à une rente entière de l’assurance-invalidité (c. 7.2).
D’un point de vue temporel, le droit à la rente est ouvert depuis le 1er mars 2007, le délai d’attente ayant débuté le 1er mars 2006, selon des rapports du SMR. La question d’une aggravation de l’état de santé en 2014, alléguée par l’assurée, n’est pas déterminante pour l’issue du litige.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_543/2021 du 20 juillet 2022
Prévoyance professionnelle; rente d’orphelin, surindemnisation, notion de formation; art. 22 al. 3 LPP
Le TF a rappelé que l’art. 22 al. 3 let. a LPP subordonne le maintien du droit aux prestations pour orphelin après que l’ayant droit a atteint l’âge de 18 ans à la poursuite d’une formation (« tant que l’orphelin fait un apprentissage ou des études »). A la différence de l’art. 25 al. 3 LAVS, l’art. 22 al. 3 LPP ne délègue pas au Conseil fédéral la compétence de définir ce que l’on entend par formation. Les juges fédéraux ont considéré qu’il était possible d’appliquer les art. 25 al. 3 LAVS et 49bis RAVS par analogie, s’agissant du critère « qualitatif » de la formation. En revanche, une telle application ne se justifiait pas en ce qui concerne le critère « quantitatif » de la formation, à savoir la fixation d’une limite forfaitaire en francs qui serait applicable de manière schématique. Le TF a toutefois réservé une situation dans laquelle une personne orpheline consacrerait la plus grande partie de son temps à l’exercice d’une activité lucrative tout en restant inscrit dans un cursus de formation pour ne pas perdre son droit.
Note :
Cette jurisprudence doit être nuancée, en ce sens qu’il importe d’examiner systématiquement les règlements de prévoyance des institutions de prévoyance (dans le domaine de la prévoyance professionnelle surobligatoire, y compris les plans enveloppants)
Auteur : Guy Longchamp, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel


TF 8C_596/2021 du 12 juillet 2022
Assurance-accidents; accident non professionnel, causalité adéquate; art. 6 LAA
A la suite d’une chute survenue le 4 octobre 1989 alors qu’il se trouvait sur un chantier, un assuré est devenu paraplégique et doit avoir recours à une chaise roulante depuis lors. Le 8 juillet 2019, soit à une période où l’assuré n’était plus assuré auprès de la CNA, il est tombé de sa chaise roulante, en restant notamment accroché à un coin du lit, ce qui a provoqué une chute sur son épaule gauche. L’assureur-accidents, suivi par le TF, a nié une quelconque obligation de prester, au motif que le critère de la causalité adéquate ne pouvait être rempli. En effet, selon l’expérience de la vie et le cours ordinaire des choses, la paraplégie et l’obligation de l’assuré d’avoir recours à une chaise roulante (depuis près de trente ans) ne pouvaient être à l’origine de l’accident du 8 juillet 2019. L’événement ayant provoqué l’accident devait bien plutôt être le fait d’être resté « accroché » au coin du lit, le fait de se déplacer en chaise roulante ne pouvant à cet égard être considéré comme une situation de « danger particulier ».
Auteur : Guy Longchamp



TF 8C_104/2021 du 27 juin 2022
Assurance-invalidité; troubles psychiques, indicateurs, revenu d’invalide, ESS, abattement, révision ou suppression de la rente, réadaptation, limite de 55 ans, moment déterminant; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI
Dans le cadre de l’évaluation du caractère invalidant de troubles psychiques, le TF revoit l’analyse des indicateurs de l’ATF 141 V 281 faite par les juges cantonaux, et ne trouve rien à y redire (c. 5.1). Il rejette également le grief d’arbitraire s’agissant de l’évaluation du caractère invalidant de ces troubles pour la période antérieure à l’expertise (c. 5.2).
Lorsque, comme en l’espèce, la personne assurée a travaillé de longues années dans un secteur économique déterminé (la construction dans ce cas) et qu’un travail dans un autre secteur économique paraît illusoire, il est correct de déterminer le salaire d’invalide en se fondant sur l’ESS, TA1, rubrique « total », plutôt que par référence aux moyennes dans les différentes branches (c. 6.3).
Le TF confirme l’abattement de 10 % sur le revenu d’invalide, déjà opéré par l’office AI et confirmé par les premiers juges, qui tient compte de ce que le rendement de la personne assurée est limité pour des raisons médicales, en l’espèce un diabète et des troubles du sommeil (c. 6.4).
Motif pour sa publication à venir, l’arrêt tranche la question du moment à prendre en considération pour savoir si la personne assurée, âgée de 55 ans, doit se voir proposer des mesures de réadaptation avant la baisse ou la suppression de sa rente, ou si l’on peut attendre d’elle qu’elle se réadapte par ses propres moyens. Cette question a jusqu’ici été laissée ouverte, l’arrêt de principe (cf. ATF 145 V 209) ayant mentionné trois moments possibles : la date de la décision administrative, la date depuis laquelle la rente est révisée vers le bas ou supprimée, et la date de l’évaluation médicale. En l’espèce, cette question ne peut rester ouverte car la personne assurée était âgée de 55 ans au moment de l’évaluation médicale puis de la décision administrative, mais n’était en revanche âgé que de 52 ans à la date depuis laquelle la rente a été supprimée.
Le TF, considérant qu’il n’y a pas lieu de traiter différemment la situation dans laquelle une rente limitée dans le temps (ou une rente diminuant au fil du temps) est accordée rétroactivement et une révision du droit à la rente selon l’art. 17 LPGA, retient que c’est la date à laquelle la décision administrative est rendue qui est déterminante. En effet, au moment de l’évaluation médicale, le droit à la rente n’a pas encore été entièrement examiné, et le moment de la diminution, respectivement de la suppression de la rente n’est connu que bien après (c. 7.3). En l’espèce, la personne assurée était âgée de 55 ans au moment où la décision administrative a été rendue, de sorte qu’il était nécessaire d’instruire la question de la possibilité d’une réadaptation par soi-même, et, le cas échéant, de mettre en œuvre des mesures de réadaptation, avant de pouvoir statuer définitivement. Le recours est donc admis.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_91/2022 du 22 juin 2022
APG-COVID; notion de « perte de gain ou de salaire », subsidiarité de l’allocation Covid-19, art. 2 al. 3bis O APG COVID-19; 31 al. 3 let. b et c LACI
La société A. SA est active dans le domaine de l’événementiel. Depuis 2016, B. est le seul membre du conseil d’administration de A. SA, ainsi que le directeur de celle-ci. Quant à C., l’épouse de B., elle est employée par A. SA en qualité de collaboratrice. La Caisse de compensation de Lucerne a versé à C. une allocation pour perte de gain en lien avec les mesures COVID-19 pour la période du 1er juin au 16 septembre 2020. La caisse a encore reconnu un droit à dite allocation pour la période du 17 septembre au 30 novembre 2020 mais elle a ensuite nié un tel droit pour la période du 1er décembre 2020 au 30 avril 2021, par décision du 27 mai 2021 puis décision sur opposition du 7 juillet 2021. A. SA fait recours contre cette décision, que rejettent tant le Tribunal cantonal de Lucerne que le TF.
Le TF laisse ouverte la question de la qualité pour recourir de l’employeur dans les cas particuliers d’allocations perte de gain COVID-19, question qu’il a déjà laissée ouverte à l’arrêt 9C_356/2021.
L’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 du 20 mars 2020 (RS 830.31) s’applique ici dans sa version entrée en vigueur avec effet rétroactif au 17 septembre 2020, et valable jusqu’au 16 février 2022 (ci-après : art. 2 al. 3bis).
Le Tribunal cantonal a qualifié C. d’ayant droit au sens de l’art. 31 al. 3 let. c LACI, respectivement de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19. Il a en outre constaté qu’A. SA avait versé à C. son salaire durant toute la période litigieuse. En l’absence de perte de salaire (selon l’art. 2 al. 3bis let. b de dite ordonnance), les juges cantonaux ont donc nié tout droit à l’indemnité de perte de gain. Le TF estime ce jugement conforme au droit fédéral.
Le TF rappelle que le droit à l’allocation perte de gain COVID-19 des personnes assurées ayant une position similaire à celle d’un employeur est subsidiaire au maintien du salaire par l’employeur (cf. arrêt 9C_356/2021 du 10 mai 2022). Par arrêt 9C_448/2021, rendu le 10 mai 2022 lui aussi, le TF a par ailleurs conclu que cette subsidiarité du droit à l’allocation par rapport au maintien du salaire s’appliquait également au-delà du 17 septembre 2020.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 6B_1295/2021 du 16 juin 2022
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, personnel soignant, faute, position de garant, devoir de prudence, gravité des manquements, infraction de commission; art. 11 al. 1 et 2 ainsi que 117 CP
Un comportement constitutif d’une négligence consiste en général en un comportement actif, mais peut aussi avoir trait à un comportement passif contraire à une obligation d’agir (cf. art. 11 al. 1 CP). Reste passif en violation d’une obligation d’agir celui qui n’empêche pas la mise en danger ou la lésion d’un bien juridique protégé par la loi pénale bien qu’il y soit tenu à raison de sa situation juridique, notamment en vertu de la loi, d’un contrat, d’une communauté de risque librement consentie ou de la création d’un risque (art. 11 al. 2 let. a-d CP). N’importe quelle obligation juridique ne suffit pas. Il faut qu’elle ait découlé d’une position de garant, c’est-à-dire que l’auteur se soit trouvé dans une situation qui l’obligeait à ce point à protéger un bien déterminé contre des dangers indéterminés (devoir de protection), ou à empêcher la réalisation de risques connus auxquels des biens indéterminés étaient exposés (devoir de surveillance), que son omission peut être assimilée au fait de provoquer le résultat par un comportement actif.
Lorsqu’il s’agit d’apprécier le comportement adopté par le personnel soignant d’une institution de soins médicaux, qui a, dans le cas particulier, laissé la victime prendre son bain sans surveillance, la position de garant au sens de l’art. 11 al. 2 let. b CP est de toute manière donnée, dès lors qu’il est admis que les personnes travaillant dans ce domaine d’activité assument une obligation contractuelle de protection vis-à-vis de leurs patients.
Dans le cas d’espèce toutefois, compte tenu de l’état de santé et des limitations de la victime en raison de ses handicaps, lui donner le bain doit être considéré comme une activité dangereuse. L’élément déterminant qui doit être examiné se rapporte ainsi au fait d’accomplir l’activité en cause sans observer les mesures de sécurité suffisantes. Il y a donc lieu de retenir en l’occurrence que l’on se trouvait en présence d’un comportement actif, soit d’une infraction de commission.
Pour le surplus, s’il est clair que l’absence de directives concernant le déroulement des bains a certainement favorisé les manquements du recourant, il n’empêche que ce dernier, qui était au bénéfice d’une formation professionnelle spécialisée, était parfaitement conscient de la dépendance totale de la victime, de la dégradation de son état de santé, et du fait que, peu avant les faits, elle avait présenté des épisodes de spasmes, fait l’objet d’une crise d’épilepsie, ainsi que de mouvements incontrôlés en lien avec la douleur, et qu’elle était récemment tombée de son fauteuil. Or, malgré cela, il a, avec son collègue, placé la victime dans un bain – soit une activité à risque dans le cas de la victime – certes avec une « cigogne », mais avec une bouée insuffisamment gonflée, pour une durée de 30 minutes, sans aucune surveillance. Ce faisant, il a commis une violation fautive de son devoir de prudence au sens de la jurisprudence relative à l’art. 117 CP.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 4A_440/2021 du 25 mai 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; expertise, appréciation par le juge, causalité naturelle, gravité de l’accident, observation; art. 46 al. 1 et 47 CO; 62 al. 1 LCR
Une personne est victime de trois accidents successifs dont le premier est une collision par l’arrière avec un diagnostic de traumatisme par accélération cranio-cervical ; le delta-v est compris entre 10 et 15 km/h, voire moins. Après un peu plus de deux mois, le lésé retrouve une pleine capacité de travail sans adaptation nécessaire et cesse de consulter pour ses cervicalgies. Une rechute est annoncée deux ans et demi plus tard avec apparition de nouveaux troubles visuels, auditifs et plus généraux (fatigue, difficultés de concentration, irritabilité). Un rapport de détective révèle l’absence de gêne fonctionnelle dans les activités du quotidien. Le lésé ouvre action contre l’assurance RC. L’expertise judiciaire conclut à une entorse cervicale de type II et des troubles associés à l’entorse cervicale (TAEC) et admet la causalité naturelle entre les troubles présentés et l’accident tout en relevant une évolution des symptômes atypiques, une majoration des plaintes et des contradictions entre les plaintes et les constatations objectives. Le tribunal de première instance, se basant sur l’expertise, retient un lien de causalité naturelle et adéquate entre les troubles et l’accident alors que le tribunal cantonal s’écarte de l’expertise et rejette la causalité naturelle.
Pour le TF, le juge, même s’il est dépourvu de connaissances médicales, est capable de faire la part des choses entre les différents moyens de preuve recueillis et apprécie librement la valeur probante d’une expertise médicale, à l’aune de toutes les circonstances. S’il s’écarte de l’expertise, il doit motiver son appréciation, ce qui est suffisant s’il indique les traits essentiels de sa motivation. En l’état, et cela n’est pas arbitraire selon le TF, les juges cantonaux se sont référés, pour réfuter le lien de causalité, à une étude scientifique de laquelle il ressort que l’apparition de nouveaux symptômes après un intervalle asymptomatique est peu probable.
Les juges étaient, d’autre part, autorisés à s’écarter de l’avis des experts réfutant tout lien de causalité entre les accidents deux et trois, puisqu’ils ont retenu deux éléments non pris en considération par les experts (décompensation des douleurs cervicales suite au deuxième accident selon le médecin AI et déclarations du lésé selon lesquelles il ressentait toujours des douleurs après le deuxième accident).
Ils ont en outre retenu, dans l’examen de la causalité naturelle, le critère de la gravité de l’accident, critère en principe pris en compte dans l’examen de la causalité adéquate. Rien n’empêche, selon le TF, le juge civil d’en tenir compte lorsqu’il étudie la causalité naturelle, le degré de gravité de l’accident constituant l’un des indices pertinents dans l’examen de la causalité naturelle. Selon le TF, diverses circonstances peuvent en effet influer tant la question de la causalité naturelle que celle de la causalité adéquate.
Enfin, le TF relève que le rapport de détective fournit une raison supplémentaire de s’écarter de l’expertise.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève



TF 8C_58/2022 du 23 mai 2022
Assurance-accidents; qualification d’un accident dû à la foudre, lien de causalité naturelle et adéquate; art. 4 LPGA; 6 LAA
A., médecin-assistante, pratiquait une randonnée en montagne lorsqu’elle a été frappée par la foudre. Cette dernière est passée à travers l’un des trous d’aération du casque situé sur le haut de l’arrière droit de la tête de A. et est ressortie par ses deux petits orteils droit et gauche. Des marques de brûlures claires ont été constatées par les médecins qui l’ont prise en charge. A. est restée aphasique et confuse durant plusieurs dizaines de secondes après avoir été frappée par la foudre. Après avoir servi les prestations légales durant un peu plus de deux ans, l’assurance LAA intimée a considéré que A. avait récupéré et que son état s’était stabilisé. Elle a cessé de verser les prestations légales, maintenant sa décision sur opposition. Le recours de A. a été rejeté par le Tribunal supérieur d’Appenzell Rhodes-Extérieures. Il est établi que A. a été frappée par la foudre, ce qui l’a rendue aphasique puis confuse, engourdie et désorientée. Selon la déclaration de sinistre, le dommage principal a été causé au cerveau. On ne connaît cependant pas les lésions exactes causées par le coup de foudre ni ses conséquences sur sa capacité de travail, respectivement de gain, le diagnostic exact n’ayant pas été posé.
Le TF considère qu’un accident dû à la foudre doit être qualifié de grave ou de moyennement grave à la limite des accidents graves et ne peut être comparé à un accident dû à l’électricité, et donc à une source de courant artificielle, même forte. En effet, les accidents dus à la foudre se caractérisent par une intensité de courant extrêmement élevée (plus de 100’000 ampères), une durée d’exposition très courte, avec une température très élevée (l’air s’échauffe dans le canal de la foudre jusqu’à environ 25’000 à 30’000° C), une onde de choc, et des tensions supérieur à 100 millions de volts (c. 4.3.5).
L’autorité cantonale a laissé ouverte la question de la causalité naturelle, dans la mesure où elle a considéré que la causalité adéquate devait être niée, les critères pour l’admettre n’étant pas remplis, à savoir des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques, respectivement le caractère particulièrement impressionnant (c. 4.4.2.). Selon le TF, la qualification des accidents de foudre en tant que moyennement graves à la limite de graves et la présence d’un seul des critères précités – sans qu’il ne soit réalisé de manière particulièrement prononcée – devrait suffire pour reconnaître le lien de causalité adéquate (c. 4.5.). Le TF considère en particulier qu’on ne peut nier que les accidents dus à la foudre sont particulièrement impressionnants (c. 4.4.5.). Cela étant, si le lien de causalité adéquate ne peut être nié schématiquement entre les troubles persistants et le choc accidentel lié à la foudre, il n’est pas admissible d’admettre sans autre en l’espèce un lien de causalité adéquate entre d’éventuels troubles psychiques ou organiques non démontrables et un accident avant que les questions relatives à la nature des atteintes à la santé et du lien de causalité naturelle ne soient clarifiées par une expertise (c. 4.5.1.). Le TF admet le recours et renvoie l’affaire à l’intimée, afin qu’elle procède à une expertise sur les questions de faits concernées. Elle devra ensuite statuer à nouveau sur la prétention de la recourante concernant ses troubles organiques non objectivables (c. 4.5.2.).
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier



TF 6B_491/2021 du 23 mai 2022
Responsabilité médicale; intervention dentaire, lésions corporelles, degré de gravité, pluralité d’auteurs, causalité; art. 125 CP
Une patiente, avec un lourd passif médical et au bénéfice d’une rente AI, recourt auprès du TF à l’encontre d’un acquittement prononcé en faveur de deux dentistes ayant eu à répondre de lésions corporelles graves par négligence. A cette occasion, le TF rappelle que les interventions médicales réalisent les éléments constitutifs objectifs d’une lésion corporelle en tout cas si elles touchent à une partie du corps (par exemple lors d’une amputation) ou si elles lèsent ou diminuent, de manière non négligeable et au moins temporairement, les aptitudes ou le bien-être physiques du patient. Cela vaut même si ces interventions étaient médicalement indiquées et ont été pratiquées dans les règles de l’art.
Pour que les lésions corporelles soient considérées comme graves, l’atteinte doit être permanente, c’est-à-dire durable et non limitée dans le temps ; il n’est en revanche pas nécessaire que l’état soit définitivement incurable et que la victime n’ait aucun espoir de récupération. Il faut procéder à une appréciation globale : plusieurs atteintes, dont chacune d’elles est insuffisante en soi, peuvent contribuer à former un tout constituant une lésion grave. Il faut tenir compte d’une combinaison de critères liés à l’importance des souffrances endurées, à la complexité et la longueur du traitement, à la durée de la guérison, respectivement de l’arrêt de travail, ou encore à l’impact sur la qualité de vie en général.
Lorsque plusieurs individus ont, indépendamment les uns des autres, contribué par leur négligence à créer un danger dont le résultat incriminé représente la concrétisation, chacun d’entre eux peut être considéré comme un auteur de l’infraction, que son comportement représente la cause directe et immédiate du résultat ou qu’il l’ait seulement rendu possible ou favorisé.
Dans le cas d’espèce, le TF confirme l’acquittement en retenant que les lésions corporelles, à savoir la dévitalisation et l’extraction de dents, n’étaient pas graves et que le lien de causalité faisait défaut.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

TF 4A_179/2021 du 20 mai 2022
Responsabilité pour l’exploitation d’un chemin de fer; causalité adéquate, interruption, faute grave de la personne lésée; art. 40b al. 1 et 40c al. 2 let. b LCdF; 38 al. 1 LCR; 47 al. 2 1re phr. OCR
Le détenteur d’une entreprise ferroviaire répond du dommage causé par la réalisation d’un risque d’exploitation (art. 40b al. 1 LCdF). Il est dégagé de cette responsabilité si un fait qui ne lui est pas imputable, tel que la faute grave du lésé (art. 40c al. 2 let. b LCdF), a contribué à causer le dommage d’une façon si intense qu’il doit en être considéré comme la cause principale (art. 40c al. 1 LCdF). Le comportement d’un tiers constitue une cause principale seulement s’il présente un degré d’efficacité tellement élevé, s’il se situe à tel point en dehors du cours normal des choses, que la responsabilité causale du détenteur de l’entreprise ferroviaire n’est plus appréciée comme juridiquement pertinente à l’égard du dommage survenu. Ce comportement du tiers ne peut rompre le lien de causalité adéquate que si cette cause supplémentaire est si extérieure au déroulement normal des événements qu’on ne pouvait pas s’y attendre (c. 3.1-3.2).
La violation de la diligence résulte de la comparaison entre le comportement effectif de l’auteur de l’acte et le comportement hypothétique d’une personne moyennement diligente, la faute étant d’autant plus grave que l’écart par rapport au comportement moyen est important (c. 3.3).
Le tramway a en principe la priorité sur le piéton (art. 38 al. 1 LCR), même sur les passages pour piétons (art. 47 al. 2 1re phr. OCR). Tant que le conducteur du tramway n’enfreint ni la signalisation, ni les règles de circulation, et qu’il n’y a pas de défaillance technique, le piéton est en principe fautif en cas de collision (c. 3.4). Cette faute est grave, au sens de l’art. 40c al. 2 let. b LCdF, dans le cas d’un lésé familier des lieux, happé par un tram après s’être brusquement engagé sur les rails, en prêtant attention à son téléphone portable, sans avoir regardé, suivant une règle de prudence élémentaire, à gauche si un tram arrivait (c. 4.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle




TF 6B_315/2020 du 18 mai 2022
Responsabilité aquilienne; faute, causalité, mise en danger par négligence en violation des règles de l’art de construire, lésion corporelles graves par négligence; art. 229 CP; 125 al. 2 CP; 11 OPA
Un grutier A. a été chargé de transporter un élément en béton d’environ dix tonnes depuis son lieu de stockage jusqu’à sa position finale. A cet endroit et selon les instructions de C., l’entrepreneur chargé du montage, a déposé l’élément en béton sur son côté longitudinal le plus étroit (20 cm) sur une plateforme élévatrice et a desserré les chaînes qui sécurisaient le bloc. Celui-ci est resté un certain temps jusqu’à ce qu’il tombe et heurte la plateforme élévatrice qui, à son tour, a poussé contre la façade de l’immeuble un travailleur présent sur le chantier, lequel a subi des lésions corporelles importantes. Le grutier est condamné pour lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP) et violation des règles de l’art de construire (art. 229 CP). Il recourt jusqu’au TF contre cette condamnation, invoquant principalement que la responsabilité de l’arrimage du chargement incombait à C.
Le TF rappelle que l’infraction visée à l’art. 229 CP consiste en l’inobservation des règles reconnues du droit de la construction. L’art. 229 CP instaure une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il oblige les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution de travaux à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de compétence. Il convient ainsi de déterminer pour chaque cas individuel l’étendue des tâches et donc du domaine de compétence. Il faut, à cet égard, se référer aux prescriptions légales, aux accords contractuels, aux fonctions exercées, ainsi qu’aux circonstances du cas d’espèce. Les usages dans le secteur de la construction doivent également être pris en compte, même s’ils ne règlent qu’une éventuelle responsabilité civile. La distinction entre les différents domaines de compétences est une conséquence de la division du travail, qui est inévitable dans le domaine de la construction, dans lequel les différentes activités ne peuvent souvent pas être délimitées de manière claire les unes par rapport aux autres, de sorte qu’en cas de violation constatée des règles de l’art de la construction, la responsabilité pénale selon l’art. 229 CP incombe souvent à plusieurs personnes en même temps (c. 6.3). Ces principes sont transposables aux éléments constitutifs de l’art. 125 al. 2 CP. En particulier, la position de garant peut être fondée sur les mêmes considérations que pour l’art. 229 CP.
S’agissant d’un grutier, il convient de se référer à l’ordonnance sur les conditions de sécurité régissant l’utilisation des grues qui prévoit, à son art. 6 al. 1, que les charges doivent être assurées pour le levage, arrimées aux crochets des grues et déposées après le levage, de sorte qu’elles ne puissent pas se renverser, tomber ou glisser et par là, constituer un danger. Lorsque l’ordonnance sur les grues ne prévoit rien, c’est l’ordonnance sur la prévention des accidents (OPA) qui s’applique. Son art. 11 al. 1 indique que l’employé est tenu d’observer les règles de sécurité généralement reconnues (c. 6.3.1).
Il convient de retenir en l’espèce une violation des règles de l’art de construire par le grutier. La répartition du travail entre ce dernier et C., en tant que chef d’équipe et instructeur, ne permet pas, dans les circonstances du cas d’espèce, de décharger le grutier. Dans son activité, celui-ci doit tenir compte des règles de sécurité généralement reconnues et doit immédiatement remédier aux éventuels défauts constatés qui portent atteinte à la sécurité du travail, conformément à l’art. 11 al. 1 OPA. En l’espèce, le grutier, vu qu’il se trouvait en hauteur, était en mesure de voir les dimensions et la position de l’élément en béton et de reconnaître le risque de basculement et l’état de fait dangereux ainsi créé. En omettant, malgré le « défaut » qu’il a constaté et qui porte atteinte à la sécurité du travail, de prendre ou de faire prendre les mesures de protection nécessaires pour l’éliminer, il n’a pas respecté les règles reconnues de l’art de construire. Le comportement fautif de C. n’était par ailleurs pas exceptionnel au point de rompre le lien de causalité entre la violation du devoir de diligence du grutier et la survenance du résultat.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne

TF 8C_621/2021 du 18 mai 2022
Assurance-accidents; soins à domicile, prestataire de soins sans convention tarifaire, tarif applicable; art. 56 LAA
Un assureur-accidents doit prendre en charge le coût des prestations d’un fournisseur de prestations de soins à domicile admis à pratiquer, même lorsque celui-ci n’a ni signé, ni adhéré à une convention tarifaire. A juste titre, les juges fédéraux ont considéré que l’art. 56 LAA n’a pas pour but de limiter le choix du fournisseur de prestations, contrairement à ce qu’invoquait l’assureur-accidents, cette question étant exclusivement réglée aux art. 10 LAA et 18 OLAA. S’agissant du tarif à prendre en considération, le TF a précisé que, en faisant usage de l’art. 15 al. 2 OLAA par analogie, l’assureur-accidents devait rembourser les frais qu’il aurait dû prendre en charge, sur la base de la convention en vigueur.
Auteur : Guy Longchamp, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel


TF 9C_50/2022 du 17 mai 2022
Prestations complémentaires; renonciation à la fortune; art. 11 al. 1 let. g aLPC
Le TF commence par rappeler le principe selon lequel une renonciation à la fortune doit malgré tout être comptabilisée dans les revenus lors de l’examen du droit aux prestations complémentaires AVS/AI. On considère ainsi qu’il y a renonciation à la fortune lorsque la cession ne s’accompagne d’aucune obligation juridique ni d’aucune contrepartie adéquate.
Dans cette affaire, il s’agissait d’une personne qui vivait en-dessus de ses moyens et qui a ainsi dilapidé sa fortune jusqu’à devoir déposer une demande de prestations complémentaires. La situation étant antérieure à 2021 et ainsi, à l’entrée en vigueur de l’art. 11a al. 3 et 4 LPC, cette disposition n’était pas applicable.
Les premiers juges critiquaient la jurisprudence en arguant que la personne assurée qui consomme régulièrement plus de fortune que ce dont elle aurait besoin pour couvrir ses besoins vitaux préfinancerait en réalité son niveau de vie actuel plus élevé au moyen des prestations. L’adoption du nouvel art. 11a al. 3 LPC montrerait également que la jurisprudence du TF était erronée.
Le TF rappelle alors que pour retenir une renonciation à la fortune au sens de l’ancien art. 11 al.1 let. g LPC, il faut l’absence d’une obligation juridique, ainsi que l’absence de contrepartie adéquate (équivalente) en lien avec le dessaisissement de la fortune. Il continue en relevant que l’adoption du nouvel art. 11a al. 3 et 4 LPC soulève de nouvelles considérations juridiques. L’adoption de cette disposition ne reflète ainsi pas la situation qui prévalait avant son adoption. Dès lors, pour le TF, il n’y a pas de raison de s’écarter de la jurisprudence relative à l’ancien art. 11 al. 1 let. g LPC, selon laquelle il n’est pas important de savoir si un assuré vivait au-dessus de ses moyens avant de s’inscrire pour percevoir des prestations. Le train de vie de l’assuré n’est ainsi pas pertinent pour déterminer si l’on est en présence d’une renonciation à la fortune.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne

TF 2C_704/2021 du 12 mai 2022
Responsabilité de l’Etat; prescription, dies a quo, conditions de détention illicites; art. 7 LRECA-VD
Selon l’art. 7 de la loi vaudoise sur la responsabilité de l’Etat (LRECA-VD), la créance en dommages-intérêts à l’encontre de l’Etat se prescrit par un an dès la connaissance du dommage et en tout cas par dix ans dès l’acte dommageable. Le TF rappelle que cette disposition doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 60 al. 1 CO, dont le texte est pratiquement identique. De jurisprudence constante, la notion de « connaissance du dommage » ne doit pas être appliquée de manière stricte, particulièrement lorsqu’elle correspond au dies a quo d’un délai de prescription très bref, comme en l’espèce.
Le TF relève ensuite qu’un détenu ayant souffert de conditions de détention illicites dans un établissement carcéral ne peut exclure le risque de subir à nouveau un traitement similaire à l’avenir. En l’absence de toute garantie quant à la pérennité de l’amélioration de sa situation, le détenu ne peut en aucun cas réaliser que le traitement carcéral illicite dont il a été victime a durablement pris fin ni prendre la mesure de son préjudice maximal.
En admettant que le délai de prescription avait commencé à courir le 12 janvier 2018, le Tribunal cantonal a en réalité fixé le moment de la connaissance du dommage d’un point de vue rétrospectif. Cette interprétation se heurte néanmoins à la jurisprudence constante rendue à propos de l’art. 60 al. 1 CO, selon laquelle le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le lésé a une connaissance effective du dommage. Or, tel ne peut être le cas, en l’espèce, qu’à partir du moment où le détenu a été transféré dans une autre prison, le 30 juillet 2018. Un détenu ayant subi des conditions de détention illicites ne peut en effet pas avoir une connaissance effective de son dommage avant d’avoir quitté l’établissement concerné. Le délai de prescription relatif qui présuppose la connaissance effective du dommage ne commence donc pas encore à courir au moment de l’amélioration des conditions de détention au sein d’un même établissement.
Le Tribunal cantonal aurait donc dû retenir que le délai de prescription d’une année n’avait pas commencé à courir avant le 30 juillet 2018. Dès lors, la prescription n’était pas encore acquise lorsque l’Etat de Vaud a renoncé, le 29 juillet 2019, à se prévaloir de la prescription jusqu’au 31 juillet 2020. L’arrêt attaqué repose ainsi sur une interprétation manifestement insoutenable de l’art. 7 LRECA-VD, tant dans son principe que dans son résultat, de sorte que le grief de violation de l’arbitraire est fondé. Partant, le recours est admis. L’affaire est renvoyée au Tribunal d’arrondissement pour nouvelle décision.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 9C_448/2021 du 10 mai 2022
APG-COVID; portée de la notion de « perte de gain ou de salaire » et de « perte de chiffre d’affaires »; art. 2 al. 3bis et 3ter O APG COVID-19 (au 3 février 2022)
La société A. (Sàrl), dont B. et C. sont les uniques associés et gérants, est active dans le domaine du sport et de l’événementiel. En septembre 2020, B. et C. ont requis l’octroi d’allocations pour perte de gain en lien avec les mesures COVID-19, ce qui leur a été refusé en raison d’une absence de perte de revenu. B. et C. avaient en effet continué à se verser un salaire mensuel qu’ils prélevaient toutefois sur les fonds propres de la Sàrl. Le litige porte ainsi essentiellement sur l’interprétation des notions de « perte de gain ou de salaire » et de « perte de chiffre d’affaires », prévues à l’art. 2 al. 3bis et 3ter O APG COVID-19 du 20 mars 2020.
Après avoir appliqué les méthodes habituelles d’interprétation de la loi, le TF arrive à la conclusion que le droit à une indemnité de perte de gain COVID-19 présuppose, outre une perte minimale du chiffre d'affaires, une perte de gain ou de salaire. Partant, un salarié qui a continué à percevoir son salaire mensuel usuel, même si celui-ci a dû être versé par le biais de fortune de la société, ne subit pas de perte de salaire et n’a ainsi pas le droit à des allocations pour perte de gain (c. 4.2.1 et 4.2.2). Le fait que la fortune ou le capital social de l’entreprise, mis à contribution pour le paiement du salaire, aient été constitués à partir de la fortune privée des salariés, n’a aucun impact sur ce qui précède (c. 4.2.1 et 4.2.2).
Les pertes de salaire ou de chiffre d’affaires doivent être déterminées sur la base de montants réels qui découlent de la situation financière d’une entreprise qui existait préalablement à la mise en œuvre des mesures de lutte contre le COVID-19. Partant, les recourants ne peuvent pas faire valoir des pertes de salaires basées sur des salaires hypothétiques et non étayés (c. 4.3).
Le TF a également examiné la qualité pour recourir d’une Sàrl dans le cadre d’un refus d’octroi d’indemnités pour perte de gain COVID-19 à l’encontre de ses employés. Il a considéré que dans le cas d’espèce, dès lors que la société avait continué à verser les salaires mensuels à ses employés durant la pandémie, sa qualité pour recourir pouvait potentiellement découler de l’art. 7 al. 2 O APG COVID-19. Compte tenu de l’issue de la procédure, le TF a estimé qu’il n'était pas nécessaire de décider si la société avait ou non la qualité pour former un recours en matière de droit public au sens de l’art. 89 LTF (c. 1.3.2).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 9C_356/2021 du 10 mai 2022
APG-COVID; revenu déterminant, notion de « perte de gain ou de salaire »; art. 2 al 3bis O APG COVID-19
Une SA, active dans l’organisation d’évènements, dépose un recours en matière de droit public au TF concluant au versement d’indemnités perte de gain COVID-19 pour son directeur. Ce dernier avait été engagé au 1er janvier 2020 et avait continué à percevoir un salaire suite à l’entrée en vigueur des mesures de lutte contre le coronavirus le 17 mars 2020. Après avoir laissée ouverte la question de la qualité pour recourir de l’employeur dans les cas particuliers d’allocations perte de gain COVID-19 compte tenu de l’issue de la procédure (c. 1.4), le TF rappelle les conditions d’octroi desdites allocations, à savoir notamment que le revenu annuel antérieur doit avoir été compris entre CHF 10'000.- et CHF 90'000.- et qu’une perte de gain ou de salaire est nécessaire par rapport à cette valeur de départ (c. 3 et 5.3.2).
Le TF considère que, s’agissant des allocations perte de gain COVID-19, seule la personne assurée est l’ayant droit. L’employeur ne devient l’ayant droit à la prestation ni en raison de son éventuel droit au versement, ni en raison de son rôle procédural de recourant. Dès lors, seul le revenu soumis à des cotisations AVS est déterminant pour décider s’il y a perte de gain. L’allocation perte de gain selon l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 n’a pas pour but d’amortir la baisse du chiffre d’affaires ou du bénéfice d’une entreprise, mais bien de compenser la perte de gain ou de salaire subie par les personnes assurées (c. 5.3.4.3).
Ainsi, le TF relève qu’il n’y a pas de perte de gain ou de salaire au sens de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 par une perte de chiffre d’affaires subie par l’employeur. Dans le cas d’une personne assurée ayant une position similaire à celle d’un employeur, le critère décisif est celui de savoir si elle a elle-même subi une perte de salaire. En d’autres termes, son droit à l’allocation perte de gain est subsidiaire au maintien du salaire par l’employeur (c. 5.3.5).
Au vu du maintien du versement du salaire par l’employeur, et partant, d’absence de perte de gain, le TF considère le recours comme infondé. Par ailleurs, le TF souligne que si l’on venait à considérer que le versement de plusieurs montants sur le compte courant du directeur ne suffisait pas à démontrer qu’il s’agissait d’un revenu soumis à cotisations au sens de l’art. 2 al. 3bis O APGV COVID-19, la condition d’un revenu annuel antérieur compris entre CHF 10'000.- et CHF 90'000.- n’aurait en tous les cas pas été remplie et le recours aurait également été infondé (c. 5.3.6).
Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 4A_160/2021 du 06 mai 2022
Responsabilité médicale; règles de l’art, obligation d’informer, prescription médicamenteuse; art. 398 al. 2 CO
Les recourants, soit une mère et son fils, qui présente de lourdes séquelles consécutivement à la prise de Roaccutane durant la grossesse, reprochent deux manquements à la doctoresse : elle aurait manqué à son devoir d’information lorsqu’elle a prescrit ce médicament et, en sus, aurait violé les règles de l’art médical en le prescrivant alors que les conditions du protocole n’étaient pas toutes remplies, la patiente ne souffrant pas d’une forme sévère d’acné et l’intimée n’ayant ordonné ni test de grossesse, ni traitement contraceptif.
Lorsqu’il prescrit un médicament, le praticien doit avertir le patient des risques particuliers induits par celui-ci (TFA 4C.229/2000 c. 3a/aa). En l’espèce, le TF rejette le recours au motif que, bien qu’il ait été préférable que les notes de la doctoresse indiquent expressément les risques liés à la prise de Roaccutane en cas de grossesse, il ressort néanmoins du dossier médical que cette dernière les a abordés avec sa patiente, ce qui doit conduire à écarter toute violation du devoir d’information.
S’agissant de la question d’une éventuelle violation des règles de l’art avec la prescription de Roaccutane, elle a été écartée par une expertise judiciaire. A cet égard, s’ils ont estimé que le dossier médical tenu par la doctoresse était lacunaire (absence de note selon laquelle elle avait bien informé sa patiente des risques du traitement, absence de plan de traitement, poids de la patiente non indiqué) et s’ils ont également pointé du doigt l’absence de test de grossesse réalisé avant le début du traitement, en relevant que le CHUV en pratiquait un, les experts ont toutefois considéré que ce test n’était pas imposé par les règles de l’art médical dans le cas d’espèce, car l’absence de relation sexuelle annoncée en début de traitement pouvait justifier ce manquement. En outre, ils ont déploré l’absence de contraception prescrite en notant que l’absence de partenaire ne justifiait pas ce manquement. Cela étant, ils ont conclu que ces lacunes ne constituaient pas une violation des règles de l’art, dans la mesure où la doctoresse avait dûment informé sa patiente des risques de foetopathie liés au traitement.
De l’avis du TF, si les experts n’ont pas, sur ces questions, accordé au protocole de prescription la portée contraignante que les recourants lui attribuent, l’on ne saurait en déduire que l’expertise était par là-même entachée d’un défaut à ce point évident ou reconnaissable que les juges ne pouvaient l’ignorer.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 8C_701/2021 du 04 mai 2022
Assurance-accidents; assurance facultative des indépendants, rechute, gain assuré pour la fixation de la rente; art. 4 al. 1, 5 al. 1 LAA; 22 al. 1, 24 al. 2 et 138 OLAA
En 1997, A. s’est assuré contre les accidents à la Suva d’abord de manière facultative comme indépendant, avec un gain assuré fixé à CHF 48'600.-, porté à CHF 60'000.- dès 2002, puis de manière obligatoire comme salarié de sa propre entreprise à partir de 2004. En 2000, alors que ses gains étaient déjà largement supérieurs au gain maximum assuré en LAA, il a été victime d’un accident de travail. Ses séquelles ne l’ont pas empêché de poursuivre sa carrière sans entrave jusqu’à une rechute survenue en 2018 ayant conduit à l’octroi d’une rente d’invalidité LAA de 50 % dès avril 2020. La Suva a fixé le montant de la rente sur la base du gain assuré à l’époque de l’accident, soit CHF 48'600.-. La cour cantonale a considéré qu’il fallait tenir compte du gain hypothétique qui aurait été réalisé lors de la naissance du droit à la rente en vertu de l’art. 24 al. 2 OLAA par analogie.
Le TF rappelle qu’une rechute ne constitue pas un nouvel accident et est donc à charge de l’assurance en vigueur lors de l’accident, soit en l’espèce l’assurance facultative (c. 6). L’assurance facultative devrait être équivalente à l’assurance obligatoire (c. 7.1). Les primes et les prestations financières sont définies en fonction du gain assuré, qui peut être adapté chaque début d’année (c. 7.2). Le gain assuré ne devrait pas être durablement nettement plus élevé que le gain effectif. Les parties sont tenues, le cas échéant, d’adapter le montant en fonction des circonstances concrètes (c. 7.3 et 9.3.4).
En LAA obligatoire, l’art. 24 al. 2 OLAA permet d’éviter de défavoriser les assurés dont la rente est fixée plus de cinq ans après l’accident compte tenu de l’augmentation des salaires réels survenue entretemps. Cette norme s’applique aussi en cas de rechutes ou séquelles tardives (c. 8.3). Cette norme avait été jugée inapplicable à l’assurance facultative par le TFA dans un arrêt U 167/95 en raison du principe d’équivalence (c. 8.4). Le TF renverse cette jurisprudence (c. 9). A l’instar de la cour cantonale, il considère qu’il n’y a pas de raison que le gain assuré ne puisse être adapté qu’en défaveur de l’assuré, en cas de gain assuré surévalué, et non pas en faveur de l’assuré, en cas de gain assuré trop bas par rapport aux revenus effectifs (c. 9.1 et 9.3.3). En définitive, il s’agira de fixer la rente selon le salaire réalisé par l’assuré au moment de l’accident, adapté selon l’évolution des salaires nominaux survenue depuis lors (c. 9.4).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 9C_79/2021 du 04 mai 2022
Assurance-vieillesse et survivants; délai de péremption, créances de cotisation, taxation fiscale, procédure de rappel d’impôt; art. 14, 16 al. 1 et 39 LAVS; 151 et 152 LIFD; 53 LPGA; 55, 66 et 67 PA
A. a été affilié, du 1er avril 1986 au 30 septembre 2005, en qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante auprès du GastroSocial Caisse de compensation (ci-après « la Caisse de compensation »). Au terme d’une procédure de rappel d’impôt à la suite d’une soustraction d’impôt, l’autorité fiscale cantonale a rendu des décisions de taxation rectificative le 28 août 2019. Sur la base des nouveaux revenus retenus par l’autorité précitée, la Caisse de compensation a requis le paiement par A. de cotisations sociales complémentaires pour l’année 2004 ainsi que pour la période du 1er janvier au 30 septembre 2005, par décisions du 14 octobre 2019 confirmées sur opposition le 8 janvier 2020. A l’issue du recours formé par A. par-devant la Chambre des assurances sociales de la Cour de Justice de la République et canton de Genève, les décisions précitées ont été annulées. La Caisse de compensation a alors formé un recours en matière de droit public à l’encontre de l’arrêt de la Cour de Justice.
Le litige vise à déterminer si la recourante était fondée à réclamer le solde des cotisations pour les années 2004 et 2005, respectivement si la créance correspondante était frappée de péremption.
A teneur de l’art. 16 al. 1 ph. 2 LAVS, l’exigibilité et le versement des cotisations visées aux articles 6 al. 1, 8 al. 1 et 10 al. 1 LAVS échoient dans un délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force. Le TF rappelle à cet égard qu’il s’agit d’un délai de péremption, malgré le titre marginal de cette disposition. L’article 16 al. 1 LAVS s’applique notamment lorsqu’une procédure de soustraction d’impôt a été mise en œuvre.
Le législateur fédéral a ainsi maintenu une règle spéciale permettant à l’organe d’exécution de la LAVS de fixer les cotisations devant être déterminées en fonction de la taxation fiscale dans un délai qui dépend de la date de l’entrée en force de cette taxation. Aussi, ce délai peut excéder dix années, au vu notamment du délai de 15 ans prévu par l’article 152 al. 3 LIFD à teneur duquel le droit de procéder au rappel de l’impôt s’éteint 15 ans après la fin de la période fiscale à laquelle il se rapporte.
Le TF précise que le délai de l’art. 16 al. 1 ph. 2 LAVS ne saurait être raccourci par celui prévu en matière de révision procédurale, par les art. 53 al. 1 LPGA cum 67 PA, ainsi que le retenaient les premiers juges. Ces derniers ont en effet considéré que l’art. 16 al. 1 LAVS ne contenait aucune mention qui dérogerait, en tant que lex specialis, à l’art. 53 LPGA, alors qu’une révision procédurale au sens de cette disposition ne pourrait intervenir que dans le délai de péremption de dix ans (art. 66 al. 1 et 67 al. 2 PA). Le TF indique à ce titre qu’en l’espèce, l’existence d’un motif de révision procédurale, soit la taxation fiscale rectificative issue de la procédure de soustraction d’impôt, constitue seulement la condition à laquelle la période de cotisations initiale peut être revue, mais n’évince toutefois pas la règle spéciale de la péremption prévue par la disposition LAVS concernée.
La Caisse de compensation a ainsi respecté le délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle les décisions de rappel d’impôt du 28 août 2019 sont entrées en force.
Le recours est dès lors admis.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève


TF 8C_782/2021 du 03 mai 2022
Assurance-invalidité; infirmité congénitale, mesures médicales, traitement à l’étranger, droit à la substitution; art. 9 al. 1 LAI; 23bis al. 3 RAI
Pour la prise en charge par l’assurance-invalidité de mesures médicales à l’étranger, il faut interpréter la notion d’« autre raison méritant d’être prise en considération » de l’art. 23bis al. 3 RAI à la lumière de l’art. 9 al. 1 LAI, qui postule le caractère exceptionnel d’un traitement à l’étranger. Cette condition n’est pas réalisée en présence d’une infirmité congénitale relativement courante (en l’espèce une hypospadie, ch. 352 OIC) pour laquelle il existe des traitements régulièrement pratiqués en Suisse, même si une méthode différente pratiquée en Allemagne réduit de 5 % les risques de complications.
Il n’existe pas, dans ce contexte, de droit à la substitution.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 6B_158/2021 du 02 mai 2022
Responsabilité délictuelle; causalité adéquate; art. 125 al. 1 CP
Le recourant a été victime d’un accident de travail en relation avec l’usage d’une presse à plaquer. Plus précisément, sa main a été écrasée par la machine actionnée par un collègue alors qu’il replaçait un panneau de bois trop grand pour être placé en une fois. Il a été établi que le recourant n’avait pas respecté les instructions orales de l’employeur, selon lesquelles aucun doigt ne devait être placé sous la presse pendant le chargement. Le collègue avait lui aussi violé ces instructions, dans ce sens où il n’avait pas attendu le signal « OK » ou un signe de la main de la personne qui introduisait la pièce dans la presse avant d’actionner celle-ci.
Le Tribunal supérieur de Soleure a considéré que la causalité naturelle était bien réalisée entre le comportement du collègue opérateur et l’accident. Néanmoins, selon lui, ce dernier ne pouvait pas compter avec la survenance d’un tel accident, lequel avait été causé par la victime elle-même, puisqu’elle avait violé l’interdiction de mettre ses doigts dans la presse. En conséquence, selon les premiers juges, le fait que l’opérateur n’avait pas attendu le feu vert de son collègue n’avait pas de portée propre. Compte tenu du fait que l’accident n’était selon lui pas prévisible pour l’opérateur, le Tribunal supérieur a donc nié le lien de causalité adéquate, et considéré que les éléments constitutifs des lésions corporelles par négligence n’étaient pas réunis.
Le TF casse cette décision, en se fondant sur le fait que les deux employés concernés avaient l’un et l’autre violé les règles de sécurité de leur employeur. S’il est vrai que l’accident ne serait manifestement pas survenu si la victime n’avait pas mis ses doigts dans la presse, il est tout aussi clair, selon les faits retenus par le Tribunal supérieur, qu’il ne se serait pas non plus produit si l’opérateur avait attendu le feu vert exprès de son collègue avant de mettre en route la machine. Si l’employeur a mis en place un double concept de sécurité, c’est précisément parce que l’écrasement d’une main constitue un danger typique de ce type de presse. On doit ainsi tenir compte du fait qu’il n’était pas exclu en pratique qu’un ouvrier introduise ses mains dans la presse malgré l’interdiction d’agir de la sorte. Ce danger était donc prévisible, raison pour laquelle l’opérateur était tenu d’attendre le feu vert de son collègue avant de mettre la presse en marche. Le Tribunal supérieur a donc violé le droit fédéral en attribuant au comportement illicite de l’opérateur une importance aussi accessoire et en le privant de toute portée propre. Cette portée existe du seul fait que, sans ce comportement, l’accident n’aurait pas eu lieu. Le lien de causalité adéquate doit donc être admis.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_28/2022 du 28 avril 2022
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières en cas de perte de gain LCA, couverture d’assurance, cessation d’activité; art. 55 aLCA; 45 LCA et 45 aLCA
Est litigieuse en l’espèce la signification qui doit être donnée aux CGA de l’assurance collective en perte de gain LCA, selon lesquelles la couverture d’assurance prend fin notamment en cas de cessation dans les faits de l’activité professionnelle (« Geschäftsaufgabe »). Selon l’autorité cantonale, cette cessation d’activité intervient pour une société seulement au moment où l’ouverture de la faillite est prononcée et pas avant. Dans le cas d’espèce, cela signifie qu’à l’ouverture de la faillite du 16 janvier 2020, la couverture d’assurance était encore donnée pour le chef d’entreprise tombé en incapacité de travail à partir du 9 décembre 2019. L’assureur perte de gain ne partage, quant à lui, pas cet avis, estimant que dans les faits c’était déjà à compter du 2 décembre 2019 que l’activité de l’entreprise avait pris fin.
Le TF confirme, sur ce point, le jugement cantonal, estimant que l’assureur n’avait pas démontré dans son recours dans quelle mesure le droit fédéral aurait été violé par le sens donné par les juges cantonaux à l’expression de cessation d’activité (« Geschäftsaufgabe »), d’autant plus que cette interprétation se trouvait en accord avec l’art. 55 aLCA concernant la faillite du preneur d’assurance.
De même, le TF a renoncé à se prononcer sur la question de savoir s’il s’agissait d’une assurance de somme ou de dommage, au motif que l’assureur n’avait non plus pas suffisamment motivé ce point dans son recours.
Par contre, sur la question de la violation du devoir d’annonce, le TF constate une violation du droit d’être entendu par l’instance cantonale, laquelle n’a pas examiné les griefs de l’assureur en rapport avec les possibilités de réduction découlant de ses CGA, raison pour laquelle la cause est renvoyée à l’instance cantonale pour complément d’instruction, d’autant que les CGA peuvent, selon le Tribunal fédéral et contrairement à l’avis de l’instance cantonale, s’appliquer même si la violation du devoir d’annonce n’est pas causale, c’est-à-dire même si elle n’a eu aucun effet sur le dommage ; l’art. 45 aLCA, applicable en l’espèce, ne change rien à cela, car il ne prévoyait pas de règle sur la causalité, contrairement au nouvel art. 45 LCA.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion

TF 8C_514/2021 du 27 avril 2022
Assurance-accidents; expertise, récusation; art. 44 LPGA
Le TF a confirmé la décision de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois. Dans le cas où deux médecins, en l’espèce des chirurgiens orthopédistes, qui oeuvrent parallèlement au sein d’un même centre d’expertise pluridisciplinaire et qui travaillent tous les jours dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe dont ils partagent les frais, il est justifié de retenir une apparence de prévention. En effet, de tels contacts quotidiens doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais constituent des éléments objectifs suffisants – au vu des exigences élevées posées à l’impartialité des experts médicaux – pour faire naître à tout le moins une apparence de prévention lorsque l’un des associés est désigné comme expert par un assureur-accidents alors que son associé a déjà émis un avis médical sur le cas en tant que médecin-conseil dudit assureur.
Auteur : Guy Longchamp



TF 6B_1504/2021 du 25 avril 2022
Responsabilité délictuelle; lésions corporelles par négligence, circulation routière; art. 125 CP; 26 et 31 ss LCR
Dans cet arrêt rendu en matière pénale, le TF se penche sur un accident survenu alors qu’un cycliste qui circulait sur la route entre deux promeneuses de chiens s’est emmêlé dans la laisse extensible de l’un de chiens qui avait traversé la route. La piétonne qui tenait encore la laisse a chuté et a subi plusieurs blessures.
Le TF rappelle tout d’abord que, dans le contexte de la circulation routière, chacun doit pouvoir compter sur le fait que les autres usagers se comporteront de manière à ne pas gêner ou mettre en danger les autres usagers de la route. Ceux-ci doivent notamment avoir constamment la maîtrise de leur véhicule et consacrer leur attention à la circulation, le degré d’attention requis dépendant de la densité du trafic, de l’heure, de la visibilité et des sources de danger prévisibles.
Dans le cas d’espèce, le TF constate qu’il avait entre les deux piétonnes une distance suffisante pour passer sans danger avec un vélo. Le cycliste avait adapté sa vitesse et son placement en fonction de la situation et attiré l’attention des piétonnes en actionnant sa sonnette.
La laisse tendue à travers la route, qui était « pratiquement invisible » compte tenu de l’ensoleillement, ne faisait pas partie des dangers auxquels le cycliste devait raisonnablement s’attendre, de sorte qu’il n’a pas enfreint son devoir de prudence. L’existence d’une obligation de tenir les chiens en laisse dans cette zone est sans pertinence à cet égard.
Auteur : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 4A_431/2021 du 21 avril 2022
Responsabilité aquilienne; dommage, imputation des avantages, immeuble, plus-value en cas de rénovation; art. 41 et 42 CO
B. est propriétaire d’une maison mitoyenne et loue l’appartement situé au premier étage de l’immeuble à A. (la locataire). Le 10 février 2012, l’appartement occupé par la locataire a été entièrement détruit par un incendie qui a également endommagé l’appartement occupé par le propriétaire. La locataire a été condamnée pour incendie volontaire.
Le TF rappelle les deux types de dommages matériels qu’on distingue traditionnellement (c. 6.1.2). Lors du calcul du dommage (total ou partiel), il convient, dans la détermination de son montant, de procéder à l’imputation des avantages (en faveur du lésé) générés par l’événement dommageable, la valeur résiduelle d’un objet totalement détruit représente en principe un avantage financier à imputer (c. 6.1.3).
Le montant de CHF 617'556.20 fixé par les premiers juges se compose de trois postes de dommage : les travaux strictement nécessaires à la remise en état des parties endommagées (CHF 565'000.-) ; les taxes et frais divers (CHF 5'000.-) ; les frais de sécurisation et de couverture provisoire (CHF 47'556.20). S’agissant de la remise en état, la somme de CHF 565'000.- comprend, quant à lui, des postes pour lesquels la question d’une réduction de l’indemnité à la valeur du bien avant l’incendie ne se pose pas, par exemple pour ceux de la direction de la conception et de la construction (CHF 45'000.-) et de l’ingénieur civil (CHF 9'680.-), d’autant plus que le propriétaire ne peut en tirer aucun avantage. Sans ces postes de dommage, les frais d’assainissement s’élèveraient à environ CHF 510'320.-, proche de la valeur du bâtiment avant l’incendie de CHF 525'000 (selon la locataire). Il n’apparaît pas que le propriétaire ait subi une perte totale par rapport à l’immeuble, puisque le coût nécessaire à sa réparation ne dépasse pas la valeur de l’immeuble avant l’incendie et n’apparaît pas disproportionné (c. 6.2.1).
Le TF rejeté le grief de la locataire selon laquelle l’instance précédente n’aurait pas tenu compte de la plus-value que le propriétaire retire de la chose réparée, les explications de la locataire à ce sujet étant insuffisamment motivées (c. 6.2.4).
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne


TF 9C_400/2021 du 20 avril 2022
Assurance-maladie; médicaments, fixation du prix, comparaison internationale; art. 65b al. 3 OAMal; 34abis OPAS
Le caractère économique d’un médicament est évalué notamment sur la base d’une comparaison avec les prix pratiqués dans les pays de référence que sont l’Allemagne, le Danemark, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la France, l’Autriche, la Belgique, la Finlande et la Suède (art. 34abis al. 1 OPAS). La comparaison porte sur un médicament identique dans les pays de référence, quels qu’en soient la dénomination, le titulaire de l’autorisation ou la prise en charge dans le pays de référence, et indépendamment d’une influence du titulaire suisse sur le prix de fabrique. Par médicament identique, on entend les préparations originales contenant la même substance active et possédant une forme galénique identique (art. 34abis al. 2 OPAS). Les différences d’indication entre la Suisse et les pays de référence ne sont pas prises en compte (art. 34abis al. 3 OPAS).
Le prix de fabrique d’une crème qui est autorisée en Suisse par Swissmedic en tant que médication peut être comparé avec le prix de fabrique d’une crème de même composition (mêmes composants et même dosage), qui est enregistrée en France sous un autre nom et pour des indications quelque peu différentes dans la « Liste des Produits et Prestations », qui correspond plus ou moins à notre Liste des moyens et appareils auxiliaires (LiMA). Le nom différent, de même que les indications non identiques n’empêchent pas la comparaison de ces deux crèmes.
Le fait que la crème ne soit pas inscrite comme médicament en France mais comme dispositif médical n’est pas non plus décisif. En effet, lorsque l’art. 34abis al. 2 OPAS parle de comparaison avec un médicament identique, cette notion doit s’entendre dans un sens matériel. Le fait que l’art. 34abis al. 2, 2e phrase parle de préparation originale ne change rien à cette conclusion. En effet, un produit de référence étranger peut correspondre à la définition qui en est faite à l’art. 64a al. 1 OPAS, même s’il n’est pas enregistré comme médicament en tant que tel. Il convient donc bien plus de se focaliser sur une préparation contenant la même substance active et une forme galénique identique pour déterminer les produits de référence à comparer.
Dans le cas d’espèce, la baisse de prix ordonnée par l’OFSP sur la base de la comparaison avec le prix de fabrique de la crème en France est donc justifiée.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


TF 5A_907/2021 du 20 avril 2022
Prévoyance professionnelle; avoirs de prévoyance professionnelle, séquestre; art. 16 al. 1 OLP; 92 al. 1 ch. 10 et 93 LP
Le TF a jugé que l’exigibilité, au sens de l’art. 92 al. 1 ch. 10 LP, de la prestation de sortie versée sur un compte ou une police de libre passage à la survenance du cas de prévoyance nécessite une demande de l’ayant droit. Comme c’est le cas pour le paiement en espèces de la prestation de sortie (art. 5 LFLP), cette demande constitue une condition potestative et suspensive, dont dépend l’exigibilité du droit au paiement et qui s’analyse comme l’exercice d’un droit formateur. Par conséquent, la prestation est exigible au sens de l’art. 92 al. 1 ch. 10 LP et, partant, relativement saisissable (art. 93 LP), si le poursuivi en demande le versement et la touche effectivement.Avant qu’il ne dépose sa demande, il n’a qu’une expectative envers son institution de libre passage.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_31/2021 du 14 avril 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance obligatoire, obligation d’assurance, activité accessoire; art. 1j al. 1 let. c OPP2
L’art. 1j al. 1 let. c OPP2 ne trouve pas application en présence d’un travailleur exerçant une activité accessoire auprès de l’employeur pour lequel il est au bénéfice d’un contrat de travail pour une activité principale. En clair, les revenus tirés de ces deux activités pour un même employeur doivent être additionnés et assurés pour la prévoyance professionnelle obligatoire.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_469/2021 du 08 avril 2022
Congé maternité; allocation pour perte de gain, extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité; art. 16d al. 3 LAPG; 25 RAPG
Le TF a jugé que le fait, pour une conseillère nationale, de participer aux activités parlementaires entraîne l’extinction anticipée de son droit à l’allocation de maternité (art. 16d al. 3 LAPG, art. 25 RAPG ; c. 5). Il a également nié que le droit à l’allocation de maternité puisse renaître en cas de cessation ultérieure de l’activité lucrative qui avait été reprise avant l’échéance du congé de maternité selon l’art. 16d al. 1 LAPG (c. 6) et confirmé que la reprise anticipée d’une activité lucrative entraîne en principe également l’extinction du droit à l’allocation de maternité accordée en raison de l’exercice d’une autre activité lucrative (c. 7).
Auteure : Stéphanie Perrenoud, chargée d’enseignement



TF 9C_32/2021 du 05 avril 2022
Assurance-vieillesse et survivants; créance en restitution, péremption, procédure, défense de statuer ultra petita; art. 25 al. 2 1re phr. LPGA; 23 al. 4 let. a LAVS; 107 al. 1 LTF
Le 13 mai 2019, le remariage d’une veuve, qui a eu lieu le 11 juin 2015, est annoncé à une caisse de compensation. Toutefois, le 23 décembre 2016, une agence communale AVS avait déjà eu connaissance du remariage, une annonce de changement ayant été effectuée le 27 décembre 2016. Le 21 mai 2019, une décision de restitution est rendue, étant relevé que le remariage entraîne l’extinction du droit à la rente de veuve conformément à l’art. 23 al. 4 let. a LAVS. La Caisse de compensation prétend que la veuve doit se laisser imputer la violation de son devoir d’information, si bien qu’elle exige la restitution de la rente versée du 1er juillet 2015 au 31 mai 2019.
Selon l’art. 25 al. 1 1re phrase LPGA, dans sa teneur valable jusqu’à la fin décembre 2020, le droit de demander la restitution s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard trois ans après le versement de la prestation.
Selon la jurisprudence, par « moment où la caisse de compensation a eu connaissance » du fait justifiant la restitution d’une prestation versée à tort, il faut entendre le moment où l’administration aurait dû s’apercevoir d’un tel fait en faisant preuve de l’attention que les circonstances permettaient raisonnablement d’exiger d’elle. En outre, pour le cas où le versement d’une prestation indue repose sur une erreur de l’administration, le délai de péremption relatif d’un an n’est pas déclenché par le premier acte incorrect de l’office. Au contraire, selon la jurisprudence constante, il commence à courir le jour à partir duquel l’organe d’exécution aurait dû au plus tard reconnaître son erreur – par exemple à l’occasion d’un contrôle des comptes ou sur la base d’un indice supplémentaire – en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui (jurisprudence de la deuxième occasion – Zweiter Anlass).
En l’espèce, la rente de veuve s’est éteinte ex lege. L’octroi d’une rente après le remariage est objectivement erroné. Il n’y a pas eu de première faute de l’administration qui aurait pu donner le droit à une deuxième occasion à celle-ci de se rattraper et donc de reporter le délai de péremption. Au surplus, la connaissance du remariage par l’agence communale AVS doit être imputée à la caisse de compensation : ce que connaît l’agence AVS, la caisse de compensation le connaît aussi. Le délai de péremption étant manifestement échu lorsque la décision de restitution a été rendue, aucun montant ne doit être rétrocédé.
Il faut noter encore que dans cette affaire, c’est la Caisse de compensation qui recourt, le Tribunal cantonal ayant admis une partie de la créance en restitution. Ce montant reste dû, car l’assurée a omis de recourir, le TF n’étant pas fondé à statuer ultra petita (art. 107 al. 1 LTF).
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 9C_24/2022 du 05 avril 2022
Assurance-vieillesse et survivants; rente complémentaire pour enfant; art. 22ter al. 1 et 25 al. 1 et 3 LAVS; 49 al. 1 RAVS
A., né en 1952 et divorcé à deux reprises, est au bénéfice d’une rente AVS et part vivre en Thaïlande où il épouse B. une ressortissante locale née en 1985 et veuve d’un premier mariage, qui a eu un enfant C. issu de cette première union. Nonobstant le fait que C. perçoive déjà une rente d’orphelin de EUR 213.35 par mois, A. demande une rente d’enfant AVS pour l’enfant de son épouse. La caisse de compensation refuse l’octroi de cette prestation au motif que la rente d’orphelin couvre les frais d’entretien et d’éducation de l’enfant.
L’autorité cantonale a conclu que le montant des dépenses nécessaires à l’entretien de C., qui doit être fixé sur la base des taux non réduits définis par H. Winzeler en collaboration avec l’Office de la jeunesse du canton de Zurich (cf. ATF 122 V 125 c. 3), s’élevait à CHF 202.70 en tenant compte du niveau de vie en Thaïlande, ce qui conduit au refus du droit à une rente pour enfant à cause de la rente d’orphelin de EUR 213.35 qui est supérieure au montant précité (c. 4.2).
Dans le cadre de son recours au TF, A. conteste tout d’abord le fait que le critère de l’exigence de la gratuité de l’entretien et de l’éducation de l’enfant au sens de l’art. 49 RAVS repose sur une base légale suffisante (c. 5.1). Cet argument est rejeté (c. 5.2). Dans un second moyen, A. estime que l’exigence précitée constitue une notion juridique mal déterminée et peu claire, ce que rejette également la Haute cour en rappelant sa jurisprudence à ce titre (c. 5.3).
De plus, A. considère aussi qu’il conviendrait de ne pas se baser sur des montants forfaitaires pour déterminer si les conditions d’octroi d’une rente pour enfant seraient réalisées, mais qu’une détermination au cas par cas devrait pouvoir s’effectuer (c. 6.1). A ce titre également, le TF estime qu’il n’y a pas suffisamment de motifs pour s’écarter de sa jurisprudence en la matière (c. 6.2 et c. 6.3).
Finalement, le recourant est aussi d’avis que l’adaptation du forfait déterminé en Suisse au niveau de vie en Thaïlande n’est pas admissible et que l’index du coût de la vie d’UBS SA ne prend notamment pas en compte les frais de formation locaux (c. 7.1), ce que rejette également la Haute cour (c. 7.2 à 7.4), qui estime par ailleurs que les données provenant de cette banque constituent une base de calcul suffisamment fiable pour être prise en compte.
Auteur: Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 9C_460/2021 du 01 avril 2022
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, EMS, séjour extracantonal; art. 25a LAMal
Le canton de domicile est tenu de prendre en charge les coûts des soins lorsqu’une personne choisit de séjourner dans un EMS situé hors de ce canton, même si des places sont disponibles dans ce dernier. Par ailleurs, dans les rapports intercantonaux, la règle continue à se fonder sur le domicile, mais le principe du domicile cède le pas au principe du lieu de provenance (« Herkunftsprinzip ») lorsque la personne concernée entre dans un EMS extra-cantonal et transfère son domicile au lieu de situation de l’EMS. Le changement de domicile au moment de l’admission dans un EMS ne joue ainsi pas de rôle s'agissant du financement résiduel, selon l’art. 25a LAMal.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_8/2022 du 01 avril 2022
Assurances privées; assurance indemnité journalière en cas de maladie, cessation de l’exploitation de l’entreprise; CGA
Un contrat d’assurance a été conclu par l’employeur pour prémunir les employés des conséquences d’une incapacité de travail en raison de la maladie. Lié par l’état de fait, le TF retient que le propriétaire de l’entreprise vendant ses actions au porteur met fin à son exploitation, ce qui équivaut à une cessation de l’activité au sens des CGA.
Il n’y a aucune violation du droit fédéral à retenir concernant la fin du droit aux prestations dans ce contexte, malgré la fonction du propriétaire, également directeur et salarié assuré et ayant perçu des indemnités journalières jusqu’à la vente de sa société, laquelle est tombée en faillite peu après.
Le TF rappelle et confirme la jurisprudence de son arrêt 4A_472/2018 du 5 avril 2019 concernant la cessation de l’exploitation (une agence d’assurances) ayant emporté la fin du droit aux prestations conformément aux conditions du contrat d’assurance. La cessation de l’activité, volontaire ou non, n’étant pas un événement assuré selon les CGA du contrat d’assurance, la perte de gain en résultant pour l’assuré, détenteur de l’entreprise, ne résulte pas de la maladie et n’est donc pas couverte.
La situation du cas d’espèce diffère de celle visée par son autre arrêt, 4A_238/2019 du 2 décembre 2019, concernant la cessation d'une entreprise individuelle dont le travail est fourni par son seul détenteur (une entreprise de taxis). Si l’abandon de l’activité résulte de l’incapacité de travail consécutive à la maladie de l’assuré, les prestations sont dues jusqu’à l’épuisement du droit aux indemnités journalières pour autant que l’assuré n’ait pas recouvré sa capacité de travail.
Auteur : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 8C_787/2021 du 23 mars 2022
Assurance-invalidité; expertise, interprète, notes internes, suspicion de diagnostic; art. 44 LPGA
Dans le cadre d’un recours contre une décision lui refusant une rente de l’assurance-invalidité, se fondant sur une expertise psychiatrique, le TF rappelle, respectivement précise, certains points en lien avec la mise en œuvre d’expertises au sens de l’art. 44 LPGA :
- si la personne expertisée parle une langue étrangère que l’experte ou l’expert ne parle pas, il y a lieu de recourir aux services d’un interprète (ATF 140 V 260). La décision revient à l’expert. La valeur probante d’une expertise n’est pas diminuée lorsqu’il n’y a pas lieu de penser que les problèmes de compréhension ont influencé le résultat de l’expertise. En l’espèce, la personne assurée se limite à critiquer l’absence d’interprète, sans indiquer concrètement quelles questions ou quelles réponses auraient été mal comprises. Le grief est écarté (c. 8.2) ;
- dans le cadre d’une expertise, il n’existe pas de droit à pouvoir consulter les notes internes de l’experte ou de l’expert, ni les démarches préparatoires auxquelles il ou elle a procédé pour établir l’expertise. Dans ce sens, la personne assurée n’a pas à se voir garantir l’accès aux résultats des tests psychométriques (GAF et HAMD) (c. 9) ;
- une suspicion de diagnostic conçue par le médecin traitant n’atteint pas le degré de la vraisemblance prépondérante, de sorte que la personne assurée ne peut en tirer argument pour contester l’appréciation de l’experte ou de l’expert (c. 11.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_450/2021 du 21 mars 2022
Responsabilité du propriétaire d’ouvrage; défaut de l’ouvrage, faute concomitante; art. 58 et 44 al. 1 CO
Un jeune homme de 22 ans plonge la tête la première dans un lac depuis un ponton de baignade situé sur une plage communale dont l’accès est payant. Sa tête heurte le fond du lac, situé à une profondeur de 1,10 mètres. Blessé grièvement aux vertèbres cervicales, il est depuis paralysé. Le règlement communal n’interdisait pas de sauter du ponton ; la commune n’avait fait poser aucun panneau ni aucun dispositif pour interdire cette pratique, pourtant courante et connue du maître-nageur, qui n’intervenait pas pour la proscrire. La victime ouvre une action partielle contre la commune en chiffrant sa prétention à CHF 30’000.- au à titre de participation au dommage ménager. Le Tribunal de district de Horgen admet l’action, chiffre le dommage ménager à CHF 57'568,50 mais opère une réduction de 40 % en raison de la faute concomitante de la victime. La Cour suprême du canton de Zurich confirme ce jugement. La commune recourt au TF.
Le TF commence par rappeler les principes qui régissent la responsabilité du propriétaire d’ouvrage au sens de l’art. 58 CO. Il y a notamment défaut lorsque l’ouvrage n’offre pas une sécurité suffisante lorsqu’il est utilisé conformément à sa destination (c. 4.1.2). Il s’agit donc en premier lieu de déterminer le but ou la destination de l’ouvrage ; le propriétaire ne doit pas s’attendre à ce que quelqu’un utilise l’ouvrage de manière contraire à sa destination, une distinction devant toutefois être faite, en fonction du cercle des utilisateurs, entre les ouvrages destinés à être utilisés par le public et ceux qui servent à l’usage privé. La sécurité des premiers répond à des exigences accrues. On ne saurait non plus attendre du propriétaire de l’ouvrage des dépenses de sécurité disproportionnées par rapport à la destination de celui-ci (c. 4.1.3). Le TF relève que le principe selon lequel le propriétaire de l’ouvrage n’est responsable que de l’utilisation conforme à sa destination ne s’applique pas de manière illimitée. Doctrine et jurisprudence admettent exceptionnellement que la responsabilité du propriétaire est engagée en cas de comportement contraire à la destination provenant de certains groupes, notamment des enfants ; on pense notamment aux ouvrages pour lesquels il est évident, en raison de leur nature, qu’une imprévoyance peut entraîner des dommages graves (c. 4.1.4).
Procédant à l’examen du cas d’espèce, le TF considère que l’instance précédente n’a pas violé le droit dès lors qu’elle a correctement distingué l’éventuel comportement déraisonnable, respectivement la faute de la victime, de la question de savoir si l’ouvrage présentait un défaut. En considérant que, jusqu’au moment de l’accident, il était courant que des personnes sautent dans le lac depuis le ponton, également la tête la première, elle n’a pas fondé sa décision sur une définition abstraite du but d’un ponton, mais a logiquement évalué la finalité de l’ouvrage au moment de son utilisation effective lors de l’accident. Ce ponton se trouvant dans un établissement de baignade mis à la disposition du public contre paiement, le cercle des utilisateurs comprend sans aucun doute des enfants ; compte tenu du danger considérable que représente un plongeon dans une eau peu profonde, il tombe sous le sens qu’en raison de la nature du ponton, une imprudence peut entraîner des dommages graves. Dès lors, la commune ne peut invoquer sans autre l’absence de défaut de l’installation, en se prévalant du fait que le ponton constitue un simple passage vers un escalier permettant de descendre dans le lac si les utilisateurs se comportent avec prudence. Dès lors que les baigneurs avaient l’habitude de sauter dans le lac depuis le ponton, sans que le maître-nageur intervienne, l’instance précédente a considéré à juste titre que l’argument selon lequel le ponton n’était pas destiné à des sauts dans l’eau n’était pas pertinent. Dès lors qu’elle n’a pris aucune mesure pour empêcher les utilisateurs d’adopter un comportement dangereux malgré le risque connu, la commune doit se laisser opposer l’utilisation effective de l’installation, reconnue comme dangereuse. L’instance précédente a ainsi considéré à juste titre que l’ouvrage était défectueux ; il en irait différemment pour un ponton ne se trouvant pas dans un établissement de bains et n’étant pas utilisé pour des sauts. Ainsi, il n’est pas possible de rendre une commune lacustre responsable chaque fois qu’un nageur imprudent utilise un débarcadère, un ponton, une digue ou une installation similaire pour se jeter à l’eau (c 4).
Le TF examine ensuite si la victime a commis une faute concomitante de nature à interrompre le lien de causalité. Il retient, avec l’instance précédente, que la victime a commis une faute grave en plongeant la tête la première dans le lac sans avoir évalué la profondeur de l’eau. Les premiers juges ont cependant eu tort de se contenter d’indiquer de manière générale qu’il était courant, au moment de l’accident, de sauter dans le lac de différentes manières à partir du ponton. En effet, lors de l’examen de la causalité, la responsabilité personnelle des usagers (autrement dit le comportement attendu de l’ensemble des usagers visés) qui doit être prise en compte lors de l’évaluation du défaut de l’ouvrage, doit être distinguée de la faute qui peut être reprochée individuellement à la victime. Ainsi, pour déterminer si son comportement personnel a interrompu la causalité adéquate, la victime ne peut se contenter de soutenir qu’un certain comportement a déjà a été adopté par d’autres personnes à l’endroit en question. Dans le cas présent, plonger tête la première dans une surface d’eau naturelle dont la profondeur n’est pas indiquée et peut varier, dont le fond peut receler des rochers, constitue une faute personnelle grave. Il aurait été aisé à la victime de vérifier le niveau de l’eau à cet endroit. Cette faute grave ne relègue cependant pas l’omission des mesures de sécurité de la commune à l’arrière-plan : le défaut de l’ouvrage apparaît comme une cause juridiquement notable du dommage (c. 5.2).
Enfin, faute pour la commune d’avoir démontré dans quelle mesure l’instance précédente aurait violé l’art. 311 al. 1 CPC, le TF refuse de se pencher sur la réduction de 40 % opérée par l’instance précédente en application de l’art. 44 al. 1 CO pour tenir compte de la faute concomitante (c. 6).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 8C_595/2021 du 17 mars 2022
Assurance-chômage; violation de l’obligation d’instruction, aptitude au placement, capacité de travail partielle, coordination avec l’assurance-invalidité; art. 43 al. 1 LPGA ; 15 al. 2 LACI ; 15 al. 3 OACI ; 70 LPGA
Dans cet arrêt, le TF a précisé la portée de l’obligation d’instruction fondée sur l’art. 43 al. 1 LPGA. Il a considéré que l’autorité inférieure avait violé ce devoir, en omettant de compléter son dossier pour tenir compte de l’état de fait tel qu’il s’était développé jusqu’à la décision sur opposition (c. 5.3.2 et réf.). Il a affirmé qu’il n’était pas correct de statuer en l’état du dossier pour trancher la question de l’aptitude au chômage du recourant et l’obligation de prise en charge provisoire de l’assurance-chômage fondée sur l’art. 70 LPGA, alors même que le recourant avait pu prendre connaissance de la liste des pièces versées à la cause et constater ainsi que les documents permettant de motiver et d’étayer ses objections, en l’occurrence son inscription à l’assurance-invalidité et le préavis de cette autorité lui reconnaissant une capacité de travail de 80 % dans une activité adaptée, ne s’y trouvaient pas (c. 4.2, 5.2 et 5.3.2). La cause est ainsi renvoyée à l’autorité intimée pour qu’elle prenne en considération les documents mentionnés et rende, après d’éventuels éclaircissements supplémentaires, une nouvelle décision (c. 5.3.2).
Auteur : Rébecca Grand, avocate à Winterthur

TF 9C_390/2021 du 17 mars 2022
APG-COVID; revenu déterminant soumis à cotisation, adaptation dans le temps; art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19; 11 al. 1 LAPG; 7 al. 1 RAPG
Le litige oppose une productrice de films indépendante à la Caisse de compensation du canton de Zurich concernant le revenu cotisant déterminant pour le calcul de l’indemnité perte de gain COVID-19. Le TF commence par rappeler sa jurisprudence tirée de l’arrêt 9C_390/2021 du 8 février 2022 concernant les principes généraux intertemporels relatifs aux modifications successives, en 2020, de l’O APG COVID-19. En principe, le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition (c. 3.2.1) (cf. résumé de Me David Métille in NLRCAS Avril 2022).
En l’espèce, la perte de gain a été subie entre le 17 mars et le 16 mai 2020 et la décision sur opposition a été rendue le 16 septembre 2020. Les art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19 sont donc applicables à la présente constellation dans la version de l’ordonnance en vigueur le 16 septembre 2020, étant précisé qu’ils ont un effet rétroactif au 17 mars 2020 (c. 3.2.2).
Le TF retient ensuite que, dans le cadre d’un premier examen du droit à l’indemnité perte de gain COVID-19, non seulement les décisions définitives de cotisations, mais aussi les décisions d’acomptes (provisoires) et les communications de la Caisse de compensation concernant le revenu soumis à cotisations AVS ainsi que les calculs d’acomptes qui en découlent, peuvent servir de base à la fixation du revenu déterminant en relation avec les conditions d’octroi de l’art. 2 al. 3bis de même qu’avec le calcul de l’indemnité selon l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19. En outre, il n’existe pas de limite temporelle au 17 mars 2020 pour la prise en compte des adaptations du revenu déterminant. Si la Circulaire Corona-perte de gain (CCPG) de l’OFAS devait contenir des dispositions contraires, elles ne seraient pas contraignantes pour le tribunal (c. 6.2.1 à 6.2.3).
En l’espèce, l’instance précédente a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’administration qui s’est fondée sur un revenu déterminant soumis à cotisation de CHF 27’900.- pour l’année 2019, conformément à une communication du 29 janvier 2019. La Caisse de compensation aurait dû calculer l’indemnité perte de gain COVID-19 sur la base d’un revenu soumis à cotisation de CHF 69’200.-, adapté selon le calcul de la différence du 9 avril 2020 (c. 6.3).
Le TF a ainsi partiellement admis le recours et renvoyé l’affaire à la Caisse de compensation pour procéder au nouveau calcul (c. 6.4).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 9C_442/2021 du 17 mars 2022
APG-COVID; revenu déterminant soumis à cotisation, adaptation dans le temps; art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19; 11 al. 1 LAPG; 7 al. 1 RAPG
Le litige oppose une productrice de films indépendante à la Caisse de compensation du canton de Zurich concernant le revenu cotisant déterminant pour le calcul de l’indemnité perte de gain COVID-19. Le TF commence par rappeler sa jurisprudence tirée de l’arrêt 9C_390/2021 du 8 février 2022 concernant les principes généraux intertemporels relatifs aux modifications successives, en 2020, de l’O APG COVID-19. En principe, le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition (c. 3.2.1) (cf. résumé de Me David Métille in NLRCAS Avril 2022).
En l’espèce, la perte de gain a été subie entre le 17 mars et le 16 mai 2020 et la décision sur opposition a été rendue le 16 septembre 2020. Les art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19 sont donc applicables à la présente constellation dans la version de l’ordonnance en vigueur le 16 septembre 2020, étant précisé qu’ils ont un effet rétroactif au 17 mars 2020 (c. 3.2.2).
Le TF retient ensuite que, dans le cadre d’un premier examen du droit à l’indemnité perte de gain COVID-19, non seulement les décisions définitives de cotisations, mais aussi les décisions d’acomptes (provisoires) et les communications de la Caisse de compensation concernant le revenu soumis à cotisations AVS ainsi que les calculs d’acomptes qui en découlent, peuvent servir de base à la fixation du revenu déterminant en relation avec les conditions d’octroi de l’art. 2 al. 3bis de même qu’avec le calcul de l’indemnité selon l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19. En outre, il n’existe pas de limite temporelle au 17 mars 2020 pour la prise en compte des adaptations du revenu déterminant. Si la Circulaire Corona-perte de gain (CCPG) de l’OFAS devait contenir des dispositions contraires, elles ne seraient pas contraignantes pour le tribunal (c. 6.2.1 à 6.2.3).
En l’espèce, l’instance précédente a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’administration qui s’est fondée sur un revenu déterminant soumis à cotisation de CHF 27’900.- pour l’année 2019, conformément à une communication du 29 janvier 2019. La Caisse de compensation aurait dû calculer l’indemnité perte de gain COVID-19 sur la base d’un revenu soumis à cotisation de CHF 69’200.-, adapté selon le calcul de la différence du 9 avril 2020 (c. 6.3).
Le TF a ainsi partiellement admis le recours et renvoyé l’affaire à la Caisse de compensation pour procéder au nouveau calcul (c. 6.4).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 9C_607/2021 du 11 mars 2022
Prestations complémentaires; frais de maladie et d’invalidité, établissement du besoin d’aide, instrument FAKT 2; art. 14 LPC
Le recourant A., diagnostiqué avec un trouble du spectre autistique, est titulaire d’une rente AI et d’une allocation pour impotence grave. Il touche également des prestations complémentaires de la caisse de compensation du canton de Glaris. En l’espèce, il a fait valoir auprès de la caisse de compensation des prétentions à hauteur de CHF 31'389.95 pour les salaires de l’assistant et de CHF 21'000.- pour des soins psychiatriques de base fournis par sa mère. La caisse de compensation a refusé la prise en charge. Le TC GL a rejeté le recours formé contre la décision de la caisse de compensation. Le recourant forme alors recours au Tribunal fédéral. Le recours est rejeté.
Le TF constate que, selon l’art. 14 al. 1 let. b LPC, les cantons remboursent les frais d’aide, de soins et de tâches d’assistance, étant précisé, qu’en l’espèce, la version de la LPC en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 fait foi. Les cantons restent compétents pour désigner quels frais sont effectivement remboursés. Les cantons ont notamment la possibilité de limiter le remboursement aux frais qui découlent d’une fourniture économique et appropriée de prestations sous réserve du montant minimum prévu par l’art. 14 al. 2 et 4 LPC (c. 2.1).
L’art. 14 de l’ordonnance cantonale du canton de Glaris (Ergänzungsleistungsverordnung, ELV ; GS VIII D/13/2) reprend ces montants minimaux et ajoute les conditions suivantes : pour les bénéficiaires d’une allocation pour impotence grave ou moyenne vivant à domicile, les frais ne sont remboursés que pour la partie des soins et de l’assistance qui ne peut être fournie par une organisation d’aide et de soins à domicile reconnue au sens de l’art. 51 al. 1 OAMal. Si des membres de la famille fournissent de telles prestations, celles-ci ne sont remboursées que si les membres de la famille concernés ne sont pas inclus dans le calcul des prestations complémentaires et subissent une perte de gain importante et de longue durée en raison des soins et de l’assistance (al. 1a) (c. 2.2).
Le recourant met en cause la conformité du système prévu par le canton de Glaris avec la Constitution et le droit supérieur en soutenant que le remboursement des frais d’aide, de soins et d’assistance à domicile serait systématiquement refusé lorsque la personne assurée perçoit une contribution d’assistance. Le TF rejette cet argument en relevant que, contrairement à ce que soutient le recourant, le refus des prestations est fondé sur un examen au cas par cas (c. 4.1).
Le recourant met aussi en cause la capacité du système FAKT 2 à établir le besoin d’aide d’un assuré. Dans le FAKT 2, seules les prestations de soins de base remboursées par l’assurance obligatoire des soins seraient déduites, mais ni l’ensemble des besoins en soins de base, ni les autres besoins en soins assurés selon l’art. 7 al. 2 OPAS ne seraient établis (c. 4.2). Après avoir relevé que le système FAKT 2 est un outil apte à déterminer le besoin d’aide d’un assuré, le TF rejette l’argumentation du recourant dès lors que ce dernier n’a nulle part indiqué quels sont les besoins d’assistance qu’il pourrait avoir qui ne seraient pas prévus par le FAKT 2. En outre, contrairement à ce qu’affirme le recourant, l’art. 14 al. 1 let. b LPC n’accorde pas des prestations de soins assurées plus étendus que la loi sur l’assurance invalidité (c. 4.2). Le TF relève en effet que l’art. 42sexies al. 1 let. c LAI parle clairement en faveur du fait que le besoin en soins de base au sens de l’art. 7 al. 2 let. c OPAS est couvert par l’art. 39c RAI et est donc (en principe) inclus dans le besoin d’aide global. Il convient de distinguer le besoin d’aide total déterminé au moyen du système FAKT 2 du besoin d’aide reconnu pour le droit à la contribution d’assistance ; à cet égard, l’art. 39e al. 2 RAI prévoit des montants maximaux (c. 4.3).
Le TF rappelle que le remboursement des frais qui ont été demandés se basent également sur les aides régulières, similaires à la contribution d’assistance. L’autorité n’a ainsi pas violé le droit en renonçant à administrer d’autres moyens de preuves (c. 4.4).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 8C_256/2021 du 09 mars 2022
Assurance- invalidité; comparaison des revenus, revenu d’invalide, salaire statistique, ESS, confirmation de jurisprudence; art. 7, 8 et 16 LPGA; 4 LAI
A l’occasion d’un recours introduit par une personne assurée contre une décision de rente AI moins généreuse qu’elle ne l’espérait, la première Cour de droit social se livre à l’examen de la méthode de comparaison des revenus découlant de l’art. 16 LPGA, à l’aune des nombreuses critiques publiées récemment par différents experts.
Après avoir rappelé la comparaison des revenus imposée par l’art. 16 LPGA, la Cour expose, s’agissant du revenu d’invalide, soit du revenu encore réalisable dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, qu’il convient si possible de le déterminer concrètement, si la personne assurée a repris un emploi, qu’elle exploite effectivement sa capacité de travail et que le salaire qu’elle perçoit n’est pas un salaire social. Si ces conditions ne sont pas réunies, il faut se fonder sur des statistiques, les données utilisées étant celles de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) établie tous les deux ans par l’OFS. Cette enquête répertoriant les salaires bruts standardisés, la valeur centrale (médiane) représente la base de départ de la réflexion. Le salaire ainsi identifié peut – ou en tout cas pouvait, jusqu’à l’entrée en vigueur du nouvel art. 26bis RAI au 1er janvier 2022, qui limite fortement les possibilités dans ce contexte – être adapté à la situation concrète par le biais d’un abattement (de 5 à 25 %), ou encore par la parallélisation des revenus s’il s’avère que la personne assurée percevait, avant l’atteinte à la santé, un revenu nettement inférieur à la moyenne dans son activité, en raison de facteurs étrangers à l’invalidité et sans qu’elle ne s’en contente délibérément.
La Cour relaie ensuite les trois avis récents critiquant la méthode décrite au paragraphe précédent :
1. L’expertise du bureau BASS du 8 janvier 2021 (« Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung ») ;
2. L’avis de droit du Prof. Gächter et des Drs Meier et Filippo du 22 janvier 2021 (« Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung ») et ses conclusions du 27 janvier 2021 (« Fakten oder Fiktion ? ») ;
3. L’article de la Prof. em. Gabriela Riemer-Kafka dans la Jusletter du 22 mars 2021 (« Invalideneinkommen Tabellenlöhne ») et l’article co-publié par cette dernière et Urban Schwegler dans la RSAS 6/2021, « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn ».
La Cour prend position sur les critiques émises en retenant, en substance que :
1. La référence au marché du travail équilibré est imposée par la loi et la jurisprudence ne porte aucune responsabilité dans son interprétation (c. 9.1) ;
2. L’utilisation des statistiques ESS est l’ultima ratio (c. 9.2.1) ;
3. La référence à la valeur médiane ne pose pas de problème dès lors que l’abattement permet de l’adapter aux situations individuelles. L’application de l’abattement relevant du pouvoir d’appréciation de l’office AI et la cognition du TF étant limitée, ce n’est pas de sa responsabilité s’il est appliqué de manière incohérente (c. 9.2.1 et 9.2.2) ;
4. Ce n’est pas le bon moment pour modifier la jurisprudence, étant donné la révision de la loi et du règlement entrée en vigueur au 1er janvier 2022.
La Cour refuse donc d’opérer un revirement de jurisprudence, ce qui dans le cas d’espèce, conduit à un rejet du recours.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : Près de 2000 ans après Ponce Pilate, la deuxième Cour de droit social marche dans ses pas, et se lave les mains de l’indignation que suscite, de toutes parts, la fiction « à la Disney » dans laquelle évolue l’assurance-invalidité depuis plusieurs décennies. On apprécie tout particulièrement, dans cette affaire, que la Cour rejette la responsabilité de la situation actuelle sur le législateur et la pratique administrative, comme si le Tribunal fédéral n’avait pas, depuis plus de 30 ans, la main sur la politique sociale dans cette branche de l’assurance sociale.
On s’étonne par ailleurs grandement de ce que la première Cour de droit social n’ait pas jugé bon, dans cette affaire, de procéder à une procédure commune conformément à l’art. 23 al. 2 LTF, dès lors que la question débattue en l’espèce est d’une importance primordiale pour la mise en œuvre du droit de l’assurance-invalidité, tâche assumée tout autant par la deuxième Cour de droit social que par la première. Cela laisse deviner des rapports de force entre les deux cours qui ne sont pas de bon augure.
Le seul point positif de cet arrêt est de laisser maintenant (enfin) la main au législateur et au débat démocratique. Le 6 avril 2022, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a, à l’unanimité, cela mérite d’être souligné, déposé une motion demandant au Conseil fédéral d'instaurer une nouvelle base de calcul du revenu avec invalidité d'ici fin juin 2023 (Mo 22.3377 CSSS-N). Affaire à suivre.



TF 9C_362/2021 du 09 mars 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance individuelle liée (pilier 3a), droit d’accès à la comptabilité d’une compagnie d’assurance; art. 36 LSA; 92 et 94 LCA
Le TF a jugé qu’une compagnie d’assurance n’a pas à produire à l’assurée des pièces détaillées, même lorsqu’il s’agit de vérifier les calculs permettant d’établir les « participations aux excédents ou aux bénéfices » d’un produit d’assurance du troisième pilier (lié). L’assureur peut notamment invoquer le droit au secret des affaires. Le contrôle se fait selon les règles générales prévues à l’art. 36 al. 2 LSA, notamment les contrôles effectués par la FINMA (art. 92 al. 2 et 94 LCA).
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_230/2021 du 07 mars 2022
Responsabilité de l’employeur; relation entre droit civil et droit pénal, auxiliaire, diligence; art. 53 et 58 CO
Selon l’art. 53 CO, le juge civil n’est point lié par l’acquittement prononcé au pénal. Pour le TF, cette disposition ne concerne pas l’établissement des faits ni l’illicéité qui en résulte, de sorte qu’il échoit à la procédure civile de décider si le juge civil est lié ou non par les faits constatés au pénal. Le CPC ne contenant aucune règle à ce sujet, le TF en déduit que le juge civil n’est pas lié par l’état de fait arrêté par le juge pénal ; il décide selon sa propre appréciation de reprendre ou non les faits constatés au pénal et se prononce librement sur l’illicéité. Le TF mentionne bien qu’il a par le passé reconnu une certaine autorité au jugement pénal en s’inspirant de la jurisprudence relative au retrait administratif du permis de conduire, afin d’éviter des décisions contradictoires. Il s’agissait toutefois d’un cas isolé. Ainsi, le juge civil, même lorsqu’un procès pénal a déjà été mené, lorsqu’il examine la responsabilité de l’employeur, peut établir librement les faits et statuer librement sur la licéité ou non du comportement adopté par l’auxiliaire.
L’art. 55 CO, qui traite de de la responsabilité de l’employeur institue une responsabilité spécifique pour le fait d’autrui, fondée sur un manque de diligence de l’employeur qui est présumé. L’employeur doit ainsi supporter les conséquences des manquements de son auxiliaire. Les exigences, qui permettent à l’employeur de s’exculper, sont élevées. La diligence requise est par ailleurs proportionnelle à la dangerosité du travail de l’auxiliaire. Il faut néanmoins s’en tenir à ce qui est raisonnablement exigible dans la marche quotidienne d’une entreprise.
Il est encore souligné que la jurisprudence requiert des circonstances très strictes pour retenir une rupture de la causalité en raison du fait d’un tiers ou de la victime. Ainsi, il ne suffit pas que la faute (ou le manquement) du tiers ou de la victime puisse apparaître plus grave que celle de l’auteur du dommage.
Si un chantier présente une configuration spécialement dangereuse, par exemple de par la présence d’un trou destiné à l’aménagement d’escaliers, on peut raisonnablement attendre d’un employeur qu’il se rende sur le chantier pour apprécier l’état des lieux, détermine dans quelles conditions précises les travaux d’isolation doivent se dérouler, se préoccupe de la coordination avec les autres entreprises et, surtout, dicte les mesures de précaution à prendre.
Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 8C_742/2021 du 04 mars 2022
Assurance accidents; restitution d’indemnités journalières par l’employeur; art. 49 et 50 LAA; 19 al. 2 LPGA; 2 al. 1 let. c OPGA
Les indemnités journalières en cas d’accident servent à compenser une perte de gain subie en raison d’un accident et à garantir ainsi la subsistance d’une personne assurée en incapacité de travail. Dans cette perspective, elles sont insaisissables et incessibles en vertu de l’art. 22 al. 1 LPGA (c. 5.3.1).
En vertu de l’art. 49 LAA, les assureurs peuvent déléguer le paiement des indemnités journalières à l’employeur. Selon l’art. 19 al. 2 LPGA, les indemnités journalières et autres indemnités similaires reviennent à l’employeur dans la mesure où celui-ci verse un salaire à la personne assurée malgré le droit aux indemnités journalières. Le législateur a ainsi admis un versement d’indemnités journalières à l’employeur plutôt qu’à la personne assurée, mais il en a limité le montant au salaire effectivement versé par l’employeur (c. 5.3.3). S’il a reçu de l’assureur des indemnités journalières en cas d’accident sans avoir rempli son obligation de verser le salaire (cf. art. 324a al. 1 CO) par un versement effectif, l’employeur n’est titulaire d’aucune prétention sur les prétentions de la personne assurée en matière d’indemnités journalières, sachant que celle-ci dispose d’un droit de paiement direct à l’encontre de l’assureur-accidents. Tant qu’il détient ainsi sans droit le montant correspondant aux indemnités journalières, l’obligation de verser celles-ci à l’assuré ne lui incombe pas. Une compensation d’une telle obligation avec une créance de l’employeur contre son salarié assuré n’entre donc pas en considération (c. 5.3.5).
On peut dès lors laisser ouverte la question de savoir si l’art. 50 LAA, prévoyant la compensation avec des prestations échues de l’assurance-accidents par l’assureur seulement (c. 5.3.2), doit ou non être interprété comme une disposition exhaustive excluant d’autres compensations à l’égard de ces prestations (c. 5.3.5). Cela dit, dans le cas particulier de l’employeur, la possibilité de paiement par un tiers prévue à l’art. 49 LAA et à l’art. 19 al. 2 LPGA n’a pas pour but de le protéger, à la charge de l’assurance-accidents, contre le risque d’une éventuelle insolvabilité de l’employé en rapport avec des créances résultant des rapports de travail ou d’actes illicites. Une compensation par l’employeur équivaudrait à un détournement des indemnités journalières d’accident, ce qui est inadmissible compte tenu du but d’entretien qu’elles poursuivent (c. 5.3.6).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


TF 1C_336/2021 du 03 mars 2022
Prévoyance professionnelle; institution de prévoyance de droit public, accès à des documents; art. 86 LPP; 26 al. 4 LIPAD
Le TF a jugé qu’une institution de prévoyance professionnelle de droit public ne pouvait opposer à des tiers les art. 86 et 86a LPP pour refuser, sur le principe, l’accès à des documents. L’affaire a été renvoyée à l’autorité inférieure pour qu’elle examine si la séance dont le procès-verbal est demandé était publique, non publique ou à huis clos, au sens des dispositions cantonales (art. 5 à 7 LIPAD).
Auteur : Guy Longchamp
Note : Cette décision, sous l’angle restreint du principe de la transparence de l’administration, peut être suivie. Elle ne manquera toutefois pas de soulever un grand nombre de questions, notamment quant à la question de la responsabilité des personnes qui veulent avoir accès à des données stratégiques – aux fins de les commenter politiquement par exemple – sans vouloir assumer une quelconque responsabilité sur la base des art. 51, 51a et 52 LPP, contrairement aux membres du Conseil de fondation.


TF 8C_466/2021 du 01 mars 2022
Assurance-accidents; réduction a posteriori des prestations pour faute, lien avec la procédure pénale; art. 53 al. 2 et 17 al. 1 LPGA; 320 al. 3 et 310 al. 2 CPP
L’assuré A., né en 1956, a été victime d’un polytraumatisme du fait d’un accident de moto. Son assureur LAA, Allianz Suisse Société d’Assurances SA, lui a octroyé, par décision du 7 novembre 2013, une rente invalidité de 41 %, non réduite, ainsi que, par décision du 19 décembre 2013, une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 67,5 %. Après que l’Office AI du canton de Berne a, selon préavis du 27 octobre 2016, prévu de porter à une rente entière dès le 1er juin 2016 le quart de rente d’invalidité accordé par décision du 30 avril 2014, Allianz a, de son côté, par décision du 7 février 2018, augmenté, dès le 1er juin 2016, la rente servie à A., de 41 à 55 %, tout en réduisant cependant celle-ci de 20 %, et refusé en outre une allocation pour impotent. L’assuré A. recourt contre cette décision par-devant le Tribunal administratif du canton de Berne, aux fins d’obtenir une rente de 64 % qui ne soit pas réduite selon l’art. 37 al. 3 LAA, ainsi que de bénéficier d’une allocation pour une impotence de degré léger. Par jugement du 25 mai 2021, le Tribunal administratif du canton de Berne rejette le recours de A., dans son ensemble.
Saisi d’un recours en matière de droit public de A., le TF commence par rappeler que, s’agissant de l’octroi ou du refus de prestations de l’assurance-accidents, il examine la cause librement en fait et en droit, en vertu de l’art. 97 al. 2 LTF. Cela étant, le TF considère que le degré d’invalidité tel que retenu par Allianz et les premiers juges n’est pas critiquable, les circonstances du cas n’étant pas de celles qui permettent de justifier, selon la jurisprudence, une déduction sur le salaire statistique (c. 3.1 à 3.7). Le TF estime par ailleurs que, A. n’ayant pas, selon les constatations de l’expert, besoin de façon régulière et importante de l’aide d’autrui pour se lever/s’asseoir/se coucher, il n’a pas droit à une allocation pour impotent (c. 8.1 à 8.4).
Quant à la question de savoir si Allianz pouvait, par sa décision du 7 février 2018, réduire la rente servie à A., au titre de l’art. 37 al. 3 LAA, le TF l’examine sous deux angles : d’abord sous l’angle de la reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), puis sous l’angle de la révision selon l’art. 17 al. 1 LPGA. Le TF commence par dire qu’en tant qu’il y était prononcé de ne pas réduire la rente de A. selon l’art. 37 al. 3 LAA, la décision d’Allianz du 7 novembre 2013 n’apparaît comme manifestement erronée au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. Au moment où Allianz a pris sa décision de rente non réduite, elle avait en effet connaissance de l’ordonnance de non entrée en matière à l’encontre de A., rendue le 16 mars 2010 par le Ministère public IV de l’Oberland bernois, ce malgré les violations graves des règles de la circulation routière commises par A. lors du dépassement ayant causé son accident. Une ordonnance que le ministère public dit avoir rendue en se fondant sur l’art. 54 CP, pour tenir compte des graves blessures subies par A. lors de son accident. La règle de principe posée par l’ATF 138 V 74 (un arrêt daté du 19 décembre 2011, et qui est donc antérieur à la décision d’Allianz du 7 novembre 2013) selon laquelle l’assureur social est, lorsqu’il réclame la restitution de prestations indûment versées, lié par une ordonnance de classement ou de non-entrée en matière entrée en force (art. 320 al. 3 et 310 al. 2 CPP), fait que la décision de non réduction de rente d’Alliance du 7 novembre 2013 ne peut pas apparaître comme manifestement erronée (c. 4.1 à 4.3. et 5.1 à 5.4).
Quant à savoir enfin si Allianz pouvait, pour justifier la réduction de rente de 20 % décidée le 5 février 2018, se fonder sur la règle formulée à l’ATF 141 V 9, règle selon laquelle, s’il existe un motif de révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA, le droit à la rente doit être à nouveau examiné globalement (« allseitig »), en fait et en droit, et sans référence à des évaluations antérieures de l’invalidité, le TF répond que cela n’est pas possible. La réduction d’une rente d’invalidité selon l’art. 37 al. 3 LAA est en effet, contrairement à ce qui vaut pour la capacité de travail et les facteurs de causalité, un point de fait circonscrit dans le temps, et qui, par là même, s’il a déjà été examiné précédemment, est soustrait à la procédure de révision de l’art. 17 al. 1 LPGA ; le TF rappelant qu’il a, à l’ATF 147 V 213, dit exactement la même chose concernant le gain assuré dans la LAA, gain qui, s’il a été déterminé par une décision antérieure, ne peut plus être revu par la suite dans le cadre d’une révision selon l’art. 17 al. 1 LPGA (c. 6.1 à 6.4).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 9C_689/2020 du 01 mars 2022
Assurance maladie; attestation de travailleur détaché, annulation couverture d’assurance obligatoire des soins, conditions d’affiliation, art. 3 LAMal; 1 al. 1 et 4 OAMal; 13 LPGA ; 23 ss CC; 6 Convention de sécurité sociale CH-USA
A. (mère) et C. (père) sont les parents de B., née aux USA (janvier 2013). A. et B. sont affiliées auprès de Helsana qui a décidé, en 2016, de résilier rétroactivement leur couverture LAMal car elles avaient leur domicile aux USA depuis décembre, respectivement janvier 2013. Le TC VD a rejeté leur recours, le centre de leurs intérêts se trouvant aux USA et, en l’absence d’attestation de détachement, les recourantes ne pouvant pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les USA restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.
Recours est formé au TF, qui relève que les formalités en cas de détachement aux USA correspondent aux standards de coordination prévus par le droit européen et international des assurances sociales. En relation avec le droit de l’UE, le TF rappelle que l’attestation concernant la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs détachés a un effet déclaratif et non pas constitutif (ATF 134 V 428). En délivrant une telle attestation, la caisse de compensation compétente se borne à déclarer que le travailleur demeure soumis à la législation de sécurité sociale suisse tout au long d’une période donnée au cours de laquelle il effectue un travail sur le territoire de l’Etat d’accueil. En conséquence, l’absence d’attestation de détachement ne suffit pas à nier le statut de travailleur détaché. Aussi, en retenant que les recourantes ne pouvaient se voir reconnaître le bénéfice de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché du simple fait qu’elles n’avaient pas produit une telle attestation, les premiers juges ont violé le droit fédéral. Les premiers juges devaient donc examiner librement si C. remplissait les conditions pour se voir reconnaître la qualité de travailleur détaché pendant la période litigieuse. En cas de réponse positive, ils devaient ensuite examiner si les recourantes pouvaient prétendre au statut de membres de la famille d’un travailleur détaché et si elles demeuraient, pour ce motif, soumises aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur, en l’occurrence la Suisse. Le recours a été partiellement admis et la cause renvoyée au TC VD pour nouvelle décision.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate à Lausanne

TF 4A_131/2021 du 11 février 2022
Responsabilité des chemins de fer; faute grave des lésés, causalité, interruption; art. 40b et 40c LCdF
Alors qu’elles souhaitent mettre à flot un catamaran récemment acquis dont le mat monté mesure près de 7 mètres, deux personnes prévoient de passer par un passage à niveau. Lorsqu’elles s’apprêtent à franchir ledit passage, le mât du catamaran heurte le caténaire du chemin de fer qui se trouve à 5,65 mètres de hauteur. Le courant est dévié par le catamaran et cause ainsi des lésions corporelles aux deux personnes. Le litige porte sur la question de savoir si les CFF peuvent s’exonérer de leur responsabilité en raison d’une faute grave des personnes lésées (art. 40c LCdF).
Le TF interprète l’art. 40c LCdF à la lumière de sa jurisprudence relative à la rupture du lien de causalité adéquate selon laquelle le comportement d’un tiers ne constitue une cause principale au sens de cette disposition que s’il présente un degré d’importance tellement élevé, qu’il se situe à tel point en dehors du cours ordinaire des choses, que la cause établie pour le responsable causal n’apparaît plus comme juridiquement pertinente pour le dommage survenu. Ainsi, le comportement d’un tiers ne peut rompre le lien de causalité que si cette cause additionnelle est à ce point extérieure au cours ordinaire des choses qu’on ne pouvait s’y attendre. Ainsi, la réalisation du risque d’exploitation doit être d’une importance si secondaire par rapport aux faits qui s’y ajoutent qu’elle n’apparaît plus que comme une cause partielle fortuite et insignifiante du dommage (c. 1.1).
In casu, le TF rejette les arguments de la recourante (assurance-accidents des lésés), qui fait valoir que la négligence inconsciente des lésés, contrairement aux cas de négligence consciente, ne permettrait pas de neutraliser le risque d’exploitation. Le TF considère que les lésés ont créé inutilement un risque de collision dont ils étaient parfaitement conscients, du moins en ce qui concernait une possibilité de collision avec des ponts, et que, partant, le mât aurait dû être démonté pour le transport du catamaran (c. 2.2 et 2.3). Finalement, le TF indique qu’on ne saurait considérer que les CFF doivent assumer un risque d’exploitation accru en raison d’un panneau d’avertissement insuffisamment grand (c. 2.5)
Il conclut que c’est à celui qui transporte des objets inhabituellement longs en position verticale de veiller à ce que l’espace libre vers le haut soit suffisant. Il considère que les lésés ont pris un risque inutile et incompréhensible en redressant le mât pour le transport du catamaran au lieu de le transporter démonté. Pour le TF, la seule cause de l’accident est le comportement de négligence grave des personnes lésées. Partant, les conditions pour une exonération de la responsabilité civile selon l’art. 40c LCdF sont, selon lui, remplies (c. 2.6).
Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Etoy



TF 9C_390/2021 du 08 février 2022
APG-COVID; Droit applicable en cas de modifications de la loi, portée de la notion de « taxation fiscale plus récente »; art. 2 al. 3bis et 5 par. 2 O APG COVID-19 (état au 6 juillet 2020)
Il s’agit d’un examen de la version applicable de l’O APG COVID-19, qui a rencontré plusieurs modifications dans le courant 2020, dans le cadre d’une demande d’allocations déposée en août 2020 par une physiothérapeute indépendante, pour des prestations à partir du 17 mars 2020. La caisse AVS intimée a refusé d’allouer les prestations requises.
Le TF rappelle qu’en principe le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition. Pour ce qui concerne l’établissement de la perte de gain, qui entraîne des conséquences juridiques, il doit revêtir un caractère durable. Le principe de base n’étant pas suffisant, il convient de vérifier si la base juridique applicable contient des règles de droit transitoire, ce qui est le cas pour l’ordonnance examinée. A défaut de celles-ci, la cause doit être jugée selon les bases juridiques en vigueur au fil du temps ; l’ancien droit s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur de la modification juridique et ensuite, ex nunc et pro futuro, en ce qui concerne le nouveau droit, pour autant que les conditions soient remplies (c. 3.2.1 et 3.2.2).
Dans de telles situations intertemporelles, il ne faut pas confondre la validité temporelle de la norme et le champ d’application temporel de la loi, qui peuvent ne pas coïncider. La validité temporelle d’une disposition débute par son entrée en vigueur et se termine par son abrogation. Le champ d’application temporel de la norme juridique détermine la période pendant laquelle les faits couverts dans l’état de fait doivent s’être produits (c. 3.2.1).
Dans un second temps, le TF se penche sur l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19, qui conditionne l’octroi d’indemnités perte de gain à un revenu déterminant pour le calcul de cotisations AVS se situant entre CHF 10’000.00 et CHF 90’000.00 pour l’année 2019, et sur l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 qui précise qu’un nouveau calcul pouvait être effectué après la fixation de l’indemnité si une taxation fiscale plus récente était envoyée à l’ayant droit jusqu’au 16 septembre 2020 et que celui-ci déposait une demande de nouveau calcul avant cette date.
En l’espèce, l’assurée avait produit dans un premier temps la taxation fiscale de 2019, montrant un revenu supérieur à CHF 90’000.00. Après un refus de prestations de la part la Caisse, elle a produit une nouvelle décision de taxation, pour l’année 2018, faisant état d’un revenu inférieur à la limite précitée, celle-ci étant susceptible de remplir les conditions pour l’obtention d’indemnités perte de gain. Après avoir appliqué les méthodes habituelles d’interprétation de la loi, le TF arrive à la conclusion que l’expression « une taxation fiscale plus récente » se réfère uniquement aux taxations des années 2019 et suivantes, à l’exclusion de celles relatives aux années précédentes, quelle que soit la date de leur établissement (c. 5.2 et 5.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 8C_702/2021 du 04 février 2022
Assurance-chômage; aptitude au placement d’un indépendant; art. 15 LACI
Dans cet arrêt, le TF se penche sur la question de savoir si un employé licencié est apte au placement alors même qu’il avait, en parallèle de son activité salariée, fondé une société anonyme dans le but d’être, à terme, indépendant. La caisse de chômage puis le tribunal cantonal ont, en effet, nié l’aptitude au placement de cet assuré.
Le TF rejette le recours et rappelle qu’en règle générale, les personnes exerçant durablement une activité indépendante sont d’emblée exclues du droit à l’indemnité journalière de l’assurance-chômage. Toutefois, dans la mesure où une activité soumise à cotisation a été exercée avant l’activité d’indépendant, le droit à l’indemnité de chômage doit exceptionnellement être examiné à la lumière de l’ATF 123 V 234 (applicable au travailleur qui jouit d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur). Il convient ainsi de vérifier que la demande d’indemnisation déposée auprès de l’assurance-chômage ne soit pas abusive. Est ainsi déterminante la question de savoir si l’assuré projette, à long terme, d’exercer uniquement une activité économique indépendante (c. 4.1). En effet, lorsque l’activité indépendante commence juste après le début du chômage, l’aptitude au placement doit être admise si cette activité a été entreprise dans le but de diminuer le dommage à l’assurance (c’est-à-dire en réaction face au chômage), après une phase de recherches d’emploi sérieuses, et ne correspond pas à un objectif poursuivi de toute façon et décidé déjà bien avant le début du chômage (c. 4.2 et 4.3). L’assuré qui exerce une telle activité doit poursuivre intensivement ses recherches en vue de trouver une activité salariée. Il n’incombe, en effet, pas à l’assurance-chômage de compenser dans de pareils cas les risques d’un entrepreneur ou un manque à gagner dans une activité indépendante.
En l’espèce, le TF relève que, quand bien même l’assuré était disponible sur le marché de l’emploi durant une période de plus de trois mois, il avait, bien avant son licenciement, fondé sa société dans le but d’exercer, à terme, une activité indépendante. Il est également établi qu’au moment de son inscription auprès de l’assurance-chômage, la mise en place du commerce de l’assuré n’était pas terminée de telle sorte qu’il n’était pas en mesure d’exercer son activité indépendante. En outre, l’assuré n’avait réalisé que des postulations spontanées sans répondre à aucune offre concrète d’emploi. Il avait, par ailleurs, investi des montants conséquents pour le développement de son activité d’indépendant de sorte que la probabilité qu’il accepte à nouveau un emploi en tant que salarié était faible. Cette constellation de faits présentait, selon le TF, un risque d’abus, de sorte que les autorités cantonales avaient, à juste titre, nié son aptitude au placement.
L’assuré invoquait également une violation de l’art. 27 LPGA sur le devoir d’information de l’assurance-chômage. Le TF confirme l’appréciation des autorités cantonales d’après laquelle, même si l’assuré avait été informé sur l’absence de tout droit aux prestations de l’assurance-chômage, il aurait de toute évidence démarré son activité indépendante au vu des montants importants déjà investis au sein de la société (c. 5.2).
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Yverdon-les-Bains

TF 8C_421/2021 du 27 janvier 2022
Assurance-accidents; troubles psychiques, causalité naturelle et adéquate, procédure d’examen, gain assuré; art. 4 LPGA; 6 LAA; 22 OLAA
Un employé a connu deux accidents successifs. Sa situation s’est progressivement stabilisée du point de vue des capacités fonctionnelles, de sorte qu’une capacité de travail entière a pu être retenue. Les avis des médecins divergent toutefois en ce qui concerne la répercussion de troubles psychiques sur la capacité de travail de l’assuré. L’assureur-accidents a considéré que les troubles psychiques n'étaient pas en relation de causalité adéquate avec les deux accidents, raison pour laquelle il n’entendait pas mettre en œuvre d’autres mesures d’instruction afin de départager les avis des médecins. Le litige porte sur le point de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral, premièrement en considérant sur le plan somatique que la capacité de travail du recourant était complète dans une activité adaptée, deuxièmement en niant le droit de celui-ci à des prestations d’assurance en raison de ses troubles psychiques et, troisièmement, en admettant le gain annuel assuré retenu par l’intimée. Le TF confirme d’emblée les conclusions des premiers juges sur la capacité résiduelle de travail de l’assuré compte tenu des seules atteintes physiques.
S’agissant des troubles psychiques, le TF observe que tant la cour cantonale que l’assureur-accidents ont procédé à l’examen du caractère adéquat du lien de causalité entre les troubles psychiques et les accidents subis en laissant ouverte la question du lien de causalité naturelle. Il rappelle par conséquent que si la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat, il n’est en revanche pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. En l’occurrence pour le TF, il convient de renvoyer la cause à l’intimée pour qu’elle instruise ces questions au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. Ceci fait, elle se prononcera définitivement sur le droit du recourant à des prestations pour ses troubles psychiques, en procédant, au besoin, à un nouvel examen circonstancié du lien de causalité adéquate.
Le TF précise encore que ce qui précède vaut également pour les autorités de recours de première instance qui se retrouveraient dans la même constellation, à savoir saisies d’un examen du lien de causalité adéquate à l’égard de troubles psychiques alors que la question de la causalité naturelle a été laissée ouverte. Dans ce cas, si le juge parvient à la conclusion que l’appréciation de l’assureur-accidents est erronée sur un ou plusieurs critères et que l’admission du lien du causalité adéquate pourrait entrer en considération, il doit, avant de statuer définitivement sur ce dernier point, instruire ou faire instruire par l’assureur-accidents les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle.
Ceci écrit, et puisque le recourant a de toute façon droit à une rente d’invalidité du fait des séquelles physiques, le TF a encore examiné la question du gain assuré. Dans ce cadre, il a rappelé que sont seuls déterminants, d’une part, le rapport de travail et les circonstances salariales qui existaient au moment de l’évènements accidentel et, d’autre part, que l’annualisation du salaire intervient lorsqu’au moment déterminant la relation de travail a duré moins d’une année (art. 22 al. 4, 1re et 2e phrase OLAA). Dans le cas d’espèce, c’est à juste titre que les juges cantonaux ont annualisé le salaire perçu au moment déterminant, soit celui afférent à la relation de travail précédant immédiatement l’événement accidentel. Ils n’avaient pas à tenir compte des salaires touchés pour les missions antérieures.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne


TF 4A_615/2021 du 26 janvier 2022
Responsabilité du détenteur d’ouvrage; prescription, connaissance du dommage, état médical définitif, dies a quo; art. 58 CO; 60 aCO
A la suite d’une chute intervenue depuis une terrasse, le lésé a déposé une action contre la communauté des copropriétaires, fondée sur l’art. 58 CO. Le TF examine si cette action est prescrite selon l’art. 60 aCO, qui est applicable dans le cas d’espèce, les faits remontant au 9 août 2014. Il recherche, dans un premier temps, si la prescription plus longue découlant de l’action pénale, soit en l’occurrence celle de dix ans valant pour les lésions corporelles graves par négligence (art. 125 et 97 al. 1 lit. c CP), pourrait s’appliquer, conformément à l’art. 60 al. 2 aCO (c. 4.1).
Le TF considère que les juges cantonaux étaient en droit de retenir, sans tomber dans l’arbitraire, que le déroulement précis de l’accident n’avait pu être reconstitué que sur la base des déclarations du lésé et que celles-ci étaient imprécises et contradictoires, si bien qu’aucun fait pertinent sur le plan pénal ne pouvait être établi. N’est pas non plus critiquable la renonciation des juges cantonaux à procéder à une inspection, dès lors que près de sept ans s’étaient écoulés depuis l’accident et qu’il fallait partir du principe que les conditions locales avaient changé depuis (c. 4.2 et 4.3). C’est ainsi à juste titre que les juges cantonaux n’ont pas appliqué une prescription pénale de plus longue durée selon l’art. 60 al. 2 aCO.
S’agissant de la prescription relative d’une année selon l’art. 60 al. 1 aCO, le TF rappelle que le délai commence à courir lorsque la personne lésée a connaissance de l’auteur et des éléments essentiels du dommage lui permettant d’apprécier approximativement celui-ci et de motiver une demande en justice. En cas de lésions corporelles, le lésé a une connaissance suffisante du dommage si les conséquences médicales de l’acte dommageable sont prévisibles et peuvent être déterminées avec un haut degré probabilité, une fois l’état de santé stabilisé. C’est le cas au plus tard avec la décision de l’assureur-accident portant sur la rente. Toutefois, le montant des prestations de cette assurance ne doit pas nécessairement être connu avec certitude. La subrogation de l’assurance dans les droits du lésé n’a aucune influence sur le début et le cours de la prescription, puisque la créance du lésé passe à l’assurance telle qu’elle existait pour le lésé contre l’auteur. En particulier, il n’est pas nécessaire de connaître l’issue de la procédure devant l’assurance sociale (c. 5.1).
Le délai de prescription relatif de l’art. 60 al. 1 aCO commence à courir dès que le lésé sait qu’il a atteint l’état médical définitif. En l’espèce, les effets de l’accident du 9 août 2014 étaient connus sous tous leurs aspects au moment où le lésé a été examiné par le médecin d’arrondissement de la SUVA le 10 février 2017. Il ressort du rapport de l’assurance, daté du même jour, que l’état médical définitif avait été atteint, ce dont le lésé avait été informé, vu qu’il avait consenti à ce que le rapport soit transmis à son médecin. Le TF considère que les juges cantonaux ont retenu de manière convaincante que dès le 10 février 2017, le lésé avait une connaissance suffisante de son dommage et qu’il était en mesure de l’estimer. Il n’y avait pas lieu d’attendre la décision fixant l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, qui a été rendue le 9 janvier 2018. Le délai relatif d’une année était ainsi échu lorsque le lésé a déposé sa requête de conciliation le 20 août 2018 (c. 5.3 et 5.4).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne


TF 8C_110 et 175/2021 du 26 janvier 2022
Prévoyance professionnelle; oligation d’assurance, affiliation rétroactive, dommages-intérêts dus par l’employeur; art. 1 LPP; 10 OPP2; 3 ss LRCF
Le TF a jugé qu’un employeur (et non l’institution de prévoyance) devait compenser le dommage causé à un employé qui n’avait pas été annoncé à l’institution de prévoyance. Le dommage consiste en la différence entre la prestation de vieillesse que l’assuré aurait effectivement perçue sur la base des bonifications de vieillesse qui auraient dû être versées et la prestation de vieillesse réellement versée à l’assuré. La Haute Cour a précisé que les cotisations de l’assuré qui n’ont pas été prélevées sur son salaire pouvaient être portées en déduction du dommage.
Auteur : Guy Longchamp



TF 8C_432/2021 du 20 janvier 2022
Assurance-chômage; domicile en Suisse, distinction entre vrai frontalier et faux frontalier, art. 65 al. 2 R (CE) n° 883/2004; 8 al. 1 let. c et 121 al. 1 let. a LACI
Un ressortissant italien est arrivé en Suisse en avril 2019 au bénéfice d’un permis L pour travailler comme ouvrier. Son contrat a pris fin le 14 novembre 2019, date de son inscription au chômage. Il a ensuite recommencé à travailler pour le même employeur en Suisse le 6 avril 2020. L’autorité valaisanne a refusé de lui allouer des indemnités de chômage, au motif qu’A. devait être qualifié de vrai frontalier et qu’il devait s’adresser à son Etat de résidence. Les juges cantonaux ont, au contraire, jugé que la condition du domicile en Suisse était remplie (c. 3.1).
Sur recours de l’autorité valaisanne, le TF rappelle qu’en présence d’une situation transfrontalière, les règlements de coordination conclus avec l’Union européenne s’appliquent, en particulier l’art. 65 al. 2 R (CE) n° 883/2004 cum 121 al. 1 let. a LACI (c. 4.1 s.). En parallèle, c’est le droit interne qui fixe les conditions d’octroi des prestations. En l’occurrence, l’art. 8 LACI prescrit que l’assuré doit résider en Suisse pour pouvoir prétendre aux prestations du chômage (c. 4.3). La question de savoir si le travailleur avait son domicile en Suisse ou en Italie peut toutefois rester ouverte (5.1). En effet, à défaut d’être retourné chaque jour ou au moins chaque semaine en Italie, auprès de sa famille, le travailleur doit être qualifié de faux frontalier (c. 5.2). Or, les faux frontaliers ont la possibilité de requérir les prestations du chômage dans l’Etat de leur dernier emploi plutôt que dans leur Etat de résidence (art. 65 al. 2 3e phr. R n° 883/2004). On ne peut pas exiger d’eux qu’ils disposent d’un domicile en Suisse au sens de l’art. 8 LACI. Il suffit qu’ils se mettent à disposition des services de placement en Suisse (c. 5.3).
In casu, le travailleur a toujours été à disposition du service de placement en Valais, où il se rendait fréquemment. De plus, en retournant travailler auprès du même employeur en Suisse en avril 2020, A. a démontré son intention de poursuivre son activité en Suisse. L’autorité compétente ne peut être suivie lorsqu’elle soutient que tant les vrais frontaliers (qui retournent chez eux chaque jour ou chaque semaine) que les faux frontaliers (qui ne retournent qu’occasionnellement chez eux) ne peuvent prétendre au chômage que dans leur Etat de résidence (c. 5.4). Le recours de l’autorité valaisanne est rejeté.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 8C_558 et 559/2021 du 20 janvier 2022
RHT-COVID; employeur public, risque d’exploitation; art. 31 al. 1 let. b et d, 32 al. 1 et 3 LACI; 51 OACI
Les conditions posées par la loi et la jurisprudence en vue de l’octroi de l’indemnité en cas de RHT (ATF 121 V 362) sont les mêmes pour tout employeur, qu’il s’agisse d’un employeur public ou d’un employeur privé.
L’allocation de l’indemnité en cas de RHT qui a pour finalité d’éviter un licenciement associe le risque économique que court le personnel touché par la réduction de l’horaire de travail de perdre son emploi au risque propre d’exploitation qu’assume l’entreprise concernée. L’indemnité en cas de RHT est une mesure préventive au sens large et doit pouvoir éviter, à brève échéance, un licenciement. Le risque de licenciement doit être imminent.
La perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. Cette condition n’est pas remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou risque de fermeture de l’exploitation.
La directive 2020/06 du SECO qui prévoit que le risque de disparition d’emplois constitue une condition essentielle du droit à l’indemnité en cas de RHT ne fait que préciser les principes dégagés par la jurisprudence et repris par la doctrine.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 9C_376/2021 du 19 janvier 2022
Prestations complémentaires; revenus déterminants, revenu hypothétique, dessaisissement; art. 9, 10 et 11 LPC; 14a OPC
Est litigieux le montant de la prestation complémentaire d’un assuré, invalide à 61 %, ayant atteint l’âge de 60 ans durant la période déterminante et dont l’épouse a perdu son emploi, avant de s’annoncer elle aussi à l’assurance-invalidité.
Selon la jurisprudence, il faut prendre en considération le revenu hypothétique d’un conjoint, au sens des ressources en espèces dont un ayant droit s’est dessaisi (art. 11 al. 1 let. a et g LPC), lorsqu’il a renoncé à une activité exigible. C’est à l’aune de la vraisemblance prépondérante qu’est jugée l’exigibilité de cette activité. Cette présomption est réfragable, si l’assuré prouve qu’interviennent – indépendamment d’une invalidité partielle ou non – des facteurs tels que l’âge, la formation, les connaissances linguistiques ou les circonstances personnelles.
L’art. 9 al. 5 let. c LPC donne le pouvoir au Conseil fédéral d’édicter des dispositions sur la prise en compte du revenu de l’activité lucrative pouvant ainsi être raisonnablement exigée des personnes concernées ; l’art. 14a OPC introduit une césure entre les invalides n’atteignant pas les montants maximum définis par cette disposition et âgés de moins de 60 ans, pour lesquels est pris en compte le revenu hypothétique (lequel ne correspond pas forcément à celui intervenant dans le calcul de la rente d’invalidité AI), et ceux âgés de 60 ans ou plus, pour lesquels c’est le montant effectivement obtenu qui est pris en compte.
Dans le cas d’espèce, selon le TF, c’est à tort que l’administration et la cour cantonale n’ont pas examiné plus précisément le revenu hypothétique exigible de l’assuré avant l’âge de 60 ans (on ne peut pas sans autre se baser sur la comparaison des revenus découlant de l’art. 16 LPGA) et n’ont pas déduit comme dépenses, à compter de l’âge de 60 ans, les frais d’obtention du revenu, au sens de l’art. 10 al. 3 let. a LPC. Pour ces motifs, la cause doit être renvoyée à l’administration, afin qu’elle procède à de nouveaux calculs.
En revanche, de l’avis du TF, c’est à bon droit que la cour cantonale a pris en considération un revenu hypothétique de CHF 28’194 de l’épouse de l’assuré, correspondant à son précédent revenu effectif. En effet, c’est en violation de son obligation de diminuer le dommage que celle-ci a mis fin à son emploi, au motif qu’elle ne gagnait pas assez, sans faire les efforts nécessaires pour recouvrer rapidement un emploi.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion

TF 9C_759/2020 du 12 janvier 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance surobligatoire, prestations de vieillesse, concours de prestations sociales, surindemnisation, assuré atteignant l’âge de 65 ans, art. 34a LPP; 24a OPP2
Sur la base des dispositions légales et réglementaires en vigueur dans le domaine de la prévoyance surobligatoire, une institution de prévoyance peut valablement continuer de réduire pour cause de surindemnisation, même en présence d’un assuré ayant atteint l’âge légal de la retraite de 65 ans, une (demi-) rente d’invalidité, tout en accordant une demi-rente de vieillesse, au motif que l’assuré perçoit parallèlement une rente d’invalidité de l’assurance-accidents de 49 % (LAA) et une rente complète de vieillesse du premier pilier (LAVS).
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_547/2021 du 11 janvier 2022
Assurance-invalidité; restitution de prestations indues, délai de l’action pénale, lien entre la procédure pénale et la procédure administrative, exigences pour la sauvegarde du délai; art. 25 LPGA
Le TF rappelle les règles applicables à la péremption de la demande en restitution de prestations versées à tort, en l’espèce pendant une longue période, en raison d’une violation, par la personne assurée, de son obligation de renseigner. En particulier, il rappelle que le délai de prescription de l’action pénale est déterminant si l’acte commis par la personne assurée relève d’une infraction pénale (art. 25 al. 2, 2e phr., LPGA).
Si une condamnation pénale a d’ores et déjà été prononcée et est entrée en force, l’assureur social, respectivement le juge des assurances sociales, est tenu par cette décision. En l’absence d’une telle décision, ces derniers doivent, à titre préjudiciel, déterminer si l’acte reproché à la personne assurée est constitutif ou non d’une infraction pénale. Ce faisant, ils doivent respecter les règles du droit pénal en matière de preuve. Le degré de la vraisemblance prépondérante, pertinent pour le droit des assurances sociales, ne l’est pas à cet égard (c. 6.2). En l’espèce, cette question n’ayant pas été suffisamment instruite, l’affaire doit être renvoyée à la cour cantonale (c. 9.2 et 10).
Pour sauvegarder valablement les délais de péremption de l’art. 25 al. 2 LPGA, la décision de l’office AI doit formuler clairement la demande de restitution ainsi que la période exacte sur laquelle elle porte. Il n’est en revanche pas nécessaire que le montant exact en francs soit indiqué. Une décision indiquant la réduction rétroactive de la quotité de la rente et mentionnant le retrait de l’effet rétroactif pour le cas où cette modification entraînerait une demande de restitution est insuffisante pour sauvegarder le délai (c. 7). Si la décision portant sur la demande de restitution et indiquant à satisfaction la période concernée est révoquée par la suite, cela ne fait pas obstacle à la sauvegarde du délai (c. 8).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_394/2021 du 11 janvier 2022
Assurance perte de gain; comportement frauduleux, fardeau de la preuve; art. 40 LCA
Le TF commence par rappeler les conditions d’application de l’art. 40 LCA, à savoir une condition objective qui consiste à une dissimulation ou à une communication inexacte de faits susceptible d’exclure ou de réduire les prestations, ainsi qu’une condition subjective qui suppose une intention de tromper de la part de l’assuré.
Puis le TF rappelle les principes applicables en matière de fardeau de la preuve. L’assuré doit apporter la preuve des éléments fondant le droit à l’assurance et l’assureur doit démontrer les faits qui lui permettent de réduire ou de refuser de prester. La preuve doit être apportée de manière stricte et un allégement sous la forme de la vraisemblance prépondérante n’est admissible que si la preuve stricte n’existe pas. Notre Haute Cour relève alors que la preuve de la condition subjective de l’art. 40 LCA ne peut jamais être apportée de manière stricte ce qui justifie l’allègement sous la forme de la vraisemblance prépondérante. En revanche, s’agissant de la condition objective, la preuve doit en principe être apportée de manière stricte.
En application des principes susmentionnés, le TF a estimé que l’indépendant qui annonçait une incapacité de travail à l’assureur et qui, quelques jours après, reprenait son activité, même à titre temporaire, sans l’annoncer, commettait une fraude. L’assuré ne peut à la fois prétendre à des indemnités journalières et exercer une activité professionnelle. Dans cette affaire, l’assuré prétendait que la reprise de travail était une tentative censée refléter son obligation de réduire le dommage. Le TF a estimé que, non seulement, la reprise de l’activité à titre d’essai n’était pas démontrée et que, par ailleurs, même si tel était le cas cette tentative aurait dû être annoncée à l’assureur. Il est en outre exclu de considérer cette tentative comme faisant écho à l’obligation de réduire le dommage dans la mesure où l’assuré a malgré tout perçu des indemnités journalières.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne


TF 4A_330/2021 du 05 janvier 2022
Assurance privée; assurance perte d’exploitation, COVID-19, couverture des épidémies, validité de la clause d’exclusion d’une pandémie; art. 18 CO; 33 LCA
Dans cet arrêt, le TF statue pour la première fois, en relation avec le COVID-19, sur une clause d’exclusion de la couverture des conséquences économiques d’une pandémie de niveau 5 ou 6 selon la classification de l’OMS, dans le cadre d’un contrat qui couvre en principe les épidémies. Il renverse la décision cantonale favorable à l’assuré de manière quelque peu cavalière si l’on tient compte de l’objectif central visé par la législation sur le contrat d’assurance, qui est de protéger la partie qui se voit imposer l’utilisation des conditions d’assurance. Comme le TF le rappelle lui-même dans son arrêt, celle-ci ne doit pas nécessairement être faible et inexpérimentée. Même une partie rompue à une branche donnée peut être surprise par une disposition reprise globalement dans des conditions générales (c. 2.1.3.1).
Le TF procède pour ce faire au contrôle des conditions d’assurances, rédigées par l’assureur et acceptées de manière globale par le preneur d’assurance. Il vérifie tout d’abord si les clauses litigieuses ont été valablement incorporées au contrat (principe de transparence et règle de la clause insolite), puis si elles sont claires (règle de la clause ambiguë, art. 33 LCA). Ce faisant, il arrive, contrairement à l’autorité inférieure, à la conclusion que la clause d’exclusion litigieuse n’est pas objectivement insolite et qu’elle est rédigée de manière claire et non équivoque, de sorte qu’elle est valide. Il admet dès lors le recours de l’assureur.
Cette issue de la procédure devant le TF est étonnante, compte tenu du fait que le Prof. Walter Fellmann a rendu le 23 avril 2020, sur demande de l’Ombudsman de l’assurance privée et de la SUVA un avis de droit publié sur le site de ce dernier et que ce document semble ne pas avoir été pris en compte au cours de la procédure, à tout le moins dans cet arrêt.
Auteur : Matthias Stacchetti, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel



TF 2C_199/2020 du 28 décembre 2021
Prévoyance professionnelle; rachats, versement en capital, limitations d’ordre fiscal; art. 79b LPP
Le rachat effectué dans le but d’améliorer une rente transitoire versée jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite (rente pont AVS) n’est pas limité par l’art. 79b al. 3 LPP. En l’espèce, et dans ce contexte bien particulier, le TF a considéré que le rachat de CHF 62’050.40 effectué le 29 mai 2015 par l’assuré en vue d’améliorer spécifiquement la rente transitoire (pont AVS) débutant le 1er juillet 2015 pouvait entièrement être déduit fiscalement. Le fait que la prestation de vieillesse soit versée dans le délai de carence de trois ans n’est pas déterminant, dès lors qu’elle est effectuée sous forme de rente et non de capital.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_764/2020 du 23 décembre 2021
Assurance-maladie; financement hospitalier, passage du système du «financement des établissements» au système du «financement des prestations par cas», conséquence de ce passage pour des cas d’hospitalisation à cheval sur les deux systèmes; art. 41 al. 1bis, 49 al. 1 et 49a al. 1 LAMal
Le système dit du financement des prestations par cas est, dans le canton de Zurich, devenu effectif le 1er janvier 2012. Or, pour des hospitalisations qui se sont déroulées en partie avant le 1er janvier 2012 et en partie après le 31 décembre 2011, la société A. SA, qui exploite la clinique A., a réclamé au canton de Zurich le paiement, dans un premier temps, de la moitié de la part cantonale, de CHF 412'328.20, et, dans un deuxième temps, de la part cantonale non réduite, de CHF 824'656.36, demande de paiement que le canton de Zurich a refusé d’honorer. Par jugement du 3 novembre 2020, le Tribunal administratif du canton de Zurich a prononcé qu’au regard des principes généraux qui valent en matière de droit transitoire, c’est selon le nouveau modèle de financement par prestations que les hospitalisations à cheval entre 2011 et 2012 devaient être prises en compte, et ce pour leur durée entière.
Le TF admet partiellement le recours en matière de droit public du canton de Zurich, considérant que, s’agissant de l’application des principes de droit transitoire, les premiers juges ne pouvaient pas faire remonter l’application du nouveau système de financement par prestation à avant le 1er janvier 2012. Une telle rétroactivité n’aurait été possible que si elle avait été prévue par la loi ou si elle avait reposé sur un intérêt public prépondérant. Ni l’une ni l’autre de ces conditions n’est remplie ici (c. 5.3).
Au reste, étant donné que le système de financement en place avant le 1er janvier 2012 reposait sur le droit cantonal, le TF ne peut parler d’une violation du droit fédéral que pour la partie des traitements postérieure au 31 décembre 2011, le financement de cette partie devant se faire, dit le TF, pro rata temporis, à l’image de ce que prévoit le chiffre 3.6 des règles et définitions pour la facturation des cas établies par SwissDRG SA (c. 5.4).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 9C_603/2021 du 16 décembre 2021
APG-COVID; indemnités pour indépendants, cas de rigueur; art. 15 Loi COVID-19; 2 al. 3 et 3bis O COVID-19
A. est musicien indépendant et affilié à la Caisse cantonale de compensation lucernoise en tant que tel depuis 1er janvier 2020. Le 15 janvier 2021, il a déposé une demande d’indemnisation en lien avec la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19. Sa demande a été rejetée notamment au motif qu’il n’avait pas réalisé en 2019 un revenu AVS d’au moins CHF 10’000.- au sens de l’art. 2 al. 3bis let. c O COVID-19. Néanmoins, A. fait valoir qu’il n’a initié son statut d’artiste indépendant qu’au début de l’année 2020 et qu’il avait de toute façon réalisé des revenus soumis AVS en 2019 provenant d’activités lucratives (dépendantes) en tant que salarié.
Le TF confirme le fait que l’interprétation des dispositions visées de l’O COVID-19 ne laisse place à aucun doute quand bien même il est également question de perte de gain ou de salaire dans le texte (cf. art. 2 al. 3 let. b O COVID-19). En effet, cette distinction concerne d’une part les indépendants au sens de l’art. 12 LPGA et de l’autre les personnes visées par l’art. 31 al. 3 let. b et c LACI (réduction de l’horaire de travail). Il ne peut donc pas être compris que les revenus AVS réalisés en 2019 en tant que salarié puissent également être pris en considération pour l’ouverture d’un droit à une indemnisation (c. 4.5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 9C_386/2021 du 15 décembre 2021
Assurance invalidité; mesures médicales, blessures, origine inconnue; art. 12 LAI; 2 al. 4 aRAI
L’office AI interjette un recours contre une décision de l’instance cantonale aux termes de laquelle il lui appartiendrait de prester au titre de l’art. 12 LAI en relation avec une épiphysiolyses femoris capitis, faisant valoir que cette atteinte à la santé serait d’origine accidentelle.
Selon le TF, les premiers juges ne pouvaient pas se contenter d’observer que le traitement était directement nécessaire à la réadaptation professionnelle. Conformément à l’art. 2 al. 4 aRAI, dans sa teneur en vigueur au moment des faits, ne sont pas considérées comme mesures médicales au sens de l’art. 12 LAI, entre autres, les traitements de blessures.
A cet égard, la Circulaire sur les mesures médicales de réadaptation de l’AI (CMRM) dispose que les mesures médicales visant à traiter les épiphysiolyses qui sont apparues après des accidents ou qui ont provoqué des douleurs pour la première fois après un accident n’entrent pas dans le cadre des prestations de l’AI (ch. 734/934).
Comme l’instance précédente n’a pas instruit la question du caractère accidentel de l’atteinte à la santé, l’affaire doit lui être renvoyée afin qu’elle clarifie cette question et statue ensuite à nouveau sur l’éventuel droit à des mesures médicales selon l’art. 12 LAI.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 9C_736/2020 du 10 décembre 2021
Assurance-maladie; prix des médicaments, liste des spécialités, examen triennal, critères de l’adéquation et de l’économicité; art. 32 al. 1 et 2, 43 al. 6 et 52 al. 1 let. b LAMal; 30 ss OPAS; 65 ss OAMal
A. SA est titulaire d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le médicament B., délivrée par Swissmedic. B. figure sur la Liste des spécialités pharmaceutiques et des médicaments confectionnés avec prix (LS). Par circulaire du 13 décembre 2017, l’Office fédérale de la santé publique (OFSP) a informé A. SA que B. devait être soumis à l’examen triennal des conditions d’admission des préparations figurant sur la LS (art. 65d al. 1 OAMal et 34d OPAS). A ce titre, l’OFSP demandait des informations sur le respect des critères d’adéquation et d’économicité, notamment s’agissant de la comparaison thérapeutique transversale (CTT) effectuée. A. SA. a proposé d’analyser le rapport coût bénéfice en procédant à une comparaison thérapeutique (TQV) entre B. (forme galénique : substance sèche pour la préparation de solution injectable) et le médicament D. (forme galénique : comprimés pelliculés), les deux médicaments traitant la même pathologie. D. est en ce sens un médicament de substitution par rapport à B. Les parties ne sont toutefois pas parvenues à se mettre d’accord sur l’utilisation des critères d’adéquation et d’économicité. L’OFSP a finalement conclu par décision du 7 décembre 2018 que B. pouvait certes être considéré comme adéquat dans sa forme galénique actuelle, à condition que A. SA dépose, pour B., une demande d’inscription d’un plus petit emballage et d’un nouveau dosage dans la LS. En effet, les études menées avaient démontré que B. subissait d’importants rebus (gaspillages) pour une certaine quantité requise par kilogramme de poids corporel du patient. Il se justifiait donc de n’admettre à long terme l’utilité de B., déjà listé dans la LS, qu’à la condition d’introduire un emballage plus petit avec un dosage différent. S’agissant du critère d’économicité, il ne fallait pas selon l’OFSP tenir compte du coût de la dose effectivement administrée mais bien du prix du plus petit emballage lors de la comparaison des médicaments. Sur cette base, l’OFSP a retenu une baisse de prix du médicament B. Par arrêt du 7 octobre 2020, le TAF a rejeté le recours formé contre la décision du 7 décembre 2018. A. SA a alors interjeté devant le TF un recours en matière de droit public.
Rappel du critère de l’adéquation (c. 4) – Le critère de l’adéquation est déterminé par l’utilité diagnostique ou thérapeutique de l’application dans le cas d’espèce, compte tenu des risques qui y sont liés, mesurés en fonction du succès thérapeutique visé, à savoir la suppression aussi complète que possible de l’atteinte physique ou psychique ainsi que du risque d’utilisation abusive. Selon la pratique administrative, l’évaluation de l’adéquation se fait sur la base du rapport entre le succès et l’échec d’une application ainsi que de la fréquence des complications. L’examen de la taille des emballages eu égard au critère d’adéquation est correct, même si cet examen présente des interfaces avec le critère d’économicité (c. 4.3.2 et 4.3.3). L’OFSP peut assortir l’admission d’un médicament (y compris lors de son examen triennal) de conditions conformément à l’art. 65 al. 5 OAMal. Même si l’art. 33 OPAS est formulé de manière ouverte (ne mentionne pas expressément la question du dosage et de la taille de l’emballage) il constitue aux côtés de l’art. 32 al. 2 LAMal une base légale suffisante pour la condition contestée (c. 4.4). La proportionnalité de la condition contestée a été admise (c. 6).
Rappel du critère d’économicité (c. 7) – Selon l’art. 65b al. 1 OAMaL, un médicament est considéré comme économique s’il garantit l’effet thérapeutique indiqué avec un coût aussi faible que possible. Cette disposition concrétise l’objectif du réexamen périodique prévu à l’art. 32 al. 2 LAMal au sens de la garantie que les médicaments remplissent en tout temps le critère EAE de l’art. 32 al. 1 LAMal. L’efficacité et le coût (journalier ou par cure) des préparations originales qui figurent dans la LS au moment du réexamen par rapport à d’autres médicaments utilisés pour le traitement de la même maladie sont examinés à cette occasion. La TQV s’effectue sur la base du plus petit emballage et du plus petit dosage à moins que ceux-ci ne permettent pas une comparaison adéquate avec le médicament de référence (art. 65d al. 2 OAMal). Si le réexamen révèle que le prix maximum en vigueur est trop élevé, l’OFSP ordonne, pour le 1er décembre de l’année du réexamen, une baisse de prix au niveau du prix déterminé selon les art. 65b al. 5 et 67 al. 1quater OAMal (c.7.2). Il n’est pas contesté en l’espèce que la TQV devait s’effectuer en comparant B. à D. Toutefois, bien que la recourante considère qu’il est plus pertinent de se baser sur le coût de la dose effectivement utilisée (comme c’est le cas pour le médicament D.), l’important gaspillage résultant de l’administration du médicament B. est une raison suffisante pour s’écarter de la procédure utilisée pour le médicament D. Il convient donc en l’espèce de considérer le coût d’une boite entière de B. plutôt que la dose effectivement utilisée comme coût déterminant du traitement journalier. En procédant de la sorte, l’autorité intimée a tenu compte des particularités du médicament B. (c. 8 à 10). Le recours est rejeté.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 6B_343/2021 du 09 décembre 2021
Responsabilité aquilienne; accident, moto sur circuit, lésions corporelles graves par négligence, violation des règles du sport, acceptation du risque; art. 125 al. 2 CP; 2.1.20 du code sportif établi par la Fédération française de motocyclisme
Se référant à un arrêt 6B_261/2018, le recourant soutient qu’il devrait être acquitté du chef d’inculpation de lésions corporelles graves par négligence, dans la mesure où il n’a pas violé les règles du sport. Selon lui, le risque de chute est inhérent à tous les roulages libres à moto, et la lésée l’avait accepté (c. 3).
Lorsqu’il existe des prescriptions spéciales de prévention d’accident ou de sécurité, il faut en tenir compte en premier lieu pour déterminer les devoirs imposés par la prudence. En l’absence de telles règles, il doit être tenu compte des règles édictées par des associations privées ou semi-publiques pour réglementer un domaine particulier ou une activité donnée. Lorsqu’aucune règle de sécurité spécifique n’existe ou n’a été violée, le devoir de diligence s’apprécie à l’aune des principes généraux du droit et notamment du principe « neminem laedere » (c. 3.2.1).
Il existe un risque de lésions corporelles inhérent à toute activité sportive. Les atteintes à l’intégrité corporelle infligées durant une rencontre sportive seront, jusque dans une certaine mesure, couvertes par l’assentiment (implicite) du lésé, et ainsi considérées comme licites. La pratique d’un sport n’implique toutefois que l’acceptation des risques normaux liés à l’exercice de ce sport conformément à ses règles. Il ne saurait y avoir acceptation de risques lorsque les lésions infligées résultent de la violation intentionnelle ou grossière des règles du sport par un autre participant (c. 3.2).
Dans l’arrêt 6B_261/2018, le TF avait considéré qu’il existait dans les courses cyclistes un risque élevé de chutes pouvant entraîner des lésions corporelles, voire le décès d’un coureur, étant donné qu’il était permis de rouler dans le sillage d’autres coureurs (c. 3.2.2). Dans cet arrêt, le TF avait retenu que la limite du risque spécifique à la discipline sportive n’avait pas été dépassée et que le danger avait été créé par l’ensemble des coureurs, sous leur propre responsabilité (c. 3.2.2).
La 1re Cour de droit social du Tribunal fédéral a considéré que la pratique de la moto sur circuit, en dehors de toute compétition, constituait une entreprise téméraire absolue, donnant lieu à réduction de prestations de l’assurance-accident (c. 3.2.3).
L’accident s’est produit sur un circuit, de sorte que le droit de la circulation, qu’il soit suisse ou français, ne trouve pas application. Est applicable en l’espèce, le code sportif établi par la Fédération française de motocyclisme qui prévoit notamment que « les coureurs sur le point de dépasser ou d’être dépassés ne doivent pas se gêner les uns les autres ». En particulier, il est admis qu’afin de garantir la sécurité de l’autre pilote et la sienne dans son dépassement, le pilote qui dépasse doit faire en sorte que le pilote qu’il veut dépasser ait le temps de le voir avant qu’il ne déclenche son virage (c. 3.3.1).
En l’espèce, l’accident est dû à une mauvaise appréciation de la situation par le recourant. En pratiquant la moto sur circuit, même en dehors de toute compétition, la lésée a accepté de prendre des risques, notamment ceux liés à des chutes provoquées par une faute personnelle, comme celle qu’elle avait déjà subie auparavant sur ce même circuit. Elle réduisait toutefois les risques, en roulant derrière son compagnon, qui lui montrait les trajectoires, et en respectant les distances. En cela son comportement n’est pas comparable à celui des cyclistes dans l’arrêt 6B_261/2018. Elle ne s’attendait pas qu’un participant surgisse de manière imprévue pour la dépasser, par l’intérieur du virage, sans respecter une distance latérale suffisante. Elle ne pouvait donc pas accepter le risque qu’une telle situation se produise. Compte tenu de la dangerosité du dépassement entrepris par le recourant, on ne saurait admettre que l’intimée a accepté les lésions corporelles qu’elle a subies. C’est donc à juste titre que la cour cantonale a condamné le recourant pour lésions corporelles graves par négligence (c. 3.3.2).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud

TF 8C_555/2021 du 24 novembre 2021
RHT-COVID; réduction des horaires d’ouverture d’un bar, perte de travail à prendre en considération; art. 31 al. 1 let. b LACI
Le TF est saisi d’un recours du Service de l’emploi du canton de Schwytz. Ce service contestait la décision de la dernière instance cantonale confirmant que la réduction des heures d’ouverture d’un bar ne constituait pas une violation du devoir de diminution du dommage mais bien, une perte de travail à prendre en considération au sens de l’art. 31. al. 1 let. b LACI (c. 4.3 et 5). Après un examen in concreto, l’autorité inférieure avait considéré comme plausible que l’assurée ne pouvait pas exploiter son établissement de manière rentable pendant les heures de fermeture décidée par le tenancier. Cette réduction de l’horaire d’ouverture ne prenait pas sa source dans le fait que le temps de travail des collaborateurs avait été réduit. Elle était, au contraire, la conséquence des restrictions d’exploitation induites par les prescriptions relatives à la pandémie du COVID-19 (c. 4 ss). La réduction des horaires d’ouverture du bar avait donc une justification économique (betriebswirtschaflich sinnvoll) (c. 4.3). Le TF a confirmé la décision cantonale et débouté le Service de l’emploi (c. 5).
Auteure : Rébecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Winterthour

TF 8C_503/2021 du 18 novembre 2021
RHT-COVID; indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT); art. 32 al. 1 let. a et 33 al. 1 let. a LACI
Pour obtenir des indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en raison d’une pandémie, l’employeur doit rendre vraisemblable que celle-ci a causé une perte de travail allant au-delà des risques normaux d’exploitation qu’il doit supporter en vertu de l’art. 33 al. 1 let. a LACI. L’existence du droit à ces prestations doit être examinée en fonction de la situation particulière de l’employeur concerné ; le fait que la branche économique à laquelle celui-ci appartient ait en moyenne été peu touchée n’exclut pas qu’il puisse avoir subi des pertes excessives, en fonction de ses propres particularités (c. 4.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

TF 8C_272/2021 du 17 novembre 2021
Assurance-chômage; indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, procédure sommaire de décompte, calcul de l’indemnité, gain déterminant, gain horaire à prendre en considération, prise en compte des vacances et jours fériés; art. 34 LACI; 8i O COVID-19; assurance-chômage
Dans la procédure sommaire de décompte, le droit aux vacances et aux jours fériés pour les personnes employées payées au mois doit aussi être pris en compte dans le calcul de l’indemnité en cas de RHT.
Il retient sans équivoque que la méthode de calcul des indemnités RHT suivie jusqu’ici par les caisses de chômage en application de la procédure sommaire est illicite, crée une inégalité de traitement entre les personnes assurées et ne se justifie par aucune base légale suffisante.
Note :
Le SECO a créé les bases nécessaires afin que les caisses de chômage puissent verser les indemnités en cas de RHT conformément à l’arrêt du TF dès janvier 2022.
Auteur : Marco Meli, MLaw, assistant-doctorant à la Faculté de droit



TF 8C_280/2021 du 17 novembre 2021
Assurance-invalidité; expertises, appréciation, atteintes psychiques, exigences; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI
Le TF apporte une précision supplémentaire s’agissant de la répartition des tâches entre l’expert et le juge.
Il rappelle tout d’abord que toutes les expertises peuvent être librement appréciées par l’administration, respectivement par le juge. Lorsqu’il existe des raisons valables (« triftige Gründe ») pour ce faire, il convient de s’en écarter, même si elles ont été réalisées lege artis. Représente notamment une raison valable le fait que l’incapacité de travail constatée par le médecin-psychiatre n’est en réalité pas vraiment établie compte tenu des exigences essentielles que sont la consistance et le fardeau matériel de la preuve incombant à la personne assurée. D’autre part, l’ATF 141 V 281 décrit la mesure dans laquelle l’administration, respectivement le juge, peut s’écarter des conclusions des médecins pour appliquer l’art. 8 LPGA.
La méthode est donc la suivante : dans tous les cas, l’office AI, respectivement le juge, doit vérifier si et dans quelle mesure les experts ont motivé de manière suffisante et compréhensible leur évaluation de l’incapacité de travail en tenant compte des indicateurs déterminants. Pour ce faire, il est indispensable que les experts fassent le lien avec les éléments en amont de leur analyse (extrait du dossier, anamnèse, résultats, diagnostics, etc.). L’expert doit donc exposer de manière circonstanciée les raisons médico-psychiatriques pour lesquelles les résultats obtenus sont susceptibles de réduire les capacités fonctionnelles et les ressources psychiques de la personne assurée, et ce d’un point de vue tant qualitatif, quantitatif que temporel. Si l’expert s’acquitte de cette tâche de manière convaincante en se référant aux indicateurs de l’ATF 141 V 281, l’expertise a une pleine valeur probante. Dans le cas contraire, il existe une raison valable qui impose de s’en écarter (c. 6.2.1).
Le TF rappelle ensuite que la mention d’un diagnostic psychiatrique, même intrinsèquement grave, ne permet pas encore de conclure à la gravité de l’atteinte à la santé d’un point de vue juridique. Le degré de l’atteinte de la personne assurée dans sa vie sociale, professionnelle ou dans d’autres domaines importants, est déterminé par le degré de gravité fonctionnelle de l’atteinte. Cette catégorie d’indicateurs (« degré de gravité fonctionnel ») se recoupe en partie avec les indications fournies par les médecins spécialistes pour établir le diagnostic. Il faut en revanche se rappeler qu’en principe, seule une atteinte grave à la santé psychique peut avoir un caractère invalidant. Si l’expert-psychiatre exclut la présence d’une atteinte grave à la santé psychique mais conclut néanmoins à l’existence d’une incapacité de travail sans expliquer pourquoi de manière convaincante, alors l’office AI, respectivement le juge, doit s’écarter de ses conclusions (c. 6.2.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont



TF 8C_463/2021 du 09 novembre 2021
RHT-COVID; RHT pendant la période du « lockdown » de mars 2020; art. 36 al. 1 LACI; 58 al. 1 OACI; 6 al. 2 let. b et 7 LEp; O 2 COVID-19; O COVID-19 assurance-chômage
Un club de football veut requérir des RHT pendant la pandémie. La requête est déposée le 24 mars 2020 et les RHT sont accordées avec effet rétroactif au 17 mars 2020, alors que le club estimait que l’on devrait retenir la date du 13 mars 2020.
En principe, la LACI instaure un délai de préavis de dix jours pour requérir des RHT (art. 36 al. 1 LACI), qui est réduit à trois jours (art. 58 al. 1 OACI) lorsque l’employeur prouve que la réduction de l’horaire de travail doit être instaurée en raison de circonstances subites et imprévisibles. Le délai de préavis est un délai de péremption. Ainsi, lorsque l’employeur n’a pas remis le préavis de réduction de son horaire de travail dans le délai imparti sans excuse valable, la perte de travail n’est prise en considération qu’à partir du moment où le délai imparti pour le préavis s’est écoulé (art. 58 al. 4 OACI).
Le Conseil fédéral a ordonné le 28 février 2020 des mesures relevant d’une situation particulière au sens de l’art. 6 al. 2 let. b LEp, qui ont fait l’objet de l’Ordonnance 2 COVID-19. Le 16 mars 2020, c’est une situation extraordinaire au sens de l’art. 7 LEp qui a été décrétée, ce qui a entraîné la modification de l’O 2 COVID-19, dont l’art. 6 ordonne le fameux « Lockdown ». Cette modification est entrée en vigueur le 17 mars 2020 à minuit.
L’art. 8b de l’O COVID-19 assurance-chômage supprime le délai de préavis (al. 1). Son alinéa 2 permet même une communication téléphonique du préavis que l’employeur doit confirmer par écrit immédiatement. Selon l’art. 9 al. 1 de cette ordonnance, l’entrée en vigueur est fixée au 1er mars 2020.
La possibilité d’un effet rétroactif au début de la mesure concernée existait dans l’art. 17b al. 2 loi COVID-19 dans sa version au 2 septembre 2021, étant relevé que cet alinéa a été supprimé par la suite et qu’il n’était pas applicable en l’espèce. Toutefois, un tel effet rétroactif constitue une exception, des RHT ne pouvant en principe n’être perçues que dès le dépôt du préavis au plus tôt, même si le délai de préavis a été supprimé ou réduit. Le principe est donc celui d’un effet ex nunc du préavis et non ex tunc.
Le SECO a établi des directives et a retenu que toute requête de RHT déposée jusqu’au 31 mars 2020 au plus tard avait un effet rétroactif au 17 mars 2020, voire au 13 mars 2020 notamment pour les domaines skiables.
Le TF constate que le recourant a déposé sa requête le 24 mars 2020, donc hors du délai de préavis. Il peut néanmoins bénéficier des dispositions susmentionnées. Toutefois, il faut retenir la date du 17 mars 2020 comme point de départ des RHT et non celle du 13 mars 2020, car au contraire des domaines skiables, l’installation du recourant n’était pas totalement fermée dans le cadre des premières mesures. Il relève également que les directives du SECO ne prêtent nullement le flanc à la critique, étant précisé qu’elles ont été établies en ayant le souci d’un certain pragmatisme eu égard à la situation de pandémie.
Note de l’auteur :
On ne peut que saluer cette jurisprudence éminemment pragmatique du TF dans un cadre juridique aussi peu stable que des sables mouvants, à cause de l’évolution de la situation sanitaire. Cet arrêt peut être considéré comme un exemple de synthèse qui permet finalement d’aboutir à un résultat correct et équitable entre les différentes personnes assurées.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 8C_773/2020 du 09 novembre 2021
Assurance-accidents; gain assuré, principe d’équivalence; art. 15 al. 3 LAA; 24 al. 3 OLAA
L’art. 24 al. 3 OLAA ne s’applique que si, en raison de la formation professionnelle, le salaire de la personne assurée était inférieur à celui d’une personne pleinement formée dans le même domaine. Il doit dès lors exister un lien de causalité entre la formation en cours et le niveau inférieur du salaire (c. 4.1).
La « formation » au sens de l’art. 24 al. 3 OLAA doit être comprise comme une formation primaire, à l’exclusion, notamment, des formations complémentaires, des études supérieures et des formations continues (c. 4.2).
Cette disposition n’a dès lors pas vocation à s’appliquer aux étudiants exerçant un emploi à temps partiel en marge de leurs études. Selon le TF, cette exclusion est justifiée dans la mesure où les étudiants ne sont pas couverts par le champ de protection de la LAA (art. 1a LAA). En outre, admettre une protection accrue des étudiants exerçant un emploi à temps partiel créerait une nouvelle inégalité entre eux et les autres personnes exerçant une activité à temps partiel (c. 4.5).
Cette règle – critiquée en doctrine (c. 5) – est insatisfaisante compte tenu de la politique d’encouragement à la formation (cf. art. 41 al. 1 let. f) ainsi que du développement des filières de formation supérieure intervenu depuis l’adoption de la LAA et de l’OLAA (c. 7.3). Il s’agit toutefois d’une lacune improprement dite qu’il n’appartient pas à l’autorité judiciaire de combler. En effet, étendre la protection de l’art. 24 al. 3 OLAA aux étudiants constituerait une rupture du principe d’équivalence prévu par l’art. 15 LAA dont les répercussions financières doivent être étudiées dans le cadre d’une procédure législative (c. 7.4).
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne


TF 6B_727/2020 du 28 octobre 2021
Responsabilité médicale; homicide par négligence, prescription d’un médicament contre-indiqué, négligence; art. 117 CP; 26 LTPh
Un médecin avait prescrit à sa patiente du Cefuroxim, un médicament contre-indiqué pour les personnes allergiques à la pénicilline. La patiente est décédée le jour même d’un choc anaphylactique, provoqué par ce médicament. Le médecin a été libéré du chef d’accusation d’homicide par négligence aussi bien par le Président du tribunal de première instance que par le Tribunal cantonal d’Argovie. Le TF a rejeté le recours déposé par les enfants de la défunte.
Le TF rappelle tout d’abord sa jurisprudence en matière de négligence, selon laquelle d’une part toute violation d’une norme de comportement légale ou généralement reconnue pour certaines activités ne constitue pas une négligence, et selon laquelle d’autre part un comportement peut être contraire au devoir de diligence même si aucune norme de comportement déterminée n’a été violée. Le degré de prudence auquel est tenu l’auteur potentiel est finalement déterminé par les circonstances concrètes et sa situation personnelle, car il n’est pas possible, de par la nature même des choses, de cerner toutes les circonstances pertinentes d’une situation donnée dans des règles générales (c. 2.3.3).
Il en va de même du devoir de diligence du médecin, qui se définit en fonction du cas concret, soit selon la nature de l’intervention ou du traitement, les risques qui y sont liés, la marge d’appréciation et d’évaluation dont il dispose, ainsi que selon les moyens mis en œuvre et l’urgence de l’acte médical. Le médecin n’est pas en soi tenu de répondre des dangers et des risques inhérents à tout acte médical et à la maladie en tant que telle. Il dispose souvent d’une certaine marge de manœuvre, tant dans le diagnostic que dans la détermination des mesures thérapeutiques. Il ne viole son devoir de diligence que lorsqu’il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre démarche qui ne semble plus justifiable selon l’état général des connaissances scientifiques et qui ne satisfait donc pas aux exigences objectives de l’art médical (c. 2.3.4).
Selon l’art. 26 al. 2 LPTh, un médicament ne doit être prescrit que si l’état de santé du consommateur ou du patient est connu. La doctrine déduit de cette disposition que les données vitales du patient, son état de santé, ses allergies, ses intolérances aux médicaments, ainsi que le potentiel d’interaction avec d’autres substances actives ou médicaments et aliments doivent être connus du médecin prescripteur. Le médecin doit se faire une idée précise de ce dont souffre le patient et des formes de thérapie appropriées. Aucune ordonnance en blanc ne peut être délivrée. Habituellement, le devoir de diligence du médecin exige la réalisation d’une anamnèse, c’est-à-dire l’enregistrement des antécédents de la maladie actuelle tels que communiqués par le patient ou ses proches. L’obligation de tenir un dossier médical fait partie de l’obligation générale de diligence du médecin. Elle revêt une importance particulière en cas de changement de médecin ou de collaboration entre plusieurs médecins. En cas de changement de praticien, le patient peut exiger que le nouveau médecin reçoive une copie du dossier médical du précédent. On admet cependant que, de façon générale, si le patient ne collabore pas au traitement, le médecin n’est pas tenu d’intervenir activement (c. 2.4.1 à 2.4.3).
En l’espèce, la défunte consultait le médecin en question depuis une année. A deux reprises, l’accusé lui avait demandé de lui fournir son dossier médical complet et avait même indiqué la deuxième fois (11 mois avant le décès) que cela était urgent. Il avait certes reçu quelques informations concrètes sur l’historique médical de la patiente, mais aucune qui ne permettait de retenir une hypersensibilité au Cefuroxim. Le TF a considéré qu’il n’avait aucune raison de mettre en doute les déclarations de sa patiente selon lesquelles elle n’avait pas d’allergie aux antibiotiques, alors même qu’il s’est avéré ensuite qu’elle ne connaissait elle-même pas parfaitement ses propres problèmes de santé. En effet, au moment de prescrire le médicament litigieux, le médecin ne disposait pas de tous les éléments qui ont ensuite été communiqués à l’expert judiciaire. Comme il avait interrogé sa patiente sur d’éventuelles allergies, il avait ainsi suffisamment satisfait aux obligations de clarification qui s’imposaient à lui et à son devoir de diligence (c. 2.5 à 2.7).
En d’autres termes, ni la loi ni les règles reconnues de la branche, comme le code de déontologie de la FMH, n’imposaient au médecin d’agir lui-même et de se charger de l’obtention de son dossier médical, ce que la patiente n’avait pas effectué malgré plusieurs demandes (consid. 2.8).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne



TF 8C_81/2021 du 27 octobre 2021
Assurance-accidents; notion de soins non médicaux à domicile, surindemnisation; art. 26 LAA; 18 al. 2 let. b OLAA
A la suite d’un accident survenu le 21 mars 2011, un assuré a notamment dû recourir à des prestations de soins à domicile. L’assureur-accidents a notamment accordé une allocation pour impotent de degré grave ainsi que la prise en charge de soins à domicile pour un montant mensuel global de CHF 1'248.-, réduit par la suite à CHF 748.- par mois, en raison d’une amélioration de l’état de santé de l’assuré. Celui-ci a contesté cette réduction. Le TF a dû se pencher de manière détaillée sur l’interprétation de la notion de « participation » aux soins non médicaux prévue à l’art. 18 al. 2 let. b OLAA, d’une part, ainsi que sur la coordination avec l’allocation pour impotent (surindeminsation), d’autre part. Tout en renvoyant l’affaire à l’assureur-accidents pour instruction complémentaire, les juges fédéraux ont précisé qu’il n’était pas admissible de retrancher intégralement de la participation aux coûts des prestations de soins à domicile le montant versé au titre de l’allocation pour impotent : il y a lieu d’examiner dans chaque cas particulier les prestations (non médicales) effectuées, en particulier les heures de surveillance.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_133 et 135/2021 du 26 octobre 2021
Responsabilité aquilienne; responsabilité de l’administrateur, dommage, causalité, preuve; art. 42 et 754 CO
Il s’agit d’un litige classique où des créanciers d’une société en faillite ouvrent action à l’encontre de ses administrateurs en leur faisant le reproche d’avoir tardé à aviser le juge d’un état de surendettement. Dans ce cadre, le TF rappelle que l’art. 754 al. 1 CO vise non seulement les membres du conseil d’administration, mais également toute personne qui s’occupe de la gestion, à l’instar des directeurs de la société anonyme, lesquels dépendent directement du conseil d’administration. La responsabilité fondée sur cette disposition incombe donc aussi aux organes de fait, c’est-à-dire à toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d’une manière déterminante.
Parmi les tâches de l’administrateur, figure le devoir de contrôler de manière régulière la situation économique et financière de la société. L’obligation de surveillance subsiste même si l’administrateur a délégué le pouvoir d’agir à l’actionnaire unique et propriétaire économique de la société. En effet, l’administrateur n’est pas seulement responsable envers les actionnaires, il l’est aussi envers la société en tant qu’entité juridique autonome et envers les créanciers de la société.
Pour déterminer s’il existe des raisons sérieuses d’admettre un surendettement, le conseil d’administration ne doit pas seulement se fonder sur le bilan, mais aussi tenir compte d’autres signaux d’alarme liés à l’évolution de l’activité de la société, tels que l’existence de pertes continuelles ou l’état des fonds propres. L’administrateur doit avoir commis une faute intentionnelle ou par négligence. Toute faute, même une négligence légère, suffit.
Lorsqu’il s’agit de déterminer le dommage que les organes ont causé à la société en tardant de manière fautive à aviser le juge de l’état de surendettement, il y a lieu de comparer, conformément à la théorie de la différence, le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant qu’aurait ce même patrimoine si l’événement dommageable ne s’était pas produit. Le dommage à la société consiste dans l’augmentation du découvert entre le moment où la faillite aurait été prononcée si l’administrateur n’avait pas manqué à ses devoirs et le moment (impliquant une perte supérieure) où la faillite a effectivement été prononcée.
Si la preuve exacte du dommage ne peut pas être apportée, parce que les pièces comptables nécessaires au calcul de la valeur de liquidation des actifs de la société faillie n’ont pas été conservées par les administrateurs, il est juste de déterminer en équité le montant du dommage selon l’art. 42 al. 2 CO, sans que l’on puisse par ailleurs faire le reproche aux créanciers de n’avoir pas requis la production de documents comptables qui n’existaient pas.
Lorsque le manquement reproché consiste en une omission, à savoir de n’avoir pas avisé le juge du surendettement en temps utile, le rapport de causalité doit exister entre l’acte omis et le dommage. Dans ce cas, le rapport de cause à effet est nécessairement hypothétique, une inaction ne pouvant pas modifier le cours extérieur des évènements, de sorte qu’il faut se demander si le dommage aurait été empêché dans l’hypothèse où l’acte omis aurait été accompli ; dans l’affirmative, il convient d’admettre l’existence d’un rapport de causalité entre l’omission et le dommage. Lorsqu’un tel lien est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne



TF 6B_1209/2020 du 26 octobre 2021
Responsabilité aquilienne; procédure, classement, motivation insuffisante, annulation, piste de luge, normes de sécurité, art. 319 CPP et 125 CP
Selon l’art. 319 al. 1 CPP, le Ministère public ordonne le classement lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis (let. b). La jurisprudence n’autorise cependant un classement que si la non-punissabilité est clairement établie, particulièrement en cas d’infraction grave. Son pouvoir d’examen étant limité à l’arbitraire s’agissant des constatations de fait (art. 97 al. 1 LTF), le TF annule un classement si l’autorité cantonale retient de manière insoutenable un état de fait ou une situation de preuves comme clairement établis (c. 2.4.1).
Une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé est commise par négligence, au sens de l’art. 125 CP, si elle résulte d’une violation fautive des règles de la prudence. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, au moins dans les grandes lignes, le déroulement des événements et quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter le résultat. Le degré de diligence requis s’apprécie en premier lieu au regard des prescriptions édictées pour la prévention des accidents dans un domaine déterminé, par le législateur, ou des associations spécialisées si les règles en question sont généralement reconnues ; leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence (c. 2.4.2).
La jurisprudence reconnaît ainsi la pertinence des directives de la Commission suisse pour la prévention des accidents sur les descentes pour sport de neige (SKUS) et celles de la Commission juridique des Remontées mécaniques suisses (RMS), car ces normes permettent de concrétiser le devoir de prudence. Les circonstances locales peuvent toutefois exiger un standard de sécurité plus élevé (c. 2.4.3). En l’occurrence, l’accident s’est produit sur une piste de luge dans la soirée du 31 décembre 2017 et le TF mentionne les directives SKUS 2015/2019 (protection des usagers contre les dangers atypiques, interdiction d’utiliser les pistes fermées), ainsi que les directives RMS 2019 concernant les obligations spécifiques en cas d’organisation de manifestations du type « Night Events » (c. 2.4.4).
Le classement de la procédure pénale est annulé car le Tribunal cantonal d’Obwald s’est focalisé sur la fermeture formelle de la piste, signalée sur les tableaux d’information, sans tenir compte du fait qu’une information différente était disponible sur internet, que la piste était accessible par l’installation de remontée mécanique et que des luges étaient mises en location, même après la fermeture, en raison d’une fête de Nouvel An organisée dans une cabane, que cette fermeture dès 17h00 le 31 décembre était incohérente avec une réouverture spéciale prévue durant la nuit du 1er janvier de 01h00 à 02h00. Le TF souligne aussi que l’enquête est lacunaire car on ignore si l’organisateur de la fête avait pris, en coordination avec l’exploitant des remontées mécaniques, des mesures pour garantir la sécurité des participants à la descente, selon les directives RMS 2019 (c. 2.5).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg


TF 8C_365/2021 du 23 octobre 2021
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), activité salariée, siège social; art. 31 ss LACI; 121 al. 1 let. a et b LACI; R (CE) 883/2004 et 987/2009
L’employé d’une société dont l’activité économique n’est pas liée à des structures opérationnelles permanentes en Suisse n’a pas droit à l’indemnité en cas de RHT fondée sur le droit suisse, même s’il exerce une activité salariée en Suisse et est soumis à la législation sur la sécurité sociale suisse.
Le seul fait que l’employé dirige cette société, dont il est également le fondateur et le directeur, depuis un poste de travail situé en Suisse lorsqu’il travaille à domicile n’est pas suffisant pour reconnaître l’existence de structures opérationnelles en Suisse.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne

TF 9C_272/2021 du 14 octobre 2021
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations des personnes n’exerçant pas durablement une activité à plein temps; art. 10 al. 1 LAVS; 28bis RAVS
En décembre 2019, la caisse de compensation du canton de Schwytz a appliqué l’art. 28bis RAVS et fixé les cotisations d’une personne pour l’année 2014 sur la base des règles pour les personnes sans activité lucrative, au motif qu’elle n’exerçait pas durablement une activité lucrative à plein temps et que les cotisations perçues sur le revenu de son travail d’indépendant n’atteignaient pas la moitié de la cotisation due selon le calcul de l’art. 28 RAVS pour les cotisations des personnes sans activité lucrative. La caisse a donc fixé les cotisations à CHF 2’520.-, compte tenu de la fortune de l’administré. Cette année 2014 était la première au cours de laquelle la personne retirait un gain de son activité d’indépendant (CHF 4’517.-), tandis que les années précédentes avaient été conclues par une perte et donné lieu à la perception de cotisations minimales (CHF 413.- par année) par la caisse.
Saisi du recours de l’administré, le tribunal cantonal a rappelé que n’est pas considéré comme exerçant durablement une activité lucrative à plein temps au sens de l’art. 28bis RAVS une personne qui n’exerce pas d’activité lucrative pendant au moins neuf fois dans l’année ou qui n’accomplit pas au moins la moitié du temps de travail usuel sur l’année (ATF 140 V 338). Dans ce cas de figure, il y a lieu de procéder à une comparaison de la cotisation due selon le calcul pour les indépendants et de celle due selon le calcul pour les personnes sans activité lucrative. Si la cotisation pour les indépendants n’atteint pas la moitié de la cotisation pour les personnes sans activité lucrative, c’est cette dernière qui est applicable, les cotisations payées sur la base de l’activité lucrative pouvant être déduites (art. 28bis al. 2 et 30 RAVS).
En l’espèce, le tribunal cantonal a admis que le recourant n’exerçait pas durablement une activité lucrative à plein temps. Tout en admettant que le calcul individuel de la caisse sur l’année 2014 n’était formellement pas faux, le tribunal lui a reproché d’avoir procédé au calcul comparatif selon l’art. 28bis RAVS en 2014, première année de gain dans l’activité indépendante, alors que les années précédentes avaient donné lieu à perception de la cotisation minimale, ce qui aboutissait à un résultat choquant et contradictoire. La situation professionnelle de l’assuré n’avait en effet pas changé entre ces deux périodes et la caisse devait procéder à une appréciation globale et fixer les cotisations en tant qu’indépendant.
Saisi du recours de la caisse, le TF casse le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de la caisse. Il confirme qu’avec à peine 400 heures facturées sur l’année, l’administré ne réalise pas la moitié d’une activité à plein temps, estimée à plus de 900 heures, ceci indépendamment des raisons pour lesquelles son revenu est aussi bas. Si une personne n’exerce pas durablement une activité à plein temps, il faut procéder à la comparaison des cotisations selon l’art. 28bis RAVS. Contrairement à ce que pense l’instance inférieure, il n’est pas possible de renoncer à cette comparaison et de procéder à une appréciation globale. Le fait que la cotisation pour l’année 2015 ait de nouveau été fixée en fonction du revenu de l’activité lucrative n’est pas pertinent car cette fixation résulte du calcul comparatif de l’art. 28bis RAVS et du fait que les cotisations prélevées sur le résultat de l’activité lucrative étaient supérieures à la moitié des cotisations calculées pour une personne sans activité lucrative. Enfin, le TF relève qu’il n’est pas exclu que la caisse aurait fixé les cotisations des années 2008 à 2013 de manière analogue si elle avait pu sauvegarder le délai de péremption de l’art. 16 LAVS.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 8C_130/2021 du 13 octobre 2021
Assurance-invalidité; mesures médicales, traitement dentaire stationnaire, tarification; art. 13, 14, 26bis et 27 LAI
C’est à juste titre que les prestations d’un dentiste pour des soins dispensés lors du séjour stationnaire d’une personne assurée ayant droit aux mesures médicales conformément à l’art. 13 LAI ont été rémunérées sur la base du tarif SwissDRG, et non sur celle du tarif dentaire SSO.
Les tarifs conclus en application de l’art. 27 al. 1 LAI sont des contrats-cadres qui ne créent pas à eux seuls des relations contractuelles entre l’AI et le fournisseur de prestations. Le contrat de mandat (art. 394 ss CO) entre ces deux partenaires est conclu dans chaque cas concret, en principe par acte concluant, le fournisseur de prestations acceptant de fournir les prestations que la personne assurée s’est vu octroyer par communication de l’assurance sociale. Le mandat règle la question de la nature et de l’ampleur des mesures médicales, et le contrat-cadre complète ce contrat en réglant la question de la tarification et de la protection tarifaire (c. 3.4).
Le tarif SwissDRG, destiné à la facturation des traitements stationnaires en soins aigus, est entré en vigueur dans le domaine de la LAMal au 1er janvier 2012. Bien que la situation soit moins claire dans le domaine de l’AI en raison des difficultés intervenues dans les négociations entre partenaires tarifaires (cf. c. 3.8), SwissDRG s’applique en principe aussi pour la facturation des traitements stationnaires pris en charge par cette assurance sociale. En l’espèce, s’agissant de la clinique dans laquelle le traitement avait été dispensé à la personne assurée, l’application de SwissDRG avait été convenue à partir du 1er juillet 2013, soit avant le traitement litigieux, intervenu en juillet 2014.
Dès lors que le tarif dentaire SSO ne confère aucun droit aux membres de la SSO de se voir confier des traitements, l’AI est libre, dans les cas particuliers, de conclure des mandats avec les fournisseurs de prestations de son choix. En l’espèce, elle a confié le mandat à un établissement de soins (la clinique), et non à l’un ou l’autre de ses médecins agréés (c. 5.1.2). Le fournisseur de prestations est donc la clinique, et non le médecin. En conséquence, les prestations – stationnaires – devaient être facturées selon le tarif SwissDRG, et non selon le tarif SSO, qui n’a plus vocation qu’à s’appliquer aux prestations fournies de manière ambulatoire (c. 5.1.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_234/2021 du 09 octobre 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; procédure, question juridique de principe, faute grave; art. 59 al. 1 LCR; 74 al. 2 let. a LTF
B. et A., sa fille âgée de 5 ans, ont traversé une route principale en dehors d’un passage pour piétons. Il s’en est suivi une collision avec une moto conduite par C. et A. a notamment été gravement blessée des suites de cet accident.
Sur le plan procédural, la piétonne A. justifie son recours au TF, nonobstant le fait qu’il s’agisse d’une action partielle d’une valeur litigieuse inférieure à CHF 30’000.-, par le fait que la contestation soulèverait une question juridique de principe au sens de l’art. 74 al. 2 let. a LTF. Le TF rappelle qu’il convient de se montrer restrictif dans l’admission d’une dérogation à l’exigence de la valeur litigieuse minimale au sens de l’art. 74 al. 1 let. a et b LTF. Il faudrait donc que pour résoudre le cas d’espèce, il faille trancher une question juridique qui donne lieu à une incertitude caractérisée, laquelle appelle de manière pressante un éclaircissement de la part du TF en tant qu’autorité judiciaire suprême chargée de dégager une interprétation uniforme du droit fédéral. En l’occurrence, ces conditions ne sont pas réalisées, notamment parce que, de façon générale, les questions sur la notion de faute en matière de responsabilité civile se mesurent toujours en fonction des circonstances d’un cas particulier (c. 1.3).
Au surplus, le TF confirme néanmoins que l’admission par la dernière instance cantonale d’une faute grave de B. et d’une absence de faute de la part du motard C. n’avait rien d’arbitraire. En effet, pour rejoindre un arrêt de bus situé de l’autre côté de la route, B. a traversé ladite route en dehors d’un passage pour piétons en plein virage, avec sa fille de 5 ans et deux sacs de commissions. Il s’agissait par ailleurs d’une route cantonale dont la vitesse était limitée à 80 km/h sur laquelle les véhicules circulaient en nombre à grande vitesse, qui était de plus en légère pente, cela en fin de journée avec une visibilité limitée du fait de la position du soleil se trouvant à l’horizon. Cette manœuvre constituait à l’évidence une faute grave. De surcroît, lorsque B. s’est rendu compte de l’arrivée imminente de la moto, elle a quand même cherché à traverser la route, alors qu’il aurait été plus court et rapide de revenir sur ses pas. Quant au motard C., le fait qu’il n’ait pas réussi à s’arrêter à temps pour éviter la collision ne saurait en l’espèce être considéré comme une faute (c. 2.4.3 et 2.4.4).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge



TF 6B_981/2020 du 08 octobre 2021
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, causalité adéquate, interruption, art. 117 CP
Un homicide par négligence a été retenu à l’encontre du surveillant d’un aérodrome ayant placé son véhicule de service au travers de la piste d’atterrissage pour empêcher deux motocyclistes de poursuivre leur course de vitesse. Selon l’état de fait retenu par la cour cantonale, le motocycliste ne disposait pas de la visibilité suffisante pour s’apercevoir à temps de la présence de l’obstacle. Il est entré en collision avec le véhicule, placé au centre de la piste sans aucun dispositif particulier permettant d’attirer l’attention des usagers. La cour cantonale a retenu que l’auteur avait violé les devoirs élémentaires de prudence qui s’imposaient à lui. Le respect des règles de sécurité ne l’autorisait pas à créer un état de fait dangereux à même de provoquer l’accident qui s’est produit. L’auteur devait s’attendre à ce que la victime qui avait emprunté la voie dans un sens, sans obstacle, ferait le chemin inverse. Pour interrompre le lien de causalité, le comportement de la victime doit constituer une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaissant si extraordinaire qu’il ne pouvait être prévu.
Le TF rappelle que le caractère imprévisible du fait concomitant n’est pas suffisant pour interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l'auteur. La théorie du risque consciemment assumé par la victime (« eigenverantwortliche Selbstgefährdung ») n’est pas applicable en l’espèce, le risque ayant été directement créé par l’auteur.
Selon le TF, la question de l’application des normes du droit de la circulation à la piste de l’aérodrome peut demeurer indécise dans le cas d’espèce, au vu de l’état de fait dangereux créé par l’auteur, lequel ne peut se prévaloir non plus du principe de la confiance dégagé de l’art. 26 LCR.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 4A_349/2021 du 07 octobre 2021
Responsabilité aquilienne; procédure, expertises, récusation de l’expert, recours contre une décision incidente; art. 92 LTF
En application de l’art. 92 LTF, le recours dirigé à l’encontre d’une décision incidente portant sur la récusation d’un expert est admissible pour prévenir l’exploitation de conclusions d’un expert partial. Cette disposition ne s’applique pas aux décisions portant sur la récusation demandée après la réalisation de l’expertise. La question qui se pose dans un tel cas est celle du caractère exploitable de la preuve (c. 2.1).
La procédure tendant à la récusation de l’expert après le dépôt des conclusions écrites, au sens de l’art. 187 al. 1 CPC, avant d’éventuelles questions complémentaires à ce dernier conformément à l’art. 187 al. 4 CPC, ne justifie pas davantage de reconnaître un recours séparé au TF se fondant sur l’art. 92 LTF.
Il en irait différemment si les motifs de récusation avaient été invoqués au moment de la nomination de l’expert ou à l’occasion d'une inspection effectuée par celui-ci, soit avant l'expertise (cf. c. 3c).
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel



TF 6B_388 et 392/2020 du 30 septembre 2021
Responsabilité aquilienne; faute, homicide par négligence, exploitant d’une piscine, maître-nageur, position de garant, devoir de diligence, causalité adéquate; art. 117 CP
Le gérant B. et le maître-nageur C. d’une piscine valaisanne ont été reconnus coupables d’homicide par négligence, et tenus pour responsables de la noyade et du décès d’une fillette de 9 ans, survenus le 18 août 2013. Comme ils avaient été acquittés en instance cantonale, un recours a été porté devant le TF tant par les parents de la fillette que par le Ministère public. Les oncle et tante de la victime, qui avaient été condamnés à la même peine pour avoir négligé de surveiller leur nièce, n’ont pas fait recours, de sorte que le jugement de première instance leur reste applicable.
La Cour pénale II du Tribunal cantonal valaisan avait relevé, de manière à lier le TF, qu’un nombre important d’éléments étaient demeurés incertains à l’issue de l’instruction. Ainsi, il n’avait pas été possible de déterminer ni précisément où la victime avait coulé, ni l’endroit exact où elle avait été retrouvée. Elle a en outre retenu que les actes de la cause ne permettaient pas non plus d’établir que la victime avait déjà sombré lorsque son oncle a demandé à C. s’il avait aperçu sa nièce, semble-t-il, juste après avoir été lui-même interpellé à ce sujet par une amie de sa fille aînée. Il ressort à cet égard du jugement entrepris que C. s’était alors rendu au bord de la piscine, avait vérifié le bassin et n’avait rien remarqué.
Le moment précis où la victime a sombré, tout comme le laps de temps durant lequel elle est restée inanimée dans l’eau étaient eux aussi restés indéterminés. Les actes de la cause ne permettaient pas d’établir les motifs pour lesquels cette dernière avait perdu le bas de son maillot de bain et avait déféqué. Les médecins légistes ne s’étaient pas exprimés sur ce point et n’étaient pas non plus parvenus à établir l’origine de la noyade. On ignorait en particulier si la victime avait sombré subitement et sans lutte contre l’eau à la suite d’un malaise. Enfin, l’instruction n’avait pas non plus permis d’établir quelle était l’activité exercée par C. au moment précis où la victime avait sombré, même s’il est établi que le prénommé encaissait une finance d’entrée lorsqu’une personne qui se trouvait dans l’eau, au sud du bassin, avait donné l’alerte. Avant le drame, il n’avait pas vu la victime, alors qu’elle se trouvait dans la partie profonde du bassin, plonger, émerger, remettre la tête sous l’eau et agiter les bras au-dessus de sa tête, mais avait toutefois constaté la présence de P., du frère de cette dernière et de Q. Il avait aperçu les échanges de ballon entre les frère et sœur et observé cette dernière pénétrer dans le bassin. Il était ainsi, selon la Cour cantonale, attentif aux baigneurs.
Le TF retient que le jugement attaqué met en évidence une impossibilité d’établir une chronologie globale et précise de l’ensemble des événements et des différentes actions des personnes présentes sur les lieux du drame. Il considère que c’est à juste titre que la cour cantonale s’est focalisée sur déposition de P., décrite comme étant très vraisemblablement la dernière personne à avoir observé la victime en vie, et dont la déposition permettait d’établir une continuité des événements, en l’occurrence circonscrite entre le moment où elle a aperçu la victime se rendre dans la partie profonde du bassin jusqu’à celui où elle a sombré, respectivement celui où la prénommée s’est aperçue qu’elle gisait au fond du bassin. S’agissant du grief de l’appréciation erronée des faits, les moyens appellatoires soulevés par les parents de la victime et par le Ministère public ont été écartés dans la mesure de leur recevabilité.
Le TF rappelle la jurisprudence portant sur les art. 12 al. 3 CP et 117 CP. Il développe la jurisprudence nourrie rendue s’agissant du devoir de diligence relatif à la sécurité et à la surveillance des installations de bains publics et rappelle le principe suivant : « Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de souligner, dans sa jurisprudence, qu’il appartient à l’exploitant d’une piscine publique de permettre à l’usager d’utiliser les installations mises à sa disposition sans qu’il en résulte un préjudice pour sa santé ou son intégrité corporelle. Il lui incombe de prendre toutes les mesures raisonnables et nécessaires commandées par les circonstances pour lui assurer la sécurité voulue. Outre de la sécurité des installations elles-mêmes (normes de construction, qualité de l’eau, etc.), les mesures de sécurité requises concernent également la surveillance des usagers, en particulier aux endroits les plus dangereux (bassins, plongeoirs, etc.). Celle-ci revêt un caractère essentiel et implique, de la part du gardien, une attention soutenue, depuis le bord ou à proximité de la piscine, à l’égard de tout acte ou événement insolite ou pouvant présenter un danger, pour autant qu’il soit perceptible. Le gardien doit ainsi être en mesure d’intervenir de façon immédiate dès qu’une anomalie ou un danger lui est signalé par toute personne l’ayant perçu. Il incombe à l’exploitant, respectivement au gardien, d’interdire les bousculades, de veiller à ce que les baigneurs ne se poussent pas à l’eau et de s’assurer que celui qui tombe dans un bassin sait bien nager. Le Tribunal fédéral a toutefois considéré que la diligence à observer dans la surveillance ne peut pas raisonnablement porter sur tous les actes des usagers, même lorsqu’ils se trouvent dans l’eau. Il n’appartient pas au gardien de vérifier que chaque baigneur reste en surface, ou s’il est sous l’eau, qu’il remonte à temps. Le risque lié à l’usage normal de l’eau, ou à son usage apparemment normal, doit être assumé par le nageur lui-même ou par ceux qui ont une autorité directe sur lui. L’exploitant, respectivement le gardien, n’est tenu d’intervenir que si le risque encouru se concrétise ».
Aux considérants 4.2, 4.3 et 4.5 de l’arrêt, le TF se penche sur le cas d’espèce. Il retient qu’il est constant que les intimés aient été mis en cause pour diverses omissions au niveau de l’organisation et de la mise en œuvre des mesures de surveillance de l’installation de bains. Dès lors que B. était le supérieur direct de C. et que sa tâche dans l’organisation interne était d’assurer la surveillance et l’ordre par des personnes qualifiées, le TF retient que la cour cantonale a considéré à juste titre que la position de garant du premier à l’égard des utilisateurs de la piscine ne souffrait aucun doute. Il en va de même en ce qui concerne le second, en sa qualité de maître-nageur affecté à la surveillance de l’installation. Sur cette base, la question litigieuse est celle de savoir s’il y a en l’occurrence matière à leur imputer des manquements au niveau de la surveillance, que ce soit en termes d’organisation ou en ce qui concerne sa mise en œuvre effective, et, dans l’affirmative, si les éventuels manquements constatés ont joué un rôle causal par rapport au décès de la victime (c. 4.2).
A cet égard, la cour cantonale a relevé, en substance, que B. avait mis à disposition des usagers une installation exempte de défaut, notamment en ce qui concerne la qualité de l’eau et l’hygiène. Il avait également voué l’attention nécessaire au choix du surveillant, à savoir C., qui disposait des qualifications et des compétences requises. Le premier avait attiré l’attention du second sur son « plus grand souci », soit le respect des normes. Tous deux avaient ainsi évoqué les dispositions en la matière. La cour cantonale en a conclu que B. s’était en ce sens conformé aux obligations de l’exploitant. S’agissant de la surveillance en tant que telle (cf. art. 10 ss VHF), la cour cantonale a considéré que la présence d’un seul gardien était en principe suffisante, compte tenu de la fréquentation relativement peu importante de l’installation et du fait qu’elle ne comportait qu’un seul bassin. Elle a également jugé que, depuis sa position de surveillance principale, C. disposait d’une vue d’ensemble du bassin, à l’exception de l’escalier d’accès situé au nord-ouest, dans sa partie peu profonde. Un pas de côté lui permettait également de couvrir cet endroit. Depuis la « loge de surveillance », il disposait également, suivant sa position, d’une vue sur la zone présentant un danger accru, soit en deçà de la ligne peinte en noir. En outre, le prénommé se déplaçait régulièrement et effectuait des tournées de contrôle qui lui permettaient de changer d’angle de vue et bénéficiait de surcroît, en sus du contact visuel, d’un contact acoustique qui lui avait en l’occurrence permis d’intervenir immédiatement lorsque l’alerte avait été donnée, en empruntant la porte qui, du local d’accueil, donnait sur le bassin, situé à moins de 2 m. La cour cantonale en a conclu que, sous cet angle, la surveillance était organisée conformément aux règles de l’art.
La cour cantonale a en revanche considéré que la tâche relative à l’accueil des usagers (y compris le contrôle des laissez-passer et l’encaissement des entrées) également assumée par le maître-nageur, bien que marginale, était de nature à détourner son attention, ponctuellement et pour une très courte durée, de la surveillance des baigneurs. Elle impliquait un court laps de temps durant lequel C. ne veillait pas à la sécurité des usagers. La cour cantonale a dès lors considéré qu’en l’absence de mesures destinées à pallier ces interruptions de la surveillance, les intimés avaient violé leur devoir de prudence (cf. art. 16 VHF) sur ce point particulier. Elle n’en a pas moins considéré que cette violation du devoir de prudence n’avait pas joué de rôle causal dans le déroulement du drame, eu égard, en particulier, au fait qu’aucun comportement insolite ou dangereux justifiant une attention soutenue du gardien à l’égard de la victime n’avait été constaté, mais aussi dans la mesure où il n’avait pas pu être établi que C. était occupé à cette tâche d’accueil au moment précis où la victime avait coulé. Au surplus, aucun manquement ne pouvait être imputé au gardien une fois l’alerte donnée, sachant qu’il est intervenu immédiatement, a ramené le corps de la victime à la surface et a pratiqué une assistance cardiaque et respiratoire jusqu’à l’arrivée des secours héliportés. La cour cantonale a enfin rappelé que l’origine de la noyade n’avait pas pu être déterminée, en ajoutant que l’on ignorait si la victime avait sombré subitement et sans lutte contre l’eau à la suite d’un malaise. Elle en a conclu que les intimés devaient être acquittés (c. 4.3).
Le TF rappelle que si la jurisprudence rendue a souligné l’importance de la surveillance des installations de bains et la rigueur qui devait y être associée, elle n’en a pas moins défini des limites claires, en premier lieu par rapport à la surveillance en tant que telle, en soulignant qu’elle ne pouvait raisonnablement porter sur tous les actes des usagers, et en second lieu par rapport au fait que le risque lié à l’usage normal de l’eau relève d’abord et avant tout de la responsabilité individuelle du nageur lui-même ou de ceux qui assument un devoir de garde ou de protection à son égard. Ces éléments sont du reste explicitement repris par les normes VHF, auxquelles la cour cantonale s’est référée, et qui font elles aussi figurer la responsabilité propre des usagers ou de ceux à qui en incombe la garde parmi les premières règles en la matière (cf. art. 3 à 5 VHF). Sur ce point, la cour cantonale n’a d’ailleurs pas manqué de relever que C. avait expressément attiré l’attention de l’oncle de la victime sur la nécessité d’avoir constamment les enfants à l’œil.
En ce qui concerne l’organisation de la surveillance, le TF retient que la cour cantonale a considéré à juste titre que la taille et la fréquentation somme toute modestes de l’installation permettaient d’admettre, en principe, que la présence d’un seul gardien était suffisante (cf. ATF 113 II 424 c. 1c [présence d’un gardien pour une piscine enregistrant quotidiennement une cinquantaine d’entrées] ; cf. aussi art. 14 VHF), puisqu’il est en l’occurrence question d’une installation ne comportant qu’un seul bassin de 18 m 60 par 10 m pour 2 m 80 de profondeur au maximum, fréquenté en moyenne quotidienne par une trentaine de personnes durant les six à sept heures d’exploitation. La motivation cantonale ne prête pas non plus le flanc à la critique s’agissant du lieu d’où la surveillance était exercée, sachant qu’il a été retenu de manière à lier le TF (art. 105 al. 1 LTF) que C. l’exerçait principalement depuis la porte de sa loge, qu’il était en mesure d’y observer le bassin dans sa presque totalité, qu’il avait vue sur la partie profonde du bassin depuis la loge elle-même, qu’il se déplaçait régulièrement et qu’en sus du contact visuel, le contact auditif était également assuré. On ne saurait davantage reprocher à la cour cantonale d’avoir retenu que le prénommé était attentif aux baigneurs. En l’absence de comportement insolite ou dangereux, elle était fondée à considérer que ce dernier n’avait pas à porter une attention accrue sur la victime. Au demeurant, face à un accident de ce type, on ne saurait déduire un manque d’attention du seul fait que le gardien n’a pas vu la victime avant qu’elle sombre, sauf à verser dans un raisonnement circulaire consistant à retenir un manque de diligence du fait même de la survenance d’un accident. Il n’est de surcroît pas établi que la victime serait, après avoir sombré sans que personne ne s’en aperçoive, demeurée immergée de longues minutes, ce qui aurait certes pu constituer une circonstance insolite. Toutefois, à défaut d’un tel constat, on ne peut donc rien reprocher à C. sous cet angle. Son comportement une fois l’alerte donnée n’est pas non plus en cause.
S’agissant enfin de la question de l’interruption de la surveillance liée à l’accueil des usagers (cf. art. 16 VHF), au contrôle des laissez-passer et à l’encaissement des entrées également assumés par C., le TF admet avec la cour cantonale que cette situation impliquait, de manière générale, un court laps de temps durant lequel le prénommé ne veillait pas à la sécurité des baigneurs. Il est constant également qu’aucune mesure spécifique n’a été prise, ni par C. ni par son supérieur B., pour pallier cette situation. La cour cantonale a donc retenu, en soi à juste titre, une violation par omission du devoir de prudence imputable à ces derniers. Mais au final, s’agissant de l’éventuelle causalité hypothétique entre le manquement retenu et le décès de la victime, le TF a retenu qu’il était certes établi que le maître-nageur encaissait une finance d’entrée au moment où l’alerte a été donnée, mais qu’il n’a pas été établi qu’il accomplissait une telle tâche lorsque la victime a sombré, sachant que le moment précis auquel cela s’est produit n’a pas pu être établi. Ainsi, il n’a pas pu être retenu la très grande vraisemblance exigée par la jurisprudence pour considérer un lien de causalité hypothétique entre l’omission concrètement imputée aux intimés, à savoir l’absence de mesures destinées à pallier les brèves interruptions de la surveillance, liées à l’accueil des usagers et le décès de la victime. Et le TF de préciser que la simple possibilité que des mesures idoines l’eussent empêché ne suffit pas. Il confirme donc l’acquittement de l’exploitant de la piscine et de son maître-nageur.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne


TF 4A_72/2021 du 28 septembre 2021
Assurances privées; assurance RC professionnelle, interprétation, étendue de la couverture d’assurance, clause insolite; art. 33 LCA; 2 et 8 CC
Le litige porte sur l’interprétation d’une clause contractuelle d’assurance entre une société financière (la recourante) et son assurance responsabilité professionnelle, qui a refusé d’entrer en matière sur la demande d’indemnisation de la recourante. La cour cantonale l’avait préalablement déboutée, faute pour celle-ci d’avoir été en mesure de démontrer la survenance d’un cas d’assurance (c. 6.1).
Le TF rappelle la règle d’interprétation des contrats selon le principe de la confiance. Il convient, en premier lieu, de procéder à une interprétation selon les termes convenus en fonction du contexte et des circonstances de la conclusion du contrat et non sur la base d’éléments isolés. Il est généralement présumé que les parties conviennent d’en faire une application raisonnable et appropriée (c. 6.3.1).
En droit de la responsabilité civile, il ne suffit pas d’inférer qu’une créance en responsabilité résulte de manière générale de l’activité commerciale assurée pour en déduire un droit de couverture assurantiel. Il faut également un lien de causalité entre la fourniture de service dans le cadre de l’activité commerciale définie et la responsabilité civile qui en découle. Dans le cas d'espèce, le TF retient que la clause litigieuse comporte trois conditions : (i) un dommage résultant de prétentions formulées par des tiers contre le preneur d’assurance, au titre de la responsabilité civile ; (ii) la responsabilité civile doit résulter des activités et services prévus dans le contrat d’assurance ; et (iii) ces activités doivent être en lien avec l’activité commerciale de l’assuré. Le TF considère que de telles conditions sont habituelles et claires (c. 6.3.2).
Dès lors que l’application des conditions discutées mènent à un résultat clair, qui ne fait subsister aucun doute, la recourante ne saurait se prévaloir de la clause de règle insolite (c. 6.3.4).
En matière de couverture et de limitation des risques, dans le cadre de contrats d’assurance, le TF procède à une dichotomie. La première est dite « limitation primaire » et dépend d’une description positive du risque. Dans ce cas, le fardeau de la preuve incombe au preneur d’assurance, qui doit prouver que le dommage allégué entre dans le champ d’application de la couverture d’assurance, mais il lui appartient également de démontrer le lien de causalité entre le service ou l’activité définie contractuellement et les prétentions en responsabilité civile formulées à son encontre, respectivement le dommage. La seconde limitation est dite « limitation secondaire » et consiste à énumérer de manière négative des événements ou des situations expressément exclus du contrat. Dans ce dernier cas de figure, c'est à l'assurance de prouver le cas d'exclusion (c. 6.4.1).
L’art. 33 LCA concrétise la règle de la clause insolite et ne trouve application qu’en cas de résultat d’interprétation ambigüe ou équivoque, ce que la recourante n’a pas été en mesure de démontrer (c. 6.4.2).
Il appartient au preneur d’assurance de faire valoir de manière suffisamment étayée le lien de causalité nécessaire entre les prestations fournies et le dommage allégué de responsabilité civile, sous peine de voir ses prétentions refusées (c. 7.1).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 6B_138/2021 du 23 septembre 2021
Responsabilité aquilienne; omission, faute, causalité; art. 125 et 219 CP
Un étudiant de 15 ans, interne dans un collège privé, est rentré dans l’établissement un vendredi soir vers 20h, dans un état laissant soupçonner une alcoolisation. L’éthylotest auquel l’avait soumis le maître de l’internat avait révélé une alcoolémie de 1.4 o/oo, de sorte qu’il avait averti l’étudiant qu’il en informerait sa famille. Le jeune homme avait alors regagné sa chambre où il devait préparer ses affaires pour le week-end. Un peu plus tard, un autre élève et le maître de l’internat, alerté par le premier qui avait constaté que la chambre était verrouillée, avaient découvert que l’étudiant alcoolisé s’était jeté par la fenêtre. Il y avait aussi du sang sur le balcon. L’étudiant avait déjà eu des épisodes d’alcoolisation aux dires de deux autres étudiants et était en conflit avec sa famille, particulièrement avec son père, ce qui expliquait son inquiétude que ce dernier fût mis au courant de son état. Le malheureux, tombé de 15 mètres, a présenté de graves séquelles.
Le lésé a recouru jusqu’au TF contre une ordonnance de non entrée en matière rendue par le MP, qui estimait qu’aucune infraction ne pouvait être reprochée au maître d’internat. Après avoir rappelé les conditions de l’art. 219 CP (supposant notamment une mise en danger concrète, mais non forcément une atteinte à l’intégrité corporelle), le TF a admis que le maître d’internat occupait une position de garant au sens de la disposition précitée, ainsi que de l’art. 125 CP, le lésé ayant été blessé. Le TF a aussi rappelé la notion de négligence découlant de l’art. 12 CP. Ainsi il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l’auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. Il faut que l’auteur ait, d’une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d’autre part, il n’ait pas déployé l’attention et les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir. Une des conditions essentielles pour l’existence d’une violation d’un devoir de prudence, et partant, d’une responsabilité pénale fondée sur la négligence, est la prévisibilité du résultat. Pour l’auteur, le déroulement des événements jusqu’au résultat doit être prévisible, au moins dans ses grandes lignes. C’est pourquoi il faut commencer par se demander si l’auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique la règle de la causalité adéquate. Le comportement incriminé doit être propre, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à produire ou à favoriser un résultat du type de celui qui est survenu. La causalité adéquate ne doit être niée que lorsque d’autres causes concomitantes, par exemple la faute d’un tiers, un défaut de matériel ou un vice de construction, constituent des circonstances si exceptionnelles qu’on ne pouvait s’y attendre, de telle sorte qu’elles apparaissent comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amender et notamment le comportement de l’auteur.
En l’occurrence, le TF a confirmé le bien-fondé de l’ordonnance de non entrée en matière. Vu les circonstances de fait (vidéosurveillance montrant le comportement auto-agressif de l’étudiant avant qu’il ne se jette dans le vide : va-et-vient de la chambre au balcon en prenant des repères, signes religieux, attente avant de sauter, couteau retrouvé avec du sang sur le balcon…), il était acquis qu’il ne s’agissait pas d’un accident mais d’un acte auto-agressif que rien ne laissait supposer. Ainsi, il n’y avait aucun indice par le passé lors des précédents états d’ivresse que l’étudiant agirait de cette manière. Il n’y avait eu aucune manifestation de colère ou de révolte ni encore de menace de se supprimer ou d’attenter à son intégrité corporelle si ses parents apprenaient sa consommation d’alcool. Son isolement prolongé dans sa chambre n’était pas de nature à susciter de crainte particulière pour sa sécurité, puisqu’il était censé regagner sa chambre pour préparer ses bagages pour le départ en week-end. Vu l’ensemble des circonstances, un défaut de surveillance ne pouvait être imputé au maître d’internat. Par ailleurs, l’intention auto-agressive du recourant, pour n’avoir pas été reconnaissable avant qu’il ne se rende dans sa chambre, aurait de toute manière rompu le lien de causalité entre cette éventuelle carence et le saut par-delà le balcon : comme le maître d’internat ne pouvait pas anticiper un comportement auto-agressif jamais manifesté par le passé (absence du moindre indice), alors que l’étudiant avait en plus pu malgré son alcoolisation revenir au collège, s’entretenir avec le maître d’internat, se soumettre à l’éthylotest, se confier à des camarades et rejoindre sa chambre, le lien entre l’alcoolémie du recourant et un geste auto-agressif, commis dans cet état, n’allait pas de soi. La notion de causalité adéquate n’avait donc pas été violée par la cour cantonale, de sorte que la question de savoir si la cour cantonale pouvait également exclure toute violation des devoirs de prudence pouvait rester ouverte, l’application de l’art. 219, voire 125 CP étant déjà exclue dans cette mesure.
Enfin, en l’absence de toute autre perturbation dans le comportement de l’étudiant, l’établissement scolaire n’avait pas failli à ses devoirs de prendre des mesures de sécurité qui s’imposent face à un danger en ne lui offrant pas un soutien thérapeutique, même s’il avait déjà été alcoolisé par le passé. En effet, le collège avait prévenu ses parents et mis en place un suivi particulier du recourant, à fréquence hebdomadaire. L’établissement scolaire n’était donc pas resté passif par rapport à la problématique de l’alcoolisation du recourant, étant par ailleurs relevé que la consommation d’alcool en soirée ne constitue pas encore une situation absolument exceptionnelle chez un adolescent.
Note de la soussignée :
Selon moi, le TF mélange dans cet arrêt les notions de négligence et de causalité adéquate. L’on rappellera en effet que, selon la doctrine et la jurisprudence, pour savoir si un fait est la cause adéquate d’un préjudice, le juge procède à un pronostic rétrospectif objectif : se plaçant au terme de la chaîne des causes, il lui appartient de remonter du dommage dont la réparation est demandée au chef de responsabilité invoqué et de déterminer si, dans le cours normal des choses et selon l’expérience générale de la vie humaine, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles, le cas échéant aux yeux d’un expert. La jurisprudence a précisé que, pour qu’une cause soit généralement propre à avoir des effets du genre de ceux qui se sont produits, il n’est pas nécessaire qu’un tel résultat doive se produire régulièrement ou fréquemment. L’exigence du caractère adéquat ne doit pas conduire à ne prendre en considération que les conséquences d’un accident qui sont habituellement à prévoir d’après le déroulement de l’accident et ses effets sur le corps humain. Il convient bien plutôt de partir des conséquences effectives et de décider rétrospectivement si et dans quelle mesure l’accident apparaît encore comme leur cause essentielle. Si un événement est en soi propre à provoquer un effet du genre de celui qui s’est produit, même des conséquences singulières, c’est-à-dire extraordinaires, peuvent constituer des conséquences adéquates de l’accident. Ce n’est précisément pas la prévisibilité subjective mais la prévisibilité objective du résultat qui compte (arrêt du 31 octobre 2003 5C.125/2003 c. 4.1 et 4.2 et références citées dont ATF 119 Ib 334 c. 5b, 112 II 439 c. 1d, ATF 112 V 30 c. 4b. DESCHENAUX/STEINAUER, La responsabilité civile, Berne 1982, N 33 s.). Le juge n’a ainsi pas à se demander si l’auteur aurait pu ou dû prévoir l’effet constaté : la prévisibilité (ex ante) ne peut jouer de rôle qu’en relation avec la faute (WERRO, La responsabilité civile, Berne 2017, 3e éd., N 264).
Dans le cas jugé, je suis d’avis que le TF aurait objectivement dû retenir, en tout cas dans une première phase, l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’atteinte à l’intégrité corporelle et le défaut de surveillance d’un étudiant alcoolisé en conflit avec sa famille, même s’il ne s’agissait pas d’un accident mais d’un acte auto-agressif. En effet, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles. En particulier, un acte d’auto-agression paraît de manière générale être favorisé par les effets désinhibiteurs de l’alcool couplés à un mal-être général (conflit avec la famille et le père, antécédents d’alcoolisation avec suivi de l’étudiant), de sorte qu’objectivement le défaut de surveillance/d’attention du maître de l’internat vis-vis de l’étudiant est en relation de causalité adéquate avec le résultat qui est survenu. Autre la question de savoir si, dans une deuxième phase, l’acte d’auto-agression, comme faute concomitante de l’étudiant, a rompu le lien de causalité adéquate entre l’omission du maître d’internat et le résultat qui est survenu. Le TF l’affirme en indiquant que la Cour cantonale n’a pas méconnu la notion de causalité adéquate (c. 4.3 i.f.), mais en confirmant une analyse se rapportant non pas à la notion de causalité adéquate (absence totale d’examen dans le cas particulier des conditions de la causalité adéquate, puis dans un second temps des conditions de la rupture du lien de causalité, à savoir faute grave et prépondérante de la victime reléguant à l’arrière-plan l’omission de l’auteur), mais en basant tout son raisonnement sur l’absence de possibilité de prévisibilité subjective et ex ante des faits par l’auteur (c. 4.2 et 4.3), et en concluant que l’on peut laisser la question de la violation des devoirs de prudence ouverte (c. 4.3 i.f.).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 9C_612/2020 du 22 septembre 2021
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, liste des spécialités (LS), caractère économique; art. 65b et 65d OAMal
Dans le cadre de la comparaison du caractère économique avec d’autres médicaments selon l’art. 65b al. 2 let. b OAMal, le TF a précisé ce qu’il fallait entendre par la même « gamme » de médicaments (cf. TF 9C_710/2020 du 10 août 2021 destiné à publication et résumé dans la Newsletter du mois d’octobre 2021). Par « gamme », il faut entendre notamment les différents dosages et tailles d’emballage d'un même médicament (même principe actif, composition essentiellement identique, indications identiques et informations sur le médicament concordantes, notamment même recommandation de dosage). En vertu de l’art. 65d al. 3 OAMal, le TF a ainsi admis un recours et renvoyé le dossier à l’OFSP, en reconnaissant que rien ne permettait d’interdire la comparaison, dans leur plus petit emballage, entre des comprimés filmés (« Filmtabletten ») et des gélules (« Kapseln »), selon le chiffre 4.7 des Instructions concernant la Liste des spécialités.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_339/2021 du 21 septembre 2021
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières maladie; art. 9 LCA; 243 al. 2 let. f et 247 al. 2 let. a CPC
Le directeur d’une Sàrl s’était assuré en septembre 2010 en perte de gain maladie (collective) pour un salaire fixe de CHF 90’000.- par année. En juillet 2011, il a annoncé à son assurance une incapacité de travail de 100 % débutant le 4 mai 2011. Avec effet au 1er mai 2012, l’assuré a été licencié de la Sàrl pour des raisons « économiques et de santé ». L’assurance a nié tout droit de l’assuré à des indemnités journalières pour perte de gain, en raison à la fois de l’art. 9 LCA et d’une interruption de couverture. Le litige porte donc principalement sur la question de savoir si c’est à bon droit que l’assurance perte de gain maladie s’est prévalue de l’art. 9 LCA (nullité du contrat), en d’autres termes si le sinistre était déjà survenu avant la conclusion du contrat en raison d’une maladie chronique des intestins diagnostiquée précédemment (« Pancolitis Ulcerosa »).
Lorsqu’il s’agit d’une assurance maladie, il convient de considérer que la maladie constitue le risque pour lequel une telle assurance est conclue. L’apparition de symptômes d’une maladie préexistante, respectivement la rechute d’une telle maladie, n’est pas considérée par la jurisprudence du TF comme une maladie indépendante, mais comme la continuation d’une maladie préexistante déjà survenue, en d’autres termes comme un risque déjà survenu au sens de l’art. 9 LCA (cf. ATF 127 III 21). A la suite des critiques émanant de la doctrine, le TF a relativisé cette jurisprudence à l’ATF 142 III 671.
En l’espèce, l’instance cantonale a estimé que la cause de l’incapacité de travail résidait bien dans la Pancolitis Ulcerosa diagnostiquée déjà en 2009. Il s’agissait d’une maladie chronique, pour laquelle l’assuré avait déjà été, en 2009, hospitalisé et incapable de travailler. Cette maladie et le traitement n’avaient, cependant, pas été signalés dans le questionnaire de santé rempli en 2010 auprès de l’assurance perte de gain par l’assuré. L’assuré fait valoir qu’il n’y avait pas de comparaison entre les fortes poussées de cette maladie (Pancolitis Ulcerosa), réellement diagnostiquée selon lui en mai 2011 seulement, et les premiers symptômes apparus précédemment. Au moment de la poussée de mai 2011, l’assuré fait valoir qu’il travaillait à plein temps et de manière indépendante. L’assuré se prévaut également de la nouvelle jurisprudence du TF (ATF 142 III 671) et soutient, dès lors, que doit être assurée l’apparition d’une incapacité de travail, indépendamment de la véritable maladie sous-jacente. De plus, il se prévaut de troubles supplémentaires, débordant du tableau clinique initial.
De l’avis du TF, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a considéré que l’assuré avait déjà, avant la conclusion du contrat, souffert à plusieurs reprises de Pancolitis Ulcerosa et qu’il avait été hospitalisé pour cela, tout en admettant qu’une hospitalisation englobait forcément une incapacité de travail, à tout le moins pour un séjour stationnaire en hôpital, même si elle n’avait alors pas formellement été attestée. Au passage, le TF précise que l’instruction et la mise en œuvre des preuves ne servent pas à combler les défauts d’allégation ou l’absence de « substantification », mais qu’au contraire les preuves nécessitent au préalable une allégation suffisante. Qu’il s’agisse de la procédure simplifiée soumise à la maxime inquisitoire (sociale), par application des art. 243 al. 2 let. f et 247 al. 2 let. a CPC, n’y change rien, car le juge ne doit aider les parties qu’avec un questionnaire plus approprié, d’autant plus lorsque la partie en question est représentée par un avocat. De la même manière qu’en procédure civile ordinaire, ce sont les parties qui doivent « alimenter » le procès.
En l’espèce, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a admis une incapacité de travail, à tout le moins partielle, ayant débuté avant la conclusion du contrat, même si certains certificats médicaux du médecin traitant semblaient indiquer un début d’incapacité de travail postérieur. Par conséquent, c’est à bon droit que l’art. 9 LCA a été appliqué dans le cas d’espèce et la couverture refusée.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion

TF 9C_614 et 615/2020 du 15 septembre 2021
Assurance-vieillesse et survivants; arriérés de cotisations pour des chauffeurs de taxi; art. 12 LAVS; 41bis al. 1 RAVS
La Caisse de compensation du canton de Zurich a réclamé à l’entreprise A. le paiement des charges sociales pour les années 2013 à 2016, avec intérêts moratoires, en lien avec huit chauffeurs de taxi considérés comme ses employés et donc qualifiés de travailleurs dépendants. Le Tribunal cantonal des assurances sociales a confirmé la décision de la Caisse, après avoir invité les chauffeurs de taxi à participer à la procédure et avoir tenu une audience publique, à laquelle les chauffeurs n’ont toutefois pas participé.
Sur recours de A., le TF confirme la décision de la Caisse. Il rejette le grief de A. concernant l’absence des chauffeurs de taxi à l’audience publique. Ce grief d’ordre procédural aurait dû être invoqué par A. dès que possible, soit dès le jour de l’audience, pour être recevable conformément au principe de la bonne foi (c. 3). A. a également échoué à remettre en question le statut de travailleurs dépendants de certains chauffeurs (c. 5.1). Finalement, selon le TF, la méthode de fixation des cotisations sociales de la Caisse ne prête pas le flanc à la critique, compte tenu des informations dont celle-ci disposait. A n’a d’ailleurs pas plaidé que le montant de CHF 3’000.- par mois pris comme base de calcul pour la fixation des cotisations aurait été surévalué (c. 5.2).
Le recours parallèle interjeté par l’un des chauffeurs concernés a été rejeté pour les mêmes motifs.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

TF 9C_132/2021 du 15 septembre 2021
APG COVID; indemnités pour indépendants, cas de rigueur; art. 6 et 10a O 2 COVID-19; 2 al. 3 et 3bis O APG COVID-19
La réglementation prise par le Conseil fédéral pour indemniser les personnes de conditions indépendantes pour les conséquences économiques de la crise sanitaire de la COVID-19 est exhaustive. Elle distingue entre les personnes indépendantes directement touchées par la fermeture de leur entreprise ou l’interdiction des manifestations qu’elles organisent, et les personnes indépendantes indirectement touchées, dont l’activité pouvait certes se poursuivre mais dont le travail, et donc les revenus, étaient néanmoins affectés par la pandémie (cas de rigueur). Dans ce cas, le Conseil fédéral a décidé de limiter le droit à une indemnisation aux personnes dont les revenus, en 2019, s’étaient élevés à un montant compris entre CHF 10’000.- et CHF 90’000.-. Il n’y a donc pas de lacune, contrairement à ce dont se prévalait la recourante, médecin dont l’activité avait été limitée aux actes urgents (c. 4.2 et 4.3).
La différence de traitement opérée entre les personnes dont l’activité a été totalement empêchée et celles dont elle n’a été que partiellement réduite, même dans une proportion importante (90 % en l’espèce) est justifiée (c. 5.3.1-5.3.3). Les effets de seuil induits par des limites de revenus sont un mécanisme bien connu de l’administration de prestations, en particulier des assurances sociales ; les limites de revenu fixées par le Conseil fédéral ne sont donc pas arbitraires (c. 5.3.4). La différence de traitement avec un médecin salarié occupant une position assimilable à celle de l’employeur, qui a pu toucher une indemnité de CHF 3'320.- dans le cadre des RHT, est également justifiée dès lors que contrairement au médecin indépendant, le médecin salarié a cotisé à l’assurance-chômage (c. 5.3.5). La liberté économique n’est pas non plus touchée (c. 5.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_625/2020 du 10 septembre 2021
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, soins de longue durée, financement résiduel, part cantonale, économicité; art. 25a al. 5 LAMal
Dans le cadre du financement résiduel des soins, la corporation publique, déterminée selon les dispositions cantonales applicables, peut examiner le caractère économique des prestations fournies, conformément aux principes généraux applicables dans le domaine de l’assurance obligatoire des soins (art. 32 ss LAMal). En d’autres termes, il n’existe pas un droit absolu pour le fournisseur de prestations à la prise en charge de la totalité des coûts. Seuls doivent être couverts par la collectivité publique les coûts respectant le caractère économique des prestations.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_278/2021 du 08 septembre 2021
Assurance-vieillesse et survivants; calcul des cotisations, revenu après la retraite, franchise de cotisation, art. 8 ss LAVS; 6quaterRAVS
Un avocat à la retraite (B.) a été payé par une association (A.) dont il est l’unique membre de la direction. La caisse de compensation a qualifié le montant versé de salaire et a prélevé des cotisations sur ce dernier (sous déduction de la franchise de cotisation de CHF 16’800.- par an). A. et B. ont tous deux recouru contre cette décision ainsi que contre la décision du Tribunal des assurances sociales zurichois.
Le TF relève que la franchise de cotisation pour le revenu des personnes ayant atteint l’âge de la retraite au sens de l’art. 6quater RAVS doit être imputée séparément sur le revenu provenant d’une activité indépendante et sur le revenu provenant d’une activité dépendante si l’assuré(e) dispose de revenus qui proviennent de ces deux catégories (c. 2.1).
Par conséquent, le motif des versements de l’association au membre unique de sa direction doit nécessairement être examiné en l’espèce. Les relations contractuelles qui lient les parties constituent un indice mais elles ne peuvent toutefois pas être l’élément déterminant pour distinguer un revenu dépendant d’un revenu indépendant (c. 2.2). Selon le TF, il n’y a pas de raison de s’écarter de la distinction du droit fiscal. Même si les caisses de compensation ne sont pas tenues par les déclarations d’impôts, elles statuent généralement sur cette base et ne procèdent à une investigation que lorsque les déclarations d’impôts semblent raisonnablement erronées (c. 2.3).
En espèce, la caisse de compensation a accepté pendant des années que B. déclare le revenu qu’il percevait de l’association comme un revenu provenant d’une activité indépendante et qu’il paie des cotisations sociales comme indépendant. Partant, avant de rendre sa décision, la caisse de compensation aurait au moins dû consulter le dossier de B. pour contrôler si ce dernier avait déjà payé les cotisations (c. 4.2).
En outre, le TF relève qu’il est possible de distinguer salaire (revenu perçu comme organe de l’association) et honoraires (revenu provenant d’une activité indépendante, comme p. ex. honoraires d’avocat), mais constate que le dossier est lacunaire (c. 4.5).
L’affaire est renvoyée à la caisse de compensation pour une nouvelle décision.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 9C_42/2021 du 01 septembre 2021
Prestations complémentaires; prestation complémentaire annuelle, calcul du droit, contributions d’entretien non fixées par le juge, légalité des DPC; art. 9 al. 2 et 10 al. 3 let. e LPC; 8 OPC-AVS/AI
Conformément à l’art. 9 al. 2 LPC, le calcul du droit à la PC prend notamment en compte les dépenses et les revenus des enfants qui ont droit à une rente pour enfant de l’AVS ou de l’AI. Lorsque, comme en l’espèce, le bénéficiaire ne touche pas de rente AI, mais uniquement une allocation pour impotent (API), cette disposition ne s’applique pas (silence qualifié du législateur ; c. 3.2).
Conformément à l’art. 10 al. 3 let. e LPC, les pensions alimentaires versées en vertu du droit de la famille sont prises en compte au titre des dépenses reconnues. Selon la jurisprudence constante, seules les pensions alimentaires fixées judiciairement ou contractuellement quant au principe et au montant, de surcroît effectivement versées, peuvent être prises en considération.
Les DPC ont été modifiées au 1er janvier 2017 pour tenir compte de l’entrée en vigueur du nouveau droit de l’entretien de l’enfant. Le chapitre 3.2.7.2 traite désormais des contributions d’entretien qui n’ont pas été approuvées ou fixées par une autorité ou par le juge. Les prestations d’entretien fondées sur le droit de la famille dues et effectivement versées aux enfants (et qui n’interviennent pas dans le calcul au sens du N 3124.07) sont également prises en compte comme dépenses si elles n’ont pas été approuvées ou fixées par une autorité ou par le juge (N 3272.01). Les PC versées sur la base d’une allocation pour impotent ou d’une indemnité journalière de l’AI doivent toujours, au chapitre des dépenses, comprendre une contribution d’entretien fondée sur le droit de la famille pour les enfants mineurs et pour les enfants majeurs jusqu’à 25 ans qui n’ont pas encore achevé leur formation. Si les enfants font ménage commun avec le bénéficiaire de PC, le montant de la contribution d’entretien correspond à la différence entre le montant effectif des PC et le montant des PC qui aurait été versé sur la base d’un calcul global des PC comprenant l’enfant (N 3272.04).
Interpellé sur la légalité des N 3272.01 et 3272.04 DPC, le TF procède à leur interprétation et conclut à leur conformité avec l’art. 10 al. 3 let. e LPC, essentiellement pour des motifs relevant de l’égalité de traitement (c. 4.3). En conséquence, il y a lieu, lorsque le bénéfice des PC est octroyé en raison d’une API, de tenir compte dans le calcul du droit d’une contribution d’entretien pour les enfants mineurs faisant ménage commun avec le bénéficiaire. Le montant de la contribution d’entretien correspond à la différence entre le montant de la PC versée et le montant de la PC qui résulterait d’un calcul global avec l’enfant selon l’art. 9 al. 2 LPC (c. 5).
Le recours est admis et l’affaire renvoyée à l’organe PC pour nouvelle décision.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_117/2021 du 31 août 2021
Assurances privées; assurance perte de gain en cas de maladie, appréciation des preuves; art. 8 CC; 39 LCA
L’assuré souffre d’atteintes de nature neurologique et remet en cause l’appréciation des preuves réalisée par l’instance cantonale qui a fait prévaloir l’expertise privée commandée par l’assurance sur les avis de ses médecins traitants exerçant dans une clinique universitaire.
Une preuve est tenue pour rapportée lorsque le juge a pu se convaincre de la vérité d’une allégation. Ces principes, qui sont également applicables dans le domaine du contrat d’assurance, impliquent qu’il incombe à l’ayant droit d’alléguer et de prouver notamment la survenance du sinistre. Il arrive toutefois qu’une preuve stricte du sinistre puisse difficilement être exigée de l’ayant droit. La jurisprudence admet alors un « état de nécessité en matière de preuve » (« Beweisnot »), qui autorise un allègement des exigences dans ce domaine. Il suffit ainsi à l’ayant droit de démontrer que l’événement assuré s’est produit avec une vraisemblance prépondérante.
Une telle exception n’entre cependant pas en considération s’agissant d’une prétendue incapacité de travail qui peut, sans autre, être attestée au moyen de certificats médicaux. Dans ce domaine, les règles ordinaires en matière de preuve s’appliquent.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 9C_303 et 305/2021 du 25 août 2021
Assurance-vieillesse et survivants; conjoint indépendant n’exerçant pas durablement une activité lucrative complète; révision ou reconsidération d’une décision; exonération de l’obligation de cotiser; art. 3 al. 3 let. a et 10 LAVS; 28 et 28bis RAVS; 53 LPGA
A. (née en 1962) et B. (né en 1952) sont mariés. A. a été affiliée à la caisse de compensation comme indépendante depuis 2005 et B. n’exerce plus d’activité lucrative depuis octobre 2014. Il a atteint l’âge légal AVS de 65 ans en 2017.
La caisse de compensation a rendu des décisions relatives aux cotisations dues par A en qualité d’indépendante en octobre 2017, en octobre 2018, en janvier 2019 et en février 2020. Le 25 février 2020, la caisse de compensation a reconsidéré ses décisions pour 2015 à 2017 (art. 53 LPGA), les revenus déclarés par A. correspondant en réalité à la situation d’une personne n’exerçant pas durablement une activité lucrative complète. A. était dès lors tenue de s’acquitter de cotisations en tant que personne sans activité lucrative pour la période de 2015 à 2017. Les cotisations versées par cette dernière catégorie de personnes sont plus élevées que celles payées par une personne exerçant une activité lucrative indépendante modeste, puisqu’elles sont prélevées sur la base de la moitié de la fortune conjugale et des revenus sous forme de rente (art. 28 al. 4 et 28bis RAVS). La caisse de compensation a donc reconsidéré les décisions précitées par une décision du 25 février 2020, confirmée sur opposition le 28 avril 2020.
En parallèle, la caisse de compensation a qualifié B. de personne sans activité lucrative pour les années restantes jusqu’à l’âge de la retraite, soit de 2015 à 2017, et ses cotisations ont été calculées sur la base de la moitié de la fortune conjugale et des revenus de rentes.
A. et B. ont recouru séparément au Tribunal cantonal de Bâle-Campagne qui a annulé les décisions des 25 février et 28 avril 2020 au motif que si A. devait effectivement être considérée comme une personne n’exerçant pas durablement une activité lucrative complète, les conditions de la reconsidération n’étaient pas réalisées (art. 53 al. 2 LPGA). En parallèle, le Tribunal cantonal a considéré que B. aurait dû être exonéré de l’obligation de payer des cotisations selon l’art. 3 al. 3 let. a LAVS, à mesure que son épouse A. payait des cotisations supérieures au double de la cotisation minimale.
La caisse de compensation a formé un recours en matière de droit public devant TF contre les deux arrêts cantonaux. Selon le TF, les revenus de A. étaient si faibles qu’il n’était pas possible de conclure qu’elle payait des cotisations supérieures à la moitié des cotisations dues en tant que personnes sans activité. Un simple calcul comparatif permettait d’exclure la fixation des cotisations par ce biais. Une telle erreur dans la fixation des cotisations (supérieure à CHF 20’000.- par année) autorisait la reconsidération de ses décisions par la caisse (TF 9C_303/2021 c. 3.3.). Ainsi, B. ne pouvait, de ce fait, se prévaloir de l’art. 3 al. 3 let. a LAVS. En effet, selon la jurisprudence, le champ d’application de cette disposition ne s’étend pas aux assurés qui, comme A., réalisent un modeste revenu et sont considérés comme personnes n’exerçant pas durablement une activité lucrative complète (TF 9C_305/2021 c. 2.2.). En niant l’obligation de B. de verser des cotisations et en considérant que les décisions du 25 février et du 28 avril 2020 devaient être annulées, sans reconsidération possible, le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne a violé le droit fédéral. Les recours de la caisse de compensation ont été admis et les jugements du Tribunal cantonal annulé.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 4A_25/2021 du 24 août 2021
Responsabilité du détenteur d’animal; causalité, faits libératoires, preuve; art. 56 al. 1 CO; 8 CC
Effrayé par un engin agricole situé sur le côté de la route, un cheval attelé à un véhicule de transport de bière est pris de panique et heurte la remorque d’un vélo dans laquelle se trouvait une enfant alors âgée de cinq mois. Blessée, la victime, représentée par ses parents, ouvre une action partielle contre la brasserie, détentrice du cheval, ainsi que contre le voiturier. Le tribunal de première instance a admis l’action dirigée contre la brasserie et a rejeté celle ouverte contre le charretier. La Cour suprême du canton de Berne a admis le recours de la brasserie et a rejeté l’action partielle ; le rejet de l’action ouverte contre le voiturier n’avait en revanche pas été contesté en deuxième instance. La victime porte l’affaire devant le TF.
Après avoir rappelé les règles régissant la responsabilité du détenteur d’animaux (c. 2.1), le TF examine longuement si la preuve de l’exonération a été rapportée (c. 2.2 ss). Les juges de première instance avaient rappelé que, pour se soustraire à la responsabilité de l’art. 56 al. 1 CO, il appartenait au détenteur du cheval de prouver que le voiturier, en sa qualité d’auxiliaire, n’avait violé aucun devoir de diligence. Si cette preuve échouait, il devait alors prouver que l’accident se serait produit même si le voiturier avait agi avec la prudence à tous égards. Or, dans le cas présent, l’expert judiciaire avait laissé ouverte la question de savoir si celui-ci avait réagi correctement ; l’expert avait même vu une erreur potentielle de la part du voiturier et avait considéré qu’une violation du devoir de diligence était possible. Pour ce motif, la responsabilité du détenteur du cheval avait été admise (c. 2.4.3).
A l’opposé, les juges cantonaux ont considéré que la preuve de l’exonération avait été rapportée, rejetant dès lors l’action partielle (c. 2.5). La victime considère que, ce faisant, les juges cantonaux ont fait peser sur elle la preuve d’un manquement au devoir de diligence, alors qu’il appartenait au détenteur de l’animal d’apporter la preuve de son exonération (c. 2.6). Le TF abonde dans son sens. La preuve de l’exonération, rappelle-t-il, est soumise à des exigences strictes. Ainsi, le détenteur de l’animal ne peut se borner à soutenir qu’il a usé de l’attention habituelle ; il doit au contraire prouver qu’il a pris toutes les mesures qui étaient objectivement nécessaires et exigées par les circonstances. Si un doute subsiste sur ces circonstances disculpatoires, la responsabilité du détenteur doit être admise. Les juges cantonaux ont imposé à tort à la victime la charge d’alléguer et de prouver que le voiturier avait agi de manière appropriée ; il aurait appartenu au détenteur de prouver un comportement irréprochable de son voiturier et, ainsi, d’apporter la preuve exonératoire. S’ajoute à cela que la juridiction inférieure n’explique pas pourquoi le risque d’erreur de la part du voiturier devrait être purement théorique ; au contraire, l’expert a soulevé explicitement la question de savoir comment la bride était tenue et le cheval, retenu. Enfin, le détenteur ne peut tirer argument de l’arrêt du TF 4A_372/2019 du 19 novembre 2019 dès lors que cet arrêt ne concerne pas une question de droit, mais une objection sur les faits (c. 2.7). Il s’ensuit que le recours de la victime est admis et que le détenteur doit être condamné à lui verser le montant qui faisait l’objet de l’action partielle.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 6B_735/2020 du 18 août 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute, lésions corporelles par négligence, principe de la confiance; art. 125 CP; 26 LCR
En matière de circulation routière, le degré de diligence devant être adopté pour éviter de porter atteinte à autrui se détermine selon les règles de la loi sur la circulation routière et de ses ordonnances (c. 3.2.2). Le principe de la confiance qui découle de l’art. 26 LCR permet à un usager de la route se comportant régulièrement d’attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l’en dissuader, qu’ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c’est-à-dire ne le gênent pas ni ne le mettent en danger (c. 3.2.3). Cela vaut notamment pour l’usager d’un giratoire, à l’égard de ceux qui ne s’y sont pas encore engagés (c. 3.4.2).
Même en présence d’un trafic élevé, l’usager d’un giratoire n’est pas censé s’attendre à ce qu’un autre usager s’engage dans celui-ci d’une manière propre à lui couper la priorité. Dans ces circonstances, les lésions subies par l’usager prioritaire, dans le cadre d’une chute résultant de son freinage d’urgence, sont en lien de causalité naturelle avec l’engagement de l’autre usager dans le giratoire, même si celui-ci a en définitive stoppé son trajet si bien qu’une collision ne se serait pas produite même en l’absence du freinage d’urgence. Ne pouvant pas être certain que l’autre usager freinerait après s’être engagé sur un mètre dans le giratoire, l’usager prioritaire était à la fois en droit et obligé de prendre les précautions propres à éviter une éventuelle collision (c. 3.3.1-3).
L’usager du giratoire qui roule derrière un véhicule volumineux le cachant des usagers susceptibles de s’engager sur cet ouvrage n’est pas tenu de prendre des précautions particulières. Il appartient au contraire à celui qui entend pénétrer dans le giratoire d’attendre d’avoir une visibilité correcte après le passage dudit véhicule volumineux (c. 3.4.2).
La façon avec laquelle l’usager non prioritaire s’est engagé dans le giratoire, qui a surpris l’usager prioritaire et a amené celui-ci à modifier brusquement la conduite de son véhicule, comporte le risque d'une manipulation erronée et d’une perte de contrôle, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie. Ce lien de causalité adéquate n’est pas interrompu par une faute concomitante de l’usager prioritaire, en relation avec l’art. 31 al. 1 LCR qui impose en principe de rester constamment maître de son véhicule (c. 3.6).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat, Lausanne et Aigle


TF 9C_710/2020 du 10 août 2021
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, Liste des spécialités; art. 65b OAMal; 34f OPAS
Dans le cadre de l’évaluation du caractère économique d’un médicament, la comparaison avec d’autres médicaments selon l’art. 65b al. 2 let. b OAMal doit se faire sur la base des préparations originales figurant sur la liste des spécialités au moment du réexamen et qui sont utilisées pour traiter la même maladie (art. 34f al. 1 OPAS). Le TF confirme que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) jouit d’une grande marge d’appréciation dans le choix des médicaments qui feront l’objet de la comparaison (cf. ATF 147 V 194), par exemple en se limitant à la même « gamme » de médicaments.
Auteur : Guy Longchamp

TF 8C_115/2021 du 10 août 2021
Assurance-invalidité; salaire d’invalide, abattement, salaire statistique; art. 16 LPGA
L’objet du recours est de savoir s’il est justifié, dans le cas d’espèces, de retenir un abattement de 10 %, sur le salaire d’invalide fixé sur la base des tables statistiques ESS (c. 3.1). Le TF rappelle les règles fondamentales relatives à la jurisprudence rendue à l’aune de l’ATF 126 V 75 (c. 3.2). Il examine ensuite si les éléments invoqués par le recourant, à savoir l’âge, les limitations fonctionnelles, le travail à temps partiel, l’absence de formation professionnelle, les connaissances rudimentaires de langue allemande ou le fait d’être titulaire d’un permis C peuvent justifier une telle réduction additionnelle (c. 4).
Le TF considère que c’est à juste titre que le recourant n’a pas contesté le fait que le critère de l’âge, à lui seul, n’impliquait pas une réduction de salaire. Le TF relève que de toute façon c’est une appréciation globale qui doit être réalisée (c. 4.2). Sur la base des rapports d’expertise au dossier, le TF considère ensuite que les limitations fonctionnelles psychiatriques, néphrologiques et rhumatologiques du recourant ne se recoupent qu’en partie. Le levage, le port et le transport réguliers de charges moyennes et lourdes ne sont ainsi plus exigibles. Des activités physiquement légères à modérées par intermittence peuvent cependant toujours être effectuées mais uniquement pendant cinq à six heures par jour, soit à l’heure, soit avec un besoin accru de pauses. Ces limitations entraînent ainsi une sélection dans les activités adaptées exigibles et représentent nécessairement un désavantage sur le marché du travail. Il convient d’en tenir compte dans le cadre de l’appréciation globale des facteurs justifiant un abattement additionnel sur le salaire statistique (c. 4.2.1). Il en va de même du critère du temps partiel (c. 4.2.2.) ainsi que de l’absence de formation professionnelle et des connaissances de langues insuffisantes (c. 4.2.3).
Le TF relève en sus qu’il est effectivement statistiquement démontré, au moyen du tableau TA12 ESS 2016, que les salaires des hommes sans fonction d’encadrement sont inférieurs d’environ 3 % à la moyenne globale s’il s'agit d’étrangers titulaires d’un titre de séjour permanent (catégorie C) (c. 4.2.4). Au terme de son analyse, le TF reconnaît donc le droit à un abattement de 10 % sur le salaire statistique lequel doit en outre, contrairement à ce que la Cour cantonale avait jugé, être déterminé sur les tabelles ESS 2016, et non 2014 (c. 4.3). Le recours est admis et le recourant mis au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité, en lieu et place d’un quart de rente (c. 4.4 et 4.5).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne

TF 9C_716/2020 du 20 juillet 2021
Prestations complémentaires; restitution de prestations versées en main d’un tiers; montant forfaitaire de l’assurance maladie; art. 25 LPGA; 21a LPC
Pendant plusieurs années, un assuré au bénéfice d’une rente d’invalidité a perçu des prestations complémentaires. Par ailleurs, le montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins (AOS) a été versé par la caisse de compensation directement en mains de la caisse-maladie, conformément à l’art. 21a LPC. Réalisant qu’elle avait mal calculé ses prestations, la caisse de compensation a corrigé à la hausse, avec effet rétroactif, le montant de sa rente d’invalidité. La caisse de compensation a donc réclamé et obtenu de la caisse-maladie le remboursement du montant forfaitaire annuel de l’AOS. La caisse-maladie a ensuite adressé à l’assuré une facture pour le montant ainsi remboursé, à hauteur de CHF 12’960.-. La caisse de compensation en charge des prestations complémentaires a refusé d’entrer en matière sur la demande de remise présentée par l’assuré. Cette décision a été confirmée par le Tribunal administratif du canton de Berne.
Selon la jurisprudence, l’entité qui a perçu indûment des prestations uniquement en qualité d’agent d’encaissement ne peut pas avoir d’obligation de restitution au sens de l’art. 25 LPGA (c. 2.2). Par ailleurs, la remise n’entre en considération que dans la mesure où il existe pour le requérant une obligation de restituer. Sous cet angle, le TF rejette le recours, considérant qu’une remise en faveur de l’assuré, à qui aucune demande de restitution n’avait été adressée par la Caisse de compensation, n’entre pas en ligne de compte (c. 4.1).
Le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle doit être considéré comme un simple agent d’encaissement celui qui n’a pas de droit ni d’obligation en lien avec le rapport de prestations sociales. Tout comme l’art. 65 al. 1 LAMal, l’art. 21a LPC, qui prévoit le paiement direct du montant forfaitaire annuel de l’assurance obligatoire de soins en mains de l’assureur-maladie, a pour seul objectif de s’assurer que cette prestation sociale atteint effectivement son but. Dans ce contexte, la seule obligation de l’assureur-maladie est de déduire les paiements reçus de la caisse de compensation de sa créance contre l’assuré et de verser à ce dernier un éventuel excédent. L’assureur-maladie n’a ainsi pas de droits et d’obligations propres en relation avec les prestations complémentaires. Il n’intervient qu’en qualité de simple agent d’encaissement et ne peut dès lors être tenu à restitution, l’art. 2 al. 1 let. b OPGA ne lui étant pas applicable. Dès lors, le chiffre 4660.02 de la Directive concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC) est contraire au droit fédéral (c. 4.3.2 et 4.3.3).
En conséquence, le TF considère que le remboursement des prestations effectué par la caisse maladie en faveur de la Caisse de compensation doit être annulé, et admet dans cette mesure le recours de l’assuré. Il ordonne ainsi à la Caisse de compensation de rembourser les CHF 12’960.- litigieux à la caisse maladie. Cette décision rendra alors caduque la facture adressée par la caisse maladie à l’assuré.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 6B_33/2021 du 12 juillet 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute; art. 12 al. 3 CP
Une des conditions essentielles pour l’existence d’une violation d’un devoir de prudence et, partant, d’une responsabilité pénale fondée sur la négligence, est la prévisibilité du résultat. Pour l’auteur, le déroulement des événements jusqu’au résultat doit être prévisible, au moins dans ses grandes lignes. C’est pourquoi, il faut commencer par se demander si l’auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique la règle de la causalité adéquate.
L’angle mort est un facteur inhérent au mode de construction d’un véhicule et il appartient, en principe, au conducteur d’un véhicule d’en tenir compte. Il n’est ainsi pas possible d’attribuer au hasard le fait qu’un usager de la route reste caché et de rejeter sur les autres le risque lié à l’angle mort. Au contraire, le conducteur doit se préoccuper d’éliminer tous les risques d’un tel facteur. Si la vue à l’avant est limitée, qu’aucun miroir ne permet au conducteur d’observer l’angle mort et que, en raison des circonstances, celui-ci a fort à craindre que des piétons passent immédiatement devant son véhicule dans l’angle mort, il doit alors se soulever un instant de son siège et se pencher pour se procurer une visibilité suffisante. Une telle précaution peut être imposée lorsqu’il y a fort à craindre que des piétons ne passent immédiatement devant son véhicule
Traverser en dehors d’un passage pour piétons constitue certes un comportement imprudent. Il s’agit toutefois de déterminer si un conducteur d’un véhicule pouvait prévoir un tel comportement. Dans la situation où un camion de 12 mètres empiète sur un passage pour piétons, il ne paraît pas extraordinaire qu’un piéton désireux de traverser la chaussée passe juste devant le véhicule plutôt que le contourne pour emprunter le passage pour piétons sécurisé à quelques mètres. Selon le TF, un tel enchaînement des faits ne peut donc pas être considéré comme extraordinaire et imprévisible, de sorte à exclure toute causalité adéquate entre l’éventuelle violation des devoirs de prudence de la part d’un chauffeur de poids lourd et la survenance d’un accident avec un piéton. Il convient ainsi, dans ces circonstances, d’examiner le comportement du chauffeur avant et lors de l’accident et de déterminer si on peut lui reprocher d’avoir violé son devoir de prudence.
Les questions liées aux éventuelles négligences commises par les parties impliquées dans un accident, en particulier l’appréciation juridiques des faits, doivent être examinées par le juge du fond, si la situation factuelle et juridique n’est pas claire, de sorte qu’il existe un doute sur l’issue de la procédure. Le principe « in dubio pro duriore » interdit par conséquent au ministère public, confronté à des preuves non claires, d’anticiper sur l’appréciation des preuves par le juge du fond.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel


TF 9C_321/2020 du 02 juillet 2021
Prestations complémentaires; prestations indues, restitution, prescription, délai de l’action pénale, application aux héritiers; art. 25 al. 2 LPGA; 97 al. 1 let. b CP
C.A. a, de mars 2003 jusqu’à sa mort en avril 2016, reçu des prestations complémentaires. Après son décès, l’Office cantonal des assurances sociales du canton de Zurich a appris que C.A. détenait un compte auprès de la banque X., d’un montant de plus de CHF 1,2 millions de francs. Aux deux fils de C.A., A.A. et B.A., qui sont ses seuls héritiers légaux, et qui n’ont pas répudié la succession de leur père, ledit Office a réclamé, par décisions des 21 décembre 2016, 11 janvier 2017 et 12 septembre 2017, le remboursement de prestations complémentaires à hauteur de CHF 132’838.- pour la période allant de mars 2003 à avril 2016 et, pour la même période, le remboursement de CHF 9’754.30 de frais payés pour la maladie et l’invalidité.
A.A. et B.A. font valoir que le délai de prescription plus long du droit pénal, qui est ici de 15 ans, ne leur est pas opposable, seul l’étant celui de 5 ans, prévu par l’art. 25 al. 2, 1ère phr., LPGA. Sans quoi ils devraient, plaident-ils, payer, pour une infraction dont ils ne sont pas les auteurs, l’équivalent d’une amende, à caractère strictement personnel.
A la question de savoir si le délai de prescription plus long prévu par le droit pénal, auquel renvoie l’art. 25 al. 2, 2ème phr., LPGA, s’applique également aux héritiers de celui ou celle qui a touché des prestations indues, le TF rappelle qu’au principe cardinal de l’art. 560 al. 1 CC, selon lequel les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession dès que celle-ci est ouverte, il n’y a d’exception que pour les droits et obligations qui sont de nature strictement personnelle, comme cela est le cas pour une sanction pénale.
Or l’application du délai de prescription plus long du droit pénal selon l’art. 25 al. 2, 2èmephr, LPGA ne saurait, dit le TF, être vue comme l’équivalent d’une sanction pénale ; en effet, l’art. 25 LPGA n’a, avec la restitution qu’il prévoit à l’assurance, de prestations qui n’étaient pas dues, pas d’autre but que celui de rétablir l’ordre légal, cela dans les limites des délais de prescription prévus par l’art. 25 al. 2 LPGA. En d’autres termes, étant donné qu’il s’agit, avec l’application du délai de prescription plus long de la 2ème phrase de l’art. 25 al. 2 LPGA, d’assurer simplement la mise en œuvre effective du principe dit de légalité, et non d’infliger une sanction à celui ou celle qui a touché des prestations indues, il ne saurait y avoir là aucune violation des art. 6 et 7 CEDH. La situation qui se présente ici étant différente de celle où la CourEDH avait, dans l’affaire E.L., R.L. et J.O.-L. contre Suisse, jugé que la Suisse avait, en voulant faire payer une amende fiscale aux héritiers de la personne condamnée à ladite amende, violé l’art. 6 par. 2 CEDH.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 9C_763/2020 du 02 juillet 2021
Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuve ou de veuf, renaissance du droit, troisième remariage; art. 23 al. 5 LAVS; 46 al. 3 RAVS
L’assurée a été veuve une première fois, puis a encore divorcé deux fois. La question qui se pose est celle de savoir si la rente de veuve relative au premier mariage renaît, étant relevé qu’il n’est pas contesté qu’une rente de veuve renaîtrait en cas d’un second mariage dissous par le divorce, dans la mesure où les conditions temporelles de l’art. 46 al. 3 RAVS seraient réunies.
Selon l’art. 23 al. 5 LAVS, le droit à une rente de veuve ou de veuf renaît en cas d’annulation du mariage ou de divorce. Le Conseil fédéral règle les détails. Quant à l’art. 46 al. 3 RAVS, il dispose que le droit à la rente de veuve ou de veuf qui s’éteint lors du remariage de la veuve ou du veuf renaît au premier jour du mois qui suit la dissolution de son nouveau mariage par divorce ou annulation si cette dissolution est survenue moins de dix ans après la conclusion du mariage.
Le TF se livre à une interprétation de ces normes selon la méthode du pluralisme. Il arrive à la conclusion que ni l’interprétation grammaticale, ni l’interprétation systématique ne permettent de parvenir à un résultat probant. En revanche, d’un point de vue téléologique et historique, on arrive à la conclusion qu’une rente de veuve ou de veuf ne peut renaître qu’après la dissolution d’un second mariage après le veuvage, mais non à la suite d’un troisième ou quatrième mariage, ou davantage encore.
Ainsi, la décision de l’autorité cantonale, qui admettait une telle solution, est annulée, l’assurée n’ayant plus de droit à une rente de veuve AVS.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 9C_293/2020 du 01 juillet 2021
Prévoyance professionnelle; encouragement à l’accession à la propriété; art. 30d LPP
La remise à bail d’un logement qui avait été financé par un versement anticipé de la prévoyance professionnelle n’aboutit pas nécessairement à une obligation de restitution à la caisse de pensions. En l’espèce, le TF a nié l’obligation de restituer dans le cas d’une propriétaire qui, après plusieurs années d’utilisation, a loué son logement pour une durée indéterminée avec un délai de résiliation de trois mois pour chaque partie. En effet, après avoir interprété l’art. 30d LPP, les juges fédéraux sont arrivés à la conclusion que la remise à bail d’un logement n’équivalait économiquement pas à une vente, lorsque le droit de propriété n’est ni aliéné ni restreint.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_53/2021 du 30 juin 2021
APG-COVID; Indépendante, limite de revenu, revenu à prendre en considération; art. 2 al. 3bis O APG; COVID-19; 11 al. 1 LAPG; 7 al. 1 RAPG
Une masseuse indépendante dépose le 6 avril 2020 une demande en prestations pour perte de gain en lien avec le COVID auprès de sa caisse de compensation AVS. Celle-ci refuse, au motif qu’elle n’est qu’indirectement concernée et que son revenu déterminant d’indépendante n’atteint pas la limite de CHF 10’000.- par année.
La cour cantonale et le TF ne sont pas de l’avis de la caisse de compensation. Il est indiscutable que c’est l’ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 du 20 mars 2020 qui est applicable et qui sert de base à l’indemnité réclamée. Même si les ordonnances de l’administration ne lient pas les tribunaux, ceux-ci ne s’en écartent pas sans motif pertinent. En outre, il convient de prendre en compte les circulaires de l’OFAS concernant, dans le cas particulier, les mesures destinées à lutter contre le coronavirus. Il faut, cependant, faire attention à ne prendre en considération que les versions en vigueur au moment déterminant.
Afin de déterminer si la masseuse peut être qualifiée d’ayant droit, au sens de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19, le TF examine si celle-ci a réalisé, par renvoi de l’art. 5 al. 2 de cette même ordonnance à l’art. 11 de la loi sur les allocations pour perte de gain (LAPG), un revenu moyen suffisant, selon les règles prescrites à l’art. 7 al. 1 RAPG. C’est donc à tort que la caisse de compensation AVS n’a pas tenu compte du revenu ayant servi de base à la taxation AVS, même si aucune décision définitive n’avait alors été rendue et même s’il ne s’agissait que d’acomptes.
En l’espèce, le revenu de la masseuse, déterminant au moment de la décision de la caisse de compensation AVS, atteint bel et bien la limite de CHF 10’000.- par année.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion


TF 9C_490/2020 du 30 juin 2021
Assurance-maladie; coordination UE/AELE, affiliation, droit d’option, enfants caractère irrévocable, absence de nouveau fait générateur de droit; art. 3 al. 3 let. a LAMal et 1 al. 2 let. d et 2 al. 6 OAMal; 11 ch. 3 let. a, 32 et annexe XI ch. 3 let. a R (CE) n° 883/2004
L’exercice, par le père d’une famille domiciliée en France, au moment de prendre un emploi en Suisse, de son droit d’option pour conserver sa couverture en cas de maladie en France s’étend également à ses enfants mineurs, inclus dans la demande (c. 9.2.4). Ces derniers disposent d’un droit (d’option) dérivé de la situation de leur père.
Lorsque, par la suite, la mère prend à son tour un emploi en Suisse et n’exerce pas de droit d’option, de sorte qu’elle est affiliée à l’assurance obligatoire en Suisse (LAMal) en vertu des règles usuelles de coordination, cela ne représente pas un changement de circonstances qui permettrait de revenir sur l’exercice (dérivé) du droit d’option par les enfants, qui ne peuvent ainsi être affilié à l’assurance-maladie en Suisse.
Le TF admet que l’art. 32 R (CE) n° 883/2004 n’a pas vocation à s’appliquer au cas d’espèce, dans la mesure où il traite de la question de la collision entre un droit autonome et un droit dérivé. Il complète en se ralliant à la doctrine, qui préconise, en cas de collision de droits dérivés – qui, en l’espèce, peut conduire à une double affiliation, contraire au but des règles internationales de coordination – de privilégier l’Etat de résidence comme Etat compétent.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_344 et 342/2020 du 29 juin 2021
Responsabilité aquilienne; responsabilité de l’administrateur, causalité, art. 754 CO
D’après l’art. 754 al. 1 CO, les membres du conseil d’administration répondent à l’égard de la société, de même qu’envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu’ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. La responsabilité de l’administrateur est subordonnée à la réunion des quatre conditions générales suivante : la violation d’un devoir, une faute (intentionnelle ou par négligence), un dommage et l’existence d’un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation fautive du devoir et la survenance du dommage.
Seules des circonstances exceptionnelles pourraient conduire à la conclusion que l’administrateur qui a failli à ses devoirs est exempt de faute. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que la personne recherchée ait été, au moment des faits, en état d’incapacité de discernement, dans une situation de contrainte absolue ou dans celle d’erreur inévitable sur les faits provoquée notamment par la tromperie d’un tiers. Dans ces cas, l’absence de faute ne découle pas de la comparaison avec le comportement d’un administrateur raisonnable, mais d’un comportement subjectivement excusable de l’administrateur. Le fait que l’administrateur responsable doit suivre les instructions d’un tiers ou d’un organe auquel il est subordonné n’exclut pas sa faute. Il s’ensuit que l’administrateur fiduciaire engage en principe sa pleine responsabilité. Dès lors qu’une négligence légère suffit, le degré de la faute n’est pas déterminant pour décider si la responsabilité de l’administrateur est engagée, mais il peut jouer un rôle dans la réduction de l’indemnité lorsque le responsable n’encourt qu’une faute légère (art. 43 al. 1 CO).
En l’espèce, les deux administrateurs ont objectivement violé leurs devoirs en exécutant le paiement litigieux, puisqu’au vu des spécificités de leurs fonctions et du rôle qu’ils jouaient dans l’organisation de la société suisse et du groupe, ils auraient pu déceler la supercherie dont ils ont été victimes. Elle ajoute que, même en l’absence d’une escroquerie, les administrateurs auraient violé gravement leurs devoirs en exécutant un paiement pour éviter un contrôle fiscal inopiné, ce d’autant qu’il était dissimulé par une facture inexistante portant sur des biens et des services inexistants, ce qu’ils savaient. Il s’ensuit que le recours du recourant n° 1 doit être rejeté.
Le recourant n° 2 soulève trois griefs. Premièrement, il invoque la violation de son droit d’être entendu, en ce qui concerne sa prétendue connaissance du motif fiscal du virement litigieux et son absence de contestation de l’existence d’un dommage. Deuxièmement, il se plaint d’appréciation arbitraire des faits et des preuves. Troisièmement, il soulève la violation de l’art. 8 CC et des art. 754, 759, 717 et 719 al. 1 CO, contestant le dommage, la violation fautive de ses devoirs, ainsi que la causalité dès lors que l’ordre de transfert a été modifié après qu’il l’a validé.
Sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner si le recourant n° 2 a eu un comportement gravement fautif en donnant l’ordre de transfert initial, force est de constater que l’ordre qu’il a donné n’a pas eu de suite, puisqu’il n’a pas pu être exécuté. Puisqu’il n’a pas participé aux deux modifications du SWIFT qui ont, seules, entraîné l’exécution du transfert litigieux, le dommage n’est pas en relation de causalité naturelle avec son éventuel comportement fautif. Il s’ensuit que le recours du recourant n° 2 doit être admis et l’arrêt attaqué réformé.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 6B_656/2020 du 23 juin 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; principe de la confiance, distances de sécurité; art. 26 al. 1 et 34 al. 4 LCR
En droit de la circulation routière, la portée du devoir de prudence qui incombe aux conducteurs de véhicules automobiles s’apprécie au regard du principe de la confiance (art. 26 al. 1 LCR). Selon ce principe, il existe une confiance réciproque entre les différents usagers de la route à condition que ceux-ci se comportent conformément aux règles établies en matière de circulation routière. Toute entrave aux règles de la circulation crée une situation de confusion ou de danger que les autres usagers compensent par des comportements imprévisibles. Le principe de la confiance ne peut donc être invoqué par un usager qu’à condition de s’être comporté conformément aux règles, à moins qu’il ne soit question de vérifier si une violation des règles de la circulation routière a précisément été provoquée par une violation commise par un autre usager.
Parmi les règles applicables, l’art. 34 al. 4 LCR impose en termes généraux de respecter une distance de sécurité suffisante entre les différents usagers de la route. Cette règle se concrétise selon les circonstances particulières de chaque situation, en fonction notamment de la largeur de la route, de la visibilité, de la vitesse, du trafic et de l’âge et du comportement des piétons impliqués.
En particulier, une distance de 50 cm entre un véhicule et un piéton est insuffisante si le piéton ne peut pas s’attendre au passage d’un véhicule aussi proche.
Dans le cas d’espèce, le TF considère qu’un automobilise agit avec une imprudence fautive lorsqu’il interpelle un piéton par une remarque désobligeante tout en le dépassant à une distance de 50 cm et une vitesse de 30 km/h. En effet, le conducteur devait s’attendre à une réaction du piéton, alors que la distance entre le véhicule et le piéton était suffisamment restreinte pour qu’un seul mouvement de ce dernier puisse entraîner une collision. La vitesse de 30 km/h ne laissait en outre pas le temps de freiner à temps.
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne.

TF 8C_721/2020 du 15 juin 2021
Assurance-chômage; période de cotisation des assurés à la retraite anticipée, motifs du licenciement; art. 13 al. 3 LACI; 12 al. 1 et 2 OACI
L’assuré A., a été licencié par son employeur avec effet au 31 juillet 2019 et a pris une retraite anticipée dès le 1er août 2019. Parallèlement, il a fait valoir son droit aux prestations du chômage dès le 1er août 2019. Ce droit lui a été refusé par la caisse de chômage, suivie par le Tribunal cantonal zurichois, au motif qu’il ne disposait pas de douze mois de cotisations postérieurs à sa retraite anticipée (art. 12 al. 1 OACI) et que l’exception de l’art. 12 al. 2 OACI n’était pas remplie, A. n’ayant pas été licencié pour des motifs économiques (c. 4.1). A. recourt au TF.
Le TF rappelle que depuis 2010, les assurés licenciés entre l’âge où le règlement leur ouvre le droit à une retraite anticipée et l’âge réglementaire ordinaire de la retraite peuvent choisir de percevoir une prestation de sortie ou des prestations de retraite (art. 2 al. 1bis LFLP).
Ici, A. a délibérément choisi de percevoir des prestations de retraite plutôt qu’une prestation de sortie (c. 5.5.3). Ceci n’exclut toutefois pas d’emblée l’application de l’art. 12 al. 2 OACI. Il ne se justifie plus de privilégier les assurés mis à la retraite anticipée pour des motifs d’ordre économique par rapport aux assurés licenciés pour d’autres motifs ne leur étant pas imputables (changement de jurisprudence, cf. ATF 129 V 327) (c. 5.5.5.4.2).
Suivant la doctrine et les directives du SECO, le TF retient que l’art. 12 al. 2 OACI doit trouver application chaque fois que la résiliation des rapports de travail n’est pas imputable à l’assuré, même si les motifs du licenciement ne sont pas d’ordre économique (c. 5.5.2, 5.5.4 et 5.5.6). Il conviendra de définir, au cas par cas, si l’employé devait envisager et avait accepté l’éventualité que son comportement conduise son employeur à le licencier (dol éventuel) (c. 6.1). En l’espèce, le licenciement, motivé par la « dynamique d’équipe », n’était pas imputable à A., quand bien même des reproches avaient pu lui être faits, en tenant compte également de l’indemnité de départ octroyée par son employeur. A. peut donc se prévaloir de l’art. 12 al. 2 OACI et bénéficier des prestations du chômage malgré sa retraite anticipée, sans avoir à remplir les conditions de l’art. 12 al. 1 OACI.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 9C_563/2020 du 07 juin 2021
Assurance-maladie; contrôle périodique du prix des médicaments, comparaison thérapeutique; art. 65b al. 6 OAMal
Les critères d’évaluation du caractère économique d’un médicament selon l’art. 65b OAMal s’appliquent également dans le cadre du réexamen périodique du prix selon l’art. 65d OAMal, tous les trois ans. Il en va ainsi de l’art. 65b al. 6 OAMal, selon lequel les coûts de recherche et de développement ne sont pris en compte dans le cadre de la comparaison thérapeutique (TQV) qu’en présence d’une préparation originale ou dans le cas d’une préparation qui succède à une autre inscrite dans la liste des spécialités en y apportant un progrès thérapeutique. L’application de cette disposition dans le cadre du réexamen du prix tous les trois ans est conforme à la norme supérieure de l’art. 32 al. 2 LAMal, selon laquelle l’économicité est réexaminée périodiquement. Elle répond par ailleurs au souci d’éviter que des améliorations très modestes d’une préparation originale permettent de maintenir un haut niveau de prix, alors que l’efficacité de la nouvelle préparation ne diffère que légèrement de la préparation précédente.
En l’espèce, le médicament B avait été inscrit pour la première fois dans la liste des spécialités (LS) alors qu’un médicament E était déjà inscrit avec le même principe actif et les mêmes indications. Lors d’un contrôle ultérieur du prix, l’OFSP a indiqué au producteur du médicament B qu’il considérait son médicament comme une préparation subséquente. Comme elle n’apportait pas de progrès thérapeutique par rapport à la préparation originale du médicament E, l’OFSP appliquait l’art. 65b al. 6 OAMal et ne retenait pas les coûts liés au brevet dans la comparaison. Au lieu de comparer le prix du médicament B avec le prix du médicament E, l’OFSP a procédé à la comparaison avec d’autres médicaments composés de la même substance active, inscrits à des prix inférieurs, car non protégés par un brevet. Le producteur conteste cette comparaison.
Selon le TF, le fait que les deux médicaments B et E aient été développés de manière indépendante, en parallèle, avec des inscriptions en même temps sur d’autres marchés, ne change rien à la qualification de préparation subséquente du médicament B. Comme cela ressort du texte de l’art. 65b al. 6 OAMal, l’élément déterminant est l’inscription dans la LS et non une autorisation du médicament sur un marché hors de Suisse. Or, le médicament E a été inscrit dans la LS avant le médicament B.
Le TF examine ensuite si le médicament B présente un progrès thérapeutique par rapport au médicament E. S’agissant de questions médicales et pharmaceutiques, le TF examine la question avec retenue. Même si la notion de progrès thérapeutique de l’art. 65b al. 6 OAMal est moins exigeante que celle de progrès thérapeutique important de l’al. 7 (prime à l’innovation), il ne suffit pas que la préparation diffère de manière non essentielle de la précédente pour admettre cette condition. Il faut au contraire qu’une étude prouve qu’un élément modifié protégé par brevet (indication, dosage, posologie, etc.) amène un avantage en termes d’efficacité, de sécurité ou de conformité de traitement (traduction libre de « Behandlungscompliance »). Après examen des études présentées, le TF arrive à la conclusion que l’OFSP et le TAF n’ont pas abusé de leur pouvoir d’examen en niant le progrès thérapeutique dans le cas présent, faute d’étude suffisamment probante. Dans ces conditions, l’art. 65b al. 6 2e phrase s’applique et c’est à raison que l’OFSP n’a pas comparé le prix du médicament B avec le prix du médicament E, mais avec des préparations ayant le même principe actif, qui ne sont plus protégées par des brevets.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


TF 9C_525/2020 du 29 mai 2021
Assurance-invalidité; désignation d’un expert, qualification d’auxiliaire, information aux parties, valeur probante d’une expertise; art. 44 LPGA
Une rente partielle est accordée à un assuré atteint de sclérose en plaques sur la base d’une expertise neuropsychologique. Il recourt contre cette décision, son recours est rejeté par le Tribunal administratif de Zoug. Il recourt au Tribunal fédéral qui admet son recours et renvoie l’affaire à l’OAI pour complément d’instruction (l’expertise est jugée formellement non probante). L’assuré invoque une violation de l’art. 44 LPGA, en ce sens que son droit de poser des questions à l’expert n’a pas été respecté. Il conteste en outre la qualification d’auxiliaire du tiers ayant assisté l’expert désigné, ainsi que la valeur probante de l’expertise sur laquelle l’Office AI de Zoug s’est fondée pour lui accorder un quart de rente (capacité résiduelle de 60 %).
L’expert mandaté pour une expertise est non seulement la personne chargée et responsable de l’évaluation, mais également la personne physique qui l’effectue. Il doit en outre réaliser personnellement les tâches de base pour lesquelles il a été mandaté, puisqu’il l’a précisément été en raison de son expertise, de ses compétences scientifiques particulières et de son indépendance. La substitution ou le transfert, même partiel, de la mission à un autre expert, sont soumis au consentement du mandant. En revanche, l’expert peut faire appel à un auxiliaire, celui-là agissant sous sa direction et sa surveillance, pour la réalisation de certains travaux subordonnés. Dans ce cas, le consentement du mandant n’est pas nécessaire, tant que la responsabilité de l’expertise demeure entre les mains de l’expert désigné.
Par ailleurs, lorsqu’un expert est mandaté pour réaliser une expertise, son nom doit être communiqué à l’avance afin que la personne assurée puisse faire valoir ses éventuels motifs de récusation. Le droit de l’assuré de connaître ce nom ne s’étend toutefois qu’à l’expert désigné, et non aux tiers qualifiés qui assistent celui-là dans l’exécution de ses travaux.
En l’espèce, une seule experte a été mandatée pour réaliser l’expertise neuropsychologique sur laquelle l’office AI s’est fondé pour accorder un quart de rente à l’assuré. Or, il ressort du rapport que l’experte tierce a été sérieusement impliquée dans la réalisation dudit rapport. Il s’ensuit que l’experte tierce n’a pas agi en qualité d’auxiliaire subordonnée, pour laquelle le consentement du mandant n’était pas nécessaire, mais en tant que co-experte, puisqu’elle a été impliquée dans la même mesure que l’experte principale. Ainsi, l’assuré aurait également dû être informé du nom de l’experte tierce, laquelle devait également cosigner le rapport d’expertise, sous peine de remettre en cause la validité formelle et la valeur probante de l’expertise.
Enfin, un ou une experte mandatée pour réaliser une expertise doit disposer des qualifications professionnelles énumérées dans la circulaire IV n° 367 de l’OFAS, ce que le dossier de la cause ne permet pas de vérifier pour l’experte tierce.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier (Milvignes)


TF 9C_215/2020 du 28 mai 2021
Prestations complémentaires; frais de garde; ancien droit;art. 14 aLPC; 10 al. 3 let. f LPC; 16e OPC
Le recours porte sur un état de fait antérieur à l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2021, des art. 10 al. 3 let. f LPC et 16e OPC, qui reconnaissent les dépenses liées à la prise en charge extrafamiliale d’enfants de moins de 11 ans si elles sont nécessaires et dûment établies. Le TF confirme la décision cantonale niant à la recourante, au bénéfice d‘une rente d’invalidité, le remboursement des frais de garde de son enfant.
La liste des frais de maladie et d’invalidité remboursés figurant à l’art. 14 al. 1 LPC est de nature exhaustive. Il ne subsiste aucune lacune à combler découlant d’un silence qualifié du législateur (ATF 129 V 378 c. 3.1, qui s’est prononcé sur l’art. 3d al. 1 LPC en vigueur au 31 décembre 2007). Le fait que l’assurance sociale ne couvre pas l’ensemble des prestations liées à un handicap ne constitue pas en soi une violation des droits fondamentaux. La loi viole le principe de l’égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente.
Le droit à une prestation complémentaire annuelle est calculé séparément si l’enfant du rentier AVS ou AI est placé dans une structure d’accueil permanente, selon l’art. 7 al. 1 let. c et al. 2 OPC-AVS/AI. Elle peut être allouée même si le parent rentier AVS ou AI ne peut prétendre à la prestation complémentaire. L’obligation des cantons de fixer la taxe journalière de la structure d’accueil permanente, comprise dans les dépenses, au sens de l’art. 10 al. 2 let. a LPC, de manière à ce que la personne n’émarge pas à l’aide sociale, ne vaut que pour les structures relevant de l’art. 39 al. 3 LAMal (c. 6.3.3.1). Pour les placements en famille d’accueil, ne relevant pas d’une structure médico-sociale, les dépenses sont fixées par l’art. 10 al. 1 let. a et b ainsi qu’al. 3 LPC, sans garantie d’une couverture du minimum vital des bénéficiaires.
Le TF retient qu’il n’y a donc pas d’inégalité de traitement, au sens de l’art. 8 Cst., pour les bénéficiaires vivant avec leurs enfants placés en structure d’accueil de jour. Aucune violation du droit au respect de la vie familiale protégé par l’art. 9 de la convention de protection de l’enfant, l'art. 8 CEDH et l’art. 13 al. 1 Cst. ne résulte de l’application de la LPC, en l’absence d’une ingérence de l’Etat dans la vie familiale de l’assuré.
L’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable (art. 53 al. 2 LPGA). Le TF reconnaît à la décision de première instance refusant des prestations des frais de crèche, accordés précédemment, le caractère d’une décision de reconsidération, au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. Est reconnue en l’espèce l’exigence du caractère manifestement erroné de la décision initiale ayant accordé le droit aux prestations d’assurance en appliquant faussement l’art. 14 LPC.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 4A_389 et 4A_415/2020 du 18 mai 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule; dommage, perte de soutien; art. 45 al. 3 CO
Dans son arrêt, le TF traite de la question du calcul des prétentions récursoires des assureurs sociaux (AVS et institution de prévoyance professionnelle) en lien avec une perte de soutien subie par le mari et les enfants d’une assurée décédée d’un accident de la route.
Le TF aborde principalement trois questions. En premier lieu, il confirme la jurisprudence initiée dans l’ATF 84 II 292, selon laquelle, en cas de décès, le dommage de perte de soutien doit être calculé de manière abstraite au jour du décès (c. 5). En deuxième lieu, il traite l’imputabilité des revenus de la fortune du soutien dans le cas où ces revenus n’étaient pas utilisés durant la période de soutien. Il maintient ici aussi sa jurisprudence antérieure, aux termes de laquelle ces revenus doivent être déduits du montant de la perte de soutien que le responsable est appelé à réparer ; en revanche, le fait que la personne soutenue est en mesure de maintenir son niveau de vie grâce aux revenus réalisés sur sa propre fortune ne joue aucun rôle : l’élément déterminant n’est pas le niveau de vie de la personne soutenue, mais bien l’importance des prestations (devenues défaillantes) du soutien (c. 10.1 à 10.6). En troisième et dernier lieu, il aborde, pour la première fois, la question des rendements et des intérêts découlant d’une assurance sur la vie. Il donne raison à l’instance inférieure, qui les avait imputés du montant du dommage en retenant un taux de 3,5 % pour la rémunération du capital d’assurance (c. 10.7).
Le Tribunal fédéral traite également du taux d’épargne à retenir dans le calcul des quotes-parts de soutien (c. 6), de la détermination des coûts fixes (c. 7), de la répartition du dommage entre les différents bénéficiaires (c. 8) et, enfin, de la déduction pour les chances de remariages, resp. pour les risques de divorce (c. 9).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg



TF 9C_415/2020 du 17 mai 2021
Assurance-invalidité; procédure, reconsidération, domicile en Suisse, séjour de courte durée; art. 53 al. 2 LPGA
Un couple de Suédois a résidé pendant six mois en Suisse. Durant le séjour, le couple a eu un enfant. Dès sa naissance, l’enfant a eu besoin de soins médicaux qui ont été pris en charge par l’AI. Après le retour du couple en Suède, l’office AI compétent a transmis le cas à l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après : OAIE). Après analyse du cas, l’OAIE a décidé que l’AI n’aurait pas dû verser de prestations car les parents de l’enfant n’avaient jamais rempli les conditions pour être assurés auprès des assurances sociales suisses. Le traitement de l’enfant, qui n’était pas non plus assuré par l’AI, aurait dès lors dû être pris en charge par l’assurance-maladie de ce dernier. L’assurance-maladie forme recours au TF qui rejette le recours.
Selon le TF, la reconsidération au sens de l’art 53 al. 2 LPGA est possible lorsque – en plus de l’importance d’une rectification – la décision est manifestement erronée (c. 4.1). Le fait que l’autorité avait initialement la possibilité de prendre une décision conforme au droit sur la base des documents qui lui ont été fournis n’est pas pertinent (c. 4.3). Même lorsque l’erreur de la décision initiale n’est pas manifeste, la reconsidération selon l’art. 53 al. 2 LPGA n’est pas exclue. Selon le TF, la reconsidération est ainsi possible lorsque l’erreur n’est visible qu’après un examen plus approfondi (c. 4.4).
L’instance inférieure a rappelé que l’existence d’un domicile en Suisse pendant des courts séjours ne doit être admise qu’avec beaucoup de retenue. Une autorisation de séjour de courte durée UE/AELE n’est ainsi pas suffisante pour constituer un domicile en Suisse. Selon l’instance inférieure, dans le cas d’espèce, le fait que le séjour du couple était un séjour strictement lié à la formation et sans volonté de s’installer durablement en Suisse, que la mère utilisait toujours un numéro de téléphone et compte bancaire suédois auprès l’office AI et que le couple n’avait pas travaillé en Suisse, démontrait que le couple n’avait pas établi un domicile légal en Suisse (c. 4.6.2). Le TF s’est rattaché à l’avis de l’instance inférieure (c. 4.6.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 4A_635/2020 du 05 mai 2021
Responsabilité du fait des produits; application dans le temps, responsabilité de l’employeur, défaut; art. 55 al. 1 CO; 4 et 13 LRFP
B. travaillait comme nettoyeuse dans une banque lorsqu’elle s’est blessée au bras gauche en utilisant un ascenseur. En effet, elle a essayé d’empêcher la fermeture de la porte de l’ascenseur avec son bras qui se serait alors coincé dans ladite porte qui se refermait. Le cas a été considéré comme un accident par l’assureur LAA qui a finalement octroyé une rente d’invalidité réduite et une indemnité pour atteinte à l’intégrité. En outre, l’assurance responsabilité civile du propriétaire du bâtiment (art. 58 CO) lui a accordé une indemnisation de CHF 657’123.95. Par ailleurs, dans le cadre d’une procédure contre le fabricant de l’ascenseur pour l’obtention d’un tort moral de CHF 30’000.-, B. a eu gain de cause devant les instances cantonales.
Interpellé par le fabricant de l’ascenseur, le TF rappelle tout d’abord que la loi fédérale sur la responsabilité du fait des produits (LRFP) ne s’applique pas au cas d’espèce, car l’installation a été mise en fonction avant l’entrée en vigueur de ladite loi (01.01.1994) et qu’il convient donc de déterminer une éventuelle responsabilité sous l’angle de l’art. 55 CO (responsabilité de l’employeur) (c. 2.1 et 2.2).
Dans le contexte de l’application de l’art. 55 CO pour la responsabilité d’un producteur, le lésé supporte le fardeau de la preuve du défaut (c. 3.1) et, ce n’est qu’une fois cette preuve apportée qu’une éventuelle preuve libératoire du producteur doit être recherchée (c. 3.2). La question de savoir si la jurisprudence du TF développée pour l’art. 4 LRFP (cf. ATF 133 III 81) selon laquelle le lésé n’a pas à prouver la cause du défaut, mais doit uniquement démontrer que le produit ne remplissait pas les expectatives de sécurité légitimes du consommateur moyen serait à appliquer en lien avec l’art. 55 CO, peut rester ouverte. En effet, la défectuosité d’un produit présuppose que celui-ci crée un état de fait dangereux et qu’une conception plus sûre ait été raisonnablement possible au moment de sa mise en circulation. Cela découle du principe du risque qui est à la base de la responsabilité du producteur développée sur la base de l’art. 55 CO (c. 4.2).
En l’occurrence, le fait que l’ascenseur aurait joué un rôle dans la survenance du dommage ne suffit pas à démontrer un défaut. De même, le fait qu’il soit généralement facile de déterminer rétrospectivement quelles mesures dans la conception d’un produit auraient pu prévenir ledit dommage, ne permet pas en soi d’établir une quelconque responsabilité. En conclusion, le dommage ne prouve pas en soi un défaut (c. 4.4) et le TF a admis le recours du fabricant de l’ascenseur (c. 5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 4A_495/2020 du 03 mai 2021
Responsabilité du détenteur d’ouvrage; dommage évolutif, atteinte à la santé, invalidité, prescription, dies a quo; art. 42 al.2, 58 et 60 al. 1 CO; art. 227 al. 3 CPC
Le TF rappelle que le lésé connaît suffisamment le dommage lorsqu’il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice. Le lésé n’est pas admis à différer sa demande jusqu’au moment où il connait le montant absolument exact de son préjudice, car le dommage peut devoir être estimé selon l’art. 42 al. 2 CO. Ainsi, le dommage est suffisamment défini lorsque le lésé détient assez d’éléments pour qu’il soit en mesure de l’apprécier. Le lésé est par ailleurs en mesure de motiver sa demande lorsqu’il connaît le montant réel (maximal) de son dommage. Il lui est en effet toujours loisible de réduire en tout temps ses conclusions en cours d’instance (art. 227 al. 3 CPC).
Le délai de l’art. 60 al. 1 CO part du moment où le lésé a effectivement connaissance du dommage au sens indiqué ci-dessus, et non de celui où il aurait pu découvrir l’importance de sa créance en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances. Le lésé est en outre tenu d’avoir un comportement conforme à la bonne foi (art. 2 CC) ; s’il connaît les éléments essentiels du dommage, on peut attendre de lui qu’il se procure les informations nécessaires à l’ouverture d’une action.
Lorsque l’ampleur du préjudice dépend d’une situation qui évolue, le délai de prescription ne court pas avant le terme de cette évolution. Tel est le cas notamment du préjudice consécutif à une atteinte à la santé dont il n’est pas possible de prévoir d’emblée l’évolution avec suffisamment de certitude. En particulier, la connaissance du dommage résultant d’une invalidité permanente suppose que, selon un expert, l’état de santé du lésé soit stabilisé sur le plan médical et que son taux d’incapacité de travail soit fixé au moins approximativement ; le lésé doit en outre savoir, sur la base des rapports médicaux, quelle peut être l’évolution de son état.
En l’espèce, la situation du lésé, victime d’un accident sur un chantier, était certes encore évolutive, mais seulement s’agissant des thérapies envisageables et non de sa capacité de travail qui était nulle et non sujette à évolution. Le TF retient que c’est ce moment-ci, soit lorsque l’état de santé du lésé s’était stabilisé et que celui-ci savait qu’il était en incapacité de travail totale, qui constitue le dies a quo. Ayant sollicité l’intimée qu’elle renonce à se prévaloir de l’exception de prescription plus de douze mois après avoir eu suffisamment connaissance de son dommage, le lésé est débouté de ses conclusions.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève


TF 8C_538 et 564/2020 du 30 avril 2021
Assurance-accidents; notions de travailleur et d’employeur; art. 11 LPGA; 1a LAA
Le TF a dû se pencher sur le cas d’un joueur-entraîneur de hockey, victime d’une luxation traumatique de l’épaule gauche au cours d’un match, ayant entraîné une incapacité de travail de longue durée. Ce joueur était au bénéfice de plusieurs contrats de travail. Les juges fédéraux ont retenu qu’il devait être considéré comme un travailleur, au sens de l’art. 1a LAA, en qualité de joueur-entraîneur et que son accident devait être qualifié de professionnel. De plus, la Haute Cour a jugé que son employeur était la société chargée de gérer certaines tâches de l’association sportive, et non l’association elle-même.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_426/2020 du 29 avril 2021
Assurance-invalidité; capacité de travail résiduelle, mise en œuvre, exigibilité, home office; art. 7 et 8 LPGA
Une personne assurée souffrant de dépression et de troubles paniques se voit reconnaître, médicalement, une capacité de travail résiduelle de 50 % dans une activité adaptée aux atteintes à la santé. Le litige porte sur l’exigibilité de la mise en œuvre de cette capacité résiduelle. Le TF rappelle que cette question doit être examinée à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce (c. 5.2). Lorsque la possibilité d’exercer effectivement l’activité compatible avec l’état de santé est à ce point restreinte qu’elle n’existe pas ou pratiquement pas sur le marché équilibré du travail ou que l’on ne peut s’attendre à ce qu’un employeur embauche la personne assurée, la mise en œuvre de la capacité de travail résiduelle ne peut être considérée comme exigible (c. 5.3).
Même si, en l’espèce, les médecins ont estimé que la personne assurée conservait une capacité de travail à 50 % dans des activités commerciales, l’on ne saurait considérer l’arrêt 9C_15/2020 comme un précédent valable. Dans cette affaire, le TF avais admis que la capacité de travail résiduelle pouvait être mise en œuvre dans un emploi exercé en home office. Il n’en va pas de même dans cette affaire, la personne assurée n’osant pas sortir de chez elle, ce qui l’empêche d’une part de se présenter à un entretien d’embauche, et, d’autre part, de se rendre au moins ponctuellement dans les locaux de l’employeur. Dans ces conditions, la mise en œuvre de la capacité de travail ne peut être considérée comme exigible.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_463/2020 du 28 avril 2021
Assurances privées; assurance de chose, application du droit étranger; art. 116 al. 1 LDIP; L113-2 2 et L113-8 du Code des assurances français
Le recourant a rempli et signé une proposition d’assurance par laquelle il attestait du parfait état de santé du cheval qu’il souhaitait assurer en taisant un rapport du vétérinaire, lequel avait relevé des « éléments de risques majeurs quant à l’achat dudit cheval comme cheval de sauts d’obstacles » et indiqué que « si le cheval devait être acheté, il serait raisonnable de voir avec le vendeur s’il était possible de mettre une garantie sur l’absence de boiterie du membre antérieur droit compte tenu de la présence d’une molette tendineuse d’un pronostic réservé à défavorable ». Lors d’une expertise mise en œuvre après que le cheval s’est mis à boiter, l’assureur a pris connaissance du rapport de visite d’achat précité. L’assureur a annulé le contrat pour fausse déclaration intentionnelle ou d’une omission de déclaration d’une circonstance de nature à aggraver le risque garanti ou à en créer de nouveaux. L’assuré agit contre l’assureur afin d’obtenir le paiement des indemnités d’assurance en contestant la nullité du contrat d’assurance. Les juges précédents ont rejeté ses prétentions.
Le TF constate dans un premier temps que les parties ont choisi de soumettre le contrat au droit français (art. 116 LDIP) de sorte que ce sont les art. L113-2 2° du Code des assurances français (obligation de répondre correctement aux questions posées) et L113-8 du Code des assurances français (nullité du contrat d’assurance en cas de réticence) qui trouvent application dans cette affaire, ce qui n’était pas contesté.
Devant le TF, le recourant soulève trois griefs. D’abord, il se plaint du refus du premier juge d’entendre l’expert vétérinaire de la compagnie d’assurance par voie de commission rogatoire. Ce grief est vain selon notre Haute Cour, dès lors que l’audition réclamée ne porte pas sur un fait crucial pour l’issue du litige. Dans un deuxième moyen, le recourant dénonce une violation des art. 222 al. 2, 2e phrase et 317 CPC, soutenant le caractère non authentique d’un courrier. Ce moyen doit être écarté selon le TF dès lors que cela ne change rien à l’issue du litige. Enfin, le recourant faisait grief à la Cour de justice d’avoir procédé à une mauvaise application du droit. Toutefois, le recours ne peut être formé pour application erronée du droit étranger, compte tenu du fait qu’il s’agit ici manifestement d’une affaire pécuniaire (art. 96 let. b LTF a contrario). Le TF n’examine pas si le droit étranger – désigné par le droit international privé suisse – a été ou non mal appliqué ; s’y ajoute que le recourant n’invoque pas l’interdiction de l’arbitraire garantie par l’art. 9 Cst., ce qui de toute manière eût été vain selon le TF, puisque l’arrêt attaqué apparaissant tout sauf indéfendable au regard du droit français. Le recours a ainsi été rejeté.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 8C_482/2020 du 23 avril 2021
Assurance chômage; indemnité de chômage, délai-cadre d’indemnisation, subrogation; art. 29 LACI
Le TF rappelle que le début du délai-cadre applicable à la période d’indemnisation reste fixé une fois pour toutes, sauf s’il s’avère par la suite, sous l’angle de la reconsidération ou de la révision procédurale, que les indemnités de chômage ont été indûment allouées et versées parce qu’une ou plusieurs conditions du droit n’étaient pas remplies.
Ainsi, lorsqu’une indemnité de chômage est allouée et effectivement perçue par un assuré conformément à l’art. 29 al. 1 LACI, il n’y a pas lieu de reporter le début du délai-cadre applicable à la période de l’indemnisation s’il est fait droit ultérieurement, en tout ou en partie, à des prétentions de salaire ou d’indemnisation contre l’ancien employeur.
L’assuré qui actionne son ancien employeur en justice et qui obtient les prétentions salariales réclamées ne peut donc pas ensuite remettre en cause le caractère définitif du délai-cadre. L’assuré, dans un tel cas de figure, n’est pas tenu à la restitution des prestations de chômage perçues. C’est en effet la caisse qui dispose d’une créance subrogatoire contre l’employeur.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 8C_268/2020 du 19 avril 2021
Assurance-accidents; rente d’invalidité, motif de révision; art. 17 LPGA
Dans cet arrêt de principe, le TF a jugé que le seul fait que le lien de causalité naturelle ne soit plus reconnu, par exemple en raison de la survenance d’une maladie qui entraîne ou aurait entraîné la cessation de toute activité lucrative, ne constitue pas un motif de révision de la rente d’invalidité, selon l’art. 17 LPGA.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_45/2021 du 16 avril 2021
Assurance maladie; financement, liste des mauvais payeurs, prise en charge rétroactive; art. 64a al. 7 LAMal
Un assuré est inscrit sur la liste noire des mauvais payeurs, mise en place par certains cantons, dont la prise en charge au titre de la LAMal se limite à la médecine d’urgence. La faillite de l’assuré est prononcée et deux actes de défauts de bien sont émis en faveur de la caisse maladie. L’assuré demande le remboursement des prestations à sa charge jusqu’à la clôture de la faillite. Le refus de l’assurance est confirmé par l’instance cantonale.
Aux termes de l’art. 64a al. 7 LAMal, la suspension de la prise en charge des soins est annulée « lorsque les assurés ont acquitté leurs créances », condition jugée comme réalisée lorsque des actes de défaut de biens sont émis à la suite d’une procédure de faillite. L’assurance aurait donc dû reprendre la prise en charge des prestations couvertes avec effet rétroactif (Nachzahlungsanspruch) sans attendre la radiation formelle de l’assuré de la liste. Le recours est donc admis et la cause renvoyée à l’assurance.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 8C_780/2020 du 15 avril 2021
RHT COVID; préavis de réduction de l’horaire de travail, employeur ayant son siège à l’étranger; art. 8 ALCP; 65 al. 1 R (CE) n° 883/2004; 31, 36 et 121 LACI; 119 OACI
En date du 27 mars 2020, la société X. Ltd, ayant son siège au Royaume-Uni, présente une déclaration préalable de réduction de l’horaire de travail du salarié A., employé en Suisse. La Caisse bernoise de chômage refuse cette annonce, au motif que la société n’a pas de siège en Suisse. Le Tribunal administratif du canton de Berne admet le recours interjeté par A. contre cette décision au motif que le droit interne n’exige pas que l’employeur ait son siège en Suisse, et renvoie la cause à la caisse. La caisse recourt au TF.
Le TF rappelle que, s’agissant d’une situation transfrontalière, le droit européen est applicable, via l’art. 121 al. 1 let. a LACI. Il cite le chiffre 2 de la décision U3 de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale du 12 juin 2009 relative au chômage partiel, selon lequel si une personne reste employée par une entreprise dans un Etat membre autre que celui sur le territoire duquel elle réside, mais que s