Jurisprudence
Analyses
Jurisprudence
TF 7B_14 et 15/2023 du 11 septembre 2024
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence, position de garant, comportement passif (omission) contraire à une obligation d’agir, lien de causalité, respectivement rupture dudit lien entre l’omission et l’accident; art. 125 CP; 8 al. 2 aOTConst
Selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, l’acte omis, à savoir la désignation par le recourant 1 – note du soussigné : le recourant 1 avait une position de garant – d’un responsable compétent de la sécurité du chantier prévu par le document « Concept logistique et sécurité », était de nature à éviter la survenance du résultat qui s’est produit. En effet, un responsable compétent de la sécurité aura pu s’apercevoir du risque de chute que représentait pour les ouvriers, ne serait-ce que le passage de matériel à un tel endroit dépourvu de mesure de sécurisation efficace. Autrement dit, l’acte attendu de la part du recourant 1 aurait, avec une vraisemblance confinant à la certitude, empêché la survenance du résultat. Partant, c’est à bon droit que la cour cantonale a retenu que la condition du lien de causalité naturelle et adéquate était remplie (c. 3.6.2).
Quant à une éventuelle rupture de lien de causalité, c’est également à juste titre que la cour cantonale l’a écarté. Le but des normes de protection contre les chutes (cf. art. 8 al. 2 aOTConst) est d’assurer la sécurité des postes de travail et des passages, et pas seulement de prévenir les chutes involontaires découlant d’un comportement initial lui aussi involontaire. Si des prescriptions strictes ont été édictées, c’est justement pour tenir compte du caractère éminemment dangereux de toute activité de construction et de la propension naturelle de toute personne y travaillant de prendre occasionnellement des risques, volontairement ou non, pour autant que ces risques n’apparaissent pas à ce point extraordinaires et inattendus qu’ils justifient l’interruption du lien de causalité adéquate (c. 3.6.3).
En l’espèce, il est établi qu’en utilisant comme marchepied un bidon métallique posé devant l’ouverture, afin de se hisser sur la plateforme en bois en vue d’atteindre ainsi le niveau -2, tout en ayant les deux mains occupées, alors qu’il connaissait la dangerosité des lieux dans la mesure où il y rendait attentifs d’autres travailleurs, l’intimé a adopté un comportement imprudent et, par-là, commis une faute concomitante. Cependant, il n’y a rien de surprenant ni d’extraordinaire à ce qu’il ait utilisé l’endroit en question comme un passage et qu’il ait, le cas échéant, ouvert l’éventuelle porte qui s’y trouvait pour pouvoir transiter, puisque, comme on l’a vu, ce lieu servait précisément au passage de matériel, voire à celui des ouvriers, ce dont certains membres de la direction étaient d’ailleurs au courant (c. 3.6.3).
Le recourant 1 se prévaut à cet égard de l’arrêt 6B_200/2017 (…). Cet arrêt n’est pas transposable au cas d’espèce (…). L’intimé à certes pris un risque en tentant d’emprunter la cage d’escalier afin de se déplacer. C’est toutefois l’absence de sécurisation à cet endroit qui a conduit à son comportement dangereux. Contrairement à ce qui a été retenu dans l’affaire 6B_200/2017, il apparaît, en l’occurrence, qu’une installation conforme aux prescriptions en matière de sécurité aurait empêché les ouvriers d’utiliser l’endroit en question comme un passage, avec le risque de chuter dans le vide. Par conséquent, le comportement de l’intimé, qui ne permet pas de reléguer à l’arrière-plan le manquement du recourant, à qui il appartenait, comme on l’a vu, de désigner un responsable de la sécurité, ne s’impose pas comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’accident (c. 3.6.4).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud
TF 9C_761/2023 du 6 septembre 2024
Assurance-vieillesse et survivants; responsabilité, non-paiement des cotisations, qualité d’organe, société anonyme; art. 52 LAVS
Le litige porte sur la responsabilité d’une personne qui cumulait les fonctions d’actionnaire unique, d’employé et de directeur avec signature individuelle d’une SA pour le préjudice subi par la Caisse interprofessionnelle AVS de la FER en raison du non-paiement par la société d’un solde de cotisations sociales. Le Tribunal cantonal de la République et canton du Jura a considéré que cette personne n’avait pas la qualité d’organe de fait (ou d’organe matériel).
Le TF admet le recours, considérant que l’autorité cantonale a fait montre d’arbitraire dans sa constatation des faits et son appréciation des preuves, l’absence de pièces étayant le contenu des pouvoirs internes effectivement conférés n’étant pas déterminante. Le TF relève, au contraire, que le cumul de fonctions permettait à cette personne de prendre toutes les décisions nécessaires à la gestion administrative et financière de la société.
La cause est ainsi renvoyée à l’instance inférieure pour qu’elle procède à l’examen des autres conditions de la responsabilité au sens de l’art. 52 LAVS.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève
TF 6B_1190 et 1195/2023 du 4 septembre 2024
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence, violation de normes de sécurité, indemnité, arbitraire; art. 11 ss CPP
La direction des travaux et l’entreprise d’échafaudage forment chacun un recours en matière pénale au TF contre le jugement d’inculpation consécutivement à la chute d’un couvreur depuis la hauteur d’un échafaudage.
Selon l’art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l’auteur a agi sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. La négligence suppose, en premier lieu, la violation d’un devoir de prudence. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d’associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence.
En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. Dans les conditions fixées par la loi, l’employeur est responsable, sur le plan civil, des dommages causés par ses employés à ses cocontractants (art. 101 CO) ou à des tiers (art. 55 CO). Il a donc l’obligation juridique de veiller à ce que ses employés prennent les mesures de précaution nécessaires pour éviter la survenance d’un dommage ; il assume en particulier la cura in eligendo, in instruendo et in custodiendo. Il se trouve ainsi dans une position de garant.
Il faut en outre qu’il existe un rapport de causalité naturelle et adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Concernant la direction des travaux, la cour cantonale a retenu que ce dernier avait œuvré sur le chantier en qualité de directeur des travaux de l’entreprise générale. Il était donc responsable du suivi du chantier et ne pouvait pas soutenir qu’il n’aurait pas eu, à ce titre, de devoir de surveillance pour garantir le bon déroulement des travaux et la sécurité du chantier. Il était en effet évident qu’en raison de son cahier des charges, le directeur des travaux devait veiller au montage et à la maintenance de la structure de l’échafaudage, de façon qu’elle présentât la sécurité requise, et donner toute instruction utile à l’entreprise mandatée pour cette installation. L’expert mandaté avait mis en évidence plusieurs manquements dans le cadre du montage de l’échafaudage litigieux et il incombait à la direction des travaux d’y faire remédier.
Concernant l’entreprise d’échafaudage, la cour cantonale a retenu qu’en sa qualité de directeur technique et personne de contact, l’intéressé devait veiller à ce que, tant le chef d’équipe qu’il avait lui-même désigné que les ouvriers de son entreprise, avaient correctement monté l’échafaudage. Il lui revenait en effet de composer son équipe et de donner des instructions claires et précises à son chef d’équipe. Sa responsabilité résidait donc dans le choix d’une équipe compétente pour le montage de l’échafaudage. Il s’agissait d’une cura in eligendo qui était incontestablement susceptible d’engager sa responsabilité. L’entreprise d’échafaudage avait donc bien une position de garant. L’instruction avait en outre révélé que l’échafaudage n’avait pas été monté correctement. D’une part, la hauteur constructive du pont couvreur n’était pas conforme. D’autre part, les plateaux utilisés présentaient des défectuosités. A cet égard, il avait été constaté que de nombreuses pièces de liaison étaient absentes ou insuffisamment sorties et poussées sous le cadre de l’échafaudage.
La cour cantonale a considéré que la faute de l’entreprise d’échafaudage résidait essentiellement dans le fait de n’avoir pas instruit adéquatement son équipe au montage, équipe qui s’était d’ailleurs révélée incompétente puisque son chef était également condamné. L’entreprise aurait dû être d’autant plus vigilante que la SUVA avait déjà relevé à plusieurs reprises les risques d’instabilité des structures.
Enfin, la cour cantonale a considéré qu’une éventuelle faute de la victime, qui avait pris appui à tort sur la plinthe, n’était aucunement de nature à interrompre le lien de causalité, tant il était évident que c’était avant tout le contexte défaillant dans lequel l’ouvrier avait travaillé sur le plan de la sécurité qui expliquait le processus accidentel. Ainsi, l’éventuelle erreur commise par l’intimé, outre qu’il n’y avait pas de compensation des fautes au pénal, n’était que la conséquence de ces défaillances techniques imputables aux prévenus.
Leurs recours respectifs ont ainsi été rejetés par le TF.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême
TF 9C_596/2023 du 30 août 2024
Congé de prise en charge; coordination avec le congé de maternité; art. 16n et 16g al. 1 LAPG
Selon l’art. 16n LAPG, les parents d’un enfant mineur gravement atteint dans sa santé en raison d’une maladie ou d’un accident ont droit à une allocation de prise en charge s’ils interrompent leur activité lucrative pour s’occuper de l’enfant et si, au moment de l’interruption de l’activité lucrative, ils sont salariés au sens de l’art. 10 LPGA, indépendants au sens de l’art. 12 LPGA, ou travaillent dans l’entreprise de leur conjoint contre un salaire en espèces.
En vertu de l’art. 16g al. 1 LAPG, l’allocation de maternité exclut le versement des indemnités journalières de l’assurance-chômage (let. a), de l’assurance-invalidité (let. b), de l’assurance-accidents (let. c), de l’assurance militaire (let. d), du régime des allocations au sens des art. 9 et 10 (let. e) et du régime des allocations au sens des art. 16n à 16s si elle concerne le même enfant (let. f).
Dans la présente cause, la caisse de compensation compétente a refusé au père d’un nouveau-né gravement malade le droit à une allocation de prise en charge au motif que la mère de l’enfant bénéficiait déjà d’une allocation de maternité. Le père s’est d’abord opposé avec succès à cette décision devant le tribunal cantonal, mais le TF a finalement donné raison à la caisse de compensation.
De l’avis des juges cantonaux, l’art. 16g al. 1 let. f LAPG ne concrétiserait pas la question de savoir qui perçoit les indemnités journalières (exclues en cas d’allocation de maternité). Selon eux, ni la genèse de la loi, ni les autres méthodes d’interprétation ne permettraient de conclure que le législateur aurait voulu exclure l’allocation de prise en charge en faveur du père de l’enfant lorsque la mère perçoit en même temps l’allocation de maternité. Au contraire, le droit du père de l’enfant à l’allocation de prise en charge après la naissance d’un enfant gravement malade devrait être accordé si les autres conditions sont remplies.
Le TF ne partage pas l’opinion de l’instance précédente. La section IIIc de la LAPG, qui régit les art. 16n ss, a pour titre « [l]’allocation pour les parents qui prennent en charge un enfant gravement atteint dans sa santé en raison d’une maladie ou d’un accident ». L’art. 16n LAPG dispose par ailleurs que « les parents » (« Eltern », « i genitori ») ont droit à l’allocation aux conditions prévues par la loi. En renvoyant à ces dispositions, l’art. 16g al. 1 let. f LAPG concrétise la question de savoir qui perçoit les indemnités journalières − dont le versement est exclu en cas d’allocation de maternité −, à savoir les deux parents. Contrairement à l’appréciation de l’instance précédente, le texte de la disposition est clair et il ne peut y être dérogé que pour des motifs valables, qui font défaut en l’espèce.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne
TF 2C_97/2023 du 19 août 2024
Responsabilité de l’Etat; dommage, théorie de la différence, lucrum cessans, responsabilité fondée sur la confiance; art. 41 CO; 9 Cst.
A. a acheté en 2005, pour un montant de CHF 2'300'000.-, une propriété à Samedan, dans le canton des Grisons, qui était grevée d’une obligation d’habitation principale à 100 %, ce qui ne lui a pas été communiqué au moment de l’achat. En 2011, en raison d’un changement de résidence, A. a décidé de vendre sa propriété. Il a obtenu, cette même année, une confirmation écrite de la commune de Samedan que la parcelle concernée n’était pas soumise à l’obligation de résidence principale. En 2013, la commune a également confirmé cette information à un tiers intéressé par l’achat. Par la suite il s’est avéré cependant que la propriété n’avait été autorisée qu’en tant que résidence principale ; l’obligation de résidence principale n’avait pas été inscrite au registre foncier par erreur. Cette obligation a ensuite été confirmée par une décision de la commune en 2014 que A. a contestée devant les tribunaux, en vain. En 2017, A. a vendu sa propriété pour un montant de CHF 2'850'000.-. Selon une estimation datant de 2013, la valeur vénale de l’immeuble sans l’obligation de résidence principale aurait été de CHF 4'150'000.-. A. intente une action en responsabilité contre la commune et le canton. Il réclame le paiement de CHF 1'300'000.- à titre de gain manqué correspondant à la différence entre le prix de vente obtenu et celui qui aurait pu l’être si le bien immobilier n’était pas grevé d’une obligation de résidence principale. A. réclame également un montant de CHF 509'940.10 correspondant aux frais immobiliers courants (intérêts hypothécaires, assurance, impôts, entretien) qu’il a dû assumer entre son départ de Samedan en 2011 et la vente en 2017.
Le TF relève que le droit cantonal ne prévoit aucune disposition particulière, si bien que l’art. 41 CO s’applique à titre de droit cantonal supplétif. Dans ce cadre, le TF rappelle que, selon la théorie de la différence, le dommage correspond à la différence entre l’état actuel du patrimoine et l’état (hypothétique) qu’il aurait sans le fait dommageable. Il peut consister en une augmentation du passif, une diminution de l’actif ou un gain manqué (lucrum cessans). Le dommage résultant d’un gain manqué n’est indemnisé que s’il s’agit d’un gain usuel ou qui aurait été réalisé avec certitude (c. 5.1).
En l’espèce, la propriété à Samedan n’a jamais été juridiquement une résidence secondaire (librement utilisable) durant la période où le recourant en était propriétaire (2005-2017) et, par conséquent, n’a jamais été un immeuble d’une valeur vénale de CHF 4'150'000.-. Au contraire, depuis l’octroi du permis de construire en 1997, l’immeuble était grevé d’une restriction d’utilisation de droit public sous la forme d’une obligation de résidence principale, même si l’inscription (déclarative) de cette restriction au registre foncier est intervenue plus tard. Le gain hypothétique de CHF 1'300'000.- invoqué par A. lui aurait donc échappé avec la vente de l’immeuble en 2017 en raison de l’obligation de résidence principale, même s’il avait eu connaissance de ladite obligation dès le début ou s’il en avait été informé lors de l’acquisition de l’immeuble ou lors des deux demandes à ce sujet auprès de la commune en 2011 et 2013. Il n’y a donc pas de différence entre l’état de son patrimoine immédiatement après la vente de l’immeuble en 2017 et l’état qu’aurait eu son patrimoine à l’époque s’il avait été informé de l’obligation d’occuper son logement principal en 2011 ou 2013. Le fait que A. n’ait pas eu connaissance de l’obligation de résidence principale jusqu’à la mi-juin 2013 n’a eu aucune influence sur la valeur du bien immobilier. Même si l’on qualifiait de contraire au droit le comportement des autorités qui a conduit à son ignorance de la restriction d’utilisation ou au maintien de son ignorance, un comportement de substitution licite aurait entraîné le même « dommage » (c. 5.6.1). La responsabilité de la commune pour le gain manqué n’entre donc pas en ligne de compte. La commune n’est pas non plus tenue de rembourser le montant de CHF 509'940.10 correspondant aux dépenses d’entretien de l’immeuble. Le recourant. a incontestablement réalisé une plus-value de CHF 550'000.- suite à la vente de l’immeuble en 2017. Ce montant dépasse les frais d’entretien de CHF 509'940.10., raison pour laquelle il n’y a pas de dommage selon la théorie de la différence (c. 5.6.2).
Le TF examine ensuite si le recourant peut se prévaloir de la protection de la confiance (art. 9 Cst.) du fait qu’il aurait reçu à deux reprises une confirmation de la commune que sa propriété était une résidence secondaire. Notre Haute Cour rappelle qu’indépendamment du fait que l’indemnisation invoquée pour la confiance déçue se fonde directement sur l’art. 9 Cst. ou sur le droit cantonal de la responsabilité de l’Etat, le versement d’une telle indemnité n’entre en ligne de compte que si les conditions de la protection de la confiance sont en général remplies. Il en découle que seul peut se prévaloir de la protection de la confiance celui qui a pris des dispositions patrimoniales en se fiant légitimement à une information erronée de l’autorité, dispositions sur lesquelles il ne peut pas revenir sans préjudice ; la personne doit être placée, sur le plan patrimonial, dans la même situation que si elle n’avait pas pris ces dispositions. Le dommage indemnisable est ainsi (au maximum) celui qui a été directement provoqué par les investissements et les dépenses effectués sur la base de la confiance accordée. En revanche, d’autres dommages restent d’emblée exclus de la notion de dommage fondé sur la confiance. Lors du calcul du dommage, ce n’est donc pas (également) le manque à gagner (lucrum cessans) qui est déterminant, mais uniquement l’intérêt négatif (c. 6.2.2).
En l’espèce, le recourant fait valoir que la disposition défavorable qu’il a prise a consisté dans le fait qu’il n’a pas pu vendre son bien immobilier à Samedan en tant que résidence secondaire en raison des renseignements erronés fournis par la commune à partir de 2011. Il fait ainsi valoir un gain manqué, lequel n’est pas indemnisable au titre de la responsabilité fondée sur la confiance (c. 6.2.3).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne
TF 8C_75/2024 du 12 août 2024
Assurance-accidents; qualité d’assuré; lieu de l’exercice de l’activité lucrative; art. 1a al. 1 let. a LAA
A. était employé pour une durée déterminée par B. AG du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022 en qualité de stagiaire (« Praktikant ») avec le titre de « Product Content Manager ». A. est né et a grandi en Suisse. Il a vécu de 2019 jusqu’en juillet 2021 à Dubai. Par la suite, il a séjourné durant deux mois environ en Suisse avant de s’installer jusqu’à fin 2021 au Kenya – pays dans lequel il se trouvait lors de la signature du contrat de travail – puis durant un mois et demi environ en Thaïlande et finalement au Sri-Lanka, pays dans lequel il se trouvait en vacances lorsqu’il a été heurté par un véhicule de livraison le 16 avril 2022. Son contrat de travail prévoyait que le lieu de travail se trouvait en Suisse, au siège de la société B. AG. Toutefois, A. n’a, dans les faits, jamais exercé son activité dans les locaux de son employeur. Après interprétation de l’art. 1a al. 1 let. a LAA, le TF arrive à la conclusion, à l’instar de l’assureur-accidents et des juges cantonaux, que A. n’est pas couvert par la LAA, au motif qu’il n’a jamais effectivement travaillé en Suisse, qu’il n’était pas un travailleur détaché et que, dès le départ, il exercerait son activité depuis l’étranger.
Auteur : Guy Longchamp
TF 6B_1149/2023 du 7 août 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; lésions corporelles graves par négligence; lien de causalité; art. 125 CP
Le TF examine les circonstances d’un accident de la circulation lors duquel un conducteur s’est engagé dans un giratoire sans prendre en garde à un autre véhicule arrivant sur sa gauche. Ce conducteur a été reconnu coupable de lésions corporelles graves par négligence. Devant le TF, le recourant, à savoir le conducteur fautif, se prévaut d’une rupture du lien de causalité adéquate. Cet argument est rejeté.
La causalité adéquate peut être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d’un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.
Dans le cas d’espèce, la victime roulait certes trop vite. Toutefois, la visibilité était bonne et le véhicule de la victime n’a pas surgi de manière inattendue dans le giratoire. Au contraire, c’est bien le recourant, débiteur de la priorité, qui lui a coupé la route et qui est à l’origine de la collision. Dans de telles circonstances, le comportement de la victime ne représente en rien une circonstance à ce point exceptionnelle ou extraordinaire qu’il faudrait la qualifier d’imprévisible. L’argument tiré de la rupture du lien de causalité est donc rejeté.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne
TF 9C_162/2024 du 31 juillet 2024
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations sociales; statut; activité dépendante ou indépendante; principe de l’instruction; degré de la preuve; art. 28, 43 et 61 let. c LPGA; 5 al. 2 LAVS
Une société a fait exécuter un travail par une société tierce. La première est affiliée comme employeur auprès d’une caisse AVS. Elle a effectué des versements en espèces à la société sous-traitante sans justificatifs détaillés, ce qu’un contrôle employeur a mis en évidence. La caisse a rendu une décision par laquelle elle réclamait le paiement de cotisations sociales sur les versements en espèces. La société qui a fait exécuter le travail a recouru au niveau cantonal puis fédéral contre la décision de la caisse.
Le TF a partiellement admis le recours et renvoyé la cause à la caisse pour nouvelle décision. Le TF a constaté que la juridiction cantonale avait appliqué une présomption non fondée selon laquelle les versements en espèces avaient pour but d’économiser des cotisations sociales. Par ailleurs, elle n’a pas examiné concrètement les caractéristiques de l’activité déployée par la société sous-traitante et quelle société supportait le risque économique de l’activité en cause. La jurisprudence exige un examen approfondi (principe de l’instruction, art. 43 et 61 let c LPGA) des circonstances particulières de chaque cas pour déterminer si une activité est de nature dépendante (art. 5 al. 2 LAVS) ou indépendante.
De plus, la cour cantonale a imposé des exigences excessives quant à l’obligation de collaborer (art. 28 LPGA) de la société qui a versé les montants, ce qui n’est pas conforme aux principes du droit des assurances sociales. Il n’y a pas de renversement du fardeau de la preuve et le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante habituel en droit des assurances sociales s’applique. Par ailleurs, lorsqu’une personne exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante, salariée même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise.
En l’espèce, il s’agissait de déterminer si le tâcheron peut être considéré comme un partenaire commercial qui traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail. L’arrêt entrepris ne contenait pas de constatations à ce sujet.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate à Lausanne
TF 7B_746/2023 du 30 juillet 2024
Responsabilité aquilienne; dommage; perte d’une chance; preuve; art. 122 et 126 CPP; 41 et 42 al. 2 CO
Condamné pour actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de résistance, commis sur deux stagiaires plongées par leur maître de stage dans un état d’endormissement, un avocat a également été condamné à indemniser l’une de ses victimes pour le gain manqué en raison des infractions commises. Le TF a, dans un premier temps, exposé les principes généraux régissant l’indemnisation d’une victime d’un acte illicite, ici l’infraction susvisée. Il a ainsi rappelé que, conformément à l’art. 122 al. 1 CPP, les prétentions civiles que peut faire valoir la partie plaignante sont exclusivement celles qui sont déduites de l’infraction. Ainsi, les prétentions civiles doivent découler d’une ou de plusieurs infractions qui, dans un premier temps, sont l’objet des investigations menées dans la procédure préliminaire, puis, dans un second temps, figurent dans l’acte d’accusation élaboré par le ministère public, en application de l’art. 325 CPP. Dans la plupart des cas, le fondement juridique des prétentions civiles réside dans les règles relatives à la responsabilité civile des art. 41 ss CO. La partie plaignante peut dès lors réclamer la réparation de son dommage (art. 41 à 46 CO) et l’indemnisation de son tort moral (art. 47 et 49 CO), dans la mesure où ceux-ci découlent directement de la commission de l’infraction reprochée au prévenu.
Puis, le prévenu ayant invoqué que l’allocation de l’indemnité pour le gain manqué relevait de l’application de la théorie de la perte d’une chance, le TF a rappelé les principes de cette théorie, développée par une doctrine de renom, soit la situation dans laquelle le fait générateur de responsabilité « perturbe » un processus incertain étant susceptible d’enrichir la victime ou d’éviter son appauvrissement. Le TF a rappelé que sa Cour de droit civil, dans un arrêt publié, n’avait pas retenu l’application de cette théorie en raison du paramètre de probabilité dont il devrait être tenu compte quant à la causalité entre le fait générateur et son résultat, aléatoire. Le TF considère que les premiers juges n’ont pas fait usage de cette institution juridique mais qu’ils ont établi le dommage et l’indemnité conformément au droit.
Les juges cantonaux avaient alloué à la victime une indemnité correspondant à la rémunération que cette dernière aurait pu percevoir entre la date à laquelle elle aurait dû initialement passer les examens du brevet, si elle n’avait pas été abusée par son maître de stage, et celle à laquelle elle a effectivement réussi ceux-ci. Ils ont ainsi considéré, certificats médicaux à l’appui, que la stagiaire avait dû reporter ses examens en raison des agissements de son maître de stage. Ils ont également estimé que la réussite des examens n’était en l’espèce pas un processus incertain. Au contraire, les premiers juges ont tenu pour pratiquement certain que, si elle s’était présentée aux examens du barreau à la date prévue, la victime aurait obtenu son brevet d’avocate, respectivement aurait immédiatement travaillé. Le recourant n’avait d’ailleurs pas fait valoir que la victime n’avait pas les qualités suffisantes pour lui permettre de réussir du premier coup ses examens et de trouver un emploi.
En outre, le TF a considéré que le fait que la victime aurait immédiatement trouvé du travail après avoir réussi ses examens à la date initialement prévue n’était pas non plus aléatoire, et en veut pour démonstration que celle-ci occupait déjà un emploi au sein d’une étude d’avocats pendant sa préparation au brevet. Quant au taux d’activité, les premiers juges avaient considéré qu’il était dans le cours ordinaire des choses de travailler à plein temps juste après l’obtention du brevet d’avocat. Elle a ainsi appliqué l’art. 42 al. 2 CO, qui prévoit que lorsque le montant exact du dommage n’a pas pu être établi, le juge le détermine équitablement, en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. Dans le cas d’espèce, la victime avait, relève le Tribunal fédéral, fourni aux juges, autant que cela lui était possible, tous les éléments de fait permettant de conclure à l’existence du dommage et de le déterminer équitablement en fonction du cours ordinaire des choses.
Dans un dernier argument, les juges ont considéré que même en cas d’échec à la première session d’examens, la stagiaire aurait pu trouver un emploi pendant la période la séparant de sa seconde tentative.
Quant au montant du dommage, il a été arrêté équitablement en retenant le revenu moyen d’une juriste sans expérience, en référence aux données publiées par l’Office fédéral de la statistique.
Le recours a ainsi été rejeté sous réserve d’une correction de la période d’indemnisation, de septembre 2017 à mai 2018, ce qui représentait donc huit mois de salaire, et non neuf, fait retenu arbitrairement par les juges cantonaux.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève
TF 9C_235/2024 du 30 juillet 2024
Assurance-vieillesse et survivants; allocation pour impotence; rapport d’enquête; valeur probante; début du droit; art. 9 LPGA; 43bis et 46 LAVS; 42 LAI; 37 RAI
Le litige porte sur le droit d’un assuré à une allocation pour impotent (de degré grave), ainsi que sur le début du droit à l’allocation.
En ce qui concerne tout d’abord la valeur probante d’un rapport d’enquête de l’office AI pour l’évaluation du degré d’impotence, le TF rappelle qu’il est essentiel qu’il ait été élaboré par une personne qualifiée qui a connaissance de la situation locale et spatiale, ainsi que des empêchements et des handicaps résultant des diagnostics médicaux. Il s’agit en outre de tenir compte des indications de la personne assurée et de consigner les opinions divergentes des participants. Pour le TF, un rapport peut être probant même si l’assuré n’est pas présent lors de la visite à son domicile.
Au surplus, selon la jurisprudence constante du TF, la nécessité d’administrer quotidiennement des médicaments ne fait pas partie de l’acte « manger » ; elle doit plutôt être prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la personne assurée présente un besoin de soins permanents. L’acte ordinaire de la vie « manger » comprend l’aide consistant à apporter un des repas principaux au lit en raison de l’état de santé de la personne assurée. En revanche, le fait de devoir reporter l’heure du petit-déjeuner parce que l’assuré ne peut pas se mettre à table avant 10 heures ne permet pas de retenir un besoin d’aide pour accomplir l’acte « manger ».
Il est précisé finalement, concernant le début du droit à l’allocation pour impotent, que si l’assuré fait valoir son droit à une allocation pour impotent plus de douze mois après la naissance du droit, l’allocation ne lui est versée que pour les douze mois qui ont précédé sa demande. Des arriérés sont alloués pour des périodes plus longues si l’assuré ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations et s’il présente sa demande dans un délai de douze mois à compter du moment où il en a eu connaissance.
Pour admettre la présence de faits ouvrant droit à des prestations que l’assuré ne pouvait pas connaître, il faut qu’un état de fait objectivement donné ouvrant droit à des prestations n’ait pas été reconnaissable ou que la personne assurée ait été empêchée pour cause de maladie malgré une connaissance adéquate de déposer une demande ou de charger quelqu’un du dépôt de la demande.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont
TF 9C_235/2024 du 30 juillet 2024
Assurance-vieillesse et survivants; allocation pour impotence; rapport d’enquête; valeur probante; début du droit; art. 9 LPGA; 43bis et 46 LAVS; 42 LAI; 37 RAI
Le litige porte sur le droit d’un assuré à une allocation pour impotent (de degré grave), ainsi que sur le début du droit à l’allocation.
En ce qui concerne tout d’abord la valeur probante d’un rapport d’enquête de l’office AI pour l’évaluation du degré d’impotence, le TF rappelle qu’il est essentiel qu’il ait été élaboré par une personne qualifiée qui a connaissance de la situation locale et spatiale, ainsi que des empêchements et des handicaps résultant des diagnostics médicaux. Il s’agit en outre de tenir compte des indications de la personne assurée et de consigner les opinions divergentes des participants. Pour le TF, un rapport peut être probant même si l’assuré n’est pas présent lors de la visite à son domicile.
Au surplus, selon la jurisprudence constante du TF, la nécessité d’administrer quotidiennement des médicaments ne fait pas partie de l’acte « manger » ; elle doit plutôt être prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la personne assurée présente un besoin de soins permanents. L’acte ordinaire de la vie « manger » comprend l’aide consistant à apporter un des repas principaux au lit en raison de l’état de santé de la personne assurée. En revanche, le fait de devoir reporter l’heure du petit-déjeuner parce que l’assuré ne peut pas se mettre à table avant 10 heures ne permet pas de retenir un besoin d’aide pour accomplir l’acte « manger ».
Il est précisé finalement, concernant le début du droit à l’allocation pour impotent, que si l’assuré fait valoir son droit à une allocation pour impotent plus de douze mois après la naissance du droit, l’allocation ne lui est versée que pour les douze mois qui ont précédé sa demande. Des arriérés sont alloués pour des périodes plus longues si l’assuré ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations et s’il présente sa demande dans un délai de douze mois à compter du moment où il en a eu connaissance.
Pour admettre la présence de faits ouvrant droit à des prestations que l’assuré ne pouvait pas connaître, il faut qu’un état de fait objectivement donné ouvrant droit à des prestations n’ait pas été reconnaissable ou que la personne assurée ait été empêchée pour cause de maladie malgré une connaissance adéquate de déposer une demande ou de charger quelqu’un du dépôt de la demande.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont
TF 4A_503/2023 du 29 juillet 2024
Assurances privées; interprétation du contrat d’assurance; rattachement temporel du sinistre à la police; art. 18 CO; 9 aLCA
La recourante est une entreprise de fabrication de revêtement de façade ACP (aluminium composite panels). Elle est partie défenderesse dans la procédure engagée le 14 février 2019, auprès de la Federal Court d’Australie par les propriétaires d’étages d’un bâtiment revêtu des panneaux ACP. Les prétentions des lésés sont le remboursement des frais d’enlèvement et de remplacement des panneaux ACP, ainsi que sur les dommages-intérêts pour les pertes consécutives à la pose des panneaux dont la composition n’était pas conforme aux normes légales en vigueur en août 2018.
La recourante est assurée jusqu’à fin 2018 par la société d’assurance intimée pour le risque de la responsabilité civile dérivant des produits. Le Tribunal de commerce du canton de Zurich la déboute de son action en paiement des prestations introduite contre l’intimée au motif que le sinistre n’est pas survenu durant la période assurée. Le rattachement temporel du cas d’assurance selon l’autorité cantonale requerrait une première constatation en 2018 (par qui que ce soit) des frais de démontage et de nouveau montages occasionnés par le défaut allégué.
L’assurance s’étend, selon le chiffre 6.2 de la Master-Police, aux sinistres qui surviennent pendant la durée du contrat et qui sont déclarés à l’intimée au plus tard 60 mois après la fin du contrat (let. a). Selon la lettre b de la disposition, le moment de la survenance du sinistre est « celui où un dommage est constaté pour la première fois (par qui que ce soit) ».
Pour le tribunal cantonal, les frais de démontage et de remontage des panneaux ALP ont été réclamés par la class action des demandeurs avant que lesdits frais consécutifs au défaut du produit ne soient reconnus. Le rattachement temporel du sinistre à la police d’assurance fait défaut.
Dans son interprétation du contrat d’assurance, le TF constate l’absence de définition du dommage contenue dans la police d’assurance qui définit l’étendue des prestations assurées au titre des dommages corporels, des dommages matériels et des dommages patrimoniaux.
Le TF rappelle sa jurisprudence en matière d’interprétation des contrats (c. 2). Lors de l’interprétation d’une disposition contractuelle rédigée par l’une des parties, il est donc déterminant de savoir quel est l’objectif que l’autre partie doit raisonnablement reconnaître dans la disposition en tant que partenaire commercial de bonne foi. Parmi les postes des dommages réclamés, la police litigieuse ne couvre que les frais de démontage des produits défectueux et montage ultérieur de produits exempts de défauts faisant ainsi exception à l’exclusion des dommages purement économiques (c. 3.1.2).
Les demandeurs de la class action ont émis des prétentions non chiffrées tendant à l’élimination d’un défaut présumé en lien avec les composants des panneaux ACP, dont la teneur n’était pas conforme à la loi australienne. L’existence d’un dommage est la condition nécessaire à toute action en responsabilité. La survenance d’un sinistre constitue la condition préalable à la prestation d’assurance. La constatation de l'existence du dommage crée le point de départ de la réclamation. Les contrats d’assurance basés sur le « claims made » prévoient un rattachement temporel fondé sur le moment où l’assuré vient à connaissance des prétentions en dommages-intérêts. La doctrine part donc du principe que l’action suit la survenance du dommage (c. 5.2.1). Les autres clauses de la police litigieuse permettent de fonder le rattachement à la connaissance des prétentions qui seront négociées exclusivement par l’assureur lequel défendra son assuré contre les prétentions injustifiées.
En application des règles de la bonne foi, la constatation du dommage intervient lorsque l’on peut reconnaître les circonstances dont le lésé déduit ses prétentions. Le rattachement temporel n’exige pas que le dommage ait été vérifié et que les prétentions qui en résultent soient justifiées. Le démontage et le remontage des panneaux n’est pas une réparation du dommage au défaut (Mangelfolgeschäden), mais constitue une élimination et réparation du défaut de construction (Mangelbeseitigung). L’élimination du défaut empêche l’apparition d’un potentiel dommage consécutif au défaut (c. 5.4.1).
Le TF retient que la connaissance du défaut intervient la première fois à la date à laquelle les propriétaires d’étages ont vérifié en 2018, auprès du fournisseur, la composition du revêtement utilisé pour leur bâtiment. Le rattachement temporel est ainsi admis par le TF.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
TF 9C_763/2023 du 25 juillet 2024
APG-Covid 19; changement de statut de l’entreprise; valeur des circulaires; légalité; art. 2 al. 3bis O APG COVID-19; 31 al. 3 let. c LACI
A., qui gérait un restaurant depuis 2017 dans le cadre d’une entreprise individuelle, a créé le 1er septembre 2020 une société à responsabilité limitée (Sàrl) dans laquelle il était seul inscrit. Le 29 mai 2021, il a sollicité des allocations pour perte de gain liée au coronavirus pour les mois de novembre 2020 à février 2021 auprès de la caisse de compensation qui a refusé sa demande. Le recours contre la décision sur opposition de la caisse de compensation a été rejeté par l’instance cantonale zurichoise le 26 octobre 2023.
Dans le contexte de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19, l’OFAS a établi une circulaire y relative (CCPG). Au N 1041.5a de ladite circulaire, qui a été introduit le 29 janvier 2021, il est prévu qu’en cas de changement de statut juridique d’une société, l’examen de la baisse du chiffre d’affaires, le droit et le calcul de l’allocation se basent uniquement sur le nouveau statut.
Le TF rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les circulaires de l’administration n’ont pas d’effets contraignants pour le juge. Toutefois, dès lors qu’elles tendent à une application uniforme et égale du droit, il convient d’en tenir compte et en particulier de ne pas s’en écarter sans motifs valables lorsqu’elles permettent une application correcte des dispositions légales et traduisent une concrétisation de celles-ci. En revanche, une circulaire ne saurait sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu’elle est censée concrétiser (c. 3.3).
Dans le cas d’espèce, l’introduction du N 1041.5a a posé de nouvelles exigences pour l’obtention des prestations qui ne figurent pas dans les bases légales. Ainsi, le droit de A. aux allocations est nié uniquement parce qu’il a changé la forme juridique de la société liée à son activité professionnelle. Le N 10415a ne conduit donc pas à une application correcte de l’art. 2 al. 3bis de l’O APG COVID-19, si bien qu’il y a lieu de s’en écarter (c. 4.2 et 4.3). La cause est renvoyée à l’instance inférieure pour une nouvelle détermination.
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge
TF 8C_456/2023 du 15 juillet 2024
Prestations complémentaires; droit d’habitation; dessaisissement de revenu; valeur locative; art. 11 et 11a LPC; 12 et 15e OPC-AVS/AI
Le TF s’est en premier lieu prononcé sur la question du droit transitoire, à la suite de l’entrée en vigueur au 1er janvier 2021 de nouvelles dispositions de la LPC et de l’OPC-AVS/AI (réforme des PC). Selon les dispositions transitoires, l’ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la réforme des PC aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels l’ancien droit est plus favorable. En l’espèce, le TF a considéré que les nouvelles dispositions devraient être applicables car à l’entrée en vigueur de la réforme des PC la personne était uniquement bénéficiaire de prestations complémentaires cantonales et non fédérales. Le TF n’a cependant pas été très affirmatif dans sa formulation et a relevé que l’issue du litige est en tout état de cause la même que l’on applique l’ancien droit ou le nouveau droit (c. 2.2).
Le TF s’est en second lieu prononcé sur la valeur à prendre en considération dans le calcul des prestations complémentaires versées à une personne qui était titulaire d’un droit d’habitation grevant le logement qu’elle habite et qui a ensuite renoncé à ce droit d’habitation.
Lorsqu’une personne est titulaire d’un droit d’habitation, la valeur locative doit être prise en considération dans les revenus déterminants (art. 11 al. 1 let. b LPC) (c. 5.1). Le fait de renoncer à un droit d’habitation sans obligation légale et contre-prestation adéquate correspond à un dessaisissement de revenu, dont il y a lieu de tenir compte dans le calcul des prestations complémentaires (art. 11a al. 2 LPC introduit au 1er janvier 2021 ; art. 11 al. 1 let. g aLPC) (c. 5.1 et 5.2). Depuis l’entrée en vigueur de la réforme des PC, si une personne renonce à un usufruit ou à un droit d’habitation, est prise en compte comme revenu la valeur locative diminuée des coûts que le titulaire de l’usufruit ou du droit d’habitation a assumés ou aurait dû assumer en lien avec l’usufruit ou le droit d’habitation (art. 15e OPC-AVS/AI introduit au 1er janvier 2021) (c. 5.1). L’ancien droit ne prévoyait pas de dispositions particulières sur la valeur à prendre considération, mais la jurisprudence considérait que dans le cas d’une renonciation à un usufruit immobilier il fallait tenir compte d’un revenu fictif correspondant aux intérêts sur la valeur vénale de l’immeuble sur lequel portait l’usufruit (c. 5.2, 6.2 et 6.3).
En l’espèce, le litige portait sur la question de savoir si le montant du dessaisissement devait correspondre à la valeur locative du droit d’habitation auquel il a été renoncé ou aux intérêts sur la valeur vénale de l’immeuble sur lequel portait le droit d’habitation, calculés selon le taux d’intérêt moyen pour les obligations et bons de caisse en Suisse au cours de l’année précédant celle de l’octroi de la prestation complémentaire, par référence à la jurisprudence développée sous l’ancien droit en matière d’usufruit (c. 4).
Le TF a jugé que la jurisprudence rendue dans le cas d’une renonciation à un usufruit immobilier ne trouvait pas application s’agissant de la renonciation à un droit d’habitation. Contrairement aux arrêts rendus en matière d’usufruit, l’immeuble n’avait pas été aliéné et il n’y avait pas eu de contrepartie à la radiation du droit d’habitation. En effet, le droit d’habitation est incessible quant à la substance et à l’exercice, de sorte que son bénéficiaire ne peut pas en tirer profit. Le TF a ainsi jugé que pour fixer la contre-valeur de la renonciation à un droit d’habitation, il ne se justifie pas de se référer aux intérêts sur la valeur vénale du logement, qui n’a pas été aliéné et alors même que la personne ayant renoncé à son droit d’habitation n’a aucune prétention sur lesdits intérêts. La renonciation à un droit d’habitation doit être appréciée à la valeur locative (c. 6.4).
Enfin, le TF a relevé que la question de savoir si la jurisprudence développée en matière d’usufruit restait valable à l’aune des nouvelles dispositions introduites au 1er janvier 2021 (art. 11a al. 2 LPC et art. 15e OPC-AVS/AI) pouvait rester ouverte (c. 6.4).
Auteure : Clio Herrmann, avocate à Genève
TF 4A_336/2023 du 12 juillet 2024
Responsabilité médicale; régime conventionnel de responsabilité; interprétation des contrats; causalité; art. 18 et 97 CO
Le TF est amené à trancher la question de savoir qui, d’un médecin indépendant ou d’un établissement médicalisé, doit assumer la responsabilité d’une atteinte à un patient, au sens de la convention de collaboration les liant. Selon cette convention, l’établissement médicalisé répondait seul des dommages causés à des tiers par le médecin concerné, dans le cadre de l’activité déployée en son sein. A cet effet, l’assurance responsabilité civile de l’établissement couvrait les dommages causés par ce patricien.
Dans le cadre d’une procédure séparée initiée par le patient lésé, la responsabilité du médecin a été admise au motif d’une erreur de diagnostic commise lors d’une consultation préopératoire s’étant tenue dans son cabinet médical privé – et non une erreur de traitement, les interventions au sein de l’établissement médicalisé ayant été exécutées dans les règles de l’art. Le choix de l’intervention litigieuse, compte tenu des caractéristiques du patient, constituait une faute de la part du médecin, tout comme l’absence de renseignement adéquat. Le lien de causalité entre le dommage subi par le patient et l’erreur de diagnostic était ainsi réalisé.
Si ce jugement n’est pas directement opposable à l’établissement médicalisé, il a en revanche valeur de moyen de preuve dans le procès ultérieur dans lequel il est défendeur/intimé, objet du présent arrêt.
En application des règles d’interprétation des contrats (déduites de l’art. 18 CO), la réelle et commune intention des parties a pu être établie, en ce sens que – selon la convention de collaboration – la responsabilité de l’établissement s’appliquait uniquement aux actes réalisés dans ses locaux. Il a également été établi que l’erreur de diagnostic était non seulement imputable au médecin, mais également la cause du dommage subi par le patient. Cette erreur n’avait par ailleurs pas été commise dans les locaux de l’établissement (mais dans le cabinet médical privé du médecin). Les opérations qui ont eu lieu au sein de celui-ci ont, quant à elles, été jugées comme ayant été pratiquées conformément aux règles de l’art.
Dans ces circonstances, le TF a confirmé que la consultation médicale à l’origine de l’erreur de diagnostic, effectuée hors de l’établissement médicalisé, n’était pas couverte par le régime de responsabilité de la convention conclue entre ce dernier et le médecin responsable. La responsabilité de l’établissement ne s’étendait ainsi pas à la consultation préopératoire qui s’est déroulée au cabinet médical privé du médecin. Il ne suffit par ailleurs pas qu’il y ait une causalité naturelle entre les opérations effectuées au sein de l’établissement et le dommage pour engager sa responsabilité. Encore faut-il qu’il y ait un rapport de cause à effet entre le chef de responsabilité, soit un acte illicite ou une violation du devoir de diligence de l’établissement, et le dommage.
Partant, il revient à l’assurance responsabilité civile du médecin (demandeur/recourant – débouté en l’espèce) de couvrir le dommage.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat
TF 8C_582/2022 du 12 juillet 2024
Assurance-accidents; maladie professionnelle; COVID long; art. 9 al. 1 et 2 LAA
Z., née en 1966, était employée dans une clinique en qualité de psychologue et assurée de ce fait à la LAA. Le 22 octobre 2020, elle a contracté le COVID-19. Le 17 février 2021, la clinique a annoncé le cas à son assureur-accidents, qui a refusé de verser des prestations, au motif notamment qu’il n’était pas démontré que l’assurée avait bien contracté le COVID-19 sur sa place de travail et qu’en qualité de psychologue, elle ne travaillait pas directement avec des patients atteints de ce virus. Le TF a rejeté le recours formé par l’assurée, au motif qu’elle n’avait pas démontré que son atteinte à la santé était due à « certains travaux » (art. 9 al. 1 LAA en lien avec le ch. 2 de l’annexe 1 OLAA) dans l’exercice de son activité professionnelle ce qui, d’emblée, excluait également une application de l’art. 9 al. 2 LAA.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_823/2023 du 8 juillet 2024
Assurance-invalidité; revenu de valide, abattement sur le salaire statistique, disposition réglementaire, légalité; art. 16 LPGA; 28a al. 1 LAI; 26bis al. 3 aRAI
L’art. 26bis al. 3 RAI, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, n’est pas conforme au droit supérieur. S’agissant d’une disposition d’ordonnance dépendante visant à compléter la loi, elle doit être conforme à la disposition légale sur laquelle elle se fonde, en l’espèce sur l’art. 28a al. 1, 2e phrase, LAI. Procédant à l’interprétation littérale et historique de cette disposition, le TF parvient à la conclusion que le législateur n’a jamais eu la volonté de voir abandonner la pratique jurisprudentielle adoptée jusqu’ici en matière d’abattement sur le salaire statistique. Si le recours aux statistiques est souvent nécessaire pour évaluer la perte de gain, le but des assurances sociales, singulièrement de l’assurance-invalidité, dont la vocation est universelle, n’en demeure pas moins de tenir compte le plus possible des particularités de la personne assurée (« im Versicherungsfall steht der oder die einzelne versicherte Person im Fokus » ; c. 9.5.1). Il n’existe pas d’indice permettant de penser que le nouveau droit implique un changement de ce paradigme, réaffirmé à plusieurs reprises par le TF, y compris dans sa jurisprudence récente. Au contraire, le fait d’avoir désormais adopté un système de rente linéaire rend plus importante encore l’évaluation de l’invalidité au point de pourcentage près (c. 9.5.2).
Le TF critique la décision du législateur d’adopter une réglementation spécifique pour l’évaluation du revenu d’invalide, singulièrement pour les facteurs d’abattement sur le salaire statistique, dans le domaine de l’assurance-invalidité. En effet, l’évaluation de l’invalidité fait l’objet d’une disposition légale se trouvant à l’art. 16 LPGA, disposition applicable non seulement à l’assurance-invalidité, mais aussi à l’assurance-accidents et à l’assurance militaire. L’interprétation que l’OFAS veut faire de l’art. 26bis al. 3 RAI ferait obstacle à une évaluation uniforme de l’invalidité. La cohérence de l’ordre juridique commande au contraire que l’on interprète cette disposition en laissant la possibilité, dans l’assurance-invalidité également, d’autres facteurs d’abattement que le travail à temps partiel (c. 10.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 8C_690/2023 du 2 juillet 2024
Prestations complémentaires; fortune mobilière, prise en compte d’une prestation de libre passage, demande de rente d’invalide pendante; art. 9a al. 1 let. a LPC; 16 al. 2 OLP
Le TF se penche sur le droit du recourant aux prestations complémentaires à compter du 1er juin 2022, qui correspond au mois suivant l’entrée en force d’une décision de l’assurance-invalidité allouant une rente entière d’invalidité à celui-ci. Le recourant s’est vu refuser le droit aux prestations complémentaires, la caisse cantonale de compensation AVS ayant considéré que sa fortune mobilière de CHF 144'037.30 (avoir de libre passage) dépassait le seuil de CHF 100'000.- à partir duquel les personnes seules n’avaient pas droit aux prestations (art. 9a al. 1 let. a LPC). L’autorité administrative, suivie par les juges cantonaux, a considéré que le recourant avait la possibilité de demander le versement de son capital de prévoyance sur la base de l’art. 16 al. 2 OLP et que ce retrait était exigible de sa part compte tenu de son devoir d’atténuer les conséquences du dommage causé par le fait de toucher des prestations complémentaires. Le recourant se prévalait de l’existence d’une action judiciaire visant à obtenir une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle, toujours pendante.
Selon une jurisprudence constante, seuls les revenus effectivement perçus et les valeurs patrimoniales existantes dont le bénéficiaire de prestations peut disposer sans restriction peuvent être prises en compte dans l’évaluation du droit aux prestations complémentaires, dans la mesure où celles-ci ont pour but de couvrir les besoins vitaux courants. Demeure réservé le cas de la renonciation à des revenus ou à des valeurs patrimoniales. En d’autres termes, la prise en compte d’une valeur patrimoniale dans le cadre de l’art. 11 al. 1 let. c LPC repose sur la fiction qu’elle peut être transformée en tout temps en fortune liquide et consommée en tant que telle. Si la conversion en liquidités n’est pas possible ou si l’accès à celles-ci est refusé, la prise en compte n’a pas lieu.
Le capital de libre passage que l’ayant droit aux prestations complémentaires pourrait percevoir en vertu de l’art. 16 al. 2 OLP doit être imputé comme élément de fortune non seulement en cas de versement effectif mais déjà lorsque le versement est légalement admissible. Le TF a ainsi jugé que le droit au versement au sens de l’art. 16 al. 2 OLP d’un avoir provenant d’un compte de libre passage naissait au moment de l’entrée en force de la décision d’octroi d’une rente entière de l’assurance-invalidité.
Le TF a rappelé que, le cas échéant, l’absence de restitution de l’avoir de prévoyance professionnelle serait sanctionnée par une réduction des prestations d’invalidité. Ainsi, le TF a considéré qu’il n’était pas exigible du recourant qu’il retire son capital de libre passage si cela avait pour conséquence de prétériter son droit à une rente d’invalidité non réduite de la prévoyance professionnelle. Il s’ensuit en l’espèce que l’avoir figurant sur le compte de libre passage du recourant ne doit pas être pris en compte dans l’évaluation de son droit aux prestations complémentaires, cela jusqu’à droit connu sur la procédure relative à son droit éventuel à une rente de la prévoyance professionnelle. Ensuite, si le recourant se voit dénier le droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle, il n’y aura plus d’obstacle à la prise en considération de l’avoir de prévoyance dans le calcul des prestations complémentaires. Dans le cas contraire, en cas de paiement rétroactif de rentes d’invalidité du deuxième pilier, le montant de la rente arriérée afférente à la même période devra être pris en compte dans l’année civile pour laquelle une prestation complémentaire a été payée, afin d’éviter tout risque de surindemnisation. Le recourant pourra alors être tenu de restituer les éventuelles prestations complémentaires versées en trop, dans un but de rétablissement de l’ordre légal.
En résumé, le droit au versement de l’avoir de libre passage selon l’art. 16 al. 2 OLP ne doit pas être pris en compte dans l’évaluation du droit aux prestations complémentaires lorsqu’un assuré fait valoir de manière active son droit à une rente d’invalidité du deuxième pilier. Sont réservées les situations où l’assuré ne concrétise pas son intention d’obtenir la rente d’invalidité du deuxième pilier ou si, après un examen sommaire des circonstances, ses prétentions apparaissent clairement mal fondées.
Auteures : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne, et Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg
TF 8C_485/2023 du 19 juin 2024
Assurance-accidents; travailleuse salariée à temps partiel, activité indépendante non assurée en LAA, accident survenant pendant l’exercice de l’activité indépendante, accident non professionnel; art. 1a, 7 et 8 LAA; 13 OLAA
En présence d’une assurée, salariée à 25 % pour une activité de cuisinière à hauteur de 8.5 heures hebdomadaires auprès de l’entreprise B. AG, et exerçant parallèlement une activité à 75 % en qualité d’agricultrice indépendante, avec son époux, sur leur propre domaine agricole (sans couverture d’assurance facultative pour cette activité indépendante), le TF a considéré que les conséquences d’un accident, survenu dans le cadre de travaux agricoles et ayant entraîné un traitement dentaire, devaient être prises en charge par l’assureur-accidents de l’entreprise B. AG, au titre d’accident non professionnel (d’un assuré travaillant à temps partiel et non assuré à titre facultatif pour son activité lucrative indépendante). Le TF a ainsi confirmé sa jurisprudence antérieure (ATF 139 V 457), la doctrine partageant unanimement cette interprétation dans la perspective d'une couverture d'assurance la plus globale possible.
Auteur : Guy Longchamp
TF 9F_18/2023 du 19 juin 2024
Assurance-invalidité; révision, expertise; art. 123 LTF
Un assuré obtient, en 2000, une rente d’invalidité avec effet rétroactif à partir de novembre 1992. En 2016, à la suite d’une enquête pénale pour soupçon de fraude à l’assurance, la rente est suspendue par l’assurance-invalidité. Cette dernière a, dans le cadre de son instruction, mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire auprès du centre d’expertise PMEDA SA. Sur la base du rapport d’expertise notamment, l’assurance-invalidité a rendu une décision mettant un terme aux prestations rétroactivement à compter du 1er octobre 2005 et une décision ordonnant la restitution d’un montant de CHF 249’589.-. Le recours de l’assuré à l’encontre de ces décisions a été rejeté par le TF (TF 9C_444/2021 et 9C_496/2021). Le 4 octobre 2023, la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans l’évaluation médicale (COQEM) a recommandé de ne plus attribuer de mandats au centre d’expertises PMEDA SA en raison de graves lacunes sur le plan de la forme et du contenu. L’assuré dépose une requête en révision auprès du TF des deux jugements précités.
Le TF rappelle ainsi que conformément à l’art. 123 al. 2 let. a LTF, la révision peut être demandée dans les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’il n’avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt. Seuls peuvent donc être invoqués des faits anciens, découverts après coup (pseudo nova), la nouveauté se rapportant ainsi à la découverte et non aux faits eux-mêmes, les faits postérieurs, soit les véritables nova, étant exclus (c. 4.1). Le TF souligne également que 5 conditions doivent être remplies pour obtenir une révision au sens de la disposition précitée (c. 4.1 et 4.2).
Dans le cas d’espèce, le TF précise que la Commission a procédé à une vérification du travail du centre PEMEDA SA afin notamment de s’assurer du respect de certaines directives applicables dès le 1er janvier 2022. Cet examen a montré que les expertises présentaient des lacunes considérables, tant en ce qui concerne le respect des prescriptions formelles de l’OFAS qu’en ce qui concerne la qualité du contenu technique et la traçabilité (c. 5.3.2). Cela étant dit, le TF souligne que le travail de la Commission s’est fondé sur des échantillons d’expertises PMEDA SA des années 2022 et 2023. Aussi, les constatations et recommandations de la Commission ne constituent pas des faits nouveaux importants au sens de l’art. 123 al. 2 let. a LTF car l’annonce de la Commission concernait une situation postérieure à la date de transmission de l’expertise de l’assuré (expertise rendue le 30 octobre 2018). Aussi, le communiqué de la Commission n’apportait aucun éclairage nouveau quant à la propre situation du recourant.
Par ailleurs, le présent cas différait également de la jurisprudence publiée à l’ATF 144 V 258. En effet, dans cette décision le TF a admis le motif de révision dans un dossier expertisé auprès d’une clinique genevoise au motif que, s’il avait été informé des graves manquements relatifs à ces rapports, il aurait considéré que ceux-ci entachaient la confiance placée dans une exécution lege artis de l’expertise de sorte qu’il aurait constaté que le rapport en question ne pouvait servir de fondement à la décision relative au droit aux prestations de l’assurance-invalidité (c. 5.4.1).
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains
TF 8C_657/2023 du 14 juin 2024
Assurance-accidents; taux d’invalidité, revenu d’invalide, statistiques ESS, niveau de compétence; art. 6 al. 1 et 18 al 1 LAA; 16 LPGA
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’OFS par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé. Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé. Le TF a rappelé que, pour déterminer le niveau de compétences, l’accent est avant tout mis sur le type de tâches à assumer en fonction des qualifications de la personne concernée. En particulier, avoir suivi des cours de droit à l’université, toutefois sans titre universitaire à la clé, ne remplace pas la formation et l’expérience nécessaires pour accomplir les tâches spécifiques de la profession de secrétaire juridique. Il en va de même pour les autres domaines, en particulier la profession de photographe ou de « dirigeant d’une petite entreprise », lorsque l’expérience acquise par l’assuré à cet égard a été développée dans son temps libre, à côté de son activité de garde-frontière. Sans nier d’emblée ses capacités, le TF a confirmé qu’on ne peut pas considérer, selon le degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré puisse directement exercer ces mêmes activités en tant que professionnel et assumer les tâches pratiques complexes qui s’y rapportent. Seul le niveau de compétences 2 dans la détermination du revenu d’invalide doit dès lors être pris en considération.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_741/2023 du 14 juin 2024
Assurance-invalidité; allocation pour impotent, prestation supplémentaire en raison du besoin d’accompagnement, coordination des prestations; art. 66 LPGA; 42 al. 3 LAI; 37 al. 1 et 38 RAI; 26 LAA; 38 OLAA
L’assuré gravement impotent au sens de l’art. 37 al. 1 RAI a droit à une allocation maximale suivant l’art. 42ter LAI, indépendamment du fait qu’il aurait en outre besoin ou non d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, selon les prévisions des art. 42 al. 3 LAI et 38 RAI, correspondant à une impotence faible. Une prestation supplémentaire en raison du besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie n’entre alors pas en considération (c. 6.1).
Quant à l’impotence qui résulte d’un accident et qui suscite l’octroi d’une indemnité pour impotence grave selon les art. 26 LAA et 38 al. 2 OLAA, elle ne justifie pas non plus une prestation en vertu de l’art. 42 al. 3 LAI, quand bien même la législation sur l’assurance-accidents ne connaît pas l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie comme cause d’impotence (cf. art. 38 OLAA). En effet, l’octroi de l’allocation pour impotence grave LAA exclut, en vertu de l’art. 66 LPGA, aussi bien une allocation pour impotence grave au sens de l’art. 37 al. 1 RAI qu’une hypothétique prestation pour un tel accompagnement, qui n’est pas prévue de façon distincte en matière d’assurance-invalidité (c. 6.2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle
TF 8C_748/2023 du 6 juin 2024
Assurance-accidents; indemnité journalière, âge de la retraite, absence de surindemnisation; art. 16 LAA; 22 al.3 OLAA; 68 LPGA; 62 CO
En date du 8 juillet 2021, l’assurée, née en septembre 1958, s’est blessée notamment au membre supérieur gauche ainsi qu’à la cheville droite à la suite d’une chute à son domicile. L’assureur-accidents (SWICA) a diligenté une première expertise orthopédique, prévoyant une probable stabilisation des troubles dans un délai de 18 mois dès l’accident, avant de se raviser et de décider que cette expertise n’était pas assez complète. Durant l’instruction complémentaire, l’employeur a fait savoir à SWICA que l’assurée, engagée par contrat de travail de durée déterminée jusqu’à sa retraite, n’avait pas l’intention de travailler au-delà du 31 octobre 2022 (64 ans). SWICA en a, dès lors, profité pour mettre un terme au versement de ses indemnités journalières LAA avec effet au 31 octobre 2022. Le Tribunal cantonal genevois a annulé la décision de SWICA et condamné l’assureur à verser des indemnités journalières jusqu’au 27 mars 2023.
En substance, dans son recours, SWICA conteste auprès du TF le droit de l’assurée à l’indemnité journalière au-delà du moment où elle a atteint l’âge de la retraite.
Le TF rappelle sa jurisprudence en la matière (ATF 130 V 35 et ATF 134 V 392) et nie toute violation du principe de l’égalité de traitement, rappelant que l’indemnité journalière est calculée de manière abstraite et rétrospective, sur la base du revenu perçu avant l’accident ; pour éviter des lacunes d’assurance et pour des raisons de simplification administrative, le législateur a renoncé à mettre fin au versement des indemnités journalières pour les assurés qui auraient cessé leur activité après l’âge de la retraite, pour autant que leur droit aux indemnités journalières ait pris naissance auparavant ; il s’agit donc d’un choix du législateur, guidé par des motifs de praticabilité, dont il n’y a pas lieu de s’écarter, selon le TF.
Par ailleurs, en ce qui concerne la surindemnisation invoquée par SWICA pour soutenir un enrichissement illégitime (art. 62 CO), le TF nie toute absence de cause légitime, le versement de l’indemnité journalière LAA trouvant son fondement dans l’accident, tandis que l’allocation de rente AVS a pour origine l’arrivée de l’assurée à l’âge de la retraite. Dès lors, la concordance événementielle requise par l’art. 69 LPGA doit être niée entre ces prestations qui ne sont pas de même nature.
Le TF rejette donc le recours de SWICA.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion
TF 9C_141/2023 du 5 juin 2024
Assurance-invalidité; indemnité journalière, personne de condition indépendante, indépendant, fixation du montant de l’indemnité journalière, salaire soumis à cotisations; art. 23 et 24 LAI; 21quater RAI
Selon l’art. 23 LAI, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2012, l’indemnité de base s’élève à 80 % du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé. Le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fond sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant) (al. 3). Selon l’art. 21quater al. 1 RAI, l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS. Selon le chiffre 0835 de la circulaire de l’OFAS concernant les indemnités journalières de l’assurance-invalidité (CIJ), en vigueur depuis le 1er janvier 2022, pour les personnes de condition indépendante, le revenu déterminant pour le calcul de l’indemnité journalière se fonde sur le dernier revenu d’activité lucrative, converti en revenu journalier, précédant la survenance de l’atteinte à la santé, et sur lequel des cotisations AVS ont été prélevées
La juridiction cantonale a retenu que selon l’extrait du compte individuel AVS, le revenu annuel (brut) du recourant s’élevait à CHF 66'400.- pour l’année 2013. Les cotisations sociales correspondantes n’avaient cependant pas été acquittées par le recourant dans leur totalité. Pour l’année 2013, le recourant avait uniquement versé les cotisations correspondant à un revenu annuel (brut) de CHF 9'333.-, le solde des créances de cotisations étant présumé irrécouvrable. L’argumentation du recourant soulève la question de savoir quel est le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI : celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées, comme l’a retenu la juridiction cantonale, ou celui qui est soumis au prélèvement de cotisations et sert de base pour la fixation des cotisations, comme le prétend le recourant.
Le TF procède à une interprétation du texte légal. Selon lui, la volonté du législateur est claire. Les interprétations historique et systématique conduisent à retenir que l’art. 23 al. 1 LAI, lu en corrélation avec les art. 17 ss RAI, ne prévoit nullement que les cotisations sont réputées formatrices des indemnités journalières de la LAI dans la mesure seulement où elles sont versées. Au contraire, il y a lieu de comprendre que l’art. 23 al. 1 LAI, en lien avec l’art. 21quater al. 1 RAI, prévoit que l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS (et non pas celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées).
En conséquence, la juridiction cantonale a fait une application erronée du droit fédéral en fixant le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI en fonction du « revenu pour lequel le recourant avait matériellement versé les cotisations » (de CHF 9'333.-) et en corrigeant en conséquence le revenu de l’année 2013 soumis aux cotisations (de CHF 66'400.-). Bien fondé, le recours est admis
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève
TF 9C_540/2023 du 3 juin 2024
Assurance-vieillesse et survivants; convention de sécurité sociale Suisse-Portugal, exercice du droit à libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, périodes de cotisations à l’étranger; art. 33bis LAVS
Un assuré, né en 1956 au Portugal, y a travaillé et accompli des périodes de cotisations jusqu’à son entrée en Suisse le 2 avril 1987, cotisant depuis lors au système suisse d’assurances sociales. Souffrant des séquelles d’un accident survenu en 1991, il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité à compter du 1er octobre 1992. Sa rente s’élevait à Frs 2’390 par mois depuis le 1er janvier 2021 et était calculée en fonction d’une durée de cotisations de quinze ans, de l’échelle de rente 44, de bonifications pour tâches éducatives (2.5), d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 67’398.- et d’une durée de cotisations pour ce dernier de quatre ans et cinq mois. Elle tenait compte des périodes de cotisations au Portugal et d’un supplément pour veuvage. Ayant atteint l’âge de la retraite, la caisse de compensation lui a accordé une rente de vieillesse mensuelle de Frs 1’310 depuis le 1er novembre 2021. La rente était calculée en fonction d’une durée de cotisations de trente-quatre ans et cinq mois, de l’échelle de rente 34, de bonifications pour tâches éducatives (3.0), d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 24’378.- et d’une durée de cotisations pour ce dernier de trente-trois ans et sept mois. Elle ne tenait plus compte des périodes de cotisations au Portugal, mais toujours d’un supplément pour veuvage.
Le litige porte sur la question du montant de la rente de vieillesse du recourant succédant à sa rente AI. L’assuré reproche en effet à la caisse de compensation de ne pas avoir pris en compte les périodes de cotisations accomplies au Portugal et d’avoir retenu une échelle de rente ainsi qu’un revenu annuel moyen erronés.
En vertu de l’art. 33bis al. 1 LAVS, les rentes de vieillesse ou de survivants sont calculées sur la base des mêmes éléments que la rente d’invalidité à laquelle elles succèdent, s’il en résulte un avantage pour l’ayant droit. En ce qui concerne les périodes de cotisations acquittées à l’étranger, le TF a examiné s’il y a lieu de prendre en compte les périodes de cotisations réalisées au Portugal dans le calcul d’une rente de vieillesse succédant à une rente d’invalidité d’un ressortissant portugais ayant exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etat membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, et dont la rente suisse de vieillesse avait été octroyée par décision rendue en octobre 2021.
Pour les juges fédéraux, un litige relève de la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur de l’ALCP lorsque le champ d’application temporel de cet accord et des règlements de coordination qui en découlent, ainsi que le champ d’application personnel du R CE n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, sont remplis. Selon ce règlement, l’assuré avait droit à la conversion de sa rente suisse d’invalidité en une rente suisse de vieillesse calculée en fonction exclusivement des périodes suisses de cotisations dès qu’il avait atteint l’âge de la retraite en Suisse. Il ne pouvait, en revanche, pas prétendre une rente portugaise de vieillesse tant qu’il n’avait pas atteint l’âge de la retraite au Portugal. Toutefois, dans l’intervalle de ces deux dates, il pouvait prétendre à une rente portugaise transitoire d’invalidité, calculée en fonction des périodes portugaises de cotisations, qui se cumule provisoirement avec la rente suisse de vieillesse. Le Tribunal fédéral a précisé qu’il serait ensuite procédé à un nouveau calcul de la rente suisse de vieillesse, une fois l’âge de la retraite au Portugal atteint.
En l’occurrence, comme l’assuré a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, il peut se prévaloir de l’application d’une convention se sécurité sociale plus favorable. Il convenait par conséquent de déterminer concrètement si le système mis en place par la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal est plus favorable que celui mis en place par l’ALCP.
L’art. 12 par. 2 de de la convention Suisse-Portugal prévoit que les rentes ordinaires de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse venant se substituer à une rente d’invalidité sont calculées sur la base des dispositions légales suisses compte tenu exclusivement des périodes de cotisations suisses. Si toutefois les périodes d’assurance portugaise, compte tenu de l’art. 20 de la convention et des dispositions d’autres conventions internationales, n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation portugaise analogue, elles sont également prises en compte pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base au calcul des rentes suisses susmentionnées.
Dès lors que les textes des conventions Suisse-Portugal et Suisse-Espagne sont identiques, il n’y a pas lieu de faire une interprétation différente de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal que celle qui a été faite de l’art. 9 par. 4 de la convention Suisse-Espagne dans l’ATF 112 V 145. La totalisation des périodes portugaises d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation portugaise analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation portugaise naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 12 par. 2 première phrase de la convention Suisse-Portugal. Cela signifie concrètement que l’assuré peut prétendre la prise en compte des périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente de vieillesse jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la retraite au Portugal, pour autant que cette solution soit plus favorable au système mis en place par le R n° 883/2004.
In casu, il ne ressort pas du dossier que la caisse aurait examiné si le système de la convention Suisse-Portugal ou celui du R n° 883/2004 s’appliquerait, ni lequel serait plus favorable au recourant. A cet égard, le TF a déjà considéré que le point de savoir quel système était plus favorable au recourant nécessitait un calcul comparatif fondé sur les informations dont l’obtention, ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale. Il convient par conséquent de rejeter la conclusion principale, en tant qu’elle postule le versement de la rente la plus favorable pour une durée indéterminée, et d’admettre la conclusion subsidiaire de renvoi.
L’arrêt cantonal attaqué est annulé, et la cause est renvoyée à l’administration pour complément d’instruction et nouvelle décision. Le TF précise toutefois qu’il n’y a pas lieu d’annuler la décision de rente litigieuse dont il n’est pas encore établi qu’elle soit contraire au droit. Il n’est pas davantage nécessaire de se prononcer sur les autres griefs de l’assuré dans la mesure où la caisse intimée devra justifier ses nouveaux calculs. Le TF admet ainsi partiellement le recours de l’assuré.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne
Note : dans une affaire dont l’état de fait était comparable, mais qui concernait une personne qui n’avait pas bénéficié au préalable d’une rente d’invalidité, le TF a jugé qu’il n’y avait pas d’inégalité de traitement entre les deux situations (TF 9C_631/2023).
TF 1C_653/2022 du 3 juin 2024
LAVI; aide immédiate, frais d’hébergement, degré de la preuve; art. 2 let. a LAVI
Une femme victime de contrainte de la part de son mari demandait l’aide d’urgence au sens de l’art. 2 let. a LAVI. Les autorités inférieures avaient nié à la requérante le droit à cette prestation au motif que l’atteinte dont elle avait souffert n’était pas d’une gravité suffisante et n’était pas en lien de causalité avec sa demande d’aide. La requérante avait quitté le domicile familial pour se rendre dans un centre d’accueil d’urgence. Elle demandait le remboursement des frais d’hébergement.
Le TF a rappelé tout d’abord que la contrainte au sens de l’art. 181 CP constituait une infraction susceptible de porter une atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne et pouvant ainsi ouvrir le droit à l’aide de la LAVI conformément à l’art. 1 al. 1 LAVI. Il a rappelé que, pour l’examen du droit aux prestations, ce n’était pas la gravité de l’infraction pénale qui était déterminante, mais la gravité de l’atteinte subie par la personne lésée. S’agissant de l’aide d’urgence, le TF a relevé qu’il ne fallait pas se fonder sur un degré de preuve stricte. Au contraire, dans la mesure où l’aide doit être accordée d’urgence, l’autorité doit se contenter d’une simple crédibilité de l’allégation de la part de la requérante. C’est ainsi que l’aide peut être fournie même si la situation de fait n’est pas entièrement clarifiée. En particulier, on ne peut exiger un diagnostic concret d’ordre médical. Dans le cas d’espèce, le TF a réformé l’avis des autorités précédentes en considérant que la contrainte subie par la requérante, laquelle l’avait poussée à quitter le domicile familial pour un centre d’accueil d’urgence, couplé à un suivi psychologique, avait causé une atteinte suffisante pour justifier l’octroi de prestations d’urgence au sens de la LAVI.
Dans un considérant complémentaire, le TF s’est également prononcé sur la question de la causalité entre l’atteinte subie et la prestation à allouer d’urgence. Il a considéré que la notion de causalité était identique à celle du droit de l’assurance accident. A nouveau, dans le cadre d’un examen d’une prestation d’urgence, la preuve ne doit pas être stricte et l’on peut se contenter d’une situation de fait simplement crédible. Il a également considéré, dans le cas d’espèce, que ce lien de causalité était donné.
Le TF a enfin considéré que le séjour dans un centre d’urgence à la suite d’une contrainte émanant du conjoint était approprié et adéquat. Par conséquent, il a considéré que les conditions liées au droit à une aide d’urgence, sous la forme d’un hébergement dans un centre, étaient données dans le cas d’espèce. Il a ainsi réformé l’arrêt cantonal afin que les coûts d’hébergement puissent être pris en charge.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne
TF 4A_411/2023 du 3 juin 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; accidents successifs de la circulation routière, causalité naturelle, pluralité de causes, causalité alternative; art. 58 LCR
La personne lésée qui, sans faute de sa part, est impliquée dans un premier accident en tant que conductrice de son véhicule, puis dans un second accident en tant que passager d'une dépanneuse, a le fardeau de prouver la causalité naturelle (art. 8 CC ; c. 3.1). Il y a causalité alternative lorsqu’un préjudice résulte de plusieurs causes entières, dont une seule peut avoir provoqué le préjudice, sans qu’il soit possible de déterminer laquelle. Dans un tel cas de figure, la responsabilité est exclue, car la simple possibilité de causer un préjudice ne suffit pas à établir un lien de causalité (c. 4).
Auteur : Scott Greinig, MLaw, assistant-doctorant à la Faculté de droit de Neuchâtel
TF 8C_184/2023 du 29 mai 2024
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, restitution, péremption, délai relatif, dies a quo; art. 25 al. 2 LPGA
Il n’est pas possible de maintenir la jurisprudence du TF qui s’écarte de l’ATF 110 V 304 en ce qui concerne la restitution de prestations indûment versées à la suite de la suppression d’une rente invalidité.
Le délai de péremption relatif devra donc à l’avenir toujours être déterminé sur la base des circonstances concrètes du cas d’espèce, en fonction de la prise de connaissance avec l’attention requise et raisonnablement exigible. L’abandon de la pratique particulière qui consistait à retenir l’entrée en force de la décision de suppression de la rente comme le moment déclencheur du délai de péremption relatif signifie qu’il faut toujours se baser pour fixer le début du délai de péremption relatif sur le moment où l’administration a reconnu ou aurait dû reconnaître, en faisant preuve de l’attention qu’on pouvait attendre d’elle – et indépendamment de l’entrée en force de la décision de suppression de la rente – que les conditions pour une restitution étaient remplies. Sur la base de la jurisprudence selon l’ATF 148 V 217 (c. 5.1.1), il ne peut y avoir un point fixe temporel uniforme pour le début du délai de péremption relatif. Ce sont toujours les circonstances du cas d’espèce qui sont déterminantes pour savoir à quel moment l’administration doit avoir connaissance de l’existence et de l’étendue du droit à la restitution. La condamnation pénale peut, mais ne doit pas nécessairement, coïncider avec cette connaissance de l’administration.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg
TF 8C_435/2023 du 27 mai 2024
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, absence de formation à cause de l’invalidité, droit transitoire; art. 26 al. 6 RAI; let. b Disp. trans. RAI 2021
Un assuré né en 1999 souffre notamment d’un TDAH. Il ne parvient pas à terminer une formation. Selon l’art. 26 al. 1 aRAI, il n’a pas droit à une rente AI. En revanche, tel serait le cas si on appliquait le nouvel art. 26 al. 6 RAI. L’autorité précédente estime toutefois que l’ancien droit continuerait à s’appliquer même après l’entrée en vigueur au 1er janvier 2022 du nouveau droit.
Le Tribunal fédéral rappelle que s’il n’y a pas de disposition transitoire spécifique, les principes généraux du droit valables en matière de droit intertemporel imposent que, en cas de prestation durable, on applique la disposition en vigueur pour la période considérée (c. 4.2). Ainsi, l’assuré n’a pas droit à une rente pour la période durant laquelle l’art. 26 al. 1 aRAI était en vigueur, ce qui n’est contesté par personne. En revanche, dès l’entrée en vigueur de l’art. 26 al. 6 RAI, soit le 1er janvier 2022, c’est à l’aune de cette disposition que le droit de l’assuré s’analyse.
L’office AI intimé prétend que les principes généraux susmentionnés ne seraient pas applicables. Il se réfère à la let. b Disp. trans. RAI 2021, qui dispose que « si une rente AI a été octroyée avant l’entrée en vigueur de la modification du 3 novembre 2021 à un assuré qui, en raison de son invalidité, n’a pas pu acquérir de connaissances professionnelles suffisantes et si cet assuré n’avait pas encore 30 ans au moment de l’entrée en vigueur de la modification, le droit à la rente AI doit être révisé selon les nouvelles dispositions dans l’année qui suit. En sont exclus les assurés qui perçoivent déjà une rente entière. Une éventuelle augmentation de la rente a lieu au moment de l’entrée en vigueur de la modification du 3 novembre 2021 ». Cette disposition contiendrait un silence qualifié, en ce sens que le nouvel art. 26 al. 6 RAI ne serait pas applicable à l’assuré dont le droit à la rente ne naîtrait qu’après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Le Tribunal fédéral rejette cette argumentation : d’une part, au vu des principes généraux valant en matière de droit intertemporel, on ne saurait y déroger de manière déraisonnable ; d’autre part, la disposition transitoire susmentionnée a précisément pour but de corriger les effets délétères des anciennes dispositions sur les jeunes assurés et non de les amplifier.
L’affaire est renvoyée à l’office AI, afin qu’il calcule le droit de l’assuré en se fondant sur le nouvel art. 26 al. 6 RAI pour la période postérieure au 1er janvier 2022, l’arrêt cantonal étant déjà définitif et exécutoire pour la période antérieure à cette date, ce qui est d’ailleurs accepté par le recourant.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg
TF 6B_1144/2023 du 22 mai 2024
Responsabilité aquilienne; incendie par négligence, règles de l’art (directives), arbitraire; art. 222 CP
L’entrepreneur A. a été condamné par le Tribunal cantonal de Lucerne pour incendie par négligence à la suite des travaux d’asséchement qu’il avait effectués sur la terrasse d’un restaurant. En effet, un feu avait couvé pendant plusieurs heures après son intervention, avant de se transformer en feu ouvert, annoncé aux services du feu plus de sept heures et demi après la fin des travaux. Les juges reprochaient au prévenu d’avoir violé plusieurs prescriptions imposées par le droit cantonal, lequel renvoyait à un certain nombre de directives de l’Association des établissements cantonaux d’assurance incendie. Il était notamment reproché à A. de ne pas avoir respecté l’obligation de protéger les éléments de construction présentant un risque d’incendie, et de ne pas avoir organisé une surveillance du site pendant quatre heures après la fin des travaux, comme l’exigent les directives applicables lorsqu’aucune caméra thermique n’est pas utilisée. Le Tribunal cantonal a en outre retenu que le fait de recouvrir correctement des zones à risque aurait permis d’éviter le début d’incendie avec une probabilité suffisamment élevée.
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral considère que le Tribunal cantonal a appliqué de façon arbitraire les directives auxquelles renvoie le droit cantonal s’agissant de l’obligation de recouvrir en l’espèce certains éléments de construction présentant un risque d’incendie. Il retient également que c’est arbitrairement que les premiers juges ont estimé que A. avait manqué à son devoir de diligence en n’instruisant pas son auxiliaire de protéger les éléments de construction menacés (c. 1.4.2). En conséquence, demeure selon le Tribunal fédéral une violation de la règlementation applicable en ce qui concerne l’absence de surveillance du chantier pendant quatre heures après la fin des travaux. Comme le Tribunal cantonal s’est contenté à ce sujet de dire sans autre examen que s’il avait contrôlé une nouvelle fois la zone de travail quatre heures après la fin des travaux, le prévenu aurait pu percevoir des braises, force est de constater que cette question de fait n’a pas été établie. Comme le Tribunal fédéral écarte la violation des autres mesures de précaution, il arrive à la conclusion que l’affaire doit être renvoyée à l’instance précédente pour établir si l’incendie était véritablement évitable en mettant en place une surveillance de quatre heures. Il charge également les juges cantonaux de se prononcer sur la prévisibilité (consid. 1.4.3).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 8C_425/2023 du 21 mai 2024
Assurance chômage; contribution unique de l’employeur, prestations de prévoyance, indemnité de chômage, coordination; art. 18c et 11a LACI; 10b OACI
L’assuré, né en 1960, a travaillé depuis 1980 pour la société B. Sàrl, devenue C. Sàrl (l’employeur) à la suite d’une fusion. Le 8 juillet 2021, l’assuré a été informé de la fin de son contrat de travail au 31 octobre 2021 et de sa retraite anticipée au 1er novembre 2021. L’employeur s’est engagé, en application du plan social, à verser un montant total de CHF 218'921.02 en faveur de l’institution de prévoyance. L’assuré s’est inscrit auprès de l’assurance chômage dès le 1er novembre 2021. La caisse de prévoyance lui a versé une rente annuelle de CHF 52'416.- et une rente de transition AVS de CHF 25'682.90. La caisse cantonale de chômage de Zurich (ALK) a fixé l’indemnité journalière à CHF 371.90, mais a déduit la totalité de la rente mensuelle de CHF 6'509.- versée par la caisse de prévoyance du mois de novembre 2021. L’assuré a contesté la décision de compensation. La cour cantonale a annulé la décision de l’ALK de déduire la totalité de la rente mensuelle de la caisse de prévoyance des indemnités de chômage et a renvoyé l’affaire pour une nouvelle détermination de l’indemnité de chômage à partir de novembre 2021. L’ALK recouru auprès du Tribunal fédéral, en concluant à la confirmation de sa propre décision.
Le litige porte donc sur la question de la déduction de la prestation de vieillesse de CHF 4'338.- de l’indemnité de chômage en vertu de l’art. 18c al. 1 LACI, dans la mesure où cette prestation de vieillesse est attribuable à la contribution unique de l’employeur d’un montant de CHF 121'847.50 (c. 3.2). Il n’est en revanche pas contesté devant le Tribunal fédéral que la « rente-pont AVS » de CHF 2'141.- par mois, ne doit pas être déduite de l’indemnité de chômage (c. 3.3), car il s’agit d’une prestation de retraite professionnelle au sens de l’art. 18c LACI, même si elle est versée sur la base d’une prestation volontaire de l’employeur (c. 6.2.2).
Le Tribunal fédéral rappelle que les prestations de vieillesse de la prévoyance professionnelle sont déduites des indemnités de chômage, qu’elles soient versées sous forme de rente ou de capital. Pour les institutions de prévoyance qui permettent une retraite anticipée, l’événement assuré « vieillesse » correspond, selon la jurisprudence, à l’atteinte de l’âge réglementaire pour une retraite anticipée ; l’intention de la personne assurée d’exercer une autre activité lucrative est sans importance (c. 4.1).
Les prestations de vieillesse comprennent les prestations de prévoyance professionnelle obligatoire et surobligatoire auxquelles une personne assurée a droit lorsqu’elle atteint l’âge réglementaire pour une retraite anticipée, mais également les rentes de vieillesse, les indemnités en capital et les rentes-ponts. Les prestations de libre passage en sont exclues (c. 4.2).
L’ALK a donc procédé à une application correcte de l’art. 18c LACI en déduisant la totalité des prestations de vieillesse de CHF 4'368.- de l’indemnité de chômage (c. 6.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne
TF 9C_385/2023 du 8 mai 2024
Assurance-maladie; troubles psychiques, soins de base, proche aidant; art. 33 let. b OAMal; 7 al. 2 let. c ch. 2 OPAS
En présence d’un assuré, né en 2000 souffrant du syndrome de l’X fragile avec des troubles du spectre autistique, les soins de base destinés à des malades psychiques selon l’art. 7 al. 2 let. c ch. 2 OPAS prodigués par la mère employée d’une organisation de soins et d’aide à domicile sont, en principe, à la charge de l’assurance obligatoire des soins (à l’instar de ce qui prévaut pour les soins de base selon l’art. 7 al. 2 let. c ch. 1 OPAS – ATF 145 V 161, c. 5), et ce indépendamment de l’origine de l’atteinte à la santé (corporelle, mentale ou psychique). L’élément déterminant est de savoir si les prestations fournies sont des mesures nécessaires en raison des troubles à la santé et non de simples mesures d’ordre social ou pour des raisons personnelles. Il doit y avoir une raison médicale suffisamment étayée justifiant les prestations prodiguées pour qu’elles doivent être prises en charge par l’assurance-maladie obligatoire. En l’espèce, le Tribunal fédéral a renvoyé le dossier à l’assureur-maladie pour qu’il vérifie cette condition.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_572/2023 du 8 mai 2024
Prestations complémentaires; rémunération du proche aidant, droit cantonal, arbitraire; art. 14 al. 1 let. b LPC; 13b let. b aOMPC
La mère d’un enfant bénéficiaire d’allocation pour impotence grave se consacre à sa prise en charge à domicile et a cessé, pour ce faire, son activité professionnelle de juriste. Le litige porte notamment sur le salaire à prendre en considération pour sa rémunération au titre des dispositions cantonales de mise en œuvre des art. 14 al. 1 let. b et al. 2 à 4 LPC.
Depuis l’entrée en vigueur le 1er janvier 2008 de la nouvelle loi fédérale sur la péréquation financière et la répartition des charges (RPT), il appartient aux cantons de rembourser les frais de maladie et d’invalidité sans que cela ne doive cependant conduire à une détérioration de la situation des assurés. Dans ce contexte, ils disposent « d’une marge d’appréciation non négligeable » (« ein nicht unerheblicher Gestaltungsspielraum »).
Dans le cas d’espèce, le Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Zoug a retenu un salaire à raison d’un taux horaire de CHF 33.20.-, soit le tarif de rémunération 2018 de l’assurance-invalidité pour une contribution d’assistance, et non pas le salaire de juriste auquel la mère du bénéficiaire aurait pu prétendre dans son ancienne activité.
Le Tribunal fédéral observe que l’art. 13b al. 2 de l’ancienne OMPC (Ordonnance relative au remboursement des frais de maladie et des frais résultant de l'invalidité en matière de prestations complémentaires du 29 décembre 1997 – RS 831.301.1) et la disposition cantonale identique en substance limitent le remboursement des frais à un montant correspondant « au maximum à la perte de gain » (« höchstens im Umfang des Erwerbsausfalls »). Ce nonobstant, il juge qu’une réduction forfaitaire des frais donnant droit à une indemnisation sur la base du salaire horaire d'une contribution d’assistance fixé selon le barème de l’assurance-invalidité n’est pas « tout à fait insoutenable » (« nicht geradezu unhaltbar »). La solution cantonale retenue n’est donc pas arbitraire.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève
TF 1C_443/2023 du 7 mai 2024
LAVI; réparation morale, gravité de l’atteinte, atteinte à l’intégrité physique de peu de gravité; art. 22 al. 1 et 23al. 2 let. a LAVI; 47 et 49 CO
Selon l’art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l’atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 CO s’appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit. La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Le législateur n’a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu’elle a subi. Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d’une allocation ex aequo et bono, étant précisé que toute lésion corporelle n’ouvre pas le droit à la réparation morale, encore faut-il qu’elle revête une certaine gravité.
La victime qui présente (à la suite d’une agression au sortir d’une discothèque) des séquelles psychiques difficiles à identifier, dont l’état de stress post-traumatique n’a pas été diagnostiqué, qui n’a suivi aucune psychothérapie, ni aucun traitement médical, qui a presque repris immédiatement le travail et a recommencé à sortir de nuit, ne peut pas se prévaloir d’une lésion corporelle suffisante pour atteindre le seuil de gravité relativement élevé qu’exige l’art. 22 al. 1 LAVI.
Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne
TF 8C_348/2023 du 3 mai 2024
Assurance-accidents; accident, infection au VIH, facteur extérieur extraordinaire; art. 4 LPGA
Le Tribunal fédéral a dû se prononcer sur la qualification d’accident d’une infection au VIH dans le cas d’un rapport sexuel non protégé et consenti. A cette occasion, il a rappelé que la cause extérieure est la caractéristique centrale de tout accident. Pour qu’elle soit extraordinaire, il faut que, selon des critères objectifs, la cause extérieure ne se situe pas dans le cadre ce qui est quotidien ou habituel pour le domaine de vie concerné. En revanche, il importe peu que l’effet soit extraordinaire. En l’espèce, l’assurée a entretenu une relation avec un partenaire déterminé entre 2002 et 2013. A la suite de leur séparation, elle a déposé plainte pénale contre celui-ci, qui a été reconnu coupable de lésions corporelles graves à son encontre, du fait de lui avoir caché sa séropositivité pendant plus de trois ans et d’avoir continué à entretenir avec elle des rapports sexuels non protégés. Sous l’angle des assurances sociales, les juges cantonaux et le Tribunal fédéral ont considéré que la cause extérieure et extraordinaire n’était pas remplie : contrairement à un viol, le caractère extraordinaire n’est en principe pas donné dans le cas de rapports sexuels consentis, qui sont habituels. En effet, l’agent pathogène n’a pas pénétré dans le corps de l’assurée de manière atypique. A cet égard, la qualification pénale du comportement de l’ancien partenaire n’est pas déterminante.
Auteur : Guy Longchamp
TF 9C_169/2023 du 3 mai 2024
Assurance-maladie; soins de longue durée, intervention d’une OSAD dans un établissement stationnaire, surindemnisation; art. 7 et 7a OPAS; 69 LPGA
Le TF a considéré qu’une organisation de soins et d’aide à domicile reconnue au sens de l’art. 51 OAMal pouvait valablement facturer ses prestations (art. 7 al. 2 OPAS) prodiguées dans un établissement stationnaire qui n’est pas considéré comme un EMS (art. 39 al. 3 LAMal), selon le tarif fixé à l’art. 7a al. 1 OPAS, et non selon le système forfaitaire prévu à l’art. 7a al. 3 OPAS. Un éventuel risque de surindemnisation ne peut pas être pallié, faute de base légale, lorsque les prestations de l’assureur-maladie sont versées parallèlement à des subventions cantonales. L’art. 69 LPGA n’est en particulier pas applicable dans une telle situation.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_229/2023 du 26 avril 2024
Assurance-chômage; calcul du gain intermédiaire; art. 10 al. 2 let. b, 24 al. 1 et 3 LACI
Après avoir été licencié de son emploi à temps partiel de 15 heures par semaine, un justiciable requiert l’octroi d’indemnités de chômage, indiquant à la caisse de chômage qu’il était prêt et en mesure de travailler à temps plein. Il a continué d’exercer une autre activité à temps partiel, pour laquelle le contrat de travail prévoyait un « temps de travail hebdomadaire » de 16,50 heures « selon les plans d’intervention ». Dans sa décision sur opposition, la caisse de chômage a retenu que le gain intermédiaire devait être calculé en fonction du temps de travail convenu dans le contrat de travail. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que l’instance précédente avait violé le droit fédéral en annulant la décision sur opposition de la caisse de chômage et l’obligeant à calculer le gain intermédiaire en tenant compte du salaire effectivement versé durant les périodes de contrôle.
Le salaire que les personnes partiellement au chômage au sens de l’art. 10 al. 2 let. b LACI continuent d’obtenir grâce à l’activité exercée à temps partiel doit être pris en compte comme gain intermédiaire. Est réputé intermédiaire tout gain que le chômeur retire d’une activité salariée ou indépendante durant une période de contrôle ; l’assuré qui perçoit un gain intermédiaire a droit à la compensation de la perte de gain (art. 24 al. 1 LACI). Est réputée perte de gain la différence entre le gain assuré et le gain intermédiaire, ce dernier devant être conforme, pour le travail effectué, aux usages professionnels et locaux (art. 24 al. 3 LACI).
Selon la jurisprudence, ce sont les salaires effectivement perçus qui sont déterminants pour la détermination du gain assuré, et non les salaires fixés dans le contrat de travail. On ne peut toutefois pas encore en déduire que le même principe devrait s’appliquer aux gains intermédiaires (c. 7.1.2). Le sens et le but de l’art. 24 al. 3 LACI consistent manifestement à limiter les paiements compensatoires de l’assurance-chômage pendant les différentes périodes de contrôle à la différence entre le gain intermédiaire réalisé pendant la période de contrôle et le gain assuré. L’art. 24 al. 3 LACI prévoit un correctif pour lutter contre les abus : si le gain intermédiaire ne correspond pas au taux usuel de la profession ou de la localité, la perte de gain n’est compensée qu’à hauteur de la différence entre le salaire usuel de la profession ou de la localité et le gain assuré. Il s’agit notamment d’éviter que l’employeur et le travailleur puissent convenir d’un salaire trop bas pour que la différence soit indemnisée à la charge de l’assurance-chômage (c. 7.4.1).
Si une personne inscrite à l’assurance-chômage exerce une activité lucrative, le gain intermédiaire au sens de l’art. 24 al. 1 et 3 LACI doit correspondre au droit au salaire acquis et non au montant versé par l’employeur. Ce n’est qu’ainsi qu’une délimitation correcte avec les obligations de paiement de l’employeur relevant du droit du travail peut avoir lieu (c. 7.4.2). Si l’on suivait le point de vue de l’instance précédente selon lequel le gain intermédiaire devrait correspondre au salaire versé pour des heures de travail effectives et non aux heures de travail convenues contractuellement, cela pourrait conduire à un contournement de l’art. 24 al. 3 LACI, dans la mesure où les employeurs seraient incités à ne pas respecter leurs propres obligations découlant du contrat de travail individuel. Ceux-ci pourraient en effet renoncer à verser le salaire convenu, puisque le manque à gagner des employés serait couvert par les indemnités journalières de chômage. Or le risque entrepreneurial ne saurait être transféré à l’assurance-chômage (c. 7.4.3).
En résumé, la formulation de l’art. 24 al. 1 et 3 LACI n’est pas claire s’agissant de la définition du gain intermédiaire réalisé. La genèse de la réglementation sur les gains intermédiaires n’apporte pas d’éléments supplémentaires. Toutefois, la systématique de la loi et la ratio legis conduisent à assimiler le gain intermédiaire réalisé – indépendamment du montant de la rémunération versée par l’employeur – au droit au salaire fixé par le contrat de travail. La méthode de calcul du gain intermédiaire prescrite à la caisse dans l’arrêt du Tribunal cantonal s’avère contraire au droit fédéral, raison pour laquelle il doit être annulé (c. 7.5).
En l’espèce, comme les faits sont loin d’être clairs concernant les accords conclus dans le cadre du contrat de travail, en ce sens qu’il pourrait possiblement s’agir d’un travail sur appel, l’affaire est renvoyée à la caisse de chômage pour instruction complémentaire et nouvelle décision.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne
TF 4A_249/2023 du 22 avril 2024
Responsabilité du fait des produits; procédure, Convention de Lugano, for de l’action en constatation de droit négative, for du lieu de commission de l’acte illicite; art. 5 par. 3 CL
Le TF rappelle qu’en vertu de l’art. 5 par. 3 CL, l’action peut être intentée au lieu où le fait dommageable s’est produit, et de préciser que cela vise tant le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage, à savoir le lieu de commission de l’acte (Handlungsort), tant le lieu de la matérialisation du dommage, soit le lieu du résultat de l’acte (Erfolgsort).
Aussi, les objectifs de prévisibilité du for et de la sécurité juridique poursuivis par l’art. 5 par. 3 CL n’ont trait ni à l’attribution des rôles des parties, ni à la protection de l’un deux. Dès lors, cette disposition vaut tant pour l’action positive en responsabilité du fait des produits que pour l’action en constatation de droit négative portant sur l’absence de responsabilité du fait des produits.
En matière de responsabilité civile du fait des produits, la détermination du lieu de commission de l’acte illicite peut être ardue puisque le défaut du produit peut dépendre d’actes ou d’omissions qui se produisent au stade de la conception, de la fabrication ou de la commercialisation du produit. Dans la chaîne des causes du défaut, il y a lieu de considérer que le lieu de commission de l’acte dépend à la fois du concepteur/producteur dont le lésé met en cause la responsabilité et du lieu où celui-ci a agi, et non tous les lieux où celui-ci a fait réaliser ses produits par des tiers.
En l’espèce, la société attaquée par le lésé, ayant son siège en Suisse, qui conçoit un modèle de vélo en Suisse, est légitimée à ouvrir une action en constatation de droit négative à Fribourg, quand bien même la fabrication « matérielle » du vélo ne s’effectue pas en Suisse, mais en Chine, voire en Hollande pour ce qui est de l’assemblage du vélo et la distribution se faisant depuis la Belgique.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève
TF 4A_249/2023 du 22 avril 2024
Responsabilité du fait des produits; for, lieu du fait dommageable, action en constatation négatoire; art. 5 par. 3 CL
En matière de responsabilité civile du fait des produits, dans le contexte d’un litige international entre des parties résidants dans un état lié par la Convention du Lugano (CL), ladite Convention s’applique. L’action en responsabilité pour le fait des produits est une action délictuelle au sens de l’art. 5 par. 3 CL.
L’art. 5 par. 3 CL désigne le lieu où le fait dommageable s’est produit. Cela vise à la fois le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage, autrement dit le lieu de commission de l’acte, et le lieu de matérialisation du dommage, c’est-à-dire le lieu de résultat de l’acte. L’interprétation de ces notions doit se faire en tenant compte de la règle générale selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre sont attraites devant les juridictions de cet état (art. 2 par. 1 CL) et ne saurait prendre en compte l’intérêt de la personne lésée en lui permettant d’introduire son action au lieu de son domicile, l’art. 5 par. 3 CL ne tendant pas précisément à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée.
Lorsque le lieu de commission de l’acte et celui de son résultat ne concordent pas, le demandeur à l’action, qu’il s’agisse d’une action condamnatoire ou d’une action en constatation négative de droit (dans laquelle le rôle des parties est inversé) dispose de la faculté de choisir librement entre ces deux lieux, sans qu’il ne soit nécessaire de déterminer quelle est la juridiction objectivement la mieux placée.
Dans le cadre de la responsabilité du fait des produits, l’on ne peut déduire l’art. 5 par. 3 CL que le lésé doit ouvrir action ou que le producteur puisse être attrait dans tous les Etats de fabrication matérielle de toutes les pièces détachées qui composent le produit. Dans la chaîne des causes du défaut, il y a lieu de considérer que le lieu de commission de l’acte dépend à la fois du producteur dont le lésé met en cause la responsabilité et du lieu où celui-ci a agi, et non de tous les lieux où celui-ci a fait réaliser ses produits par des tiers. Ces tiers sont à considérer comme des auxiliaires du fabricant, lequel répond vis-à-vis de l’acquéreur du produit fini.
Le cas d’espèce concerne une société suisse ayant conçu en Suisse un produit (en l’occurrence un vélo de course en carbone), lequel a été fabriqué en Chine, assemblé en Hollande, stocké en Belgique et vendu en Italie à un acquéreur italien qui a subi un accident en Italie, à la suite d’une rupture de la fourche du vélo. L’action négatoire de droit de la société suisse dirigée contre la victime italienne devant le Tribunal d’arrondissement de la Sarine a été déclarée recevable, en considération du lieu de commission de l’acte.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève
TF 5A_824/2023 du 17 avril 2024
Responsabilité du propriétaire foncier; servitude foncière, plantations entre deux biens-fonds; art. 679, 737 et 973 CC
Des propriétaires voisins ont conclu un contrat de servitude aux termes duquel les propriétaires de la parcelle A autorisaient le propriétaire de la parcelle B à planter des arbustes et des arbres à sa guise (« beliebige Bepflanzung mit Büschen und Bäumen ») jusqu'à la limite commune et renonçaient à toute prétention au respect des distances minimales en cas de plantation, telles qu’elles figuraient dans la loi cantonale d’application du Code civil. A la suite d’une expertise judiciaire, les propriétaires de la parcelle A ont ouvert action en justice. Le tribunal de première instance a condamné le propriétaire de la parcelle B à élaguer certains arbres ainsi que toutes les plantations (y compris les racines) le long de la limite de propriété commune dans les 60 jours suivant l'entrée en vigueur de la décision, puis chaque année en automne, jusqu'à la hauteur du pignon de sa maison ou jusqu’à 2 m. de la limite. Le tribunal cantonal a rejeté l’appel interjeté par le propriétaire de la parcelle B contre ce jugement.
La controverse porte sur la question de savoir si les plantations situées le long de la limite commune entre les terrains des parties ont un impact excessif sur le terrain des intimés (propriétaires de la parcelle A) et si ces derniers ont le droit d’exiger leur suppression. Le Tribunal fédéral rappelle que le bénéficiaire de la servitude a le droit de faire tout ce qui est nécessaire à la conservation et à l’exercice de la servitude (art. 737 al. 1 CC). Il est toutefois tenu, dans la mesure du possible, d’exercer son droit avec ménagement (art. 737 al. 2 CC). L’obligation d’exercer le droit avec ménagement ne limite pas l’étendue ou le contenu de la servitude foncière. En application de l’art. 2 CC, elle interdit toutefois son exercice abusif. L’ayant droit doit donc renoncer à l’exercice d’un droit qui porte atteinte au propriétaire grevé, dans la mesure où cet exercice est inutile ou que l’intérêt à l’exercice du droit est manifestement disproportionné par rapport à l’intérêt du propriétaire grevé à ne pas l’exercer (c. 3).
Le tribunal cantonal avait considéré qu’en raison de la servitude, les plantations du recourant le long de la limite de propriété ne devaient pas respecter les distances minimales et les limitations de hauteur et que les intimés devaient tolérer les branches et les racines qui dépassaient. La servitude avait cependant pour but de créer une protection visuelle pour le terrain du recourant. Or, le recourant n’exerçait pas, selon le Tribunal cantonal, la servitude avec ménagement : une protection visuelle pouvait être obtenue même si la hauteur de l’arbre était limitée à la hauteur du pignon de la maison du recourant et si la largeur des plantes était de 2m. Une croissance illimitée des plantes n’était pas nécessaire, mais était de nature à porter massivement atteinte aux intérêts des intimés. A cet égard, le tribunal cantonal faisait notamment référence aux branches « transfrontalières » avec un surplomb allant jusqu’à 5,35 m., qui atteignaient en partie le balcon des intimés, au système racinaire « transfrontalier » avec une extension horizontale allant jusqu’à 4,5 m. ainsi qu’à l’impact des feuilles mortes et à l’ombre portée étendue. De l’avis du Tribunal cantonal, comme les empiètements sur le terrain des intimés n’étaient pas conformes à l’art. 737 al. 2 CC, ceux-ci avaient un droit à la suppression et à la cessation (c. 4).
Devant le Tribunal fédéral, le recourant soutient qu’un accord tacite résulte de la formulation-même de la servitude, selon lequel celle-ci ne doit justement pas être exercée avec ménagement. Le Tribunal fédéral relève que celle-ci a été constituée avant l’achat de l’immeuble par les intimés. Ceux-ci pouvaient donc se fier, dans la mesure de leur bonne foi, à l’inscription au registre foncier (art. 973 al. 1 CC). Or, l’inscription d’un « "beliebigen" Näherpflanzrechts » ne doit pas être comprise de bonne foi comme signifiant qu’aucune limite ne s’applique à la servitude (c. 7. 2). Le recourant se prévaut enfin du règlement de construction de la ville, selon lequel les arbres d’une circonférence supérieure à 0,8 m. ne peuvent être abattus qu’avec une autorisation. Le Tribunal rappelle qu’il examine en principe uniquement si le droit applicable au moment où la décision attaquée a été rendue a été correctement appliqué. Or, le recourant ne fait pas valoir qu’au moment déterminant, une autorisation était nécessaire pour l’élagage ordonné ou que le jugement attaqué n’était pas applicable pour des raisons juridiques. Ensuite, il ne fait pas valoir que la nouvelle planification évoquée dans le recours aurait dû être prise en compte au sens d’un effet anticipé, ce dès le prononcé de la décision attaquée. Le recours s’avère donc infondé (c. 8).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg
TF 8C_434/2023 du 10 avril 2024
Assurance-accidents; assureur compétent, accidents successifs, droit à un demi-salaire au moins; art. 3 LAA; 7 et 100 OLAA
S’agissant de déterminer l’assureur-accidents appelé à verser des prestations lorsqu’il y a deux accidents survenus successivement et en cas d’occupation de plusieurs postes (assurés auprès d’assureur-accidents différents) ou de perception d’indemnités journalières du chômage (cf. art. 100 OLAA), il y a systématiquement lieu de tenir compte de l’art. 3 al. 2 et 5 LAA. Ainsi, en présence d’une assurée, née en 1973, ayant subi un premier accident le 8 août 2021 pour lequel elle a bénéficié de prestations de l’assureur-accidents, il y a lieu d’examiner si, en février 2022, elle percevait encore éventuellement des indemnités journalières (droit à un demi-salaire au moins selon l’art. 3 al. 2 LAA) de cet assureur, auquel cas la couverture d’assurance auprès de ce même assureur pourrait être donnée, selon l’art. 3 al. 2 ou 5 LAA, en lien avec l’art. 7 al. 1 let. b OLAA, pour la couverture d’un deuxième accident survenu le 9 mars 2022.
Auteur : Guy Longchamp
TF 9C_742/2023 du 8 avril 2024
Prise en charge d’un enfant malade; absence de pronostic défavorable; art. 16n ss LAPG
Une fille de trois ans et demi a subi une fracture intracrânienne de la paroi supérieure de l’orbite gauche, avec une lésion perforante de la paupière supérieure le 4 février 2022 en tombant sur la pointe métallique d’une baguette de Diabolo. Après avoir attendu, en vain, de voir si le fragment osseux se repositionnait spontanément, la fillette a subi une opération du crâne le 9 février 2022. L’intervention s’est déroulée sans complication et l’enfant a pu quitter l’hôpital le 14 février 2022. La mère a demandé les allocations pour enfant gravement atteint dans sa santé du 15 février au 27 mars 2022, ce qui lui a été refusé par la caisse de compensation. L’instance cantonale a confirmé le refus de la caisse de compensation. La mère recourt devant le Tribunal fédéral contre le jugement du Tribunal des assurances.
Selon l’art. 16o LAPG, un enfant est réputé gravement atteint dans sa santé aux conditions cumulatives suivantes : il a subi un changement majeur dans son état physique ou psychique, l’évolution ou l’issue de ce changement est difficilement prévisible ou il faut s’attendre à ce qu’il conduise à une atteinte durable ou croissante à l’état de santé ou au décès, l’enfant présente un besoin accru de prise en charge de l’un des parents et au moins un des parents doit interrompre son activité lucrative pour s’occuper de l’enfant.
Selon la circulaire de l’OFAS sur l’allocation de prise en charge (N 1037.3), les maladies bénignes ou les suites d’accidents ainsi que les atteintes moyennes peuvent nécessiter une hospitalisation ou des consultations médicales régulières et rendre la vie quotidienne plus difficile. Dans ces cas (par exemple, fractures, diabète, pneumonie), on peut toutefois prévoir une issue positive ou sous contrôle et il n’y a donc pas de droit à l’allocation de prise en charge. Le législateur part également du principe qu’une durée minimale du traitement médical de quelques mois est nécessaire pour retenir une atteinte grave à la santé (FF 2019 4103 ss, 4134 en all.).
En l’espèce, le médecin avait coché sur le formulaire de demande les trois cases correspondant aux trois premières conditions de l’art. 16o LAPG, mais pas celle de l’interruption de l’activité lucrative de l’un des parents. L’hôpital, après avoir pris des renseignements auprès du médecin responsable, a complété l’information par courriel du 14 mars, dans lequel il constatait que le traitement ne s’était pas déroulé sur une longue période, que le pronostic n’était pas difficilement prévisible et que l’enfant n’était pas atteint si gravement qu’il nécessitait une prise en charge intense. Lors du contrôle post-opératoire, une évolution très favorable était constatée, sans déficit neurologique.
La recourante reproche à la cour cantonale d’être partie du principe que le pronostic était positif du seul fait que la fillette avait rapidement pu quitter l’hôpital. L’art. 16o let. d LAPG ne trouverait ainsi jamais application puisque toutes les situations dans lesquelles le pronostic est mauvais nécessitent que l’enfant reste à l’hôpital. Le Tribunal fédéral balaie cet argument, en relevant que la cour cantonale ne s’est pas fiée au retour à domicile pour trancher, mais s’est basée sur l’avis de sortie, pour conclure à un pronostic positif. Il relève également que même une issue négative n’empêche pas une sortie de l’hôpital, de sorte que l’argument de la recourante tombe à faux.
La recourante reproche ensuite à l’instance cantonale d’avoir procédé à un jugement a posteriori, en retenant la bonne évolution constatée lors du contrôle post-opératoire du 7 mars 2022. Or, lors de la sortie de l’hôpital, le pronostic n’était pas aussi clair et prévisible. Le Tribunal fédéral rejette ces considérations de nature purement appellatoire et relève que la recourante ne peut rien tirer du formulaire rempli par le médecin, qui a été ensuite contredit par le complément. Le médecin n’a par ailleurs jamais attesté de la réunion des quatre conditions de l’art. 16o LAPG.
En conclusion, le Tribunal fédéral confirme que l’appréciation de la cour cantonale n’est pas manifestement inexacte lorsqu’elle conclut que l’état de santé de la fillette n’était plus imprévisible lors de sa sortie de l’hôpital le 14 février 2022 et qu’on ne devait alors plus s’attendre à une atteinte durable ou croissante ou au décès. Le refus d’allocations est donc confirmé.
Auteure : Pauline Duboux, titulaire du brevet d’avocat à Rennaz
TF 9C_491/2023 du 3 avril 2024
Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuf, suites de l’arrêt Beeler c. Suisse; art. 24 al. 1 LAVS; 8 CEDH
Dans la mesure où il opère une distinction entre hommes et femmes, l’art. 24 al. 1 LAVS, qui ne prévoit le droit à une rente de conjoint survivant, en l’absence d’enfant à charge, qu’en faveur des secondes, est contraire à l’art. 8 al. 3 Cst. Le droit à la rente de conjoint survivant dans cette constellation ne tombe toutefois pas dans le champ d’application de l’art. 8 CEDH, dans la mesure où la prestation sociale n’a ici pas d’impact sur l’organisation de la vie familiale selon les critères dégagés par la Cour EDH dans l’affaire Beeler c. Suisse. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont confirmé le refus de la rente à un homme de 59 ans dont les enfants étaient tous deux majeurs depuis un certain temps au moment du décès de son épouse. Dans la mesure où elle se calque sur la jurisprudence européenne, la lettre-circulaire n° 460 fixant le régime transitoire à la suite de l’arrêt Beeler c. Suisse n’est pas lacunaire.
Note : Pour un résumé et une analyse de l’arrêt Beeler c. Suisse, voir ici. La Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de Genève est parvenue à une conclusion similaire dans un arrêt du 5 juillet 2023 (ATAS/552/2023), résumé et annoté dans la Semaine judiciaire (SJ 4/2024 250 ss).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_201/2023 du 3 avril 2024
Assurance-maladie; polypragmasie, échantillon insuffisant; art. 59 al. 1 let. b LAMal
Dans le cadre de l’examen de prestations facturées par un hôpital, le Tribunal fédéral a considéré qu’un échantillon de 40 cas choisis au hasard, s’il permettait certes de constater que certaines prestations avaient été facturées sans avoir être fournies (position TARMED 39.5070), n’était toutefois pas suffisant pour permettre aux assureurs de fonder valablement une demande de restitution de prestations, selon l’art. 59 al. 1 let. b LAMal.
Auteur : Guy Longchamp
TF 6B_308/2022 du 2 avril 2024
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, violation des règles de la circulation routière, devoir de prudence, prinicpe in dubio pro reo; art. 117 CP; 17, 36, 37 et 39 LCR; 17 OCR; 13 aOTConst
Les dispositions topiques de la LRC et de l’OCR ont vocation à s’appliquer par analogie, sur les chantiers également, lorsqu’il s’agit de concrétiser le contenu du devoir de diligence des conducteurs de véhicule (c. 3.2).
Le fait que l’art. 17 al. 1 OCR fasse de manière générale peser l’obligation d’avoir recours à un tiers sur le conducteur du véhicule concerné ne peut faire perdre de vue les circonstances spécifiques de l’espèce. La marche arrière en cause s’inscrivait en effet dans le cadre d’une procédure organisée au préalable et coordonnée, qui impliquait plusieurs autres camions, ainsi que la fraiseuse, et était en l’occurrence supervisée par la victime. Les travaux se déroulaient dans une zone où la présence de tiers extérieurs au chantier était en principe exclue. Quant à la marche arrière qu’a effectuée l’intimé, à la suite de ses collègues chauffeur de camion précédemment intervenus sur le chantier, elle s’est déroulée dans la zone d’intervention prévue de la fraiseuse, où nul n’avait de motif de se tenir, pas même la victime, étant rappelé qu’elle était responsable du chantier et de sa sécurité. Ainsi peut-on admettre, en se replaçant dans une perspective ex ante, qu’à l’entame de sa manœuvre, l’intimé n’avait pas à anticiper la présence ou l’apparition inopinée de tiers dans la zone concernée. L’intimé pouvait raisonnablement exclure tout danger qui aurait dû le contraindre à être secondé pour effectuer sa marche arrière. Dans cette mesure, la question de savoir à qui incombait la responsabilité de requérir une aide pour effectuer la manœuvre se trouve privée d’objet. En tout état, il s’ensuit que l’on ne peut imputer à l’intimé une violation de son devoir de diligence sur ce plan (c. 5.3).
L’art. 17 al. 2 OCR, toujours applicable par analogie dans le présent contexte, précise que la marche arrière ne doit s’effectuer qu’à l’allure du pas. Il s’agit, en d’autres termes, d’une vitesse de 5 km/h environ. Au regard des constatations cantonales, les valeurs moyennes de 3 km/h, respectivement de 7 km/h retenues demeurent dans une fourchette admissible et permettaient malgré tout aux juges précédents de considérer, sans violer le droit fédéral, que la vitesse d’évolution de l’intimé lors de sa manœuvre de marche arrière ne paraissait pas inadaptée. La cour cantonale était donc fondée, in fine, à dénier l’existence d’une violation du devoir de diligence sous cet angle également (c. 6.2).
S’agissant de la causalité, l’instruction, qualifiée de complète par les juges précédents, n’a pas permis de trancher entre l’hypothèse d’une inattention, d’un faux pas ou d’un malaise. Les circonstances précises du drame demeurent par conséquent entourées d’incertitudes. En ce sens, la cour cantonale était fondée à retenir, en application du principe in dubio pro reo, que l’inattention ou le malaise de la victime représentait la cause prépondérante de l’accident.
De même était-elle fondée à retenir, par identité de motif, que cette dernière s’était retrouvée sur la trajectoire du camion à proximité immédiate du véhicule évoluant en marche arrière et qu’elle avait pu trébucher ou faire un malaise juste derrière le camion. Dans cette perspective, la cour cantonale pouvait, sans que cela prête le flanc à la critique, retenir que, même si l’intimé avait eu recours à l’aide d’un tiers pour effectuer cette manœuvre et même si la manœuvre de recul avait été effectuée plus lentement, l’accident serait tout de même survenu. Elle en a conclu, à juste titre, qu’on ne pouvait pas considérer qu’un comportement différent de la part de l’intimé, correspondant aux attentes exprimées par les recourants, aurait permis d’éviter la survenance du drame. Un tel raisonnement ne viole pas le droit fédéral (c. 7.2).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud
TF 5A_487/2023 du 2 avril 2024
Responsabilité de l’Etat; responsabilité en cas de séquestre injustifié, collectivité publique; art. 273 LP
La loi fédérale sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires (LRCF) n’est applicable que s’il n’existe pas de réglementation spéciale. L’art. 273 LP, qui prévoit une responsabilité causale stricte, constitue une lex specialis qui exclut dès lors l’application de la LRCF.
Le droit suisse prévoit l’exécution de l’ensemble des prestations pécuniaires par la voie de la poursuite pour dettes et faillites, les créances fondées sur le droit privé ou le droit public étant traitées sur un pied d’égalité. Ainsi, la collectivité qui poursuit l’exécution d’une créance de droit public par la voie du séquestre répond du dommage causé selon l’art. 273 LP comme tout autre créancier. En l’absence d’une réglementation spécifique concernant la responsabilité pour séquestre injustifié dans la LIFD, respectivement d’une norme de délégation dans la LHID, les créances fiscales ne font pas exception à ce qui précède. Cela se justifie notamment par le fait que le séquestre LP et le séquestre fiscal ont la même fonction.
Dans une telle constellation, le litige fondé sur un séquestre injustifié entre donc dans la compétence des tribunaux civils du for du séquestre.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne
TF 8C_523/2023 du 27 mars 2024
Assurance-invalidité; contribution d’assistance, contrat de travail, identité de l’employeur, personne physique ou personne morale; art. 42quinquies LAI
Les recourants sont parents et curateurs – depuis sa majorité – d’une enfant en situation de handicap qui est au bénéfice de diverses prestations de l’assurance-invalidité, notamment d’une contribution d’assistance pour les prestations d’aide dont elle a besoin à domicile (art. 42quinquies LAI). En décembre 2022, l’office AI a décidé de ne plus verser de contribution d’assistance dès janvier 2023 au motif que depuis 2016, les prestations d’aide ne sont plus fournies par des personnes engagées par l’assurée ou ses représentants légaux sur la base d’un contrat de travail, mais par des personnes employées d’une Sàrl fondée par les parents de l’assurée. Sur recours, l’interruption de l’aide est portée à janvier 2024. Les parents recourent au Tribunal fédéral.
Au terme d’une interprétation littérale et téléologique de l’art. 42quinquies LAI, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que la manière de procéder de l’office AI était correcte, la loi excluant que les prestations d’aide soient fournies par des organisations ou d’autres personnes morales (c 4.4.5). Le fait que les parents aient été les seuls associés et gérants de la société ne permettait pas de faire exception à la règle, pas plus que le fait que l’office AI ait toléré la situation entre 2016 et 2022 (c. 5.2, 5.3 et 7.3).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève
TF 4A_489/2023 du 19 mars 2024
Assurances privées; assurance complémentaire à l’AOS, portefeuille fermé au sens de l’art. 156 OS, absence de produit équivalent, contrariété aux mœurs, lésion; art. 20 et 21 CO; 31 LSA; 156 OS
Le Tribunal fédéral examine un cas d’application de l’art. 156 de l’ordonnance sur la surveillance des entreprises d’assurance privée (OS ; RS 961.011). Une assurée a été couverte pendant 35 ans par un contrat d’assurance complémentaire maladie. Elle a souffert d’une leucémie ayant impliqué des prestations de la part de l’assureur et qui nécessite encore des traitements en raison des séquelles consécutives à la greffe de cellules souches qu’elle a subie. L’assureur lui annonce la fermeture du portefeuille du produit par lequel elle est couverte (c’est-à-dire que ledit produit d’assurance n’est plus proposé à la vente et qu’il n’est donc plus possible d’y adhérer) et lui propose un produit ouvert. L’assurée est contrainte de refuser, car le contrat proposé ne couvre pas les greffes, leurs complications et leurs séquelles. Restée liée au produit fermé, l’assurée voit ses primes augmenter massivement. Elle les conteste sous l’angle de la contrariété aux mœurs et de la lésion, jusqu’au Tribunal fédéral. Ce dernier confirme, au terme d’une analyse assez étroite, que les CGA permettaient à l’assureur d’augmenter les primes, que l’assurée s’était vu proposer de passer dans un produit ouvert et que l’absence de produit équivalent ne mettait pas sa santé en danger. Il a donc nié toute lésion, la situation de gêne n’ayant par ailleurs pas été démontrée.
Auteur : Matthias Stacchetti
TF 8C_438/2023 du 18 mars 2024
Assurance-chômage; prestations transitoires pour anciens chômeurs, dessaisissement de fortune; art. 13 al. 1 et 2 LPtra
La loi sur les prestations transitoires pour anciens chômeurs (LPtra) a pour but de fournir une aide aux chômeurs en fin de droit ayant atteint l’âge de 60 ans. La caisse cantonale de compensation AVS/AI/APG recourt contre la décision du Tribunal cantonal (TI) niant le désistement de fortune supérieur à CHF 50'000.- reproché à l’assuré (art. 5 al. 1 let. c LPtra). Le requérant avait dépensé sa fortune de CHF 123'193.- du 3 décembre 2002 au 30 septembre 2022 sans justification d’après la caisse de compensation recourante qui lui avait refusé les prestations transitoires constatant une renonciation à des parts de fortune de CHF 71'000.-. Il avait en particulier consommé son capital de prévoyance prélevé à l’âge de 58 ans, à raison de CHF 13'000.- par mois, avant le 1er juillet 2021, date de l’entrée en vigueur de la loi sur les prestations transitoires.
Selon l’art. 13 al. 2 LPtra, les autres revenus, parts de fortune et droits légaux ou contractuels auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate sont pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas renoncé. En l’absence d’une base légale régissant l’application temporelle de la loi, les dépenses intervenues avant le 1er juillet 2021 ne sont pas à prendre en considération (art. 13 al. 2 LPtra ; art. 24 al. 2 OLPtra) (c. 5.2.1).
Le principe de non-rétroactivité des lois résulte de la Constitution (art. 5, 8 et 9 Cst.). Elle ne peut intervenir que s’il existe une base légale suffisante, en présence d’un intérêt public prépondérant et si l’égalité de traitement ainsi que les droits acquis sont respectés. Lorsque le législateur réglemente un état de fait antérieur toujours existant à l’entrée en vigueur de la loi, la rétroactivité est qualifiée d’impropre et doit garantir les droits acquis (c. 7.1.2.1).
Le message du Conseil fédéral exprimant la volonté de se calquer largement sur la LPC dans sa nouvelle teneur du 1er janvier 2021 ne permet pas encore de conclure à la rétroactivité des nouvelles dispositions légales. Le Tribunal fédéral juge nécessaire de procéder à l’interprétation de l’art. 13 al. 2 sur la renonciation aux « parts de fortune » sans y être légalement tenu et en l’absence de contre-prestation adéquate, tandis qu’à l’al. 3, il est question du calcul du montant de la fortune « dépensée » sans raison valable. L’ordonnance permet toutefois d’établir que l’art. 13 al. 2 LPtra vise les cas d’aliénation des parts de fortune (art. 24 let. a et 25 OPtra), alors que l’art. 13 al. 3 LPtra traite de la « consommation excessive » de fortune (art. 24 let. b et 26 OPTra). Cette claire distinction est faite aussi par le commentaire de l’ordonnance qui consacre l’influence de la loi sur les prestations complémentaires (à l'art. 24 OPtra let a 25 OPtra).
Dans son examen des deux systèmes LPC et LPtra, le Tribunal fédéral retient néanmoins que des règles différentes ont été adoptées en matière de dessaisissement de fortune antérieur à la naissance du droit. L’art. 11a al. 4 LPC étend expressément l’application de l’art. 11 al. 3 LPC aux dix années précédant le droit à une rente de vieillesse de l’AVS, ce qui n’a pas été prévu pour l’art. 13 al. 3 LPtra (c. 7.2.3.3). Bien que les deux systèmes prévoient un seuil de fortune à partir duquel l’assistance doit être fournie, on ne peut conclure à un parfait parallélisme des deux normes. Le Tribunal fédéral déduit même des travaux préparatoires (PV de la CSSS du Conseil des Etats du 21 novembre 2019) une volonté du législateur de considérer le caractère non planifiable du chômage pour renoncer à légiférer sur le dessaisissement avant la naissance du droit aux prestations transitoires. L’art. 13 al. 3 LPtra (art. 24 let. b et 26 al. 1 et 2 OPtra) prévoit ainsi expressément que le dessaisissement de fortune est pris en compte à partir de la naissance du droit aux prestations transitoires.
La jurisprudence développée en matière de prestations complémentaires (PC) sur le dessaisissement de fortune (obligation de collaborer et conséquences si la diminution extraordinaire de fortune n’est pas justifiée) s’applique aux prestations transitoires. Une présomption de renonciation à la fortune, comme pour les PC, est admise dans tous les cas où l’intéressé n’a pas justifié le motif de la diminution. Dans le cas d’espèce, toutefois, seul l’art. 13 al. 2 LPtra pourrait entrer en ligne de compte et non l’art. 13 al. 3 LPtra qui limite l’examen du dessaisissement à compter de la naissance du droit aux prestations transitoires. En l’espèce, il n’a pas été démontré que les juges cantonaux auraient apprécié les preuves de manière arbitraire (art. 9 Cst.) en retenant que les sommes dépensées avant la naissance du droit ne constituaient pas une renonciation à des parts de fortune (au sens de l’art. 13 al 2 LPtra) (c. 7.2.4.2.)
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
TF 9C_6/2023 du 12 mars 2024
Prévoyance professionnelle; maintien provisoire de l’assurance; art. 26a al. 1 LPP
Une informaticienne atteinte d’une sclérose en plaques évoluant par poussées présente une incapacité de travail de 40 % à compter du 2 juin 2014. Son contrat de travail est résilié pour le 31 octobre 2014. Des mesures de réadaptation professionnelle sont accordées par l’office AI. A la suite de ces mesures, un emploi est obtenu à 50 % sur une période limitée du 1er janvier 2017 à décembre 2018. Dès mars 2018, une incapacité de travail totale est attestée. En 2019, l’office AI octroie un quart de rente dès le 1er mai 2015, trois-quarts de rente dès le 1er août 2015, une rente entière dès le 1er septembre 2016, un quart de rente dès le 1er janvier 2017 et enfin une rente entière à partir du 1er juin 2018. Sur la base de cette décision, la caisse de pensions de son employeur en 2014 accorde une rente d’invalidité en précisant que le droit à la rente à partir du1er juin 2018 est régi par les dispositions minimales LPP, car aucune assurance n’a été conclue auprès d’elle entre le 1er janvier 2017 et le 31 mai 2018. L’assurée recourt au Tribunal fédéral concluant au versement d’une rente fondée sur les dispositions réglementaires et non selon les dispositions minimales de la LPP dès le 1er juin 2018. Elle invoque à l’appui de son recours le maintien provisoire de l’assurance selon l’art. 26a al. 1 LPP.
Le Tribunal fédéral examine dans cet arrêt si l’art. 26a al. 1 LPP peut s’appliquer au cas d’espèce. Il rappelle sa teneur selon laquelle, si la rente de l’AI versée à un assuré est réduite ou supprimée du fait de l’abaissement de son taux d’invalidité, le bénéficiaire reste assuré avec les même droits durant trois ans auprès de l’institution de prévoyance tenue de lui verser des prestations d’invalidité, pour autant qu’il ait, avant la réduction ou la suppression de sa rente de l’AI participé à des mesures de nouvelle réadaptation destinées aux bénéficiaires de rente au sens de l’art. 8a LAI ou que sa rente ait été réduite ou supprimée du fait de la reprise d’une activité lucrative ou d’une augmentation de son taux d’activité (c. 3.1).
Après analyse du message relatif à la 6e révision de la LAI et de la teneur de la disposition invoquée, le Tribunal fédéral considère que le sens et le but du maintien provisoire de l’assurance au sens de l’art. 26a LPP est d’encourager la réinsertion des bénéficiaires de rentes ou de protéger les bénéficiaires de rentes qui participent à des mesures de réinsertion. Par le biais de cette disposition, le législateur entend éliminer les obstacles particuliers qui se présentent lors de la réinsertion de personnes qui sont déjà mises au bénéfice d’une rente. Partant, le Tribunal fédéral considère que cette norme ne s’applique pas aux cas dans lesquels, comme dans le cas d’espèce, une rente échelonnée ou limitée est accordée rétroactivement à une personne assurée pendant la durée de laquelle des mesures de réadaptation professionnelle ont lieu (c. 4.3 et 4.4).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne
TF 8C_306/2023 du 7 mars 2024
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail; art. 31 et 83a LACI; 46b et 110 OACI
L’entreprise A. AG, active dans le secteur automobile, a perçu durant la pandémie de Covid-19 un montant de CHF 407'020.05 d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail au sens des art. 31 ss LACI (RHT). Après un contrôle effectué le 24 mars 2021, le SECO a sollicité le remboursement de la somme de CHF 256'162.15. Il a maintenu sa prise de position suite à l‘opposition de A. AG et le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours de cette dernière. Pour l’essentiel, la demande de remboursement est justifiée par l’absence de documents relatifs au contrôle du temps de travail pour divers collaborateurs de A. AG. Alors que la direction de l’entreprise avait attesté par écrit dans le cadre du contrôle du 24 mars 2021 ne disposer d’aucune saisie du temps de travail pour neuf collaborateurs, A. AG a présenté par la suite des relevés dans le cadre de la procédure d’opposition. Le Tribunal administratif fédéral a considéré que les documents produits postérieurement au contrôle ne permettaient pas de remplir les obligations en la matière (cf. art. 46b OACI) et n’étaient manifestement pas authentiques (c. 4.1 et 5.1).
Le Tribunal fédéral a confirmé qu’en ne présentant pas la documentation relative à la saisie du temps de travail pour divers collaborateurs lors du contrôle effectué sur place et en signant le formulaire de contrôle le même jour, alors qu’elle n’y était pas tenue, la directrice générale de A. AG n’avait pas été en mesure de justifier le droit aux indemnités pour lesdits collaborateurs, ce d’autant plus qu’avec la signature du formulaire, il était expressément admis que d’éventuels documents fournis postérieurement ne permettraient pas de remplacer l’examen du temps de travail dans l'entreprise effectué au moment du contrôle (c. 5.1 et 5.1.1). Le fait que la directrice générale aurait reçu des informations peu claires, ait notamment commis une erreur et était sous pression, n’y change rien.
Il est également rappelé que le bien-fondé du droit aux indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail dépendait essentiellement des documents fournis par les entreprises et notamment le constat de la saisie du temps de travail en temps réel, si bien qu’il y a tout lieu de penser que si cette documentation avait été disponible, elle aurait été produite lors du contrôle effectué sur place. En l’absence de celle-ci, il n’est pas possible de dûment constater que la saisie du temps de travail s’effectue régulièrement (c. 5.1.2).
Le Tribunal fédéral a également considéré que les griefs de la recourante, soit l’absence de base légale pour refuser les documents produits postérieurement au contrôle et l’excès de formalisme dans l’application de l’art. 46 OACI, étaient infondés (c. 5.2).
Auteur : Walter Huber, Juriste à Puplinge
TF 8C_499/2023 du 6 mars 2024
Prestations complémentaires; non-rémunération des soins par une personne prise en compte dans le calcul des PC; art. 8 al. 1 Cst; 9 al. 2, 10 et 11a al. 1 LPC; 159 al. 3 et 163 CC
Le Canton de Saint-Gall prévoit de ne pas rémunérer les soins et l’entretien qui sont apportés par une personne qui est comprise dans le calcul des PC. Ainsi, une épouse vivant en ménage commun avec son mari ne peut prétendre à la rémunération susmentionnée, puisqu’elle fait partie du calcul des PC conformément à l’art. 9 al. 2 LPC.
Selon le Tribunal fédéral, une telle façon de procéder est parfaitement correcte et ne contrevient pas au principe de l’égalité de l’art. 8 al. 1 Cst. D’une part, on n’impute aucun revenu hypothétique à l’épouse sur la base de l’actuel art. 11a al. 1 LPC puisqu’elle donne elle-même une partie des soins à son mari, de sorte qu’elle n’est pas en mesure de travailler. Ainsi, cette non-imputation correspond indirectement à une rémunération du travail effectué par l’épouse au chevet de son mari. D’autre part, conformément à l’art. 10 LPC, le montant de base est augmenté de quelque CHF 10'000.- en cas de vie commune des époux. Au surplus, on relève que les frais de maladie de l’épouse font aussi l’objet du calcul du couple.
Ainsi, le traitement différencié de la rémunération des soins selon que le prestataire est ou n’est pas compris dans le calcul est parfaitement correct. Cela serait même le cas si l’on avait retenu un revenu hypothétique pour l’épouse. Dans ce cas de figure, la prise en compte du revenu hypothétique se fonde sur l’obligation de diminuer le dommage ainsi que sur le devoir d’assistance et l’obligation d’entretien du droit de la famille (art. 159 al. 3 et 163 CC). Ainsi, même si, toujours dans ce cas de figure, il se peut que la perte de revenu ne soit pas forcément compensée à 100 %, un traitement quelque peu différent se justifie sur la base des obligations susmentionnées.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg
TF 8C_166/2023 du 6 mars 2024
Assurance-invalidité; rente échelonnée, révision, enquête suisse sur la structure des salaires (ESS); art. 17 LPGA; 88 RAI
Le Tribunal cantonal des assurances sociales qui annule la décision déférée et octroie, à titre rétroactif, une rente échelonnée dans le temps, doit, en relation avec cet échelonnement, procéder à un examen à la lumière des conditions de la révision du droit aux prestations durables (art. 17 LPGA et 88a RAI).
A cet égard, il lui appartient d’utiliser la dernière édition des tableaux de l’ESS, en l’occurrence les tableaux 2020, pour le calcul de l’invalidité et non pas une version antérieure. Il n’est pas admissible que l’assuré soit traité de manière moins favorable que dans l’hypothèse d’un renvoi à l’administration.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève
TF 4A_478/2022 du 5 mars 2024
Responsabilité médicale; violation des règles de l’art médical, appréciation d’une expertise commune et d’une expertise privée, valeur de l’expertise administrative en procédure civile; art. 6 al. 1 LResp FR
Selon la jurisprudence, la notion d’illicéité est la même en droit public cantonal de la responsabilité et en droit privé fédéral. Le personnel chargé des soins (médecins, infirmiers, sages-femmes, etc.) est tenu de respecter les règles de l’art médical, afin de protéger la vie ou la santé du patient. Il doit observer la diligence requise, déterminée selon des critères objectifs. La notion d’illicéité rejoint ici celle de violation du devoir de diligence, appliquée en matière de responsabilité contractuelle. Pour établir son diagnostic, le médecin procède par diagnostic différentiel, c’est-à-dire qu’il tente d’identifier une maladie grâce à la comparaison entre eux des symptômes dus à plusieurs affections voisines que l’on cherche à différencier les unes des autres en utilisant un processus d’élimination logique. L’établissement d’un tel diagnostic (c’est-à-dire l’élaboration d’une liste des problèmes possibles pouvant être à l’origine des signes et symptômes chez un patient) constitue une partie importante du raisonnement clinique. Cette étape permet de procéder à des investigations appropriées visant à écarter des possibilités et à confirmer un diagnostic définitif.
L’erreur de diagnostic ne suffit en principe pas, à elle seule, à engager la responsabilité du médecin. Si celui-ci pose consciencieusement son diagnostic, après avoir examiné son malade selon les règles de l’art avec tout le temps et l’attention nécessaires, il n’y a pas violation des règles de l’art. Il appartient au lésé d’établir la violation des règles de l’art médical. Le juge doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les titres à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. Notamment si les rapports médicaux sont contradictoires, il doit apprécier l’ensemble des preuves et indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. La jurisprudence a posé des lignes directrices compatibles avec la libre appréciation des preuves s’agissant de la manière d’apprécier certains types d’expertises ou de rapports médicaux. Il est ainsi admis, en particulier, qu’une expertise privée produite par une partie n’a pas la même valeur probante que des expertises mises en œuvre par un tribunal ou par un assureur-accidents.
Lorsque, au stade de la procédure administrative, une expertise judiciaire confiée à un expert indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d’observations approfondies et d’investigations complètes, ainsi qu’en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé. Le juge doit donc examiner si l'expertise privée est propre à mettre en doute, sur les points litigieux importants, l'opinion et les conclusions de l'expert mandaté dans le cadre de la procédure administrative.
La jurisprudence sur la force probante des expertises médicales est différente en procédure administrative et en procédure civile. En effet, selon la jurisprudence actuelle en procédure civile, l'expertise privée n’est pas un moyen de preuve, alors qu’elle l’est en procédure administrative, selon les principes jurisprudentiels précités. La cour cantonale a considéré que l’expertise privée produite par la patiente ne constitue pas seulement un allégué de partie, mais qu’elle est un rapport médical dont il y a lieu d’apprécier la valeur probante. Il ressort des faits constatés que l’expertise commune du 1er juin 2017 et son rapport complémentaire ont été réalisés d’entente entre les parties : l’expert a été mandaté en qualité d’expert par les deux parties, il a eu accès au dossier complet de la cause, il a reçu la patiente en entretien et a eu un entretien téléphonique avec le médecin-chef avant de rendre son rapport, il a répondu aux questions posées, par les deux parties, en motivant ses différentes prises de position et a été amené à répondre encore à des questions supplémentaires des parties dans son rapport complémentaire. Sur la base des éléments à sa disposition, le tribunal est en mesure de se prononcer lui-même, librement, sur la question de savoir si l’expertise privée suffit à faire douter de l’expertise commune. En l’espèce, tel n’est pas le cas, en raison d’un certain nombre de manquements reprochés à l’expertise privée.
Le recours a été rejeté par le TF.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême
TF 8C_548/2023 du 21 février 2024
Assurance-accidents; notion d’accident, choc psychologique, agression à caractère sexuel, viol; art. 4 LPGA
Au terme d’une nuit bien arrosée, une jeune assurée s’est réveillée dans son lit à côté d’un homme qu’elle ne connaissait pas, simplement vêtue d’un t-shirt. Elle a déclaré de manière constante n’avoir aucun souvenir de la nuit, en particulier aucun souvenir d’avoir eu des rapports sexuels. En prenant sa douche, elle a trouvé à l’intérieur de son vagin des résidus de préservatif. A la suite de cet événement, l’assurée a présenté des troubles psychologiques que l’assureur-accidents a nié devoir prendre en charge, motif pris que les conditions d’un choc psychologique n’étaient pas remplies. Le tribunal cantonal lui ayant donné tort, c’est au TF d’examiner si l’on était en présence de « circonstances propres à susciter l’effroi » permettant d’admettre le caractère extraordinaire dans le cadre de l’analyse de l’art. 4 LPGA.
Rappelant que, dans ses « déclarations de la première heure » et de manière constante depuis, l’assurée avait indiqué ne pas se souvenir de ce qui s’était passé cette nuit-là, et en particulier ne pas souvenir avoir eu des rapports sexuels, le TF a jugé que la condition de confrontation immédiate avec l’événement traumatisant, indispensable pour admettre l’accident sous l’angle du choc psychologique, n’était pas réalisée en l’espèce. Il a donc admis le recours de l’assureur LAA et nié le caractère accidentel des troubles psychiques sous l’angle du choc psychologique.
Note : cet arrêt s’inscrit dans la ligne de l’arrêt rendu dans le cas d’un assuré qui n’avait pas eu la chance de voir la camionnette écraser les passants sur la Promenade des Anglais (TF 8C_609/2018), ou encore de celui rendu dans l’affaire d’un conducteur de locomotive qui avait eu le malheur de penser passer sur un objet et n’avait appris qu’après coup qu’il s’agissait d’un être humain qui était, de ce fait, décédé (TF 8C_376/2013). Alors que l’on admet (enfin) de prendre en compte, dans l’appréhension pénale du viol, l’état de sidération de la victime, cet arrêt campe sur des positions passéistes qui ne peuvent se comprendre que dans le cadre d’une analyse strictement économique du droit des assurances sociales, ou comme l’expression à peine voilée de discriminer, là aussi, les personnes atteintes de troubles psychiques, quand bien même le texte de la loi ne le commande pas.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 7B_744/2023 du 14 février 2024
Responsabilité aquilienne; négligence, position de garant, causalité adéquate; art. 11, 12 al. 3 et 125 CP; 3, 4 et 8 aOTConst
Un ingénieur civil chargé de la direction et de la surveillance d’un chantier recourt contre sa condamnation pour lésions corporelles graves par négligence. La position de garant est indépendante de l’existence d’un lien de subordination juridique avec les personnes qui pourraient être mises en danger. La position de garant existe en effet également envers des tiers. Selon le Tribunal fédéral, le recourant était tenu d’aviser toute personne susceptible d’être concernée par un danger sur le chantier, peu importe qu’elle lui soit liée par un contrat ou non (c. 4.4.2).
Le Tribunal fédéral retient une violation fautive par le recourant de son devoir de prudence puisqu’il a omis de mettre en place les mesures de sécurité prévues par l’aOTConst (ancienne ordonnance du 29 juin 2005 sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction), respectivement en ne veillant pas à ce qu’elles le soient ; le recourant n’a ainsi pas déployé l’attention ni les efforts que l’on pouvait attendre de lui (c. 4.5).
S’agissant de la causalité adéquate, le Tribunal fédéral relève que celle-ci ne peut être exclue que si l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’ait empêché. Le Tribunal fédéral retient que si le recourant avait pris les mesures commandées par les circonstances, le dommage ne serait pas survenu. Il existe donc bien un lien de causalité adéquate entre le devoir de diligence du recourant et les lésions subies par l’intimé. Il n’y a pas de rupture de ce lien de causalité. Le comportement de l’intimé ne permet en effet pas de reléguer à l’arrière-plan le manquement du recourant. Ce comportement ne s’impose en effet pas comme la cause la plus probable et la plus immédiate de la chute, cause des lésions (c. 4.6).
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève
CourEDH – Jann-Zwicker et Jann c. Suisse (requête n° 4976/20) du 13 février 2024
Responsabilité civile; droit à un procès équitable, prescription de l’action engagée par une victime de l’amiante; art. 6 § 1 CEDH
La décision des tribunaux suisses que le délai de prescription avait commencé à courir à partir du moment où la victime avait été exposée et qu’en conséquence l’action était prescrite viole l’art. 6 § 1 (droit à un procès équitable) CEDH en raison d’un défaut d’accès à un tribunal.
L’ajournement de la procédure décidé par le Tribunal Fédéral dans l’attente d’une réforme législative n’était pas nécessaire et viole ainsi l’art. 6 § 1 CEDH quant à la durée de procédure devant les juridictions nationales.
Auteur : Christoph Müller
TF 4A_423 et 425/2023 du 7 février 2024
Responsabilité aquilienne; illicéité, norme de protection; art. 41 CO
Les deux recourants ont saisi le Tribunal fédéral à la suite d’une condamnation pour abus de confiance (art. 138 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et gestion fautive (art. 165 CP). Plus particulièrement, leur recours est dirigé contre leur condamnation à s’acquitter des prétentions civiles de deux parties lésées. Les infractions ont été reprochées aux recourants dans le cadre de la faillite d’une société, faillite qui n’a ainsi pas permis aux créances des deux lésés d’être acquittées. Les deux créances des lésés n’atteignant pas la limite minimale de la valeur litigieuse de CHF 30'000.- pour l’ouverture d’un recours en matière civile, le Tribunal fédéral s’est demandé si la question posée était une question juridique de principe. Arrivant à la conclusion que tel n’était pas le cas, c’est uniquement dans le cadre d’un recours constitutionnel subsidiaire que la procédure a été examinée, plus particulièrement sous l’angle de l’arbitraire.
La question que s’est ainsi posée le Tribunal fédéral était de déterminer si les infractions auxquelles avaient été condamnés les recourants constituaient une norme de protection suffisante pour qu’une responsabilité au sens de l’art. 41 CO soit admise.
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral a rappelé tout d’abord que la notion d’illicéité s’entendait soit par l’illicéité de résultat (dommage à un bien absolu), soit par l’illicéité de comportement (dommage purement patrimonial). Or, pour que l’illicéité de comportement soit donnée, il faut qu’une norme protectrice du patrimoine ait été violée (Schutznorm). Une telle norme doit avoir clairement pour objectif de protéger le patrimoine des individus.
Ensuite, le Tribunal fédéral a rappelé qu’à de multiples reprises, sa jurisprudence avait considéré que les art. 163 ss CP, à savoir les crimes ou délits dans la faillite et la poursuite pour dette, n’étaient pas constitutifs de normes ayant pour objectif de protéger le patrimoine des individus. Ces normes avaient pour unique but de protéger les créanciers par un effet préventif. Pour le surplus, les règles de la LP, comme les actions révocatoires, étaient suffisantes pour protéger le patrimoine des parties lésées.
Ce faisant, le TF a considéré que, faisant fi de ce qui précède, l’instance cantonale avait versé dans l’arbitraire. Elle ne pouvait pas passer outre la jurisprudence constante à ce sujet. Par conséquent, le Tribunal fédéral a confirmé, encore une fois, sa jurisprudence, ceci même sous l’angle de l’examen confiné à l’arbitraire. Par ailleurs, l’instance cantonale semblait partir du principe que les créances civiles jugées par adhésion dans une procédure pénale n’avaient pas à être examinées selon les mêmes règles que celles prévalant en droit civil. Le Tribunal fédéral a alors indiqué qu’un tel raisonnement était insoutenable et donc également arbitraire. Les recours ont ainsi été amis et les prétentions des lésés ont été rejetées.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne
TF 2C_176/2022 du 7 février 2024
Responsabilité de l’Etat; dommage, chef de responsabilité, marchés publics, procédure d’adjudication; art. 9Cst.; 3 et 12 LRFC; 32 et 34 aLMP
L’art. 34 de la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 (aLMP) ne gouverne le régime de responsabilité en la matière qu’à l’égard de décisions dont le caractère illicite a été constaté par une autorité judiciaire, dans le cadre d’une procédure suivant l’art. 32 al. 2 aLMP (c. 5.1). En dehors du champ d’application de cette disposition spéciale réservée par l’art. 3 al. 2 de la loi sur la responsabilité (LRCF), celle-ci s’applique, en vertu de son art. 3 al. 1, à la responsabilité découlant d’actes illicites imputables à l’autorité fédérale d’adjudication et survenus en dehors de la prise de décisions formelles (c. 5.6).
Dans un cas où, comme dans la présente cause, le préjudice a été causé non pas par une décision d’adjudication, mais par la conclusion d’un contrat allant au-delà d’une décision adjugeant un premier lot, d’une part, et par l’interruption de la deuxième procédure d’adjudication, devenue sans objet, d’autre part, on se trouve en présence d’actes illicites – en particulier une violation du principe de la bonne foi énoncé à l’art. 9 Cst. (c. 8.2) – soumis à la LRCF (c. 6). Le lésé n’a pas eu la faculté de contester valablement ces choix du pouvoir adjudicateur, de sorte que l’exclusion de responsabilité prévue par l’art. 12 al. 3 LRCF, si le lésé n’a pas usé de voies légales à disposition, ne trouve pas application (c. 7.1-2).
Dans cette hypothèse, seuls peuvent être réclamés, comme dans le champ d’application de l’art. 34 aLMP, des dommages-intérêts négatifs, consistant ici (c. 8.3) dans le coût de participation à la procédure d’adjudication interrompue. En effet, le pouvoir adjudicateur n’a pas l’obligation de conclure un contrat avec le candidat bénéficiant de l’adjudication, de sorte que celui qui a été lésé par un acte ou une omission illicite du pouvoir adjudicateur ne peut pas prétendre à des dommages-intérêts positifs (c. 7.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle
TF 9C_482/2022 du 31 janvier 2024
Prestations complémentaires; revenu hypothétique, cotisations AVS/AI/APG; art. 10 al. 3 let. c LPC
Née en 1963, l’assurée perçoit trois-quarts de rente AI. Par décision du 4 juin 2021, la caisse de compensation lui a accordé des prestations complémentaires en tenant compte d’un revenu hypothétique en cas d’invalidité partielle. Lors du calcul des prestations complémentaires, la Caisse de compensation n’a pas tenu compte, à titre de dépense, de la cotisation minimale AVS/AI/APG pour les personnes sans activité lucrative. Le recours déposé par l’assurée contre la décision de la caisse de compensation a été rejeté.
Selon l’art. 10 al. 3 let. c LPC, sont considérées comme dépenses reconnues, entre autres, les cotisations aux assurances sociales de la Confédération, à l’exclusion des primes de l’assurance-maladie. Il s’agit de droit fédéral impératif. Les cotisations aux assurances sociales de la Confédération sont à prendre en considération pour toutes les personnes qui ne sont pas des travailleurs indépendants, et donc aussi pour les invalides partiels, auxquels il faut imputer un revenu hypothétique. Contrairement à l’avis du tribunal cantonal, il n’est donc pas question de faire totalement abstraction lors du calcul des prestations complémentaires de la cotisation minimale AVS/AI/APG effectivement versée par la recourante en tant que personne sans activité lucrative. Or, l’appréciation de l’instance cantonale revient à cela dans la mesure où, en se référant au fait que le revenu hypothétique selon l’art. 14a al. 2 OPC est un « revenu net », elle refuse d’en tenir compte.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg
TF 6B_1058/2022 du 29 janvier 2024
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, devoir de diligence de l’employeur, prescriptions relatives à la sécurité au travail; art. 117 CP; 85 LAA; 49, 52 et 52a OPA
En 2019, un ouvrier auxiliaire, employé par l’entreprise E. AG, a effectué des travaux de nettoyage sur le site d’une société. Dans ce cadre, il a utilisé seul une plateforme élévatrice fonctionnant sur batterie. Lors de l’utilisation de cette plateforme, il s’est coincé le cou entre un conduit de câbles et le garde-corps de la plateforme élévatrice et est mort asphyxié. Deux employés de E. AG, dont D., son directeur général, ont été reconnus coupables d’homicide par négligence (art. 117 CP) par les juridictions cantonales. Ils recourent au Tribunal fédéral.
Est notamment examinée par le Tribunal fédéral la question de savoir s’il était de la responsabilité de D., en tant qu’employeur, de ne confier des travaux comportant des dangers particuliers qu’à des travailleurs ayant reçu une formation appropriée à cet effet et, par conséquent, s’il incombait à D. de vérifier, qu’une formation avait été suivie par l’employé s’agissant de l’utilisation de plateformes élévatrices, notamment en demandant des certificats attestant d’une telle formation.
Le Tribunal fédéral rappelle qu’en vertu de l’art. 85 LAA en relation avec l’art. 52 OPA, la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail (CFST) peut édicter des directives afin de garantir une application uniforme et appropriée des prescriptions relatives à la sécurité au travail. Si l’employeur suit ces directives, il est présumé satisfaire aux prescriptions sur la sécurité au travail concrétisées par ces directives (art. 52a al. 2 OPA). L’employeur peut satisfaire aux prescriptions sur la sécurité au travail d’une autre manière que celle prévue par les directives, s’il prouve que la sécurité des travailleurs est garantie de manière équivalente (art. 52a al. 3 OPA).
En l’espèce, les obligations pertinentes pour le travail avec des plateformes de travail ou de personnes élévatrices sont concrétisées entre autres par les listes de contrôle de la Suva « Liste de contrôle : plateformes élévatrices PEMP – 1re partie : planification sûre » (n° 67064-1.f) et « Plateformes élévatrices, 2e partie : contrôle sur site » (n° 67064-2.f). Selon l’annexe I de la directive CFST n° 6508 relative à l’appel à des médecins du travail et autres spécialistes de la sécurité au travail, les travaux avec des installations et appareils techniques font partie des travaux comportant des dangers particuliers, conformément à l’art. 49 al. 2 OPA. Dans l’énumération de l’art. 49 al. 2 OPA, les plateformes élévatrices de travail ou de personnes sont également mentionnées aux ch. 2 et 5. Selon le ch. 5.5 de la directive CFST n° 6512, une formation à l’utilisation des équipements de travail est nécessaire lorsque les travaux à effectuer comportent des dangers particuliers (c. 4.2.3).
Sur cette base, le Tribunal fédéral retient que c’est à juste titre que l’instance cantonale a considéré qu’une formation pour l’utilisation des plateformes de travail élévatrices est obligatoire et qu’elle s’est basée sur les directives susmentionnées pour examiner la violation du devoir de diligence. Certes, le non-respect d’une directive n’a pas automatiquement pour conséquence que le devoir de diligence requis n’a pas été respecté ; toutefois, la violation d’une telle directive constitue un indice de non-respect du devoir de diligence au sens de l’art. 12 al. 3 CP. En contrepartie, le respect des prescriptions correspondantes confère à l’employeur la présomption qu’il remplit les exigences de sécurité selon la LAA et l’OPA. En outre, le recourant ne parvient pas à démontrer dans quelle mesure il a rempli son devoir de diligence en tant qu’employeur d’une autre manière, malgré le non-respect des prescriptions précitées, et à prouver ainsi que la sécurité de ses employés était garantie dans la même mesure (c. 4.2.4).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne
TF 8C_638/2023 du 18 janvier 2024
Assurance-chômage; procédure, garanties, tenue d’une audience publique, prestations transitoires pour chômeurs âgés; art. 6 § 1 CEDH; 30 al. 3 Cst.; 61 let. a LPGA
Un assuré âgé de 60 ans a demandé à pouvoir bénéficier des prestations transitoires pour les chômeurs âgés. La caisse de compensation bernoise a rejeté sa demande. Dans son recours, l’assuré demandait notamment la tenue d’une audience publique selon l’art. 6 CEDH. Le Tribunal administratif du canton de Berne a rejeté le recours sans avoir tenu d’audience publique.
En principe, le Tribunal cantonal doit tenir une audience publique lorsque l’une des parties en fait la demande clairement et dans les temps. Une demande faite pendant l’échange d’écritures ordinaire est faite dans les temps (rappel de jurisprudence ; c. 3.1).
En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le Tribunal cantonal n’était pas en droit de refuser d’organiser une audience publique au motif que le recours paraissait manifestement infondé (c. 4.1 et 4.2). En effet, l’argumentation de l’assuré selon laquelle celui-ci devait être mis au bénéfice des prestations transitoires en vertu du principe d’interdiction de la discrimination, quand bien même il ne remplissait pas les conditions légales au moment de l’épuisement des prestations du chômage, ne paraissait pas d’emblée vouée à l’échec (c. 4.3).
Le Tribunal cantonal aurait donc dû tenir une audience publique comme demandé par l’assuré, aucun autre motif d’exemption n’ayant été avancé par l’autorité pour refuser sa demande. La cause a donc été renvoyée à l’instance cantonale pour qu’elle statue à nouveau sur le fond après avoir tenu une audience publique (c. 4.4 et 4.5).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève
TF 4A_31/2023 du 11 janvier 2024
Responsabilité aquilienne; fardeau de l’allégation, Preuve du dommage; art. 754 CO; 55 al. 1 et 157 CPC; 42 al. 2 CO
En quittant une société active dans le domaine de l’audiovisuel (Sàrl), l’associé a notamment emporté l’intégralité de la base de données de celle-ci après l’avoir copiée sur un disque dur externe. La société a ensuite dû cesser son activité, et ses actifs, dont le principal était sa base de données, ont été repris par une société repreneuse. L’associé a été condamné en première instance, puis en deuxième instance, à rembourser le montant de CHF 52'349.-, montant correspondant principalement au prix que cet associé aurait dû payer normalement pour obtenir les données qu’il a emportées sans droit.
Le Tribunal fédéral rappelle les principes régissant la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC) et les fardeaux de l’allégation subjectifs, de l’administration des preuves et de la contestation qui en découlent. Le Tribunal fédéral rappelle que, en ce qui concerne l’allégation d’une facture, d’un compte ou d’un dommage, les différents postes doivent être présentés dans la demande, sous plusieurs numéros d’allégués, afin de permettre au défendeur de pouvoir se déterminer clairement. A titre exceptionnel, cependant, il a été admis qu’un allégué de la demande n’indique que le montant total, lorsque le demandeur se réfère à une pièce qu’il produit et qui contient toutes les informations nécessaires. Par ailleurs, selon la jurisprudence rendue en matière de droit à la preuve, il faut que celle-ci soit présentée régulièrement (formgerecht), conformément à l’art. 152 al. 1 en relation avec l’art. 221 al. 1 let. e CPC, c’est-à-dire immédiatement après l’allégué.
En l’espèce, en ce qui concerne le poste de dommage de CHF 50'000.-, alloué par les deux instances cantonales pour la base de données copiée et emportée sans droit, l’associé recourant soutenait que son existence et son montant n’avaient pas été prouvés, invoquant la violation de l’art. 8 CC en relation avec l’art. 754 CO. Il appartient au demandeur à l’action en responsabilité de l’art. 754 CO de prouver la réalisation des quatre conditions prévues par cette disposition qui sont cumulatives (violation d’un devoir, faute intentionnelle ou par négligence, dommage et existence d’un rapport de causalité naturelle et adéquate). Le fardeau de la preuve du dommage incombe donc au demandeur lésé.
Toutefois, selon la jurisprudence, lorsque le dommage est difficile à prouver, soit lorsqu’une preuve certaine est objectivement impossible à apporter ou ne peut pas être raisonnablement exigée, au point que le demandeur se trouve dans un état de nécessité quant à la preuve (Beweisnot), l’art. 42 al. 2 CO instaure une preuve facilitée en faveur du demandeur. Le juge applique d’office les règles du droit aux faits qu’il aura constatés conformément à son pouvoir de libre appréciation des moyens de preuve administrés (art. 157 CPC). Dans ce cadre, le juge applique d’office les règles du droit. Selon le Tribunal fédéral, ce serait tomber dans un formalisme excessif que d’imposer au tribunal de devoir trancher un litige contrairement à son intime conviction. Le Tribunal fédéral confirme ainsi qu’il était licite de retenir CHF 50'000.- à titre de gain manqué, même si ce montant différait de celui allégué par la demanderesse, laquelle chiffrait ce dommage à CHF 200'000.-, prix que les instances cantonales ont estimé correspondre non pas à la seule base de données, mais à la valeur totale de la société.
Peu importe que la société demanderesse n’ait pas allégué se trouver dans l’impossibilité de chiffrer précisément son dommage. Peu importe également le fait qu’une expertise judiciaire n’ait pas été ordonnée pour évaluer la valeur de cette base de données. Peu importe finalement que les moyens de preuve aient été proposés par l’une ou l’autre des parties, le tribunal étant libre d’apprécier les preuves et de fixer le dommage d’une autre manière, en fonction des preuves administrées. En vertu de l’art. 157 CPC, les instances genevoises étaient libres de calculer le dommage en se basant sur les prix payés par la société repreneuse pour la base des données résiduelles, ce sans passer par une expertise.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion
TF 9F_20/2022 du 8 janvier 2024
Assurance-vieillesse et survivants; affaire Beeler c. Suisse (suites), révision de l’arrêt fédéral, absence de motif de révision, étendue de la révision, assistance judiciaire; art. 121 ss LTF
M. Beeler, dont l’épouse était décédée alors que leurs enfants étaient très jeunes et dont la rente de veuf avait été supprimée au 18e anniversaire de la cadette de ses enfants en application de l’art. 24 al. 2 LAVS, a obtenu de la Cour européenne des droits de l’homme qu’elle reconnaisse le caractère discriminatoire de cette disposition et, partant, la violation des art. 8 et 14 CEDH.
A la suite de l’arrêt rendu par la Grande Chambre le 11 octobre 2022, M. Beeler a introduit une demande de révision de l’arrêt du Tribunal Fédéral à l’origine de l’affaire (TF 9C_617/2011), procédure suspendue après que l’OFJ a informé des négociations entamées avec le requérant. Ces négociations ont abouti au versement à ce dernier d’un montant correspondant à l’arriéré de la rente, intérêts moratoires compris. L’OFJ ayant requis la radiation de la cause, le requérant s’y est opposé, au motif que dans sa requête, il avait conclu en plus au versement de dommages-intérêts.
Le Tribunal fédéral rappelle que l’objet d’une procédure de révision est déterminé par le dispositif de l’arrêt qui doit être révisé. Dans le recours qui avait abouti à cet arrêt, le requérant avait conclu à la poursuite du versement de sa rente de veuf au-delà du 18e anniversaire de sa cadette. La conclusion prise dans la procédure de révision tendant au versement de dommages-intérêts supplémentaires est ainsi irrecevable.
Dans la mesure où la Confédération, à la suite de l’arrêt européen, a entièrement fait droit à la prétention du requérant concernant le versement de la rente de veuf, sa requête de révision est devenue sans objet.
La demande d’assistance judiciaire formulée par le requérant après la conclusion avec la Confédération de l’accord transactionnel portant sur le versement rétroactif de la rente était d’emblée dénuée de toute chance de succès et doit par conséquent être rejetée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 6B_654/2023 du 5 janvier 2024
Responsabilité du détenteur d’un véhicule automobile; causalité, interruption; Art. 12 al. 3 et 125 al. 1 CP; 31 al. 1, 32 al. 1, 33 al. 2 LCR
Acquitté en première, puis condamné en deuxième instance pour lésions corporelles simples par négligence, un automobiliste ayant heurté un cycliste sur un passage pour piétons porte l’affaire devant le Tribunal fédéral.
Celui-ci rappelle en premier lieu la définition de la négligence, puis examine si celle-ci s’inscrit dans un rapport de causalité avec les lésions subies par la victime, respectivement si ce rapport est interrompu en raison du comportement du lésé.
S’agissant de lésions corporelles causées à la suite d’un accident de la circulation, ce sont les règles de la circulation routière qui définissent les devoirs de prudence. Le Tribunal fédéral indique ainsi que « le conducteur circulera avec une prudence particulière avant les passages pour piétons. Il réduira sa vitesse et s’arrêtera, au besoin, pour laisser la priorité aux piétons qui se trouvent déjà sur le passage ou s’y engagent ». La loi prescrit cependant que même s’ils bénéficient de la priorité sur les passages pour piétons, ces derniers ne doivent pas s’y lancer à l’improviste. Appliquant son raisonnement à la situation d’un piéton, le Tribunal fédéral poursuit en insistant sur le fait que l’automobiliste doit adapter sa vitesse aux abords d’un passage pour piétons, de manière à pouvoir accorder la priorité à ceux-ci, ce devoir étant accru lorsque la configuration des lieux l’exige en raison de sa dangerosité. Ce devoir ne disparaît pas, même si l’on en déduit qu’il est atténué, « à l’égard d’un piéton qui s’élance sur un passage pour piétons de manière contraire aux règles ».
Après avoir rappelé ces principes, le Tribunal fédéral retient, en l’espèce, que l’automobiliste n’avait pas ralenti à l’approche du passage pour piétons, alors que sa vision des alentours était limitée par la présence d’une haie. Ce constat est aggravé par le fait que l’automobiliste empruntait cette route chaque jour. Le Tribunal fédéral ajoute, reprenant les constats de l’instance inférieure, que le cycliste était visible. Ainsi, le prévenu ayant indiqué n’avoir aperçu la victime qu’au moment du choc « montrait bien qu’il n’avait pas porté une attention suffisante », ce qui confirme sa négligence.
Enfin, s’agissant de l’interruption du lien de causalité, le Tribunal fédéral reprend le constat de l’instance précédente selon lequel le fait qu’un cycliste traverse un passage pour piétons sans marquer d’arrêt n’était pas si imprévisible que le recourant ne pouvait s’y attendre, ou du moins se préparer à une telle éventualité. Il ajoute que le fait qu’un cycliste bifurque soudainement pour prendre un passage pour piétons sans s’arrêter, même à une vitesse supérieure à celle du pas, ne saurait être considéré comme une circonstance exceptionnelle.
Sans préciser si son avis aurait alors été différent, le Tribunal fédéral insiste en relevant que le recourant n’a pas allégué qu’il « ne pouvait s’attendre à ce qu’une personne circulant à vélo emprunte le passage pour piétons ».
Note :
On constate ainsi qu’une pratique de plus en plus répandue, même contraire à la LCR, doit être anticipée par les automobilistes, ce qui amène l’auteur à s’interroger sur le caractère exceptionnel (ou non) du non-respect des signaux lumineux par les cyclistes et donc de ses conséquences.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève
TF 9C_401/2023 du 5 janvier 2024
Assurance-vieillesse et survivants; exemption de l’obligation de cotiser en Suisse; art. 13 et 16 R 883/2004
Cet arrêt concerne le cas d’un ressortissant allemand qui exerce la profession de médecin-dentiste en Allemagne et en Suisse. Initialement au bénéfice d’une exemption lui permettant d’être soumis à la législation allemande en matière de sécurité sociale, il a demandé à être à nouveau exempté de l’application de la législation suisse à partir de janvier 2016. L’OFAS a refusé cette demande. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision, estimant que le recourant était soumis à la législation suisse depuis janvier 2016. Le médecin a alors déposé un recours auprès du Tribunal fédéral. Il a notamment fait valoir que l’application de la législation suisse constituait une violation de l’interdiction de l’arbitraire et du droit à la liberté économique. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours. Il ne voit pas en quoi la limitation dans le temps de l’exemption des dispositions légales normalement applicables dont avait bénéficié le recourant jusqu’à la fin de 2015 ne serait admissible qu’en présence d’une base légale spécifique. Il considère par ailleurs que l’application de la législation suisse est appropriée et que l’OFAS n’est pas tombé dans l’arbitraire en refusant le renouvellement de l’exemption.
Alexis Overney, avocat à Fribourg
TF 4A_614/2021 du 21 décembre 2023
Responsabilité médicale; légitimation passive, consentement hypothétique; art. 61 al. 1 et 101 CO
Il n’est pas aisé, dans la pratique, de déterminer si l’action en responsabilité doit être dirigée contre le médecin incriminé, ou contre l’hôpital. Selon le Tribunal fédéral, si l’opération a lieu dans une clinique privée, il conviendra de déterminer si le patient (privé) a conclu un seul contrat, incluant l’intervention chirurgicale, avec l’établissement (contrat d’hospitalisation global) ou s’il a passé deux contrats parallèles, l’un avec la clinique, portant sur les prestations hôtelières et la prise en charge générale des soins (contrat d’hospitalisation partiel, contrat d’hospitalisation démembré) et l’autre avec le médecin, comportant notamment la prestation de chirurgie (contrat de soins).
Dans le premier cas, l’établissement de soins assume une responsabilité du fait des auxiliaires (art. 101 CO) pour les actes du médecin (employé, voire agréé) en lien avec l’intervention. Le patient lésé qui entend ouvrir une action en responsabilité contractuelle devra donc agir contre l’établissement privé. En revanche, dans le second cas de figure, il pourra invoquer la responsabilité civile personnelle du médecin (agréé) découlant du contrat de soins.
Un canton peut au demeurant soumettre au droit public cantonal la responsabilité des médecins opérant dans un hôpital public, y compris pour les actes d’un médecin-chef à l’égard d’un patient privé, sur la base de l’art. 61 al. 1 CO.
Une consultation préalable aux interventions, dans le cabinet privé du médecin, peut être une circonstance pertinente, par exemple si le patient lésé allègue que les opérations avaient été pratiquées dans une clinique privée par un médecin agréé (indépendant) ; en effet, il peut s’agir d’un indice d’un contrat de soins avec le médecin englobant les interventions à l’hôpital, conclu parallèlement à un contrat d’hospitalisation partiel avec l’établissement.
Pour le Tribunal fédéral, l’assimilation de l’Hôpital de la Riviera à une clinique privée plutôt qu’à un hôpital public n’a rien d’évident dans la mesure où il était, avant le transfert de patrimoine à l’Hôpital Riviera-Chablais Vaud-Valais, un établissement sanitaire privé reconnu d’intérêt public. La question n’est toutefois pas tranchée.
Il appartient au médecin d’établir qu’il a suffisamment renseigné le patient et obtenu le consentement éclairé de ce dernier préalablement à l’intervention. En l’absence d’un tel consentement, le praticien peut soulever le moyen du consentement hypothétique du patient. Il doit alors démontrer que celui-ci aurait accepté l’opération même s’il avait été dûment informé. Si le fardeau de la preuve incombe là aussi au médecin, le patient doit toutefois collaborer à cette preuve en rendant vraisemblable ou au moins en alléguant les motifs personnels qui l’auraient incité à refuser l’opération s’il en avait notamment connu les risques. En effet, il ne faut en règle générale pas se baser sur le modèle abstrait d’un « patient raisonnable », mais sur la situation personnelle et concrète du patient dont il s’agit. Ce n’est que dans l’hypothèse où le patient ne fait pas état de motifs personnels qui l’auraient conduit à refuser l’intervention proposée qu’il convient de considérer objectivement s’il serait compréhensible, pour un patient sensé, de s’opposer à l’opération.
Par ailleurs, le consentement hypothétique ne doit en principe pas être admis lorsque le genre et la gravité du risque encouru auraient nécessité un besoin accru d’information, que le médecin n’a pas satisfait. Dans un tel cas, il est en effet plausible que le patient, s’il avait reçu une information complète, se serait trouvé dans un réel conflit quant à la décision à prendre et qu’il aurait sollicité un temps de réflexion. Finalement, selon la jurisprudence, le devoir d’information du médecin ne s’étend en principe pas aux risques qui se réalisent rarement.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont
TF 9C_202/2023 du 21 décembre 2023
APG Covid-19; prestations perçues à tort, remise de l’obligation de restituer, personne morale, notion de situation difficile; art. 25 LPGA; O APG COVID-19; LCaS-COVID-19; OCaS-COVID-19
Le litige oppose la Caisse de compensation GastroSocial et la société A. Sàrl, au sujet de l’obligation faite à celle-ci de rembourser l’allocation pour perte de gain liée aux mesures de lutte contre le coronavirus, versée à ses deux employés occupant une position similaire à celle d’un employeur.
Les dispositions de la LPGA sont applicables aux allocations prévues par l’ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, sauf si les dispositions de l’ordonnance prévoient expressément une dérogation à la LPGA (art. 1 O APG COVID-19) (c. 4.1). Selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées (1re phr.). La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile (2e phr.) (c. 4.2). Il manque une réglementation sur la manière d’évaluer la grande difficulté pour les personnes morales (c. 4.3).
La juridiction cantonale a considéré que lorsque la caisse de compensation exige, pour les personnes morales, un surendettement survenu ou imminent pour admettre l’existence d’une situation très difficile en appliquant par analogie l’art. 40 RAVS, elle ne tient pas compte du fait que cette norme se réfère à la remise de la créance de cotisations arriérées et qu’il s’agit ici de prestations indûment perçues. L’allocation de perte de gain COVID-19 serait une prestation calquée sur l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, notamment pour les personnes assimilées à des employeurs, qui ne peuvent en principe pas prétendre aux prestations de l’assurance-chômage. Pour cette raison, il serait justifié de ne pas poser d’exigences plus strictes pour la remise du remboursement de cette prestation que pour les indemnités de chômage partiel (c. 5.1).
Selon le Tribunal fédéral, contrairement à la juridiction cantonale, on ne peut pas déduire du fait que l’allocation pour perte de gain COVID-19 peut être attribuée, entre autres, aux personnes assimilées à des employeurs qui n’ont pas droit aux prestations de l’assurance-chômage, en considérant que les dispositions de l’assurance-chômage s’appliquent par analogie à la question de la remise du remboursement. Les dispositions du régime des APG s’appliquent par analogie à l’allocation pour perte de gain COVID-19 pour différentes questions et donc en principe également au cas d’espèce (c. 5.2.1).
Le Tribunal fédéral expose que dans l’arrêt I 553/01 du 28 juin 2002, le TFA a estimé qu’il y avait lieu d’appliquer un critère plus strict à l’appréciation de la situation économique d’une société anonyme en ce qui concerne la remise des cotisations qu’en ce qui concerne la remise du remboursement des prestations. Ainsi, la remise du paiement rétroactif ne doit être accordée que de manière restrictive, car elle constitue une exception au principe de base du régime de cotisations, qui repose sur le prélèvement de pourcentages de salaire, sans tenir compte de la capacité financière. En revanche, il se justifie de tenir davantage compte des circonstances particulières du cas d’espèce lors de la remise du remboursement des prestations et d’admettre exceptionnellement qu’il s’agit d’une situation très difficile, même s’il n’y a pas encore de surendettement ou si celui-ci est imminent, mais que le remboursement mettrait la société dans de graves difficultés financières. Dans les faits à juger à l’époque, des circonstances particulières, justifiant une mesure moins sévère, ont été reconnues dans le fait que l’employeuse ne s’était pas enrichie en percevant les prestations qui lui avaient été versées à tort, mais qu’elle avait fait des avances correspondantes à l’assuré. Il a en outre été tenu compte du fait qu’il n’y avait plus de fonds provenant des paiements indus qui auraient pu être utilisés pour le remboursement (c. 5.3.2)
Le Tribunal fédéral indique que contrairement à l’arrêt I 553/01 du 28 juin 2002, où l’employeur tenu au remboursement avait fait des avances à son employé sans en tirer le moindre avantage, il s’agit ici de paiements que la société A. Sàrl a reçus pour ses propriétaires ou ses employés ayant une position similaire à celle d’un employeur (B. et C.), ce qui rend évident l’avantage qui en résulte pour elle. Les faits à juger ici ne présentent donc pas de parallèles avec ceux jugés le 28 juin 2002. On ne voit pas non plus de circonstances particulières qui pourraient exceptionnellement plaider en faveur d’une considération plus clémente. Ainsi, l’appréciation de la grande difficulté est soumise au critère strict (applicable en principe). En d’autres termes, la condition de remise ne peut être remplie que si un surendettement s’est produit ou est imminent. Selon l’art. 725 en relation avec l’art. 820 CO (dans la version applicable ici, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022), il y a surendettement lorsqu’en raison de pertes de capital, l’ensemble des fonds propres et même une partie des fonds étrangers ne sont plus couverts, que ce soit à la valeur de continuation ou à la valeur de liquidation (c. 5.3.4).
Le Tribunal fédéral explique que c’est le moment où la décision sur la restitution est entrée en force qui est déterminant pour juger de l’existence d’une situation difficile (art. 4 al. 2 OPGA) (c. 5.4).
Le Tribunal fédéral rappelle que selon l’art. 24 al. 1 LCaS-COVID-19, dans la version applicable en l’espèce et en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022, les crédits cautionnés sur la base de l’art. 3 OCaS-COVID-19 (crédits jusqu’à 500’000 francs) ne sont pas considérés comme des fonds étrangers pour le calcul de la couverture du capital et des réserves selon l’art. 725 al. 1 CO et pour le calcul d’un surendettement selon l’art. 725 al. 2 CO (c. 5.4.2)
Selon le Tribunal fédéral, même si la disposition de l’art. 24, al. 1 LCaS-COVID-19 est formulée de manière très générale, elle vise uniquement à libérer les entreprises de l’obligation d’avis prévue à l’art. 725 CO en cas de perte de capital ou de surendettement. L’intention du législateur n’était pas de dénier de manière générale aux crédits COVID-19 le caractère de fonds étrangers. Si l’on qualifiait également les crédits COVID-19 de fonds propres dans d’autres situations où la situation financière d’une société doit être évaluée, c’est-à-dire en dehors du champ d’application de l’art. 24 LCaS-COVID-19, le bienfait voulu par cette norme serait vidé de son sens. C’est pourquoi, dans le cadre de la remise du remboursement de l’allocation pour perte de gain COVID-19 dont il est question ici, les crédits COVID-19 - comme tous les autres crédits, nonobstant la disposition de l’art. 24 LCaS-COVID-19 - doivent être considérés comme des fonds étrangers lors de l’examen de la question de savoir s’il existe un surendettement ou s’il existe un risque imminent de surendettement (c. 5.4.3).
Partant, le recours de la Caisse de compensation GastroSocial a été rejeté.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne
TF 9C_294/2023 du 20 décembre 2023
Assurance-vieillesse et survivants; rente de vieillesse, droit d’être entendu, rente ordinaire, plafonnement des rentes pour un couple, notion de ménage commun, restitution de prestations indûment touchées, péremption, devoir d’informer; art. 25 al. 1 et 2 LPGA; 49 al. 3 LPGA; 35 LAVS
Le litige porte sur la restitution de CHF 35'450.- par la recourante et de CHF 35'510.- par le recourant, correspondant aux montants des rentes de vieillesse qu’ils auraient perçues indûment entre les 1er juin 2017 et 31 mai 2022.
Le TF relève préliminairement que la guérison d’une violation du droit d’être entendu, même grave, peut se justifier lorsqu’un renvoi à l’autorité auteure de la violation en question constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l’intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable.
Il ajoute que contrairement à ce que prétendent les recourants, la jurisprudence relative aux conditions d’application de l’art. 25 al. 1 LPGA n’exige pas le prononcé de trois décisions séparées mais le respect de trois étapes en principe distinctes (examen des conditions d’une reconsidération ou d’une révision procédurale, examen de la restitution en tant que telle, examen de la remise de l’obligation de restituer). La dernière étape ne saurait être effectuée, respectivement la décision portant sur la remise de l’obligation de restituer rendue, avant qu’une décision concernant l’obligation de restituer elle-même (comme celle faisant l’objet du présent litige) ne soit entrée en force.
Sur le fond, le TF retient que le fait, pour les recourants, de vivre sous le même toit depuis le 12 septembre 2013 (même si chacun occupait un étage différent et versait une partie du loyer du duplex qu’ils louaient à leur fils) constituait un fait nouveau important (au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA) justifiant la révision procédurale à laquelle avait procédé la caisse intimée. Il considère que cette autorité n’avait pu avoir connaissance (au sens de l’art. 25 al. 2 LPGA) de la reprise de la vie commune des époux qu’au moment d’un contrôle de concordance de ses fichiers et du Registre des personnes effectué en avril 2022 et non lorsque ces derniers lui ont annoncé leur changement d’adresse ou ont répondu aux questions qui leur étaient posées, ce qui ne suffit pas à considérer qu’ils ont respecté leur devoir d’informer.
Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter
TF 7B_51/2022 du 20 décembre 2023
Responsabilité aquilienne; responsabilité du skieur, lésions corporelles par négligence, causalité, faute concomitante; art. 125 CP; Règles FIS
Le skieur descendant en amont n’a pas adapté son comportement (vitesse, direction et trajectoire) aux circonstances ; nonobstant des conditions de neige défavorables et de nombreux usagers, il s’est engagé entre le bord gauche de la piste et un groupe d’enfants qui se trouvait au milieu de la piste avec leur moniteur. Il est entré en collision avec une jeune skieuse située en aval, alors âgée de 7 ans, qui effectuait un exercice pour rejoindre ses camarades et son moniteur de ski. Cette dernière a souffert d’une double fracture au niveau du plateau tibial du genou droit. Elle a pu reprendre des activités sportives deux mois et demi après l’accident. Le skieur fautif a également été blessé à la suite de l’accident (fracture du plateau tibial externe du genou gauche). Le skieur fautif a été condamné pour lésions corporelles simples par négligence, condamnation confirmée en appel.
La présomption d’innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, ainsi que son corollaire, le principe in dubio pro reo, concernent tant le fardeau de la preuve que l’appréciation des preuves au sens large. Le fardeau de la preuve incombe à l’accusation et le doute doit profiter au prévenu. La présomption d’innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l’existence d’un fait défavorable à l’accusé si, d’un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l’existence de ce fait. En l’espèce, le Tribunal fédéral retient que la « dynamique de l’accident » a été décrite de manière précise par la cour cantonale et qu’il n’apparaît pas qu’elle ait procédé à un renversement du fardeau de la preuve, respectivement éprouvé un doute qu’elle aurait interprété en défaveur du recourant.
S’agissant du chef d’accusation de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP), le Tribunal fédéral examine si l’auteur a violé les règles de la prudence. En vertu de la règle FIS n° 1, tout skieur doit se comporter de telle manière qu’il ne puisse pas mettre autrui en danger ou lui porter préjudice. Cette disposition énonce une règle générale de prudence, applicable à défaut de disposition spéciale. La règle FIS n° 2 exige que le skieur descende « à vue », par quoi on entend qu’il doit adapter sa vitesse à sa distance de visibilité et skier de telle manière qu’il puisse s’arrêter ou effectuer une manœuvre d’évitement en présence d’un obstacle prévisible survenant dans son champ de vision. La règle FIS n° 3 oblige le skieur amont, dont la position dominante permet le choix d’une trajectoire, de prévoir une direction qui assure la sécurité du skieur aval. Le skieur amont est, autrement dit, débiteur de la priorité. La règle FIS n° 4, le dépassement peut s’effectuer, par amont ou par aval, par la droite ou par la gauche, mais toujours de manière assez large pour prévenir les évolutions du skieur dépassé. La règle FIS n° 5 dispose enfin que tout skieur et snowboarder qui pénètre sur une piste de descente, s’engage après un stationnement ou exécute un virage vers l’amont doit s’assurer, par un examen de l’amont et de l’aval, qu’il peut le faire sans danger pour lui et pour autrui.
L’examen de l’adaptation de la vitesse aux circonstances, dans leur ensemble, est en principe une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement. Mais, comme la réponse dépend pour beaucoup de l’appréciation des circonstances locales par l’autorité cantonale, le Tribunal fédéral ne s’écarte de cette appréciation que lorsque des raisons impérieuses l’exigent. Le Tribunal fédéral considère qu’aucune raison impérieuse n’oblige à s’écarter de l’appréciation effectuée par les autorités précédentes, qui ont considéré que par son comportement, le recourant avait violé les règles n° 2 et 3 FIS et, partant, les devoirs de prudence que les circonstances lui imposaient. Le devoir de prudence était accru du fait que le recourant savait qu’un groupe d’enfants avec un moniteur – qu’il avait identifié – se trouvait à proximité, à l’arrêt, et qu’un autre groupe de skieurs, dont des enfants, se situait sur la gauche à proximité de la piste. Il aurait dû, au vu de ces circonstances, envisager que d’autres enfants puissent rejoindre le groupe, le cas échéant en coupant sa propre trajectoire.
Il faut encore qu’il existe un rapport de causalité entre la négligence et les lésions subies (art. 125 al. 1 CP). Le recourant ne saurait se prévaloir, du principe de la confiance en soutenant que l’accident serait survenu au motif que l’enfant aurait violé la règle FIS n° 5 en s’engageant depuis une zone hors-piste, perpendiculairement à la piste, sans regarder en amont avant de s’élancer. Même fautif, le comportement de la jeune victime, âgée de 7 ans au moment des faits, n’était pas d’une imprévisibilité telle qu’il suffirait à interrompre le rapport de causalité adéquate. La négligence commise par le recourant se trouve donc en rapport de causalité adéquate avec les lésions subies par l’enfant. Sa condamnation en vertu de l’art. 125 CP ne viole dès lors pas le droit fédéral.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève
TF 9C_597/2023 du 20 décembre 2023
Assurance-vieillesse et survivants; rente de vieillesse, ajournement de la rente, supplément de rente, modalités de calcul; art. 39 LAVS; 55bis ss RAVS
Dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, l’art. 39 LAVS avait la teneur suivante : « Les personnes qui ont droit à une rente ordinaire de vieillesse peuvent ajourner d’une année au moins et de cinq ans au plus le début du versement de la rente ; elles ont la faculté de révoquer l’ajournement à compter d’un mois déterminé durant ce délai. La rente de vieillesse ajournée et, le cas échéant, la rente de survivant qui lui succède sont augmentées de la contre-valeur actuarielle de la prestation non touchée. Le Conseil fédéral fixe, d’une manière uniforme, les taux d’augmentation pour hommes et femmes et règle la procédure. Il peut exclure l’ajournement de certains genres de rentes ». L’art. 55ter al. 2 RAVS, également dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, précise les modalités de calcul du supplément, à savoir que « le montant de l’augmentation sera déterminé en divisant la somme des montants des rentes ajournées par le nombre de mois correspondants. Cette somme est multipliée par le taux d’augmentation correspondant en vertu de l’al. 1 ». Cette disposition inclut également une adaptation de ce supplément à l’évolution du salaire et des prix (al. 5) (c. 4.1). Cette délégation de compétence a justifié l’édition d’une directive qui précise la formule mathématique de calcul [somme des rentes différées] x [taux de supplément] : [durée de l’ajournement = nombre de mois] (c. 4.2).
Dans le cas d’espèce, le recourant avait sollicité l’ajournement maximum de sa rente de vieillesse. En vertu des règles applicables, il sollicitait donc un supplément correspondant à 31,5 %. Le litige consistait à savoir si cette augmentation devait s’appliquer sur la rente de base au moment de la demande d’ajournement, soit CHF 2'350.- ou sur celle prévalant au moment de la prise de retraite effective, soit CHF 2'450.- (c. 5.1 et 5.2). En effet, l’application de la formule mathématique précitée revenait à octroyer concrètement un supplément mensuel de CHF 748.-, ce qui ne représentait que le 30,53 % de la rente actuelle de retraite (c. 5.2). Le recourant a saisi le Tribunal fédéral, mettant en cause la conformité au droit fédéral de la formule mathématique permettant la détermination du supplément fondée sur l’art. 55ter al. 2 RAVS (c. 6.1). Après une analyse très complète et détaillée du cadre légal et jurisprudentiel (c. 7), le Tribunal fédéral parvient à la conclusion que la méthode de calcul telle qu’elle ressort de la directive ne viole aucunement le droit fédéral et que le montant de la rente à prendre en considération est celui existant au jour de la demande d’ajournement (c. 7.3.2).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Winterthur
TF 9C_135/2022 du 12 décembre 2023
Assurance-maladie; principe d’économicité, polypragmasie, contrôle de la prise en charge, méthode de régression, restitution de prestations; art. 32 al. 1 et 56 LAMal
Cet arrêt fait suite à une action déposée devant le Tribunal arbitral par 26 assureurs-maladie à l’encontre d’un médecin spécialiste en médecine interne générale et au bénéfice d’une autorisation d’exploiter une pharmacie de cabinet lui permettant de remettre directement des médicaments aux patients. Le médecin est condamné par le Tribunal arbitral à restituer aux assureurs la somme de CHF 266'998.40 pour l’exercice de l’année 2017 en raison du fait que ses notes d’honoraires étaient sensiblement plus élevées en comparaison des autres praticiens (polygramasie). Le Tribunal fédéral est saisi d’un recours déposé par le médecin à l’encontre de ce jugement.
Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord la notion de polypragmasie et expose les différentes méthodes permettant d’évaluer le critère d’économicité d’un fournisseur de soins (c. 4.1). Ainsi, pour établir l’existence d’une polypragmasie, le Tribunal fédéral admet le recours à trois méthodes : la méthode statistique, la méthode analytique ou une combinaison des deux méthodes (c. 4.2). En application de l’art. 56 al. 6 LAMal, la FMH et les représentants des assureurs-maladie, Santésuisse et Curafutura, ont adopté le modèle d'analyse de variance, dite aussi méthode ANOVA. Les partenaires précités ont affiné la méthode ANOVA en développant la méthode de régression en deux étapes (screening-methode). L’analyse de régression inclut ainsi non plus seulement les critères de morbidité, de l’âge et du sexe, mais également les critères « franchise à option », « séjour dans un hôpital ou dans un établissement médico-social l’année précédente », ainsi que les « PCG (Pharmaceutical Cost Group) » (c. 4.4.1). Selon le Tribunal fédéral, l’analyse de régression relève ainsi de la méthode statistique (c. 4.3.2 et 4.3.3).
Le Tribunal fédéral précise ensuite que la convention liant la FMH, Santésuisse et Curafutura prévoit que la méthode de screening ne constitue qu’une première étape de l’analyse du critère de l’économicité (c. 5.2.4). Ainsi, selon l’accord intervenu entre les partenaires, le contrôle de l’économicité comprend d’abord une analyse de régression et, si cette première phase révèle une situation anormale, l’assureur doit procéder à un examen individuel du fournisseur de prestations. En d’autres termes, à lui seul, le résultat de l’analyse de régression ne permet pas de retenir une violation du principe de l’économicité (c. 5.3.2).
Par ailleurs, le Tribunal fédéral souligne que les particularités de certains cabinets, par exemple l’autorisation de remettre des médicaments, influencent l’analyse du critère de l’économicité et doivent dès lors être appréciées dans le cadre de l’examen individuel de la situation du fournisseur de prestations (c. 6.4). Dans le cas d’espèce, l’examen devant le Tribunal arbitral a été limité à l’analyse de régression, les spécificités du cabinet du recourant n’ayant pas été examinées. Le recours du médecin est donc partiellement admis et la cause renvoyée au Tribunal arbitral pour nouvelle décision.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains
TF 9C_199/2023 du 11 décembre 2023
APG COVID-19; personne assimilable à un employeur, qualité pour recourir de l’employeur, reconsidération et restitution; art. 59, 25 al. 1 et 53 al. 2 LPGA; 5 al. 1 et 7 al. 2 O APG COVID-19
Une personne a une position assimilable à un employeur dans deux sociétés distinctes affiliées à deux caisses de compensation dans deux cantons différents. Des APG Covid-19 sont versées aux deux sociétés. Une restitution partielle est réclamée aux deux employeurs par les deux caisses de compensation.
Le 21 janvier 2022, l’OFAS a établi un Bulletin à l'intention des caisses de compensation AVS et des organes d'exécution des PC n° 448. En substance, on exigeait que les APG Covid-19 des personnes ayant une position assimilable à un employeur leur soient versées directement, contrairement à une certaine pratique tendant à verser les allocations directement à l’employeur. En raison de cette pratique, le TF admet que les employeurs disposent de la légitimation active, à tout le moins pour les allocations versées jusqu’à la publication de la communication de l’OFAS susmentionnée. En effet, en soi, ni l’art. 59 LPGA, ni l’art. 7 al. 2 O APG COVID-19 ne confère de qualité pour recourir. Au surplus, il y a lieu de relever que la demande de restitution s’adresse bel et bien à l’employeur. Les motifs de la demande de restitution se fondent sur des raisons matérielles (trop-perçu) et non sur des raisons formelles (mauvais destinataire des allocations). L’employeur a donc un intérêt à recourir en tant que destinataire de la demande de restitution fondée sur l’art. 25 al. 1 LPGA.
La caisse de compensation a initié sa demande de correction des décomptes d’allocations en engageant implicitement une procédure de reconsidération au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. L’art. 5 al. 1 O APG COVID-19 prévoit que l’indemnité journalière est égale à 80 % du revenu moyen de l’activité lucrative obtenu avant le début du droit à l’allocation. Cette disposition a été concrétisée par la Circulaire sur l’allocation pour perte de gain en cas de mesures destinées à lutter contre le coronavirus – Corona-perte de gain (CCPG). Le TF estime qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de cette directive, y compris pour les personnes ayant une position assimilable à un employeur. Ainsi, la personne concernée a perçu plus que l’indemnité maximale de CHF 196.00. La restitution doit être ordonnée au prorata des montants versés par chaque caisse de compensation. Au surplus, il est clair que les conditions d’une reconsidération existent, les montants concernés étant importants.
Le TF constate qu’il existe une légère différence en faveur de l’assuré dans les décomptes correctifs. Toutefois, en vertu du principe de l’interdiction de la reformatio in pejus, les décisions litigieuses sont maintenues.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg
TF 8C_103/2023 du 6 décembre 2023
Assurance-invalidité; allocation pour impotent, AVQ exécuté de manière inhabituelle, début du droit; art. 42 LAI
Il s’agit d’un assuré paraplégique ayant formulé une demande d’allocation pour impotent, laquelle lui a été reconnue en raison d’une impotence faible. L’assuré a recouru contre cette décision. Le TF commence par rappeler les principes relatifs à l’allocation pour impotent. Elle poursuit en relevant qu’il n’est pas contesté que l’assuré ne nécessite pas d’aide pour les actes ordinaires de la vie tels que s’habiller, se déshabiller et manger, mais qu’il a besoin de l’aide d’un tiers pour se lever, s’asseoir, se coucher, faire sa toilette et se déplacer. C’est ce qui a justifié l’allocation pour impotent de degré faible.
L’assuré fait valoir que, bien qu’il parvienne à évacuer ses selles manuellement de manière autonome, cela lui prend un temps considérable, ce qui entraînerait une restriction personnelle dans son mode de vie. Par conséquent, l’assuré fait valoir qu’il ne peut faire ses besoins que d’une manière inhabituelle et au prix d’efforts déraisonnables. Il estime ainsi avoir droit à une allocation pour impotent de degré moyen.
Le TF relève que le fait que l’assuré ne puisse accomplir un acte ordinaire de la vie que de manière inhabituelle ne permet pas de conclure directement à un besoin d’aide d’une personne tierce. Le TF examine alors ses précédentes jurisprudences où l’impotence avait été admise pour le fait de devoir vider sa vessie six fois par jour au moyen d’un cathéter, cela étant alors considéré comme inhabituel. Il rappelle également son arrêt concernant l’évacuation manuelle des intestins où une impotence avait été admise. Le TF relève néanmoins que les jurisprudences précitées ne pouvaient être appliquées au cas d’espèce. C’est ainsi que, bien que le fait de faire ses besoins soit particulièrement inhabituel pour l’assuré, cela ne permet pas de retenir qu’il lui serait possible, avec l’aide d’un tiers, d’accomplir cet acte d’une manière plus habituelle et moins couteuse ou moins contraignante. Par conséquent, dans la mesure où il n’est pas démontré le besoin d’un recours à un tiers, le TF considère que l’allocation pour une impotence faible n’est pas contestable.
Dans un considérant supplémentaire, le TF examine encore le moment à partir duquel l’allocation pour impotent doit être versée. La demande était datée du 11 octobre 2021. Par contre, d’autres demandes de prestations, ne concernant pas l’impotence, avaient déjà été adressées à l’Office AI à partir du 11 août 2017. Or, dans ce cadre, ce dernier avait déjà examiné la question de l’impotence et pouvait ainsi instruire cette question. Le TF relève ainsi que, en cas de paraplégie complète, une allocation pour impotent de degré faible peut, conformément à la pratique, être versée sans examen. Il ajoute également que le fait d’être tributaire d’un fauteuil roulant permet de considérer la personne comme impotente pour les actes ordinaires de la vie « se déplacer/prendre contact ». Par conséquent, le TF parvient à la conclusion que l’office AI disposait déjà, lors de la première demande du 11 août 2017, d’indices suffisants concernant l’impotence de degré faible. Dans ces circonstances, l’office AI aurait dû procéder à des clarifications dès cette date. Cela justifie le versement de l’allocation pour impotent de manière rétroactive.
Pour les motifs qui précèdent, le TF a admis partiellement le recours.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne
TF 8C_196/2023 du 29 novembre 2023
Assurance-accidents; rente, calcul, salaire déterminant; art. 15 LAA; 22, 23 al. 5, 24 et 99 OLAA
A. exerçait une activité professionnelle principale pour le compte de l’entreprise B. ainsi que deux activités accessoires dans le cadre desquelles il réalisait des revenus annuels de respectivement CHF 22'800.- et CHF 2'400.-.
Ayant subi plusieurs accidents non professionnels assurés en LAA, A. a été mis au bénéfice, à la suite de l’annonce d’une rechute, d’une rente d’invalidité à hauteur de 33 % et d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 20 %. Saisie d’un recours de A., la Cour cantonale saint-galloise l’a admis et a octroyé une rente d’invalidité LAA basée sur un degré d’invalidité de 57 % et calculée sur l’ensemble des revenus de A. En cela, l’instance cantonale a considéré que la règle prévalant pour le cumul des salaires dans le cadre de l’octroi des indemnités journalières (cf. art. 23 al. 5 OLAA) était également applicable pour la détermination du salaire pour le calcul de la rente, indépendamment de l’absence d’une disposition dans ce sens au niveau de l’art. 24 OLAA (c. 4.1).
L’assurance LAA a recouru au Tribunal fédéral invoquant notamment une violation du principe d’équivalence au sens de l’art. 92 al.1 LAA entre les primes et les prestations. Le fait que l’art. 24 OLAA ne contienne aucune disposition en lien avec la prise en compte de revenus provenant de plusieurs employeurs, même après la dernière révision de la LAA, démontrerait qu’une application de l’art. 23 OLAA par analogie n’entrerait pas en ligne de compte (c. 4.2).
Le Tribunal fédéral note tout d’abord que le fait qu’à la suite d’une évolution jurisprudentielle (cf. ATF 139 V 148), le salaire pour le calcul des indemnités journalières en cas de pluralités d’emplois (cf. art. 23 al. 5 OLAA) ait fait l’objet d’une révision valable à partir du 1er juillet 2017, permet de penser qu’il n’y a pas eu d’omission de la part du législateur quant à la détermination du salaire pour le calcul de la rente selon les art. 22 al. 4 et 24 OLAA (c. 5.2.2 à 5.2.4).
Même s’il est question « d’un ou de plusieurs employeurs » dans l’art. 22 al. 4 OLAA, cela ne signifie pas que le salaire déterminant pour le calcul de la rente doit être interprété comme celui qui est valable pour le calcul des indemnités journalières au sens de l’art. 23 al. 5 OLAA, bien au contraire (c. 5.2.2 et 5.2.5). Sachant que la couverture pour les accidents non professionnels n’était pas donnée, il n’y a donc pas lieu de tenir compte des revenus accessoires pour la détermination du salaire pour le calcul de la rente (c. 5.3 à 6).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge
TF 9C_449/2022 du 29 novembre 2023
Prévoyance professionnelle; délai de prescription/péremption, restitution; art. 35a LPP
Une caisse de pension s’est fiée au préavis de décision de l’AI pour déterminer s’il y avait surindemnisation avec le versement d’une rente d’invalidité du 2e pilier. Elle a fixé le plafond de surindemnisation à hauteur du revenu de valide retenu par l’AI de CHF 100’000.- environ. En réalité, la décision d’octroi de rente de l’AI se fonde finalement sur un revenu de valide de CHF 80’000.- environ. Lorsqu’elle réalise cette différence après avoir obtenu l’entier du dossier AI dans le cadre d’une procédure de réexamen, la caisse de pension réduit la rente pour l’avenir et réclame un trop perçu pour les rentes versées pour les mois de mai 2016 à mai 2021 (courrier du 25 mai 2021). Elle déclare ensuite compenser ce trop perçu avec les rentes futures, ce qui oblige l’assuré à ouvrir action contre la caisse de pension en octobre 2021. La caisse de pension se prévaut de l’exception de compensation dans sa réponse au recours du 23 novembre 2021. Le Tribunal cantonal rejette l’action de l’assuré, qui recourt au Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral rappelle d’abord la modification de l’art. 35a LPP, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, qui implique le passage d’un délai relatif de prescription d’un an à un délai de péremption de trois ans, ceci afin de s’aligner sur la révision de l’art. 25 LPGA. Au contraire de l’art. 25 LPGA, l’art. 35a LPP n’exige en revanche pas que les conditions d’une révision procédurale ou d’une reconsidération soient réalisées pour réclamer la restitution de prestations versées à tort.
S’agissant de l’application de la loi dans le temps, le Tribunal fédéral applique les règles générales, à défaut de règlement spécial prévu lors de la modification de l’art. 35a LPP. Par conséquent, l’ancien art. 35a LPP s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle mouture le 1er janvier 2021. Depuis cette date, la nouvelle disposition s’applique aussi aux prestations dues et exigibles avant le 1er janvier 2021, qui n’étaient pas encore prescrites lors de l’entrée en vigueur de la révision. Le temps écoulé jusqu’à la modification légale est pris en considération dans le calcul (ATF 134 V 353). Le Tribunal fédéral précise encore que l’art. 35a LPP se trouve dans la 2e partie de la LPP, ce qui implique que les règlements des caisses de pension peuvent modifier le régime en faveur des assurés uniquement. En l’espèce, l’article pertinent du règlement de la caisse de pension prévoyait, au-delà du 1er janvier 2021, un délai relatif de prescription d’un an.
S’agissant du début du délai relatif, le Tribunal fédéral s’appuie sur la jurisprudence rendue au sujet de l’art. 25 LPGA. Le moment où l’institution a eu connaissance du fait doit se comprendre comme le moment où elle aurait dû connaître les faits fondant l’obligation de restituer, en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. L’administration doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde – quant à son principe et à son étendue – la créance en restitution à l’encontre de la personne tenue à restitution. Pour le cas où le versement d’une prestation indue repose sur une erreur de l’administration, le délai de péremption relatif n’est pas déclenché par le premier acte incorrect de l’office. Au contraire, il commence à courir le jour à partir duquel l’organe d’exécution aurait dû au plus tard reconnaître son erreur – par exemple à l’occasion d’un contrôle des comptes ou sur la base d’un indice supplémentaire – en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui (ATF 146 V 217). Pour les prestations qui ne sont pas encore versées à ce moment-là, le délai de prescription ne commence à courir que dès le paiement concret.
En l’espèce, même si la caisse de pension pouvait avoir connaissance, dès l’examen initial du droit à la rente, des détails de calcul définitifs de la rente AI, le délai relatif ne peut commencer à courir à partir de l’octroi de la première rente, en application de la jurisprudence précitée. En revanche, le Tribunal fédéral, contrairement à l’instance précédente, estime que la caisse devait s’apercevoir de son erreur lors du premier réexamen de la rente, intervenu le 7 août 2018, en raison de la perte des rentes d’enfants. A ce moment, la caisse a réexaminé son calcul de surindemnisation et devait réaliser qu’elle s’était préalablement fiée aux données du préavis de décision AI et non à la décision finale.
Pour toutes les rentes versées avant le 7 août 2018, un délai d’une année (ancien droit) a commencé à courir à partir de cette date. Le Tribunal fédéral retient que le premier acte interruptif a eu lieu avec la réponse de la caisse de pension au recours devant le tribunal cantonal, le 23 novembre 2021 (art. 135 CO). Par conséquent, le droit de réclamer le trop-perçu est tardif pour toutes les rentes versées du 1er mai 2016 au 7 août 2018.
Pour les rentes versées entre le 8 août 2018 et le 31 mai 2021, le délai a commencé à courir uniquement au moment du versement de chaque rente. Les rentes versées entre le 8 août 2018 et le 31 décembre 2019 étaient exclusivement soumises à l’ancien droit, le délai de prescription d’un an arrivant à échéance au plus tard le 31 décembre 2020. Le droit à restitution était donc prescrit lorsque la caisse a fait valoir la compensation. En revanche, pour les rentes versées à partir du 1er janvier 2020, les prétentions n’étaient pas encore prescrites lors de l’entrée en vigueur du nouvel art. 35a LPP au 1er janvier 2021 et le délai devait donc être prolongé pour tenir compte de la nouvelle durée de trois ans. Mais c’est sans compter l’article plus favorable du règlement de prévoyance, qui n’a pas été révisé au 1er janvier 2021 et qui a donc continué à s’appliquer, avec un délai d’une année. Par conséquent, seules les rentes versées à partir du 23 novembre 2020 n’étaient pas prescrites au moment où l’interruption a eu lieu. Toutes les rentes versées avant le 23 novembre 2020 sont en revanche prescrites.
Auteure : Pauline Duboux, juriste
TF 9C_430/2022 du 16 novembre 2023
Prévoyance professionnelle; interruption de l’assurance obligatoire, retraite anticipée, notion de la survenance du cas de prévoyance « vieillesse », maintien de l’assurance aux conditions de l’art. 47 LPP; art. 47 LPP; 2 al. 1 LFLP
L’affaire concerne deux personnes ayant perçu, à l’âge de 60 ans, des prestations de la Fondation pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (Fondation FAR), demandant le maintien de la prévoyance professionnelle sans assurance de risque auprès de l’Institution supplétive (plan de prévoyance maintien facultatif de la prévoyance vieillesse dans le cadre de la LPP [WO]). Après avoir procédé à une interprétation littérale, historique, systématique et téléologique de l’art. 47 LPP (c. 4.3.1 à 4.3.5), le TF est arrivé à la conclusion que l’assuré qui, après avoir atteint l’âge de 58 ans, cesse d’être assujetti à l’assurance obligatoire en raison de la dissolution des rapports de travail par lui-même peut maintenir son assurance aux conditions fixées par l’art. 47 LPP, même s’il s’agit d’une cessation d’activité définitive (c. 4.4).
Le TF a rappelé que, conformément à l’art. 2 al. 1 LFLP, la prestation de sortie ne peut être versée par l’ancienne institution de prévoyance de l’assuré que s’il la quitte avant la survenance d’un cas de prévoyance. A ce sujet, lorsqu’une institution de prévoyance accorde la possibilité d’une retraite anticipée, la survenance du cas de prévoyance « vieillesse » a lieu non seulement lorsque l’assuré atteint l’âge légal de la retraite selon l’art. 13 al. 1 LPP, mais aussi lorsqu’il atteint l’âge auquel le règlement lui donne droit à une retraite anticipée. Le point de savoir si un cas de libre passage ou un cas de prévoyance vieillesse survient avec l’abandon de l’activité lucrative avant l’accession à l’âge ordinaire de la retraite doit ainsi être examiné – sous réserve de l’art. 2 al. 1bis LFLP – à la lumière du règlement de la dernière institution de prévoyance à laquelle l’assuré a été affilié (c. 5.2).
Dans le cas du premier recourant, c’est à bon droit que les premiers juges ont admis que l’Institution supplétive était fondée à refuser le maintien de la prévoyance vieillesse au sens de l’art. 47 al. 1 LPP, compte tenu de ce qu’un cas de prévoyance était déjà survenu, conformément au règlement de prévoyance. Le TF a souligné qu’il se justifie de réserver l’application de la possibilité offerte par l’art. 47 LPP aux situations dans lesquelles le cas de prévoyance vieillesse n’est pas encore survenu selon le règlement de prévoyance (c. 5.3.1.2).
Dans le cas du second recourant, l’intéressé n’ayant pas perçu de prestations à titre de retraite anticipée ni demandé à en percevoir, le cas de prévoyance n’est dès lors pas survenu. Dans la mesure où l’application de l’art. 47 al. 1 LPP n’est pas réservée aux assurés qui n’ont pas déjà atteint l’âge de 58 ans ni limitée à une période de deux ans, et dès lors que le prénommé remplit les conditions de l’art. 47 al. 1 LPP, l’institution supplétive doit recevoir sa prestation de sortie et maintenir sa couverture d’assurance (c. 5.3.2).
Enfin, s’agissant du grief de violation des dispositions étendues et déclarées de force obligatoire de la Convention collective de travail pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (CCT RA), le TF a précisé que la CCT RA règle exclusivement les relations entre l’employeur, le travailleur et la Fondation FAR, si bien que l’institution supplétive n’entre pas dans son champ d’application (c. 6.2).
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne
TF 4A_440/2022 du 16 novembre 2023
Assurances privées; assurance de la responsabilité civile, étendue de la couverture; art. 33 LCA
Une banque suisse exploitait à Dubaï une société de services financiers dont elle détenait 60 % des actions. Dans le cadre d’un procès civil tenu aux Emirats arabes unis, la banque suisse a été condamnée solidairement avec sa filiale de Dubaï à payer plus de USD 35 millions à des investisseurs, au motif qu’elle n’avait pas obtenu pour les opérations litigieuses l’autorisation requise par la législation locale. Cette législation prévoyait en effet qu’en cas de défaut d’autorisation, la banque devait rembourser les investisseurs et les indemniser pour les pertes subies, indépendamment du fait que ces pertes soient dues ou non à l’absence d’autorisation de pratiquer.
La banque suisse était assurée en responsabilité civile professionnelle dans un contrat d’assurance soumis au droit suisse qui prévoyait l’assurance de la responsabilité civile de la banque et de ses employés pour des dommages purement pécuniaires fondée sur les dispositions légales suisses en matière de responsabilité civile ou sur des dispositions nationales comparables et juridiquement valables. Le contrat contenait également des exclusions de couverture pour des prétentions fondées sur des « punitive ou exemplary damages ».
En substance, la banque assurée soutenait que la présence de l’exclusion pour punitive damages permettait d’admettre que tout autre type de prétentions était couvert. Le Tribunal fédéral retient qu’il s’agit-là d’une interprétation trop large de la police d’assurance. Il rappelle que toute assurance repose sur la possibilité d’évaluer l’importance du risque assuré sur la base d’études statistiques. En optant pour une couverture des responsabilités fondées sur le droit suisse ou sur des règles comparables, l’assureur vise précisément à ne pas devoir garder un œil sur tous les systèmes juridiques du monde, mais à se baser uniquement sur le droit suisse pour déterminer la probabilité de survenance du risque assuré. Dans ce contexte, les exclusions (comme celles des punitive damages) ne peuvent pas être considérées comme signifiant que tout autre dommage serait couvert, mais constituent davantage des exemples de ce qui n’est précisément pas couvert par l’assurance. Dans le cas d’espèce, la banque assurée a dû indemniser ses investisseurs pour un dommage qui aurait été subi même si elle avait adopté un comportement correct (à savoir requis l’autorisation des autorités de Dubaï) ; ce mécanisme est inconnu du droit suisse, qui ne retient une responsabilité civile que lorsque le dommage a été causé de manière adéquate. Les règles de Dubaï selon lesquelles la banque suisse a été condamnée ne sont donc pas comparables à celles de notre pays, et un tel sinistre n’est pas couvert.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 6B_817/2023 du 15 novembre 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles par négligence, imprévoyance coupable; art. 12 al. 3 et 125 CP
La condition de base pour une violation du devoir de diligence et donc pour la responsabilité pour négligence est la prévisibilité du résultat dommageable. Le déroulement des événements conduisant à ce résultat doit être prévisible pour l’auteur, au moins dans ses traits essentiels. Il convient de se demander si l’auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique le critère de la causalité adéquate, selon lequel le comportement doit être de nature, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer un résultat tel que celui qui s’est produit ou, du moins, à le favoriser considérablement.
Dans le contexte d’une inondation, le prévenu a cherché à améliorer l’écoulement de l’eau dans un déversoir qui était bouché par des éléments végétaux. Comme la chambre du déversoir demeurait remplie d’eau et compte tenu d’un effet de tourbillon vers le tuyau d’évacuation, il n’a pas replacé le couvercle sur cette chambre. Il a dressé un tronc d’arbre pour pallier et signaler cette situation, sans que le tronc remplisse toutefois complètement la chambre. Un petit enfant passant à vélo sur ce lieu de promenade est tombé dans la chambre, malgré le tronc. Il a été happé par le tourbillon, mais est resté, durant une vingtaine de minutes, suspendu à un pachon de l’échelle de la chambre auquel s’était accroché son casque de vélo. L’enfant a ainsi subi de graves lésions cérébrales.
Le Tribunal fédéral a écarté l’argument du prévenu selon lequel les circonstances de l’accident, subi par un enfant suffisamment petit pour être happé dans le tuyau d’évacuation, mais assez grand pour se déplacer de lui-même et tomber dans la chambre, seraient si exceptionnelles que le résultat dommageable n’était pas prévisible. Le prévenu était bien conscient de la situation dangereuse qu’il avait créée, puisqu’il a mis en place un tronc dans la chambre. Il aurait dû réaliser que cette mesure était insuffisante pour écarter tout risque d’un résultat dommageable tel que celui qui est survenu. La négligence a dès lors été retenue.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle
TF 9C_557/2022 du 13 novembre 2023
Assurance-invalidité; exécution d’une mesure thérapeutique institutionnelle, suspension de la rente; art. 21 al. 5 LPGA
Lorsque les conditions de l’art. 21 al. 5 LPGA sont remplies, l’assureur social doit, quant au principe, suspendre le versement de la rente pendant la durée de l’exécution de la peine ou de la mesure. La formulation potestative de la disposition (Kann-Vorschrift) lui permet uniquement de tenir compte des circonstances concrètes dans le but d’assurer l’égalité de traitement entre les personnes assurées. Si la peine ou la mesure est exécutée de manière que la personne assurée aurait été en mesure d’exercer une activité lucrative pendant ce temps, alors la rente doit être maintenue. En revanche, si, comme en l’espèce, la peine ou la mesure est exécutée de manière que la personne assurée n’aurait pas été en mesure d’exercer une activité lucrative pendant ce temps, alors la rente doit être suspendue (c. 4.1).
Le fait que l’acte pénalement répréhensible ait été commis en raison de l’atteinte à la santé psychique n’y change rien. L’art. 21 al. 5 LPGA a pour but d’assurer l’égalité de traitement entre les personnes qui exécutent une peine ou une mesure ordonnée par l’autorité pénale, et non l’égalité de traitement entre les personnes qui exécutent des mesures et celles qui sont simplement internées en raison de l’atteinte à la santé psychique (c. 4.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_244/2021 du 9 novembre 2023
Prévoyance professionnelle; mesures d’assainissement, compétences respectives de l’autorité de surveillance et du Tribunal cantonal des assurances sociales; art. 62 al. 1 let. d, 65c, 65d et 73 LPP
L’employeur est affilié externe de l’institution de prévoyance du personnel de l’administration du canton de Bâle. Cette institution de prévoyance de droit public est constituée sous forme de fondation collective de sorte que pour chaque nouvelle affiliation, une caisse est constituée avec une comptabilité propre. Dès le 1er janvier 1991, la caisse de l’employeur est devenue une caisse fermée de rentiers, les salariés actifs étant assurés auprès d’une autre institution de prévoyance.
En raison du découvert important apparu dans les comptes de la caisse, l’institution de prévoyance agit à l’encontre de l’employeur en paiement d’une contribution exceptionnelle d’assainissement par-devant le Tribunal cantonal des assurances sociales. La demande est partiellement admise et l’employeur recourt au Tribunal fédéral.
Le TF rappelle sa jurisprudence relative aux compétences respectives de l’autorité de surveillance, d’une part, et du Tribunal cantonal des assurances sociales, d’autre part. Selon cette jurisprudence, l’autorité de surveillance est compétente en matière de litiges concernant la sécurité financière et les mesures prises pour assainir une institution de prévoyance. Une situation de découvert, de par son caractère extraordinaire, nécessite une activité de contrôle accrue et une surveillance particulièrement étroite.
Ainsi, en cas de litige concernant l’assainissement d’une institution de prévoyance (ou d’une caisse de prévoyance dans le cas d’une fondation collective), il convient de procéder en deux étapes : en premier lieu, il appartient à l’autorité de surveillance d’examiner la légalité des mesures d’assainissement, la mise en œuvre concrète de ses mesures ne peut intervenir que dans un second temps.
En l’espèce, la demande en paiement est prématurée, elle est donc rejetée.
Auteur : Eric Maugué
TF 4A_532/2023 du 3 novembre 2023
Responsabilité aquilienne; procédure, preuve à future; expertise médicale; art. 93 al. 1 LTF; 158 CPC
A. a été victime d’un accident du travail qui a entraîné des blessures graves et permanentes. Il considère que cet événement est dû à une violation des obligations de son employeur, dont la responsabilité civile serait ainsi engagée. Alors que la Suva avait annoncé la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire, il a déposé une requête de preuve à future auprès du Tribunal d’arrondissement de St-Gall tendant à l’organisation d’une autre expertise médicale. Le juge unique du tribunal d'arrondissement a alors suspendu la procédure jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue dans la procédure de recours contre la décision sur opposition de la Suva. Cette décision a été confirmée par le Tribunal cantonal de Saint-Gall, qui a considéré que, après le dépôt d’une expertise en assurances sociales, A. ne devrait plus avoir d’intérêt digne de protection à une autre expertise dans la procédure de preuve à futur, puisque l’expertise organisée par la Suva pourrait a priori être utilisée par le juge civil comme expertise judiciaire.
La Présidente de la Ire Cour de droit civil du TF a considéré que le recours en matière civile déposé par A. était manifestement irrecevable au sens de l’art. 108 al. 1 lit. a LTF. Elle retient à cet égard que la décision attaquée ne cause pas un préjudice irréparable à A., qui pourra toujours le moment venu recourir au TF contre la décision de dernière instance cantonale qui mettra fin à la procédure de preuve à futur, si cette décision lui refuse l’expertise demandée. Il pourra aussi dans ce cadre contester la suspension en tant que telle dans la mesure où elle aurait une incidence sur le contenu de la décision finale. La Présidente ajoute encore que l’on ne comprend pas non plus pourquoi la décision attaquée devrait (inévitablement) conduire le juge civil à se fonder, dans un procès en responsabilité civile, sur l'expertise mise en œuvre par l’assureur social.
Commentaire :
Cette décision porte sur la stratégie récemment exposée par Patrick Wagner (Vorsorgliche Massnahmen im Personenschadenrecht (ZPO 158 / OHG 21) – Ein neuer Blick auf ein altes Problem, in : Krauskopf/Rothenberger, Haftpflichtprozess 2023 – Das Rechtsbegehren, Eglisau 2023), consistant à court-circuiter une expertise sur le point d’être mise en œuvre par un assureur social en requérant au préalable une expertise « civile » par la voie de la preuve à future de l’art. 158 CPC. Cette façon de faire se fonde sur la constatation de l’auteur qu’en droit des assurances sociales, les experts médicaux se basent sur une notion purement biopsychique de la maladie et ne tiennent pas compte des facteurs psychosociaux et socioculturels lors de l'évaluation de la capacité de travail. Une telle expertise n'a pas de valeur probante en droit de la responsabilité civile. En effet, en RC, la notion de maladie biopsychosociale reconnue par la médecine dans le monde entier s'applique à l'évaluation du dommage corporel. A cela, s’ajoute sans conteste selon nous le fait que la procédure de droit social ne donne pas au lésé les mêmes droits quant au choix de l’expert.
On peut craindre que, sur la base de cette décision, même prise par la seule Présidente de la Ire Cour de droit civil, les instances inférieures des autres cantons seront à leur tour tentées de suspendre ce type de requête en preuve à futur, surtout lorsqu’une assurance sociale aura annoncé son intention de procéder elle-même à une telle mesure d’instruction. C’est donc dans une seconde phase, pour le cas où le juge saisi d’une telle requête venait à la rejeter au motif qu’il existe déjà une expertise judiciaire externe, que le lésé devra faire trancher la question de la force probante matérielle d’une expertise établie sur la base de principes médicaux propres au droit social, et par hypothèse plus restrictifs que ceux retenus par la science médicale internationale.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 9C_189/2023 du 30 octobre 2023
Assurance-vieillesse et survivants; statut de cotisant, personne n’exerçant durablement pas une activité à plein temps, abus de droit, reconsidération; Art. 29 Cst.; 53 al. 2 LPGA; 3 LAVS; 28bis RAVS
Une caisse de compensation avait admis, dans deux décisions successives, de considérer les recourants comme des personnes avec activité lucrative, et avait en conséquence fixé les cotisations pour l’année 2018 sur la base des salaires indiqués, bien qu’ils soient très bas (CHF 2'500.- par mois pour un pensum de 100 %). Après avoir pris connaissance de la taxation fiscale, qui faisait état de revenus de rentes pour un montant supérieur à CHF 300'000.- et d’une fortune de plus de CHF 9 millions, elle a tenté de revenir sur ces deux décisions par voie de reconsidération. La cour cantonale a fait obstacle à ce procédé, au motif que la caisse n’avait pas démontré que les décisions étaient manifestement erronées.
Le TF ne pouvait, pour des raisons liées à son pouvoir de cognition (cf. c. 3.3.2), pas corriger matériellement la décision cantonale. Il a cependant considéré que les premiers juges avaient manqué à leur obligation de motiver en ne prenant pas position sur le descriptif détaillé que la caisse cantonale avait fait du procédé utilisé par les intimés pour contourner leur obligation de verser des cotisations. La caisse avait en particulier démontré que la conclusion de contrats de travail entre ces derniers et l’entreprise appartenant à l’un d’eux avait immédiatement suivi la notification de la décision fixant le montant de leurs cotisations comme personnes sans activité lucrative, et l’augmentation successive des taux d’activité et des salaires avait eu lieu après chaque information donnée par la caisse que le taux était insuffisant pour qu’ils soient considérés comme personnes travaillant à plein temps. La cour cantonale avait violé le droit d’être entendu de la caisse de compensation en ne prenant pas position de manière circonstanciée sur les faits présentés par la caisse de compensation.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 4A_366/2022 du 19 octobre 2023
Responsabilité médicale; responsabilité de droit public, procédure, Appréciation des preuves; art. 9 et 29 al. 2 Cst.; 61 al. 1 CO
Il s’agit d’un cas de responsabilité médicale soumis au droit public fribourgeois, selon la réserve facultative prévue à l’art. 61 al. 1 CO.
Sous l’angle de la procédure, le TF rappelle que même si les prétentions du patient relèvent exclusivement du droit public cantonal, c’est la voie du recours en matière civile qu’il convient d’utiliser en application de l’art. 72 al. 2 let. b LTF qui prévoit que les décision prises en application de normes du droit public dans des matières connexes au droit civil sont également sujettes au recours en matière civile. Il est en effet opportun de soumettre toutes les affaires de responsabilité médicale à une seule et même cour, à savoir la Ire Cour de droit civil, afin de dégager une jurisprudence assurant l’application uniforme du droit, que la responsabilité relève du droit privé ou du droit public.
Sur le fond, le patient se plaignait d’une violation du droit à la preuve sous l’angle de l’art. 29 al. 2 Cst. (droit d’être entendu). Selon la jurisprudence, le juge peut refuser une mesure probatoire lorsque celle-ci ne serait pas de nature à modifier le résultat des preuves déjà administrées, qu’il tient pour acquis. Un tel refus ne peut être mis en cause devant le TF qu’en invoquant l’arbitraire (art. 9 Cst.) dans l’appréciation des preuves. Dans ce cadre, le juge apprécie librement la force probante d’une expertise. Dans le domaine des connaissances professionnelles particulières de l’expert, il ne peut toutefois s’écarter de l’opinion de celui-ci que pour des motifs importants. A l’inverse, lorsque l’autorité précédente juge une expertise concluante et en fait sien le résultat, le grief d’appréciation arbitraire des preuves ne sera admis que si l’expert n’a pas répondu aux questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou si, d’une quelconque autre façon, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents reconnaissables, même sans connaissances spécifiques, que le juge ne pouvait tout simplement pas les ignorer.
Dans le cas d’espèce, les juges fribourgeois ne se sont pas livrés à une appréciation arbitraire des preuves en considérant que l’expertise judiciaire qu’ils avaient mis en œuvre était concluante. Ils pouvaient ainsi valablement refuser la contre-expertise sollicitée par le patient ou l’audition du chirurgien puisque de telles mesures n’étaient pas susceptibles de modifier le résultat auquel l’expert était parvenu, à savoir l’absence de violation des règles de l’art par le chirurgien concerné.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne
TF 1C_19/2023 du 11 octobre 2023
Indemnisation LAVI; demande de réparation du dommage matériel; art. 19 al. 3 LAVI
Le salaire non perçu est un dommage matériel, dont l’indemnisation est exclue par l’art. 19 al. 3 LAVI. L’employé, victime de traite d’êtres humains pour lequel son employeur a été condamné par jugement pénal, ne dispose pas d’un droit subjectif à l’indemnisation de son salaire impayé par l’autorité cantonale LAVI.
Dans cette affaire, le TF constate l’inexistence d’une lacune proprement dite à l’art. 19 al. 3 LAVI. Sans privilégier une méthode d’interprétation mais en s’inspirant d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme, les juges fédéraux confirment que l’art. 19 al. 3 LAVI exclut clairement la prise en charge des dommages matériels dans le cadre de l’indemnisation LAVI (c. 3.4).
L’art. 4 CEDH, interprété à l’aune de l’art. 15 de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (CETEH, RS : 0.311.543), ne prévoit pas d’obligation positive, à charge de l’Etat, d’instaurer un mécanisme d’indemnisation subsidiaire des salaires impayés des victimes de traite d’êtres humains (c. 4.3).
Le TF relève que le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) du Conseil de l’Europe s’intéresse à cette problématique comme l’illustrent les questions adressées en 2023 à ce sujet. La Suisse s’est contentée de renvoyer à l’art. 19 LAVI et aux règles de calcul du dommage du droit civil (GRETA, Questionnaire pour l’évaluation de la mise en œuvre de la CETEH – Troisième cycle d’évaluation, 2023, ch. 3.4 et 4). Or, comme le relève le TF, le futur rapport d’évaluation dudit questionnaire pourrait apporter certaines clarifications à la notion de préjudice matériel visé par l’art. 15 al. 4 CETEH pouvant conduire, cas échéant, le législateur suisse à se pencher sur un élargissement de la notion de préjudice couvert par l’art. 19 LAVI (c. 4.3).
Auteur : Scott Greinig, avocat et assistant-doctorant
TF 8C_120/2023 du 11 octobre 2023
Assurance-accidents; causalité naturelle, expertise médicale; art. 44 LPGA
Une assurée a été victime d’un traumatisme craniocérébral (TCC) lors d’un accident de la route. L’assureur LAA, après avoir consulté un spécialiste en neurologie et ancien médecin de son centre de compétence, met un terme au versement des prestations avec effet au 30 avril 2020, invoquant l’absence de lien de causalité, au-delà de cette date.
Le TF rappelle que lorsqu’un cas d’assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure conforme à l’art. 44 LPGA, l’appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères. Lorsqu’il y a un doute, même minime, sur la fiabilité et la validité des constatations d’un médecin de l’assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (c. 3).
Le TF indique ensuite que la cour cantonale a retenu à juste titre l’existence d’un TCC en se fondant sur le mécanisme de l’accident et un témoignage, sans qu’il soit nécessaire de connaître l’endroit exact où la tête de l’assurée avait heurté le véhicule (c. 5.2.2). A cet égard, il écarte l’avis du médecin consulté par l’assureur LAA pour différents motifs d’ordre factuels.
S’agissant du lien de causalité, le TF relève que l’avis du médecin consulté par l’assureur LAA ne convainc pas non plus, pour les mêmes motifs. Malgré cela, les objections du médecin de l’assurance au sujet du rapport d’un autre médecin sont suffisantes pour justifier une expertise pluridisciplinaire.
La cause est ainsi renvoyée à l’assureur LAA pour la mise en place d’une expertise.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève
TF 4A_415/2023 du 11 octobre 2023
Responsabilité médicale; devoir d’information, consentement hypothétique; art. 41 CO; 28 CC
Au cours d’une coloscopie organisée dans le cadre du traitement d’hémorroïdes, le médecin retire un polype découvert par hasard. A la suite de cette ablation, la patiente subit une perforation secondaire de l’intestin avec de graves répercussions. Elle fait valoir des prétentions en dommages et intérêts et en réparation du tort moral au motif qu’elle n’aurait été informée et n’aurait valablement consenti qu’à la coloscopie elle-même, à l’exclusion de l’ablation d’un éventuel polype découvert fortuitement.
Selon la cour cantonale, dont l’appréciation est suivie par le TF, la patiente n’avait certes pas donné son consentement exprès à l’ablation d’un polype. Dans une telle situation, il convient néanmoins d’admettre le consentement hypothétique de la patiente.
Le consentement hypothétique doit en effet être admis lorsqu’il peut être établi que le patient aurait consenti au traitement s’il avait été correctement informé. La décision qui serait prise par un autre patient raisonnable dans la même situation n’est pas déterminante puisque le droit à l’autodétermination constitue le noyau de la liberté personnelle protégée par l’art. 28 CC. En revanche, pour des raisons procédurales, il peut être attendu du patient qu’il rende plausible qu’il aurait refusé l’intervention ou se serait trouvé dans un conflit décisionnel s’il avait été correctement informé avant la survenance de la complication. Lors de la pesée des avantages et des inconvénients du traitement, l’on prêtera d’autant plus d’attention aux préoccupations individuelles du patient que le traitement est particulièrement risqué ou accompagné d’effets secondaires importants.
En l’espèce, le TF souligne que les risques de perforation intestinale lors d’une coloscopie sont connus et ne se limitent pas aux cas dans lesquels un polype est retiré. La probabilité d’une perforation est toutefois très faible. Ainsi, rien n’indiquait que la patiente aurait refusé l’ablation d’un polype potentiellement cancéreux si elle avait été informée de manière exhaustive.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne
TF 2C_11/2023 du 9 octobre 2023
Responsabilité de l’Etat; responsabilité de la Confédération, subsidiarité de l’action en responsabilité, dommage; art. 3 et 12 LRCF
L’arrêt traite de l’obligation de la Confédération d’indemniser selon la loi sur la responsabilité (LRCF) un fonctionnaire en raison d'éventuels dommages et torts moraux subis en lien avec son emploi au sein de l’administration fédérale.
Selon la jurisprudence, le régime de la LRCF (art. 3) trouve également application lorsque le lésé est ou a été fonctionnaire fédéral et prétend avoir subi un dommage résultant d’actes illicites commis par d’autres fonctionnaires, dans la mesure où il n’existe aucune raison de soumettre le fonctionnaire lésé à d’autres règles que l’administré ordinaire. Cependant, certains actes dommageables ne peuvent en principe donner lieu à aucune indemnisation de la Confédération en application de cette loi, en particulier les décisions, arrêtés et jugements ayant force de chose jugée qui ne peuvent pas être revus dans une procédure en responsabilité, selon le principe de la primauté de la protection juridictionnelle par rapport à une procédure en responsabilité de l’Etat (art. 12). Conformément à ce principe, généralement repris en droit cantonal, celui qui a épuisé, sans succès, les voies de droit contre une décision, de même que celui qui n’a pas utilisé tous les moyens de droit qui étaient à sa disposition pour faire corriger cette même décision, ne peut en principe plus en contester (encore une fois) la licéité dans un procès en responsabilité contre l’Etat, dès lors que cette décision entrée en force, ou confirmée sur recours, bénéficie d’une sorte de présomption irréfragable (fiction) de conformité au droit.
Dans la présente affaire, à défaut d’un quelconque acte illicite justifiant une indemnisation fondée sur la LRCF, le TF a nié les différentes prétentions en indemnisation émises par le recourant à l’encontre de la Confédération, pour les raisons suivantes :
1. Des prétentions directement liées à une procédure pénale ne relèvent en aucun cas du droit public sur la responsabilité de l’Etat. L’indemnisation de tels préjudices est du ressort exclusif des autorités pénales. Ainsi, en cas d’acquittement total ou partiel du prévenu, l’Etat doit réparer l’intégralité du dommage en rapport de causalité adéquate avec la procédure pénale. Une indemnisation ne peut en principe plus intervenir dans une procédure ultérieure indépendante. Si l’autorité pénale omet de statuer dans son jugement ou son ordonnance sur les prétentions du prévenu acquitté, celui-ci doit en règle générale utiliser les voies de droit contre le jugement ou l’ordonnance en question.
2. La licéité d’un licenciement – de même que les motifs qui l’ont entouré – ne peut pas être remise en question dans le cadre d’une procédure en responsabilité contre la Confédération, si celle-ci a déjà été définitivement tranchée par une autorité judiciaire, dans le cadre d’une précédente procédure.
3. Des faits ne témoignant pas d’un dénigrement systématique qui aurait visé à isoler ou à marginaliser un fonctionnaire sur son lieu de travail ne sauraient être assimilables à un quelconque harcèlement psychologique ou mobbing susceptible d’engager la responsabilité de la Confédération. Tel est le cas d’un dysfonctionnement général ainsi que d’une ambiance de travail délétère au sein d’un service étatique, même si ceux-ci ont contribué à déclencher l’ouverture d’une procédure pénale et de licenciement, avec pour conséquence des répercussions pénibles pour le fonctionnaire lésé.
4. La responsabilité de la Confédération ne saurait être engagée en raison d’un certificat de travail, prétendument négatif, si l’intéressé ne parvient pas à démontrer avoir été pénalisé en raison de la teneur de ce certificat. Indépendamment de son contenu exact et de sa justesse, il y a lieu de constater l’absence de toute responsabilité de la Confédération en raison d’un tel document lorsque le fonctionnaire lésé n’en a jamais demandé la modification auprès du service compétent, ni attaqué une éventuelle décision de refus. Il lui appartient de subir les conséquences de son choix consistant à n’agir, en la matière, qu’en responsabilité au sens de la LRCF.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne
TF 7B_11/2022 du 6 octobre 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corprelles par négligence, procédure pénale, principe « in dubio pro duriore », obligations incombant aux exploitants de pistes de ski, normes professionnelles; art. 319 al. 1 let. a et b CPP; 12 al. 3 et 125 CP
Le recours porte sur le classement par le Ministère public de la procédure pénale ouverte sur plainte d’une victime d’un accident de luge sur une piste de ski. Cette dernière, renvoyée à agir au civil, reproche au responsable de l’entretien de la piste, à la patrouilleuse et au directeur des remontées mécaniques de s’être rendus coupables de lésions corporelles par négligence. Elle a en effet été sévèrement blessée, subissant de multiples fractures au bassin et des lésions au torse après avoir percuté un poteau en bois délimitant la piste.
La partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale a la qualité pour recourir si la décision attaquée a des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (c. 1). Le Tribunal fédéral examine si le classement de la procédure pénale respecte les conditions à l’art. 319 al. 1 let a et b CPP. La décision ordonnant le classement d’une procédure pénale est régie par le principe « in dubio pro duriore » qui interdit ainsi au Ministère public, confronté à des preuves non claires, d’anticiper sur l’appréciation des preuves par le juge du fond. Ce principe doit également être respecté lors de l’examen des décisions de classement dans une procédure de recours. Le Ministère public et l’instance de recours peuvent ainsi être amenés à constater des faits, pour autant qu’ils paraissent clairs et établis au point qu’en cas de renvoi en jugement, le juge du fond ne s’en écarterait pas. Le Tribunal fédéral n’examine que sous l’angle de l’arbitraire l’appréciation des preuves selon le principe « in dubio pro duriore », ainsi que la question de savoir si l’instance inférieure pouvait exclure l’existence de soupçons suffisants sur la base de ces preuves.
Analysant l’application de l’art. 125 CP, le TF rappelle la notion de négligence (art. 12 al. 3 CP) et sa jurisprudence à ce propos (c. 2.2). La négligence suppose en premier lieu la violation d’un devoir de prudence dont le résultat est prévisible. Le comportement doit être propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer un résultat tel que celui qui s’est produit ou du moins à le favoriser considérablement. Le lien de causalité n’est rompu que si des circonstances tout à fait exceptionnelles interviennent, telles que la faute concomitante de la victime ou d’un tiers ou des défauts de matériel ou de construction, avec lesquelles il ne fallait pas du tout compter et qui sont d’une telle gravité qu’elles apparaissent comme la cause la plus probable et la plus directe du résultat, reléguant ainsi à l’arrière-plan tous les autres facteurs concomitants, notamment le comportement de la personne accusée. Le comportement d’un tiers ne peut rompre le lien de causalité que si cette cause additionnelle est à ce point extérieure à l’événement normal, à ce point insensée qu’il ne fallait pas s’y attendre.
En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. L’infraction peut également être commise par omission contraire aux devoirs (art. 11 CP). Dans ce cas, il faut qu’il y ait une obligation légale d’accomplir l’acte omis (position de garant). Pour admettre une position de garant, il suffit d’une obligation qualifiée. Le délit d’omission « improprement dit » sanctionne l’auteur qui aurait pu éviter le résultat par son action (possibilité d’éviter la survenance du résultat) et qu’il y était tenu en raison de sa position de garant. On vérifie si le résultat aurait pu être évité, si l’auteur avait eu un comportement conforme à ses devoirs. Il faut en principe qu’il soit encore établi avec une haute vraisemblance que si l’auteur avait agi d’une manière conforme à son devoir de prudence, le résultat ne se serait pas produit (c. 2.2.3).
Après avoir rappelé sa jurisprudence au sujet de la notion de négligence, le TF examine les obligations qui s’imposent aux entreprises de remontées mécaniques qui aménagent des pistes et les ouvrent à la pratique du ski. Celles-ci sont en principe tenues de prendre les mesures de précaution et de protection que l’on peut raisonnablement exiger d’elles pour écarter les dangers. Cette obligation de sécurité exige d’une part que les usagers des pistes soient protégés contre les dangers qui ne sont pas facilement identifiables et qui s’avèrent être de véritables pièges. D’autre part, il faut veiller à ce que les usagers des pistes soient préservés des dangers qui ne peuvent être évités même en faisant preuve de prudence. La limite de l’obligation d’assurer la sécurité des pistes est constituée d’une part par le caractère raisonnablement exigible et d’autre part par la responsabilité personnelle de chaque usager de la piste (c. 2.2.4). L’étendue de l’obligation d’assurer la sécurité dépend des circonstances du cas d’espèce.
Le Tribunal fédéral se réfère aux directives de la Commission suisse pour la prévention des accidents sur les descentes pour sport de neige (SKUS) et aux directives des remontées mécaniques suisses relatives à l’obligation d’assurer la sécurité sur les descentes de sports de neige (RMS). Sans être des normes droit objectif, elles revêtent une fonction importante dans la concrétisation des devoirs en matière de sécurité des pistes. Les conditions locales peuvent exiger un niveau de sécurité plus élevé que celui prévu par les directives précitées. Le TF n’est pas lié par les directives et détermine le degré de diligence exigé en fonction des circonstances concrètes du cas.
Dans le cas d’espèce, le TF confirme la décision attaquée de l’autorité cantonale en tant qu’elle nie l’existence de soupçons suffisants pour une mise en accusation. Selon la décision attaquée, la piste bleue se prêtait à la pratique de la luge (ch. 24 et ch. 74 directives SKUS). Les directives SKUS préconisent que le bord de la piste doit être sécurisé efficacement, y compris dans la zone contiguë de 2 mètres, lorsque des obstacles mettent en danger les usagers ou qu’il existe un risque de chute. Il n’est pas nécessaire de créer des espaces de chute (ch. 24 directives SKUS). Seuls les obstacles que les usagers ne peuvent reconnaître en faisant preuve de la diligence requise doivent être signalés. Si les obstacles ne peuvent être évités, des mesures seront prises en vue de les écarter. Ce sera le cas notamment s’il existe un risque qu’une personne tombe et continue ensuite à glisser en raison des conditions du terrain, sans pouvoir freiner et se diriger efficacement (ch. 28 directives SKUS). L’obligation de garantir la sécurité peut exceptionnellement s’étendre au-delà de la zone contiguë des 2 mètres (ch. 113 directives RMS). Même dans la zone marginale de 2 mètres adjacente à la piste, les obstacles de type chute doivent être signalés. La présence d’une telle chute s’évalue du point de vue d’un utilisateur attentif (ch. 144 directives RMS). En l’espèce, le poteau en bois se trouvait à un endroit où la piste devenait plus étroite, après une pente raide où les usagers descendaient relativement vite pour ne pas avoir à marcher lors de la traversée de la forêt. L’autorité cantonale a néanmoins relevé que le poteau ne se situait pas immédiatement sous la pente raide, mais après une partie plate. De plus, la piste devenait plus étroite avant le niveau du poteau en bois qui se trouvait en outre sur un tronçon rectiligne. Le poteau était recouvert d’un tapis orange et visible de loin. Le fait qu’il fut situé en bordure de piste et non à 1.5m de celle-ci, comme l’autorité l’aurait constaté à tort, ne changeait rien à la visibilité du poteau à distance.
L’autorité cantonale n’est donc pas tombée dans l’arbitraire ni n’a violé le droit fédéral en retenant que recourante n’avait pas respecté une distance de sécurité suffisante par rapport au bord de la piste.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
TF 9C_458/2022 du 5 octobre 2023
Assurance-invalidité; restitution d’une subvention à la pierre, cas de rigueur; art. 73 al. 1 aLAI; 29 LSu
L’art. 73 al. 1 LAI prévoyait, jusqu’à la fin 2007, que « l’assurance-invalidité alloue des subventions pour la construction, l’agrandissement et la rénovation d’établissements et d’ateliers publics ou reconnus d’utilité publique, qui appliquent des mesures de réadaptation dans une proportion importante ». En relation avec cette disposition, l’art. 104bis RAI (également abrogé au 1er janvier 2008) prévoyait que « si, avant l’expiration d’un délai de 25 ans à compter du paiement final, l’établissement est détourné de son but ou transféré à un organisme responsable dont le caractère d’utilité publique n’est pas reconnu, la subvention doit être remboursée. Le montant à rembourser est diminué de 4 % pour chaque année d’utilisation conforme à l’affectation prévue » (al. 1). Dans le cadre de la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons entrée en vigueur le 1er janvier 2008, les art. 73 LAI et 104bis RAI ont été abrogés et le contenu de cette dernière disposition a été repris dans les dispositions transitoires de la modification de l’AI du 6 octobre 2006.
Une fondation reconnue d’utilité publique a bénéficié d’une subvention fondée sur l’ancien art. 73 LAI en 1994, finalisée en 1999, pour la réalisation d’un centre résidentiel pour la réintégration socio-professionnelles de personnes toxicodépendantes. Apprenant la démolition du bâtiment en 2016, l’OFAS a demandé la restitution d’une partie de la subvention, ce qui a été confirmé par le TAF.
Saisi du recours de la fondation, le TF statue en premier lieu sur la notion de « détournement de son but » contenue à l’art. 73 LAI. Quand bien même cette disposition doit être considérée comme une lex specialis par rapport à l’art. 29 al. 1 de la loi fédérale sur les aides financières et les indemnités (LSu) (« désaffectation ou aliénation d’un bien »), le TF retient que la notion de l’art. 73 LAI ne doit pas être interprétée plus restrictivement que celle de l’art. 29 LSu et que la démolition du bâtiment constitue bien un détournement du but du bâtiment qui entraîne une obligation de restitution à la charge de la fondation.
Le TF entre cependant en matière sur l’argumentation subsidiaire de la fondation, consistant à demander l’examen de la question de l’existence d’un cas de rigueur conduisant à la réduction du montant à restituer, selon l’art. 29 al. 1 3e phrase LSu. Il estime tout d’abord que cette argumentation, formulée pour la première fois dans le cadre du recours devant son autorité, est admissible, dès lors que cette question constitue un aspect du rapport juridique qui fait l’objet de la procédure. Il juge ensuite que l’absence d’indication à ce propos dans la LAI n’empêche pas l’application de l’art. 29 al. 1 3e phrase LSu en concurrence, les deux dispositions n’étant pas contradictoires sur ce point. La cause est donc renvoyée à l’OFAS pour examen de cette question et nouvelle décision.
Auteure : Pauline Duboux, Lausanne
TF 9C_340/2023 du 4 octobre 2023
Prestations complémentaires; procédure, procédure judiciaire, compétence à raison du lieu, entrée en force matérielle et formelle, conflit de compétence, délai de recours, dies a quo; art. 100 al. 5 LTF; 58 LPGA; 21 LPC
Le TF rappelle qu’en matière de PC, la compétence territoriale pour la procédure administrative (interne) est déterminée uniquement par l’art. 21 LPC. Selon cette disposition, c’est le canton dans lequel la personne est domiciliée qui est compétent pour statuer sur la demande de PC et pour verser les prestations. L’entrée en home ne fonde pas de nouveau domicile. Depuis début 2021, ce canton reste compétent même si la personne assurée fonde un nouveau domicile dans un autre canton (art. 21 al. 1quater LPC). La compétence territoriale pour la procédure judiciaire, en revanche, est déterminée conformément à l’art. 58 LPGA. C’est donc le canton dans lequel la personne est civilement domiciliée au moment du dépôt du recours qui est compétent (c. 5.2.1).
Conformément à l’art. 100 al. 5 LTF, en cas de conflit de compétences entre deux cantons, le délai de recours ne commence à courir qu’à partir du moment où les deux cantons ont statué en rendant un jugement contre lequel le recours au TF est ouvert. Le premier jugement rendu est attaqué avec le second et n’entre en force qu’en même temps que lui. En l’espèce, la recourante n’avait attaqué ni le premier (canton de Glaris), ni le second arrêt (canton de Zurich) refusant d’entrer en matière.
Le TF examine en conséquence si l’arrêt zurichois (le second arrêt) est formellement entré en force. Il parvient à la conclusion que non, car dans l’intervalle, le domicile civil de l’assurée avait été définitivement fixé, dans le canton de Zurich, et il n’y avait dès lors plus de conflit de compétence. La procédure zurichoise ayant perdu tout objet, l’arrêt du tribunal cantonal des assurances (non entrée en matière) n’est pas entré en force ; ce dernier aurait dû, selon le TF, revenir d’office sur sa décision de non entrée en matière (c. 5.2.4 et 5.2.5).
Cela ne vaut toutefois, selon le TF, que si le jugement n’a pas acquis matériellement la force de chose jugée. En l’espèce, ce n’est pas le cas car le tribunal qui se tient pour incompétent doit transmettre l’affaire au tribunal qu’il estime être compétent ; il peut le faire de manière informelle ou en rendant une décision de non entrée en matière. Dans les deux cas, sa décision ne peut pas acquérir autorité de chose jugée avant que le second tribunal ne se soit prononcé (c. 5.3).
En définitive, une décision de non entrée en matière pour incompétence, à raison du lieu, rendue en application de l’art. 58 LPGA ne peut pas entrer formellement en force tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas de conflit de compétence, ou qu’un autre tribunal n’a pas statué à son tour. Elle n’entre pas non plus matériellement en force.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 6B_1333 et 1353/2022 du 2 octobre 2023
Responsabilité du détenteur d’animal; lésions corporelles graves par négligence, position de garant, maîtrise de fait, instructions; art. 122 CP; 56 CO; 16 al. 2 LPolC
Au mois de mai 2020, un électricien qui était venu faire des travaux à l’extérieur d’une maison familiale a été attaqué par les deux chiens du propriétaire. Celui-ci avait quitté les lieux en laissant à son père la garde de ses deux dogues argentins, un mâle et une femelle, dont il connaissait le potentiel de dangerosité compte tenu notamment de leur race et d’un antécédent de morsure de la femelle. Au moment de s’absenter, il avait dicté comme unique consigne de sécurité à son père de maintenir ses animaux enfermés à clé dans la maison le temps que l’électricien finisse les travaux. En particulier, le propriétaire n’avait pas commandé à son père de maintenir fermé le portail intermédiaire qui avait spécialement été aménagé afin que les chiens ne puissent aller jusqu’au portail principal donnant sur la voie publique. Au retour de sa pause de midi, l’électricien avait sonné au portail mais n’avait pas attendu qu’un membre de la famille vienne lui ouvrir. Il avait pénétré dans le jardin seul. Les chiens s’étaient rués sur lui alors que le père ouvrait la porte de la maison et s’étaient acharnés pendant une quinzaine de minutes sur leur victime. Ce n’est qu’en tapant sur la tête d’un des chiens avec une pierre que celui-ci a finalement lâché prise. L’ouvrier a été mordu à la tête, aux bras, aux fessiers, aux jambes et aux pieds. Il a souffert d’une multitude de plaies ouvertes avec perforation et arrachement musculaire et d’une fracture d’un doigt de la main gauche. Sa plaie à la tête a nécessité 42 points de suture. Le père du propriétaire a quant à lui été sévèrement mordu au bras. Le risque causé par les chiens a été qualifié de « très sérieux à mortel » par un vétérinaire. L’enquête a par ailleurs révélé que le propriétaire avait utilisé deux colliers électriques pour dresser ses dogues argentins, et que la chienne avait déjà mordu au bras et au visage un voisin qui mangeait chez les propriétaires l’année précédente, raison pour laquelle le vétérinaire cantonal avait décidé que le molosse devrait être mis à l’écart au domicile en présence de personnes inconnues.
Les juges cantonaux ont notamment observé que le fils connaissait le potentiel de dangerosité de ses chiens et qu’il ne pouvait qu’en être conscient. Il avait du reste pris des mesures pour éviter que ceux-ci soient en contact avec des personnes qui ne leur étaient pas familières, en les enfermant à l’intérieur de la maison lorsque des personnes étrangères étaient présentes sur la propriété et en installant deux portails successifs ainsi que deux pancartes de mise en garde sur le portail d'entrée. Pour autant, ces mesures ne s’étaient pas révélées suffisantes. Dans ce contexte, le fait de ne pas avoir donné de consignes suffisamment claires à son père dénotait déjà une violation fautive du devoir de prudence auquel était tenu le propriétaire en vertu des art. 56 CO et 16 al. 2 LPoIC. L'attaque s'était en outre révélée complètement disproportionnée, même pour des chiens supposés garder une propriété, dénotant ainsi un défaut d’éducation, également imputable à leur maître. De son côté, le père – en laissant la porte de la maison entre-ouverte ainsi qu’en ne fermant pas le portail intermédiaire – avait non seulement permis que les chiens sortent de la maison et s’en prennent à l’électricien, mais il s’était en plus par la suite montré incapable de se faire obéir et de faire cesser l’attaque. Une violation du devoir de prudence, qui lui incombait en tant que détenteur effectif des chiens, devait dès lors également lui être imputée. Dans ces circonstances, peu importait en définitive pour les juges cantonaux que l’électricien ait pris l’habitude, lors de ses précédentes visites dans les mois et semaines qui précédaient, d’attendre que le propriétaire ou son père viennent lui ouvrir. L’omission d’attendre l’autorisation d’entrer ne constituait pas, dans le contexte du cas d’espèce, une circonstance exceptionnelle imprévisible, pouvant interrompre le lien de causalité entre la violation des devoirs de prudence du père et du fils et l’attaque survenue. A tout le moins, les instances cantonales ont estimé qu’on ne pouvait en déduire qu'il avait volontairement pris un risque de se faire attaquer.
Le propriétaire et son père ont contesté leur condamnation pour lésions corporelles graves par négligence devant le TF, qui a relevé d’emblée que le fils, en sa qualité de détenteur principal et « maître » des chiens, était tenu de prendre les mesures nécessaires et utiles à éviter tout accident, y compris lorsque les chiens demeuraient au domicile pendant qu’il s’absentait. Il assumait par conséquent une position de garant.
Dans ces circonstances, il appartenait au fils de donner des consignes claires à son père afin d’assurer la sécurité de l’électricien, qu’il savait en train d’effectuer des travaux sur la propriété. A cet égard, il aurait dû insister sur la nécessité de verrouiller le portail intermédiaire, qui avait été spécialement conçu pour que les chiens ne puissent pas aller jusqu’au portail principal qui donnait sur la voie publique. Le fait que son père s’occupait régulièrement des chiens ne le déchargeait pas de son devoir de donner des instructions claires compte tenu du contexte et de l’antécédent agressif de l’un d’eux. En confiant ses chiens à une personne manifestement incapable de les maîtriser, le fils a violé fautivement son devoir de diligence.
La réalisation de la position de garant du père découle quant à elle des circonstances, puisqu’il a accepté de surveiller les chiens de son fils durant l’absence de celui-ci et qu’il avait la maîtrise de fait sur les animaux confiés, ce qui lui imposait de prendre, lui aussi, les mesures nécessaires et utiles à éviter un accident. Dès lors qu’il savait que l’ouvrier reviendrait après sa pause, il devait prendre les mesures propres à empêcher les chiens de se trouver au contact de l'intimé, ce qui impliquait à tout le moins de verrouiller le portail intermédiaire, ce qu'il a omis de faire.
Le TF rejette par ailleurs l’argument d’une rupture du lien de causalité adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions corporelles de la victime au motif que l’électricien aurait fait preuve d'imprudence au moment de son retour sur la propriété et que son comportement était volontaire. Compte tenu du fait que les chiens étaient demeurés enfermés jusqu’à la pause de midi, il n’y avait rien d’inhabituel à ce que la victime, après avoir sonné, entreprenne de franchir le portail principal, alors qu’il avait travaillé tout le matin sur la propriété et fait librement des allers-retours entre le jardin et l’extérieur. A ce propos, le TF a encore rappelé que la cour cantonale n’avait pas établi que l'intimé aurait fait fi des instructions du père.
Ainsi, après avoir confirmé la qualification de lésions corporelles graves, le TF a rejeté les recours du père et du fils.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne
TF 1C_195/2023 du 27 septembre 2023
Responsabilité aquilienne; LAVI, dommage matériel, tort moral; Art. 41, 46 al. 1, 47 et 49 CO; 19, 22 et 23 LAVI; 14 CEDH
Le TF rappelle que la notion de dommage selon la LAVI correspond de manière générale à celle du droit de la responsabilité civile. Il peut ainsi être renvoyé aux principes prévus par les art. 46 al. 1 CO en cas de lésions corporelles, auquel l’art. 19 al. 2 LAVI fait d’ailleurs expressément référence. Le législateur a cependant choisi de ne pas reprendre en tous points le régime de la responsabilité civile et l’instance LAVI peut donc s’en écarter au besoin. Ainsi, toutes les prétentions résultant des dispositions sur la responsabilité civile ne fondent pas nécessairement le droit à une aide financière au sens de la LAVI. Des solutions spécifiques sont donc possibles, même si des différences en matière de détermination du dommage ne se justifient qu’exceptionnellement, étant précisé que dans tous les cas, lorsqu’une des conditions des art. 41 ss CO fait défaut, une indemnisation LAVI n’est jamais octroyée.
En vertu de l’art. 46 al. 1 CO, la victime de lésions corporelles a droit à la réparation du dommage qui résulte de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l’atteinte portée à son avenir économique ; est déterminante à cet égard la diminution de la capacité de gain. Lors de l’appréciation de ce préjudice, celui-ci doit être rendu suffisamment vraisemblable au regard de toutes les circonstances concrètes entrant en jeu. Cette vraisemblance n’ayant pas été suffisamment démontrée dans le cas d’espèce, le dommage matériel allégué n’a pas lieu d’être indemnisé.
Selon l’art. 22 al. 1 LAVI, la victime a droit à une réparation morale lorsque la gravité de l’atteinte le justifie. Le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l’atteinte (art. 23 al. 1 LAVI). Au regard des particularités de ce système d’indemnisation, le TF confirme que le législateur n’avait pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage. Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d’une allocation « ex aequo et bono ». La collectivité n’est en effet pas responsable des conséquences de l’infraction, mais seulement liée par un devoir d’assistance publique envers la victime. Ainsi, elle n’est pas nécessairement tenue à des prestations aussi étendues que celles exigibles de la part de l’auteur de l’infraction. Si le principe d’un droit subjectif à la réparation morale est ancré dans la LAVI (art. 22 LAVI), le plafonnement de l’indemnisation implique que les montants alloués en vertu de cette loi sont nettement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé. Sans avoir voulu instaurer une réduction systématique et proportionnelle des montants alloués en vertu du droit privé, le législateur a fixé les plafonds environ aux deux tiers des montants de base généralement attribués en droit de la responsabilité civile. La fourchette des montants à disposition est ainsi plus étroite qu’en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves, tels qu’une invalidité à 100%.
L’OFJ a à cet égard établi un guide qui prévoit notamment, des montants allant jusqu’à CHF 8'000.- pour les victimes ayant subi une atteinte grave à leur intégrité sexuelle. Pour des atteintes à l’intégrité physiques « atteintes corporelles non négligeables, en voie de guérison [et des] atteintes de peu de gravité avec circonstances aggravantes » , des montants allant jusqu’à CHF 5'000.- sont prévus. Pour des atteintes à l’intégrité psychique « atteinte à l’intégrité psychique non négligeable même si temporaire avec circonstances aggravantes déterminées par l’acte », ce guide prévoit des montants allant jusqu’à CHF 5'000.-, ainsi que des montants allant de CHF 5'000.- à CHF 15'000.- pour une « atteinte à l’intégrité psychique sévère en raison de circonstances dramatiques avec de lourdes séquelles ».
Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d’application ; toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles constituent une référence permettant d’assurer une certaine égalité de traitement, tant que le CF n’impose pas de tarif en application de l’art. 45 al. 3 LAVI.
Dans le cas d’espèce, force est de constater que l’instance inférieure a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et que l’indemnité fixée se situe dans la fourchette des cas qui peuvent offrir une comparaison avec celui de la victime. Le montant de l’indemnité octroyée, par l’instance précédente, soit CHF 3'000.- dans le cadre d’un cas d’agression sexuelle, est conforme au droit fédéral.
La victime, une travailleuse du sexe, invite encore le TF à constater que l’indemnité qu’elle a reçue à titre de tort moral est symbolique et reflète par conséquent une pratique discriminatoire à l’égard des femmes. Elle considère que la pratique du système LAVI, consistant à octroyer des montants si faibles à titre de tort moral pour les séquelles d’une agression sexuelle, touche principalement les femmes, dans la mesure où elles sont majoritairement victimes de violences sexuelles ; cela constituerait par conséquent une défaillance structurelle qui équivaudrait à une pratique discriminatoire, même si celle-ci ne découle pas de la volonté expresse des autorités.
Le fait que les indemnités octroyées par la LAVI à titre de tort moral soient peu élevées n’est pas constitutif d’une discrimination envers les femmes, telle qu’interdite par l’art. 14 CEDH. Il appert que l’autorité précédente a procédé à un examen de la jurisprudence et des directives pertinentes afin de s’assurer que la somme octroyée corresponde aux indemnités habituellement allouées dans des cas similaires. Au surplus, on ne voit pas en quoi le système instauré par la LAVI en matière d’indemnités pour tort moral, qui est subsidiaire aux autres possibilités d’obtenir réparation à disposition de la victime et qui se rapproche d’une allocation « ex aequo et bono », constituerait une pratique discriminatoire, qui défavoriserait particulièrement les femmes.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève
TF 4A_383/2022 du 25 septembre 2023
Responsabilité de l’employeur; procédure, privilège de recours, employeur, faute, organe, délégation de compétence; art.75 al. 2 LPGA
Une société exploite un entrepôt qu’elle loue. Deux employés de cette société, dont le directeur de l’entrepôt, ont enlevé l’une des six grilles métalliques situées au sol devant un ascenseur, afin de la nettoyer. Sous celle-ci, le propriétaire avait fait poser des panneaux de polystyrène non-porteurs destinés à éviter des courants d’air. Un troisième employé de cette même société a marché accidentellement sur lesdits panneaux, lesquels ont cédé sous son poids. Il a chuté de 4 mètres et a été grièvement blessé. A la suite à l’accident, les assurances sociales (AI et AVS) ont versé des prestations à l’employé lésé. Elles se sont retournées ensuite contre l’employeur. Les tribunaux de première et de seconde instances du canton ont tous deux rejeté l’action, au motif que l’employeur, respectivement ses organes, n’avait pas provoqué l’accident, si bien qu’il n’existait pas de droit de recours contre l’employeur au sens de l’art. 75 al. 2 LPGA. Les assurances recourent au TF.
Le TF examine en premier lieu si l’art. 75 al. 2 LPGA supprime le privilège de recours uniquement lorsqu’un organe de l’employeur a provoqué l’accident intentionnellement ou par négligence grave, ou si ce privilège tombe également lorsque le reproche de négligence grave ou de dol est formulé à l’encontre d’un auxiliaire. Le TF rappelle qu’avec l’introduction de l’art. 75 al. 2 LPGA, le privilège de responsabilité (prévu par l’ancien art. 44 al. 2 LAA) a disparu, laissant place au privilège de recours. S’il s’applique, cela signifie que les assureurs sociaux doivent fournir les prestations légales, sans pouvoir se retourner contre l’employeur. Si le législateur avait voulu limiter l’étendue du privilège également en ce qui concerne les prestations des assureurs sociaux, il n’aurait pas simplement remplacé le privilège de responsabilité et de recours par un simple privilège de recours, mais il aurait limité celui-ci dans son libellé par rapport au privilège de responsabilité, par exemple en mentionnant expressément les auxiliaires de l’employeur (cf. par exemple art. 58 al. 4 LCR). En édictant l’art. 75 al. 2 LPGA, le législateur a délibérément proposé de remplacer les privilèges de responsabilité par des privilèges de recours. Si, à cette occasion, il avait envisagé d’élargir le cercle des personnes exclues du privilège lorsqu’elles ont provoqué le cas d’assurance intentionnellement ou par négligence grave, en s’écartant de la jurisprudence alors en vigueur et dans le sens d’une prise en compte de la faute de simples auxiliaires, cela aurait été expressément mentionné, d’autant plus que le législateur était parfaitement conscient du fait que certains auteurs remettaient même en question le privilège de recours et proposaient l’abolition pure et simple de tels privilèges (c. 1.3.4).
Le TF examine ensuite le second grief des recourantes, qui soutiennent que l’accident aurait été causé par un organe de fait de l’employeur et éventuellement en vertu d’une délégation des pouvoirs. Les recourantes s’appuient sur une jurisprudence publiée à l’ATF 128 III 76, dans laquelle le TF a considéré que le directeur de l’exploitation était un organe de fait de l’institut agricole qui l’employait et qu’un autre salarié, à qui des compétences avaient été déléguées par le directeur de l’exploitation, devenait également un organe en raison de cette délégation, faisant ainsi une interprétation extensive de la notion d’organe. Le TF retient que dans la jurisprudence précitée, le directeur de l’exploitation avait lui-même provoqué la situation dangereuse qui a finalement conduit à l'accident, sans donner les instructions nécessaires et sans assurer une surveillance suffisante. S’il a délégué celle-ci à un collaborateur, cela ne change rien au fait qu'il était responsable de la situation dangereuse. Il ne pouvait pas se soustraire à cette responsabilité par le biais d’une délégation. Cela ne signifie cependant pas que tout collaborateur qui agit dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées doit être considéré comme un organe de l'employeur en vertu de la délégation (c. 2.3.1).
En outre, le TF relève que la situation du directeur de l’entrepôt, dans le cas d’espèce, n’est pas comparable à celle du directeur de l’exploitation, dans la jurisprudence précitée, lequel était responsable de toute une unité autonome. Il ne s’agissait donc pas d’une personne qui exerçait une tâche plus ou moins étroitement définie au sein de cette unité, comme c'était le cas du directeur de l’entrepôt (c. 2.3.2).
Enfin, le TF retient que le directeur de l’entrepôt ne peut pas non plus être considéré comme un organe de l’employeur sur la base d’une délégation générale de compétence d’un organe formel – soit le directeur général – comme cela a été retenu dans l’ATF 128 III 74. En effet, si le directeur général avait connaissance du projet de nettoyage des grilles, il n’a pas ordonné lui-même l’enlèvement de celles-ci et n’avait même pas conscience qu’il fallait enlever ces grilles pour nettoyer. La manière de procéder au nettoyage n’a jamais fait l’objet de discussions. Le directeur général a ainsi placé cette procédure dans le domaine de compétences du directeur de l’entrepôt. Il n’a donc pas créé lui-même la situation dangereuse et n’a pas non plus délégué une compétence d’organe, si bien que le cas d’espèce ne peut pas être comparé à celui de l'ATF 128 III 76.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne
TF 9C_259/2023 du 18 septembre 2023
Assurance-maladie; Polypragmasie, méthode anova, critères justifiant des coûts plus élevés, dépens; art. 59 al. 1 let b LAMal; 68 al. 3 LTF
Un pédiatre interjette un recours au TF contre un jugement du Tribunal arbitral de Bâle-Campagne le condamnant à la restitution de ses honoraires à hauteur de CHF 877'646.- pour la période allant de 2013 à 2016 et lui adressant un avertissement.
Dans cet arrêt, le TF confirme l’applicabilité de la méthode statistique de l’analyse de la variance (anova) comme méthode de contrôle du caractère économique des prestations médicales LAMal (c. 3.2 et 3.3).
Il procède ensuite à l’examen du caractère économique de l’activité du recourant selon ladite méthode rappelant, dans un premier temps, que la jurisprudence reconnaît comme caractéristiques atypiques d’un cabinet justifiant une moyenne plus élevée des coûts par cas, entre autres, un grand nombre de patients de longue date, un grand nombre de patients âgés, un nombre de visites à domicile supérieur à la moyenne, une très forte proportion de patients étrangers et le fait de ne pas traiter de patients en urgence (c. 5.2).
Dans le cas d’espèce, le TF confirme le jugement cantonal qui considère que le nombre élevé de patients adultes est une particularité du cabinet qui augmente la valeur de tolérance pour un cabinet de pédiatrie (150 points). Il nie d’autres particularités du cabinet augmentant la valeur de tolérance, notamment le nombre élevé de patients atteints de tuberculose ainsi qu’un nombre de patients étrangers élevé, du fait que le recourant maîtrise les langues parlées par une grande partie de ses patients issus de l’immigration (c. 5.6).
Finalement, le TF considère qu’il n’y a pas lieu d’allouer de dépens aux vingt-deux assureurs LAMal intimés. Après avoir rappelé que les assurances qui garantissent l'assurance obligatoire des soins sont des organisations chargées de tâches de droit public au sens de l'art. 68 al. 3 LTF, il relève qu’il ne se justifie plus de s’en tenir à la jurisprudence publiée qui dérogeait à l’art. 68 al. 3 LTF. Notre Haute Cour considère ainsi que la complexité des questions juridiques qui se posent et une éventuelle surcharge des organisations chargées de tâches publiques ne suffisent plus à justifier une dérogation à l'art. 68 al. 3 LTF (c. 7).
Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat
TF 4A_279/2023 du 14 septembre 2023
Assurances privées; indemnités journalières maladie LCA, faillite, prétentions frauduleuses; art. 40 LCA
En raison d’une incapacité de travail, un assuré perçoit des indemnités journalières perte de gain maladie LCA. A la suite d’une surveillance, l’assureur constate que ses capacités physiques, notamment sa mobilité, sont nettement meilleures que celles décrites dans les certificats médicaux qui lui ont été transmis. Invoquant l’art. 40 LCA concernant les prétentions frauduleuses, il met un terme au contrat d’assurance et au versement des indemnités journalières. Le 3 février 2021, l’assureur ouvre action en restitution d’un montant de CHF 47'316,30 correspondant aux indemnités journalières versées à tort, ainsi qu’en paiement d’un montant de CHF 7'914,25 relatif aux frais de surveillance. L’assuré conclut au rejet de la demande et, à titre reconventionnel, au paiement du solde des indemnités journalières à hauteur de CHF 24'881,90. Le 28 avril 2022, une procédure de faillite est ouverte à l’encontre de l’assuré. En date du 12 octobre 2022, l’administration de la faillite reconnait la créance de l’assureur en la cataloguant en 3e classe. Par décision du 26 avril 2023, le tribunal cantonal procède, compte tenu de la reconnaissance précitée, à la radiation de la cause du rôle et condamne l’assuré à verser des intérêts sur les sommes réclamées par l’assureur. La demande reconventionnelle est, quant à elle, rejetée. Le TF est saisi d’un recours déposé par l’assuré à l’encontre de ce jugement.
Le TF rappelle que, sauf dans les cas d’urgence, les procès civils auxquels le failli est partie et qui influent sur l’état de la masse en faillite sont suspendus (art. 207 al. 1, 1ère phrase LP). Si le procès n’est continué ni par la masse ni par les créanciers autorisés à le faire (art. 260 LP), la prétention produite est considérée comme reconnue et est inscrite de façon définitive à l’état de collocation (art. 63 al. 2 OAOF ; c. 2.2.1). Dans ce cas, la collocation définitive de la créance réclamée en justice rend sans objet la procédure judiciaire dirigée contre le failli, la cause devant être radiée du rôle.
A l’appui de son recours, l’assuré requiert du TF de clarifier la portée du dispositif cantonal en indiquant que la reconnaissance de la créance par la masse en faillite n’a d’effets qu’en application de l’art. 64 al. 1 OAOF et ne constitue pas une reconnaissance de dette au sens de l’art. 82 LP. Il soutient ainsi que la décision rendue par l’instance cantonale constituerait en réalité un titre à la mainlevée définitive portant sur une somme que lui-même n’avait pas reconnue (c. 2.4). Le TF écarte le grief en relevant que l’instance cantonale n’a pas condamné le recourant au paiement des sommes réclamées par l’assureur, mais a fixé le point de départ des intérêts compte tenu, vraisemblablement, de l’imprécision de l’action en paiement (les intérêts ayant été réclamés « seit wann rechtens » par l’assureur). Les juges fédéraux rappellent, en outre, qu’il n’appartient pas au TF d’interpréter le dispositif d’un jugement cantonal, pas plus que de préciser les conséquences de l’inscription de la créance à l’état de collocation au sens de l’art. 63 al. 2 OAOF (c. 2.5).
Dans un second moyen, le recourant critiquait l’application de l’art. 40 LCA et le rejet de sa demande reconventionnelle. Les juges fédéraux précisent que les conditions de l’art. 40 LCA étaient remplies dans le cas d’espèce, et rappellent ainsi qu’il importe peu de savoir que les prestations d'assurance avaient été versées par l’assureur sur la base d'attestations médicales et non directement sur des déclarations faites par l’assuré à l’assureur. En effet, les médecins dépendent largement des informations fournies par leurs patients (c. 3.2.3). Or, le recourant avait fourni des informations incorrectes à ses médecins traitants concernant ses limitations médicales. Son intention était ainsi de continuer à percevoir des indemnités journalières sur la base d'une incapacité totale de travail. Les conditions de l'article 40 LCA étaient dès lors remplies et le recours est rejeté (c. 3.2.2 et 3.2.3).
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains
TF 8C_610/2022 du 13 septembre 2023
Assurance-chômage; gain assuré, taux de placement, gain intermédiaire; art. 23 et 24 LACI; 41a OACI
Engagé à 50% en qualité de joueur de hockey professionnel pour un revenu de CHF 100’000.- par an, un assuré travaillait en sus à 50% pour un salaire de CHF 26’325.- par an. Ayant démissionné de ce dernier emploi, il a sollicité l’indemnisation de sa perte de gain auprès de la caisse de chômage, indiquant qu’il cherchait désormais une activité à 40%. La caisse de chômage a refusé d’allouer ses prestations au motif que l’assuré ne subissait aucune perte de gain. Saisi d’un recours de l’assuré, le TF a confirmé le refus du droit aux prestations.
Est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS qui est obtenu normalement au cours d’un ou de plusieurs rapports de travail durant une période de référence, y compris les allocations régulièrement versées et convenues contractuellement, dans la mesure où elles ne sont pas des indemnités pour inconvénients liés à l’exécution du travail (art. 23 al. 1, 1re phrase, LACI). Le gain assuré doit encore être adapté au « taux de placement », respectivement à la disponibilité de la personne assurée sur le marché du travail, et éventuellement réduit en conséquence (c. 3.3).
Selon l’art. 24 al. 1 LACI, est réputé intermédiaire tout gain que le chômeur retire d’une activité salariée ou indépendante durant une période de contrôle. La personne assurée qui perçoit un gain intermédiaire a droit à la compensation de la perte de gain. Est réputée perte de gain la différence entre le gain assuré et le gain intermédiaire, ce dernier devant être conforme, pour le travail effectué, aux usages professionnels et locaux (art. 24 al. 3 LACI). Selon l’art. 41a al. 1 OACI, lorsque la personne assurée réalise un revenu inférieur à son indemnité de chômage, il a droit à des indemnités compensatoires pendant le délai-cadre d’indemnisation (c. 3.4).
Selon l’art. 16 al. 2 let. i LACI, n’est pas réputé convenable tout travail qui procure à la personne assurée une rémunération qui est inférieure à 70% du gain assuré, sauf si celle-ci touche des indemnités compensatoires conformément à l’art. 24 (gain intermédiaire). La jurisprudence a précisé que tant qu’une personne assurée a droit à des indemnités compensatoires en vertu de l’art. 24 al. 4 LACI, le seuil du travail convenable se situe à 70% ou 80% du gain assuré (selon le taux d’indemnisation applicable). Pour déterminer si la limite de 70% ou 80% du gain assuré est atteinte (seuil réputé convenable), il faut prendre en compte les revenus de tous les rapports de travail. Les revenus de plusieurs activités exercées à temps partiel sont ainsi cumulés pour l’examen de la prétention à la compensation de la perte de gain. Une prétention aux indemnités compensatoires n’existe que si le revenu global de la personne assurée demeure inférieur à l’indemnité de chômage à laquelle elle pourrait prétendre (ATF 127 V 479 c. 4a). Il s’ensuit qu’une perte de gain ne dépassant pas 20% ou 30% du gain assuré n’ouvre pas droit à l’indemnité puisqu’elle reste dans les normes du travail convenable selon l’art. 16 LACI (c. 5.3).
Il découle de ce qui précède que si une personne assurée a perdu l’un de ses emplois à temps partiel et continue d’exercer une ou plusieurs autre(s) activité(s) à temps partiel, il convient, pour déterminer si elle a droit à l’indemnisation de sa perte de gain, de comparer le revenu mensuel brut qu’elle réalise malgré son chômage partiel (revenu provenant d’une ou de plusieurs autres activités à temps partiel) avec l’indemnité de chômage à laquelle elle aurait droit si elle n’était pas au chômage partiel mais si elle était totalement sans emploi (c. 5.4).
En l’espèce, le revenu mensuel brut réalisé par le recourant dans son activité de hockeyeur est de CHF 8'333,33, ce qui correspond à un gain journalier brut de CHF 384.- (CHF 8'333,33/21,7). Quant à l’indemnité journalière que toucherait le recourant en cas de chômage complet dans les limites de sa disponibilité, il est obtenu en multipliant le gain assuré (total réalisé par le recourant dans ses deux activités à temps partiel) de CHF 10'527.- par 70% ou 80% (selon le taux d’indemnisation entrant en ligne de compte en l’espèce ; art. 22 LACI) puis en divisant le montant obtenu par 21,7 (art. 40a OACI). Il convient encore de réduire ce montant au prorata du taux de placement global du recourant, à savoir 90% (50% dans l’activité de hockeyeur + 40% dans une nouvelle activité), ce qui donne une indemnité journalière de CHF 349,30 par jour (90% x [80% x CHF 10'527.-] / 21,7) pour un taux d’indemnisation de 80% (art. 22 al. 1 LACI), respectivement de CHF 305,60 par jour (90% x [70% x CHF 10'527.-]/21,7) pour un taux d’indemnisation de 70% (art. 22 al. 2 LACI).
Dès lors que le gain journalier brut du recourant dans son activité de hockeyeur (CHF 384.-) est supérieur à l’indemnité journalière qu’il percevrait en cas de chômage complet (CHF 349,30), l’activité encore exercée à temps partiel est réputée convenable eu égard au salaire perçu et il n’y a dès lors pas de place pour la prise en considération d’un gain intermédiaire, respectivement pour la compensation de sa perte de gain (art. 24 LACI).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne
TF 4A_32/2023 du 31 août 2023
Responsabilité aquilienne; procédure, fardeau de l’allégation du dommage, devoir de motiver l’appel et le recours au TF; art. 8 CC; 311 CPC
La recourante, entreprise fabriquant et vendant des boîtes de montres, a prétendu avoir subi un dommage de CHF 63'004.- lors d’une interruption de sa production due à une coupure de courant électrique. Selon elle, la responsabilité en incombait à l’entreprise de construction chargée de déplacer deux conduites électriques, qui ne les avait pas enfouies assez profondément ou protégées notamment par des plaques métalliques. En effet, le paysagiste occupé à des travaux de jardin avait endommagé l’une des conduites entraînant une coupure de courant de 35 minutes. Une expertise a confirmé que les conduites auraient dû être enfouies plus profondément ou protégées par la pose de plaques métalliques pour prévenir des dommages mécaniques.
Le juge de première instance a rejeté l’action en responsabilité de la demanderesse-recourante. Elle a exclu la responsabilité de l’entreprise de construction parce que cette dernière n’était que simple exécutante des travaux, sans pouvoir décisionnel. En effet, après avoir averti la société exploitante et propriétaire des conduites qu’il fallait enfouir les conduites plus profondément qu’elles ne l’étaient en l’état ou les protéger, l’entreprise de construction n’avait fait que s’en tenir aux instructions de la société en question qui avait refusé d’agir selon ses conseils. Il n’y avait donc pas de faute de la part de l’entreprise de construction. Le juge de première instance n’a pas examiné les autres conditions de la responsabilité dont celle de dommage, vu que la condition de la faute faisait défaut.
L’appel de la recourante a été rejeté, par substitution de motif : la cour cantonale a exclu que la défenderesse ait commis un acte illicite, pour les mêmes raisons que celles retenues par le juge de première instance. Examinant encore la condition du dommage, la cour cantonale a estimé que l’appel n’était pas suffisamment motivé sur ce point (art. 311 CPC) et le dommage insuffisamment allégué : même si le juge de première instance ne s’était pas prononcée sur la question du dommage, dans son appel, la demanderesse s’était contentée de renvoyer aux arguments présentés et aux pièces produites en première instance ou figurant au dossier, ne satisfaisant ni à son devoir de motivation de l’appel, ni à son devoir d’alléguer le dommage, alors que le dommage était contesté par la demanderesse.
Saisi d’un recours portant sur les deux conditions (acte illicite et dommage), le TF a déclaré le recours de la demanderesse irrecevable : par-devant le TF, la recourante n’avait pas démontré que la cour cantonale avait violé le droit en retenant une violation de l’art. 311 CPC et un défaut d’allégation s’agissant du dommage. Elle s’était limitée à affirmer que le dommage avait été exposé et explicité avec offre d’expertise rejetée et qu’on ne pouvait lui faire le reproche de ne pas avoir motivé son appel conformément à l’art. 311 CPC, vu que le juge de première instance n’avait pas tranché la question du dommage et rejeté son expertise tendant à prouver ledit dommage que contestait la défenderesse. Sur le fond, le TF a ajouté que bien que la cour cantonale ait mêlé exigence de motivation de l’appel découlant de l’art. 311 CPC et devoir d’alléguer le dommage découlant du droit matériel, il résultait de sa motivation qu’elle considérait que la demanderesse n’avait consacré à son dommage et à sa quotité que des allégués insuffisants. Or, pour faire partie du cadre du procès, cette condition du dommage devait avoir été alléguée, le demandeur supportant le fardeau de l’allégation objectif conformément à l’art. 8 CC et la charge de la motivation suffisante. Les allégués relatifs ne permettaient pas une administration des preuves, par expertise ou par témoignage, de sorte que c’est avec raison que la cour cantonale avait rejeté l’action de la demanderesse faute d’allégation suffisante. Un renvoi de la cause à la première instance était ainsi superflu.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg
TF 8C_662/2022 du 25 août 2023
Assurance-accidents; troubles psychiques, causalité adéquate, accident grave ou de gravité moyenne, circonstances particulièrement dramatiques; art. 4 LPGA; 6 LAA
Une agression violente subie en pleine nuit, à l’occasion de laquelle l’assurée et ses amies ont été frappées violemment par plusieurs hommes, l’une des femmes restant inconsciente au sol et devant par la suite être plongée dans le coma et subir différentes interventions, l’assurée elle-même présentant d’importantes blessures à la tête, est un accident de gravité moyenne ou grave. La délimitation n’est en l’espèce par nécessaire, car le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du critère particulièrement impressionnant de l’événement s’est ici manifesté avec une intensité particulière, de sorte qu’il suffit, à lui seul, à faire admettre la causalité adéquate entre l’agression et les troubles psychiques réactionnels dont souffre l’assurée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 8C_646/2022 du 23 août 2023
Assurance-accidents; assurance facultative, accident survenu après l’âge ordinaire de la retraite, rente d’invalidité, interprétation du contrat, principe de la bonne foi; art. 4, 5 et 18 al. 1 LAA; 136 OLAA
Le litige porte sur l’interprétation d’un contrat d’assurance-accidents facultative alors que l’assureur-accidents avait transmis par erreur le renouvellement automatique d’une police fixant expressément le montant de la rente d’invalidité, alors même que l’assurée, née en 1946, avait déjà largement passé l’âge ordinaire de la retraite, ce qui excluait d’emblée tout droit à une rente d’invalidité en cas d’accident. La cour cantonale avait préalablement débouté l’assurée en vertu de l’art. 18 al. 1 LAA, applicable par analogie conformément à l’art. 5 al. 1 LAA, qui exclut cette prestation pour les accidents survenant après l’âge de la retraite.
Dans un premier temps, le TF se penche sur la question de savoir si une dérogation à l’art. 18 al. 1 LAA est possible dans le cadre d’un contrat d’assurance-accidents facultative (c. 4.6). Le TF retient que le droit à une rente d’invalidité pour les accidents survenant après l’âge ordinaire de la retraite a été supprimé – avec l’entrée en vigueur au 1er janvier 2017 – pour éviter toute surindemnisation (c. 4.6.2). En outre, le TF souligne qu’admettre un droit à une rente d’invalidité en faveur des personnes assurées facultativement en cas d’accident au-delà de l’âge ordinaire de la retraite – en dérogation de l’art. 18 al. 1 in fine LAA – reviendrait à procurer un avantage aux assurées soumis au régime facultatif (c. 4.6.3). Par conséquent, le TF retient que le contrat liant les parties doit être interprété conformément à cette disposition légale à laquelle il ne peut être dérogé (c. 4.7).
Dans un second temps, le TF se penche sur la question de savoir si l’octroi d’une rente d’invalidité est possible sur la base des principes relatifs à la protection de la bonne foi (c. 4.7). Le TF rappelle les conditions de l’art. 27 LPGA et le principe de la bonne foi découlant directement de l’art. 9 Cst., valant pour l’ensemble de l’activité étatique. Ce principe protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronée de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (2) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) que l’administré se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, (5) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée et (6) que l’intérêt à l’application du droit n’apparaisse pas prépondérant.
Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (3) devant toutefois être formulée de la façon suivante : que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (c. 5.1). En l’espèce, la recourante soutient que les juges cantonaux ont évalué le dommage de manière incorrecte en ne prenant en compte que les mesures « actives » qu’elle aurait pu prendre, mais elle aurait aussi adopté un comportement passif préjudiciable à ses intérêts en ne cherchant pas d’autres sources de revenus ou d’autres couvertures d’assurance (c. 5.3). Le TF estime que ce grief est mal fondé et explique que la recourante n’a pas prouvé avoir subi un préjudice spécifique en se basant sur les informations incorrectes, ce qui a été retenu à juste titre par les premiers juges. Le TF estime également qu’il est peu probable qu’elle aurait pu prendre des mesures significatives pour couvrir un éventuel préjudice (c. 5.4). Au vu des éléments qui précèdent et en raison de l’absence de preuves de préjudice, le TF rejette le recours de la recourante (c. 6).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne
TF 9C_511 et 516/2022 du 23 août 2023
Assurance-invalidité; infirmité congénitale, mesures médicales, soins de base; art. 13 ss aLAI
Une enfant atteinte d’infirmités congénitales séjourne une partie du temps dans une école spécialisée, non pas pour des raisons médicales, mais essentiellement afin de décharger sa famille. Elle y bénéficie de soins de base fournis par une OSAD, soins qui sont, le reste du temps, fournis par les parents. Le TF confirme qu’il ne s’agit pas d’une mesure médicale au sens de l’art. 14 aLAI.
Cette affaire n’avait pas pour objet les soins de base fournis par les parents eux-mêmes, notamment par la mère, infirmière diplômée. Dans un obiter dictum (c. 7.3), le TF rappelle que ces soins, respectivement la décharge des parents par une OSAD, peuvent, respectivement doivent, être compensés dans le cadre de l’allocation pour impotent et du supplément pour soins intenses, et ne sont pas des mesures médicales au sens de l’art. 14 aLAI.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 5A_86/2023 du 22 août 2023
Responsabilité du propriétaire foncier; rapports de voisinage, immissions (moustiques), devoir d’allégation, nécessité de l’expertise; art. 684 CC; 55 CPC
Des propriétaires d’étage disposent chacun d’une terrasse sur le toit. L’un d’eux a aménagé sur sa terrasse un bassin de plus de 4m2 qui, selon les propriétaires de la terrasse voisine, est à l’origine d’une présence accrue de moustiques. Ceux-ci demandent l’enlèvement du bassin, subsidiairement une indemnité correspondant à la diminution de la valeur vénale de leur bien, ainsi qu’une indemnisation pour la perte de la possibilité de jouir de leur terrasse. Déboutés en première et en seconde instances, ils saisissent le TF.
Après avoir rappelé la notion d’atteinte excessive au sens de l’art. 684 CC (c. 3.1), le TF confirme que la présence d’insectes peut constituer une telle atteinte (c. 3.2). Le débat porte en réalité sur le devoir d’allégation et de preuve des immissions, ainsi que sur la preuve du lien de causalité entre le bassin et la présence de moustiques. Sur la première question, l’instance précédente reprochait aux recourants de n’avoir pas allégué qu’ils auraient été attaqués ou piqués par les moustiques lorsqu’ils séjournaient sur leur propre terrasse ; ils n’auraient pas non plus étayé ce qu’ils entendaient par une « énorme nuée de moustiques », ni indiqué à quels moments et dans quelles périodes lesdits moustiques étaient apparus à chaque fois ainsi que la durée de la présence de ces insectes sur leur terrasse (c. 5.3.1). Le TF estime que les exigences posées par la cour cantonale sont excessives. On ne voit pas pourquoi ils auraient dû prétendre avoir été piqués : cette question peut être prise en compte dans la pesée des intérêts nécessaire lors de l’examen de l’art. 684 CC ; elle ne peut en revanche pas conduire à ce qu’aucun examen matériel des nuisances alléguées n’ait lieu. A cet égard, les recourants avaient allégué la présence de nuées de moustiques en précisant la température et les heures auxquelles ceux-ci apparaissaient. Dans un mouvement d’humeur (et d’humour), le TF relève que « wenn die Vorinstanz darauf hinaus will, die Beschwerdeführer hätten die einzelnen Mücken zählen müssen, kann dem jedenfalls nicht gefolgt werden » (c. 5.3.2). S’agissant de la preuve du lien de causalité, l’instance cantonale avait écarté la demande d’expertise des recourants, au motif que ceux-ci n’avaient pas apporté la démonstration que l’avis d’un spécialiste pourrait démontrer que les insectes issus de larves se trouvant dans le bassin seraient exclusivement ou principalement responsables de la prolifération des moustiques sur leur propre terrasse (c. 6.2.1). Le TF rejette cet argument, au motif que cette question relève précisément de la compétence de l’expert et non de celle des parties. C’est donc à tort que la cour cantonale avait rejeté la requête d’expertise dans le cadre de l’appréciation anticipée des preuves (c. 6.2.2 à 6.2.8). La cause est donc renvoyée au tribunal cantonal pour nouvelle décision.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg
TF 4A_206/2023 du 17 août 2023
Assurances privées; exclusion de couverture, interprétation de la clause de sanction, principe de la confiance; art. 18 CO
Une société cotée en bourse a été victime d’une cyberattaque bien connue qui consiste à crypter les fichiers, notamment les données clients, de sorte que ces fichiers ne peuvent plus être lus. Seul le code de décryptage, connu des cyberattaquants, permet de décrypter les données. En l’espèce, une rançon de 1'500 bitcoins était demandée pour la remise du code de décryptage. Cette rançon a été payée par la société victime de cette attaque (c. A).
La société demande ensuite la couverture de son dommage à son assureur, qui refuse de le couvrir en invoquant une exclusion de couverture. Selon la clause invoquée, l'assurance serait libérée de son obligation de paiement si le paiement de la somme assurée contrevient notamment au droit américain des sanctions. Le paiement de la somme demandée contreviendrait, selon l’assurance, au droit américain des sanctions car l’attaque aurait été proférée par des cyberattaquants russes inscrits sur la « Specially Designated Nationals and Blocked Persons-List » (liste SDN) du « U.S. Treasury Department’s Office of Foreign Assets Controls » (OFAC) (c A). La liste SDN contient des entreprises, des organisations et des individus qui ont été identifiés comme constituant une menace pour la sécurité nationale et la politique étrangère et économique des États-Unis. Leurs avoirs sont bloqués et il est généralement interdit aux ressortissants américains de traiter avec eux (https://ofac.treasury.gov/specially-designated-nationals-list-data-formats-data-schemas).
Le Handelsgericht de Zurich admet la demande en paiement déposée par la société en raison du fait qu’il serait hautement improbable que l’assureur soit sanctionné par l’OFAC en cas de paiement de la somme assurée. Cela rendrait la clause de sanction inapplicable. En effet, l’assureur n’est pas parvenu à prouver que l’attaque était le fait des cyberattaquants russes inscrits sur la liste américaine précitée et que cette société aurait profité financièrement de l’attaque (c. B). L’assureur dépose un recours en matière civile au TF à l’encontre du jugement du « Handelsgericht » de Zurich (c. C).
Le recours est rejeté par le TF qui confirme l’appréciation du tribunal zurichois. En effet, l’assurance n’a pas été en mesure de prouver que les cyberattaquants russes, sanctionnés par le gouvernement américain étaient les auteurs de la cyberattaque contre la société ou qu’ils en ont profité. Il manque donc un point de rattachement au droit américain des sanctions. Une sanction de l’assurance en cas de versement de la somme assurée à la société pour violation du droit américain des sanctions est hautement improbable. Le TF confirme ainsi que la clause de sanction invoquée par l’assurance ne s’applique pas (c. 5). De plus, il interprète la clause de sanction et considère qu’il faut un risque de sanction pour violation du droit américain des sanctions, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (c. 6). A cela s’ajoute que le simple fait que le logiciel utilisé proviendrait des cyberattaquants russes inscrits sur la liste SDN ne suffit pas à prouver l’existence d’un lien entre les cyberattaquants russes et la cyberattaque contre la société, ce qui serait insuffisant pour appliquer la clause de sanction (c. 7.1.1. et 7.1.4.). Pour finir, le TF relève que l’assurance ne peut pas se plaindre du fait qu’un droit étranger, soit le droit américain en l’espèce, n’a pas été correctement appliqué (art. 96 let. b LTF). Seul l’arbitraire et la violation de l’art. 9 Cst. dans son application peuvent être invoqués (c. 7.2.1.).
Note : Il s’agit, à notre connaissance, du premier arrêt du TF relatif au paiement d’une rançon suite à une cyberattaque dans le domaine du droit des assurances privées.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne
TF 6B_1310/2021 du 15 août 2023
Responsabilité aquilienne; procédure, action civile par adhésion à la procédure pénale, conclusions civiles et prétentions contractuelles; art. 119, 122 et 126 CPP; 41 à 46 CO
Le TF rappelle en premier lieu les conditions auxquelles des prétentions civiles peuvent être octroyées sur la base d’un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, nonobstant un verdict d’acquittement. Il précise alors la portée de l’art. 126 al. 1 let. b CPP, en disant que si l’acquittement résulte de motifs juridiques, c’est-à-dire en cas de non-réalisation d’un élément constitutif de l’infraction, les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut et les conclusions civiles doivent être rejetées. Le juge pénal peut néanmoins statuer sur les conclusions civiles, malgré un acquittement, lorsque l’élément constitutif subjectif de l’infraction fait défaut mais que le comportement reproché au prévenu constitue un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, tel est par exemple le cas lorsque la culpabilité fait défaut en raison de l’irresponsabilité du prévenu au sens de l’art. 19 al. 1 CP.
En l’espèce, il ressort de l’arrêt attaqué que la cour cantonale a acquitté le recourant en raison de la non-réalisation des éléments constitutifs tant objectif que subjectif des infractions d’abus de confiance et d’escroquerie. L’acquittement prononcé résulte donc de motifs juridiques, en particulier de la non-réalisation d’éléments constitutifs objectifs des art. 138 ch. 1 al. 2 et 146 al. 1 CP. La cour cantonale ne pouvait pas conclure, à la fois, qu’aucune utilisation illicite des avoirs confiés ne pouvait être reprochée au recourant, puis constater une appropriation par celui-ci des fonds prêtés en violation de ses pouvoirs pour fonder une responsabilité civile au sens de l’art. 41 CO. Il s’ensuit que les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut.
En second lieu, le TF tranche la question de savoir si des prétentions contractuelles, in casu découlant d’un contrat de prêt, peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale. En procédant aux interprétations littérales, téléologiques et systématiques de l’art. 122 al. 1 CPP, le TF considère que la notion de conclusions civiles ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui peuvent se déduire d’une infraction pénale, ce qui n’est pas le cas des prétentions contractuelles. Ainsi, ces prétentions ne peuvent pas faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale et sont donc exclues du champ d’application de l’art. 122 al. 1 CPP. Pour de telles prétentions, la partie plaignante doit donc être renvoyée à agir par la voie civile.
En condamnant le recourant à verser les intérêts dus sur la base du contrat de prêt, la cour cantonale a statué sur des prétentions fondées sur un contrat. Or de telles prétentions ne peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale au sens de l’art. 122 al. 1 CPP.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève
TF 8C_113/2023 du 12 août 2023
Moyens auxiliaires, monte-escaliers; art. 8 et 14 CEDH; 8 al. 3 let. d et 21 al. 1 et 2 LAI; 14 RAI; ch. 14.05 OMAI
L’assuré, né en 1989, souffre d’un trouble moteur spastique. Sa demande porte sur la modernisation du lift d’escalier situé dans la maison familiale, étant relevé que depuis quelques années il vit dans un home, mais visite parfois ses parents. L’assuré argue qui lui est désormais impossible de séjourner dans la maison de ses parents, sans adaptation de ce lift pour l’escalier.
Le présent litige porte ainsi sur le droit de l’assuré à des moyens auxiliaires en général (art. 8 al. 3 let. d, art. 21 al. 1 et 2 LAI ; art. 14 RAI). Le 1er juillet 2020 est entrée en vigueur la nouvelle mouture de l’ordonnance du DFI sur les moyens auxiliaires de l’AI (OMAI ; RS 831.232.51). Plus particulièrement, les mesures et moyens visés dans le cas présent cas tombent sous le chiffre 14.05 de l’annexe à l’OMAI, étant cependant relevé que la prise en charge de cette mesure ou de ce moyen (concernant les lifts ou monte-rampes d’escalier) est en principe exclue pour les personnes vivant dans un home. De l’avis de l’OFAS, il s’agit cependant d’un cas limite, car il ne porte pas sur l’octroi d’un nouveau moyen auxiliaire, mais uniquement sur la modernisation d’un tel moyen octroyé il y a plus de 25 ans. Le recourant a par ailleurs rendu vraisemblable qu’il ne pouvait pas, sans cette adaptation du lift, visiter ses parents, respectivement y passer la nuit dans leur demeure ou se rendre aux toilettes. Le lien avec ses parents est par ailleurs un contact essentiel pour l’assuré.
Le TF considère quant à lui que dans une telle situation, il n’est pas impossible que le recourant puisse invoquer une violation de son droit à la vie de famille (art. 8 CEDH) et, éventuellement, faire valoir une discrimination (art. 14 CEDH) dans ce contexte. Cette question peut cependant rester ouverte en l’état, car le dossier pèche par un manque d’instruction et de détails fournis sur la vie familiale, en particulier concernant le mode de vie de l’assuré avec ses parents et sur la fréquence et la durée de ses visites. De plus, le moyen auxiliaire litigieux devant être adapté dans le cas d’espèce par la voie de la révision, il conviendra d’examiner la nécessité de l’adaptation sous l’angle de l’autonomie de la personne assurée, de la proportionnalité (« Verhältnismässigkeit ») et de l’obligation de diminuer le dommage, d’autant, qu’il n’y a en l’espèce pas de possibilité de reclassement professionnel (c. 3.3).
En raison de ces lacunes dans le dossier, l’affaire, comme le concède d’ailleurs l’OFAS, doit être renvoyée à l’administration pour complément d’instruction.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion
TF 8C_125/2023 du 8 août 2023
Assurance-accidents; notion d’accident, causalité naturelle, état préexistant; art. 4 LPGA; 6 al. 1 LAA
L’assurée, âgée de 58 ans, a mordu dans un caillou alors qu’elle mangeait une salade emballée achetée en supermarché. Une semaine après, son dentiste a tenté de traiter sa dent. Un mois plus tard, il a dû se résoudre à extraire la dent. Le cas a été annoncé à Helsana, assureur LAA. Helsana a toutefois refusé de prendre le cas en charge à défaut de lien de causalité naturelle.
Le TF confirme tout d’abord que le cas doit être qualifié d’accident au sens de la LAA (c. 4). Au niveau de la causalité naturelle, il rappelle qu’une causalité partielle suffit. Encore faut-il que l’élément déclenchant paraisse avoir joué un rôle dans la survenance du sinistre, et non pas être seulement un élément fortuit (c. 5.1). L’analyse de la causalité adéquate se recoupe avec celle de la causalité naturelle. Celle-ci ne devrait être niée que lorsqu’il s’avère que la dent préalablement affaiblie aurait succombé à un acte ordinaire de la vie au même moment si l’accident n’était pas survenu (c. 5.2).
En matière dentaire, il ne suffit pas de dire, pour pouvoir exclure la causalité naturelle, qu’une dent entièrement saine aurait résisté au choc contrairement à une dent préalablement traitée (c. 5.3). En l’occurrence, selon le TF, l’avis du médecin conseil d’Helsana, qui excluait tout lien de causalité compte tenu de l’état antérieur de la dent, ne déployait pas de valeur probante. En effet, même si la dent était abîmée, rien ne laissait supposer qu’elle ne permettait plus de remplir sa fonction ordinaire de mastication. Les spécificités de l’accident n’avaient pas non plus été suffisamment analysées (c. 5.5).
La cause a été renvoyée à Helsana pour mise en place d’une expertise (c. 6).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève
TF 4A_82/2023 du 8 août 2023
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; causalité naturelle, preuve du dommage, expertises judiciaire et privée, valeur probante, appréciation arbitraire des preuves; art.168 CPC; 95, 97 et 105 LTF
Une infirmière en formation subit un accident de la route et se plaint ensuite de douleurs cervicales qui la conduisent à interrompre sa formation d’infirmière, incompatible avec les douleurs. Elle obtient ensuite un diplôme en travail social avec orientation en éducation sociale, avec une activité réduite à 70 % auprès d’une prison vaudoise. Plusieurs rapports et expertises médicales privées et judiciaires, dans le cadre de procédures avec les assureurs sociaux, sont effectués, aboutissant à des conclusions contradictoires sur le lien de causalité naturelle entre les plaintes de la lésée et l’accident. La lésée obtient très partiellement gain de cause en première instance. Elle est intégralement déboutée en appel, les juges considérant qu’elle n’a pas apporté la preuve du lien de causalité entre l’accident et les cervico-scapulalgies chroniques, ni du lien causal entre l’accident et la fin de sa formation en soins infirmiers. Le TF admet un premier recours de la lésée et renvoie la cause à la cour cantonale afin qu’elle rende une nouvelle décision. Il a considéré que les rapports d’expertise mis en œuvre par l’assureur-accidents de la lésée, ne devaient pas être considérés comme des expertises privées mais comme de simples allégations d’une partie. La cour d’appel rend un nouveau jugement admettant largement les prétentions de la lésée. L’assureur RC recourt au TF
Le TF statue sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l’autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d’une violation du droit au sens de l’art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). « Manifestement inexactes » signifie ici « arbitraires ». Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d’influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). En matière d’appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables.
Le juge civil peut utiliser, à titre de preuve, une expertise mise en œuvre par une autre autorité dans une autre procédure (par exemple, une expertise médicale ordonnée par un assureur social). Une telle expertise « extérieure » a valeur probante dans la mesure où le juge civil respecte le droit d’être entendu des parties. L’expertise extérieure est alors dotée de la même valeur probante qu’une expertise ordonnée par le juge civil lui-même. Si l’expertise n’a pas été requise par une autre autorité dans une autre procédure, il s’agit d’une expertise privée. Celle-ci n’est pas un moyen de preuve au sens de l’art. 168 al. 1 CPC, mais doit être assimilée aux allégués de la partie qui la produit.
Lorsque la juridiction cantonale se rallie au résultat d’une expertise, le TF n’admet le grief d’appréciation arbitraire des preuves que si l’expert n’a pas répondu aux questions, si ses conclusions sont contradictoires ou si, de quelque autre manière, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même en l’absence de connaissances ad hoc, qu’il n’était tout simplement pas possible de les ignorer.
L’existence d’un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante. L’allègement se justifie car, en la matière, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de celui qui en supporte le fardeau. La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération.
Le TF a retenu que le raisonnement tenu par les juges cantonaux, reposant sur une série de constatations non étayées par des moyens de preuve et des appréciations manifestement inexactes, a abouti à la conclusion arbitraire selon laquelle il existait un lien de causalité entre l’accident et l’interruption des études d’infirmière par l’intimée. Ainsi, le degré de preuve requis pour retenir l’existence d’un tel lien de causalité – dont l’autorité avait pourtant une juste conception – n’était manifestement pas atteint en l’espèce.
De même il a retenu que la cour cantonale a versé dans l’arbitraire en retenant comme établies une incapacité de travail alléguée de 30 % et une incapacité ménagère de 20 %, dès lors que ces éléments, ressortant exclusivement d’expertises privées, avaient été soigneusement contestés par la recourante et n’étaient étayés par aucune preuve.
Enfin, la cour cantonale a fondé arbitrairement son raisonnement sur des faits non établis, en retenant que l’intéressée présentait une incapacité de gain partielle. La lésée n’a pas offert le moindre moyen de preuve visant à établir une prétendue atteinte à son avenir économique. Elle n’a jamais allégué, ni a fortiori démontré qu’elle serait désavantagée sur le marché du travail car il lui serait plus difficile de trouver et de conserver un emploi avec une rémunération identique, ou que ses douleurs pourraient entraver un changement de profession ou réduire ses chances de promotion. Elle n’a surtout jamais prouvé que son taux d’invalidité médico-théorique était encore supérieur à 10 %, ce qui, selon la jurisprudence, exclut toute atteinte à l’avenir économique.
Le TF a admis dans une large mesure le recours de l’assureur responsabilité civile, le condamnant à payer à l’intimée la somme de CHF 6’799,80.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève
TF 9C_381/2022 du 19 juillet 2023
Prévoyance professionnelle; rente d’invalide LPP, survenance de l’incapacité de travail, lien de connexité temporelle et matérielle; art. 23 et 26a LPP
A. a travaillé jusqu’au 30 septembre 2016 pour la banque E. et a été assurée en conséquence pour la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de pension des Grisons. Depuis le 15 octobre 2018, elle travaillait pour l’administration F. et était, de ce fait, assurée auprès de la caisse de pension glaronnaise. En décembre 2016, une tumeur cérébrale bénigne a été découverte chez A. Celle-ci a été enlevée chirurgicalement le 20 janvier 2017. L’assurance-invalidité a prononcé différentes mesures d’intervention précoce et d’insertion professionnelle, qui se sont déroulées pour l’essentiel entre l’été 2017 et la mi-2018. A partir de juillet 2018, A. était entièrement apte au travail et, depuis le 15 octobre 2018, elle était employée par l’administration F. pour une durée indéterminée. A l’automne 2018, une récidive du méningiome est survenue. Lors de son ablation chirurgicale le 10 décembre 2018, une artère cérébrale a été lésée, entraînant une invalidité et une impotence. Sur recours, le tribunal des assurances du canton de Saint-Gall a alloué à A. une rente entière de l’assurance-invalidité avec effet de juillet 2017 à septembre 2018 ainsi qu’à partir de décembre 2018. La Caisse de pension glaronnaise (ci-après : la recourante) a exclu A. de l’assurance étant donné le maintien provisoire de l’assurance auprès de la caisse de pension des Grisons (art. 26a LPP), avec effet rétroactif au 1er octobre 2018. Le TF a toutefois confirmé qu’il incombait bien à la recourante, et non à la caisse de pension des Grisons, caisse antérieure où était assurée A., de verser des prestations de prévoyance professionnelle, à compter du 10 décembre 2018.
La recourante a tout d’abord fait valoir que la question litigeuse du lien temporel et matériel doit être tranchée sur la base des constatations contraignantes effectuées dans le cadre de la procédure AI. Dans cette procédure, et dans le cadre de l’application de l’art. 29bis RAI, le Tribunal des assurances du canton de Saint-Gall a retenu que l’incapacité de travail survenue le 10 décembre 2018, à la suite de l’ablation chirurgicale, était « suffisamment imputable à la même affection », soit à la tumeur cérébrale découverte en décembre 2016 (c. 2.2.2). Le TF a toutefois indiqué qu’en raison des différentes règles édictées par les art 29bis RAI et 23 LPP, la recourante n’était pas liée par les constatations spécifiques à l’AI qui retenait que l’incapacité de travail jusqu’en juin 2018 et celle développée à partir du 10 décembre 2018 étaient imputables à la même affection (c. 2.2.5).
S’agissant du lien de connexité étroit au sens de l’art. 23 let. a LPP, la question à examiner était celle de savoir si les états de santé à comparer (incapacité existante depuis 2016 et atteinte invalidante survenue à la suite de l’opération du 10 décembre 2018) avaient un lien matériel étroit entre elles. Le TF a considéré, contrairement à ce que soutenait la recourante, que les conséquences de l’opération n’étaient pas liées à l’ancienne affection et que l’incapacité de travail survenue après le 10 décembre 2018 constituait le point de départ de l’incapacité de travail au sens de l’art. 23 let. a LPP, de sorte que l’institution de prévoyance à qui incombait l’obligation de verser des prestations était celle auprès de qui A. était assurée au moment de l’opération, soit la recourante (c. 2.3.4 et 3).
S’agissant de l’application de l’art. 26a LPP, le TF a exposé que cette disposition s’appliquait notamment lorsque la diminution du degré d’invalidité entrainant la réduction ou la surpression de la rente était l’effet d’une mesure de réadaptation au sens de l’art. 8a LAI (c. 3.3). Dans le cas d’espèce, le TF a retenu que les mesures mises en place en faveur de A. l’avaient été pour adapter son emploi à son état de santé postopératoire, de sorte que, selon le TF, les conditions de l’art. 26a LPP n’étaient pas remplies. Partant, le TF a considéré que la recourante n’était pas en mesure de résilier rétroactivement son rapport de prévoyance d’avec A. en se référant au l’art. 26a LPP, confirmant que la recourante était tenue d’allouer les prestations de prévoyance dès l’engagement de A. auprès de l’administration F. en octobre 2018 (c. 3.4 et 3.5).
Finalement, la recourante contestait devoir des intérêts moratoires dès lors qu’elle estimait être en demeure du paiement des rentes de prévoyance professionnelle uniquement lorsque A. lui aurait transmis une déclaration de céder ses créances contre des tiers responsables (c. 5.1). Le TF a toutefois relevé qu’il n’existait « absolument aucune raison » de faire dépendre l’échéance de prestations de prévoyance à la cession ou déclaration de cession des droits d’un assuré, précisant que les prestations légalement dues par les assurances de prévoyances professionnelles étaient exigibles sans aucune réserve et que le cours des intérêts était déclenché en conséquence (c. 5.2 et 5.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne
TF 6B_64/2023 du 14 juillet 2023
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, faute, prescription, dies a quo; art.97, 98 et 117 CP
Le début de la prescription coïncide, en matière d’infractions contre la vie ou l’intégrité corporelle par négligence, avec le moment où l’auteur a agi contrairement à ses devoirs de prudence ou, en cas de délit d’omission improprement dit, à partir du moment où le garant aurait dû agir ; si ce devoir est durable, à partir du moment où les obligations du garant prennent fin. La distinction entre une infraction de commission et une infraction d’omission improprement dite n’est pas toujours aisée : faut-il reprocher à l’auteur d’avoir agi comme il ne devait pas le faire ou d’avoir omis d’agir comme il le devait ? Dans les cas limites, il faut s’inspirer du principe de la subsidiarité et retenir un délit de commission dès que l’on peut imputer à l’auteur un comportement actif. Si une activité dangereuse est entreprise sans prendre les mesures de sécurité suffisantes, il y a lieu, en principe, de considérer un comportement actif. L’élément déterminant réside ainsi dans le fait d’accomplir l’activité sans observer les mesures de sécurité.
Dans le cas d’espèce, il a été reproché au prévenu de s’être contenté de la mise en place de barrières de type « Vauban » au travers de la route, en n’ayant prévu aucune signalisation qui indiquait la présence du chantier et la fermeture du chemin. La violation du devoir de diligence est intervenue le jour de l’installation de la barrière « Vauban » et non le jour où il a été décidé que la mise en place d’une barrière non signalée de type « Vauban » en travers de la chaussée constituerait une installation adéquate.
La négligence suppose la violation fautive d’un devoir de prudence, c’est-à-dire qu’il faut reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. Le TF a confirmé le caractère fautif de la violation dans le cas d’espèce, après avoir rappelé que le recourant avait violé son devoir de prudence en ne respectant pas les normes de sécurité prescrites pour la signalisation des chantiers. Non seulement le recourant n’a pas obtenu la confirmation expresse par les employés communaux présents que les barrières « Vauban » constituaient le moyen approprié pour procéder, en toute sécurité, à la fermeture des routes en vue de l’exécution des travaux mais encore le TF a souligné qu’il n’était nul besoin de connaissances spécifiques pour se rendre compte que l’installation d’une barrière métallique de couleur grise en travers de la chaussée, dépourvue de toute mesure permettant d’en signaler préalablement la présence, créait une situation hautement dangereuse pour les usagers de la route.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève
TF 4A_37/2023 du 10 juillet 2023
Assurances privées; contrat d’assurance, interprétation des CGA, clause d’exclusion; art. 33 LCA
Les clauses ambiguës des conditions générales doivent être interprétées, dans le doute, au détriment de la partie qui les a rédigées.
Dans le domaine particulier du contrat d’assurance, l’art. 33 LCA précise d’ailleurs que l’assureur répond de tous les événements qui présentent le caractère du risque contre les conséquences duquel l’assurance a été conclue, à moins que le contrat n’exclue certains événements d’une manière précise, non équivoque. Il en résulte que le preneur d’assurance est couvert contre le risque tel qu’il pouvait le comprendre de bonne foi à la lecture des conditions générales ; si l’assureur entendait apporter des restrictions ou des exceptions, il lui incombait de le dire clairement.
Conformément au principe de la confiance, c’est à l’assureur qu’il incombe de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées. Il ne suffit donc pas que les parties discutent de la signification d’une déclaration ; il faut au contraire que la déclaration puisse être comprise de bonne foi de différentes manières et qu’il ne soit pas possible d’éliminer le doute par d’autres moyens d’interprétation.
Dans le cas d’espèce, les conditions générales d’assurance excluaient de la couverture d’assurance les parcours dans les circuits de courses. Quand bien même le recourant participait à un « trackday » réservé à une circulation touristique dans le circuit national de Monza, il n’a pas démontré à satisfaction de droit que la clause d’exclusion des CGA était ambiguë ou que son interprétation laissait apparaître le moindre doute sur le fait que l’assureur n’entendait clairement exclure de la couverture casco, les accidents même en cas de conduite dans les circuits lors d’événements touristiques.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême
TF 4A_323/2021 du 5 juillet 2023
Responsabilité aquilienne; prescription, délai plus long de l’action pénale, classement, monnaie de l’obligation; art. 60 al. 2 CO
Pour le TF, lorsque le délai de prescription décennal absolu de l’art. 60 al. 2 CO s’est écoulé sans avoir été interrompu, les demandeurs ne peuvent se prévaloir de la prescription plus longue de l’action pénale selon l’art. 60 al. 2 CO si des décisions de classement ont déjà été rendues par des autorités pénales et que les faits à la base des deux procédures sont les mêmes.
Si la prétention est réclamée dans la mauvaise monnaie, soit en francs suisses plutôt qu’en dollars, la demande doit être déclarée irrecevable. Au surplus, pour le TF, un changement de monnaie dans le libellé des conclusions est une modification de l’objet de l’action. Ainsi, si les conclusions des demandeurs ont été faussement formulées en francs suisses, elles lient le juge et ne peuvent être modifiées par les demandeurs. Le juge ne peut ainsi que rejeter ce poste de la demande.
Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont
TF 4A_293/2023 du 27 juin 2023
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, preuve à futur; art. 158 CPC
La recourante est assurée pour la perte de gain en cas d’incapacité de travail par le contrat d’assurance de son employeur. Elle ne répond pas à la convocation du médecin spécialisé désigné par l’assureur qui lui annonce suspendre le paiement des indemnités journalières pour ce motif. L’assurée engage une procédure de mesures provisionnelles et requiert la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire pour établir son incapacité de travail. La cour des assurances sociales du tribunal cantonal la déboute de sa demande, estimant qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable son droit aux prestations. Par son refus de collaborer, en ne se rendant pas à l’examen médical demandé par l’assureur, sa demande de preuve à futur contrevenait au principe de la bonne foi.
Un recours peut être formé contre le rejet d’une requête de preuves à futur visée par l’art. 158 CPC, qualifiée de mesure provisionnelle par la LTF, pour la seule violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF).
L’art. 158 al. 1 let. b CPC permet au tribunal d’administrer les preuves en tout temps lorsque la mise en danger des preuves ou un intérêt digne de protection est rendu vraisemblable par le requérant. L’administration des preuves à futur est reconnue lorsqu’elle a pour but d’assurer la conservation de la preuve, lorsque le moyen de preuve risque de disparaître ou que son administration ultérieure se heurterait à de grandes difficultés. Elle peut aussi servir à clarifier les chances de succès d’un procès ou d’apporter une preuve. La locution « intérêt digne de protection » se réfère à cette possibilité qui permet d’éviter des procès dénués de chance de succès. Le TF rappelle que le requérant doit rendre vraisemblable qu’il a une prétention matérielle contre le défendeur et – cumulativement – que l’administration de la preuve tend à établir l’état de fait dont il tire son droit.
Dans le cas d’espèce, l’instance cantonale a rejeté la requête de preuve à futur en s’appuyant sur les conditions générales d’assurance de l’intimée, selon lesquelles l’assuré ne peut pas faire valoir un droit à des prestations tant qu’il s’oppose à un examen médical spécialisé (c. 4.2.2). La recourante n’a donc pas rendu vraisemblable l’existence de sa prétention matérielle, plus précisément l’état de fait dont elle tire son droit. Selon le TF, la recourante ne démontre pas que l’instance précédente serait tombée dans l’arbitraire en considérant que la prétention au fond n’avait pas été rendue vraisemblable pour défaut de collaboration de l’assurée.
L’art. 24.1 des CGA de l’intimée stipule explicitement que les prestations d’assurance sont réduites ou refusées, temporairement ou durablement, si la personne assurée ne remplit pas les obligations fixées par la loi ou le contrat. La recourante n’a ainsi pas le droit d’opter pour l’expertise judiciaire dans le cadre de l’administration d’une preuve à futur selon l’art. 158 CPC à la place (ou avant) l’examen médical spécialisé par le médecin-conseil de l’intimée (c. 5).
Le risque lié à la disparition de la preuve n’a pas été reconnu par l’autorité cantonale. La recourante, qui se prévaut d’un défaut de motivation, n’a pas, selon le TF, démontré la violation de ce droit constitutionnel (art. 29 al. 2 Cst. et art. 6 ch. 1 CEDH), ni le caractère arbitraire de la décision (c. 4.3). L’autorité cantonale a motivé son refus d’administrer la preuve à futur, estimant que les médecins établissaient régulièrement des expertises rétrospectives sur l’état de santé et la capacité de travail. La recourante ne peut pas non plus s’appuyer sur la jurisprudence du TF pour se voir reconnaître la mise en œuvre d’une expertise en temps réel.
L’arrêt 4A_247/2020 du 7 décembre 2020 (c. 5.2), en particulier, ne lui est d’aucune utilité (c. 4.3.1). Dans cet arrêt, le TF avait reconnu que l’assuré avait diligemment déposé une requête de preuve à futur. La demande de l’assuré avait été écartée au motif que l’expertise médicale pouvait être réalisée dans la procédure au fond. Par la suite, la cour cantonale avait refusé de mettre en œuvre l’expertise médicale demandée par l’assureur. Le TF avait admis le recours de ce dernier considérant que les certificats médicaux et les expertises des assureurs sont des allégations de partie au sens du CPC. Le TF retient donc que le contexte décrit par cet arrêt était différent et ne portait pas en particulier sur le devoir de collaboration de l’assuré. Il n’y a donc aucune violation des droits constitutionnels à refuser d’administrer la preuve à futur, dans le cas d’espèce, en raison du comportement contradictoire et contraire à la bonne foi de la recourante.
Le TF ajoute que celle-ci avait demandé à être évaluée par une femme médecin, ne s’est pas présentée au rendez-vous fixé et a déposé enfin une expertise preuves à futur demandant à être expertisée par un médecin (et plus une femme médecin) (c. 4.6).
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
TF 8C_661/2022 du 26 juin 2023
Assurance-invalidité; procédure, décision incidente, recevabilité du recours au TF, pratique cantonale contraire à la jurisprudence fédérale, nouvelle demande, mesures de réadaptation; art. 93 LTF; 29 LPGA; 87 RAI
Par décision du 10 septembre 2020, un Office AI avait refusé toute prestation à une assurée. Cette décision était entrée en force. Une année après, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations, visant l’octroi de mesures d’ordre professionnel. L’office AI a refusé d’entrer en matière, au motif qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable que sa situation s’était modifiée de manière à influencer ses droits. Le tribunal cantonal a admis partiellement le recours de l’assurée et renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il entre en matière et instruise la demande de prestations concernant les mesures d’ordre professionnel. L’office AI recourt au TF.
Lorsque le tribunal cantonal renvoie la cause à l’assureur social pour compléter l’instruction sans donner de directives matérielles concrètes, on se trouve en présence d’une décision incidente qui ne cause aucun préjudice irréparable aux parties au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF. Une exception à cette disposition est néanmoins possible lorsqu’il apparaît qu’un tribunal adopte une pratique régulière contraire à la jurisprudence fédérale. En l’espèce, le TF arrive à la conclusion que le Tribunal cantonal saint-gallois a déjà, à de nombreuses reprises, considéré que les nouvelles demandes de prestations concernant les mesures d’ordre professionnel n’étaient pas soumises à la condition de l’art. 87 al. 3 RAI et que l’Office AI devait ainsi entrer en matière sur une demande de mesures d’ordre professionnel même si la personne assurée n’avait rendu vraisemblable aucune modification de sa situation depuis le dernier refus de prestations. Cette pratique étant contraire à la jurisprudence fédérale, le TF considère donc qu’il y a ici matière à faire une exception à la règle de l’art. 93 al. 1 LTF et entre en matière sur le recours (c. 3.6.4).
Sur le fond, le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle l’art. 87 al. 2 et 3 RAI s’applique également à une nouvelle demande d’octroi de mesures d’ordre professionnel lorsque de telles mesures ont été préalablement refusées par une décision entrée en force. Cette disposition réglementaire ne s’applique dès lors pas uniquement lorsque la nouvelle demande porte sur le versement d’une rente, d’une allocation pour impotent ou une contribution d’assistance. A cet égard, le TF considère que l’art. 29 al. 1 LPGA pose simplement le principe de la demande, soit une règle générale du droit des assurances sociales selon laquelle le droit aux prestations présuppose qu’une demande ait été déposée, les prestations n’étant pas versées d’office. On ne peut donc pas déduire de cette disposition un principe général selon lequel l’assureur social devrait systématiquement entrer en matière sur toute demande qui lui est adressée (c. 4). Le recours de l’office AI est donc admis.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 4A_62/2023 du 16 juin 2023
Responsabilité aquilienne; enrichissement illégitime, protection des données, données non commandées, substantification du dommage; art. 41, 42, 43, 62 et 924 ss CO; 5 let. c, 6 et 9 al. 3 LCD
La société A. qui a pour objet, notamment la collecte d’informations économiques, la distribution de renseignements sur le crédit ainsi que l’édition et l’entretien d’une banque de données a conclu un contrat avec la société B. qui a notamment pour but la gestion et l’administration de sociétés. Le 25 juin 2018, ces deux sociétés ont passé un contrat visant à éditer et à enrichir le fichier des créanciers de la société B. de même qu’à utiliser le service Online de la société A. afin de rechercher les sociétés par leur numéro d’identification. Les 15 et 16 avril 2020, la société B. a consulté, via l’outil en ligne de la société A., des données de base (Stamm-) et de solvabilité (Bonitätsdaten) concernant 32'051 entreprises. La société A. était d’avis que la société B. avait obtenu ces données, grâce à son outil en ligne, données qui devaient être indemnisées. Cette facture n’a pas été honorée. La société B. estimait, de son côté, que les données de solvabilité lui étaient parvenues sans qu’elle ne l’ait souhaité. Ces données représentaient un résultat non commandé. Une comparaison globale de ces données (Gestamtdatenabgleich) n’avait pas eu lieu de sorte que la société A. n’avait pas droit à une indemnisation.
Le tribunal de commerce saisi a confirmé que la société A. n’avait aucune prétention à faire valoir. Il a estimé, dans un premier temps, que l’on devait faire une distinction entre les données de base et les données de solvabilité. Il a estimé ensuite que le contrat passé ne contenait aucune indication selon laquelle des données de solvabilité pouvaient être obtenues via l’outil en ligne. Une telle offre avait même été refusée par la société B. lors des négociations. Dans ces conditions, cette société ne pouvait pas partir du principe que l’outil en ligne lui permettrait d’obtenir de telles données. Le Tribunal a rappelé que les deux sociétés s’accordaient sur le fait que le contrat passé ne portait pas sur ces données. Comme la preuve d’un contrat ultérieur qui aurait été conclu en 2019 n’avait pas été apportée à satisfaction de droit par la société A., elle ne pouvait élever de prétention en dommages-intérêts, fondé sur une violation contractuelle comprise comme la violation des devoirs accessoires visant à préserver la sphère juridique et patrimoniale de la recourante (c. 4.1). L’autorité inférieure a ensuite rejeté l’existence d’une prétention fondée sur l’art. 41 CO. Elle a constaté que la société A. n’avait pas démontré son dommage, soit l’existence de coûts externes assumés en relation avec la consultation de ces données ou encore un manque à gagner. Elle a également rappelé que l’obtention de ces données par un autre moyen que l’outil en ligne était douteuse, puisque la société B. ne disposait pas de moyens technologiques pour ce faire, qu’elle n’obtenait ce type de données que de manière isolée en amont de transactions stratégiques et qu’elle recourait justement à un prestataire tiers pour ce faire (c. 4.1). La Cour cantonale a enfin rejeté une éventuelle prétention en enrichissement illégitime selon l’art. 62 CO. Elle a estimé que le rétablissement de l’état initial devait se faire, en premier lieu, en nature, ce qui faute de système de stockage suffisant de la société B. pouvait simplement se faire par la suppression des données. Or, la société A. ne l’avait pas requis, de sorte que la société B. ne pouvait y être astreinte. La société B. n’avait pas prétendu réaliser un bénéfice à l’aide de ces données, de sorte que l’examen d’une restitution du bénéfice était superflu (c. 4.1 et 4.2). Dans un second temps, l’instance inférieure a examiné la situation des données de base. Elle a considéré que la société A. n’avait pas établi le montant dû uniquement pour l’obtention de ces données. Elle a rappelé que l’art. 43 al. 1 en relation avec l’art. 99 al. 3 CO ne dispensait pas la recourante de chiffrer son dommage. Le manque à gagner aurait pu être déterminé à l’aide du prix de la comparaison globale des données, de sorte que l’art. 42 al. 2 CO ne trouvait pas non plus son application. Faute de prétentions chiffrées, la société A. échouait à démontrer l’existence d’un dommage indemnisable. Enfin, pour les mêmes raisons qu’en ce qui concernait les données de solvabilité, aucune prétention en enrichissement illégitime ne pouvait être élevée (c. 4.2).
En réponse aux griefs de la société A. (c. 5), le TF a répondu en 3 temps (c. 6, c. 7 et c. 8).
Tout d’abord, en ce qui concerne les données de solvabilité, il a rejeté les critiques concernant l’appréciation de la Cour cantonale quant au contenu des relations contractuelles entre les parties (c. 6.1). Il a confirmé que les allégations relatives aux « instructions données par la société A. concernant les possibilités d’obtenir des données de solvabilité au moyen de l’outil en ligne » représentaient un fait précis qui aurait pu et dû être introduit en temps utile dans la procédure cantonale. A défaut, il n’y avait pas à en tenir compte (c. 6.2). Il a soutenu également l’appréciation de l’instance inférieure lorsqu’elle retenait qu’il n’y avait pas eu d’utilisation ou de mise en valeur des données de solvabilité, faute de moyens technologiques idoines à disposition (c. 6.3). Il n’a pas remis en cause le fait que les juges cantonaux aient considéré que la société A. n’avait pas prouvé l’existence de son dommage (frais externes et manque à gagner). L’absence de dommage était un argument qui à lui seul avait clos la discussion sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres conditions (c. 6.4). Il a donné ensuite tort à la recourante lorsqu’elle estimait que les conditions de substantification de son dommage étaient excessives ou que l’autorité aurait dû attirer son attention sur le caractère éventuellement incomplet de son exposé en application de l’art. 56 CPC (c. 6.5).
Ensuite, en ce qui concerne les données de base, le TF a simplement constaté que la recourante n’expliquait pas pourquoi elle aurait dû être dispensée de chiffrer son dommage. Il a ajouté que si d’aventure ce chiffrement n’était pas possible, elle aurait alors dû exposer toutes les circonstances qui auraient permis d’estimer le dommage relatif aux données de base (c. 7.2).
Dans un dernier élan, le TF a contesté que le comportement de la société B. puisse constituer des infractions à la LCD, en relation avec les art. 5 et 6 LCD. Il a indiqué que l’art. 5 let. c et 6 LCD exigeaient une exploitation de l’information obtenue ou du résultat du travail d’autrui à des fins économiques, ce qui n’avait pas été le cas (c. 8.1.1.). Il a rappelé, également au passage, que les conditions de la prétention en dommage-intérêt visée à l’art. 9 al. 3 LCD étaient identiques à celles du code des obligations. Ainsi, même en admettant l’existence d’une infraction, la recourante aurait dû prouver l’existence de son dommage ou que la société B. avait réalisé un bénéfice, ce qu’elle n’avait pas fait (c. 8.1.2). Il a rejeté également les griefs relatifs à une instruction déficiente de l’autorité inférieure (c. 8.2). Il a terminé enfin en indiquant qu’il ne voyait pas de raison d’appliquer les art. 924 ss CO, à savoir de considérer les données comme des choses, estimant que cela ne changerait de toute façon rien au résultat du présent litige.
Le recours est rejeté.
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Winterthur
TF 6B_286/2022 du 15 juin 2023
Responsabilité du détenteur d’un véhicule automobile; causalité, interruption, principe de la confiance, principe non applicable aux enfants; art. 12 al. 3, 26, 32 al. 1, 33 al. 2, 122 et 125 al. 2 CP; 58 LCR
Condamné en première instance pour lésions corporelles graves par négligence, un automobiliste, conduisant en état d’ébriété et à une vitesse de 45-47 km/h aux abords d’un passage pour piétons et d’une école, est acquitté en deuxième instance. La Cour d’appel pénale du tribunal cantonal vaudois a considéré que le lien de causalité entre les lésions corporelles subies par l’enfant et le comportement négligent du prévenu, qui n’avait pas ralenti à l’approche du passage pour piétons, avait été rompu par celui du lésé, âgé de cinq ans, qui avait surgi au guidon de sa trottinette, à une vitesse de 9-11 km/h, alors qu’il était précédemment masqué par un muret excédant sa taille. Le TF ne partage pas l’avis de la Cour et renvoie la cause à l’autorité cantonale pour nouvelle décision.
Le TF rappelle que cause des lésions corporelles graves par négligence le conducteur qui viole les règles de prudence que les circonstances imposaient, celles-ci étant en particulier définies par les règles régissant la circulation routière (LCR). Un tel comportement négligent doit s’inscrire dans un rapport de causalité naturelle et adéquate, avec les conséquences de celui-ci, à savoir d’avoir porté gravement atteinte à l’intégrité corporelle de la victime. Ainsi, un conducteur doit adapter sa vitesse aux circonstances et donc être en mesure de s’arrêter aux abords d’un passage pour piétons, même si ces derniers doivent également prêter une attention particulière aux véhicules.
En vertu du principe de la confiance, un usager de la route peut présumer que les autres usagers adopteront un comportement conforme aux règles de la circulation. Cependant, un tel principe ne s’applique pas aux enfants, lesquels ont, selon le TF, une notion de prudence vis-à-vis de la circulation routière « particulièrement ténue ». Dès lors, le lien de causalité ne peut être considéré comme interrompu que lorsque l’acte imprévisible de la victime relègue à l’arrière-plan les fautes du responsable.
En l’espèce, le conducteur connaissait très bien la configuration des lieux, se situant sur le trajet séparant son lieu de travail de son domicile, en particulier la présence d’un muret à droite du passage pour piétons. De plus, il avait aperçu que des enfants jouaient aux abords du complexe scolaire et sportif jouxtant le passage pour piétons et le long du trottoir à gauche. En outre, il n’était pas imprévisible qu’un enfant se déplace sur une trottinette, à une vitesse excédant celle de l’homme au pas. Enfin, par son comportement, à savoir le fait de déporter son véhicule à gauche, le conducteur a démontré qu’il n’est pas imprévisible qu’un enfant traverse la route sans prêter gare à la circulation. Le prévenu aurait par conséquent dû adapter sa vitesse aux circonstances, qu’il connaissait et avait malgré tout appréhendées, et ralentir à 35 km/h, vitesse qui lui aurait permis de s’arrêter et d’éviter de blesser grièvement un enfant de cinq ans.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève
TF 4A_472/2022 du 15 juin 2023
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières LCA, obligation de diminuer le dommage, Covid-19; art. 61a et 38 aLCA; 8 CC; 9 Cst.; 7 CPC
L’assurée, née en 1959, a travaillé, dès le 1er janvier 1996, pour une entreprise en qualité d’employée de commerce. L’employeuse avait souscrit une assurance collective perte de gain en cas de maladie après de la société d’assurance intimée. En cas de sinistre, elle s’engageait à verser des indemnités journalières pendant 730 jours, sous déduction d’un délai d’attente de sept jours. L’art. D1 des conditions générales d’assurance précisait : « Est incapable de travailler la personne qui, en raison d’une maladie, ne peut exercer son activité professionnelle habituelle, ou, si l’incapacité dure un certain temps, reste dans l’impossibilité d’exercer tout autre activité raisonnablement exigible eu égard à son état de santé et à ses aptitudes » (c. A).
Victime d’une atteinte psychiatrique, soit une phobie de contamination par la COVID-19 cumulée à un épisode dépressif moyen, l’assurée a été incapable de travailler du 9 au 31 mars 2020, puis dès le 11 mai 2020. L’employeuse lui a signifié son licenciement pour le 28 février 2021 (c. A.b). Sur le plan médical, les troubles de l’assurée étaient incompatibles avec une quelconque activité exigeant un contact avec autrui. La seule activité exigible était du télétravail à domicile, sans aucun contact avec des personnes et objets venant de l’extérieur. Le handicap n’était pas lié à une incapacité d’exercer le métier en lui-même, mais à une incapacité de surmonter les exigences de contact minimal exigible pour un travail (c. A.c).
La société d’assurance intimée a versé 301 indemnités journalières jusqu’au 28 février 2021 et cessé ses versements à cette date sur avis de son médecin-conseil qui estimait la capacité de travail de l’assurée à 100 % dès le 1er mars 2021 (c. A.f). Sur action de l’employée contre la société d’assurance portant sur un solde de 412 indemnités journalières, le tribunal cantonal l’a admise (c. B).
En droit, s’il est acquis que l’assurée est inapte au travail dans son activité habituelle en entreprise dès le 1er mars 2021, le litige dont est saisi le TF porte uniquement sur la question de savoir si un changement d’activité intégrant ses limitations fonctionnelles peut raisonnablement être exigé d’elle – l’enjeu étant le solde d’indemnités journalières (c. 3).
L’art. 61 aLCA, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, consacrait une « obligation de sauvetage » et son pendant actuel figure à l’art. 38a LCA (c. 4.1). L’obligation de réduire le dommage, codifiée à l’art. 61 aLCA, peut impliquer un changement de profession si cela peut raisonnablement être exigé de l’ayant droit et si cela permet de réduire l’incapacité de travail. L’assureur qui entend être mis au bénéficie de l’art. 61 al. 2 aLCA doit inviter l’ayant droit à changer d’activité et lui impartir un délai d’adaptation approprié ; en règle générale, un délai de trois à cinq mois est jugé adéquat. L’art. 61 al. 2 aLCA ne permet pas à l’assureur de réduire ses prestations dans la perspective d’un changement d’activité purement théorique, irréalisable en pratique : le juge doit bien plutôt analyser la situation concrète. Partant, il doit se demander, d’après l’âge de l’ayant droit et l’état du marché du travail, quelles sont ses chances réelles de trouver un emploi avec ses limitations fonctionnelles. Le juge doit également examiner, en fonction de la formation, de l’expérience et de l’âge de l’ayant droit, si un tel changement d’activité peut réellement être exigé de lui (c. 4.2). L’assureur doit prouver que l’ayant droit a violé son devoir de réduire le dommage (art. 8 CC), à savoir qu’il n’a pas pris les mesures qu’on aurait pu raisonnablement attendre de lui en vue de diminuer le dommage (c. 4.3).
En l’espèce et sur la base des principes ci-dessus, la cour cantonale a estimé que l’assurée n’avait aucune chance de retrouver un travail adapté à ses limitations fonctionnelles, que ce fût le 1er mars 2021 ou plus tard (c. 5.1). Le TF confirme le raisonnement de l’instance inférieure et rejette le recours, ne décelant aucun arbitraire dans la constatation des faits ou l’appréciation des preuves, respectivement aucune violation de l’art. 61 aLCA (c. 5.2 et 5.3).
Sous l’angle de cas particulier de la pandémie, le TF souligne encore que la COVID-19 n’est ici qu’un épiphénomène. L’assurée a certes développé une phobie à cause de cette maladie, mais elle aurait tout aussi bien pu contracter sans cette pandémie une maladie entraînant les mêmes limitations sans que le raisonnement ne s’en trouve modifié. Ses perspectives de retrouver un emploi sans pouvoir ne serait-ce que se présenter à un entretien d’embauche, réceptionner des objets extérieurs ou avoir un simple contact humain direct sont inexistantes, si on les met en perspective avec son âge, sa formation et la profession qu’elle a exercée durant plus de vingt-cinq ans (c. 5.3).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud
TF 6B_513 et 520/2022 du 9 juin 2023
Responsabilité aquilienne; lien de causalité, position de garant, négligence, violation des règles de l’art; art. 11 al. 2, 12 al. 3, 229 CP
Un directeur de succursale a confié la réalisation de travaux d’étanchéité à l’intérieur d’un bâtiment à l’un de ses techniciens. Le directeur a personnellement assisté à une séance de chantier dans le but de planifier les travaux. Le technicien a ensuite expliqué les travaux à accomplir à deux de ses collaborateurs, l’un ouvrier qualifié, l’autre non, puis a quitté les lieux. Les deux ouvriers n’étaient pas pourvus des équipements usuels de protection. L’ouvrier qualifié a entrepris une manœuvre visant à accélérer la réalisation des travaux, ce qui a entraîné un départ de feu et la propagation de vapeurs chimiques avec pour conséquences qu’il a souffert de brûlures, a été hospitalisé et a subi un arrêt de travail complet de longue durée. La violation des règles de l’art de construire a notamment été retenue contre le directeur et son technicien, lesquels recourent jusqu’au TF.
Le TF constate que le directeur des travaux est tenu de veiller au respect des règles de l’art de construire et répond d’une action ou d’une omission. Il rappelle que la responsabilité pénale d’un participant à la construction se détermine sur la base des prescriptions légales, des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chacun est tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence que l’on peut attendre de lui pour veiller au respect des règles de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, à l’instar du technicien en charge, il existe un devoir de donner des instructions nécessaires et de surveiller. Une seule et même violation des règles de l’art peut être le fait de plusieurs personnes. L’art. 229 CP implique une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il astreint les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution d’un ouvrage à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de responsabilité. En raison de sa conception en tant que délit spécial, l’art. 229 CP limite d’emblée la punissabilité aux personnes pour lesquels une position de garant doit être admise.
Deux conditions doivent être remplies pour que la négligence soit fondée : l’auteur doit violer les règles de prudence et la violation doit pouvoir être imputée à faute. En l’espèce, le TF retient que le directeur a assisté à une séance de chantier avec le but de planifier celui-ci. Il n’est donc pas intervenu personnellement sur le chantier, ou s’occuper de la mise en œuvre opérationnelle, respectivement en assurer la coordination. Ne s’étant pas personnellement impliqué dans la direction des travaux, il ne fait pas partie du cercle des auteurs de l’infraction visée à l’art. 229 CP et a donc été acquitté.
En revanche, le TF retient la responsabilité du technicien. Celui-ci avait pour tâche la mise en œuvre opérationnelle du chantier soit de donner des instructions aux ouvriers, de rappeler régulièrement les règles de sécurité et de passer régulièrement sur le chantier vu son rôle de cadre intermédiaire. Son rôle implique d’emblée une position de garant en lien avec les tâches qui lui reviennent. Il ne pouvait pas se décharger de ses devoirs d’information et de surveillance sur ses ouvriers. Dans le cas présent, la réalisation des travaux nécessitait des instructions particulières en raison des risques liés à l’usage du produit en cause, qui peut provoquer des vapeurs chimiques. Les règles de sécurité devaient également être rappelées. Le technicien n’a donné aucune instruction concernant la pose du produit ou l’aération des locaux par exemple. Il y a eu omission. Ce dernier a donc violé les règles de l’art au sens de l’art. 229 CP. Il a été négligent, car il n’a pas instruit et surveillé les ouvriers quand bien même il avait 15 ans d’expérience dans l’entreprise. Le lien de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et la mise en danger existe car la violation des règles de l’art par le technicien a conduit à l’augmentation du risque d’incendie et a ainsi exposé les ouvriers présents sur le chantier à une mise en danger. Les conditions objectives et subjectives de l’art. 229 CP sont dans ce cas remplies selon le TF.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate
TF 1C_344/2022 du 2 juin 2023
Responsabilité aquilienne; procédure, LAVI, indemnisation des honoraires d’avocat; art. 4 et 13 LAVI
Une victime a été représentée par un avocat dans le cadre d’une procédure pénale. Elle a alors demandé une indemnisation à concurrence de CHF 12'294.50 pour ses frais d’avocat au titre de l’aide aux victimes.
Dans son arrêt, le TF commence par relever que s’agissant de prestations découlant de la LAVI, les frais d’avocat ne peuvent être réclamés qu’exclusivement au titre de l’aide immédiate ou de l’aide à plus long terme au sens de l’art. 13 LAVI. Il relève ensuite que les cantons sont libres d’organiser comme ils le souhaitent les procédures en matière d’aide aux victimes et qu’il n’est pas contraire au droit fédéral qu’une autorité administrative se charge de statuer sur les demandes d’indemnisation.
Puis le TF examine si la demande de prise en charge des honoraires d’avocat d’une victime au sens de l’art. 13 LAVI pouvait être formulée en tout temps et si elle était subsidiaire à une demande d’assistance judiciaire.
A cet égard, il est d’abord rappelé la jurisprudence rendue sous l’angle de l’ancienne LAVI selon laquelle la demande de prise en charge des frais d’avocat devait être déposée, dans la mesure du possible, avant que les frais d’avocat ne soient engagés. Toutefois, les juges fédéraux ont relevé que si une victime était tardive dans sa demande de prise en charge, son droit ne s’éteignait pas. Tout au plus prend-elle le risque que l’intégralité de ses frais ne soient pas pris en charge au titre de l’aide aux victimes. Il n’existe ainsi pas de péremption du droit à la prise en charge de frais d’avocat au sens de la LAVI. A ce sujet, le TF rappelle encore que contrairement aux droits à l’indemnisation et à la réparation morale qui sont soumis à un délai de péremption selon l’art. 25 LAVI, le droit à l'aide des centres de consultation ne se périme pas (art. 15 al. 2 LAVI).
Quant à la question de la subsidiarité de l’aide aux victimes, il est d’abord rappelé que ce principe est ancré à l’art. 4 al. 1 LAVI, mais que cette disposition ne traite pas de l’institution de l’assistance judiciaire. Le TF rappelle ensuite que les cantons sont débiteurs à la fois de l’assistance judiciaire et des prestations d’aide aux victimes. Il procède à une interprétation de l’art. 4 al. 1 LAVI et parvient à la conclusion que l’aide aux victimes n’est pas subsidiaire à l’assistance judiciaire. Par conséquent, une victime ne requérant pas l’assistance judiciaire peut encore demander la prise en charge de ses honoraires d’avocat par le biais de l’aide aux victimes.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne
TF 2C_901/2022 du 31 mai 2023
Responsabilité du propriétaire d’ouvrage; irrecevabilité de l’action fondée sur la loi cantonale sur la responsabilité de l’Etat; art. 58 CO
Dans le cas d’espèce, le recourant soutenait du fait que la réalisation d’un remblai terreux aménagé en contrebas d’une route communale aurait contribué à accélérer le mouvement de son terrain. Ce phénomène aurait entraîné des fissures à l’intérieur et à l’extérieur de son chalet. Il avait attaqué en responsabilité la commune sur la base de la loi cantonale sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents.
La responsabilité des collectivités publiques cantonales et communales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons et des communes à l’égard des particuliers pour le dommage qu’ils causent dans l’exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO. Les cantons sont toutefois libres de soumettre cette problématique au droit public cantonal en adoptant une réglementation spécifique en vertu de l’art. 59 al. 1 CC et de l’art. 61 al. 1 CO. Le canton de Fribourg a fait usage de cette faculté (c. 4.1).
La compétence des cantons d’édicter des dispositions sur la responsabilité civile de l’Etat et de ses agents dérogeant aux règles ordinaires de droit privé n’est cependant pas générale. S’il existe une norme fédérale de responsabilité régie par une loi spéciale (p. ex. l’art. 58 LCR, les art. 56 et 58 CO, l’art. 679 CC), cette norme fédérale prime et les cantons ne peuvent, en vertu de l’art. 49 Cst., pas y déroger (c. 4.2). Ainsi, la responsabilité d’un canton ou d’une commune s’examine en principe à l’aune de l’art. 58 CO lorsqu’une personne a subi préjudice causé par un ouvrage appartenant à l’une de ces collectivités (c. 4.3).
Après avoir émis quelques considérations sur la définition classique de l’ouvrage au sens de l’art. 58 CO, le TF rappelle que cette notion peut aussi s’étendre à certaines choses naturelles qui, lorsqu’elles sont artificiellement aménagées, peuvent acquérir la qualité d’ouvrages. Tel est notamment le cas d’un remblai installé en vue d’assurer la fonctionnalité d’un ouvrage, dont il fait dès lors partie intégrante (c. 5.2). Le fait que, dans le cas d’espèce, le propriétaire du terrain sur lequel avait été aménagé le remblai est non pas la commune, mais un tiers, est sans portée. Certes, la jurisprudence impose de déterminer qui est propriétaire (au sens du Code civil) de l’ouvrage défectueux ou mal entretenu. Cette règle doit cependant être tempérée, notamment lorsque deux choses juridiquement indépendantes forment un seul et même ouvrage d’un point de vue fonctionnel et que le défaut affectant la chose la moins importante se présente comme un défaut de l’autre ; dans un tel cas, il importe peu que les deux choses appartiennent à des propriétaires différents. La responsabilité du propriétaire de l’ouvrage de l’art. 58 CO est alors encourue par le propriétaire de la partie la plus importante (c. 5.4 et 5.5).
Le recourant avait tenté d’échapper à l’application du droit privé fédéral en soutenant que ce n’était pas le défaut du remblai qui avait provoqué le dommage, mais la décision prise par la commune de le réaliser. Telle n’est pas la question, objecte le TF il s’agit de savoir si la commune est responsable des dégâts causés au chalet du recourant en application de l’art. 58 CO, ce qu’il n’y a pas lieu de trancher dans le cadre d’une procédure relevant de la responsabilité étatique (c. 5.7). Le TF confirme dès lors l’arrêt d’irrecevabilité qui avait été rendu par l’instance cantonale (c. 5.8).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg
TF 9C_198/2022 du 30 mai 2023
Assurance invalidité; coordination européenne, ALCP, rente d’invalidité, calcul, totalisation des périodes de cotisations; art. 8 ch. 1 R (CE) n° 883/2004; 12 Convention de sécurité sociale CH-P
Le litige porte sur le calcul de la rente d’invalidité allouée au recourant, plus particulièrement sur la prise en compte, dans le calcul de sa rente à partir du 1er septembre 2021, des périodes de cotisations accomplies au Portugal. Le droit du recourant à une rente d’invalidité est en l’espèce né le 1er janvier 2018, après l’entrée en vigueur du R (CE) n° 883/2004. Ratione temporis, le litige doit ainsi être tranché à la lumière de ce règlement.
L’art. 8 ch. 1 R (CE) n° 883/2004 prévoit que « dans son champ d’application, le présent règlement se substitue à toute convention de sécurité sociale applicable entre les Etats membres. Toutefois, certaines dispositions de conventions de sécurité sociale que les Etats membres ont conclues avant la date d’application du présent règlement restent applicables, pour autant qu’elles soient plus favorables pour les bénéficiaires ou si elles découlent de circonstances historiques spécifiques et ont un effet limité dans le temps. Pour être maintenues en vigueur, ces dispositions doivent figurer dans l’annexe II. Il sera précisé également si, pour des raisons objectives, il n’est pas possible d’étendre certaines de ces dispositions à toutes les personnes auxquelles s’applique le présent règlement. »
Ni l’office intimé, ni la juridiction cantonale n’ont examiné le point de savoir si le système de la Convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et le Portugal est plus favorable au recourant que le système du R (CE) n° 883/2004. A cet égard, le TF a considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal ; art. 84 R [CE] n° 1408/71 ; art. 76 ss R [CE] n° 883/2004 ; art. 2 ss R [CE] n° 987/2009).
En conséquence, il convient d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction sur ce point et rende une nouvelle décision.
Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter
TF 8C_670/2022 du 25 mai 2023
Assurance-chômage; prestations transitoires, prestations de préretraite, qualification en droit européen; art. 3 par. 1 let. h et i, 66 R (CE) n° 883/2004; 5 al. 1 let. b LPtra
La loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra) prévoit des prestations de préretraite au sens de l’art. 3 par. 1 let. i R (CE) n°883/2004, et non des prestations de chômage au sens de l’art. 3 par. 1 let. h de ce règlement. En conséquence, en vertu de l’art. 66 R (CE) n°883/2004, les périodes de cotisation accomplies à l’étranger ne doivent pas être prises en considération pour le calcul de la durée minimale d’assurance de vingt ans, dont au moins cinq ans après l’âge de 50 ans, exigée par l’art. 5 al. 1 let. b LPtra.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle
TF 6B_658/2022 du 24 mai 2023
Responsabilité aquilienne; causalité, art. 117 CP; 32 LCR; 41 CO
En examinant les circonstances d’un accident de la circulation lors duquel un cycliste a mortellement heurté un piéton, les juges fédéraux rappellent que pour qu’il y ait négligence, il faut tout d’abord que l’auteur ait, d’une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d’autre part, il n’ait pas déployé l’attention et les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir.
Selon l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur doit rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer au devoir de la prudence. L’observation de la règle de l’adaptation de la vitesse aux circonstances est la première condition de la maîtrise du véhicule. La règle de l’art. 32 al. 1 LCR implique aussi qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité le permettent. Il faut notamment réduire sa vitesse dans un virage à visibilité réduite. La règle de la possibilité d’arrêt sur la distance de visibilité, et en fonction des risques prévisibles, est la règle fondamentale de l’adaptation de la vitesse.
Dans le cas d’espèce, le choc a eu lieu au sortir du deuxième segment d’une grande courbe à droite. Le TF retient que le cycliste a violé son devoir de prudence en n’adoptant pas une vitesse adéquate aux circonstances et à la visibilité dont il disposait, compte tenu de la courbe sur laquelle il circulait. Le cycliste devait compter avec la possibilité de se retrouver face à un danger au sortir de la courbe, laquelle restreignait sa visibilité et donc aussi l’anticipation possible. Or, son allure ne lui permettait pas de s’arrêter sur la distance visible. Ainsi, la prudence commandée par les circonstances aurait dû l’amener à ralentir et à adapter sa vitesse à la visibilité dont il disposait.
La présence d’un piéton traversant une route touristique du Lavaux un dimanche soir d’été, vers 19h50, ne constitue pas un fait extraordinaire ou imprévisible qui relègue à l’arrière-plan le rôle causal joué par la faute du cycliste. Il n’y a donc pas rupture du lien de causalité adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et le décès de la victime.
Le TF renvoie la cause aux juges vaudois qui avaient acquitté le cycliste du chef d’homicide par négligence en violation du droit fédéral.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne
TF 9C_223/2022 du 15 mai 2023
Prestations complémentaires; calcul de la prestation complémentaires, revenus déterminants, franchise sur le revenu de l’activité lucrative; art. 11 al. 1 let. a LPC
L’affaire concerne le calcul des prestations complémentaires pour l’année 2021 pour une femme percevant une rente AI (taux d’invalidité de 62 %), n’exerçant aucune activité lucrative. Cette dernière vit en ménage commun avec sa fille au bénéfice d’une rente pour enfant de l’AI et percevant un revenu de son activité d’apprentie. La cour cantonale a procédé à un calcul commun, en déduisant d’abord du revenu de l’activité lucrative de la fille de l’assurée les dépenses dûment justifiées pour son obtention (art. 10 al. 3 let. a LPC) et les cotisations aux assurances sociales obligatoires prélevées sur le revenu (art. 10 al. 3 let. c LPC). Ensuite, la franchise de CHF 1'500.- a été déduite, car la fille vit avec sa mère, soit le parent qui a droit à une rente ; par conséquent, la prestation complémentaire est déterminée globalement avec la rente du parent (art. 7 al. 1 let. b OPC-AVS/AI). Le montant intermédiaire a été retenu à hauteur des deux tiers, en tant que revenu privilégié (art. 11 al. 1 let. a, première phrase, LPC). La cour cantonale a considéré en substance que la franchise devait être appliquée à ce revenu, n’ayant pas déjà pu être déduite concrètement d’un autre revenu privilégié – étant inexistant – c’est-à-dire celui de la mère, soit la personne ayant droit aux prestations complémentaires (cf. c. 5.6 in initio). La caisse de compensation recourt au TF.
Le litige porte sur le calcul du revenu de l’activité lucrative réalisé par la fille de l’assurée, seul revenu dans le ménage provenant de l’exercice d’une activité lucrative, ainsi que sur la déduction ou non de la franchise de CHF 1'500.- sur ce revenu (c. 3.1). L’examen de l’affaire s’effectue sous l’angle du nouveau droit, entré en vigueur le 1er janvier 2021 (c. 3.3).
Le TF procède à l’interprétation littérale de l’art. 11 al. 1 let. a, première phrase, LPC. Selon cette disposition, le revenu déterminant correspond aux deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l’exercice d’une activité lucrative, pour autant qu’elles excèdent annuellement CHF 1'500.- pour les personnes qui ont des enfants donnant droit à une rente pour enfant de l’AI (situation du cas d’espèce). Le libellé de la disposition n’indique pas clairement si la franchise doit s’appliquer au revenu du bénéficiaire seul ou à celui du ménage. Il est donc nécessaire de recourir à d’autres méthodes d’interprétation (c. 5.5 in initio).
Dans le cadre de l’interprétation historique, la combinaison d’une déduction fixe et le calcul du solde du revenu à hauteur des deux tiers « favorise particulièrement les personnes se trouvant dans une situation économique précaire, tout en les incitant à conserver une certaine activité lucrative ou à économiser en vue de l’octroi d’une rente ou d’une pension, étant donné que le revenu excédant le montant sujet à déduction ne conduit pas à une réduction proportionnelle de la prestation complémentaire » (FF 1964 II 705 ss, 718). Il existe donc à la fois un aspect social et un incitatif à conserver une activité lucrative, principalement pour les bénéficiaires de prestations complémentaires mais aussi pour les autres membres de la famille. L’intention du législateur, avec la prise en compte seulement partielle des revenus, était d’encourager les bénéficiaires des prestations complémentaires à exercer une activité lucrative sans être pénalisé par une diminution correspondante du montant de la prestation complémentaire (c. 5.5).
Selon le TF, la franchise de CHF 1'500.- doit être déduite une seule fois, car elle est établie pour le ménage et appliquée au ménage, mais elle ne doit pas être déduite en principe uniquement du revenu de l’activité lucrative du bénéficiaire des prestations complémentaires. La franchise ne s’applique donc pas au seul bénéficiaire des prestations complémentaires (c. 5.6).
Le TF arrive à la conclusion que le revenu de l’activité d’apprentie de la fille de la bénéficiaire des prestations complémentaires – qui ne perçoit aucun revenu et auquel aucun revenu ne peut être imputé au sens de l’art. 14a OPC-AVS/AI, diminué des frais d’obtention du revenu (art. 11a OPC AVS/AI) et des cotisations aux assurances sociales (art. 10 al. 3 let. c LPC), doit être réduit de la franchise de CHF 1'500.-, puis pris en compte à hauteur des deux tiers dans le revenu déterminant de la mère, en tant que revenu privilégié au sens de l’art. 11 al. 1 let. a, 1re phrase, LPC (consid. 5.7).
Le TF souligne également le fait que le N 3421.11 DPC est contraire à l’art. 11 al. 1 let a LPC. Il en est de même de l’annexe 6 des DPC (« Facteurs pour la prise en compte du revenu de l'activité lucrative »), dans la mesure où aucune franchise n'est prévue pour le revenu des enfants (c. 5.8).
Le TF rejette le recours de la caisse de compensation et confirme l’arrêt du tribunal cantonal.
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne
TF 4A_17/2023 du 9 mai 2023
Responsabilité aquilienne; dommage, théorie de la différence, dommage normatif; art. 41 al. 1 et 55 CO
Cet arrêt s’inscrit dans le cadre du scandale des gaz d’échappement diesel (Diesel-Abgasskandal), désormais connu sous le nom de « dieselgate ». Cette polémique a mis en lumière l’installation par un constructeur automobile allemand, dans près de 11 millions de ses véhicules diesel, d’un logiciel manipulant les résultats des tests d’émissions polluantes.
Dans le cas d’espèce, la recourante a directement actionné le constructeur, avec lequel elle n’avait aucune relation contractuelle, auprès du Tribunal de commerce du canton de Zurich. Se fondant sur les art. 41 ss CO, respectivement l’art. 55 CO, elle a conclu à la restitution en nature, à savoir le remboursement du prix d’achat brut, de son véhicule de CHF 33'102.-, ainsi qu’au remboursement à hauteur de EUR 3'357.39 au titre de frais de réparation de la boîte de vitesses pour un défaut survenu le 27 mai 2016 en Allemagne, dans les deux cas en échange de la restitution du véhicule. A titre subsidiaire, la recourante a conclu au paiement de dommages-intérêts à hauteur de 25 % du prix du véhicule neuf, soit CHF 8’275.50. Le Tribunal de commerce du canton de Zurich a rejeté la restitution en nature et n’est pas entré en matière sur la prétention tendant au remboursement des frais de réparation de la boîte à vitesse, faute de compétence internationale.
Le TF a confirmé cette décision. En opérant une distinction parmi les prétentions, elle a conclu que la compétence des tribunaux suisses était donnée selon l’art. 24 CL pour celles liées directement au scandale des gaz d’échappement. En revanche, les juges fédéraux sont arrivés à la conclusion inverse concernant la prétention fondée sur le dommage causé par le défaut affectant la boîte à vitesses à mesure que celui-ci s’était produit en Allemagne (c. 2.2.4). Le TF a en outre rappelé que la CL ne connaissait pas de for général de cumul objectif d’actions (c. 2.2.5).
Pour fonder l’existence d’un dommage dans le cadre spécifique du « dieselgate », la recourante s’est basée sur un arrêt de la Cour fédérale de justice d’Allemagne et sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. La décision allemande a considéré comme décisif le fait que l’acheteur ait conclu un contrat de vente qu’il n’aurait raisonnablement pas conclu, s’il avait eu connaissance de la manipulation du logiciel. Selon la Cour fédérale de justice allemande, cet engagement involontaire constitue un dommage relevant du droit de la responsabilité civile extracontractuelle. La Cour de justice de l’Union européenne a abouti à la même conclusion en retenant que l’achat d’une voiture concernée par le « dieselgate » donnait droit à des dommages-intérêts contre le constructeur sur la base de ce même régime de responsabilité (c. 7.2).
Le TF affirme qu’il ne peut suivre un tel raisonnement pour le droit suisse (c. 7.3). Il explique que de jurisprudence constante, le dommage en droit de la responsabilité civile extracontractuelle est basé sur la théorie de la différence. Selon cette théorie, le dommage est la diminution involontaire du patrimoine net, correspondant à la différence entre l’état actuel du patrimoine et l’état hypothétique qu’il aurait sans le fait dommageable. La réparation d’un dommage normatif – non lié à une diminution du patrimoine – n’est accordée que dans deux cas de figure, à savoir le dommage ménager (Haushaltschaden) et le dommage de prise en charge (Pflegeschaden). Ce n’est que dans ces cas que des dommages-intérêts peuvent être versés, même s’il n’y a pas eu une diminution du patrimoine (c. 7.3.1).
En l’espèce, la recourante n’a pas démontré que le comportement du constructeur lui aurait causé un dommage. Elle n’a pas fait valoir que la valeur vénale de son véhicule aurait été plus élevée sans la manipulation du logiciel, respectivement qu’elle aurait pu obtenir un prix de revente plus élevé sans celle-ci. Elle n’a en outre pas invoqué une moins-value mercantile au sens de la jurisprudence, des frais de réparation et d’équipement ultérieur ou d’autres frais consécutifs tels qu’une consommation accrue de carburant (c. 7.3.2).
La conclusion involontaire d’un contrat ne constitue pas un préjudice indemnisable en vertu du droit de la responsabilité civile extracontractuelle. En définitive, la recourante demande une « réparation du tort moral déguisée pour défaut matériel » qui ne peut être accordée en vertu des art. 41 et 55 CO (c. 7.3.3).
Il en découle que ni la restitution en nature ni le remboursement des « overcharges » (différence entre le prix effectif et le prix hypothétique du véhicule) réclamés ne trouvent de fondement dans les art. 41 ou 55 CO, conduisant au rejet du recours (c. 7.4).
Auteur : Scott Greinig, avocat, MLaw, assistant-doctorant à Neuchâtel
TF 4A_49/2023 du 3 mai 2023
Assurances privées; obligation de diminuer le dommage, assurance de sommes; art. 61 al. 1 aLCA ( 38a al. 1 LCA); 42 LTF
A. est un dentiste indépendant qui a conclu une assurance de perte de gain en cas de maladie sous forme d’une assurance de sommes avec un salaire de CHF 73'000.-. Après avoir pris en compte une incapacité de travail de presque une année dans la profession habituelle de A., l’assureur B. indique le 3 juillet 2019 à A. qu’en tenant compte d’une pleine capacité de travail dans une autre profession mieux adaptée à son état de santé, il ne pourra plus servir d’indemnités journalières à partir du 1er novembre 2019.
En premier lieu, le TF rappelle qu’un éventuel deuxième échange d’écritures ne saurait être utilisé pour améliorer ou compléter un recours, car au sens de l’art. 42 al. 1 LTF, les mémoires de recours doivent être déposés avec une motivation complète. Les griefs soulevés dans un deuxième temps sont donc irrecevables (c. 1.2).
Sur le fond, en considérant la teneur des conditions générales d’assurances qui permettent à l’assureur B. de tenir compte d’une incapacité de gain dans une autre activité professionnelle en cas d’incapacité de travail de longue durée, le TF confirme l’application de sa jurisprudence constante en matière d’obligation de réduire le dommage (c. 3.2 et 3.3.1).
En fixant à A. un délai de quatre mois pour un changement d’activité professionnelle, l’assureur B. respecte le délai de transition habituel (trois à cinq mois). Peu importe par ailleurs qu’il s’agisse d’une assurance de sommes ou de dommages, l’obligation de limiter le dommage s’applique (c. 3.3.1 et 3.3.3). Par ailleurs, A. considère qu’il n’y a pas lieu de comparer le salaire assuré de CHF 73'000.- avec un revenu à réaliser dans une activité professionnelle mieux adaptée à son état de santé, mais son salaire AVS qui est sensiblement plus élevé. Le TF estime à ce titre qu’en regard des conditions contractuelles du contrat d’assurance, la solution retenue par l’assureur (salaire assuré de CHF 73'000.- versus salaire de remplacement) ne viole pas le droit fédéral (c. 3.3.2).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge
TF 9C_226/2022 du 2 mai 2023
Assurance-vieillesse et survivants, remise de moyens auxiliaires, âge AVS; art. 43quater al. 1 LAVS; 4 OMAV
Un assuré, amputé de sa jambe droite à la suite d’un accident survenu le 8 juillet 1981, a bénéficié de la prise en charge des frais d’entretien et de renouvellement de la prothèse standard qui lui avait été remise à titre de moyen auxiliaire de l’assurance-invalidité. En avril 2020, il présente une nouvelle demande de moyen auxiliaire, sous forme de prothèse de jambe avec genou articulé contrôlé par microprocesseur de type C-Leg, au motif que celle-ci serait nécessaire à l’exercice de l’activité poursuivie après l’âge de la retraite. La juridiction cantonale a nié le droit à la remise d’une prothèse de type C-leg, au motif que l’assuré (né en 1951) avait atteint l’âge ouvrant le droit à une rente de l’AVS lors du dépôt de sa dernière demande, de sorte que seules les dispositions de la LAVS trouvent application.
Pour le TF, il n’y a pas de discrimination en raison de l’âge dès lors que l’assuré a bénéficié, et continue de bénéficier depuis 1981, d’un modèle de moyen auxiliaire jugé simple et adéquat pour atteindre les buts fixés par la loi. La juridiction cantonale a ainsi considéré à bon droit que l’assuré ne peut pas prétendre, sous le régime de la LAVS, à un moyen auxiliaire plus perfectionné que celui qui lui avait été accordé depuis 1981 sous le régime de l’AI, sous peine d’étendre la garantie des droit acquis d’une manière contraire au sens et au but de l’art. 4 OMAV.
Le TF rappelle par ailleurs que le but de l’art. 4 OMAV est de maintenir les droits acquis avant l’âge de retraite, mais pas de conférer à l’assuré un droit à l’octroi d’un moyen auxiliaire s’adaptant à l’atteinte à la santé. Si le moyen auxiliaire remis sur la base de la garantie des droits acquis peut parfois être d’une meilleure qualité que celui accordé sous le régime de la LAI, l’octroi d’un tel moyen est toutefois toujours justifié par des motifs techniques foncièrement indépendants de la seule qualité intrinsèque du moyen en question. Le seul fait qu’une prothèse de type C-leg soit d’une meilleure qualité qu’une prothèse mécanique ne suffit dès lors pas à justifier sa remise.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne
TF 6B_197/2021 du 28 avril 2023
Responsabilité aquilienne; obligation de prévention des accidents, devoir de diligence; art. 117 CP; 29 al. 1 OPA
Un employé d’une usine chimique remplit des conteneurs avec des eaux usées issues de la fabrication d’un composant. Les cinq premières cuves sont remplies sans incident. Au cours du remplissage du sixième conteneur, l’employé ne réalise pas qu’il s’agit d’un ancien conteneur non conducteur d’électricité, contrairement aux cinq premiers, lequel contenait des restes d’un distillat facilement inflammable. Le mélange des substances génère une décharge électrique entraînant une explosion du conteneur et provoquant le décès d’un ouvrier à proximité. Le responsable de la sécurité du site de production, acquitté en première instance mais reconnu coupable d’homicide par négligence par le tribunal cantonal, interjette recours auprès du TF.
Le TF rappelle les principes juridiques relatifs à l’art. 117 CP (homicide par négligence) et aux infractions par omission de même que les obligations de protection de l’employeur en vertu des articles 328 al. 1 CO et 3 al. 1 OPA (consid. 3.2.1 à 3.2.4). Il souligne ensuite que l’art. 29 al. 1 OPA traite spécifiquement du danger d’incendie et d’explosion et relève que les exploitants d’installations techniques dangereuses sont en principe tenus de veiller, par des dispositifs de sécurité appropriés, à ce que les risques d’accidents spécifiques liés à l’exploitation de l’installation puissent être évités dans la mesure du possible. L’arrêt relève que, dans le cas d’espèce, la production du composant chimique était une activité dangereuse. Or le recourant n’avait mis aucune mesure en place afin de garantir que les conteneurs non conducteurs soient tous éliminés de l’usine. L’arrêt mentionne également l’absence d’étiquetage des différents conteneurs accessibles aux employés ainsi qu’un défaut de formation du personnel travaillant sur le remplissage des cuves. En outre, le TF relève qu’aucune sensibilisation aux dangers posés par les conteneurs non conducteurs n’avait été instaurée par le recourant. Ce dernier a donc fait preuve de négligence dans la prévention d’éventuels accidents mortels en ne mettant en place qu’une seule mesure de sécurité, consistant en la vérification d’un câble de mise à terre sur les conteneurs, mesure manifestement insuffisante au regard de la dangerosité de l’activité en cause (c. 3.4.3).
Le recourant affirmait qu’il ne pouvait s’attendre à ce qu’un employé ne vérifie pas le câble de mise à terre et ne devait pas compter sur la présence d’un travailleur à proximité de la cuve au cours du remplissage. Après avoir rappelé qu’il n’existe pas de compensation des fautes en droit pénal, le TF relève que le comportement d’un tiers ne peut interrompre le lien de causalité que si cette cause apparaît tout à fait exceptionnelle ou si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Le TF souligne qu’il est incontestable que l’ouvrier en charge du remplissage des cuves savait qu’il aurait dû contrôler le câble de mise à terre en question et qu’il a omis de procéder à cette étape de contrôle prévue dans les instructions de fabrication. Toutefois, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, une telle étape de contrôle peut être facilement ignorée au cours de travaux de routine comportant des tâches répétitives. En ce qui concerne la présence d’un employé à proximité de la cuve, l’arrêt souligne qu’il est notoire que les employés ne se tiennent pas toujours uniquement aux postes de travail qui leur sont attribués et qu’ils se déplacent sur le lieu de travail pour des raisons les plus diverses, par exemple pour aider un collègue ou pour discuter avec quelqu’un (c. 3.5.4).
Le TF rejette l’argument du recourant tiré du principe de la confiance d’après lequel il pouvait s’attendre à ce que les ouvriers en question se conforment aux prescriptions de sécurité instaurées au sein de l’entreprise par ses soins. Ainsi celui qui, comme le recourant, a une responsabilité spécifique de contrôle, doit s’attendre à des erreurs. Le principe de la confiance doit être relativisé lorsque les obligations de diligence en question visent précisément à surveiller, contrôler ou superviser les agissements d’autres personnes, et donc à prévenir leur comportement fautif.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains
TF 6B_1108/2021 du 27 avril 2023
Aide sociale; perception de prestations indues, cas de peu de gravité; art. 148a al. 2 CP
Dans le cas d’une personne bénéficiaire de l’aide sociale ayant omis avoir perçu des avoirs de libre passage à hauteur de CHF 18'400.-, le TF a été amené à définir la notion de cas de peu de gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP. La distinction entre l’art. 148a al. 1 et al. 2 CP est essentielle, dans la mesure où une condamnation en vertu de l’art. 148a al. 1 CP est un cas d’expulsion obligatoire au sens de l’art. 66a CP, alors que ce n’est pas le cas si la condamnation est prononcée en application de l’art. 148a al. 2 CP.
Le TF délimite le champ d’application des deux alinéas en indiquant que si le montant du délit est inférieur à CHF 3'000.-, il s’agit toujours d’un cas de peu de gravité ; à l’inverse, s’il est supérieur à CHF 36'000.- il ne s’agit en règle générale plus d’un cas de faible gravité. Dans l’intervalle entre ces deux montants, un examen approfondi des circonstances du cas d’espèce est nécessaire. Une obtention illicite de prestations durant une courte période, un comportement ne traduisant pas une intention marquée d’enfreindre la loi, une motivation ou des buts compréhensibles, sont autant d’indices d’une faible culpabilité. En cas de procédé astucieux, il conviendrait avant toute chose d’examiner si les éléments constitutifs d’une escroquerie sont réalisés, auquel cas l’expulsion devrait obligatoirement être ordonnée.
En l’espèce, la personne bénéficiaire n’a passé sous silence qu’un seul montant, et s’est expliquée à première réquisition. Elle a produit toutes les pièces justificatives demandées. L’intention d’enfreindre la loi étant ici peu marquée, il s’agit d’un cas de faible gravité, de sorte que l’expulsion ne peut être ordonnée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_489/2022 du 27 avril 2023
Prestations complémentaires à l’AVS/AI; procédure, conflit négatif de compétence ratione loci; art. 58 al.1 LPGA
L’enfant bénéficiaire de prestations complémentaires en lien avec une rente pour enfant d’invalide n’est ni la personne assurée, ni une autre partie à la procédure au sens de l’art. 58 al. 1 LPGA, disposition qui règle la question de la compétence territoriale des tribunaux cantonaux des assurances. En cas de litige portant sur des prestations complémentaires pour enfant d’invalide, le tribunal des assurances du canton de domicile du bénéficiaire de la rente de base (« Stammrente ») est territorialement compétent. Dans le cas présent, il s’agit du tribunal des assurances du canton du domicile de la mère bénéficiaire de la rente d’invalidité (c. 3.3).
Auteur : Eric Maugué
TF 8C_689/2022 du 26 avril 2023
Assurance-chômage; indemnité pour insolvabilité, personne dirigeante; art. 31 al. 3 let. c et 51 al. 2 LACI
L’art. 51 al. 2 LACI limite le droit à l’indemnité pour cause d’insolvabilité des personnes jouissant d’une position dirigeante de fait ou de droit dans une entreprise. On applique les mêmes principes et la même jurisprudence qu’en matière d’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (art. 31 al. 3 let. c LACI).
Si la personne concernée a une position dirigeante de par la loi (par ex. : associée d’une Sàrl, membre du conseil d’administration d’une SA), elle fait d’emblée partie des personnes qui sont exclues du cercle des ayants droit aux indemnités susmentionnées. Lorsque la personne concernée ne jouit pas d’une telle position, il faut prendre en compte la structure interne de l’entreprise. Ainsi, ce n’est pas parce que l’employé ne dispose d’aucune signature qu’il ne dispose pas d’un certain pouvoir décisionnel et influent.
En l’espèce, le TF renverse un arrêt cantonal zurichois, car l’employé était gérant, certes sans pouvoir de signature. Il avait toutefois une influence effective et importante sur la marche de l’entreprise. Dans ces conditions, le droit à une indemnité pour insolvabilité n’est pas ouvert.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg
TF 4A_168/2023 du 21 avril 2023
Responsabilité aquilienne; dommage, fardeau et ampleur de l’allégation; art. 42 al. 2 CO
Le TF rappelle que même dans le champ d’application de l’art. 42 al. 2 CO et indépendamment de la méthode d’évaluation du dommage, le demandeur doit exposer toutes les circonstances auxquelles il a accès et sur la base desquelles le tribunal peut éventuellement estimer le dommage. L’art. 42 al. 2 CO ne libère pas le demandeur de la charge de fournir au juge, dans la mesure où cela est possible et où on peut l‘attendre de lui, tous les éléments de fait qui constituent des indices de l’existence du dommage et qui permettent ou facilitent son estimation ; il n’accorde pas au lésé la faculté de formuler sans indications plus précises des prétentions en dommages-intérêts de n’importe quelle ampleur.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg
TF 4A_557/2022 du 18 avril 2023
Assurances privées; procédure, légitimation passive, for, maxime inquisitoire, fardeau de l’allégation, fardeau de la preuve; art. 95a LCA; 7, 32 et 243 CPC
Dans le cadre d’une procédure ayant pour objet la restitution d’indemnités journalières maladie, un employé assuré par le biais d’un contrat collectif conclu par son employeur recourt au TF en contestant notamment sa légitimation passive ainsi que le for de l’art. 32 CPC sur lequel s’est fondé l’autorité inférieure pour statuer.
Le TF rappelle que l’art. 95a LCA (anciennement art. 87a LCA) prévoit que la personne en faveur de laquelle une assurance-maladie collective a été conclue dispose, dès la survenance de la maladie, d’un droit propre contre l’entreprise d’assurance. Si l’employeur conclut une assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, l’employé est ainsi l’ayant droit de la prestation d’assurance. A l’inverse, l’assureur est habilité à faire valoir d’éventuelles prétentions en restitution directement contre la personne assurée par un contrat collectif (c. 3.2).
Le TF renonce à se prononcer sur la question du for de l’art. 32 CPC dans la mesure où, même si l’on suivait le point de vue du recourant et que l’on considérait qu’il n’y avait pas de contrat de consommation, le recourant aurait dû être poursuivi en tous les cas en tant que partie défenderesse au for de son domicile, ce qui a été le cas en l’espèce (c. 4.1).
Finalement, le TF rejette le grief de violation des articles 7 et 243 CPC invoqué par le recourant. Selon ce dernier, l’intimée aurait invoqué l’ensemble du dossier sans aucune justification, ce qui devrait être considéré comme insuffisant, même au regard de la maxime inquisitoire sociale. A cet égard, le TF considère suffisante comme justification des prétentions l’énumération au chiffre 27 de la réplique des indemnités journalières versées sous forme de tableau et l’offre de preuve par la mention de la pièce correspondante au dossier. Il considère ainsi infondé le grief selon lequel l’intimée n’aurait pas suffisamment prouvé ses prétentions (c. 4.2).
Auteure : Tania Francfort, Titulaire du brevet d’avocat
TF 8C_57/2023 du 17 avril 2023
Assurance-chômage; aptitude au placement, obligation de diminuer le dommage, personne en formation; art. 8 et 15 LACI
Dans cet arrêt, le TF est amené à examiner l’aptitude au placement d’un assuré suivant une formation universitaire.
L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective (d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue) et n’est pas sujette à fractionnement. Lorsqu’un assuré est disposé à n’accepter qu’un travail à temps partiel (d’un taux d’au moins 20 %), il convient d’admettre l’aptitude au placement de l’intéressé dans le cadre d’une perte de travail partielle (et non une aptitude au placement partielle pour une perte de travail de 100 %). Ainsi, c’est sous l’angle de la perte de travail à prendre en considération qu’il faut, le cas échéant, tenir compte du fait qu’un assuré au chômage ne peut ou ne veut pas travailler à plein temps.
Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, être objectivement disposé – et être en mesure de le faire – à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Il faut que la volonté de l’assuré se traduise – pendant toute la durée du chômage – par des actes (une simple allégation de celui-ci ne suffit pas). La disponibilité d’un assuré à l’exercice d’un emploi salarié et au suivi d’une mesure du marché du travail s’examine d’après toutes les circonstances concrètes, en tenant compte du caractère vraisemblable de la possibilité d’interrompre la formation dans de brefs délais et de la volonté de l’assuré de le faire.
Le devoir de diminuer le dommage à l’assurance-chômage oblige l’assuré qui fait valoir des prestations à élargir le champ de ses recherches d’emploi – au besoin et assez rapidement – à d’autres activités que celles exercées précédemment et à accepter en règle générale immédiatement tout travail convenable.
Vu que l’aptitude au placement doit être évaluée de manière prospective et compte tenu des exigences sévères du devoir de limiter le dommage, le TF confirme l’appréciation de la cour cantonale, laquelle a retenu une aptitude de placement de 60 %, sur la base de la grille horaire des cours de la formation, et en déduisant des affirmations de l’assuré – selon lesquelles il était prêt à renoncer à sa formation d’une durée de quatre semestres s’il se présentait un emploi à plein temps ou était assigné à une mesure de l’ORP – qu’il n’aurait pas été prêt à interrompre sa longue formation à bref délai (à l’exception des réserves émises). En effet, à l’examen de l’ensemble des circonstances liées à la formation universitaire suivie par le recourant, il a été jugé inconcevable que celui-ci trouve un emploi à un taux de 100 %, voire 75 %, ni qu’un employeur s’accommode des horaires imposés par sa formation.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel
TF 9C_549/2022 du 12 avril 2023
Prestations complémentaires à l’AVS/AI; renonciation aux prestations d’assurance; Art. 23 LPGA
En 2021, une bénéficiaire de rente AI demande à renoncer aux PC dont elle bénéficie pour éviter que ses héritiers ne soient amenés à les rembourser.
Il ne doit pas être tenu compte des faits survenus postérieurement à la décision sur opposition. Ces faits doivent faire l’objet d’une nouvelle procédure administrative (c. 6.1)
La cour cantonale ayant constaté que le revenu de l’assurée se monte à CHF 1'931.00, qu’elle ne dispose pas de liquidités suffisantes et disponibles rapidement pour faire face à ses dépenses et qu’elle risque donc de léser les intérêts de l’aide sociale et de ses proches, le TF confirme la décision cantonale mettant en évidence l’existence d’un préjudice pour l’aide sociale au sens de l’art. 23 al. 2 LPGA (c. 6.2).
Les conditions pour protéger la bonne foi de la recourante, qui fait valoir que sa conseillère lui aurait garanti en 2015 qu’elle ne devrait jamais rembourser les PC perçues, ne sont pas données car elles supposent que la loi n’ait pas changé depuis le moment où la garantie a été donnée. Tel est le cas ici dans la mesure où la loi a changé avec entrée en vigueur le 1er janvier 2021 (c. 6.3).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds
TF 9C_512/2022 du 6 avril 2023
Assurance-maladie; « Listes noires », moment de l’inscription, procédure cantonale (Aarau); art. 64a al. 7 LAMal
La question litigieuse est celle de savoir à partir de quelle date la personne assurée peut être inscrite sur la liste tenue par le canton d’Argovie de personnes n’ayant pas payé leurs primes et faisant l’objet de poursuites (« liste noire »). Le droit argovien prévoyant que cette inscription peut intervenir à l’échéance d’un délai de 30 jours dès la « communication de la poursuite » (« Betreibungsmeldung »), les premiers juges avaient retenu, suivant en cela la personne assurée, que le délai de 30 jours courait depuis la date de la notification du commandement de payer.
Procédant à l’interprétation du droit cantonal selon les méthodes usuelles, le TF parvient à la conclusion que le droit argovien n’est pas formulé de manière aussi restrictive, et que la solution des juges cantonaux est arbitraire. Sur la base des travaux préparatoires, mais également de son texte, qui ne reprend pas la formulation du droit des poursuites, ou encore du but de la norme, il fallait ici comprendre que le législateur argovien entendait faire partir le délai de 30 jours depuis le moment où la personne assurée avait été informée que des poursuites allaient être engagées à son encontre en raison de primes ou de participations impayées, et non depuis la notification formelle d’un commandement de payer.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_534/2021 du 4 avril 2023
Assurance-maladie; calcul du remboursement des recettes de médicaments, droit transitoire; art. 18 et 32 LAMal; 65b, 65d, 65f et 67 OAMal; 37e OPAS; LS
A. SA est titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament C., lequel figure sur la liste des spécialités pharmaceutiques et des médicaments confectionnés avec prix (LS) depuis le 1er août 2014. L’examen d’économicité requis avait alors été effectué sur la base d’une comparaison thérapeutique transversale (CTT) et d’une comparaison avec les prix pratiqués à l’étranger (CPE). Sur demande de A. SA en vue du réexamen périodique triennal des conditions d’admission à la LS, l’OFSP a baissé le prix du médicament C. de 30 % au 1er janvier 2018. Le 3 septembre 2018, l’OFSP a ordonné le remboursement des recettes supplémentaires en se fondant sur une CTT et une CPE. Le litige porte sur la question de savoir si l’instance inférieure a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’OFSP par laquelle le montant du remboursement a été calculé sur la base tant d’une CPE que d’une CTT, et non pas seulement d’une CPE (c. 2.1).
Au moment de l’admission du médicament C. dans la LS au 1er août 2014, la différence entre le prix de fabrique lors de l’admission et celui après la baisse de prix était généralement calculée exclusivement sur la base d’une CPE (c. 2.2.1). La prise en compte régulière de la CTT dans le cadre de l’examen périodique triennal des conditions d’admission a été introduite – dans le sillage de l’ATF 142 V 26 – de manière explicite dans l’OAMal et l’OPAS avec les révisions du 1er février 2017 (c. 2.3).
Le TF rappelle que lors de l’introduction du médicament C. le 1er août 2014, le prix de fabrique a été fixé sur la base d’une CPE et d’une CTT, ce qui est correct tant selon le droit de l’époque que selon le droit actuel (c. 3.1). Il considère en effet qu’il ne ressort pas des dispositions transitoires relatives aux modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 29 avril et du 21 octobre 2015 que seule une CPE doit être effectuée (c. 3.2.1). Le TF rappelle de plus que l’ATF 142 V 26 a constaté l’illégalité du réexamen triennal du caractère économique d’un médicament basé uniquement sur un CPE – et donc de l’art. 65d al. 1bis OAMal dans sa version en vigueur du 1er juin 2013 au 31 mai 2015 – et a conclu à la nécessité d’effectuer également une CTT (c. 4). Il considère donc qu’au moment de l’admission du médicament C. dans la LS le 1er août 2014, il fallait effectuer non seulement une CPE, mais également une CTT lors du contrôle triennal (c. 5.1).
Concernant le droit transitoire, le TF considère que les dispositions transitoires des modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 29 avril et du 21 octobre 2015 ne permettent pas de conclure que, lors du calcul des éventuelles recettes supplémentaires à restituer dans une constellation comme celle du cas d’espèce (admission de la LS avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l’ordonnance au 1er juin 2015, pas de nouvel examen des conditions d’admission jusqu’à présent), une CTT doit également être effectuée. Cela n’est toutefois pas étonnant car à l’époque l’ATF 142 V 26 n’était pas encore disponible. La question peut donc rester ouverte de savoir si les normes de droit transitoire correspondantes s’appliquent à cet endroit, étant donné que les modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 1er février 2017, entrées en vigueur le 1er mars 2017, ne contiennent aucune disposition transitoire sur le thème du remboursement des recettes supplémentaires pour les médicaments (c. 5.3.2).
Selon le TF, le calcul des recettes supplémentaires remboursables sur la base d’une CPE et d’une CTT ne constitue pas une violation du principe de non rétroactivité. Au contraire, il ne fait que mettre en œuvre ce qui aurait déjà dû être conforme à la législation en 2014 (c. 6). En l’absence de violation de l’interdiction de la rétroactivité, le principe de la confiance ne peut pas non plus justifier l’application de la pratique contraire à la loi selon l’ATF 144 V 26, qui consisterait à procéder au contrôle triennal sur la base d’une CPE uniquement (c. 7.2).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne
TF 9C_457/2022 du 3 avril 2023
Assurance-invalidité; révision procédurale, délai de péremption; art. 53 al. 1 LPGA; 67 al. 1 PA
Par décision du 15 novembre 2007, l’Office AI pour le canton de Vaud a rejeté la première demande de prestations AI de A. Le 29 août 2013, l’autorité précitée a également rejeté la deuxième demande de prestations déposée par l’assuré, ayant relevée qu’aucun fait médical nouveau n’avait été constaté lors de l’instruction de la demande. En date du 2 septembre 2021, l’Office AI a rejeté la troisième demande de prestations de A. Le Tribunal cantonal a admis le recours de l’assuré et renvoyé la cause dans le sens des considérants. A. forme un recours contre cet arrêt dont il demande l’annulation, concluant principalement à ce qu’il soit admis « la présence d’un motif de révision procédure au sens de l’article 53 al. 1 LPGA des décisions du 15 novembre 2007, respectivement du 29 août 2013 » et subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée à l’office AI pour nouvelle expertise psychiatrique portant sur le droit aux prestations à partir de 2004. Le TF précise que le litige porte uniquement sur la révision procédurale des décisions de l’office AI des 15 novembre 2007 et 29 août 2013, le jugement rendu par le Tribunal cantonal étant une décision partielle au sens de l’art. 9 LTF.
S’agissant des délais applicables en matière de révision, l’art. 53 al. 1 LPGA n’en prévoit pas. En vertu du renvoi prévu par l’art. 55 al. 1 LPGA, sont déterminants les délais applicables à la révision de décisions rendues sur recours par une autorité soumise à la PA. A cet égard, l’art. 67 al. 1 PA prévoit un délai (de péremption) absolu de dix ans dès la notification de la décision sur recours (soit la décision soumise à révision). La jurisprudence a précisé que ce délai absolu de dix ans était aussi applicable lorsque la révision procédurale portait sur une décision de l’administration.
Après dix ans, la révision ne peut être demandée qu’en vertu de l’art. 66 al. 1 PA (art. 67 al. 2 PA). Aux termes de cette disposition, l’autorité de recours procède, d’office ou à la demande d’une partie, à la révision de sa décision lorsqu’un crime ou un délit l’a influencée.
Ainsi, la demande de révision procédurale de la décision du 15 novembre 2007 devait être adressée par écrit à l’autorité qui a rendu la décision dans les 90 jours qui suivaient la découverte du motif de révision, mais au plus tard dix ans après la notification de la décision (art. 67 al. 1 PA en corrélation avec l’art. 55 al. 1 LPGA). En agissant le 5 janvier 2021, soit plus de 13 ans après la notification de la décision du 15 novembre 2007, le recourant a agi tardivement. Il ne prétend par ailleurs pas qu’un crime ou un délit a influencé cette décision (révision « propter falsa », au sens de l’art. 66 al. 1 PA). Dans ces conditions, le droit de demander la révision procédurale de la décision du 15 novembre 2007, fondé sur les irrégularités alléguées de l’expertise psychiatrique du 25 novembre 2005, était périmé au moment où le recourant s’en est prévalu le 5 janvier 2021.
A moins qu’il existe un motif de révision matérielle (art. 17 LPGA), l’autorité de la chose décidée interdit de recommencer la procédure qui a conduit à la décision du 15 novembre 2007 sur le même objet. Pour demander la révision procédurale de la décision du 29 août 2013, le recourant devait invoquer, conformément aux exigences découlant de la sécurité du droit, des faits nouveaux importants ou des nouveaux moyens de preuve qui ne fondaient pas déjà la décision du 15 novembre 2007. La répétition des moyens invoqués tardivement pour demander la révision de la décision du 15 novembre 2007 ne saurait par conséquent ouvrir la voie de la révision « propter nova » de la décision du 29 août 2013.
Par cet arrêt, le TF limite le droit de l’assuré à déposer une demande de révision procédurale au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, en soumettant cette dernière au délai de péremption de dix ans prévu par l’art. 67 al. 1 PA. Toutefois, notre Haute Cour considère qu’un tel délai ne s’applique pas à la révision d’une décision pour un motif matériel, tel que le prévoit l’art. 17 LPGA. Il reste également muet sur la question de savoir si un tel délai s’applique aussi à la révision d’office par l’autorité, prévu également à l’art. 53 al. 1 LPGA.
Auteur : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne
TF 9C_510/2022 du 30 mars 2023
Assurance-invalidité; mesures médicales de réadaptation, traitement de durée indéterminée; art. 12 LAI
Le TF confirme que les mesures médicales de réadaptation doivent notamment permettre d’atteindre un résultat certain dans un laps de temps déterminé. En l’espèce, l’enfant est âgé de moins de dix ans et il ressort des constats médicaux que les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie devront se poursuivre jusqu’à la fin de sa croissance et de son développement, soit au-delà de sa majorité, sans aucune autre précision quant à la durée du traitement. En conséquence, le droit à la prise en charge de ces traitements par l’AI doit être nié, quand bien même l’enfant bénéficie d’une API et quand bien même les traitements lui seraient profitables. La notion de pronostic favorable n’a ici pas à être investiguée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 6B_208 et 209/2021 du 29 mars 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles simples par négligence, devoir de diligence, faute dans l’acceptation d’une tâche acceptation du risque, entrave à la circulation publique; art. 125 al. 1 et 237 CP
Lors d’un vol d’examen de parapente en tandem, dans la phase d’approche transversale en vue de l’atterrissage, A. a freiné fortement en tirant sur les deux drisses de frein, puis sur celle actionnant le frein gauche, et a provoqué le décrochage puis la chute du parapente. Le passager B. a subi des lésions. A. a été reconnu coupable de lésions corporelles simples par négligence. Il a cependant été acquitté du chef d’accusation d’entrave à la circulation publique. A. et le Ministère public de la Confédération recourent au TF.
Se référant au jugement cantonal, le TF rappelle que pour déterminer l’étendue de la diligence à observer lors d’un vol plané en tandem, il y a lieu de se référer tout d’abord aux dispositions légales relatives à l’aviation, en particulier à l’ordonnance du DETEC du 24 novembre 1994 sur les aéronefs de catégories spéciales (OACS), à l’ordonnance du DETEC du 20 mai 2015 concernant les règles de l’air applicables aux aéronefs (ORA), à l’ordonnance du 22 janvier 1960 sur les droits et obligations du commandant de bord d’un aéronef (OCdt), aux directives de la Fédération suisse de vol libre (FSVL) du 1er septembre 2015 concernant l’examen d’aptitude pour pilotes de biplace en parapente niveau 1, aux documents théoriques remis pour l’examen et aux connaissances et aptitudes personnelles du pilote. En outre, conformément à l’art. 5a OACP, les dispositions de l’annexe du règlement d’exécution (UE) n° 923/2012 de la Commission européenne du 26 septembre 2012 (Standardised European Rules of the Air, SERA) sont applicables (c. 3.2).
Le TF rappelle ensuite qu’agit par négligence celui qui, par imprévoyance coupable, n’a pas réfléchi aux conséquences de son comportement ou n’en a pas tenu compte. L’imprévoyance est coupable lorsque l’auteur n’a pas pris les précautions auxquelles il était tenu en raison des circonstances et de sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP). Un comportement est considéré comme imprudent si, au moment de l’infraction, l’auteur aurait pu et dû reconnaître la mise en danger des intérêts juridiques de la victime sur la base des circonstances ainsi que de ses connaissances et compétences et s’il a en même temps dépassé les limites du risque autorisé. Lorsque des normes particulières de prévention des accidents et de sécurité imposent un certain comportement, la mesure de la diligence à observer se détermine en premier lieu d’après ces prescriptions. En l’absence de telles règles, le reproche de négligence peut se baser sur des règles de comportement généralement reconnues d’associations privées ou semi-privées ou sur des principes généraux de droit tels que le devoir de prudence face à une situation dangereuse. La prudence à laquelle un auteur est tenu est finalement déterminée par les circonstances concrètes et sa situation personnelle. L’imprévoyance coupable peut également être fondée sur le fait pour le prévenu d’accepter d’accomplir une tâche qu’il n’est manifestement pas en mesure d’accomplir en raison de sa situation personnelle, notamment de sa formation (Übernahmeverschulden). Dans ce cas, la violation de la diligence ne réside pas dans le fait que le prévenu se comporte de manière imprudente et contraire à ses devoirs dans le cadre d’une activité, mais plutôt dans le fait qu’il exerce cette activité alors qu’il aurait pu se rendre compte qu’il n’était pas à la hauteur (c. 3.3).
En l’espèce, le recourant A. affirme qu’au moment de l’accident, il ne pouvait pas se rendre compte de sa vitesse trop basse en raison des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités encore insuffisantes en tant que pilote biplace. Ce serait en effet lors de l’examen pratique qu’il serait possible de vérifier si le sentiment de vol, en particulier en lien avec la vitesse minimale, est suffisamment développé. Le TF relève que dans la mesure où le recourant fait valoir qu’il n’était pas (encore) en mesure d’évaluer la vitesse de vol adéquate en raison de son manque d’expérience, on peut, contrairement à son opinion, lui imputer une faute ou une négligence (Übernahmeverschulden). En effet, il n’est pas contesté que l’apprentissage du vol en zone de vitesse de sécurité et la problématique de la vitesse minimale de vol font l’objet d’une formation théorique et pratique dans le cadre de la formation de pilote solo et tandem. Selon les explications non contestées de l’expert, chaque candidat est conscient du fait qu’un examen sera interrompu et considéré comme échoué au moindre signe de décrochage. Le vol d’examen est en outre le premier vol du candidat sous sa propre responsabilité, au cours duquel il n’existe en principe pas de liaison radio avec un instructeur de vol. Le candidat assume donc (pour la première fois) seul une grande partie de la responsabilité d’un passager, ce qui rend essentielle la garantie d’une expertise aéronautique suffisante. En outre, conformément au ch. 4.1.3. des directives FSVL, les candidats à l’examen confirment, par leur signature sur le procès-verbal d’examen remis avant celui-ci, qu’ils ont pris connaissance des directives FSVL et qu’ils s’estiment prêts à passer l’examen. Une inscription à l’examen ne doit donc avoir lieu que lorsqu’un candidat est convaincu d’avoir les capacités nécessaires pour passer l’examen – dont fait partie, selon les directives FSVL, l’atterrissage. Le vol d’examen ne semble en effet pas approprié pour « tester » le niveau de formation actuel du pilote. Le recourant ne peut donc pas, après avoir confirmé de manière expresse qu’il était prêt à passer l’examen, se disculper d’une erreur de vol telle que celle commise en l’espèce en faisant référence à son inexpérience ou à son sens du vol insuffisamment développé. Avant de s’inscrire à l’examen, il aurait dû s’assurer qu’il disposait des compétences aéronautiques nécessaires pour passer l’examen en toute sécurité, et il doit se voir imputer son manque d’expérience de vol (c. 3.4).
Le recourant A. soutient ensuite que le passager B. aurait délibérément consenti à une situation de risque accru. Le TF rappelle que pour délimiter les risques illicites des risques encore autorisés dans le sport, il faut se référer aux règles du jeu applicables à la compétition en question. Les différentes approches proposées dans la doctrine ont en commun le fait qu’en cas de réalisation du risque de base spécifique à la discipline sportive, il convient de renoncer à une sanction pénale. Toutefois, plus les règles servant à la protection physique des joueurs sont violées de manière flagrante, moins on peut parler de la réalisation d’un risque spécifique au jeu et plus la responsabilité pénale du joueur devient envisageable. S’agissant du parapente, il n’y a pas de « règles du jeu », mais les bases légales pertinentes rappelées ci-dessus s’appliquent. En particulier, le ch. 3101 SERA stipule qu’un aéronef ne doit pas être exploité d’une façon négligente ou imprudente pouvant entraîner un risque pour la vie ou les biens de tiers. Conformément à l’art. 6 al. 1 OCdt, le commandant est tenu de prendre, dans les limites des prescriptions légales, des instructions données par l’exploitant de l’aéronef et des règles reconnues de la navigation aérienne, toutes les mesures propres à sauvegarder les intérêts des passagers, de l’équipage, des ayants droit à la cargaison et de l’exploitant de l’aéronef. Les points 4.1.1 à 4.1.5 des directives FSVL définissent les conditions objectives et subjectives à remplir avant de se présenter à l’examen pratique. En outre, le principe est qu’un expert peut interrompre un examen à tout moment si un candidat est manifestement insuffisamment préparé ou s’il met en danger sa sécurité ou celle de tiers (ch. 4.10 des directives FSVL). Ces normes et règles peuvent être prises en compte pour l’évaluation des risques typiques de la discipline sportive in casu. En omettant de respecter une vitesse minimale adéquate, le recourant a mis en danger la santé et la sécurité de son passager, en violation des prescriptions susmentionnées. Il s’ensuit qu’une erreur d’appréciation de la vitesse n’est pas un simple écart mineur par rapport aux règles reconnues de l’art du vol. Il ne s’agit donc pas de la concrétisation d’un risque typique de la discipline dans le cadre de vols d’examen en parapente, sous la forme d’une légère infraction aux règles de l’art du vol, dont le passager B. aurait éventuellement dû se voir imputer la responsabilité (c. 3.5).
Le TF examine ensuite la question de savoir si un vol en parapente en tandem peut être considéré comme une infraction au sens de l’art. 237 CP (entrave à la circulation publique). Après un rappel très détaillé de l’évolution de la jurisprudence et des avis de doctrine en la matière, le TF revient sur sa jurisprudence actuelle et renoue avec sa jurisprudence initiale en retenant que la personne mise en danger ou lésée au sens de l’art. 237 CP doit représenter la collectivité et, dans ce but, l’identité de la victime concrètement mise en danger ou lésée ne doit dépendre que du hasard. C’est cette atteinte supra-individuelle de la collectivité qui légitime la pénalisation supplémentaire d’un comportement qui met en danger ou porte atteinte aux intérêts juridiques individuels. En d’autres termes, la victime au sens de l’art. 237 CP ne peut être que l’usager de la circulation publique qui est touché par hasard par la mise en danger de l’auteur et qui représente ainsi la collectivité par rapport à l’auteur. En l’occurrence, B. s’est délibérément rendu disponible en tant que passager, si bien qu’il ne peut pas être considéré comme une personne atteinte par hasard par le danger spécifique que représente la circulation publique. Par rapport au pilote du parapente, B. ne représente pas la « collectivité ». Une condamnation pour entrave à la circulation publique n’entre donc pas en ligne de compte (c. 5.2).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne
TF 8C_382/2022 du 27 mars 2023
Assurances-accidents; rente complémentaire, limite de surindemnisation, pas de prise en compte des frais d’avocat; art. 20 al. 2 LAA; 69 al. 2 LPGA
Une assurée s’est vu réclamer par l’assureur-accidents, au titre de la restitution de rentes d’invalidité complémentaires versées en trop, un montant de CHF 24'416.55, après que l’assurance-invalidité lui a accordé rétroactivement une rente d’invalidité complète, en lieu et place d’une rente d’invalidité de 50 %. L’assurée a opposé à la restitution les frais d’avocats qu’elle avait encourus à la suite du sinistre à l’origine de son invalidité, soit un montant de CHF 27'770.95. Dans cette décision, la Haute Cour a considéré qu’un tel montant n’était pas opposable à l’assureur-accidents. En effet, contrairement à ce que prévoit l’art. 69 al. 2 LPGA, l’art. 20 al. 2 LAA ne laisse aucune place pour intégrer d’autres postes de dommages que le gain assuré dans le calcul de surindemnisation. En clair, l’art. 20 al. 2 LAA prévaut, en tant que disposition spéciale, sur la règle générale fixée à l’art. 69 LPGA.
Auteur : Guy Longchamp
TF 2E_6/2021 du 23 mars 2023
Responsabilité de l’Etat; mesures de fermeture liées au Covid-19, manque à gagner d’un fitness, action en responsabilité contre la Confédération; art. 6 al. 2 let. d O 2 Covid-19; 120 al. 1 let. c LTF; 3 al. 1 LRCF
A. SA, une entreprise qui gère des fitness, a été forcée à la fermeture du 17 mars au 10 mai 2020, puis du 22 décembre 2020 au 18 avril 2021, dans le cadre de la crise sanitaire. A. SA a adressé une demande en réparation du dommage à la Confédération pour le manque à gagner estimé à CHF 259'245.-. Cette demande a ensuite été portée devant le TF.
En sa qualité d’instance unique, le TF n’est compétent que pour connaître des actions en dommages-intérêts basée sur la Loi sur la responsabilité, c’est-à-dire des actions pour actes illicites, et non pas des demandes d’indemnisation en équité basée sur l’art. 63 LEp ou encore des demandes en responsabilité pour actes licites. Pour ces deux dernières hypothèses, le lésé doit demander à l’autorité de statuer par la voie de la décision attaquable. La compétence du Tribunal fédéral basée sur l’art. 120 al. 1 let. c LTF ne doit pas être interprétée de manière extensive. Les prétentions de la recourante basée sur l’art. 63 LEp, respectivement sur la responsabilité pour actes licites, ne sont donc pas examinées (c. 1.2 et 4).
Pour que la Confédération soit tenue de réparer le dommage sur la base de la Loi sur la responsabilité, il appartient au lésé de prouver l’existence d’un acte illicite, d’un dommage et d’un lien de causalité entre l’un et l’autre (art. 3 al. 1 LResp) (c. 1.1 et 4.2).
En cas de préjudice purement économique, celui-ci ne peut donner lieu à réparation que lorsque l’acte dommageable viole une norme qui a pour finalité de protéger le lésé dans les droits atteints par l’acte incriminé (illicéité de comportement) (c. 5.1). Savoir si une telle norme existe en l’espèce est une question pouvant restée ouverte (c. 5.3).
En effet, selon la recourante, ce serait en décrétant la fermeture des fitness par voie d’ordonnance que le Conseil fédéral aurait commis un acte illicite. Or, seule une violation particulièrement crasse du devoir de fonction ou une erreur particulièrement lourde pourrait engager la responsabilité du Conseil fédéral en lien avec l’élaboration d’une ordonnance (c. 6.2).
Une telle violation crasse du devoir de fonction ne peut pas être reprochée au Conseil fédéral en lien avec les ordres de fermeture des fitness ancrés à l’art. 6 al. 2 let. d de l’O 2 Covid-19 et 5d al. 1 let. b O Covid-19 situation particulière. Ces mesures n’étaient pas disproportionnées dans le contexte de l’époque. La responsabilité de la Confédération ne peut donc pas être engagée en raison de ces actes (c. 7).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève
TF 6B_47/2021 du 22 mars 2023
Responsabilité aquilienne; faute, causalité, homicide par négligence, position de garant; art. 12 al. 3 et 117 CP
Une boulangerie confie à une entreprise de peinture le soin de repeindre son conteneur à ordures métallique comportant à l’avant un dispositif permettant de verser les déchets et à l’arrière une trappe servant à les vider (Müll-Press-Box). Elle en informe son employé (ci-après : l’intimé). Le 26 mai 2015, l’employé de l’entreprise de peinture effectue les travaux de peinture sur le conteneur stationné sur le quai de chargement de la boulangerie. A cette occasion, il demande à un employé de la boulangerie de l’aider à ouvrir le couvercle de déchargement de la benne, qui pèse environ 220 kg. L’employé de la boulangerie demande à son supérieur, l’intimé, si lui ainsi qu’une autre personne peuvent aider le peintre à ouvrir la trappe en question et s’ils peuvent utiliser le transpalette électrique à cet effet. L’intimé l’autorise en précisant que la porte de déchargement doit être sécurisée lors de son ouverture. Lors de la manœuvre, la porte de déchargement du conteneur glisse des extrémités des fourches du transpalette et se referme, touchant le peintre à la tête. Celui-ci subi de très graves blessures à la tête et décède sur le lieu de l’accident. L’intimé est reconnu coupable d’homicide par négligence par le tribunal de première instance puis acquitté en seconde instance. La partie plaignante recourt au TF faisant valoir que l’intimé avait une position de garant vis-à-vis du peintre et qu’il aurait en outre violé son devoir de diligence (c. 3).
Le TF commence par rappeler que pour qu’une personne soit déclarée coupable d’homicide par négligence, il faut que l’auteur ait causé le résultat en violant un devoir de diligence et que, ce n’est que si celui-ci se trouve dans une position de garant, qu’il est possible de déterminer l’étendue du devoir de diligence et les actes concrets qu’il est tenu d’accomplir en vertu de ce devoir de diligence (c. 3.3.2 et 3.3.3).
Il examine ensuite la question de savoir si l’intimé avait une position de garant vis-à-vis du peintre et dans l’affirmative s’il a violé son devoir de diligence et considère que la décision attaquée viole le droit fédéral (c. 5). Le TF relève que lorsque l’intimé, dans le cadre de ses tâches contractuelles de responsable de la sécurité de l’entreprise, est sollicité pour autoriser une activité déterminée, il assume, en tant que responsable de la sécurité de l’entreprise, la responsabilité de ce projet en autorisant ou en n’interdisant pas une activité concrète – comme en l’occurrence l’ouverture manuelle et en partie mécanique de la trappe de déchargement du conteneur. Par conséquent, pour l’activité qu’il a autorisée ou n’a pas interdite, il devait également veiller à la sécurité au travail du peintre, même s’il s’agissait d’une personne extérieure à l’entreprise. Partant et selon le TF, l’intimé a étendu son obligation contractuelle de garant aux autres personnes impliquées dans le projet d’ouverture de la trappe. Cette position de garant a été établie par une prise en charge effective (c. 5.3).
Le TF conclut qu’en faisant preuve de la diligence requise, il aurait été tenu d’interdire l’ouverture non conforme de la trappe de déchargement ou, du moins, de procéder personnellement à une évaluation des risques sur place. En n’interdisant pas ou en autorisant cette procédure d’ouverture non conforme aux règles de l’art et en ne se rendant pas sur place pour s’assurer de la sécurité de l’ouverture de la porte de déchargement, il n’a pas fait preuve de la diligence requise et raisonnable dans les circonstances concrètes. C’est précisément la tâche d’un responsable de la sécurité d’informer, le cas échéant, les personnes concernées des éventuels dangers et de faire prendre les mesures de sécurité appropriées. En se limitant à indiquer que la porte de déchargement devait être sécurisée lors de son ouverture, l’intimé n’a pas rempli ses obligations (c. 5.4).
Le TF admet dès lors le recours et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour l’examen des éléments constitutifs de l’homicide par négligence qu’elle n’avait pas encore examinés (c. 5.5).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Etoy
TF 6B_239/2022 du 22 mars 2023
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; raute, distance par rapport au piéton, juste indemnité; art. 34 al. 4 LCR; 433 al. 2 CPP
Il est pénalement reproché à l’automobiliste impliqué de ne pas avoir adapté sa vitesse (30-35 km/h) et d’être passé trop près d’un piéton situé au bord ou à proximité du trottoir, avant de lui passer sur le pied droit avec sa roue arrière droite.
Le TF rappelle que la distance nécessaire par rapport à un piéton ne peut pas être fixée une fois pour toutes en chiffres. Elle se détermine notamment en fonction de la largeur de la route. Selon les circonstances, une distance de 50 cm peut être admissible en cas de ruelle étroite et de vitesse modérée permettant un arrêt immédiat. En l’espèce, l’automobiliste a bien violé l’art. 34 al. 4 LCR car il devait se rendre compte que le piéton qui lui tournait le dos avait son attention complètement accaparée par un véhicule de livraison et qu’une distance aussi faible ne permettrait pas d’éviter une collision. L’automobiliste conteste en vain le taux de responsabilité de 100 % qui lui incombe car son recours ne contient pas suffisamment d’éléments permettant de remettre en cause ce taux de responsabilité.
Par contre, concernant la juste indemnité au sens de l’art. 433 al. 2 CPP, c’est à tort que la note d’honoraires de l’avocat du lésé n’a pas été communiquée – ni même ses conclusions civiles – à l’avocat de l’automobiliste prévenu. Ainsi ce dernier a été privé de l’occasion de se déterminer sur la quotité de l’indemnité pour les dépenses obligatoires de la partie lésée, ce qui constitue une violation de son droit d’être entendu. De plus, aucun examen de cette note d’honoraires ne semble avoir été effectué par l’instance inférieure. Le recours est donc recevable sur ce point et l’affaire renvoyée à l’instance inférieure pour qu’elle se détermine sur la juste indemnité de partie.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion
TF 8C_583/2022 du 22 mars 2023
Assurance-invalidité; procédure judiciaire cantonale, recours, légitimation active des services sociaux, notion d’assistance régulière, délai de recours; art. 34 al. 1 PA; 55 al. 1 et 59 LPGA; 66 al. 1 RAI
La qualité pour recourir au tribunal cantonal contre une décision de l’office AI est régie par l’art. 59 LPGA. Selon cette disposition, « quiconque est touché par la décision ou la décision sur opposition et a un intérêt digne d’être protégé à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, a qualité pour recourir ». La qualité pour recourir des services sociaux ne découle pas déjà du fait qu’ils fournissent des prestations d’aide qui sont subsidiaires aux prestations sociales auxquelles la personne assurée a éventuellement droit. Il faut un lien particulier et concret avec l’affaire, ou une proximité toute particulière. C’est notamment le cas lorsque les services sociaux ont déposé la demande de prestations au nom de la personne assistée (c. 5.2).
Conformément à l’art. 66 RAI, l’exercice du droit aux prestations de l’assurance-invalidité appartient à la personne assurée ou à son représentant légal, ainsi qu’aux autorités ou tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente. En l’espèce, la personne assistée avait reçu de l’aide à concurrence d’environ CHF 48'000.- entre mars 2021 et mars 2022. Au moment de la décision entreprise, elle recevait une aide d’environ CHF 2'300.- par mois. Le fait que l’aide sociale ait pu, pendant un temps assez bref, être remboursée par le chômage, ne change rien au fait qu’en l’espèce, la personne assurée était régulièrement assistée par les services sociaux, ce qui confère à ces derniers la qualité pour recourir.
Le TF rappelle par ailleurs qu’une décision doit être notifiée à toutes les personnes légitimées à recourir. La décision n’ayant, en l’espèce, pas été communiquée aux services sociaux, le délai de recours a été respecté dans la mesure où ces derniers ont agi dans les 30 jours après avoir pris connaissance de la décision (c. 3).
Auteur : Anne-Sylvie Dupont
TF 8C_620/2022 du 16 mars 2023
Assurance-accidents; rrais de traitement, prise en charge après la fixation de la rente, âge de référence AVS, interprétation de la norme; art. 10 et 21 al. 1 let. c LAA; 15 OLAA
Il s’agit de déterminer si une personne accidentée invalide à 41 % des suites de l’accident, qui s’est vu reconnaître le droit à des séances de physiothérapie après la fixation de la rente en application de l’art. 21 al. 1 let. c LAA, voit son droit maintenu après qu’elle a atteint l’âge de référence AVS, ou si, au contraire, l’assureur LAA était en droit de mettre un terme à cette prestation à ce moment-là.
Le litige porte sur l’interprétation de la condition du besoin « pour conserver sa capacité résiduelle de gai » posée par l’art. 21 al. 1 let. c LAA. Il s’agit de savoir si cette condition suppose que l’on puisse encore exiger de la personne assurée qu’elle exploite effectivement sa capacité résiduelle de gain, ce qui n’est plus le cas lorsqu’elle a atteint l’âge de référence.
Le TF rappelle dans un premier temps le champ d’application respectif des quatre hypothèses permettant, selon l’art. 21 LAA, de maintenir le droit à la prise en charge de traitements médicaux après que le droit à la rente a été fixé, étant précisé que l’art. 19 LAA prévoit en principe la fin du droit au traitement médical au moment de la fixation de la rente (c. 3.3 et 4). Il mentionne ensuite les différentes affaires dans lesquelles il a eu à juger de situations proches, mais non identiques, aucun précédent n’ayant donc tranché clairement la question (c. 5.1). Il mentionne la maigre littérature à ce sujet, et son caractère controversé (c. 5.2). Il procède ensuite à l’interprétation de l’art. 21 al. 1 let. c LAA.
Le TF constate d’abord que le texte de la loi est clair et qu’il n’exige pas que la personne assurée mette effectivement en œuvre sa capacité de travail résiduelle pour donner droit à la prise en charge du traitement (c. 6.1). Les travaux préparatoires ne sont d’aucune utilité, pas plus que la LAMA qui ne contenait pas de disposition équivalente (c. 6.2).
D’un point de vue systématique, l’art. 21 al. 1 let. c LAA doit être lu en lien avec les art. 18, 19 et 22 LAA. L’octroi de la prise en charge du traitement médical après la stabilisation de l’état de santé est une prestation de durée, qui est en principe protégée au titre de droit acquis. Cette prestation est ainsi comparable à la rente, qui est protégée après l’âge de référence AVS, puisqu’il n’est alors plus possible de la réviser (art. 22 LAA). Si l’on admettait le contraire pour les frais de traitement, cela voudrait dire qu’on aurait des situations dans lesquelles la prise en charge du traitement est supprimée, mais pas le droit à la rente. Les trois autres hypothèses visées par l’art. 21 al. 1 LAA, en particulier par la let. d qui s’adresse aux personnes totalement invalides (100 %), ne prévoient pas la fin du droit au traitement à l’âge de référence ; il serait ainsi étranger de faire de la let. c une exception.
S’agissant de déterminer le sens et le but de la norme, le TF discute différents arguments allant dans les deux sens pour, finalement, juger qu’il serait contradictoire de demander aux personnes ayant atteint l’âge de référence de prouver que si elles avaient été en bonne santé, elles auraient continué de travailler au-delà de cet âge, alors qu’il n’est pas exigé des personnes qui ne l’ont pas encore atteint qu’elles mettent en œuvre leur capacité de travail résiduelle pour avoir droit à la prise en charge du traitement sous l’angle de l’art. 21 al. 1 let. c LAA. L’argument décisif reste cependant le non-sens d’une différence de traitement entre les personnes totalement invalides et les personnes partiellement invalides. Pour les premières en effet, la condition est que le traitement permette le maintien de l’état de santé. En l’absence d’indices permettant de conclure à une claire volonté du législateur de traiter différemment ces deux situations, il n’y a pas lieu de le faire. La prise en charge du traitement médical après la fixation de la rente en application de l’art. 21 al. 1 let. c LAA n’est donc pas limitée à l’âge de référence AVS (c. 6.3.5 et 6.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 9C_474/2022 du 16 mars 2023
Assurance-maladie; procédure arbitrale, compétence ratione loci, pratique intercantonale; art. 89 al. 2 LAMal
Un médecin soupçonné d’avoir fourni des soins dans un canton sans autorisation de pratique (art. 36 LPMéd) se voit demander de rembourser un montant de l’ordre de CHF 125'000.-. Le tribunal arbitral du canton dans lequel le médecin est autorisé à pratiquer (Saint-Gall), saisi par les assureurs, se déclare incompétent et transmet la cause au tribunal dans lequel des prestations auraient été fournies sans autorisation (Zurich). Les assureurs recourent au TF contre la décision de non entrée en matière.
Interprétant l’art. 89 al. 2 LAMal, qui dispose que « le tribunal arbitral compétent est celui du canton dont le tarif est appliqué ou du canton dans lequel le fournisseur de prestations est installé à titre permanent », le TF indique tout d’abord que le lieu dans lequel le médecin est installé à titre permanent est celui dans lequel il exploite son cabinet (c. 3.4). La question se pose donc de savoir comment procéder lorsque le médecin exploite des cabinets dans plusieurs cantons.
D’un point de vue strictement littéral, l’art. 89 al. 2 LAMal ne semble permettre qu’un seul canton d’établissement (« …celui du canton… dans lequel… » ; c. 3.5). Les travaux préparatoires ne permettent pas d’aboutir à une autre conclusion (c. 3.6). D’un point de vue historique, l’institution du tribunal arbitral a été introduite dans l’ancienne LAMA en 1964, à une époque où l’exercice intercantonal de la médecine n’était pas monnaie courante. Pourtant, le fait que le législateur ait prévu, à l’époque déjà, deux fors alternatifs, montre qu’il a envisagé cette hypothèse et exclut l’admission d’une lacune, le législateur ayant manifestement voulu fixer le for dans un lieu ayant un lien étroit avec l’objet du litige. Son choix s’est clairement porté sur le lieu d’exercice du fournisseur de prestations, et non sur celui dans lequel les prestations litigieuses sont fournies (c. 3.7).
Si le fournisseur de prestations exerce dans plusieurs cantons, il faut rechercher le centre de son activité professionnelle (Schwerpunkt). Les exigences de preuve à cet égard ne doivent pas être trop élevées (c. 4.1). En l’espèce, les caisses-maladie avaient notamment fait valoir que le médecin mis en cause était visible sur le site Internet de l’endroit où il pratiquait dans le canton de Saint-Gall, avec photo et CV et possibilité de le contacter par le biais du site, alors qu’il n’était même pas mentionné sur le site Internet de l’institution dans laquelle il pratiquait dans le canton de Zurich. Par ailleurs, il lui était précisément reproché de ne pas avoir d’autorisation de pratiquer dans le canton de Zurich (c. 4.2). Le médecin incriminé n’a pas contesté avoir sa pratique principale dans le canton de Saint-Gall et ne pas avoir travaillé plus de 90 jours par année dans le canton de Zurich avant d’y avoir obtenu son autorisation de pratiquer (c. 4.3). Faute de comparaison entre le volume d’activité dans les deux cantons, à laquelle le tribunal arbitral saint-gallois devait procéder d’office, la décision de non entrée en matière n’est pas conforme au droit. La cause lui est donc renvoyée pour instruction dans ce sens, et nouvelle décision (c. 4.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 6B_1386/2021 du 16 mars 2023
Responsabilité aquilienne; devoir de prudence, violation des règles de l’art de construire, homicide par négligence; art. 12 al. 3, 117 et 229 CP
Le devoir de prudence s’apprécie en premier lieu au regard des normes de sécurité spécifiques qui imposent un comportement déterminé pour assurer la sécurité et prévenir les accidents. L’étendue de l’attention et de la diligence requises est d’autant plus élevée que le degré de spécialisation de l’auteur est important. Ainsi, la violation de prescriptions légales ou administratives, édictées dans un but de prévention des accidents, ou de règles analogues, émanant d’associations spécialisées reconnues, fait présumer la violation du devoir général de prudence (c. 2).
La responsabilité de celui qui collabore à la direction ou à l’exécution d’une construction se détermine sur la base des prescriptions légales (notamment LAA, OPA, OTConstr), des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chaque participant à une construction est donc tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence requise pour veiller au respect des règles de l’art de construire et de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, il existe le devoir de donner les instructions nécessaires et de surveiller l’exécution (c. 3). Ainsi, le directeur des travaux – soit la personne qui choisit les exécutants, donne les instructions et les recommandations nécessaires, surveille l’exécution des travaux et coordonne l’activité des entrepreneurs – répond tant d’une action que d’une omission, pouvant consister à ne pas surveiller, à ne pas contrôler le travail ou à tolérer une exécution dangereuse (c. 4).
En l’espèce, le TF considère que le recourant, en sa qualité de directeur des travaux, a créé un risque inadmissible pour autrui en ordonnant à son personnel de travailler en hauteur sur un chantier dangereux, au mépris des prescriptions et normes de sécurité élémentaires (absence de port d’un harnais, d’un casque de protection, etc.). Ce faisant, il a rendu possible la survenance de la chute mortelle de son employé inexpérimenté (apprenti), laquelle aurait par ailleurs pu être évitée par une intervention et une surveillance adéquates. Le décès de la victime est dès lors en lien de causalité naturelle et adéquate avec la violation fautive d’un devoir de prudence, constitutif d’un homicide par négligence (c. 7).
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne
TF 9C_165/2022 du 16 mars 2023
Prévoyance professionnelle; calcul de surindemnisation, gain dont l’assuré est privé, revenu d’invalide AI; art. 34a LPP
Dans le cadre du calcul de surindemnisation, en présence d’une personne assurée qui travaillait à un taux d’activité partiel, l’institution de prévoyance est liée par le revenu sans invalidité pris en considération par l’assurance-invalidité, à moins que celui-ci soit manifestement insoutenable. Il découle de cette présomption que le revenu sans invalidité établi par l’assurance-invalidité correspond au « gain annuel dont on présumer que l’assuré est privé », au sens de l’art. 34a al. 1 LPP.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_616/2022 du 15 mars 2023
Assurance-accidents; rente d’invalidité, transaction, reconsidération; art. 25 al. 2, 50 al. 1 et 53 al. 2 LPGA; 22 LAA
Une puéricultrice, née en 1951, a été mise au bénéfice d’une IPAI de 25 % et d’une rente LAA de 25 % pour les suites de deux accidents de type « coup du lapin » survenus en 1994 et 1997, ce par décision-transaction du 30 septembre 2002. 18 ans plus tard, par décision d’octobre 2020, l’assureur LAA veut reconsidérer cette décision-transaction au motif d’une fausse application du droit et supprimer l’IPAI accordée, ainsi que la rente d’invalidité avec effet ex nunc et pro futuro.
Le TF rappelle que les exigences sont plus grandes pour une application de la reconsidération telle que prévue à l’art. 53 al. 2 LPGA lorsqu’il s’agit d’une décision prise sous la forme d’une transaction, au sens de l’art. 50 LPGA. Si le mécanisme de la pesée des intérêts est bien le même, il y a toutefois des différences concernant le poids donné à ces critères, en particulier pour ce qui est de la protection de la bonne foi, comme l’a rappelé à bon escient la cour cantonale.
L’assureur-accidents avait pris sa décision initiale sans procéder à un examen de la causalité adéquate pourtant déjà alors requise en 2002, selon la pratique existant de longue date en la matière, et n’aurait, en application de cette pratique, pas dû rendre sa décision, de l’avis de la cour cantonale. Cela étant, pour ce qui est tout d’abord de l’IPAI, celle-ci ne peut de toute manière pas être concernée par une reconsidération, en l’espèce, en raison de l’application de l’art. 25 al. 2 LPGA qui prévoit un droit d’exiger la restitution se prescrivant au plus tard cinq ans après le versement de la prestation indue. Ainsi, l’IPAI est de toute manière exclue du champ de la reconsidération pour ce seul motif.
Pour ce qui est de la rente d’invalidité LAA, le TF confirme que la décision initiale se basait sur une fausse application du droit et qu’elle était sans nul doute manifestement erronée, au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. A cela ne change rien le fait qu’elle ait été prise sous forme de transaction, malgré une pesée des intérêts différente, selon les principes précédemment rappelés par le TF. Il y a donc bel et bien matière à reconsidérer la rente d’invalidité avec effet ex nunc et pro futuro.
En effet, pour ce qui est de l’analyse des critères de l’adéquation pour cet accident devant être rangé dans la zone inférieure des accidents dits de gravité moyenne, l’assurée n’a procédé à aucun examen desdits critères dans le cadre de son recours au TF et, dès lors, il n’est pas possible pour la Haute Cour de deviner pour quelles raisons la cour cantonale aurait violé le principe de l’adéquation. Dans son recours, l’assurée se prévalait également de l’art. 22 LAA et soutenait qu’en raison de son âge de retraitée, sa rente d’invalidité LAA ne pouvait plus être reconsidérée. Le TF rejette aussi cet argument, rappelant que l’art. 22 LAA ne concerne que la révision (matérielle) prévue à l’art. 17 LPGA, et non la révision (procédurale) et la reconsidération prévues à l’art. 53 LPGA.
Tout en rejetant le recours de l’assurée, le TF critique cependant l’attitude de l’assureur-accidents ayant supprimé cette rente d’invalidité après l’avoir versée sans sourciller durant 20 ans et lui conseille une façon plus réfléchie de s’y prendre.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion
TF 8C_261/2022 du 9 mars 2023
Assurance militaire; causalité et contemporanéité, symptômes de pont, coup du lapin; art. 5 et 6 LAM
Le litige porte sur le point de savoir si c’est à juste titre que la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents, Division de l’assurance militaire (Suva AM – Recourante), a refusé l’octroi des prestations à A. (Intimé), à la suite d’un accident survenu lors du service militaire de ce dernier.
Le TF rappelle qu’il convient, en premier lieu, de procéder à la distinction des cas d’application des art. 5 et 6 LAM. En effet, l’assurance militaire est tenue d’allouer ses prestations sur la base de l’art. 5 LAM pour autant qu’une atteinte à la santé soit déclarée ou constatée pendant le service militaire, selon le principe dit de la « contemporanéité » (c. 2.3). En revanche, la responsabilité de l’assurance militaire fondée sur l’art. 6 LAM n’est de mise qu’à la condition que l’atteinte à la santé soit déclarée ou constatée après le service militaire (c. 2.5.1).
En outre, le TF relève que pour conduire à une appréciation de la responsabilité selon l’art. 5 LAM, la question des symptômes de pont (« Brückensymptome ») se pose également. Le status quo sine est présumé après un intervalle suffisamment long sans symptôme (c. 3.2.1). Des symptômes de pont d’une intensité et d’une constante suffisantes doivent être démontrés pour amener la preuve du lien de causalité entre l’événement accidentel et les troubles invoqués postérieurement à l’accident (c. 3.2.3).
Ensuite, le TF se penche sur la question de savoir si un intervalle sans symptôme plus long est admissible, c’est-à-dire qui caractériserait l’événement entre l’accident et les troubles invoqués postérieurement comme une entité unique. Dans le cas contraire, un nouveau cas d’assurance devra être déclaré, impliquant l’évaluation de la question de la responsabilité sur la base de l’art. 6 LAM (c. 4.1).
En tout état de cause, il convient de déterminer si les troubles invoqués postérieurement à l’accident se trouvent dans un rapport de causalité juridiquement pertinent avec l’accident assuré pendant le service militaire. Se référant à la jurisprudence applicable en cas de traumatisme de type « coup du lapin » (ATF 134 V 109), également valable en matière d’assurance militaire, le TF a considéré qu’aucun des critères n’entrait en considération dans le cas d’espèce (c. 5.2 ss).
Au vu des éléments qui précèdent et en l’absence du lien de causalité adéquate entre l’évènement accidentel et les troubles invoqués postérieurement à l’accident, le TF a conclu à l’admission du recours de l’assurance militaire (c. 5.5).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne
TF 9C_219/2022 du 2 mars 2023
Assurance-vieillesse et survivants; restitution des acomptes, délai de péremption, dies a quo; art. 25 al. 3 LPGA; art. 16 al. 3 LAVS; art. 24 et 25 RAVS
Par arrêt du tribunal administratif du canton de Zoug du 28 mars 2022, les juges cantonaux ont admis le recours d’une assurée dans la mesure où celle-ci contestait son devoir de payer des cotisations AVS comme indépendante pour l’année 2007, mais ont rejeté ses prétentions en restitution des acomptes payés au motif que sa demande de restitution était périmée (c. 1.2). Selon eux, le délai de péremption avait commencé à courir en septembre 2013, lors de l’entrée en force d’une décision de l’autorité fiscale indiquant que tous les revenus du couple réalisés en 2007 devaient être attribués à l’activité dépendante du mari et imposés dans le canton d’Argovie. A défaut d’avoir agi avant fin 2008, la demande de l’assurée était donc périmée sous l’angle de l’art. 16 al. 3 LAVS (c. 3.1)
Le TF rappelle ce qu’il faut entendre par « cotisations versées indûment » au sens de l’art. 16 al. 3 1re phr. LAVS, respectivement « cotisations payées en trop » au sens de l’art. 25 al. 3 LPGA (c. 4). Cette notion n’englobe pas les prestations versées dans une situation de doute quant à l’obligation de prester, mais à raison, telles que les prestations provisoires visées à l’art. 70 LPGA ou les indemnités de chômage selon l’art. 29 al. 1 LACI (c. 4.5.1).
Les acomptes de cotisations AVS visent à sécuriser les cotisations dont l’existence et la quotité sont incertaines jusqu’à ce que la caisse de compensation ait statué sur les cotisations dues par une décision. Ces acomptes ne sont pas des cotisations versées à tort, mais des cotisations versées à raison, dans une situation de doute quant au devoir de cotiser. Il ne s’agit donc pas de « cotisations payées en trop » jusqu’à ce que l’autorité ait statué de manière définitive sur le montant des cotisations (c. 4.5.2).
La prétention en restitution des acomptes payés en trop naît au moment de la décision fixant les cotisations (voir art. 25 al. 3 RAVS). C’est donc à ce moment-là que les acomptes perdent leur caractère provisoire et que le délai de péremption de l’art. 16 al. 3 LAVS commence à courir (c. 4.5.3). En l’espèce, c’est par l’arrêt cantonal du 28 mars 2022 que le devoir de l’assurée de cotiser pour l’année 2007 a été définitivement nié. La demande de restitution des acomptes formulée dès le stade de l’opposition n’était donc pas périmée (c. 4.6).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève
TF 6B_309/2022 du 22 février 2023
Responsabilité médicale; procédure, qualité pour recourir, classement, prétentions civiles, responsabilité d’un établissement de droit public cantonal; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF; 6, 182 et 319 al. 1 let. a et b CPP
Le patient D. A. a été pris en charge dans l’unité des soins intensifs de l’hôpital J., un établissement de droit public cantonal, après plusieurs opérations subies au niveau du cervelet. Le 8 février 2020, le patient est tombé alors qu’il était en train de faire ses besoins, sans surveillance directe, et a succombé à ses blessures. Au moment de la chute, l’infirmière responsable de l’unité se trouvait dans la chambre. Le Ministère public a ouvert une procédure pénale contre l’infirmière responsable de l’unité pour homicide par négligence. Il a clôturé la procédure par décision du 9 juin 2021. Les proches du patient décédé ont recouru jusqu’au TF contre cette décision.
Le TF rappelle que, conformément à l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la partie plaignante n’a qualité pour recourir en matière pénale que si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Sont considérées comme des prétentions civiles au sens de la disposition précitée celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s’agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO. En revanche, n’appartiennent pas à cette catégorie les prétentions fondées sur le droit public. De telles prétentions, y compris celles découlant de la responsabilité de l’Etat, ne peuvent pas être invoquées par adhésion dans le procès pénal et ne font partie des prétentions civiles au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1.1). En l’espère, les recourants reprochent à l’infirmière d’avoir provoqué par négligence le décès de D. A. en le laissant quelques instants sans surveillance aux WC. L’acte incriminé a donc été accompli dans le cadre de l’activité professionnelle de l’infirmière qui fait partie du personnel d’un établissement de droit public cantonal. Les dispositions légales cantonales pertinentes prévoient une responsabilité exclusive du canton pour les dommages causés par de tels actes. Les éventuelles prétentions des recourants ne pourraient ainsi relever que de la responsabilité de droit public de l’Etat. Il en découle que les recourants n’ont pas la légitimation active au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1.3).
Sans avoir la qualité pour recourir au sens de la disposition précitée, la partie plaignante peut néanmoins s’opposer au fond à un classement de la procédure pour autant qu’il existe en droit constitutionnel au prononcé des peines prévues par la loi. La jurisprudence reconnait, sur la base des art. 10 al. 3 Cst., 3 et 13 CEDH, 7 PIDCP et 13 de la Convention des Nations Unies contre les tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, un droit à une enquête officielle efficace et approfondie de celui qui fait valoir qu’il a été maltraité par des services de l’Etat. Pour tomber sous le coup de ces dispositions, le traitement incriminé doit cependant être intentionnel. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque les recourants font explicitement valoir que le décès a été causé par un comportement relevant de la négligence (c. 1.4).
Le TF relève que même si la qualité pour recourir était donnée et qu’il était possible d’entrer en matière sur le recours, celui-ci ne serait pas admis. En effet, en vertu de l’art. 319 al. 1 let. a et b CPP, la procédure doit être classée lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi ou lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis. La décision de classement doit se fonder sur le principe « in dubio pro duriore ». Selon ce principe, le classement de la procédure par le Ministère public ne peut intervenir que dans le cas où l’acte n’est clairement pas punissable ou lorsque que certaines conditions de l’action pénale ne sont manifestement pas remplies. Dans le cadre d’un recours contre un classement, le TF n’examine pas, comme par exemple en cas de condamnation, si les constatations de fait de l’instance précédente sont arbitraires, mais si, de manière arbitraire, l’instance précédente s’est fondée sur « une situation claire en matière de preuve » ou si, de manière arbitraire également, elle a admis des faits comme « clairement établis » (c. 2.1). En l’espèce, les recourants se méprennent sur ces principes lorsqu’ils reprochent à l’instance précédente une constatation inexacte des faits.
Enfin les recourants font valoir que l’instance précédente aurait omis à tort d’administrer diverses preuves en violation des art. 6 et 182 CPP. Le TF rappelle que, de jurisprudence constante, les autorités pénales peuvent, sans violer le droit d’être entendu ni la maxime de l’instruction, renoncer à l’administration de preuves supplémentaires si, en appréciant les preuves déjà administrées, elles ont la conviction que les faits juridiquement importants ont été suffisamment élucidés et si, en outre, elles arrivent à la conclusion par une appréciation anticipée, qu’un moyen de preuve en soit valable n’est pas en mesure d’ébranler leurs convictions quant à un fait litigieux, acquis sur la base des preuves déjà administrées. En l’espèce, l’instance précédente a considéré que les auditions avaient permis d’établir que l’infirmière en question avait agi conformément aux instructions avec la conviction fondée que son patient pouvait aller seul à selle. Aussi, l’expertise demandée par les recourants sur les causes théoriques de la chute du défunt et l’examen des données détaillées du moniteur des signes vitaux ne conduiraient pas à une appréciation différente du comportement de l’infirmière. Les recourants ne démontrent pas en quoi l’appréciation de l’instance précédente relèverait de l’arbitraire.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne
TF 8C_109/2022 du 22 février 2023
Assurance-accidents; assujettissement à la Suva, entreprise unitaire ou composite, auxiliaire, accessoire ou mixte; art. 66 LAA et 88 OLAA
Une association de défense des automobilistes offre à ses membres un grand choix de prestations, notamment diverses assurances, des conseils juridiques, des cours et des stages de conduite. Elle effectue en outre, dans ses centres de service, de nombreux tests ainsi que des contrôles officiels de véhicules à moteur. Ladite association soutient le point de vue selon lequel ses employés ne seraient pas obligatoirement assurés auprès de la Suva.
L’art. 66 al. 1 let. a-q LAA énumère les entreprises dont les travailleurs sont obligatoirement assurés auprès de la Suva. Concernant l’assujettissement, il y a tout d’abord lieu de savoir si une entreprise doit être qualifiée d’entreprise unitaire ou de composite.
On se trouve en présence d’une entreprise unitaire lorsque l’entreprise se limite pour l’essentiel à un seul domaine d’activité « cohérent » ou à un domaine prédominant (p. ex. entreprise de construction, entreprise commerciale ou société fiduciaire) et exécute principalement des travaux qui relèvent du domaine d’activité habituel d’une entreprise de ce type (ATF 137 V 114). L’ensemble des travailleurs d’une telle entreprise est obligatoirement assuré auprès de la Suva, pour autant qu’un critère d’assujettissement selon l’art. 66 al. 1 let. a-q LAA soit rempli (ATF 113 V 327).
En revanche, dans le cas d’une entreprise composite, il convient d’abord d’examiner si les parties de l’entreprise sont en relation les unes avec les autres en tant qu’entreprises principales, auxiliaires ou accessoires (art. 88 al. 1 OLAA) ou s’il s’agit d’une entreprise mixte au sens d’une pluralité d’unités d’exploitation sans lien technique entre elles (art. 88 al. 2 OLAA). Dans le premier cas, il faut déterminer l’exploitation principale, c’est-à-dire la partie de l’exploitation qui fournit la production ou le service caractéristique de l’entreprise et qui détermine donc le caractère prédominant de l’exploitation. Celle-ci est en principe attribuée à la Suva ou aux autres assureurs en fonction de son caractère prédominant, conformément à l’art. 68 LAA. L’entreprise auxiliaire ou accessoire est soumise à l’assureur de l’entreprise principale (ATF 113 V 327).
En cas d’entreprise mixte, l’assujettissement doit être examiné séparément pour chaque unité d’exploitation. L’assujettissement se fait en fonction du caractère prédominant de chaque unité d’exploitation, ce qui peut conduire à des assujettissements différents dans la même exploitation. Une entreprise mixte ne peut être admise que si plusieurs unités d’exploitation d’un même employeur « n’ont aucun lien technique entre elles » (art. 88 al. 2 OLAA), ce qui suppose – en plus de la subdivision en différents domaines d’activité en vertu du droit de l’assujettissement – que les différentes parties de l’entreprise soient pratiquement totalement autonomes en termes de locaux et de personnel (ATF 113 V 341).
En l’espèce, selon le TF, l’association recourante ne doit certainement pas être qualifiée d’entreprise unitaire mais d’entreprise composite (cf. dans le même sens arrêt TFA U 62/89, qui qualifiait de composite une entreprise qui, outre une boulangerie et une confiserie, exploitait également des tea-rooms). Compte tenu de l’administration centrale de l’ensemble de l’entreprise, les différentes parties de l’entreprise ne sont pas totalement autonomes en termes de locaux et surtout de personnel, ce qui ne permet pas de parler d’une entreprise mixte au sens de l’art. 88 al. 2 OLAA. Du point de vue du droit de l’assujettissement, il s’agit donc de savoir quelle est l’entreprise principale (art. 88 al. 1 OLAA). Le fait que les quelques 5’500 à 6’000 contrôles annuels de véhicules à moteur constituent l’activité principale de la recourante permet de retenir que le domaine « centre de service » constitue l’entreprise principale. Or, comme les contrôles de véhicules effectués dans les centres de service relèvent de la compétence de la Suva en vertu de l’art. 66 al. 1 let. m en relation avec l’art. 66 al. 2 let. a LAA, tous les employés de la recourante doivent être assurés auprès de la Suva.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne
TF 4A_22/2022 du 21 février 2023
Assurances privées; prescription, créance en dommages-intérêts; art. 46 al. 1 LCA; 127 CO
La question litigieuse soumise au TF est de savoir si, lorsque l'assureur de protection juridique donne des conseils juridiques et qu’il viole à cette occasion son devoir de diligence et cause un préjudice à l’assuré, le délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré est régi par le délai de l’art. 46 al. 1 LCA ou par le délai de dix ans de l’art. 127 CO.
Pour répondre à la question litigieuse, il faut procéder à une interprétation de l’art. 46 al. 1 LCA, la doctrine étant divisée sur cette question. Ainsi, il faut tenir compte non seulement des termes « créances qui découlent du contrat d’assurance », mais également des termes se rapportant au point de départ de la prescription, soit le « fait duquel naît l’obligation » (en allemand et en italien « fait sur lequel est fondée l’obligation de fournir la prestation »).
Dans l’assurance de protection juridique, l’assureur fournit, d’une part, un service sous forme d’assistance juridique et, d’autre part une prestation pécuniaire, ainsi que dès le début du litige, l’obligation de garantir à son assuré le paiement des frais du litige. Le fait duquel naît l’obligation de l’assureur correspond à la réalisation du risque, à savoir l’apparition du besoin d’assistance juridique. Le point de départ (dies a quo) du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA court donc dès ce moment-là. Les créances qui découlent du contrat d’assurance de protection juridique sont donc seulement celles dont l’assureur assume l’obligation en raison de la survenance du risque couvert, qui est le besoin d’assistance juridique, soit concrètement l’obligation de couvrir les frais d’un litige et/ou l’obligation de fournir des conseils. La créance en dommages-intérêts, fondée sur la responsabilité contractuelle, qui est subséquente à la prestation d’assurance (conseils fournis) et découle de la violation du devoir de diligence de l’assureur de protection juridique qui a fourni ces conseils, n’est pas visée par la lettre de l’art. 46 al. 1 LCA.
Approuvant une partie de la doctrine, le TF conclut qu’une telle créance en dommages-intérêts est soumise au délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO, la violation du devoir de diligence s’appréciant selon les règles du mandat (art. 398 et 97 CO).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg
TF 9C_70, 71, 75 et 76/2022 du 16 février 2023
Assurance-vieillesse et survivants (AVS); activité dépendante, établissement stable; art. 1a al. 1 let. b et 12 al. 2 LAVS; 49 LPGA
Le TF rejette les recours des sociétés néerlandaises détentrices des droits d’exploitation des plateformes de mise en relation Uber et UberEats et leur reconnaît un statut d’employeur cotisant pour les activités lucratives dépendantes des chauffeurs et des livreurs. Ce faisant, il démontre que les critères des directives OFAS s’adaptent aux services en ligne d’intermédiation du travail. Sans revenir sur sa décision 147 V 174, il constate la présence d’un établissement stable en Suisse pour la société néerlandaise par l’exploitation commerciale des bureaux de sa filiale en Suisse.
Auteure : Sabrine Magoga-Sabatier, MLaw, assistante-doctorante à Neuchâtel
TF 8C_457/2022 du 7 février 2023
Assurance-invalidité; révision, suspension de prestation en cas d’exécution d’une peine ou d’une mesure; art. 21 al. 5 LPGA; 88bis al. 1 let. c RAI
Même si la lettre de l’art. 88bis al. 1 let. c RAI envisage, en cas de décision qui s’avère manifestement erronée, seulement une augmentation de la rente, de l’allocation pour impotent ou de la contribution d’assistance déjà allouée, cette disposition doit aussi permettre, appliquée par analogie, l’attribution d’une telle prestation refusée de manière manifestement erronée (c. 5.2).
La découverte du vice entachant la décision selon l’art. 88bis al. 1 let. c RAI survient dès que l’administration a fait des constatations, que ce soit sur la base d’une demande de révision ou d’office, qui rendent vraisemblable ou probable l’existence d’un vice pertinent et que l’administration a ainsi suffisamment de raisons de procéder d’office à des investigations supplémentaires. Le défaut est également considéré comme découvert lorsque la personne assurée a déposé une demande de révision qui devait amener l’administration à procéder à des clarifications supplémentaires (c. 5.4.2).
La suspension, en application de l’art. 21 al. 5 LPGA, de prestations pour perte de gain – notamment de la LAI – non destinées aux proches, en cas d’exécution d’une peine ou d’une mesure du Code pénal, ne se justifie pas si les modalités de cette exécution n’excluent pas en elles-mêmes l’exercice d’une activité lucrative par une personne valide. Il en va ainsi de modalités d’exécution d’une mesure permettant un travail externe au sens de l’art. 90 al. 2bis CP (c. 6.2.1-2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle
TF 2C_362/2022 du 7 février 2023
Responsabilité de l’Etat; protection de la bonne foi; art. 5 al. 3 et 9 Cst.; 4 LRECA-VD
Une société constituée pour la création d’un nouveau port à Montreux dépose une action en responsabilité de l’Etat en raison de l’entrée en matière de la commune sur le projet portuaire. La société réclame différents frais pour sa constitution et des frais d’étude, après que le Plan partiel d’affectation (PPA) à l’origine de l’entrée en matière a été abrogé, rendant le projet de port irréalisable.
Le droit fondamental à la protection de la bonne foi protège le citoyen dans le confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après ces assurances qui peuvent également intervenir tacitement ou par actes concluants. Ce droit a pour corollaire que l’autorité est tenue de réparer le dommage subi par l’administré chez qui elle a créé puis déçu des attentes dignes de foi et qui a pris dans l’intervalle des dispositions patrimoniales préjudiciables.
Il est généralement acquis que la planification doit être périodiquement adaptée et révisée et qu’il n’existe en général pas d’assurance sur sa stabilité. C’est uniquement lorsqu’une modification de planification ou de réglementation est intervenue suite à une demande déterminée et pour en empêcher la réalisation que l’on peut admettre un droit à une indemnisation fondée sur la protection de la bonne foi, en combinaison avec la garantie de la propriété, en tout cas lorsque l’intention des autorités n’était pas prévisible. Une indemnisation est aussi envisageable lorsque la collectivité a donné des assurances sur le maintien des prescriptions en vigueur. En l’occurrence, ce n’est pas le projet litigieux qui avait justifié l’abrogation du PPA, mais une volonté générale découlant d’un plan directeur communal adopté avant l’entrée en matière de la commune.
Le fait que la société recourante n’avait pas obtenu elle-même les garanties, puisqu’elle ne s’était constituée que par la suite, conduit le TF à se demander « très sérieusement » si elle peut invoquer la protection de sa bonne foi. Il laisse toutefois la question ouverte et retient qu’aucune assurance suffisante n’a été donnée. Le fait de se montrer intéressé et curieux, d’entrer en matière et de suivre, même pendant plusieurs années, le projet ne peut et de doit pas être interprété comme une promesse d’issue favorable ou comme une assurance quant au maintien du PPA. En matière d’aménagement du territoire, il est très généralement admis et connu des acteurs de la construction que les décisions des autorités sont par nature sujettes à changement et qu’il n’existe dès lors pas d’expectative légitime au maintien d’un plan.
Le TF ne discerne ainsi pas d’acte illicite au sens de l’art. 4 LRECA-VD et ajoute que si la recourante estimait que l’abrogation du PPA violait le principe de la bonne foi, il lui appartenait de tout tenter pour en obtenir l’annulation, le cas échéant en recourant contre cet acte jusque devant lui.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève
TF 8C_322/2022 du 30 janvier 2023
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail (RHT), mesures de lutte contre le coronavirus, entreprise de droit public, statut du personnel, subvention; art. 31 al. 1 et 32 LACI
L’affaire concerne la demande d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) d’une société anonyme de droit privé active essentiellement dans le domaine du transport public de personnes. Selon la jurisprudence, les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sauraient, en règle générale, être remplies si l’employeur est une entreprise de droit public, faute pour celle-ci d’assumer un risque propre d’exploitation. Compte tenu des formes multiples de l’action étatique, on ne saurait de prime abord exclure que, dans un cas concret, le personnel des services publics remplisse les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT. Ce qui est déterminant en fin de compte, conformément à la finalité du régime de la prestation, c’est de savoir si, par l’allocation de l’indemnité en cas de RHT, un licenciement peut être évité (c. 4.2.1).
Les indemnités en cas de RHT sont des mesures temporaires. Le statut du personnel touché par la réduction de l’horaire de travail est dès lors décisif pour l’allocation de l’indemnité. Là où le personnel est au bénéfice d’un statut de fonctionnaire ou d’un statut analogue limitant les possibilités de licenciement que connaît le contrat de travail, ce statut fait échec à court terme – éventuellement à moyen terme – à la suppression d’emploi. Dans ce cas, les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sont pas remplies (c. 4.2.2).
L’exigence d’un risque économique à court ou moyen terme concerne aussi l’entreprise ; la perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. A l’évidence, cette condition ne saurait être remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou le risque de fermeture de l’exploitation. Or si l’entreprise privée risque l’exécution forcée, il n’en va pas de même du service public, dont l’existence n’est pas menacée par un exercice déficitaire (c. 4.2.2).
Dans le cas d’espèce (voir également TF 8C_325/2022 et 8C_328/2022 du 30 janvier 2023 dans deux causes parallèles similaires), la cour cantonale n’a pas clairement tranché la question de la couverture des coûts d’exploitation. Le TF rappelle que le fait de percevoir des subventions ne signifie pas encore que les coûts d’exploitation sont entièrement couverts par les pouvoirs publics. Par ailleurs, la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance s’examine non pas au regard de la main d’œuvre nécessaire pour fournir les prestations publiques selon l’offre soumise aux commanditaires, mais au regard de la règlementation applicable au personnel. La cour cantonale a violé le droit fédéral en niant le droit de la société aux indemnités en cas de RHT sans instruire et examiner de manière approfondie l’étendue de la couverture des frais d’exploitation par les pouvoirs publics ainsi que les possibilités concrètes de résiliation sur la base du régime applicable au personnel (c. 7.2).
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne
TF 9C_300/2022 du 26 janvier 2023
Assurance-invalidité; mesures médicales, psychothérapie; art. 12 LAI
Le TF confirme l’octroi de mesures médicales sous forme d’une psychothérapie à une jeune assurée atteinte de troubles obsessionnels compulsifs et d’anorexie. En l’espèce, le but principal de la thérapie était de permettre à l’assurée de quitter la clinique de jour où elle séjournait pour reprendre ses études de niveau gymnasial. Le caractère de réadaptation du traitement était donc clairement prépondérant, et le fait qu’il ait fallu, à l’occasion d’épisodes de crise, reléguer cet objectif au second plan pour préserver en premier lieu la vie de l’assurée n’y change rien (c. 4.2). Par ailleurs, le fait que la thérapie dure un certain temps – deux ans au moment de la décision de l’office AI – n’exclut pas l’octroi de mesures médicales, ce d’autant moins qu’en l’espèce, durant ce laps de temps, des progrès considérables ont été réalisés, la personne assurée ayant pu quitter la clinique et retourner à ses études (c. 4.3)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 4A_219/2021 du 25 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; prescription, interruption introduction d’une poursuite, délai pénal plus long, ancien droit; art. 60 al. 2a, 135 ch. 2, 134 al. 1 ch. 3 et 138 al. 2 CO
En mai 1999, Mme A. a été grièvement blessée par le bateau dont son mari était copropriétaire lors d’une sortie sur le Léman. La victime et son mari se sont séparés en juin 2000. Leur divorce est devenu définitif et exécutoire le 29 mai 2012. Le conducteur et époux, suite à une plainte de la victime, a été condamné en janvier 2006 pour lésions corporelles graves par négligence. Dès la fin de l’année 2003, la victime a demandé à la compagnie d’assurance du bateau, contre laquelle elle avait un droit d’action directe, une série de déclarations de renonciation à la prescription. La dernière de ces déclarations était valable jusqu’au 29 février 2012. Ce même 29 février 2012, elle a déposé une réquisition de poursuite contre l’assureur, qui a fait opposition au commandement de payer, notifié le 16 mars 2012. La réquisition de poursuite suivante n’a été déposée que le 11 mars 2013, soit plus d’une année après la précédente réquisition de poursuite, mais moins d’une année après la notification du commandement de payer. En parallèle, la victime a déposé une réquisition de poursuite contre son ex-mari le 13 avril 2017. Le commandement de payer a été notifié le 28 avril 2017 ; il a été frappé d’opposition. Le 18 avril 2018, la lésée a déposé une nouvelle réquisition de poursuite contre son époux. Ella a enfin déposé le 31 mai 2018 une requête de conciliation à l’encontre aussi bien de l’assureur que de son ex-mari.
Alors que la Cour de justice du canton de Genève avait considéré que seule la réquisition de poursuite interrompait la prescription conformément à l’art. 135 ch. 2 CO, le TF a considéré que, conformément à une jurisprudence ancienne mais bien établie, la notification du commandement de payer était aussi constitutive d’un acte de poursuite au sens de l’art. 138 al. 2 CO. Dès lors, procédant en quelque sorte à une synthèse de jurisprudence, le TF a rappelé en substance que lorsque le créancier interrompait la prescription par voie de poursuite, la prescription était interrompue une première fois par la réquisition de poursuite, indépendamment du fait que cette réquisition soit concrètement suivie d’un commandement de payer. Cette réquisition fait donc partir un nouveau délai, conformément à l’art. 137 al. 1 CO. Par ailleurs, la notification du commandement de payer interrompt une nouvelle fois la prescription, et fait donc repartir aussi un nouveau délai de prescription. Cela résulte d’une ancienne jurisprudence confirmée par une large partie de la doctrine (c. 5.2).
Au terme de l’art. 134 al. 1 ch. 3 CO, la prescription ne court point et, si elle avait commencé à courir, elle est suspendue à l’égard des créances des époux l’un contre l’autre. L’ex-mari soutenait donc devant le TF qu’au moment où le divorce était devenu définitif et exécutoire, soit le 29 mai 2012, c’était un nouveau délai d’une année au sens de l’ancien article 60 al. 1 CO qui avait commencé à courir. Le TF n’a pas suivi ce raisonnement, estimant que selon l’art. 60 al. 2 aCO, c’était à l’époque un délai de cinq ans qui avait été empêché de courir pendant le temps qu’avait duré le mariage. En effet, la durée de ce délai pénal plus long de l’ancien droit était déterminée au jour de l’acte punissable, soit à un moment par définition antérieur à l’acquisition de la prescription pénale. C’est donc bien un délai de cinq ans qui, selon le TF, a commencé de courir à partir du 29 mai 2012, si bien que la lésée avait valablement interrompu la prescription en déposant une réquisition de poursuite en avril 2017 à l’encontre de son ex-mari.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 4A_314/2022 du 24 janvier 2023
Responsabilité délictuelle; risque lié à l’emploi d’un véhicule, responsabilité civile du détenteur du véhicule; art. 58 al. 1 LCR
La responsabilité de l’art. 58 al. 1 LCR présuppose que le dommage ait été causé « par l’utilisation d’un véhicule à moteur ». La limite entre l’utilisation et la non-utilisation d’un véhicule à moteur doit être décidée en fonction des circonstances concrètes.
Dans le cas d’espèce, une camionnette de livraison, dont le catalyseur avait chauffé en raison du trajet, a été garée dans une aire de battage, ce qui a provoqué un incendie. La chaleur émanait certes d’un véhicule à moteur, mais cela ne suffit pas à transformer le risque d’incendie habituel en un risque d’exploitation particulier au sens de l’art. 58 al. 1 LCR. Ce qui est déterminant pour le risque d’exploitation n’est pas le fait que le véhicule à moteur soit une machine ou qu’il dispose d’un moteur, mais avant tout le fait que le véhicule puisse se déplacer à une vitesse importante et provoquer ainsi des dommages importants.
Le présent incendie n’a aucun rapport avec ce risque. A l’exception du fait que le catalyseur a chauffé pendant le trajet, il n’y a aucun lien entre l’incendie et le déplacement de la camionnette. Il ne s’agit donc pas d’un risque propre à l’utilisation d’un véhicule mais d’un risque ordinaire qui peut survenir lors du stockage inapproprié d’objets chauds.
L’incendie était donc certes une conséquence au sens large de l’utilisation du véhicule à moteur, mais l’utilisation ou le déplacement du véhicule joue en l’espèce un rôle si insignifiant que l’incendie n’est pas couvert par le but de l’art. 58 al. 1 LCR.
Auteur : Muriel Vautier, avocate à Lausanne
TF 9C_592/2021 du 24 janvier 2023
Assurance-invalidité; réadaptation, mesures d’ordre professionnel, condition d’assurance, personne de nationalité étrangère, discrimination; art. 6 al. 2, 9 al. 3 LAI; 8 Cst.; 8 et 14 CEDH; 24 CDPH
Le recourant, arrivé en Suisse en 2017 en tant que mineur non accompagné, a été admis provisoirement après le rejet de sa demande d’asile, le renvoi n’étant pas raisonnablement exigible. Sa demande tendant à l’octroi d’une formation professionnelle initiale a été rejetée. Ne contestant pas que les conditions d’assurance posées par les art. 6 al. 2 et 9 al. 3 LAI ne sont pas remplies, il invoque la violation des art. 8 et 14 CEDH.
Le TF rappelle que le droit à la vie privée garantit par l’art. 8 CEDH n’inclut pas le droit à des mesures d’enseignement pour les enfants handicapés. En effet, s’il ne fait pas de doute qu'une mesure de formation professionnelle initiale favorise indirectement l’épanouissement des personnes qui en bénéficient, le refus d’une telle formation (professionnelle) n’empêche pas ou ne rend pas plus difficile l’exercice d’un des aspects du droit au développement personnel et à l’autonomie personnelle couverts par cette disposition (c. 5). La jurisprudence de la Cour EDH dans l’affaire Beeler c. Suisse (voir ici) ne s’applique pas dans cette affaire, le refus de mesures d’ordre professionnel ne violant pas le droit à la vie privée et à la vie de famille au sens de l’art. 8 CEDH (cf. aussi c. 3)
La différence de traitement entre ressortissants étrangers et ceux qui ont la nationalité suisse opérée par l’art. 9 al. 3 LAI est justifiée par des motifs objectifs, en l’occurrence la nécessité de s’assurer de la présence de liens suffisamment étroits entre une personne étrangère et la Suisse. Cette disposition n’est donc pas discriminatoire (c. 6.2).
L’art. 24 CDPH, qui garantit l’accès des personnes handicapées à l’éducation, n’est pas non plus violé dans la mesure où il existe bel et bien en Suisse des offres de formation accessibles aux personnes en situation de handicap. Cette disposition n’impose pas l’allocation, sans condition, de prestations spécifiques par les assurances sociales (c. 7).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 6B_1486/2021 du 18 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles, signalisation d’un chantier routier, négligence; art. 11, 12 et 125 CP; 4 LCR; 80 OSR
Un cycliste emprunte une route dont l’asphalte avait été fraisé en raison de travaux de revêtements. Il chute sur la chaussée et subit un grave traumatisme crânien. Condamné en première instance pour lésions corporelles graves par négligence, le chef de chantier responsable est acquitté par le tribunal cantonal. Le cycliste recourt au TF contre cet acquittement ; il reproche au chef de chantier un défaut de signalisation de la zone de travaux.
Le TF commence par rappeler les conditions qui permettent de retenir une imprévoyance coupable au sens de l’art. 12 CP ; une telle imprévoyance peut également être commise par une inaction contraire aux devoirs (art. 11 al. 1 CP). De plus, le déroulement des événements conduisant au résultat doit être prévisible pour l’auteur ; pour déterminer si l’auteur aurait pu et dû prévoir le résultat, on applique le critère de l’adéquation. Enfin, une autre condition de la responsabilité pour négligence consiste dans le fait que le résultat aurait pu être évité si l’auteur avait eu un comportement conforme à ses obligations. Pour que le résultat soit imputable à l’auteur, il faut que le comportement de celui-ci en soit la cause avec un degré élevé de vraisemblance (c. 3.1.2). Les règles de signalisation d’un chantier routier découlent des art. 4 LCR et 80 OSR. Les éventuels manquements aux obligations des autorités n’excluent pas la responsabilité de tiers, p. ex. d’une entreprise de construction, en cas de signalisation défectueuse. Ni l’art. 4 LCR, ni l’art. 80 OSR ne se prononcent sur les modalités de surveillance (intensité, fréquence) de l’obligation de signaler les obstacles à la circulation et de leur élimination dans les meilleurs délais (c. 3.1.3).
Dans le cas d’espèce, l’instance inférieure avait considéré le fait de n’avoir pas barré la route ne constituait pas une violation du devoir de diligence du chef de chantier. Il est en effet notoire que des zones dans lesquelles l’asphalte a été fraisé demeurent ouvertes au trafic, pour autant que les usagers les empruntent à une vitesse adaptée (c. 3.2.1). Les autres conditions d’une responsabilité pour négligence n’étaient, toujours selon la juridiction cantonale, pas remplies. En particulier, la position de garant du chef de chantier était limitée aux tâches de sécurité et de surveillance, telles qu’elles ressortaient de son contrat de travail. Un contrôle sans faille n’était ainsi pas possible, compte tenu de l’avancement constant des travaux. Il n’existait pas non plus d’obligation générale de contrôler quotidiennement les travaux (c. 3.2.2 et 3.2.3). Le TF approuve ces considérations dans leur résultat (c. 3.3). Il aurait en effet été possible pour le cycliste de s’engager sans danger dans la zone fraisée ; il est incompréhensible qu’il se soit dirigé à une vitesse aussi excessive (il circulait à 57,3 km/h malgré un périmètre de visibilité restreint et la présence d’un virage) vers un chantier dûment signalé 355 mètres et à 24,5 mètres auparavant. Il n’a ainsi pas satisfait aux exigences que tout usager de la route est en droit d’attendre d’un conducteur attentif (c. 3.3.1). Même la délimitation du chantier par la pose d’une barrière rouge et blanche, comme l’exigeait le recourant, n’aurait probablement pas empêché la chue, compte tenu du fait que celui-ci n’a pas vu la signalisation et s’est engagé sur le lieu de l’accident à près de 60 km/h. On doit donc nier l’existence d’un lien de causalité hypothétique (c. 3.3.2).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg
TF 4A_244/2022 du 13 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; causalité hypothétique, règles d’expérience, cognition du TF; art. 8CC; 55 et 221 CPC; 97 et 398 CO
Il est reproché à une société de courtage d’avoir violé de manière fautive ses obligations de mandataire. La question à résoudre est celle de savoir s’il existe un lien de causalité hypothétique entre la violation des obligations contractuelles et le dommage.
En l’occurrence, le lésé a juste eu à alléguer que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, elle n’aurait pas subi de dommage. Elle n’avait pas à prouver ni à alléguer quelles solutions de remplacement se présentaient à elle ni laquelle de ces solutions elle aurait choisie. La cour cantonale, en considérant que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, le lésé aurait pu entreprendre des démarches ce qui aurait eu pour conséquence de rechercher une autre solution pour éviter la survenance du dommage, a procédé, dans les circonstances concrètes, à une appréciation des faits en se fondant sur sa propre expérience générale de la vie. L’appréciation cantonale ne repose ainsi pas exclusivement sur une règle d’expérience mais sur l’appréciation des faits concrets, ce qui ne peut être revu par le TF que sous l’angle de l’arbitraire.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève
TF 8C_424/2022 du 10 janvier 2023
Assurance-chômage; coordination internationale, prise en compte des activités exercées au sein de l’UE, période d’assurance, période d’emploi; art. 6 et 61 R 883/2004; 27 LACI; 61 let. c LPGA
Une personne effectue un stage juridique non payé auprès d’un tribunal international aux Pays-Bas avant d’exercer un emploi de greffière en Suisse. Elle demande ensuite des indemnités de chômage et la caisse de chômage est amenée à s’interroger sur la prise en compte du stage non payé aux Pays-Bas pour déterminer si l’assurée a droit à 400 indemnités ou seulement 260 selon l’art. 27 al. 2 LACI. La caisse de chômage arrive à la conclusion qu’elle n’a pas à prendre en compte le stage non payé comme période de cotisation et applique donc une limite de 260 indemnités journalière, ce qui est confirmé par le tribunal cantonal. Celui-ci a tout d’abord admis que la totalisation des périodes prises en compte à l’étranger était possible selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004, dès lors que l’assurée avait exercé en dernier lieu un emploi en Suisse avant de s’annoncer à l’assurance-chômage, réalisant ainsi la condition de l’art. 61 al. 2 R 883/2004. Il a cependant jugé que la période de stage non payé aux Pays-Bas n’était pas une période d’assurance selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004. Un stage non rémunéré n’était pas considéré comme une activité soumise à cotisation selon le droit suisse et ne devait donc pas entrer en considération. Le fait que cette même activité non salariée avait été prise en considération pour calculer un revenu intermédiaire hypothétique pour un droit aux indemnités de chômage antérieur n’était pas non plus relevant, car il ne s’agissait pas d’une activité soumise à cotisation mais bien d’un revenu retenu sur la base de l’obligation de diminuer le dommage. L’assurée recourt devant le TF et reproche une mauvaise application de l’art. 61 al. 1 R 883/2004, en ce sens que le tribunal cantonal n’a pas appliqué le droit néerlandais pour qualifier le stage non payé. Elle reproche également une violation de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA).
Le TF rappelle tout d’abord le principe de la totalisation des périodes d’assurance et d’emploi survenues au sein des différents Etats parties à l’ALCP. Ce principe est consacré à l’art. 61 R 883/2004 s’agissant de l’assurance-chômage. En substance, l’Etat compétent doit prendre en compte toutes les périodes d’assurance survenues dans les pays membres. Est compétent le pays dans lequel la personne assurée a été occupée en dernier avant la période de chômage, en l’occurrence la Suisse. Les périodes d’emploi ne sont à prendre en compte que si elles auraient été considérées comme période d’assurance au sens du droit de l’Etat compétent si elles avaient eu lieu sur son sol. On fait donc la distinction entre période d’assurance et période d’emploi (c. 4.2.2).
On entend par périodes d’assurance les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées selon cette même législation (art. 1 let. t R 883/2004). Selon la jurisprudence de la CJUE, on ne tient pas seulement compte des périodes reconnues par le droit de l’assurance-chômage du pays. Il suffit au contraire que l’activité soit reconnue par un domaine de la sécurité sociale, par exemple l’assurance-accidents (Jugement du 12 mai 1989 Rs 388/87 Warmerdam-Steggerda). Les périodes d’emploi désignent quant à elle les périodes définies ou admises comme telles par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées (art. 1 let. u R 883/2004) (c. 4.2.3).
Les périodes d’assurance ou d’emploi accomplies au sein d’un autre Etat membre sont attestées au moyen d’un document portable PD U1. La personne assurée doit transmettre ce formulaire à l’assurance chômage auprès de laquelle elle demande des prestations. Les périodes qui ne sont ni considérées comme des périodes d’assurance, ni comme des périodes d’emploi ou des périodes assimilées ne seront pas prises en compte par l’assurance compétente pour la totalisation des périodes.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut rien déduire en sa faveur du fait que la période de stage non payée pourrait éventuellement être qualifiée de période d’emploi au sens de l’art. 1 let u R 883/2004. En effet, ce stage non payé n’aurait dans tous les cas pas été qualifié de période de cotisation en Suisse, raison pour laquelle une période d’emploi au sens du droit néerlandais n’aurait pas été prise en considération selon l’art. 61 al. 1 2e phrase R 883/2004 (c. 4.4).
Pour déterminer si le stage peut être considéré comme une période de cotisation, est pertinente la présence d’une période de cotisation ou d’une période assimilée au sens du droit néerlandais. Afin d’en juger, la caisse de chômage a demandé des informations à l’autorité compétente néerlandaise. Celle-ci lui a répondu qu’elle avait besoin du numéro de citoyen (Burgerservicenummer) pour pouvoir lui répondre. Or, l’assurée ne disposait pas de ce numéro et le tribunal international ayant été entretemps dissous, elle ne pouvait pas s’enquérir auprès de lui. Partant du constat que l’assurée n’avait jamais eu de numéro de citoyen aux Pays-Bas, la caisse de chômage est arrivée à la conclusion que la période d’activité n’avait pas été annoncée auprès de l’équivalent de la caisse de chômage aux Pays-Bas et qu’il ne s’agissait donc pas d’une période de cotisation à prendre en considération.
Le TF souligne que la question de savoir si le stage doit être considéré comme une période d’assurance s’apprécie selon le droit néerlandais. Le fait qu’aucune cotisation n’ait été versée aux Pays-Bas pour ce stage ne suffit pas à nier toute période d’assurance, dès lors que cette notion comprend également celle de période d’emploi ou de période assimilée. De plus, selon la jurisprudence, la prise en considération dans un seul domaine de sécurité sociale suffit. Par conséquent, la cour cantonale fait fausse route quand elle retient qu’il ne peut pas y avoir de période d’assurance aux Pays-Bas étant donné que l’assurée n’a pas été assujettie à l’équivalent de l’assurance-chômage là-bas (c. 4.5.2).
Etant rappelé que les procédures d’assurances sociales sont soumises à la maxime inquisitoire, la caisse de chômage ne pouvait pas se contenter de la réponse de l’autorité compétente néerlandais concernant le numéro de citoyen pour conclure que le stage ne devait pas être pris en considération. Il était en effet fort probable que l’assurée n’ait jamais été annoncée et enregistrée aux Pays-Bas compte tenu du fait que son stage n’était pas rémunéré. Un tel état de fait n’était cependant pas suffisant pour conclure à l’absence de toute période d’assurance dans ce pays. Il aurait donc été nécessaire que la caisse de chômage sollicite une seconde fois l’autorité compétente néerlandaise afin de l’interroger sur la nécessité d’avoir un numéro de citoyen pour une activité non rémunérée et sur la qualification d’une telle activité. En ne procédant pas de la sorte, la caisse de chômage a violé son obligation d’instruire (art. 61 let. c LPGA). Le fait que l’assurée aurait également pu demander ces éclaircissements n’est pas suffisant. Le SECO exige en effet que la caisse de chômage recherche elle-même les données pertinentes si l’assuré ne peut pas fournir le formulaire PD U1. Exiger de l’assurée qu’elle obtienne une attestation de la part des Pays-Bas dans les circonstances concrètes irait au-delà de son devoir de collaborer (c. 4.6.3).
Par conséquent, la cause est renvoyée à la caisse de chômage pour complément d’instruction au sens des considérants.
Auteur : Pauline Duboux, juriste
TF 8C_504/2022 du 23 décembre 2022
Assurance-chômage; gain intermédiaire, gain accessoire, jetons de présence du membre d’un organe législatif cantonal; art. 24 al. 3 et 23 al. 3 LACI
Constituent un gain accessoire qui n’est pas pris en compte en tant que gain intermédiaire les jetons de présence perçus par un membre du Grand Conseil dans la mesure où il s’agit d’une activité, exercée en dehors de la durée normale de son travail, et qu’elle a débuté avant la perte de l’activité principale qui avait été exercée à plein temps.
Les gains accessoires réalisés durant le délai-cadre de cotisation ne deviennent des gains intermédiaires durant le délai-cadre d’indemnisation que s’ils augmentent sensiblement après la perte de l’activité principale. Tel n’est pas le cas lorsque le membre du législatif a déjà par le passé réalisé un gain comparable et que la variation du montant de ses jetons de présence, d’une année à l’autre, dépend de circonstances qu’il ne maîtrise pas, notamment le nombre de séances de commissions et de séances plénières.
A cet égard, c’est à tort que l’instance cantonale s’est fondée uniquement sur les gains réalisés durant les deux dernières années précédant la perte de l’activité principale. Le recours est donc admis.
Auteur : Me Eric Maugué, avocat à Genève
TF 6B_1335/2021 du 21 décembre 2022
Responsabilité aquilienne; tort moral; art. 47 et 49 CO
Le recourant, victime de profondes balafres sur le visage et d’un stress post-traumatique à la suite d’une bagarre, se voit allouer une indemnité pour tort moral de CHF 30’000 en première instance. Cette indemnité est réduite à CHF 8’000 en appel. Le recourant critique le montant de l’indemnité devant le TF.
Dans cet arrêt, les juges fédéraux rappellent très soigneusement les principes applicables en matière de fixation d’une indemnité pour tort moral. Ils confirment qu’il est admissible de fixer une indemnité à titre de réparation du tort moral selon une méthode s’articulant en deux phases : la première consiste à déterminer l’indemnité de base, de nature abstraite ; la seconde implique une adaptation de cette somme aux circonstances du cas d’espèce. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) selon l’annexe 3 de l’OLAA peut constituer un point de départ objectif pour le calcul de l’indemnité ; cette façon de procéder n’est pas imposée par le droit fédéral et ne fournit qu’une valeur indicative.
Dans le cas d’espèce, les juges fédéraux retiennent qu’il n’était pas arbitraire, pour la cour cantonale, de partir d’un montant indicatif de base de CHF 29’640, à savoir 20 % de CHF 148’200 (cf. gain assuré maximal prévu par l’art. 22 OLAA). Par contre, la réduction de 73 % du montant de base opérée par les juges cantonaux est arbitraire, cette réduction n’étant pas suffisamment motivée. L’arrêt entrepris ne décrit pas la prise en charge médicale, pas plus qu’il n’expose la situation personnelle du recourant, dont on ignore l’âge, le lieu de vie, les liens qu’il entretient avec la Suisse et la situation professionnelle.
Dès lors, le recours est admis et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne
TF 9C_15/2022 du 19 décembre 2022
Assurance-invalidité; mesures d’ordre professionnel, reclassement, conditions d’octroi; art. 17 LAI
Le droit au reclassement conformément à l’art. 17 LAI suppose, d’une part, que l’invalidité rende cette mesure nécessaire et, d’autre part, que la mesure permette de maintenir ou d’améliorer la capacité de gain. La jurisprudence a précisé la condition de la nécessité dans ce sens que la perte de gain que subirait la personne assurée sans le reclassement, c’est-à-dire en travaillant dans une profession accessible sans formation supplémentaire, doit être de l’ordre de 20 % (ATF 139 V 399 c. 5.3). Cette condition a pour but de conserver une certaine proportion entre les coûts entraînés par le reclassement et le bénéfice à en espérer.
Il ne s’agit toutefois pas d’une limite absolue. Si la perte de gain se situe légèrement en-dessous de ce pourcentage, il faut procéder à un pronostic global pour juger si, à moyen et long terme, les coûts engagés pour le reclassement respectent le principe de proportionnalité (c. 6.2). Par ailleurs, en présence d’une personne assurée encore jeune, on peut s’écarter du seuil de 20 % lorsque l’activité qu’elle peut exercer sans reclassement consiste en des travaux non qualifiés qui ne sont pas équivalents, qualitativement, à l’activité apprise (c. 3 et 6.3). Cela ne concerne toutefois que les personnes qui sont au début de leur carrière professionnelle, et non, comme en l’espèce, une personne âgée de 43,5 ans, se trouvant plutôt au milieu de sa vie professionnelle. Le taux d’invalidité – non contesté – s’élevant à 8 %, il n’y avait pas lieu de lui accorder de reclassement, le seuil de 20 % devant dans ce cas être respecté (c. 6.4)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 4A_338/2022 du 19 décembre 2022
Assurances privées; invalidité, réticence; art. 4 à 6 LCA
C. a conclu en 2001 un contrat d’assurance auprès de A. SA pour sa fille B., âgée de 14,5 ans à ce moment-là, couvrant les risques d’invalidité et de décès. Le 25 février 2019, l’assurance-invalidité fédérale a mis B. au bénéfice d’une rente entière. Celle-ci a ensuite sollicité auprès de A. SA le paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-, ce que la compagnie a refusé en invoquant une réticence au sens de l’art. 6 LCA, notamment en raison des faits importants non déclarés prétendument connus de la maman C. à la conclusion du contrat (art. 5 al. 1 LCA).
Les différentes instances judiciaires ont reconnu le droit de B. au paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-. A ce titre, le fait que B. ait annoncé en 2019 qu’elle souffrait de troubles psychiques depuis 2000 n’y change rien. Il en va de même pour les indications provenant des spécialistes consultés qui ont diagnostiqué l’existence d’une atteinte à la santé psychique plusieurs années après la conclusion du contrat, mais sans préciser clairement la date de début de la maladie. En effet, la seule chose pertinente est de déterminer si B. ou sa mère le savait ou aurait dû le savoir au moment de l’établissement de la proposition d'assurance, soit le 22 mai 2001 (c. 5.2.1).
Le TF laisse cependant ouverte la question de savoir si l’art. 5 al. 1 LCA est applicable au représentant légal d’un enfant mineur ou si les faits importants connus de l’enfant capable de discernement ou qu’il devait connaître ont de l’importance (c. 4.2).
Par ailleurs, A. SA fait valoir que C. avait certes déclaré une maladie ophtalmologique ainsi qu’un asthme, mais avait omis de mentionner le suivi de B. chez une psychologue pour enfants entre 1992 et 1998, ce qui représenterait une réticence sur différentes questions de la proposition d’assurance de l’époque. Pour la plupart des questions, une réticence a été niée par les différentes instances judiciaires, car soit les questions ne concernaient pas une atteinte psychique, soit il était question de l’état de santé de B. au moment de l’établissement de la proposition d’assurance. Par ailleurs, le TF rappelle que la réticence ne doit être admise qu’avec retenue s’agissant de questions ouvertes et à large portée posées par l’assureur. Cela est d’autant plus vrai si, à la suite de telles questions, l’assureur ne laisse pas au proposant suffisamment d’espace sous forme de lignes vides pour lui permettre d’exprimer d’éventuels doutes ou d’expliquer sa réponse (c. 3.2 et 5.3.5). Quant à l’absence de réponse positive de la proposante à une question concernant le fait de savoir si B. avait souffert d’une maladie nerveuse et de dépression pendant une période de cinq ans avant l’établissement de la proposition d’assurance, le TF confirme qu’il n’a pas été démontré que la personne assurée souffrait d’une véritable maladie, malgré un suivi psychologique sur plusieurs années (c. 5.3.5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge
TF 4A_295/2022 du 16 décembre 2022
Responsabilité médicale; omission, causalité hypothétique, expertise, degré de la preuve, vraisemblance; art. 8 CC; 97 et 398 CO
Le 11 mars 2013, la recourante A. a présenté des signes de paralysie à sa jambe droite. Elle a consulté le jour même son médecin de famille, qui a immédiatement demandé un examen IRM. L’examen IRM a été effectué le 13 mars 2013 à l’hôpital D. Le 13 mars encore, le médecin de famille a envoyé sa patiente à l’hôpital C. où une hernie discale a été enlevée chirurgicalement le 25 mars 2013. A. souffre, malgré l’opération, d’une faiblesse persistante du releveur du pied. Elle reproche à son médecin de famille de ne pas l’avoir adressée le 11 mars 2013 à un spécialiste pour qu’il procède à une opération visant à soulager le nerf. Le tribunal civil a rejeté la demande de la recourante. Il a considéré, en se basant sur l’expertise médicale qui a eu lieu en deux parties, que le lien de causalité et le dommage invoqué n’étaient pas établis avec une vraisemblance prépondérante.
La Cour d’appel du canton de Bâle-Ville a rejeté le recours de A. Il a considéré que la première instance avait admis à juste titre, sur la base de l’expertise médicale, qu’un degré de force M3 ou même pire n’avait pas été établi le 11 mars 2013 lors de l’examen par le médecin de famille. Ainsi, la question des chances de guérison en cas d’opération dans les 48 heures ne se poserait plus faute d’indication opératoire urgente. Dans une motivation éventuelle, il a constaté qu’il était juste que la première instance ne se soit pas basée uniquement sur l’étude de PETR concernant les chances de guérisons. Les déclarations de l’expert ne démontraient pas avec une probabilité prépondérante une récupération complète en cas d’opération rapide.
Le TF relève qu’en cas d’omission, le lien de causalité est déterminé par la question de savoir si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli. Il s’agit d’un déroulement hypothétique de la causalité, pour lequel une probabilité prépondérante doit plaider selon les expériences de la vie et le cours ordinaire des choses. En principe, la jurisprudence fait également la distinction entre le lien de causalité naturelle et le lien de causalité adéquate en cas d’omission. Les constatations du juge du fond en rapport avec des omissions lient le TF, conformément à la règle générale sur le caractère obligatoire des constatations relatives au lien de causalité naturelle ; ce n’est que lorsque la causalité hypothétique est établie exclusivement sur la base de l’expérience générale de la vie – et non sur la base de moyens de preuve – qu’elle est soumise au libre examen du TF (c. 6.2).
Le TF retient également que le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante doit notamment être distingué de celui de « la simple vraisemblance ». En effet, d’une part, « rendre vraisemblable » décrit souvent le degré de preuve qui s’applique dans le cadre de décisions provisoires, prises la plupart du temps avec des restrictions des moyens de preuve, notamment des mesures provisoires. D’autre part, le degré de vraisemblance exigé diffère selon les cas. Un fait est déjà rendu vraisemblable lorsque certains éléments parlent en faveur de son existence, même si le tribunal compte encore sur la possibilité qu’il ne se soit pas réalisé. En revanche, les exigences sont plus élevées en ce qui concerne le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante : la possibilité qu’il puisse en être autrement n’exclut certes pas la vraisemblance prépondérante, mais elle ne doit pas jouer un rôle déterminant pour le fait en question ni entrer raisonnablement en ligne de compte (c. 6.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg
TF 4A_315/2022 du 13 décembre 2022
Responsabilité médicale; information donnée au patient, consentement éclairé; art. 97 CO
Un patient s’était soumis à une opération des cavités nasales. Il avait auparavant reçu une fiche d’information contenant des indications sur différents effets secondaires et complications possibles, dont ceux survenant après des blessures à la base du crâne. Lors de l’opération, le patient avait effectivement subi une lésion de la base antérieure du crâne et des méninges, avec fuite de liquide et entrée d’air dans l’espace cérébral. Ce type d’incident était connu et considéré comme rare (0,2 à 0,5 %). Le problème avait été corrigé trois jours plus tard par une opération d’urgence, après un rendez-vous chez le médecin ORL opérateur et l’établissement d’un scanner.
A la suite d’une action partielle du patient, qui se plaignait de certaines séquelles, le tribunal d’arrondissement avait rendu une décision incidente admettant la responsabilité de principe du médecin opérateur, sur la base d’une violation du devoir d’information. L’appel interjeté par le médecin auprès du Tribunal supérieur du Canton de Berne avait été rejeté. Devant le TF, la question d’une éventuelle faute médicale ne se posait plus, cette hypothèse ayant été rejetée par les deux premières instances.
La Cour supérieure était parvenue à la conclusion qu’une fiche d’information avait été remise au patient avant l’opération, fiche dans laquelle il était fait mention de la complication possible d’une fuite de liquide céphalorachidien avec le risque d’une méningite consécutive. Il n’avait pas été établi par contre qu’une explication orale avait été donnée à ce sujet et que l’intimé avait lu et compris la feuille d’information. Bien au contraire, le formulaire d’information remis au patient contenait au verso une rubrique intitulée « Documentation », dans laquelle il fallait cocher que le formulaire d’information avait été lu et compris, que toutes les questions intéressantes avaient pu être posées lors de l’entretien d’information, et qu’il y avait été répondu de manière complète et compréhensible. Comme cette page était restée vide, les premiers juges en avaient conclu que la preuve de ces explications orales et du fait que le patient avait lu et compris le texte de la fiche d’information n’avait pas été apportée. Le TF a rejeté sur cette question de faits le grief d’arbitraire du recourant (c. 6.3).
Par contre, il a considéré que, sur le plan juridique, le médecin ORL avait bel et bien rempli correctement son devoir d’information. Le TF rappelle à ce sujet que l’information adressée au patient n’est en principe pas liée à une forme particulière, et qu’il convient plutôt de décider, en fonction des circonstances, si celui-ci a été informé de manière claire et compréhensible sur le diagnostic, la méthode de traitement et les risques. On ne peut donc pas partir du principe, comme l’ont fait les premiers juges, qu’une information donnée exclusivement par écrit est en soi insuffisante, même en ce qui concerne des complications hautement improbables (c. 7.1).
En l’espèce, comme une fiche d’information avait été remise à l’intimé avec l’invitation à la lire, comme cette fiche mentionnait en termes compréhensibles le risque spécifique tel qu’il s’était réalisé, comme il s’agissait d’une complication extrêmement rare, et que celle-ci avait pu être corrigée, comme le patient avait eu la possibilité d’étudier la fiche d’information chez lui, d’y préparer des questions et de les poser lors d’une consultation ultérieure après un délai de réflexion approprié, et comme il avait déclaré que le fait de savoir que toute opération comportait des risques lui avait « suffi », le TF conclut que le devoir d’information a été correctement rempli, même si aucune explication orale n’a été donnée. Il relève par ailleurs qu’il convient de laisser à cet égard une certaine marge de manœuvre au médecin, qui doit aussi pouvoir prendre en compte le fait qu’un excès d’informations peut être néfaste pour le patient, causer un état d’anxiété préjudiciable, et finalement l’empêcher de prendre une décision appropriée (c. 7.2).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne
TF 2C_259/2022 du 7 décembre 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance liée, déductibilité des primes, période fiscale déterminante; art. 82 al. 1 LPP; OPP3
Selon l’art. 15 al. 1 LHID, la période fiscale correspond à l’année civile. L’art. 82 al. 1 LPP prévoit que les salariés et les indépendants peuvent également déduire les cotisations affectées exclusivement et irrévocablement à d’autres formes reconnues de prévoyance assimilées à la prévoyance professionnelle (cf. aussi art. 1 al. 2 let. b OPP3 et 33 al. 1 let. e LIFD). Dans cette décision, le TF confirme que le montant de CHF 24'632.-, dont l’ordre de paiement a été effectué le 29 décembre 2017, ne peut pas être déduit fiscalement pour l’année 2017, dès lors que la somme litigieuse a été créditée à l’assureur le 3 janvier 2018 seulement (cf. art. 81 al. 3 LPP ; art. 8 OPP3).
Note : s’agissant d’une somme d’argent (dette portable ; cf. art. 74 al. 2 ch. 1 CO), la même règle prévaut dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, singulièrement en ce qui concerne le caractère déductible des rachats facultatifs (art. 79b LPP).
Auteur : Guy Longchamp
TF 4A_376/2022 du 5 décembre 2022
Assurances privées; procédure; vice de forme; art. 132 al. 1 CPC
Un assuré a déposé une demande devant la cour des assurances sociales pour obtenir le paiement d’indemnités journalières maladie fondées sur un contrat d’assurance maladie complémentaire. L’assureur a déposé une réponse signée uniquement par un collaborateur disposant de la signature collective à deux au Registre du commerce. L’autorité de première instance a ainsi déclaré cette réponse irrecevable et admis l’intégralité des conclusions de la demande au motif que, sans réponse, il fallait considérer que l’assureur avait admis les allégués de la demande. L’assureur a déposé un recours au TF par lequel il relevait que l’art. 132 al. CPC imposait à l’autorité de première instance de lui impartir un délai pour rectifier le vice de forme. Il invoquait également le droit d’être entendu de l’art. 29 al. 1 Cst.
Le TF explique que l’art. 132 al. 1 CPC a pour but d’atténuer la rigueur formelle qui ne serait justifiée par aucun intérêt digne de protection. C’est ainsi que si une partie dépose, par inadvertance ou involontairement, un acte vicié, un délai doit lui être imparti pour qu’il le rectifie. Il relève néanmoins qu’il n’y a aucune protection accordée à cette partie si le défaut constitue un abus de droit manifeste, comme par exemple volontairement déposer un acte vicié afin d’obtenir un délai supplémentaire ou afin de faire traîner la procédure.
Dans le cas d’espèce, le vice reproché à l’assureur avait déjà été constaté dans une procédure et l’attention de l’assureur avait ainsi été attirée sur cette problématique. Le TF relève toutefois qu’une telle récidive n’est en soi pas suffisante pour considérer qu’il y a abus de droit. Par conséquent, notre Haute Cour a considéré que l’autorité inférieure avait violé les art. 132 al. 1 CPC et 29 al. 1 Cst. dès lors qu’aucun délai n’avait été imparti à l’assureur pour rectifier la problématique de la signature. Il a ajouté que ces dispositions et l’obligation d’impartir un délai supplémentaire s’appliquaient également lorsque l’acte était signé par une personne seule si cette dernière ne dispose que de la signature collective à deux, inscrite au Registre du commerce. La cause a ainsi été renvoyé à l’autorité de première instance.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne
TF 4A_323/2022 du 5 décembre 2022
Assurances privées; procédure, preuve à futur, Lloyd’s; art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC
La société A. SA, (requérante, recourante) est une holding du groupe A., dont le siège est en Suisse. B. Limited (intimée 1) et C. Limited (intimée 2) sont des compagnies d’assurances anglaises qui proposent des contrats sur mesure (Spezialversicherungen) par l’intermédiaire du marché des assurances Lloyd’s de Londres. Le 19 décembre 2018, la recourante a signé un contrat d’assurance pour couvrir le risque d’annulation de grandes manifestations. En plus de la société D. plc (public limited company), quatre syndicats des Lloyd’s s