Jurisprudence
Analyses

Jurisprudence
TF 4A_416/2024 du 13 mars 2025
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; coordination extrasystémique; recours subrogatoire; assurance obligatoire; limitation du droit de recours; art. 58 et 63 LCR; 72 et 75 LPGA
La responsabilité civile du détenteur de véhicule selon l’art. 58 LCR s’applique même lorsque l’accident survient sur une surface non ouverte à la circulation publique. Le privilège de recours de l’employeur prévu à l’art. 75 al. 2 LPGA est écarté si le détenteur est couvert par une assurance responsabilité civile obligatoire au sens de l’art. 63 LCR. Dans cet arrêt destiné à publication, le TF précise que l’exception de l’art. 75 al. 3 LPGA, permettant aux assureurs sociaux d’exercer leur recours contre l’assureur en responsabilité civile, ne dépend pas du lieu de l’accident, mais de l’existence d’une assurance obligatoire du véhicule (c. 4.7.6). Au terme notamment d’une interprétation historique, le TF privilégie l’assureur social lorsque le risque est déjà couvert par une assurance en responsabilité civile (c. 4.6.4). Il rejette l’argument de la recourante selon lequel le véhicule, utilisé sur un chantier privé, ne serait pas couvert par une assurance obligatoire (c. 4.7.4). L’immatriculation et l’attestation d’assurance démontrent l’intention d’utiliser le véhicule dans le trafic public, condition suffisante pour faire primer la couverture RC sur le privilège de recours de l’employeur (c. 4.7.1 et 4.7.7). Le recours de l’assureur responsabilité civile est rejeté (c. 5). Auteur : Scott Greinig, avocat et assistant doctorant |


TF 6B_360/2024 du 13 mars 2025
Responsabilité du détenteur d’animal; faute; lésions corporelles par négligence; position de garant; art. 125 CP; 56 CO
Le TF confirme la condamnation d’une maman de jour ayant laissé sans surveillance une enfant de vingt mois pendant une vingtaine de secondes, laps de temps durant lequel un chien l’a mordue au visage. Les juges fédéraux rappellent que l’infraction de lésions corporelles par négligence peut aussi être commise par un comportement passif contraire à une obligation d’agir. L’obligation d’agir découle d’une position de garant : l’auteur doit se trouver dans une situation qui l’oblige à protéger un bien déterminé contre des dangers indéterminés (devoir de protection) ou à empêcher la réalisation de risques connus auxquels des biens indéterminés sont exposés (devoir de surveillance). Il faut par ailleurs qu’il existe un rapport de causalité ente la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Dans le cas d’espèce, on pouvait attendre qu’une maman de jour expérimentée maintienne un contact visuel constant avec l’enfant, d’un naturel turbulent, et qu’elle se tienne suffisamment proche de celle-ci afin d’être en mesure de réagir rapidement à toute éventualité. La maman de jour ne peut pas se dédouaner en invoquant avoir délégué diligemment la surveillance de l’enfant à des collègues. Le lien de causalité doit être admis car le défaut de surveillance a permis à l’enfant de courir hors de portée de la surveillante jusqu’à disparaître de son champ de vision, de s’approcher du chien et d’être mordue. Il n’y a aucune rupture du lien de causalité car il n'est nullement imprévisible, à l’intérieur d’un centre commercial, d’être confronté à un chien, attaché juste devant l’entrée d’un commerce. Le jeune âge de l’enfant aurait dû inciter la maman de jour à redoubler de vigilance puisqu’elle ne pouvait escompter qu’une enfant de vingt mois aurait une réaction adéquate en se retrouvant face à un chien. Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne |


TF 9C_52/2024 du 6 mars 2025
Prévoyance professionnelle; prestations de survivants; retrait du libre passage; responsabilité de l’institution de prévoyance; prescription; dies a quo; art. 41 al. 2 LPP; 15 OLP; 97, 112 et 127 ss CO
Une veuve s’est vu refuser le versement de l’avoir de libre passage par l’institution de prévoyance de son défunt mari, au motif que celui-ci avait, avant son décès, obtenu le paiement en espèces de ce dernier au motif qu’il entendait se mettre à son compte. La veuve a alors fait valoir qu’elle n’avait jamais été informée de ce retrait, qu’elle n’y avait pas consenti et que sa signature avait été falsifiée. Elle a reproché une négligence à l’institution de prévoyance, qui avait failli à son devoir de vérification, et réclamé le versement de la prestation de libre passage. Se référant à l’ATF 130 V 103, le TF rappelle que le versement intervenu sans le consentement du conjoint (ou sans consentement valable) n’est pas nul, et que la prétention du conjoint survivant est alors de nature indemnitaire, fondée sur l’art. 97 CO, l’absence de vérification quant au consentement des ayants droit n’étant toutefois pas de nature à fonder une obligation de réparer le dommage. En présence d’une créance de nature indemnitaire (dommages-intérêts), il y a lieu d’appliquer le délai de prescription décennal de l’art. 127 CO. Ce délai court, conformément à l’art. 60 al. 1 CO, applicable par renvoi de l’art. 99 al. 3 CO, à compter du jour où le fait dommageable s’est produit. En l’espèce, l’acte qui a privé la veuve de ses prétentions envers l’institution de prévoyance est le versement du capital de la police de libre passage fondé sur une demande de remboursement contenant la signature contrefaite, soit le 6 juin 2008. La prescription était donc acquise dix ans après cette date. La veuve n’ayant pas interrompu la prescription à temps, sa créance est prescrite. Auteure : Anne-Sylvie Dupont |

TF 9C_443/2023 du 28 février 2025
Assurance-invalidité; valeur probante d’une expertise psychiatrique; pronostic d’amélioration de la capacité de travail aux termes d’un traitement médical; mesures de réadaptation; art. 7 al. 2 let. d, 7a, 8 al. 3 et 28 al. 1 let. a LAI
L’office AI recourt contre un arrêt ayant reconnu à l’assuré le droit à une demi-rente d’invalidité sur la base d’une expertise judiciaire psychiatrique ayant conclu à une capacité de travail réduite de 50 % et à un pronostic de capacité de travail à 80-100 % dans les quatre à six mois moyennant une thérapie adéquate (c. 3.1). Le TF rejette le premier grief de l’office AI ayant trait à la valeur probante de l’expertise. Même si la perspective du recouvrement d’une pleine capacité de travail aurait théoriquement dû être évaluée à l’aide des indicateurs développés à l’ATF 141 V 281, la jurisprudence admet parfois qu’un examen approfondi sur la base des indicateurs est superflu, lorsque l’existence d’une incapacité de travail a été établie de manière claire par l’expert et qu’il n’existe pas d’évaluations contraires probantes (c. 4). Le TF rejette également le second grief de l’office AI qui se prévalait de l’ATF 148 V 397 pour nier l’invalidité compte tenu de la perspective d’une amélioration de la capacité de travail moyennant traitements. Le TF rappelle que les mesures de réadaptation raisonnablement exigibles qui excluent le droit à la rente visées à l’art. 28 al. 1 let. a LAI sont uniquement les mesures énumérées exhaustivement à l’art. 8 al. 3 LAI et réglées par les art. 12 ss LAI. Il ne s’agit en revanche pas des traitements médicaux au sens de l’art. 25 LAMal susceptibles de favoriser la réadaptation auxquels la personne assurée doit se soumettre conformément à son obligation de réduire son dommage (art. 7 al. 2 let. d et 7a LAI) (c. 5.1.2). Le fait qu’une atteinte à la santé soit théoriquement traitable, comme cela peut être le cas d’un état dépressif léger à moyen, n’exclut pas d’emblée son caractère invalidant (c. 5.1.3). Par ailleurs, les démarches nécessaires à la réadaptation par soi-même en tant qu’expression de l’obligation générale de diminuer le dommage permettent d’exclure une invalidité uniquement dans le cas où la personne assurée est en mesure, de sa propre initiative, d’augmenter notablement sa capacité de travail sans l’aide de tiers (par exemple en prenant les médicaments prescrits ; ATF 148 V 397). En revanche, si la personne n’est pas en mesure d’améliorer son état par elle-même, le droit à la rente doit être admis de manière illimitée, tant que l’incapacité perdure et que les mesures n’ont pas atteint leur but. Ce n’est qu’en cas de succès des traitements médicaux, respectivement de la violation par la personne assurée de son obligation de réduire son dommage en se soumettant aux traitements préconisés au terme d’un délai de mise en œuvre, que le droit à la rente peut être revu aux conditions de la révision (art. 17 al. 1 LPGA) (c. 5.1.4). Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève |


TF 4A_189/2024 du 27 février 2025
Responsabilité médicale; assurance RC; droit d’action directe; droit transitoire; art. 60 al. 1bis et 103a LCA; 3 Tit. fin. CC
En date du 6 février 2014, la demanderesse est soignée par un chirurgien de la main en raison de troubles à sa main droite. Les suites post-opératoires se sont caractérisées par de fortes douleurs et limitations, lesquelles ont donné lieu à des examens, expertises et opérations supplémentaires durant les années suivantes. Le 27 avril 2023, la demanderesse a ouvert une action directe contre l’assurance responsabilité civile du chirurgien, en se prévalant de l’art. 60 al. 1bis LCA (droit direct) et en réclamant le paiement d’un montant de CHF 35'000.- à titre de tort moral pour l’opération querellée, dans le cadre d’une action partielle. L’assureur RC a contesté sa légitimation passive. Le Tribunal du commerce du canton de Berne, statuant en instance unique, a ainsi rejeté la demande faute de légitimation passive. Le TF confirme l’absence de légitimation passive et rejette le recours de la demanderesse. Après avoir passé en revue les différents avis doctrinaux, le TF estime en effet que l’art. 103a LCA règle le droit transitoire pour ce qui est des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la révision partielle du 19 juin 2020 (au 1er janvier 2022) ; à ce titre, il ne règle pas uniquement le rapport contractuel entre le preneur d’assurance et son assureur, mais s’applique également aux tiers, comme c’est le cas en particulier du recours et des prétentions récursoires, pour lesquels aucune exception n’est prévue par l’art. 103a LCA. Cela signifie dès lors qu’il n’y a pas d’effet rétroactif pour la disposition de l’art. 60 al. 1bis LCA, l’art. 103a LCA devant être compris comme une disposition spéciale, laquelle s’applique prioritairement aux dispositions du Titre final du Code civil (art. 3), dispositions qui ne sont donc pas applicables. Cela signifie donc que la demanderesse, dont le contrat a été conclu avant l’entrée en vigueur au 1er janvier 2022 de la révision partielle de la LCA, ne peut pas se prévaloir du droit d’action directe de l’art. 60 al. 1bis LCA. Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion |


TF 9C_492 et 493/2024 du 24 février 2025
Assurance-vieillesse et survivants; montant de la rente de vieillesse; revenus soumis à cotisation; conjoint au bénéfice de prestations AI; splitting; art. 29quinquies al. 3 let.a LAVS
Un couple est marié depuis 1990. En 2012, l’épouse, souffrant d’un cancer, demande la prise en charge d’une perruque à l’AI, qui est accordée. En février 2021, l’époux a droit à une rente AVS, fixée à CHF 2'141.- par mois. En septembre 2021, l’épouse fait une nouvelle demande AI en lien avec un autre cancer et une dépression. Elle décède en août 2022 et obtient post mortem une rente AI entière du 1er mars au 31 août 2022. La caisse de compensation procède alors à un nouveau calcul de la rente AVS de l’époux lors de l’octroi de la rente AI et réduit la première à CHF 1'836.- par mois rétroactivement depuis février 2021. Un plafonnement temporaire durant la période de concours avec la rente AI est également effectué et non contesté. L’époux conteste en revanche le nouveau calcul de sa rente ainsi que le calcul de la rente AI de sa défunte épouse, plus particulièrement le splitting des revenus. Ayant perdu devant l’instance cantonale, il saisit le TF*. Pour le calcul des deux rentes, le Tribunal cantonal, sur la base du droit en vigueur avant le 1er janvier 2024, est parti du principe que le premier cas de rente du couple s’était produit pour l’épouse dès la naissance virtuelle de son droit à une rente AI en septembre 2013, même si le versement de la rente n’a eu lieu qu’à partir de mars 2022 en raison d’une demande tardive. Le deuxième cas est survenu en février 2021 avec l’âge de la retraite du mari. Le mari refuse cette manière de procéder au splitting, tenant compte d’une rente virtuelle depuis septembre 2013, et plaide que le calcul aurait dû survenir au plus tôt en mars 2022, moment à partir duquel les deux époux ont réellement touché une rente. Selon l’art. 29 quinquies al. 3 let. a LAVS, les revenus que les époux ont réalisés pendant les années civiles de mariage commun sont répartis et attribués pour moitié à chacun d’eux lorsqu’ils ont tous deux droit à une rente. Selon l’al. 4, sont seuls soumis au partage et à l’attribution réciproque les revenus réalisés entre le 1er janvier de l’année suivant celle durant laquelle la personne a atteint 20 ans révolus et le 31 décembre qui précède l’ouverture du droit à la rente du conjoint qui le premier peut y prétendre, et durant les périodes où les deux conjoints ont été assurés auprès de l’assurance vieillesse et survivants suisse. Dans l’ATF 127 V 361, le TF s’est déjà penché sur cette disposition et a confirmé qu’elle s’appliquait également lorsqu’un époux a droit à une rente AVS et l’autre à une rente AI. A l’ATF 129 V 124, le TF a eu à se pencher sur le nouveau calcul de rente dans un cas de splitting, après que l’épouse d’un rentier AI a atteint l’âge AVS. Il a précisé que la règle de l’ATF 127 V 361 ne s’appliquait qu’au calcul de la rente de vieillesse du conjoint touchant la rente AI. Pour le nouveau calcul de la rente d’invalidité, les règles de calcul en vigueur au moment du premier calcul de la rente restent déterminantes. La période couverte par le splitting du revenu s’étend donc uniquement jusqu’au 31 décembre de l’année précédant la survenance du cas d’invalidité et pas aux années de cotisations ultérieures. Le TF estime que cette jurisprudence s’applique également dans le cas présent. Se pose toutefois la question, en ce qui concerne la rente d’invalidité, de savoir si la survenance du cas d’assurance est fixée au moment du droit simplement virtuel à une rente AI ou, au contraire au début effectif de la rente. En se référant à l’ATF 132 V 265, dans le domaine de la rente AVS, où le fait générateur du droit, c’est-à-dire l’atteinte de l’âge de la retraite, est déterminant, le TF conclut qu’il en va de même pour le calcul de la rente d’invalidité. Cette interprétation concorde d’ailleurs avec les directives de l’OFAS sur les rentes AVS et AI. En l’espèce, c’est donc à juste titre que le tribunal cantonal a considéré que le premier cas de rente est survenu en septembre 2013 lorsque l’épouse aurait pu prétendre à une rente AI et que les conditions de l’art. 29quinquies al. 3 let. a LAVS pour un partage de revenu étaient remplies lorsque l’époux a atteint l’âge de la retraite (deuxième cas de rente). Il est également conforme aux jurisprudences précédentes que le tribunal cantonal ait différencié, en ce qui concerne le partage des revenus, le calcul de la rente AI et celui de la rente AVS. * Le TF, au vu de la conclusion au fond, renonce à examiner plus en avant le fait que la rente AI a été accordée directement au mari étant donné le décès de la femme sans que la Caisse de compensation et l’instance cantonale n’aient procédé à l’analyse de la situation successorale. Auteure : Pauline Duboux, juriste à Rennaz |

TF 4F_22/2024 du 19 février 2025
Responsabilité aquilienne; amiante, prescription; violation de la CEDH; procédure de révision; art. 41, 58 et 258 CO; 679 et 684 CC; 60 al. 1 et 127 CO; 122 LTF
TF Dans l’affaire Jann-Zwicker et Jann c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) a admis, en 2024, la requête de la famille d’une victime de l’amiante et condamné la Confédération helvétique pour violation du droit à un procès équitable selon l’art. 6 ch. 1 CEDH en raison de l’absence de garantie d’accès à un tribunal ainsi que de la durée excessive de la procédure interne. Il a contesté l’application du délai de prescription absolu par les juridictions nationales, notamment la fixation du dies a quo. En conséquence, la famille a demandé au TF la révision de l’arrêt 4A_553/2013. Le TF rappelle les contours de la procédure de révision au sens des art. 121 et ss LTF, notamment l’exigence pour le requérant de démontrer un manquement pour pouvoir entrer en matière sur la demande. Dans tous les cas, l’objet du litige est déterminé par l’arrêt à réviser (c. 2). S’agissant d’une demande consécutive à un arrêt de la CourEDH pour une violation de la CEDH, les conditions prévues à l’art. 122 LTF doivent être réalisées (c. 3 et 4.2.1). En l’espèce, la condition de la lettre a de l’art. 122 (arrêt définitif et violation de la CEDH) est réalisée (c. 4.1). Il en va de même pour l’exigence de la lettre b (indemnité qui ne remédie pas aux effets de la violation), puisque les indemnités accordées par CourDEH pour le manque de célérité de la procédure et les frais d’avocats ne visaient pas le fond de la demande, soit l’indemnisation du tort moral (c. 4.2.2 à 4.2.4). Quant à la nécessité de la révision pour remédier aux effets de la violation (art. 122 lettre c), elle est en principe admise lorsque la procédure devant le Tribunal fédéral aurait suivi ou aurait pu suivre un autre cours sans violation de la Convention (c. 4.3.1). En l’espèce, comme seule la prescription absolue a été examinée par les différentes instances, on ne peut pas en déduire que le TF aurait forcément procédé à l’examen de la prescription relative s’il n’était pas convaincu que la prescription absolue était déjà acquise, mais aurait plutôt renvoyé l’affaire devant la dernière instance cantonale. L’exigence posée à la lettre c est également réalisée (c. 4.3.2 et 5.1). Cela étant, les héritiers de feu A. se méprennent sur la portée de l’arrêt de la CourEDH car en l’absence de prise de position sur la prescription relative, la question de la prescription dans son ensemble n’a pas pu être définitivement tranchée par cette cour (c. 5.2.2). Le TF ne peut donc pas statuer sur le fond de l’affaire, notamment en raison de l’absence d’examen de la prescription relative et des conditions matérielles liées à l’octroi d’un tort moral, si bien que l’affaire doit être renvoyée à la dernière instance cantonale (c. 5.2.1 et 5.2.3). Par ailleurs, une demande de dérogation aux dispositions nationales en matière de prescription dans le cadre d’une réponse d’une des parties intimées au sens de l’art. 127 LTF n’est pas admissible et constituerait une extension de l’objet du litige (c. 5.2.4). Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge |


TF 8C_563/2024 du 14 février 2025
Prestations complémentaires; prestation complémentaire annuelle; calcul; dépense reconnue; pension alimentaire; bonne foi; art. 10 al. 3 let. e LPC
Les pensions alimentaires versées en vertu du droit de la famille sont reconnues comme dépenses dans le calcul des prestations complémentaires (art. 10 al. 3 let. e LPC). Si la situation du bénéficiaire vient à se péjorer de manière conséquente et durable, l’organe PC doit exiger que le bénéficiaire sollicite une modification du jugement de divorce ou de la convention conclue entre les parties. Si le bénéficiaire ne se conforme pas à cette exigence, l’organe PC prend une décision sur la base du dossier existant et est en droit de prévoir un montant correspondant à CHF 0.-. Il doit en avertir par écrit le bénéficiaire (N 3271.02 et 3271.03 DPC). Un homme ayant atteint l’âge légal de la retraite dépose une demande de prestations complémentaires, à l’appui de laquelle il produit un jugement de divorce étranger de mars 2019 ratifiant une convention sous seing privé d’octobre 2017 qui prévoit le versement d’une contribution d’entretien de EUR 1'000.- pendant deux ans pour sa fille et de EUR 300.- pour une durée indéterminée en faveur de son ex-épouse, ainsi que deux conventions sous seing privé de janvier 2021 et février 2023 fixant les contributions d’entretien à EUR 500.- pour la fille et à EUR 1'000.- pour l’ex-épouse. En mai 2023, l’organe PC demande au bénéficiaire une copie intégrale du jugement de divorce ou de la convention de divorce modifiée, au motif que sa situation financière s’est péjorée, en précisant que s’il ne s’y conforme pas dans un délai de trois mois, un montant correspondant à CHF 0.- pourrait être retenu. Le bénéficiaire transmet alors à l’organe PC une convention sous seing privé de juin 2023 aux termes de laquelle la contribution d’entretien pour son ex-épouse est réduite à EUR 800.-. L’organe PC calcule le droit aux prestations complémentaires sans tenir compte d’aucune contribution d’entretien pour l’ex-épouse à compter du mois d’août 2023. Le TF relève que l’organe PC n’a pas indiqué clairement au bénéficiaire qu’il devait modifier la convention d’octobre 2017 ratifiée par le juge et non pas celle de février 2023. Il s’est contenté d’exiger une copie du jugement de divorce ou de la convention de divorce modifiée, sans préciser à quelle convention il se référait et sans attirer l’attention du bénéficiaire sur la nécessité de saisir le juge d’une demande en modification du jugement de divorce en vue de diminuer ou supprimer la contribution d’entretien de EUR 300.-. Il n’a par ailleurs pas clarifié la situation à réception de la convention de juin 2023 abaissant la contribution d’entretien de EUR 1'000.- à EUR 800.- Le bénéficiaire pouvait ainsi, de bonne foi, penser qu’il avait entrepris les démarches requises. Le TF considère que l’organe PC ne pouvait pas calculer le droit aux prestations complémentaires sans prendre en compte, au titre de dépense reconnue, la contribution d’entretien de EUR 300.- dont le bénéficiaire est toujours légalement tenu. En l’absence d’une communication claire et complète de ce qui était attendu du bénéficiaire, l’organe PC n’était pas en droit d’écarter cette dépense en se livrant à un examen préjudiciel du droit de l’ex-épouse à une contribution d’entretien. Auteure : Clio Herrmann, avocate à Genève |

TF 9C_198 et 205/2024 du 12 février 2025
Prévoyance professionnelle; remboursement des prestations; refus d’expertise; intérêts moratoires; art. 3 al. 2 et 3 LFLP; 4 al. 2 OLP; 18 OPP 2; 104 al. 1 et 105 al. 1 CO
L’assuré, ancien membre de direction d’une société et affilié à l’institution de prévoyance de cette dernière, a été reconnu invalide par l’Office AI, avec effet rétroactif au 1er juillet 2015. Par courrier du 28 juillet 2022, l’institution de prévoyance a reconnu le droit de l’affilié à une rente d’invalidité au titre de la prévoyance professionnelle obligatoire dès le 17 février 2016. Toutefois, la part surobligatoire des prestations lui a été refusée motif pris d’une violation de l’obligation de collaborer, en lien avec le refus de l’affilié de se soumettre à une expertise psychiatrique en décembre 2015. En parallèle, l’institution de prévoyance a exigé le remboursement de la prestation de libre passage pour que le versement puisse intervenir. Le 28 octobre 2022, l’affilié a saisi le tribunal, sollicitant le versement de l’intégralité des prestations obligatoires et surobligatoires, intérêts moratoires de 5 % en sus dès l’introduction de la demande. Par jugement du 15 février 2024, le tribunal a partiellement admis le recours, a ordonné le versement des prestations d’invalidité obligatoires et surobligatoires, sous condition du remboursement de la prestation de sortie, et a rejeté la demande d’intérêts moratoires. L’institution de prévoyance a recouru contre l’arrêt valaisan, concluant à la limitation des prestations à la seule part obligatoire et à l’annulation de l’arrêt cantonal, tandis que le recourant contestait la condition liée au remboursement de la prestation de libre passage, soutenant qu’elle n’était pas fondée et réclamant des intérêts moratoires à compter du 28 octobre 2022. Le litige porte principalement sur la légitimité du refus de prestations surobligatoires pour défaut de collaboration, sur l’exigence de remboursement de la prestation de sortie comme condition au versement des rentes et sur l’octroi des intérêts moratoires. Le TF a jugé que l’instance cantonale avait procédé à une appréciation incomplète des circonstances ayant entouré le refus de l’expertise psychiatrique, notamment quant à l’exigibilité et le caractère raisonnable de celle-ci, et que la preuve d’un motif médical impérieux n’était pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante requis en matière de droit des assurances sociales (c. 9 ss). Il a relevé que la caisse de prévoyance, dans le cadre du droit à des prestations surobligatoires, pouvait exiger une expertise médicale indépendante (art. 14 al. 2 et art. 36 al. 3 du règlement de prévoyance ; c. 6.2 et 9.1), mais que les conséquences juridiques d’un éventuel refus de coopérer devaient être clarifiées (c. 9.6). En ce qui concerne la prestation de sortie, le TF a rappelé que, selon l’art. 3 al. 2 et 3 LFLP, l’obligation de remboursement dépendait des besoins financiers de l’institution de prévoyance et de son mode de financement (primauté des cotisations, des prestations ou duoprimat), éléments que l’instance précédente n’avait pas suffisamment examinés. En effet, dans la prévoyance professionnelle obligatoire, la rente d’invalidité est calculée selon les principes fixés à l’art. 24 LPP et à l’art. 18 OPP 2, en tenant compte non seulement de l’avoir de vieillesse déjà constitué au moment de l’invalidité, mais aussi des bonifications de vieillesse futures jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite. En revanche, le calcul dans le cadre de la prévoyance professionnelle complémentaire est basé sur les dispositions réglementaires ou le plan de prévoyance applicable, l’institution de prévoyance pouvant s’écarter de la méthode de calcul prévue par la loi et définir la rente d’invalidité en fonction du dernier salaire assuré (c. 11 ss). Enfin, s’agissant des intérêts moratoires, le TF a confirmé que, en l’absence de clause réglementaire contraire, ceux-ci couraient dès la mise en demeure ou l’introduction de la demande, au taux de 5 %, par analogie à l’art. 104 CO, indépendamment du moment où les prestations sont octroyées judiciairement (c. 12 ss). Auteur : David Métille, avocat à Lausanne |

TF 9C_79/2024 du 6 février 2025
Assurance-vieillesse et survivants; versement de la rente en mains d’un tiers, avis au débiteur; contributions d’entretien du droit de la famille; art. 20 al. 1 LPGA; 132 CC
L’OFAS recourt contre un arrêt du TAF condamnant la Caisse de compensation AVS à verser la rente AVS de l’assuré à son ex-épouse à concurrence de la contribution d’entretien fixée par jugement de divorce. L’époux, qui avait auparavant bénéficié d’une rente AI, était débiteur d’une contribution d’entretien versée sur ordre du juge civil en mains de son épouse par l’assurance invalidité. L’OFAS invoque l’art. 20 LPGA, qui règle en principe de manière exhaustive le versement des rentes aux tiers (ATF 146 V 265 c. 3.1.2 ; TF 5P.474/2005 c. 2.3) et s’appuie sur le caractère insaisissable des rentes du premier pilier en application de l’art. 92 al. 1 ch. 9a LP. Selon l'art. 20 al. 1 LPGA, les prestations en espèces peuvent être versées en tout ou en partie à un tiers qualifié ou à une autorité qui a une obligation légale ou morale d’assistance à l'égard de l’ayant droit ou qui s’occupe de lui de manière durable, si les conditions posées par cette disposition sont remplies. Selon la jurisprudence du TF, les instructions du juge civil concernant le versement de rentes à l’ex-conjoint ayant droit à l’entretien (art. 132 CC) sont contraignantes pour la Caisse de compensation (ATF 146 V 265). L’art. 20 al. 1 LPGA ne trouve pas application dès lors que la contribution d’entretien en faveur de l’ex-épouse ne repose pas sur un devoir d’assistance envers l’assuré. Les Directives concernant les rentes (DR) de l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité fédérale (état au 1er janvier 2020) opèrent une distinction entre les dispositions prises dans le cadre des art. 177 et 291 CC d’une part, et de l’art. 132 CC d’autre part – qui n’est pas en accord avec la pratique de droit civil consistant à traiter de la même manière les avis aux débiteurs (ainsi d’ailleurs que celle prévue aux art. 13 al. 3 et 34 al. 2 LPart [RS 211.231]). Il n’existe aucune règle particulière du droit des assurances sociales justifiant de s’écarter des règles de droit civil (ATF 146 V 265 c. 3.2.3.) (c. 5.4). Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel |


TF 9C_612/2024 du 27 janvier 2025
Assurance-vieillesse et survivants; activité salariée après l’âge de référence; AVS 21; dispositions transitoires; art. 29bis LAVS
Se prévalant de l’art. 29bis al. 3 LAVS, entré en vigueur le 1er janvier 2024, une assurée, née le 18 juillet 1953 étant demeurée salariée au-delà de l’âge de référence demande un nouveau calcul de sa rente de vieillesse. Sa demande est rejetée par la Caisse de compensation, puis par le Tribunal des assurances sociales du canton de Bâle-Ville. Sur la base des dispositions transitoires de la modification de la LAVS du 17 décembre 2021, le TF confirme la décision cantonale. Il constate en effet que les dispositions transitoires de la modification de la LAVS du 17 décembre 2021 excluent tout nouveau calcul de la rente de vieillesse pour les assurés âgés de plus de 70 ans au moment de l'entrée en vigueur de la modification du 17 décembre 2021, soit le 1er janvier 2024. Toujours selon le TF, l’inégalité de traitement qui en résulte ne constitue pas une violation de la Constitution. Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg |

TF 9C_37/2024 du 15 janvier 2025
Assurance-maladie; clause du besoin; limitation des fournisseurs de prestations; droit cantonal d’exécution; art. 55a LAMal
Le TF a précisé que l’art. 55a LAMal constitue, même dans sa version en vigueur depuis le 1er juillet 2021, une réglementation directement applicable qui contient déjà le principe et les éléments essentiels de la clause du besoin ; elle ne doit plus être que concrétisée par des ordonnances d’exécution cantonales, sans que l’adoption d’une loi au sens formel soit nécessaire. Auteur : Guy Longchamp |


TF 9C_425/2024 du 10 janvier 2025
Assurance-invalidité; expertise assuré de langue maternelle étrangère, présence d’un interprète, appréciation des preuves Art. 44 LPGA
Le TF rappelle qu’il n’existe pas de droit inconditionnel à la réalisation d’une expertise dans la langue maternelle de la personne assurée ou avec le concours d’un interprète. La décision de recourir ou non aux services d’un expert ainsi que le choix de ce dernier appartient à l’expert (c. 4.1). C’est lors du contrôle de l’appréciation des preuves qu’il convient de vérifier que la compréhension entre l’expert et la personne assurée était suffisante pour aboutir à un rapport d’expertise conforme aux réquisits de la jurisprudence. En l’espèce, en présence d’un assuré qui, bien que vivant en Suisse depuis de nombreuses années, ne s’exprimait dans aucune langue nationale, ce qui était documenté dans les différents rapports établis par les experts. Dans ces circonstances, l’absence d’interprète suscite des doutes quant à la pertinence des conclusions de l’expertise pluridisciplinaire. Auteure : Anne-Sylvie Dupont |

TF 7B_83/2023 du 9 janvier 2025
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence; causalité naturelle, présomption; d’innocence; in dubio pro reo; tort moral; art. 10 CPP; 32 al. 1 Cst.; 14 par. 2 Pacte ONU II; 6 par. 2 CEDH
La présomption d’innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, ainsi que son corollaire, le principe in dubio pro reo, concernent tant le fardeau de la preuve que l’appréciation des preuves au sens large. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, elle signifie, au stade du jugement, que le fardeau incombe à l’accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d’appréciation des preuves, la présomption d’innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l’existence d’un fait défavorable à l’accusé si, d’un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l’existence de ce fait. Il importe peu qu’il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant pas être exigée. Il doit s’agir de doutes sérieux et irréductibles, c’est-à-dire de doutes qui s’imposent à l’esprit en fonction de la situation objective. Au regard des éléments de faits recueillis dans le cadre de l’expertise médico-légale mise en œuvre, la cour cantonale a considéré, à juste titre selon le TF, que les deux groupes de lésions – cranio-cérébral et thoraco-abdominal – subies par le défunt avaient été potentiellement létaux et que si le second avait certainement été provoqué par le véhicule de l’intimée, il était plus difficile de déterminer l’origine du premier. En tout état de cause, il ne pouvait pas être exclu que celui-ci – soit la fracture à la base du crâne – ait été la conséquence de la violente chute de la victime sur le bitume, à la suite du heurt par le véhicule précédant celui de l’intimée. Cette blessure étant, à elle seule, potentiellement mortelle, il ne pouvait pas être exclu que la victime fût déjà décédée lors du franchissement de son corps par la voiture de l’intimée, événement qui avait provoqué le deuxième groupe de lésions potentiellement mortelles. Il est ainsi impossible de déterminer lequel des deux groupes de lésions a provoqué la mort et que ce doute doit, conformément au principe in dubio pro reo, profiter à l’intimée. La cour cantonale a par ailleurs retenu que l’intimée avait circulé à une distance insuffisante du véhicule qui le précédait et que cette négligence fautive avait été propre à entraîner un accident. Elle a toutefois considéré qu’un lien de causalité entre cette négligence fautive et le décès de la victime faisait défaut, cela pour deux raisons. Premièrement, dans la mesure où la victime était déjà décédée au moment où son corps avait été franchi par la voiture de l’intimée, cet événement n’avait joué aucun rôle causal, même partiel, dans le décès. Deuxièmement, même si l’intimée avait respecté une distance appropriée, elle n’aurait de toute façon pas pu procéder à un évitement spatial et empêcher le franchissement du corps de la victime ; un lien de causalité entre la négligence fautive et l’accident n’était dès lors pas établi. La cour cantonale n’a ainsi pas violé le droit fédéral en considérant que les éléments constitutifs de l’art. 117 CP n’étaient pas réalisés s’agissant de l’intimée et en acquittant cette dernière du chef d’accusation d’homicide par négligence. Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne |



TF 6B_74 et 85/2024 du 9 janvier 2025
Responsabilité médicale; « Médecin-consultant »; devoir de diligence; principe de la confiance, responsabilité en cas de prescription; art. 41 CO
A la suite d’un accouchement à hauts risques, une patiente subit des complications. Le service de maternité questionne un médecin-consultant, spécialiste en néphrologie, en vue du traitement. La sage-femme chargée d’administrer le traitement prescrit, qui ne connaît pas ce type de médication, se trompe dans la posologie. Il en résulte des lésions cérébrales graves. La patiente décède quelques années plus tard, mais aucune autopsie n’ayant été effectuée, la cause du décès demeure inconnue.
Dans cet arrêt, le TF examine l’étendue de la responsabilité d’un « médecin-consultant ». Il retient notamment que la recommandation thérapeutique émise par le consultant doit contenir les instructions relatives à l’exécution du traitement dans la mesure où elles sont nécessaires à un traitement correct et efficace et qu’il n’est pas connu du consultant que celui qui le consulte dispose des connaissances suffisantes.
Le principe de la confiance, sur lequel s’est fondée l’instance précédente, limite l’obligation de prudence dans la mesure où le participant peut, en principe, compter sur le fait que chaque autre se comportera conformément à ses obligations. Ce principe ne peut cependant pas être appliqué d’emblée lorsque le devoir de diligence implique un devoir d’information, de surveillance et que les informations sont primordiales à la bonne exécution.
L’expertise médicale établie par l’IRM de Bâle (Institut für Rechtsmedizin der Universität Basel) démontre que le médecin prescripteur est responsable en dernier ressort de l’utilisation et du dosage corrects d’un médicament soumis à ordonnance. L’instance inférieure ne pouvait pas délibérément ignorer cette expertise.
Le TF se rallie à la doctrine, affirmant que pour déterminer la responsabilité du médecin consultant, on ne se base pas sur sa désignation en tant que telle mais sur l’activité effective de ce dernier. En l’occurrence, l’instance précédente n’ayant pas assez examiné les faits déterminants, le TF ne peut donc pas se prononcer et renvoie l’affaire à l’instance cantonale pour nouvelle décision.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 8C_119/2024 du 8 janvier 2025
Prestations complémentaires; calcul du droit aux prestations; renonciation à la fortune; art. 11 al. 1 let. g LPC
Dans cet arrêt, le TF se pose la question de savoir si une veuve peut, dans le calcul du droit aux prestations complémentaires, se voir imputer, après le décès de son mari, des biens auxquels celui‑ci avait renoncé avant son mariage avec elle (c. 3). Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, lors du calcul du droit aux prestations complémentaires du conjoint survivant, la renonciation à la fortune faite par le conjoint décédé pendant le mariage doit être prise en compte. Cela doit être fait indépendamment de la situation en matière de propriété ou de régime matrimonial, et ce dans la mesure où la fortune à laquelle le conjoint a renoncé reviendrait au conjoint survivant après l’exécution de la liquidation du régime matrimonial et de la succession (c. 4). Dans le cas d’espèce, le TF confirme le jugement cantonal zurichois qui considère qu’il n’est pas conciliable avec le but de la loi d’imputer au conjoint survivant la renonciation à la fortune du conjoint décédé avant le mariage. Ainsi, il considère comme déterminant le fait que l’épouse survivante n’ait pu exercer aucune influence sur un acte de renonciation antérieur au mariage et que celui-ci ait eu lieu à une époque où le défunt n’était pas encore soumis à l’obligation d’entretien conjugal (c. 6.4). Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne |


TF 9C_166/2022 du 8 janvier 2025
Assurance-maladie; polypragmasie, caractère économique des prestations; contrôle; méthodologie; art. 56 al. 6 LAMal
Dans le cadre d’une action en remboursement fondée sur l’art. 56 LAMal, les données doivent faire l’objet d’un examen au cas par cas par les assureurs-maladie. Une telle action présuppose que : 1) le fournisseur de prestations identifié dans le screening comme étant à l’origine de coûts importants ait pu invoquer des particularités (non évidentes) de son cabinet et qu’il ait pu les justifier ou qu’il ait pu formuler d’autres objections (par ex. concernant l’étendue de la marge de tolérance) ; 2) l’association des assureurs ait procédé aux clarifications et évaluations nécessaires de nature statistique (ou analytique) ; 3) les parties aient tenté de trouver un accord à l’amiable. Ce processus doit intervenir avant qu’il soit éventuellement constaté dans quelle mesure le cas d’espèce se distingue de l’indice de comparaison affiché dans le screening. A défaut, les bases de décision seront considérées comme incomplètes par rapport aux exigences du contrat de screening et ce en violation, du point de vue méthodologique, des directives convenues par les partenaires tarifaires fondées sur l’art. 56 al. 6 LAMal. Auteur : Guy Longchamp |


TF 5A_898/2023 du 12 décembre 2024
Responsabilité du propriétaire foncier, atteintes excessives, privation de vue, d’ensoleillement et de lumière, art. 679 et 684 CC
La propriétaire d’un bien-fonds demande aux propriétaires voisins d’éliminer une haie vive et un groupe de bouleaux, au motif que ces plantations la privent de la vue, de l’ensoleillement ainsi que de la lumière du jour et l’empêchent d’utiliser toute l’année, sans gêne excessive, son jardin, de même que sa terrasse de manière habituelle. Partiellement entendue par les instances inférieures, elle recourt au TF.
Le TF rappelle que la délimitation entre les immissions admissibles et inadmissibles, c'est-à-dire excessives, se fait en fonction de leur intensité, qui s’apprécie selon des critères objectifs. Il convient notamment d’apprécier globalement les intérêts individuels concrets. Si un bien-fonds est à l’origine de nuisances de différents types, le caractère excessif s’apprécie en fonction de l’effet global de toutes les immissions réunies, même si chacune d’entre elles, prise isolément, ne paraît pas excessive. Parmi les immissions négatives visées par l’art. 684 CC, on compte non seulement l’ombre portée et la privation de lumière, mais aussi l’obstruction d’une vue spectaculaire. Ce type d’atteinte ne peut toutefois être excessif au sens de l’art. 684 al. 1 CC que dans des conditions très strictes, par exemple lorsqu’une vue particulièrement belle est gravement limitée ou que le bien-fonds voisin est tributaire de la vue en raison d’un type d’utilisation particulier, comme cela peut être le cas pour un établissement hôtelier (c. 5.1).
L’instance d’appel avait largement débouté la recourante, au motif qu’elle n’avait pas établi à quelle hauteur les plantations situées sur le terrain voisin devaient être taillées pour que sa propriété ne soit plus affectée de manière excessive (c. 5.2). La recourante conteste cette approche, en relevant qu’elle n’était pas tenue d’indiquer concrètement quelles plantes devaient être enlevées, respectivement à quelle hauteur elles devaient être taillées (c. 5.3). Le TF lui donne raison. En effet, dans les actions fondées sur l’art. 684 CC en relation avec l’art. 679 CC, le demandeur peut formuler ses conclusions de façon générale et laisser au tribunal le soin d’en définir les modalités précises. Le TF relève à cet égard l’avis de Bovey, selon lequel la partie demanderesse doit en tout cas alléguer les causes et les effets du trouble invoqué et, si nécessaire, proposer de déterminer les mesures à prendre par une expertise (c. 5.5). Or, la recourant avait décrit le but de la protection juridique (utilisation de la place, du jardin et de la terrasse sans nuisances excessives), respectivement les causes (groupe de bouleaux ou haie verte) et les effets du trouble (privation de vue, d’ensoleillement et de lumière du jour sur la place, la terrasse et dans le jardin). Sur la base de l’expertise demandée par la recourante, il incombait dès lors au tribunal d’ordonner, le cas échéant, des mesures concrètes pour éliminer les nuisances excessives alléguées. La recourante n’était pas tenue de concrétiser davantage ses prétentions, ses conclusions étant suffisamment claires au sens de l’art. 679 CC en relation avec l’art. 684 CC (c. 5.6). En n’entrant pas en matière sur la demande concernant la haie verte et en n’entrant que partiellement en matière concernant le groupe de bouleaux, l’instance précédente a dès lors violé le droit fédéral (c. 5.7).
Auteur : Alexis Overney, avocat

TF 4A_312/2024 du 5 décembre 2024
Responsabilité du détenteur d’ouvrage; tort moral; droit préférentiel du lésé; abandon du droit préférentiel pondéré; art. 47 CO; 73 al. 1 et 74 al. 1 LPGA
Après un accident survenu le 8 octobre 2010, le Tribunal cantonal de Saint-Gall a évalué à CHF 41'000.- le tort moral subi par un ouvrier dont la main avait été considérablement mutilée lors d’un accident du travail. Ce montant se fonde sur une indemnité de base de CHF 31'500.- correspondant à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité de la LAA, augmentée de 30 % pour tenir compte à parts égales du changement de personnalité survenu après un stress extrême, du trouble de stress post-traumatique, ainsi que de l’échec de la réinsertion professionnelle, y compris l’atteinte à l’avenir économique. Cependant, le Tribunal cantonal a retenu également une faute concomitante impliquant une réduction d’au moins un quart de l’indemnité. Il est donc arrivé à la conclusion que le montant dû par l’employeur responsable (CHF 30'500.-, soit CHF 41'000.- ./. CHF 10'500.-) était finalement inférieur à l’atteinte à l’intégrité réglée par l’assureur LAA. La question soumise au TF consiste à déterminer si le principe du droit préférentiel de répartition de l’art. 73 al. 1 LPGA s’applique sans autre restriction à l’indemnité pour tort moral. En effet, dans un arrêt publié aux ATF 123 III 306, antérieur à l’entrée en vigueur de la LPGA, le TF avait retenu en matière de tort moral une solution intermédiaire proposée par Stark. Depuis cette jurisprudence, le TF a considéré dans un arrêt du 24 avril 2018 (TF 4A_631/2017) que le droit préférentiel de répartition s’appliquait sans restriction lorsqu’il s’agissait de réduire le montant de l’indemnité pour tort moral en raison d’une prédisposition constitutionnelle. La question de l’application de ce principe en matière de faute concomitante était demeurée ouverte. Selon le TF, le législateur, en promulguant la LPGA, était conscient que les prétentions en réparation du tort moral étaient également concernées par la subrogation des art. 72 ss LPGA. Le fait qu’il n’ait pas prévu de dispositions particulières concernant le tort moral à l’art. 73 LPGA plaide en faveur du fait que ces prétentions doivent être pleinement couvertes par le droit préférentiel. Le TF estime ainsi qu’il n’y a guère de motifs à retenir un traitement différent entre l’indemnisation du dommage au sens strict et la réparation du tort moral selon que l’indemnité doit être réduite pour faute concomitante ou en raison d’un état pathologique préexistant. Il relève par ailleurs qu’un traitement différentié des motifs de réduction, s’il devait être justifié pour le tort moral, devrait alors l’être aussi pour la réparation du dommage au sens strict. Il arrive donc à la conclusion qu’il convient d’abandonner la jurisprudence inaugurée aux ATF 123 III 306, et d’admettre une pleine et entière application du droit préférentiel de répartition au sens de l’art. 73 al. 1 LPGA également en matière de tort moral (c. 2.6 à 2.8). On relèvera que le TF envisage également la distinction entre les cas où le tort moral subi semble d’emblée moins important en raison de la cause de la réduction (prédisposition constitutionnelle ou faute concomitante) et les cas où l’indemnisation du tort moral est réduite non pas parce que la souffrance est moindre, mais parce qu’il n’est pas approprié, compte tenu de la cause de la réduction, de faire supporter au responsable l’intégralité de l’indemnité. Le droit préférentiel ne s’applique alors que dans cette seconde hypothèse (c. 2.7.4). Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne Note : pour une discussion de cette question en doctrine, favorable à la solution retenue par le TF dans cet arrêt, cf. Dupont Anne-Sylvie, Principes généraux pour l’évaluation du dommage direct, in : Dupont/Müller, L’évaluation du préjudice corporel, Neuchâtel/Bâle 2021, p. 35 ss, N 50 ss. |




TF 9C_334/2024 du 2 décembre 2024
Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuf; conjoint divorcé; directives contraires au droit; art. 24 al. 2 et 24a LAVS
Dans les suites de l’arrêt Beeler c. Suisse, l’art. 24 al. 2 LAVS n’est pas non plus applicable à l’homme dont l’ex-épouse est décédée et qui, assimilé à un veuf en application de l’art. 24a al. 1 let. a LAVS, a touché une rente de veuf après le décès de cette dernière. Le fait que sa fille, âgée de 17 ans au moment du décès de sa mère, ait alors séjourné en internat et n’ait, dans les faits, pas eu d’impact sur l’organisation de la vie de l’assuré, n’y change rien. Dans la mesure où le Bulletin n° 460 à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC (du 21 octobre 2022) indique le contraire, il n’est pas conforme au droit. Dès lors qu’un homme divorcé est assimilé à un veuf conformément à l’art. 24a LAVS, il doit l’être non seulement pour les conditions d’octroi de la rente et le montant de cette dernière, mais aussi pour les conditions mettant un terme au droit à la rente. Si l’art. 24 al. 2 LAVS ne peut plus s’appliquer aux veufs non divorcés, il ne peut plus non plus s’appliquer aux hommes divorcés assimilés à un veuf.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_225/2024 du 2 décembre 2024
Assurance-invalidité; procédure, compétence rationae loci; transfert du domicile à l’étranger; art. 55 et 69 LAI; 40 RAI
Un assuré transfère son domicile à l’étranger entre le moment où l’Office AI du Valais rend sa décision et le moment où il forme recours contre cette décision. Tant le Tribunal cantonal valaisan que le Tribunal administratif fédéral (TAF) se sont déclarés incompétents pour connaître du recours de l’assuré, engendrant un conflit de compétence négatif. L’office AI compétent est en général celui du canton dans lequel l’assuré est domicilié au moment où il exerce son droit aux prestations. L’office AI pour les assurés résident à l’étranger (OAIE) est compétent lorsque l’assuré est domicilié à l’étranger (c. 3.1). Le tribunal des assurances du canton de l’office AI qui a rendu la décision est compétent pour connaître des recours contre les décisions desdits offices, alors que le TAF est compétent pour connaitre des décisions de l’OAIE (c. 3.2). Dans le cadre de litiges portant sur la situation d’assurés ayant changé de canton de domicile, la jurisprudence a établi que la compétence de l’autorité de recours découlait d’un critère formel, relatif à l’auteur de la décision administrative, et non d’un critère territorial, relatif au domicile de l’assuré. Le TF retient qu’il n’y a pas lieu qu’il en aille différemment lorsque l’assuré quitte la Suisse (c. 4.3.2). Comme la décision émane de l’Office AI du Valais, il en découle que le Tribunal cantonal du Valais est compétent. Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève |


TF 6B_409/2024 du 2 décembre 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence; violation du principe d’accusation Art. 9, 325, 344 et 350 al. 1 CPP ; 12 et 117CP ; 27 LCR ; 36 al. 2 OCR
Condamné pour homicide par négligence, le recourant invoque en premier lieu une violation du principe d’accusation (art. 9 CPP). Une infraction ne peut faire l’objet d’un jugement que si le ministère public a déposé un acte d’accusation dirigé contre une personne sur la base de faits précisément décrits. Le tribunal est lié par l’état de fait décrit dans l’acte d’accusation (principe de l’immutabilité de l’acte d’accusation) mais peut s’écarter de l’appréciation juridique qu’en fait le ministère public (art. 350 al. 1 CPP) à condition d’en informer les parties et de les inviter à se prononcer (art. 344 CPP). Le principe de l’accusation est également déduit des art. 29 al. 2 Cst. (droit d’être entendu), 32 al. 2 Cst. (droit d’être informé) et 6 par. 3 let. a CEDH (droit d’être informé de la nature et de la cause de l’accusation). Selon l’art. 325 CPP, l’acte d’accusation désigne brièvement, mais avec précision, les actes reprochés au prévenu, les infractions réalisées et les dispositions légales applicables. En l’espèce, l’acte d’accusation du 3 avril 2023 décrit les faits comme repris par la cour cantonale puis par le TF. Le recourant ne pouvait avoir de doutes sur le comportement reproché. Il a ainsi pu préparer sa défense en conséquence. Le grief doit être rejeté. Invoquant une appréciation arbitraire des preuves et la violation du principe in dubio pro reo, le recourant conteste sa condamnation pour homicide par négligence (art. 117 CP). Selon cet article celui qui, par négligence, aura causé la mort d’une personne sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Selon l’art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l’auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. Il faut que l’auteur ait violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient et qu’il n’ait pas déployé l’attention et les efforts nécessaires pour se conformer à son devoir. S’agissant d’un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière. De plus il doit exister un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Le rapport de causalité est qualifié d’adéquat lorsque, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s’est produit. La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l’auteur n’est pas la cause directe ou unique du résultat. La causalité adéquate peut être exclue si une autre cause concomitante (force naturelle, comportement de la victime ou d’un tiers), constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur. La question de la causalité adéquate constitue une question de droit que le TF revoit librement. En l’espèce, le recourant n’expose pas à satisfaction de droit (art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF) en quoi la cour cantonale aurait arbitrairement apprécié les faits et omis de prendre en compte certains éléments comme les distances de visibilité et de freinage. En tant que le recourant soulève les erreurs de calcul de l’expert judiciaire, rectifiées par la suite, sans préciser quelles conséquences négatives découlent de celles-ci et quels impacts elles ont eu sur la procédure, cette critique est irrecevable. Le grief est irrecevable. Selon l’art. 27 al. 1, 1re phrase, LCR, chacun se conformera aux signaux et aux marques. L’art. 36 al. 2, 1re et 2e phrases, LCR prévoit qu’aux intersections, le véhicule qui vient de droite a la priorité. Cependant, les véhicules circulant sur une route signalée comme principale ont la priorité, même s’ils viennent de gauche. Le débiteur de la priorité ne peut remplir ses obligations envers le prioritaire qu’à condition d’avoir une vue suffisante sur la route prioritaire. Les obligations découlant d’une mauvaise visibilité sont à sa charge. En cas d’absence de visibilité, il doit s’avancer « en tâtonnant ». La cour cantonale a estimé que, l’accident ne serait pas survenu si le recourant s’était montré prudent et avait avancé à tâtons. Le TF considère que le recourant a enfreint son devoir de priorité aux intersections et n’a pas respecté la signalisation idoine (cf. art. 36 al. 2, 27 al. 1 LCR et 36 al. 2 OSR), ce qui fonde une négligence. S’il avait adopté la règle du « tâtonnement », il aurait pu éviter le choc et le décès de la victime. Le comportement de la victime (vitesse inadéquate et consommation de cannabis) n’interrompt par ailleurs pas le lien de causalité adéquate entre la négligence reprochée et le décès. Le recours est rejeté. Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève |

TF 8C_83/2024 du 27 novembre 2024
Assurance-accidents; lésions corporelles assimilées à un accident; intervention médicale; déchirure de la paroi postérieure de l’utérus; art. 6 al. 2 let. d LAA
Après avoir donné naissance à un enfant le 21 août 2019, à la suite d’un accouchement par césarienne effectué au sein de l’hôpital X., l’assurée a dû, en date du 1er septembre 2029, réintégrer en urgence ledit hôpital qu’elle avait pu quitter le 26 septembre 2019, en raison de violentes douleurs au bas ventre et de fièvre. Après avoir dû subir différentes interventions chirurgicales jusqu’au 9 octobre 2019, un examen pathologique de l’utérus prélevé a révélé, entre autres, une déchirure de 2,5 cm dans la paroi postérieure de l’utérus. Dans cette décision, les juges fédéraux ont confirmé la position défendue par l’assureur-accidents et l’autorité inférieure selon laquelle, dans les circonstances décrites par plusieurs expertises et nonobstant les critiques émises sur les choix de certains médecins ayant prodigué des traitements à l’assuré mais sans que l’on puisse retenir une erreur médicale, la déchirure dans la paroi postérieure de l’utérus n’est pas un accident au sens de l’art. 4 LAA. Le TF a également considéré qu’une telle déchirure n’est pas une lésion corporelle assimilée à un accident selon l’art. 6 al. 2 let. d LAA. En effet, après une interprétation notamment historique de cette disposition, le Tribunal fédéral a retenu que seules les déchirures apparaissant fréquemment lors de la pratique du sport ou dans le cadre du travail rentraient dans le champ d’application de l’art. 6 al. 2 LAA. La demande en paiement d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité (de CHF 59'280.- plus intérêts moratoires) a donc été définitivement rejetée. Auteur : Guy Longchamp |


TF 8C_120/2024 du 26 novembre 2024
Assurance-invalidité; mesures d’ordre professionnel; orientation professionnelle; séjour en institution; coût du séjour; art. 15 LAI
Un assuré souffrant d’un syndrome psycho-organique bénéficiait de la prise en charge de différentes prestations en matière d’intégration professionnelle de l’assurance-invalidité, dont notamment le séjour au sein d’une intuition en vue de la préparation d’une formation professionnelle. Le litige porte sur la prise en charge par l’assurance-invalidité d’un montant de CHF 120'043.25 relatif à des frais au sein d’un établissement spécialisé. L’office AI a recouru contre la décision cantonale mettant intégralement à sa charge les frais précités. Le TF rappelle tout d’abord que, selon la jurisprudence, est déterminant le moment à partir duquel l’invalidité, compte tenu de sa nature et de sa gravité, nécessite la mesure de réadaptation et la rend possible. Ainsi, pour une même atteinte à la santé, il est possible que plusieurs prestations puissent intervenir à des moments différents (c. 5.2.2). Dans le cas d’espèce, la cour cantonale avait constaté que l’assuré avait bénéficié, durant une première phase, de mesures sociothérapeutiques au sein de l’institution en raison de comportements auto- et hétéroagressifs (c. 6.1). Or, le TF souligne que l’orientation professionnelle au sens de l’art. 15 LAI doit guider l’assuré vers l’activité dans laquelle il aura le plus de chances de succès, compte tenu de ses dispositions et de ses aptitudes. Parmi les mesures qui peuvent entrer en ligne de compte figurent notamment les entretiens d’orientation, les tests d’aptitudes ou encore les stages d’observation en milieu ou hors milieu professionnel. En l’espèce, le TF relève que l’assuré n’a bénéficié d’aucune de ces mesures durant cette première phase. Si le séjour a été une étape importante dans la perspective d’une formation professionnelle, l’assuré a surtout bénéficié d’une prise en charge en vue de la stabilisation de son état psychologique ainsi que d’un rattrapage de compétences scolaires de base (c. 8.2). En d’autres termes, le séjour au sein de cette institution n’avait pas le caractère d’une mesure d’évaluation professionnelle au sens de l’art. 15 LAI. En revanche, l’office AI avait pris en charge la deuxième phase du séjour durant laquelle l’assuré avait bénéficié d’une première intégration professionnelle notamment. En ce qui concerne le tarif du séjour, le TF a indiqué que contrairement à ce qu’avait retenu la cour cantonale, le coût du séjour ne devait pas être déterminé sur la base de la Convention intercantonale relative aux institutions sociales du 13 décembre 2022 dès lors que son art. 3 al. 4 excluait du champ d’application de l’accord les prestations accomplies en vue de l’insertion professionnelle au sens des dispositions de la LAI (c. 8.3.2). Selon le TF, les prestataires de services concluent avec l’assurance-invalidité des accords propres ou fixent un prix au cas par cas selon leur propre modèle tarifaire, en fonction des prestations souhaitées. Il convenait ainsi de se référer dans le cas d’espèce à la Circulaire sur les mesures de réadaptation d’ordre professionnel dans sa version au 1er janvier 2016 (c. 8.3.3). Le TF a ainsi admis le recours et confirmé la décision de l’assurance-invalidité arrêtant la prise en charge du séjour à CHF 17'475.-. Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains |


TF 8C_110/2024 du 25 novembre 2024
Prestations transitoires pour les chômeurs âgés; renonciation à des parts de fortune provenant d’un retrait LPP; application dans le temps (rétroactivité improprement dite); art. 5 al. 2 let. c et 13 al. 2 LPtra; 8 al. 1 Cst.
Un chômeur âgé en fin de droit a retiré CHF 350'000.- de sa prévoyance professionnelle en 2014. Il s’est dessaisi d’une partie de ce montant sans obtenir de contrepartie. Il a en particulier soutenu des proches à l’étranger sans avoir d’obligation d’entretien. Il conteste que l’on prenne en compte ce montant comme renonciation à une part de fortune.
Le recourant se plaint d’abord d’une inégalité de traitement entre une personne ayant retiré son avoir LPP et celle qui ne l’a pas fait. En effet, dans le premier cas, on tient compte du montant retiré dès le premier centime ; en revanche, dans le second cas, on aurait retenu un seuil de CHF 509'860.- conformément à l’art. 5 al. 2 let. c LPtra. Le TF estime que cette façon de procéder est correcte eu égard à l’art. 8 al. 1 Cst. En effet, dès que l’assuré a retiré son avoir de prévoyance, ce montant n’est plus affecté à la prévoyance. Les deux situations sont différentes, de sorte qu’un traitement différent est admissible. Il est ainsi correct de tenir compte d’un montant inférieur au seuil susmentionné.
Ensuite, le recourant se plaint d’une application rétroactive d’une disposition légale, en ce sens que le retrait LPP a eu lieu avant l’entrée en vigueur de la LPtra. Le TF rappelle la distinction entre la rétroactivité proprement dite, qui n’est admise qu’à des conditions restrictives et exceptionnelles et la rétroactivité improprement dite, dont les effets se font sentir ex nunc et pro futuro. En l’espèce, on se trouve indubitablement dans un cas de rétroactivité improprement dite : on se base certes sur un fait ancien (renonciation à la fortune), mais avec des effets dans le futur (prestation). Ainsi, l’art. 13 al. 2 LPtra peut s’appliquer selon son texte clair.
Enfin, le système de la LPtra se calque largement sur celui des PC. Ainsi, la jurisprudence rendue en matière de PC constitue une solide base d’interprétation. Au demeurant, il serait contraire au principe de l’égalité d’admettre qu’une renonciation à des parts de fortune ayant eu lieu juste avant l’entrée en vigueur de la loi ne soit pas prise en compte, alors que cela serait le cas si elle avait eu lieu juste après celle-ci.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 8C_36/2024 du 25 novembre 2024
Assurance-invalidité; indemnités journalières; calcul du montant; discrimination indirecte; coordination intersystémique; surindemnisation; art. 23 LAI; 21septies al. 5 RAI; 68 LPGA; 4 R 883/2004; 10 R 987/2009
L’affaire concerne le droit d’un assuré, ressortissant italien résidant en Suisse, à des indemnités journalières AI. En août 2015, il a été victime d’un accident de la voie publique entraînant d’importantes lésions. A la suite de cet accident, il a été mis au bénéfice dès novembre 2015 d’une pension d’invalidité italienne. En mars 2019, il est arrivé en Suisse pour vivre avec sa compagne, obtenant un permis de séjour UE B sans activité lucrative. L’office AI a reconnu son droit à des mesures professionnelles mais a refusé le versement d’indemnités journalières AI, au motif qu’il était domicilié en Italie au début de l’atteinte à la santé et qu’il percevait un revenu étranger non soumis à l’AVS suisse. Le TF a d’abord examiné les conditions de l’art. 22bis al. 5 LAI et l’assimilation des prestations selon l’art. 5 let. a R 883/2004 (c. 8.1). Il a conclu qu’en l’absence d’une reconnaissance concrète de la concordance des législations respectives par les Etats membres concernés, la pension d’invalidité italienne n’est pas contraignante pour les autorités suisses. Dans ce contexte, l’interdiction de cumul entre la rente et les indemnités journalières accordées en vertu de la LAI (art. 22bis al. 5 et art. 29 al. 2 LAI) ne s’applique pas, car la rente italienne n’est pas considérée comme équivalente à une rente d’invalidité suisse (c. 8.1.5). Concernant la discrimination indirecte, le TF a rappelé qu’il convient de comparer les ressortissants et non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes désavantagées ou non favorisées (en l’occurrence, les personnes non actives en Suisse et donc non soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS, comme l’assuré), d’une part, et les ressortissants et non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes non désavantagées ou favorisées (c’est-à-dire les personnes actives en Suisse et soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS), d’autre part (c. 8.2.3.1.2 et 8.2.3.2.1). Notre Haute Cour a conclu que l’art. 23 al. 3 LAI crée une inégalité de traitement entre les assurés en Suisse et ceux exerçant une activité lucrative à l’étranger (c. 8.2.3.2.1). Cette discrimination n’est pas objectivement justifiée et ne répond pas à un objectif légitime (c. 8.2.3.2.2 et 8.3). L’art. 23 LAI doit donc être interprété conformément au droit international contraignant pour la Suisse, dans le sens que, pour le calcul de l’indemnité de base d’une personne ayant obtenu un revenu à l’étranger et qui bénéficie de mesures de réadaptation selon l’art. 8 LAI, le revenu moyen doit être pris en compte même si aucune cotisation n’a été perçue selon la LAVS (c. 8.3). Dans le cadre du calcul du montant de l’indemnité journalière AI, les règles de coordination intrasystémique qui interdisent le cumul d’une rente de l’AI et d’indemnités journalières de la même assurance ne sont pas applicables (c. 8.1.5 et 8.3). En revanche, la rente italienne doit être considérée comme équivalente à une prestation d’un autre assureur social suisse dans le cadre d’un calcul de surindemnisation tel que prévu par les règles de coordination intersystémique (art. 68 LPGA ; art. 21septies al. 5 RAI). Dans ce calcul, le montant effectif de la rente et des indemnités journalières est pris en compte (c. 8.3). Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne |


TF 2E_3/2022 du 18 novembre 2024
Responsabilité de l’Etat; COVID-19; responsabilité du Conseil fédéral; autorité compétente; devoir d’allégation; fardeau de la preuve; illicéité violation du droit supérieur; art. 3 LRCF
Dans cet arrêt, le TF a eu à examiner l’action en responsabilité intentée par plus de dix mille personnes demandant à constater que les mesures prises par le Conseil fédéral durant la pandémie du COVID-19 étaient illicites. Ils ont conclu au versement d’une indemnité symbolique d’un franc chacun. Pour faire valoir leur action, ils se sont fondés sur la loi sur la responsabilité (LRCF). Dans un premier considérant, le TF a rappelé être seul compétent pour statuer sur des demandes de dommages et intérêts découlant des activités du Conseil fédéral (art. 120 al. 1 let. c LTF). Il a ensuite rappelé que, bien que l’action soit intentée par plus de dix mille personnes, la Suisse ne connaissait pas d’action collective, ni d’action qui permettrait aux citoyens de procéder à un contrôle abstrait des mesures prises par le Conseil fédéral. Dans ces circonstances, le TF a relevé que les demandeurs se devaient d’alléguer et démontrer que toutes les conditions de la responsabilité civile étaient données, ceci pour chacun d’entre eux. Notre Haute Cour a ensuite examiné les conditions de la responsabilité pour les dommages occasionnés par le Conseil fédéral, à savoir un acte illicite, un dommage et un lien de causalité. S’agissant de l’illicéité, le TF rappelle que le Conseil fédéral ne peut pas être tenu pour responsable des actes législatifs émanant du Parlement. Il peut toutefois l’être pour les ordonnances qu’il édicte si celles-ci s’avèrent illégales ou inconstitutionnelles. La seule violation du droit supérieur par une telle ordonnance n’est toutefois pas suffisante pour conclure à une illicéité au sens du droit de la responsabilité de l’Etat. Encore faut-il que l’ordonnance illicite soit adoptée en présence d’une faute inexcusable qu’un membre de l’autorité ou un fonctionnaire consciencieux n’aurait pas commise. Ensuite, le TF rappelle également que la notion d’illicéité suppose une atteinte à un droit absolu ou à un droit purement patrimonial pour autant qu’il existe une norme de protection (« Schutznorm »). Le TF continue en relevant qu’il ne fait aucun doute que les mesures prises pour faire face à l’épidémie du COVID-19 ont conduit à de sévères restrictions des droits fondamentaux. Cela étant, il a considéré que les demandeurs n’avaient formulé que des allégations générales, se contentant de se rapporter à des dispositions de la Constitution fédérale ou de la CEDH, sans indiquer quelles dispositions des ordonnances du Conseil fédéral violaient les principes constitutionnels. En outre, le TF considère que même s’il y avait une violation d’un droit légal ou constitutionnel, les demandeurs n’ont pas expliqué pour quelles raisons le Conseil fédéral aurait commis une faute particulièrement grave, ni dans quelle mesure un droit absolu aurait été violé, respectivement dans le cas d’un droit purement patrimonial, si une norme de protection existait. Au surplus, même si la vaccination avait entraîné de graves dommages à la santé de nombreuses personnes, les demandeurs n’ont pas non plus expliqué qu’eux-mêmes auraient effectivement été vaccinés, respectivement qu’une atteinte à la santé leur aurait été concrètement causée. En définitive, le TF a écarté la notion d’illicéité dans le cas d’espèce, considérant plus précisément qu’aucun des plus des dix mille demandeurs n’avait démontré que cette condition était concrètement donnée à leur égard. Au surplus, le TF a considéré, au regard de ses jurisprudences au sujet de l’épidémie COVID-19, que les mesures prises par le Conseil fédéral reposaient sur la loi sur les épidémies et que celles-ci étaient proportionnées, tout en rappelant que les autorités compétentes disposent d’une marge d’appréciation relativement importante qui évolue dans le temps en fonction des connaissances à disposition. Le TF a rejeté l’action sans examiner si les autres conditions de la responsabilité étaient données dans le cas d’espèce. On relèvera toutefois que la Confédération, représentée par le Département fédéral des finances, avait également notamment conclu au rejet de la demande au motif que le dommage n’était pas non plus démontré. En effet, il considérait que la prétendue atteinte subie par les plus de dix mille demandeurs n’atteignait pas un seuil d’intensité suffisant pour justifier un quelconque dédommagement. Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne |


TF 9C_325/2024 du 24 octobre 2024
Prévoyance professionnelle; intérêts moratoires; frais d’expertise; défaut d’instruction; art. 104 et 105 CO
Le TF a rappelé que les intérêts moratoires débutaient dès le dépôt d’une réquisition de poursuites ou d’une action devant le tribunal compétent selon l’art. 73 LPP, conformément à la règle fixée à l’art. 105 CO. De plus, le TF a précisé que si le règlement de prévoyance déroge à l’art. 104 CO (ndlr : ce qui est évidemment admissible et même vivement recommandé), les taux à prendre en considération doivent correspondre au minimum aux taux fixés à l’art. 12 OPP2 applicables à la période concernée. Ainsi, une rente d’invalidité avec effet rétroactif dès le 1er octobre 2014 accordée à la suite du dépôt d’une action le 26 octobre 2021 donne droit à des intérêts moratoires de 1% pour la période du 1er octobre 2014 au 26 octobre 2021, de 1% également pour la période du 27 octobre 2021 au 31 décembre 2023 puis de 1.25% dès le 1er janvier 2024. Enfin, conformément aux principes découlant de l’obligation de collaborer des parties, les juges fédéraux ont précisé que les coûts d’une expertise ordonnée par le tribunal en raison d’un manquement de l’institution de prévoyance dans l’établissement des faits peuvent à l’instar de ce qui prévaut en assurance-invalidité et en assurance-accidents – être mis à la charge de cette institution. Auteur : Guy Longchamp |


TF 8C_104/2024 du 22 octobre 2024
Assurance-invalidité; obésité, droit à la rente; changement de jurisprudence; art. 4 et 28 al. 1 let. a LAI; 7 et 8 LPGA
Une assurée présentant une obésité de classe III et un indice de masse corporelle de 58 s’est vu refuser l’octroi d’une rente d’invalidité par l’office AI. Son recours est partiellement admis. Le TF rappelle la jurisprudence antérieure, basée sur la pratique développée en matière d’addictions, selon laquelle un surpoids important n’entraîne en principe aucune invalidité au sens de l’AI (une pratique modifiée par ATF 145 V 215, selon lequel les syndromes de dépendance primaire devaient faire l’objet – comme les autres maladies psychiques – d’une procédure probatoire structurée).
Le TF décide d’adapter sa jurisprudence s’agissant du droit aux prestations AI en cas d’obésité. En effet, l’obésité consiste en une maladie somatique chronique et complexe. Le fait que l’obésité soit accessible à un traitement ne s’oppose donc plus d’emblée au versement d’une rente AI, et il appartiendra à l’office AI compétent d’examiner au cas par cas si et dans quelle mesure la maladie restreint la capacité de gain. Une thérapie diététique, médicamenteuse ou comportementale, ou un programme d’activité physique constituent cependant des mesures raisonnablement exigibles pour tenter si possible de remédier à l’atteinte, sous l’angle de l’obligation de la personne assurée de diminuer son dommage.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 8C_795/2023 du 10 octobre 2024
Prestations complémentaires, loyer maximal, personne seule, colocation, établissement, art. 9 al. 5 let. h, 10 al. 1 let. b ch. 1 et 10 al. 1ter LPC; 25a al. 1 OPC
Le recourant, bénéficiaire de longue date de prestations complémentaires (ci-après : « PC »), s’est vu refuser le droit à une allocation pour impotent, selon la décision de l’office AI du 12 février 2019, au motif qu’il n’avait pas besoin d’aide pour accomplir les actes ordinaires de la vie. En revanche, un besoin d’assistance régulier existait dans le domaine de l’accompagnement pour les actes ordinaires de la vie. Néanmoins, en raison de la forme du logement du recourant qui résidait dans une chambre partiellement meublée d’un appartement du groupe C. dans la maison D., les conditions requises pour l’octroi d’une contribution d’assistance n’étaient pas remplies. Le 11 novembre 2022, le recourant a déposé une nouvelle demande de prestations complémentaires. Par décision du 21 février 2023, la caisse de compensation a indiqué que le tarif journalier de la maison D. qui s’élevait à CHF 65.-, conduisait à un loyer annuel de CHF 23'725.-. Cependant, la déduction maximale de loyer pour une personne seule dans une colocation de la région, était de CHF 9'720.- en 2022 et de CHF 10'410.- par an, à compter de 2023.
Le litige porte sur le calcul des PC du recourant, qui réside dans une chambre individuelle à la maison D., partageant les espaces communs avec d'autres locataires. La caisse de compensation et la cour cantonale ont appliqué les plafonds de loyer pour une personne en colocation, conformément à l’art. 10 al 1ter LPC, au lieu des plafonds pour une personne vivant seule. Le recourant a contesté cette approche, soutenant que la maison D. devrait être qualifiée d’établissement, justifiant des frais de logement plus élevés, ou qu’il devait être traité comme une personne vivant seule au sens de l’art. 10 al. 1 let. b ch. 1 LPC (c. 2).
Le TF a rejeté les motifs invoqués par le recourant, jugeant que la maison D. n’était pas reconnue comme un établissement médico-social ou autorisée par le canton, ce qui excluait l’application des règles spécifiques de l’art. 25a al. 2 OPC, même si la décision de l’office AI du 12 février 2019, considérait le recourant comme résident en institution. Il a également rappelé que la qualification d’établissement par l’assurance-invalidité était limitée aux cas d’impotence pour les actes ordinaires de la vie, ce qui ne s’appliquait pas dans le cas d’espèce, le recourant bénéficiant uniquement d’un accompagnement dans les actes usuels, selon l’art. 42 al. 3, LAI. Cette distinction, respectant les principes légaux, n’implique ni discrimination ni violation de l’égalité de traitement (c. 4).
En outre, le recourant a invoqué l’allocation pour impotent et la contribution d’assistance pour justifier une prise en compte plus favorable de ses frais de logement dans le cadre du calcul des PC. L’allocation pour impotent, refusée par l’assurance-invalidité en 2019, ne peut être prise en compte. En effet, en invoquant une application par analogie de l’art. 25a al. 2 OPC, le recourant a finalement requis que soit pris en compte un tarif journalier de CHF 86.50 pour compenser la perte de son droit à une allocation pour impotent, en vertu de la décision de l’AI du 12 février 2019, devenue définitive. De plus, bien que le recourant bénéficie d’une contribution d’assistance prévue par l’art. 42 al. 3, LAI, visant à favoriser des solutions de logement alternatives, cette assistance est considérée comme relevant des frais médicaux ou liés au handicap au sens de l’art. 14 al. 1 let. b LPC, et ne justifie pas une augmentation du plafond des frais de logement dans le calcul des PC. En conséquence, la maison D., où réside le recourant, est qualifiée de colocation au sens de l’art. 10 al. 1ter LPC, et les plafonds applicables aux frais de logement pour une personne seule vivant en colocation ont été correctement appliqués (c. 5).
Le TF rejette le recours de l’assuré.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 4A_252/2024 du 9 octobre 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; prescription; suspension pour défaut d’agir; circonstances purement subjectives; art. 83 al. 1 aLCR; 97 al. 1 let. c, 122, 123, 125 aCP; 134 al1 ch. 6 CO
La victime d’un accident de la circulation survenu en 2008 réclame en 2020 à l’assureur responsabilité civile du conducteur fautif une prise en charge de ses séquelles consécutives à son accident. La compagnie d’assurance lui rétorque que dans la mesure où l'accident remontait à l’année 2008, la prescription est acquise. Le TF rappelle que selon l'art. 83 al. 1 aLCR, dans sa version antérieure au nouveau droit de la prescription (en vigueur depuis le 1er janvier 2020), les actions en dommages-intérêts et en réparation du tort moral relatives à des accidents impliquant des véhicules automobiles se prescrivent par deux ans à compter du jour où le lésé a eu connaissance du dommage et de la personne tenue à réparation, mais en tout cas par dix ans à compter du jour de l’accident. Si les dommages-intérêts dérivent d’un acte punissable soumis par les lois pénales à une prescription de plus longue durée, cette prescription s’applique à l’action civile. Le TF reprend le raisonnement de la cour cantonale qui a considéré que, dans le cas d’espèce, le délai de prescription absolue de dix ans était échu le 7 septembre 2018. Elle a par ailleurs exclu tout acte interruptif de prescription. Pour le surplus, le Code pénal ne prévoyait pas de prescription de plus longue durée. Au vu de la nature des blessures subies par le lésé, à savoir des lésions corporelles simples, seule une application des art. 123 ou 125 aCP aurait été envisageable. Or, ces deux infractions étaient réprimées par des peines maximales de trois ans. Partant, le délai de prescription de l’action pénale – correspondant à dix ans, en vertu de l’art. 97 al. 1 let. c aCP – n’était pas plus long que celui de l’action civile. Une application de l’art. 122 aCP n’aurait pas pu entrer en ligne de compte en l’occurrence, à défaut de lésion corporelle grave mettant la vie en danger. Selon les dires de la victime, la prescription a été suspendue au motif qu’elle a été empêchée d’agir en raison de « problèmes de santé physiques et psychiques importants » ainsi qu’en raison de circonstances personnelles (référence étant faite à une « procédure en divorce douloureuse » qui s’est achevée en 2018, à des « problèmes » rencontrés par son fils, lequel se serait trouvé « bloqué » en Russie, et à la rédaction d’un ouvrage important décrit dans le recours comme « son œuvre »). L’art. 134 al. 1 ch. 6 CO prévoirait, dans un tel cas, la suspension de la prescription pendant la durée de l’empêchement. Cet argument n’est pas retenu par le TF qui rappelle que la disposition précitée déclenche la suspension de la prescription tant qu’il est impossible de faire valoir la créance devant un tribunal suisse. Et de rajouter qu’une telle impossibilité doit résulter de circonstances objectives, indépendantes de la situation personnelle du créancier, en particulier de l’inexistence d’un for dans le pays. Tel n’est manifestement pas le cas des circonstances avancées par le lésé, lesquelles sont purement subjectives. Partant, la prescription absolue était bien acquise. Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève |


TF 9C_340/2024 du 4 octobre 2024
Assurance-maladie, critères EAE, soins non coordonnés, obligation de faire appel à un gatekeeper, art. 32 LAMal
Le TF a considéré que, dans le but de garantir le respect du caractère efficace, approprié et économique (critères EAE) d’une prestation selon l’art. 32 LAMal, un assureur-maladie peut, comme cela était suggéré par l’expert mandaté par l’assureur (art. 43 LPGA), valablement exiger d’un assuré atteint de multiples troubles psychiatriques de faire appel à un « gatekeeper » avant de consulter un fournisseur de prestations. Cette condition est juridiquement envisageable, même lorsqu’un assuré n’a pas fait usage de la possibilité prévue à l’art. 41 al. 4 LAMal de limiter volontairement le choix ou l’accès à des fournisseurs de prestations.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_290/2024 du 3 octobre 2024
Congé maternité; droit à l’allocation de maternité, extinction anticipée, art. 16d al. 3 LAPG, 25 OAPG
Le droit à l’allocation de maternité s’éteint de manière anticipée si la mère reprend une activité lucrative (art. 16d al. 3, 1re partie de la phrase, LAPG) ; l’extinction intervient le jour de la reprise de l’activité lucrative, quel que soit le taux d’occupation (art. 25 OAPG). A l’ATF 139 V 250 (c. 4.6), le TF a défini ce qui n’est pas considéré comme une activité lucrative (partielle) au sens de ces dispositions, à savoir une activité accessoire marginale procurant un revenu annuel qui ne dépasse pas le salaire de minime importance selon l’art. 34d al. 1 RAVS (actuellement : CHF 2'300.-). Il n’a pas fixé de « franchise » générale qui permettrait à chaque mère d’exercer une activité lucrative quelle qu’elle soit pendant la période de perception de l’allocation de maternité, sans perdre le droit à cette prestation, pour autant que le revenu ainsi obtenu n’excède pas le montant limite de CHF 2'300.- (c. 4.3 ; précision de la jurisprudence).
Auteure : Stéphanie Perrenoud, professeure titulaire à l’Université de Neuchâtel


TF 8C_415/2023 du 3 octobre 2024
Assurance-accidents, indemnité pour atteinte à l’intégrité, pluralité d’atteintes, art. 24 LAA; 36 al. 3 OLAA
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité selon l’art. 24 LAA s’apprécie selon une évaluation médico-théorique objective, qui est identique pour toute personne qui subit une atteinte de même nature. N’est pas déterminant dans la fixation de l’indemnité le fait que l’atteinte est en partie ou totalement compensée par des moyens auxiliaires, de sorte qu’elle impacte de manière réduite le quotidien de la personne.
Selon l’art. 36 al. 3 OLAA, en cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité physique, mentale ou psychique, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est fixée d’après l’ensemble du dommage. L’indemnité totale ne peut dépasser le montant maximum du gain annuel assuré. Il est tenu compte, dans le taux d’indemnisation, des indemnités déjà reçues en vertu de la loi.
Selon la jurisprudence (ATF 116 V 156 et références), il convient de fixer l’indemnité de manière individuelle pour chaque perte distincte et ensuite de cumuler les différents taux obtenus pour chaque limitation qui se distingue clairement des autres, ceci que ces atteintes soient consécutives à un seul ou à plusieurs événements. Si les différentes atteintes ne se distinguent pas clairement, il faut procéder par comparaison avec la situation globale la plus proche existant dans la tabelle de l’annexe 3 OLAA.
En l’espèce, un jeune assuré a subi une amputation des deux jambes au-dessus du genou à la suite d’une collision avec un train. L’assureur LAA avait fixé l’indemnité pour atteinte à l’intégrité à 80 %, tandis que le tribunal cantonal a octroyé à l’assuré une indemnité à 100 %, procédant au cumul du pourcentage admis de 50 % pour la perte de chaque jambe. Saisi du recours de l’assureur, le TF, après avoir rappelé qu’il intervient avec retenue lorsque l’autorité inférieure a une marge d’appréciation, confirme le jugement du tribunal cantonal. L’atteinte peut clairement être différenciée pour chacune des jambes, ce qui implique l’application des règles précitées. La simple comparaison avec les atteintes inscrites dans la tabelle et notamment la paraplégie, fixée à 90 % et la tétraplégie à 100 %, ne suffit pas à remettre en question cette appréciation. Le TF ne voit pas pourquoi l’indemnité devrait être inférieure pour l’amputation des deux jambes à celle fixée à 100 % pour la tétraplégie, ceci d’autant plus qu’il s’agit là d’une atteinte fonctionnelle mais aussi anatomique.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Rennaz


TF 6B_17/2024 du 3 octobre 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile, lésions corporelles par négligence, art. 125 al. 1 CP
Un automobiliste ne peut pas compter sur l’absence de signal sonore et se contenter de vérifier les rétroviseurs et l’écran de sa caméra de recul, avant d’accomplir sa manœuvre de recul, alors qu’il a croisé quelques secondes avant une mère et ses enfants – dont un enfant de trois ans ne tenant pas la main de sa mère et marchant à distance de celle-ci, lesquels empruntent le même chemin que lui, dans la même direction, pour regagner leur domicile. En les croisant, il avait de plus dû attendre que l’enfant se déporte sur le côté du chemin pour pouvoir passer et n’ignorait donc pas que l’enfant puisse se trouver au milieu du chemin sur lequel il circulait.
Vu les fortes probabilités que l’enfant puisse échapper à l’angle de vue de la caméra de recul ou des rétroviseurs, l’automobiliste se doit de prendre des mesures de précaution supplémentaires pour satisfaire à son devoir de prudence, ce d’autant plus à proximité d’un virage où la visibilité était en partie masquée. Il devait attendre que la famille l’ait dépassé avant de débuter sa marche arrière ou vérifier les angles morts en demandant à son épouse de sortir du véhicule pour vérifier que la voie était libre. Son comportement constitue une violation des règles de la prudence qui fonde une négligence (c. 2.6).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds


TF 2C_1016/2022 du 25 septembre 2024
Responsabilité de l’Etat; acte illicite; atteinte à la personnalité; décès d’un enfant; causalité; tort moral; art. 6 al. 1 et 2 LRCF
A la suite d’un contrôle d’identité réalisé dans un train de nuit entre Paris et Milan, une famille de réfugiés syriens est remise par la police des frontières françaises, aux gardes-frontières suisses de Vallorbe, charge pour eux d’assurer leur reconduite en Italie. La mère de famille, alors enceinte d’environ 27 semaines, se plaint dès son arrivée à Brigue de douleurs croissantes. Malgré les demandes du mari, l’aide médicale ne sera finalement apportée qu’à l’arrivée à Domodossola, quelques heures plus tard. Les médecins de l’hôpital ne pourront alors que constater le décès de la petite fille à naître. La famille demande et obtient l’asile en Italie. Deux ans plus tard, la mère et les enfants se rendent en Allemagne, pays dans lequel ils obtiennent un droit de séjour temporaire puis définitif. Le père ne les rejoindra, quant à lui, que plusieurs années après (c. Aa à Ad). L’été suivant le décès de la petite fille à naître, tous les membres de la famille, soit le père, la mère et les trois frères aînés déposent une demande de réparation morale et en dommages-intérêts, auprès du DFF. Ce dernier rejette la demande. La famille dépose alors un recours auprès du TAF qui admet partiellement leur requête, en condamnant le DFF au versement à la mère, d’un montant au titre de réparation morale de CHF 12'000.-, avec intérêt à 5 %, dès le 4 juillet 2014 (arrêt du 27 octobre 2022, A-691/2021). La famille in corpore forme recours à l’encontre de ce jugement auprès du TF. Ce dernier commence par rappeler le cadre juridique (c. 4). Il confirme que le mari n’a pas de droit au titre de proche lui permettant d’élever une prétention en réparation morale (art. 6 al. 1 et 6 al. 2 LRCF) (c. 5.1 à 5.2). Il affirme en revanche que ce père de famille a un droit propre, en tant que personne directement concernée, en raison d’une atteinte illicite à sa personnalité (art. 6 al. 2 LRCF). Au terme de son analyse, il déclare que cet homme présente une atteinte à l’intégrité psychique, causale avec les omissions du garde-frontière responsable. Il ajoute que même en l’absence d’atteinte psychique de longue durée médicalement attestée, le fait d’avoir passé plusieurs heures à craindre pour sa femme et l’enfant à naître, en étant totalement impuissant, représente bel et bien une lésion suffisamment grave justifiant l’octroi d’une indemnité à titre de réparation morale de CHF 1'000.- (c. 5.3 à 5.8). Le TF rejette ensuite la prétention visant à obtenir le remboursement de la différence entre les prestations étatiques offertes en Italie et celles versées en Allemagne. En effet, les recourants estimaient que c’était à tort qu’on les avait empêchés de déposer leur demande d’asile en Allemagne et qu’il en avait résulté pour eux un préjudice financier. En résumé, le TF a constaté qu’aucune des normes de comportement violées ne servait à protéger le patrimoine des recourants et que par conséquent, la condition de l’illicéité faisait défaut (cf. théorie de l’illicéité, c. 6 ss). Le TF rejette enfin la prétention visant à obtenir une réparation morale en raison du fait que la famille a dû vivre séparément durant plusieurs années, au motif que l’omission alléguée n’était pas causale de l’atteinte à la personnalité et de la réparation morale invoquée en raison de cette séparation (c. 7 ss). Auteur : Rébecca Grand, avocate |



TF 9C_538/2023 du 16 septembre 2024
Assurance-maladie, clause du besoin, légalité dispositions cantonales d’exécution, nombre maximum de médecins, méthode de calcul, compétences fédérales et cantonales, droit transitoire, art. 55a LAMal; 2 ss ONMAxMéd
Dans cet arrêt concernant la clause du besoin dans le canton de Fribourg, le TF a rappelé que la révision de la LAMal entrée en vigueur le 1er juillet 2021 a prévu une méthode de calcul du nombre maximal de médecins qui fournissent des prestations ambulatoires, qui se décompose en trois phases temporelles qui se succèdent et durant lesquelles la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons n'est pas la même. Durant la première phase de deux ans, qui s’est terminée le 30 juin 2023, les cantons pouvaient continuer à appliquer le droit en vigueur (cf. al. 1 des dispositions transitoires de la modification de la LAMal du 19 juin 2020). Pendant la deuxième phase, qui se terminera le 30 juin 2025, les nombres maximaux peuvent être arrêtés par les cantons conformément à l’art. 9 ONMaxMéd, qui leur laisse de l’autonomie à cet égard. Malgré cette marge de manœuvre, les principes qui permettent de limiter le nombre de fournisseurs de prestations sont définis dans le droit fédéral. A compter du 1er juillet 2025 (troisième phase), le modèle de régression de l’offre en prestations médicales ambulatoires, défini par le Département fédéral de l’intérieur (DFI) et applicable pour l’ensemble de la Suisse (cf. art. 3 ONMaxMéd), devra être respecté. Dans ce cadre, le Conseil d’Etat du canton de Fribourg a adopté le 6 juillet 2023 l’ordonnance concernant la limitation de l’admission des médecins à pratiquer à charge de l’assurance obligatoire des soins (OLAM), entrée en vigueur le 1er juillet 2023. Les juges fédéraux ont considéré, contrairement à ce qu’invoquaient les recourants, que l’OLAM était une ordonnance dépendante d’exécution, qui se limite à préciser une loi formelle qui contient déjà le principe et les éléments essentiels de la clause du besoin, l’art. 55a LAMal, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er juillet 2021, constituant toujours une réglementation directement applicable qui doit être concrétisée par des règlements cantonaux d’exécution et qui ne nécessite pas de base légale cantonale formelle supplémentaire.
Auteur : Guy Longchamp
Note : cet arrêt prend le contrepied de plusieurs arrêts cantonaux qui avaient abouti à la solution contraire, à savoir que l’adoption d’une base légale formelle dans la législation cantonale était nécessaire pour pouvoir mettre en œuvre la clause du besoin dans les cantons. Le premier arrêt en la matière avait été rendu par le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne le 18 janvier 2023 (810 22 81) ; la Cour des comptes vaudoise lui avait emboîté le pas le 14 mai 2024 (CCST.2023.0006). Le 22 mars 2024, le Tribunal cantonal d’Argovie avait confirmé la validité d’une ordonnance fondée sur le droit d’urgence (WNO 2023.2). Dans ce dernier arrêt, le Tribunal cantonal a admis que la clause du besoin contrevenait à la liberté économique, mais avait estimé que la violation était justifiée sous l’angle de l’art. 36 Cst.


TF 7B_14 et 15/2023 du 11 septembre 2024
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence, position de garant, comportement passif (omission) contraire à une obligation d’agir, lien de causalité, respectivement rupture dudit lien entre l’omission et l’accident; art. 125 CP; 8 al. 2 aOTConst
Selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, l’acte omis, à savoir la désignation par le recourant 1 – note du soussigné : le recourant 1 avait une position de garant – d’un responsable compétent de la sécurité du chantier prévu par le document « Concept logistique et sécurité », était de nature à éviter la survenance du résultat qui s’est produit. En effet, un responsable compétent de la sécurité aura pu s’apercevoir du risque de chute que représentait pour les ouvriers, ne serait-ce que le passage de matériel à un tel endroit dépourvu de mesure de sécurisation efficace. Autrement dit, l’acte attendu de la part du recourant 1 aurait, avec une vraisemblance confinant à la certitude, empêché la survenance du résultat. Partant, c’est à bon droit que la cour cantonale a retenu que la condition du lien de causalité naturelle et adéquate était remplie (c. 3.6.2).
Quant à une éventuelle rupture de lien de causalité, c’est également à juste titre que la cour cantonale l’a écarté. Le but des normes de protection contre les chutes (cf. art. 8 al. 2 aOTConst) est d’assurer la sécurité des postes de travail et des passages, et pas seulement de prévenir les chutes involontaires découlant d’un comportement initial lui aussi involontaire. Si des prescriptions strictes ont été édictées, c’est justement pour tenir compte du caractère éminemment dangereux de toute activité de construction et de la propension naturelle de toute personne y travaillant de prendre occasionnellement des risques, volontairement ou non, pour autant que ces risques n’apparaissent pas à ce point extraordinaires et inattendus qu’ils justifient l’interruption du lien de causalité adéquate (c. 3.6.3).
En l’espèce, il est établi qu’en utilisant comme marchepied un bidon métallique posé devant l’ouverture, afin de se hisser sur la plateforme en bois en vue d’atteindre ainsi le niveau -2, tout en ayant les deux mains occupées, alors qu’il connaissait la dangerosité des lieux dans la mesure où il y rendait attentifs d’autres travailleurs, l’intimé a adopté un comportement imprudent et, par-là, commis une faute concomitante. Cependant, il n’y a rien de surprenant ni d’extraordinaire à ce qu’il ait utilisé l’endroit en question comme un passage et qu’il ait, le cas échéant, ouvert l’éventuelle porte qui s’y trouvait pour pouvoir transiter, puisque, comme on l’a vu, ce lieu servait précisément au passage de matériel, voire à celui des ouvriers, ce dont certains membres de la direction étaient d’ailleurs au courant (c. 3.6.3).
Le recourant 1 se prévaut à cet égard de l’arrêt 6B_200/2017 (…). Cet arrêt n’est pas transposable au cas d’espèce (…). L’intimé à certes pris un risque en tentant d’emprunter la cage d’escalier afin de se déplacer. C’est toutefois l’absence de sécurisation à cet endroit qui a conduit à son comportement dangereux. Contrairement à ce qui a été retenu dans l’affaire 6B_200/2017, il apparaît, en l’occurrence, qu’une installation conforme aux prescriptions en matière de sécurité aurait empêché les ouvriers d’utiliser l’endroit en question comme un passage, avec le risque de chuter dans le vide. Par conséquent, le comportement de l’intimé, qui ne permet pas de reléguer à l’arrière-plan le manquement du recourant, à qui il appartenait, comme on l’a vu, de désigner un responsable de la sécurité, ne s’impose pas comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’accident (c. 3.6.4).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud


TF 9C_125/2022 du 10 septembre 2024
LAMal, contrôle de l’adéquation et de l’économicité, devoir d’un hôpital de produire des dossiers médicaux en lien avec un échantillon de factures litigieuses, art. 32, 42 al. 3, 56, 59 et 59a LAMal; 30b OAMal; 6 LSAMal
Un hôpital recourt contre un jugement partiel du Tribunal arbitral du canton de Berne lui ordonnant, sur la base de l’art. 42 al. 3 LAMal, de remettre à un médecin de Tarifsuisse SA les dossiers médicaux anonymisés liés à 55 factures pour permettre à celui-ci de vérifier si l’hôpital n’ordonnait pas trop fréquemment certains examens radiologiques (CT-scan de la colonne vertébrale et CT-scan du crâne) et si le principe d’économicité était respecté.
Le TF rappelle que l’objet du contrôle de l’économicité peut être soit l’activité au niveau d’un fournisseur de prestations dans son ensemble, désignée par le terme polypragmasie (cf. ATF 150 V 129), soit l’activité au niveau d’une procédure particulière (prestation selon la position tarifaire), comme dans le cas d’espèce. Dans cette deuxième hypothèse, l’examen se fait soit sur une base statistique (comparaison avec des données agrégées), soit sous la forme d’un contrôle analytique au cas par cas (évaluation de dossiers de patients, le cas échéant sur la base d’un échantillon), comme dans le cas d’espèce (c. 2.2.2 et 5.5.1). La transmission des informations prévue par l’art. 59a LAMal a une utilité pour la première des hypothèses (polypragmasie), mais peu pour la seconde (analyse des prestations selon la position tarifaire), les factures des soins ambulatoires ne contenant généralement pas d’indication sur les diagnostics (c. 2.2.3.3).
Lors d’un contrôle analytique au cas par cas, avec extrapolation, tel que ce fut le cas à l’ATF 150 V 178, l’échantillon choisi pour servir de base à l’extrapolation doit être suffisamment grand, être tiré au hasard, et être représentatif des pathologies présentes dans la population, ce qui n’est pas le cas des 55 factures demandées à l’hôpital dans le cas d’espèce (c. 5.5.3 et 5.6.4). Selon le TF, de manière générale, la méthode analytique ne permet pas un contrôle efficace de l’économicité lors d’analyses de prestations selon la position tarifaire (c. 5.6.4). Seule la méthode statistique devrait en principe être utilisée (c. 5.7).
L’objectif d’une comparaison statistique des coûts moyens (se rapportant à une prestation ou à un groupe de prestations) doit être de comparer le nombre (ou une combinaison déterminée) de prestations (appelées procédures) que le fournisseur de prestations contrôlé a facturées par patient au cours d’une période déterminée en présence d’un certain tableau clinique à la charge de l’assurance obligatoire des soins, avec les données moyennes correspondantes de fournisseurs de prestations comparables (c. 5.7.3).
En l’absence de diagnostics mentionnés sur les factures, il n’existe pas la possibilité de regrouper les CT-scan par indication médicale et, dans cette mesure, de les rendre statistiquement comparables. L’ajout de 55 factures de l’hôpital avec les résultats radiologiques et les attributions médicales correspondantes n’est certes pas statistiquement pertinent en soi, mais il compense tout de même en partie cette lacune (c. 5.7.5).
Selon le TF, il est donc conforme à la loi et proportionné de contraindre l’hôpital à remettre les documents en question afin de discuter, à titre d’exemple, de l’utilité et de l’économicité des CT-scan litigieux et, le cas échéant, de fonder une demande de remboursement ultérieure (c. 5.7.6. et 5.7.7).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 9C_761/2023 du 6 septembre 2024
Assurance-vieillesse et survivants; responsabilité, non-paiement des cotisations, qualité d’organe, société anonyme; art. 52 LAVS
Le litige porte sur la responsabilité d’une personne qui cumulait les fonctions d’actionnaire unique, d’employé et de directeur avec signature individuelle d’une SA pour le préjudice subi par la Caisse interprofessionnelle AVS de la FER en raison du non-paiement par la société d’un solde de cotisations sociales. Le Tribunal cantonal de la République et canton du Jura a considéré que cette personne n’avait pas la qualité d’organe de fait (ou d’organe matériel).
Le TF admet le recours, considérant que l’autorité cantonale a fait montre d’arbitraire dans sa constatation des faits et son appréciation des preuves, l’absence de pièces étayant le contenu des pouvoirs internes effectivement conférés n’étant pas déterminante. Le TF relève, au contraire, que le cumul de fonctions permettait à cette personne de prendre toutes les décisions nécessaires à la gestion administrative et financière de la société.
La cause est ainsi renvoyée à l’instance inférieure pour qu’elle procède à l’examen des autres conditions de la responsabilité au sens de l’art. 52 LAVS.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 6B_1190 et 1195/2023 du 4 septembre 2024
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence, violation de normes de sécurité, indemnité, arbitraire; art. 11 ss CPP
La direction des travaux et l’entreprise d’échafaudage forment chacun un recours en matière pénale au TF contre le jugement d’inculpation consécutivement à la chute d’un couvreur depuis la hauteur d’un échafaudage.
Selon l’art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l’auteur a agi sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. La négligence suppose, en premier lieu, la violation d’un devoir de prudence. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d’associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence.
En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. Dans les conditions fixées par la loi, l’employeur est responsable, sur le plan civil, des dommages causés par ses employés à ses cocontractants (art. 101 CO) ou à des tiers (art. 55 CO). Il a donc l’obligation juridique de veiller à ce que ses employés prennent les mesures de précaution nécessaires pour éviter la survenance d’un dommage ; il assume en particulier la cura in eligendo, in instruendo et in custodiendo. Il se trouve ainsi dans une position de garant.
Il faut en outre qu’il existe un rapport de causalité naturelle et adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Concernant la direction des travaux, la cour cantonale a retenu que ce dernier avait œuvré sur le chantier en qualité de directeur des travaux de l’entreprise générale. Il était donc responsable du suivi du chantier et ne pouvait pas soutenir qu’il n’aurait pas eu, à ce titre, de devoir de surveillance pour garantir le bon déroulement des travaux et la sécurité du chantier. Il était en effet évident qu’en raison de son cahier des charges, le directeur des travaux devait veiller au montage et à la maintenance de la structure de l’échafaudage, de façon qu’elle présentât la sécurité requise, et donner toute instruction utile à l’entreprise mandatée pour cette installation. L’expert mandaté avait mis en évidence plusieurs manquements dans le cadre du montage de l’échafaudage litigieux et il incombait à la direction des travaux d’y faire remédier.
Concernant l’entreprise d’échafaudage, la cour cantonale a retenu qu’en sa qualité de directeur technique et personne de contact, l’intéressé devait veiller à ce que, tant le chef d’équipe qu’il avait lui-même désigné que les ouvriers de son entreprise, avaient correctement monté l’échafaudage. Il lui revenait en effet de composer son équipe et de donner des instructions claires et précises à son chef d’équipe. Sa responsabilité résidait donc dans le choix d’une équipe compétente pour le montage de l’échafaudage. Il s’agissait d’une cura in eligendo qui était incontestablement susceptible d’engager sa responsabilité. L’entreprise d’échafaudage avait donc bien une position de garant. L’instruction avait en outre révélé que l’échafaudage n’avait pas été monté correctement. D’une part, la hauteur constructive du pont couvreur n’était pas conforme. D’autre part, les plateaux utilisés présentaient des défectuosités. A cet égard, il avait été constaté que de nombreuses pièces de liaison étaient absentes ou insuffisamment sorties et poussées sous le cadre de l’échafaudage.
La cour cantonale a considéré que la faute de l’entreprise d’échafaudage résidait essentiellement dans le fait de n’avoir pas instruit adéquatement son équipe au montage, équipe qui s’était d’ailleurs révélée incompétente puisque son chef était également condamné. L’entreprise aurait dû être d’autant plus vigilante que la SUVA avait déjà relevé à plusieurs reprises les risques d’instabilité des structures.
Enfin, la cour cantonale a considéré qu’une éventuelle faute de la victime, qui avait pris appui à tort sur la plinthe, n’était aucunement de nature à interrompre le lien de causalité, tant il était évident que c’était avant tout le contexte défaillant dans lequel l’ouvrier avait travaillé sur le plan de la sécurité qui expliquait le processus accidentel. Ainsi, l’éventuelle erreur commise par l’intimé, outre qu’il n’y avait pas de compensation des fautes au pénal, n’était que la conséquence de ces défaillances techniques imputables aux prévenus.
Leurs recours respectifs ont ainsi été rejetés par le TF.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême


TF 9C_596/2023 du 30 août 2024
Congé de prise en charge; coordination avec le congé de maternité; art. 16n et 16g al. 1 LAPG
Selon l’art. 16n LAPG, les parents d’un enfant mineur gravement atteint dans sa santé en raison d’une maladie ou d’un accident ont droit à une allocation de prise en charge s’ils interrompent leur activité lucrative pour s’occuper de l’enfant et si, au moment de l’interruption de l’activité lucrative, ils sont salariés au sens de l’art. 10 LPGA, indépendants au sens de l’art. 12 LPGA, ou travaillent dans l’entreprise de leur conjoint contre un salaire en espèces.
En vertu de l’art. 16g al. 1 LAPG, l’allocation de maternité exclut le versement des indemnités journalières de l’assurance-chômage (let. a), de l’assurance-invalidité (let. b), de l’assurance-accidents (let. c), de l’assurance militaire (let. d), du régime des allocations au sens des art. 9 et 10 (let. e) et du régime des allocations au sens des art. 16n à 16s si elle concerne le même enfant (let. f).
Dans la présente cause, la caisse de compensation compétente a refusé au père d’un nouveau-né gravement malade le droit à une allocation de prise en charge au motif que la mère de l’enfant bénéficiait déjà d’une allocation de maternité. Le père s’est d’abord opposé avec succès à cette décision devant le tribunal cantonal, mais le TF a finalement donné raison à la caisse de compensation.
De l’avis des juges cantonaux, l’art. 16g al. 1 let. f LAPG ne concrétiserait pas la question de savoir qui perçoit les indemnités journalières (exclues en cas d’allocation de maternité). Selon eux, ni la genèse de la loi, ni les autres méthodes d’interprétation ne permettraient de conclure que le législateur aurait voulu exclure l’allocation de prise en charge en faveur du père de l’enfant lorsque la mère perçoit en même temps l’allocation de maternité. Au contraire, le droit du père de l’enfant à l’allocation de prise en charge après la naissance d’un enfant gravement malade devrait être accordé si les autres conditions sont remplies.
Le TF ne partage pas l’opinion de l’instance précédente. La section IIIc de la LAPG, qui régit les art. 16n ss, a pour titre « [l]’allocation pour les parents qui prennent en charge un enfant gravement atteint dans sa santé en raison d’une maladie ou d’un accident ». L’art. 16n LAPG dispose par ailleurs que « les parents » (« Eltern », « i genitori ») ont droit à l’allocation aux conditions prévues par la loi. En renvoyant à ces dispositions, l’art. 16g al. 1 let. f LAPG concrétise la question de savoir qui perçoit les indemnités journalières − dont le versement est exclu en cas d’allocation de maternité −, à savoir les deux parents. Contrairement à l’appréciation de l’instance précédente, le texte de la disposition est clair et il ne peut y être dérogé que pour des motifs valables, qui font défaut en l’espèce.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 9C_480/2022 du 29 août 2024
Assurance-maladie, infirmité congénitale, soins à domicile, soins de base, allocation pour impotent, supplément pour soins intenses, surindemnisation, concordance, art. 25a LAMal ; 7 al. 2 let. c OPAS ; 42 ss LAI ; 69 LPGA
Un enfant atteint d’une infirmité congénitale bénéficie d’une allocation pour impotent (API) et d’un supplément pour soins intenses (SSI) versés par l’AI. Les soins de bases sont pris en charge par l’assurance-maladie, la mère fournissant elle-même plus de 90 % des heures de soins. Se pose la question de la coordination des prestations de la LAMal avec l’API et le SSI.
Le TF rappelle que s’agissant des personnes mineures, ce problème de coordination n’existe que depuis 2004. Avant cela, l’API n’était versée qu’aux personnes majeures, et l’allocation versée par l’AI pour la prise en charge d’un enfant mineur à domicile était une prestation en nature (mesure médicale, art. 13 LAI) dont la concordance avec les prestations pour soins de base ne faisait aucun doute. La concordance entre ces prestations et l’API versée à la personne mineure n’a jamais fait l’objet d’un examen approfondi. La question de la surindemnisation ne se pose qu’en présence de prestations devant être coordonnées.
Il s’agit ici d’un problème de coordination intersystémique qui n’est pas expressément réglé dans la loi. Faute de règle de coordination, la prise en charge des soins de base par la LAMal et l’API de l’AI sont dues cumulativement, sous réserve de surindemnisation. Si l’on admet une surindemnisation, ce sont les prestations de la LAMal qui doivent être réduites, l’API étant soustraite à toute réduction (art. 69 al. 3 LPGA) (c. 5.1.3). L’interdiction de surindemnisation n’ayant pas valeur de principe général, il faut une base légale pour que cette réduction puisse être opérée. L’art. 69 al. 1 LPGA est la base légale pertinente ; elle suppose que l’on parle de prestations de nature et de but identiques. Il faut en outre qu’elles soient versées à la même personne, en raison du même événement et pour le même laps de temps (ces trois autres aspects de la concordance n’étant pas litigieux en l’espèce) (c. 6.1).
Le TF analyse la question de savoir si « nature et but identiques » doivent être compris comme un seul élément normatif, comme cela a été le cas dans la jurisprudence jusqu’ici (le « but » l’emportant sur la « nature »), et comme la doctrine a pu le défendre, ou s’il s’agit de conditions distinctes, devant être toutes deux remplies pour que l’on soit en présence d’un cas de surindemnisation. Le TF tranche en faveur de la seconde analyse (c. 6).
L’API est une prestation en espèces (art. 15 LPGA) alors que les prestations pour soins de base sont des prestations en nature (art. 14 LPGA, même si, techniquement, l’assurance-maladie rembourse des frais et ne fournit pas elle-même les prestations [c. 6.4.2]). La table de concordance de l’art. 74 al. 2 LPGA, qui s’applique en matière de coordination extrasystémique, n’est ici pas pertinente (c. 6.4.3). Les prestations en nature ont fondamentalement pour but d’agir concrètement (« proaktiv ») sur le risque assuré ; à l’inverse, les prestations en espèces ont pour but de compenser les conséquences d’un risque qui ne peut plus être écarté (« reaktiv »). En l’espèce, la prise en charge des soins de base a pour but la fourniture de prestations concrètes, alors que l’API offre une compensation économique pour les désagréments provoqués par l’impotence. Il s’agit d’une prestation forfaitaire dont le ou la bénéficiaire peut faire ce qu’il ou elle entend. Il s’agit donc de deux prestations de nature différente, ce qui exclut déjà en soi un cas de surindemnisation au sens de l’art. 69 al. 1 LPGA (c. 6.5).
Comparant ensuite la législation applicable, respectivement, aux soins de base (LAMal) et à l’API (AI), le TF parvient à la conclusion que si les deux prestations ont une certaine parenté, elles n’ont pas le même but, ne serait-ce que parce que les soins de base doivent faire l’objet d’une évaluation par du personnel qualifié et correspondent à des mesures précises dont la mise en œuvre doit être validée par un médecin, alors que l’API a pour but de combler les difficultés permanentes pour accomplir les actes de la vie quotidienne. Les deux prestations n’ont donc pas le même but (c. 6.6.2).
Faute de prestations étant de même nature et ayant le même but, il ne peut être question, en cas de perception concurrente de prestations de la LAMal pour les soins de base et d’une API de l’AI, de surindemnisation. La concordance du SSI, qui est une prestation accessoire à l’API, n’a pas à être examinée séparément et se rattache à cette dernière (c. 6.6.3).
Le TF se livre ensuite à l’interprétation de l’art. 69 al. 1 et 2 LPGA, et parvient à la conclusion que l’art. 69 al. 2 LPGA a uniquement pour but de fixer une limite de surindemnisation lorsque des prestations en espèces concordantes sont perçues et qu’il n’existe pas d’autre disposition fixant cette limite. Cette disposition n’est donc pas pertinente dans la constellation qui nous occupe (c. 8). L’art. 122 OAMal non plus (c. 9). Le TF rappelle finalement que le cumul des prestations de la LAMal pour les soins de base et de l’API correspond à la volonté politique (c. 10).
En conclusion, les soins de base au sens de l’art. 7 al. 2 let. c OPAS doivent être pris en charge indépendamment de la perception, par la personne assurée, d’une API et d’un SSI.
Note : cet arrêt apporte une précision bienvenue s’agissant de la compréhension de la surindemnisation dans le contexte de la coordination intersystémique, en rejetant la méthode globale, soutenue par une partie de la doctrine mais contraire, à notre avis et comme le confirme cet arrêt, à la volonté du législateur (cf. DUPONT ANNE-SYLVIE, L’interdiction de la surindemnisation : un « principe général » tout en nuances, in : Dupont/Müller, Concepts fondamentaux de l’indemnisation : convergence et divergences, Bâle/Neuchâtel 2023, 147 ss, N 22). La méthode de la concordance des droits est ici affinée par la précision que la concordance fonctionnelle (« nature et but identiques ») doit bien faire l’objet d’une analyse en deux temps, d’abord sur la question de l’identité de nature, puis sur celle de l’identité de but. La terminologie employée prête à confusion dans la sens où l’identité de nature est désignée par les termes de « sachliche Kongruenz » et l’identité de but par celle de « funktionnelle Kongruenz ». Traditionnellement, le premier concept désigne la concordance événementielle (ou matérielle), et le second, précisément, l’identité de buts et de nature. Cela ne change rien, fondamentalement, au fait que la concordance doit s’examiner à l’aune des quatre critères identifiés ci-dessus, le dernier (concordance fonctionnelle) devant faire l’objet d’une analyse en deux temps, sous l’angle de la nature des prestations d’abord et de leur but ensuite.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 2C_97/2023 du 19 août 2024
Responsabilité de l’Etat; dommage, théorie de la différence, lucrum cessans, responsabilité fondée sur la confiance; art. 41 CO; 9 Cst.
A. a acheté en 2005, pour un montant de CHF 2'300'000.-, une propriété à Samedan, dans le canton des Grisons, qui était grevée d’une obligation d’habitation principale à 100 %, ce qui ne lui a pas été communiqué au moment de l’achat. En 2011, en raison d’un changement de résidence, A. a décidé de vendre sa propriété. Il a obtenu, cette même année, une confirmation écrite de la commune de Samedan que la parcelle concernée n’était pas soumise à l’obligation de résidence principale. En 2013, la commune a également confirmé cette information à un tiers intéressé par l’achat. Par la suite il s’est avéré cependant que la propriété n’avait été autorisée qu’en tant que résidence principale ; l’obligation de résidence principale n’avait pas été inscrite au registre foncier par erreur. Cette obligation a ensuite été confirmée par une décision de la commune en 2014 que A. a contestée devant les tribunaux, en vain. En 2017, A. a vendu sa propriété pour un montant de CHF 2'850'000.-. Selon une estimation datant de 2013, la valeur vénale de l’immeuble sans l’obligation de résidence principale aurait été de CHF 4'150'000.-. A. intente une action en responsabilité contre la commune et le canton. Il réclame le paiement de CHF 1'300'000.- à titre de gain manqué correspondant à la différence entre le prix de vente obtenu et celui qui aurait pu l’être si le bien immobilier n’était pas grevé d’une obligation de résidence principale. A. réclame également un montant de CHF 509'940.10 correspondant aux frais immobiliers courants (intérêts hypothécaires, assurance, impôts, entretien) qu’il a dû assumer entre son départ de Samedan en 2011 et la vente en 2017.
Le TF relève que le droit cantonal ne prévoit aucune disposition particulière, si bien que l’art. 41 CO s’applique à titre de droit cantonal supplétif. Dans ce cadre, le TF rappelle que, selon la théorie de la différence, le dommage correspond à la différence entre l’état actuel du patrimoine et l’état (hypothétique) qu’il aurait sans le fait dommageable. Il peut consister en une augmentation du passif, une diminution de l’actif ou un gain manqué (lucrum cessans). Le dommage résultant d’un gain manqué n’est indemnisé que s’il s’agit d’un gain usuel ou qui aurait été réalisé avec certitude (c. 5.1).
En l’espèce, la propriété à Samedan n’a jamais été juridiquement une résidence secondaire (librement utilisable) durant la période où le recourant en était propriétaire (2005-2017) et, par conséquent, n’a jamais été un immeuble d’une valeur vénale de CHF 4'150'000.-. Au contraire, depuis l’octroi du permis de construire en 1997, l’immeuble était grevé d’une restriction d’utilisation de droit public sous la forme d’une obligation de résidence principale, même si l’inscription (déclarative) de cette restriction au registre foncier est intervenue plus tard. Le gain hypothétique de CHF 1'300'000.- invoqué par A. lui aurait donc échappé avec la vente de l’immeuble en 2017 en raison de l’obligation de résidence principale, même s’il avait eu connaissance de ladite obligation dès le début ou s’il en avait été informé lors de l’acquisition de l’immeuble ou lors des deux demandes à ce sujet auprès de la commune en 2011 et 2013. Il n’y a donc pas de différence entre l’état de son patrimoine immédiatement après la vente de l’immeuble en 2017 et l’état qu’aurait eu son patrimoine à l’époque s’il avait été informé de l’obligation d’occuper son logement principal en 2011 ou 2013. Le fait que A. n’ait pas eu connaissance de l’obligation de résidence principale jusqu’à la mi-juin 2013 n’a eu aucune influence sur la valeur du bien immobilier. Même si l’on qualifiait de contraire au droit le comportement des autorités qui a conduit à son ignorance de la restriction d’utilisation ou au maintien de son ignorance, un comportement de substitution licite aurait entraîné le même « dommage » (c. 5.6.1). La responsabilité de la commune pour le gain manqué n’entre donc pas en ligne de compte. La commune n’est pas non plus tenue de rembourser le montant de CHF 509'940.10 correspondant aux dépenses d’entretien de l’immeuble. Le recourant. a incontestablement réalisé une plus-value de CHF 550'000.- suite à la vente de l’immeuble en 2017. Ce montant dépasse les frais d’entretien de CHF 509'940.10., raison pour laquelle il n’y a pas de dommage selon la théorie de la différence (c. 5.6.2).
Le TF examine ensuite si le recourant peut se prévaloir de la protection de la confiance (art. 9 Cst.) du fait qu’il aurait reçu à deux reprises une confirmation de la commune que sa propriété était une résidence secondaire. Notre Haute Cour rappelle qu’indépendamment du fait que l’indemnisation invoquée pour la confiance déçue se fonde directement sur l’art. 9 Cst. ou sur le droit cantonal de la responsabilité de l’Etat, le versement d’une telle indemnité n’entre en ligne de compte que si les conditions de la protection de la confiance sont en général remplies. Il en découle que seul peut se prévaloir de la protection de la confiance celui qui a pris des dispositions patrimoniales en se fiant légitimement à une information erronée de l’autorité, dispositions sur lesquelles il ne peut pas revenir sans préjudice ; la personne doit être placée, sur le plan patrimonial, dans la même situation que si elle n’avait pas pris ces dispositions. Le dommage indemnisable est ainsi (au maximum) celui qui a été directement provoqué par les investissements et les dépenses effectués sur la base de la confiance accordée. En revanche, d’autres dommages restent d’emblée exclus de la notion de dommage fondé sur la confiance. Lors du calcul du dommage, ce n’est donc pas (également) le manque à gagner (lucrum cessans) qui est déterminant, mais uniquement l’intérêt négatif (c. 6.2.2).
En l’espèce, le recourant fait valoir que la disposition défavorable qu’il a prise a consisté dans le fait qu’il n’a pas pu vendre son bien immobilier à Samedan en tant que résidence secondaire en raison des renseignements erronés fournis par la commune à partir de 2011. Il fait ainsi valoir un gain manqué, lequel n’est pas indemnisable au titre de la responsabilité fondée sur la confiance (c. 6.2.3).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne


TF 8C_75/2024 du 12 août 2024
Assurance-accidents; qualité d’assuré; lieu de l’exercice de l’activité lucrative; art. 1a al. 1 let. a LAA
A. était employé pour une durée déterminée par B. AG du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022 en qualité de stagiaire (« Praktikant ») avec le titre de « Product Content Manager ». A. est né et a grandi en Suisse. Il a vécu de 2019 jusqu’en juillet 2021 à Dubai. Par la suite, il a séjourné durant deux mois environ en Suisse avant de s’installer jusqu’à fin 2021 au Kenya – pays dans lequel il se trouvait lors de la signature du contrat de travail – puis durant un mois et demi environ en Thaïlande et finalement au Sri-Lanka, pays dans lequel il se trouvait en vacances lorsqu’il a été heurté par un véhicule de livraison le 16 avril 2022. Son contrat de travail prévoyait que le lieu de travail se trouvait en Suisse, au siège de la société B. AG. Toutefois, A. n’a, dans les faits, jamais exercé son activité dans les locaux de son employeur. Après interprétation de l’art. 1a al. 1 let. a LAA, le TF arrive à la conclusion, à l’instar de l’assureur-accidents et des juges cantonaux, que A. n’est pas couvert par la LAA, au motif qu’il n’a jamais effectivement travaillé en Suisse, qu’il n’était pas un travailleur détaché et que, dès le départ, il exercerait son activité depuis l’étranger.
Auteur : Guy Longchamp


TF 6B_1149/2023 du 7 août 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; lésions corporelles graves par négligence; lien de causalité; art. 125 CP
Le TF examine les circonstances d’un accident de la circulation lors duquel un conducteur s’est engagé dans un giratoire sans prendre en garde à un autre véhicule arrivant sur sa gauche. Ce conducteur a été reconnu coupable de lésions corporelles graves par négligence. Devant le TF, le recourant, à savoir le conducteur fautif, se prévaut d’une rupture du lien de causalité adéquate. Cet argument est rejeté.
La causalité adéquate peut être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d’un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.
Dans le cas d’espèce, la victime roulait certes trop vite. Toutefois, la visibilité était bonne et le véhicule de la victime n’a pas surgi de manière inattendue dans le giratoire. Au contraire, c’est bien le recourant, débiteur de la priorité, qui lui a coupé la route et qui est à l’origine de la collision. Dans de telles circonstances, le comportement de la victime ne représente en rien une circonstance à ce point exceptionnelle ou extraordinaire qu’il faudrait la qualifier d’imprévisible. L’argument tiré de la rupture du lien de causalité est donc rejeté.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

TF 9C_162/2024 du 31 juillet 2024
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations sociales; statut; activité dépendante ou indépendante; principe de l’instruction; degré de la preuve; art. 28, 43 et 61 let. c LPGA; 5 al. 2 LAVS
Une société a fait exécuter un travail par une société tierce. La première est affiliée comme employeur auprès d’une caisse AVS. Elle a effectué des versements en espèces à la société sous-traitante sans justificatifs détaillés, ce qu’un contrôle employeur a mis en évidence. La caisse a rendu une décision par laquelle elle réclamait le paiement de cotisations sociales sur les versements en espèces. La société qui a fait exécuter le travail a recouru au niveau cantonal puis fédéral contre la décision de la caisse.
Le TF a partiellement admis le recours et renvoyé la cause à la caisse pour nouvelle décision. Le TF a constaté que la juridiction cantonale avait appliqué une présomption non fondée selon laquelle les versements en espèces avaient pour but d’économiser des cotisations sociales. Par ailleurs, elle n’a pas examiné concrètement les caractéristiques de l’activité déployée par la société sous-traitante et quelle société supportait le risque économique de l’activité en cause. La jurisprudence exige un examen approfondi (principe de l’instruction, art. 43 et 61 let c LPGA) des circonstances particulières de chaque cas pour déterminer si une activité est de nature dépendante (art. 5 al. 2 LAVS) ou indépendante.
De plus, la cour cantonale a imposé des exigences excessives quant à l’obligation de collaborer (art. 28 LPGA) de la société qui a versé les montants, ce qui n’est pas conforme aux principes du droit des assurances sociales. Il n’y a pas de renversement du fardeau de la preuve et le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante habituel en droit des assurances sociales s’applique. Par ailleurs, lorsqu’une personne exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante, salariée même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise.
En l’espèce, il s’agissait de déterminer si le tâcheron peut être considéré comme un partenaire commercial qui traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail. L’arrêt entrepris ne contenait pas de constatations à ce sujet.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate à Lausanne

TF 7B_746/2023 du 30 juillet 2024
Responsabilité aquilienne; dommage; perte d’une chance; preuve; art. 122 et 126 CPP; 41 et 42 al. 2 CO
Condamné pour actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de résistance, commis sur deux stagiaires plongées par leur maître de stage dans un état d’endormissement, un avocat a également été condamné à indemniser l’une de ses victimes pour le gain manqué en raison des infractions commises. Le TF a, dans un premier temps, exposé les principes généraux régissant l’indemnisation d’une victime d’un acte illicite, ici l’infraction susvisée. Il a ainsi rappelé que, conformément à l’art. 122 al. 1 CPP, les prétentions civiles que peut faire valoir la partie plaignante sont exclusivement celles qui sont déduites de l’infraction. Ainsi, les prétentions civiles doivent découler d’une ou de plusieurs infractions qui, dans un premier temps, sont l’objet des investigations menées dans la procédure préliminaire, puis, dans un second temps, figurent dans l’acte d’accusation élaboré par le ministère public, en application de l’art. 325 CPP. Dans la plupart des cas, le fondement juridique des prétentions civiles réside dans les règles relatives à la responsabilité civile des art. 41 ss CO. La partie plaignante peut dès lors réclamer la réparation de son dommage (art. 41 à 46 CO) et l’indemnisation de son tort moral (art. 47 et 49 CO), dans la mesure où ceux-ci découlent directement de la commission de l’infraction reprochée au prévenu.
Puis, le prévenu ayant invoqué que l’allocation de l’indemnité pour le gain manqué relevait de l’application de la théorie de la perte d’une chance, le TF a rappelé les principes de cette théorie, développée par une doctrine de renom, soit la situation dans laquelle le fait générateur de responsabilité « perturbe » un processus incertain étant susceptible d’enrichir la victime ou d’éviter son appauvrissement. Le TF a rappelé que sa Cour de droit civil, dans un arrêt publié, n’avait pas retenu l’application de cette théorie en raison du paramètre de probabilité dont il devrait être tenu compte quant à la causalité entre le fait générateur et son résultat, aléatoire. Le TF considère que les premiers juges n’ont pas fait usage de cette institution juridique mais qu’ils ont établi le dommage et l’indemnité conformément au droit.
Les juges cantonaux avaient alloué à la victime une indemnité correspondant à la rémunération que cette dernière aurait pu percevoir entre la date à laquelle elle aurait dû initialement passer les examens du brevet, si elle n’avait pas été abusée par son maître de stage, et celle à laquelle elle a effectivement réussi ceux-ci. Ils ont ainsi considéré, certificats médicaux à l’appui, que la stagiaire avait dû reporter ses examens en raison des agissements de son maître de stage. Ils ont également estimé que la réussite des examens n’était en l’espèce pas un processus incertain. Au contraire, les premiers juges ont tenu pour pratiquement certain que, si elle s’était présentée aux examens du barreau à la date prévue, la victime aurait obtenu son brevet d’avocate, respectivement aurait immédiatement travaillé. Le recourant n’avait d’ailleurs pas fait valoir que la victime n’avait pas les qualités suffisantes pour lui permettre de réussir du premier coup ses examens et de trouver un emploi.
En outre, le TF a considéré que le fait que la victime aurait immédiatement trouvé du travail après avoir réussi ses examens à la date initialement prévue n’était pas non plus aléatoire, et en veut pour démonstration que celle-ci occupait déjà un emploi au sein d’une étude d’avocats pendant sa préparation au brevet. Quant au taux d’activité, les premiers juges avaient considéré qu’il était dans le cours ordinaire des choses de travailler à plein temps juste après l’obtention du brevet d’avocat. Elle a ainsi appliqué l’art. 42 al. 2 CO, qui prévoit que lorsque le montant exact du dommage n’a pas pu être établi, le juge le détermine équitablement, en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. Dans le cas d’espèce, la victime avait, relève le Tribunal fédéral, fourni aux juges, autant que cela lui était possible, tous les éléments de fait permettant de conclure à l’existence du dommage et de le déterminer équitablement en fonction du cours ordinaire des choses.
Dans un dernier argument, les juges ont considéré que même en cas d’échec à la première session d’examens, la stagiaire aurait pu trouver un emploi pendant la période la séparant de sa seconde tentative.
Quant au montant du dommage, il a été arrêté équitablement en retenant le revenu moyen d’une juriste sans expérience, en référence aux données publiées par l’Office fédéral de la statistique.
Le recours a ainsi été rejeté sous réserve d’une correction de la période d’indemnisation, de septembre 2017 à mai 2018, ce qui représentait donc huit mois de salaire, et non neuf, fait retenu arbitrairement par les juges cantonaux.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève


TF 9C_235/2024 du 30 juillet 2024
Assurance-vieillesse et survivants; allocation pour impotence; rapport d’enquête; valeur probante; début du droit; art. 9 LPGA; 43bis et 46 LAVS; 42 LAI; 37 RAI
Le litige porte sur le droit d’un assuré à une allocation pour impotent (de degré grave), ainsi que sur le début du droit à l’allocation.
En ce qui concerne tout d’abord la valeur probante d’un rapport d’enquête de l’office AI pour l’évaluation du degré d’impotence, le TF rappelle qu’il est essentiel qu’il ait été élaboré par une personne qualifiée qui a connaissance de la situation locale et spatiale, ainsi que des empêchements et des handicaps résultant des diagnostics médicaux. Il s’agit en outre de tenir compte des indications de la personne assurée et de consigner les opinions divergentes des participants. Pour le TF, un rapport peut être probant même si l’assuré n’est pas présent lors de la visite à son domicile.
Au surplus, selon la jurisprudence constante du TF, la nécessité d’administrer quotidiennement des médicaments ne fait pas partie de l’acte « manger » ; elle doit plutôt être prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la personne assurée présente un besoin de soins permanents. L’acte ordinaire de la vie « manger » comprend l’aide consistant à apporter un des repas principaux au lit en raison de l’état de santé de la personne assurée. En revanche, le fait de devoir reporter l’heure du petit-déjeuner parce que l’assuré ne peut pas se mettre à table avant 10 heures ne permet pas de retenir un besoin d’aide pour accomplir l’acte « manger ».
Il est précisé finalement, concernant le début du droit à l’allocation pour impotent, que si l’assuré fait valoir son droit à une allocation pour impotent plus de douze mois après la naissance du droit, l’allocation ne lui est versée que pour les douze mois qui ont précédé sa demande. Des arriérés sont alloués pour des périodes plus longues si l’assuré ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations et s’il présente sa demande dans un délai de douze mois à compter du moment où il en a eu connaissance.
Pour admettre la présence de faits ouvrant droit à des prestations que l’assuré ne pouvait pas connaître, il faut qu’un état de fait objectivement donné ouvrant droit à des prestations n’ait pas été reconnaissable ou que la personne assurée ait été empêchée pour cause de maladie malgré une connaissance adéquate de déposer une demande ou de charger quelqu’un du dépôt de la demande.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 9C_235/2024 du 30 juillet 2024
Assurance-vieillesse et survivants; allocation pour impotence; rapport d’enquête; valeur probante; début du droit; art. 9 LPGA; 43bis et 46 LAVS; 42 LAI; 37 RAI
Le litige porte sur le droit d’un assuré à une allocation pour impotent (de degré grave), ainsi que sur le début du droit à l’allocation.
En ce qui concerne tout d’abord la valeur probante d’un rapport d’enquête de l’office AI pour l’évaluation du degré d’impotence, le TF rappelle qu’il est essentiel qu’il ait été élaboré par une personne qualifiée qui a connaissance de la situation locale et spatiale, ainsi que des empêchements et des handicaps résultant des diagnostics médicaux. Il s’agit en outre de tenir compte des indications de la personne assurée et de consigner les opinions divergentes des participants. Pour le TF, un rapport peut être probant même si l’assuré n’est pas présent lors de la visite à son domicile.
Au surplus, selon la jurisprudence constante du TF, la nécessité d’administrer quotidiennement des médicaments ne fait pas partie de l’acte « manger » ; elle doit plutôt être prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la personne assurée présente un besoin de soins permanents. L’acte ordinaire de la vie « manger » comprend l’aide consistant à apporter un des repas principaux au lit en raison de l’état de santé de la personne assurée. En revanche, le fait de devoir reporter l’heure du petit-déjeuner parce que l’assuré ne peut pas se mettre à table avant 10 heures ne permet pas de retenir un besoin d’aide pour accomplir l’acte « manger ».
Il est précisé finalement, concernant le début du droit à l’allocation pour impotent, que si l’assuré fait valoir son droit à une allocation pour impotent plus de douze mois après la naissance du droit, l’allocation ne lui est versée que pour les douze mois qui ont précédé sa demande. Des arriérés sont alloués pour des périodes plus longues si l’assuré ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations et s’il présente sa demande dans un délai de douze mois à compter du moment où il en a eu connaissance.
Pour admettre la présence de faits ouvrant droit à des prestations que l’assuré ne pouvait pas connaître, il faut qu’un état de fait objectivement donné ouvrant droit à des prestations n’ait pas été reconnaissable ou que la personne assurée ait été empêchée pour cause de maladie malgré une connaissance adéquate de déposer une demande ou de charger quelqu’un du dépôt de la demande.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 4A_503/2023 du 29 juillet 2024
Assurances privées; interprétation du contrat d’assurance; rattachement temporel du sinistre à la police; art. 18 CO; 9 aLCA
La recourante est une entreprise de fabrication de revêtement de façade ACP (aluminium composite panels). Elle est partie défenderesse dans la procédure engagée le 14 février 2019, auprès de la Federal Court d’Australie par les propriétaires d’étages d’un bâtiment revêtu des panneaux ACP. Les prétentions des lésés sont le remboursement des frais d’enlèvement et de remplacement des panneaux ACP, ainsi que sur les dommages-intérêts pour les pertes consécutives à la pose des panneaux dont la composition n’était pas conforme aux normes légales en vigueur en août 2018.
La recourante est assurée jusqu’à fin 2018 par la société d’assurance intimée pour le risque de la responsabilité civile dérivant des produits. Le Tribunal de commerce du canton de Zurich la déboute de son action en paiement des prestations introduite contre l’intimée au motif que le sinistre n’est pas survenu durant la période assurée. Le rattachement temporel du cas d’assurance selon l’autorité cantonale requerrait une première constatation en 2018 (par qui que ce soit) des frais de démontage et de nouveau montages occasionnés par le défaut allégué.
L’assurance s’étend, selon le chiffre 6.2 de la Master-Police, aux sinistres qui surviennent pendant la durée du contrat et qui sont déclarés à l’intimée au plus tard 60 mois après la fin du contrat (let. a). Selon la lettre b de la disposition, le moment de la survenance du sinistre est « celui où un dommage est constaté pour la première fois (par qui que ce soit) ».
Pour le tribunal cantonal, les frais de démontage et de remontage des panneaux ALP ont été réclamés par la class action des demandeurs avant que lesdits frais consécutifs au défaut du produit ne soient reconnus. Le rattachement temporel du sinistre à la police d’assurance fait défaut.
Dans son interprétation du contrat d’assurance, le TF constate l’absence de définition du dommage contenue dans la police d’assurance qui définit l’étendue des prestations assurées au titre des dommages corporels, des dommages matériels et des dommages patrimoniaux.
Le TF rappelle sa jurisprudence en matière d’interprétation des contrats (c. 2). Lors de l’interprétation d’une disposition contractuelle rédigée par l’une des parties, il est donc déterminant de savoir quel est l’objectif que l’autre partie doit raisonnablement reconnaître dans la disposition en tant que partenaire commercial de bonne foi. Parmi les postes des dommages réclamés, la police litigieuse ne couvre que les frais de démontage des produits défectueux et montage ultérieur de produits exempts de défauts faisant ainsi exception à l’exclusion des dommages purement économiques (c. 3.1.2).
Les demandeurs de la class action ont émis des prétentions non chiffrées tendant à l’élimination d’un défaut présumé en lien avec les composants des panneaux ACP, dont la teneur n’était pas conforme à la loi australienne. L’existence d’un dommage est la condition nécessaire à toute action en responsabilité. La survenance d’un sinistre constitue la condition préalable à la prestation d’assurance. La constatation de l'existence du dommage crée le point de départ de la réclamation. Les contrats d’assurance basés sur le « claims made » prévoient un rattachement temporel fondé sur le moment où l’assuré vient à connaissance des prétentions en dommages-intérêts. La doctrine part donc du principe que l’action suit la survenance du dommage (c. 5.2.1). Les autres clauses de la police litigieuse permettent de fonder le rattachement à la connaissance des prétentions qui seront négociées exclusivement par l’assureur lequel défendra son assuré contre les prétentions injustifiées.
En application des règles de la bonne foi, la constatation du dommage intervient lorsque l’on peut reconnaître les circonstances dont le lésé déduit ses prétentions. Le rattachement temporel n’exige pas que le dommage ait été vérifié et que les prétentions qui en résultent soient justifiées. Le démontage et le remontage des panneaux n’est pas une réparation du dommage au défaut (Mangelfolgeschäden), mais constitue une élimination et réparation du défaut de construction (Mangelbeseitigung). L’élimination du défaut empêche l’apparition d’un potentiel dommage consécutif au défaut (c. 5.4.1).
Le TF retient que la connaissance du défaut intervient la première fois à la date à laquelle les propriétaires d’étages ont vérifié en 2018, auprès du fournisseur, la composition du revêtement utilisé pour leur bâtiment. Le rattachement temporel est ainsi admis par le TF.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 9C_763/2023 du 25 juillet 2024
APG-Covid 19; changement de statut de l’entreprise; valeur des circulaires; légalité; art. 2 al. 3bis O APG COVID-19; 31 al. 3 let. c LACI
A., qui gérait un restaurant depuis 2017 dans le cadre d’une entreprise individuelle, a créé le 1er septembre 2020 une société à responsabilité limitée (Sàrl) dans laquelle il était seul inscrit. Le 29 mai 2021, il a sollicité des allocations pour perte de gain liée au coronavirus pour les mois de novembre 2020 à février 2021 auprès de la caisse de compensation qui a refusé sa demande. Le recours contre la décision sur opposition de la caisse de compensation a été rejeté par l’instance cantonale zurichoise le 26 octobre 2023.
Dans le contexte de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19, l’OFAS a établi une circulaire y relative (CCPG). Au N 1041.5a de ladite circulaire, qui a été introduit le 29 janvier 2021, il est prévu qu’en cas de changement de statut juridique d’une société, l’examen de la baisse du chiffre d’affaires, le droit et le calcul de l’allocation se basent uniquement sur le nouveau statut.
Le TF rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les circulaires de l’administration n’ont pas d’effets contraignants pour le juge. Toutefois, dès lors qu’elles tendent à une application uniforme et égale du droit, il convient d’en tenir compte et en particulier de ne pas s’en écarter sans motifs valables lorsqu’elles permettent une application correcte des dispositions légales et traduisent une concrétisation de celles-ci. En revanche, une circulaire ne saurait sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu’elle est censée concrétiser (c. 3.3).
Dans le cas d’espèce, l’introduction du N 1041.5a a posé de nouvelles exigences pour l’obtention des prestations qui ne figurent pas dans les bases légales. Ainsi, le droit de A. aux allocations est nié uniquement parce qu’il a changé la forme juridique de la société liée à son activité professionnelle. Le N 10415a ne conduit donc pas à une application correcte de l’art. 2 al. 3bis de l’O APG COVID-19, si bien qu’il y a lieu de s’en écarter (c. 4.2 et 4.3). La cause est renvoyée à l’instance inférieure pour une nouvelle détermination.
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 8C_456/2023 du 15 juillet 2024
Prestations complémentaires; droit d’habitation; dessaisissement de revenu; valeur locative; art. 11 et 11a LPC; 12 et 15e OPC-AVS/AI
Le TF s’est en premier lieu prononcé sur la question du droit transitoire, à la suite de l’entrée en vigueur au 1er janvier 2021 de nouvelles dispositions de la LPC et de l’OPC-AVS/AI (réforme des PC). Selon les dispositions transitoires, l’ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la réforme des PC aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels l’ancien droit est plus favorable. En l’espèce, le TF a considéré que les nouvelles dispositions devraient être applicables car à l’entrée en vigueur de la réforme des PC la personne était uniquement bénéficiaire de prestations complémentaires cantonales et non fédérales. Le TF n’a cependant pas été très affirmatif dans sa formulation et a relevé que l’issue du litige est en tout état de cause la même que l’on applique l’ancien droit ou le nouveau droit (c. 2.2).
Le TF s’est en second lieu prononcé sur la valeur à prendre en considération dans le calcul des prestations complémentaires versées à une personne qui était titulaire d’un droit d’habitation grevant le logement qu’elle habite et qui a ensuite renoncé à ce droit d’habitation.
Lorsqu’une personne est titulaire d’un droit d’habitation, la valeur locative doit être prise en considération dans les revenus déterminants (art. 11 al. 1 let. b LPC) (c. 5.1). Le fait de renoncer à un droit d’habitation sans obligation légale et contre-prestation adéquate correspond à un dessaisissement de revenu, dont il y a lieu de tenir compte dans le calcul des prestations complémentaires (art. 11a al. 2 LPC introduit au 1er janvier 2021 ; art. 11 al. 1 let. g aLPC) (c. 5.1 et 5.2). Depuis l’entrée en vigueur de la réforme des PC, si une personne renonce à un usufruit ou à un droit d’habitation, est prise en compte comme revenu la valeur locative diminuée des coûts que le titulaire de l’usufruit ou du droit d’habitation a assumés ou aurait dû assumer en lien avec l’usufruit ou le droit d’habitation (art. 15e OPC-AVS/AI introduit au 1er janvier 2021) (c. 5.1). L’ancien droit ne prévoyait pas de dispositions particulières sur la valeur à prendre considération, mais la jurisprudence considérait que dans le cas d’une renonciation à un usufruit immobilier il fallait tenir compte d’un revenu fictif correspondant aux intérêts sur la valeur vénale de l’immeuble sur lequel portait l’usufruit (c. 5.2, 6.2 et 6.3).
En l’espèce, le litige portait sur la question de savoir si le montant du dessaisissement devait correspondre à la valeur locative du droit d’habitation auquel il a été renoncé ou aux intérêts sur la valeur vénale de l’immeuble sur lequel portait le droit d’habitation, calculés selon le taux d’intérêt moyen pour les obligations et bons de caisse en Suisse au cours de l’année précédant celle de l’octroi de la prestation complémentaire, par référence à la jurisprudence développée sous l’ancien droit en matière d’usufruit (c. 4).
Le TF a jugé que la jurisprudence rendue dans le cas d’une renonciation à un usufruit immobilier ne trouvait pas application s’agissant de la renonciation à un droit d’habitation. Contrairement aux arrêts rendus en matière d’usufruit, l’immeuble n’avait pas été aliéné et il n’y avait pas eu de contrepartie à la radiation du droit d’habitation. En effet, le droit d’habitation est incessible quant à la substance et à l’exercice, de sorte que son bénéficiaire ne peut pas en tirer profit. Le TF a ainsi jugé que pour fixer la contre-valeur de la renonciation à un droit d’habitation, il ne se justifie pas de se référer aux intérêts sur la valeur vénale du logement, qui n’a pas été aliéné et alors même que la personne ayant renoncé à son droit d’habitation n’a aucune prétention sur lesdits intérêts. La renonciation à un droit d’habitation doit être appréciée à la valeur locative (c. 6.4).
Enfin, le TF a relevé que la question de savoir si la jurisprudence développée en matière d’usufruit restait valable à l’aune des nouvelles dispositions introduites au 1er janvier 2021 (art. 11a al. 2 LPC et art. 15e OPC-AVS/AI) pouvait rester ouverte (c. 6.4).
Auteure : Clio Herrmann, avocate à Genève

TF 4A_336/2023 du 12 juillet 2024
Responsabilité médicale; régime conventionnel de responsabilité; interprétation des contrats; causalité; art. 18 et 97 CO
Le TF est amené à trancher la question de savoir qui, d’un médecin indépendant ou d’un établissement médicalisé, doit assumer la responsabilité d’une atteinte à un patient, au sens de la convention de collaboration les liant. Selon cette convention, l’établissement médicalisé répondait seul des dommages causés à des tiers par le médecin concerné, dans le cadre de l’activité déployée en son sein. A cet effet, l’assurance responsabilité civile de l’établissement couvrait les dommages causés par ce patricien.
Dans le cadre d’une procédure séparée initiée par le patient lésé, la responsabilité du médecin a été admise au motif d’une erreur de diagnostic commise lors d’une consultation préopératoire s’étant tenue dans son cabinet médical privé – et non une erreur de traitement, les interventions au sein de l’établissement médicalisé ayant été exécutées dans les règles de l’art. Le choix de l’intervention litigieuse, compte tenu des caractéristiques du patient, constituait une faute de la part du médecin, tout comme l’absence de renseignement adéquat. Le lien de causalité entre le dommage subi par le patient et l’erreur de diagnostic était ainsi réalisé.
Si ce jugement n’est pas directement opposable à l’établissement médicalisé, il a en revanche valeur de moyen de preuve dans le procès ultérieur dans lequel il est défendeur/intimé, objet du présent arrêt.
En application des règles d’interprétation des contrats (déduites de l’art. 18 CO), la réelle et commune intention des parties a pu être établie, en ce sens que – selon la convention de collaboration – la responsabilité de l’établissement s’appliquait uniquement aux actes réalisés dans ses locaux. Il a également été établi que l’erreur de diagnostic était non seulement imputable au médecin, mais également la cause du dommage subi par le patient. Cette erreur n’avait par ailleurs pas été commise dans les locaux de l’établissement (mais dans le cabinet médical privé du médecin). Les opérations qui ont eu lieu au sein de celui-ci ont, quant à elles, été jugées comme ayant été pratiquées conformément aux règles de l’art.
Dans ces circonstances, le TF a confirmé que la consultation médicale à l’origine de l’erreur de diagnostic, effectuée hors de l’établissement médicalisé, n’était pas couverte par le régime de responsabilité de la convention conclue entre ce dernier et le médecin responsable. La responsabilité de l’établissement ne s’étendait ainsi pas à la consultation préopératoire qui s’est déroulée au cabinet médical privé du médecin. Il ne suffit par ailleurs pas qu’il y ait une causalité naturelle entre les opérations effectuées au sein de l’établissement et le dommage pour engager sa responsabilité. Encore faut-il qu’il y ait un rapport de cause à effet entre le chef de responsabilité, soit un acte illicite ou une violation du devoir de diligence de l’établissement, et le dommage.
Partant, il revient à l’assurance responsabilité civile du médecin (demandeur/recourant – débouté en l’espèce) de couvrir le dommage.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat

TF 8C_582/2022 du 12 juillet 2024
Assurance-accidents; maladie professionnelle; COVID long; art. 9 al. 1 et 2 LAA
Z., née en 1966, était employée dans une clinique en qualité de psychologue et assurée de ce fait à la LAA. Le 22 octobre 2020, elle a contracté le COVID-19. Le 17 février 2021, la clinique a annoncé le cas à son assureur-accidents, qui a refusé de verser des prestations, au motif notamment qu’il n’était pas démontré que l’assurée avait bien contracté le COVID-19 sur sa place de travail et qu’en qualité de psychologue, elle ne travaillait pas directement avec des patients atteints de ce virus. Le TF a rejeté le recours formé par l’assurée, au motif qu’elle n’avait pas démontré que son atteinte à la santé était due à « certains travaux » (art. 9 al. 1 LAA en lien avec le ch. 2 de l’annexe 1 OLAA) dans l’exercice de son activité professionnelle ce qui, d’emblée, excluait également une application de l’art. 9 al. 2 LAA.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_823/2023 du 8 juillet 2024
Assurance-invalidité; revenu de valide, abattement sur le salaire statistique, disposition réglementaire, légalité; art. 16 LPGA; 28a al. 1 LAI; 26bis al. 3 aRAI
L’art. 26bis al. 3 RAI, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, n’est pas conforme au droit supérieur. S’agissant d’une disposition d’ordonnance dépendante visant à compléter la loi, elle doit être conforme à la disposition légale sur laquelle elle se fonde, en l’espèce sur l’art. 28a al. 1, 2e phrase, LAI. Procédant à l’interprétation littérale et historique de cette disposition, le TF parvient à la conclusion que le législateur n’a jamais eu la volonté de voir abandonner la pratique jurisprudentielle adoptée jusqu’ici en matière d’abattement sur le salaire statistique. Si le recours aux statistiques est souvent nécessaire pour évaluer la perte de gain, le but des assurances sociales, singulièrement de l’assurance-invalidité, dont la vocation est universelle, n’en demeure pas moins de tenir compte le plus possible des particularités de la personne assurée (« im Versicherungsfall steht der oder die einzelne versicherte Person im Fokus » ; c. 9.5.1). Il n’existe pas d’indice permettant de penser que le nouveau droit implique un changement de ce paradigme, réaffirmé à plusieurs reprises par le TF, y compris dans sa jurisprudence récente. Au contraire, le fait d’avoir désormais adopté un système de rente linéaire rend plus importante encore l’évaluation de l’invalidité au point de pourcentage près (c. 9.5.2).
Le TF critique la décision du législateur d’adopter une réglementation spécifique pour l’évaluation du revenu d’invalide, singulièrement pour les facteurs d’abattement sur le salaire statistique, dans le domaine de l’assurance-invalidité. En effet, l’évaluation de l’invalidité fait l’objet d’une disposition légale se trouvant à l’art. 16 LPGA, disposition applicable non seulement à l’assurance-invalidité, mais aussi à l’assurance-accidents et à l’assurance militaire. L’interprétation que l’OFAS veut faire de l’art. 26bis al. 3 RAI ferait obstacle à une évaluation uniforme de l’invalidité. La cohérence de l’ordre juridique commande au contraire que l’on interprète cette disposition en laissant la possibilité, dans l’assurance-invalidité également, d’autres facteurs d’abattement que le travail à temps partiel (c. 10.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_690/2023 du 2 juillet 2024
Prestations complémentaires; fortune mobilière, prise en compte d’une prestation de libre passage, demande de rente d’invalide pendante; art. 9a al. 1 let. a LPC; 16 al. 2 OLP
Le TF se penche sur le droit du recourant aux prestations complémentaires à compter du 1er juin 2022, qui correspond au mois suivant l’entrée en force d’une décision de l’assurance-invalidité allouant une rente entière d’invalidité à celui-ci. Le recourant s’est vu refuser le droit aux prestations complémentaires, la caisse cantonale de compensation AVS ayant considéré que sa fortune mobilière de CHF 144'037.30 (avoir de libre passage) dépassait le seuil de CHF 100'000.- à partir duquel les personnes seules n’avaient pas droit aux prestations (art. 9a al. 1 let. a LPC). L’autorité administrative, suivie par les juges cantonaux, a considéré que le recourant avait la possibilité de demander le versement de son capital de prévoyance sur la base de l’art. 16 al. 2 OLP et que ce retrait était exigible de sa part compte tenu de son devoir d’atténuer les conséquences du dommage causé par le fait de toucher des prestations complémentaires. Le recourant se prévalait de l’existence d’une action judiciaire visant à obtenir une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle, toujours pendante.
Selon une jurisprudence constante, seuls les revenus effectivement perçus et les valeurs patrimoniales existantes dont le bénéficiaire de prestations peut disposer sans restriction peuvent être prises en compte dans l’évaluation du droit aux prestations complémentaires, dans la mesure où celles-ci ont pour but de couvrir les besoins vitaux courants. Demeure réservé le cas de la renonciation à des revenus ou à des valeurs patrimoniales. En d’autres termes, la prise en compte d’une valeur patrimoniale dans le cadre de l’art. 11 al. 1 let. c LPC repose sur la fiction qu’elle peut être transformée en tout temps en fortune liquide et consommée en tant que telle. Si la conversion en liquidités n’est pas possible ou si l’accès à celles-ci est refusé, la prise en compte n’a pas lieu.
Le capital de libre passage que l’ayant droit aux prestations complémentaires pourrait percevoir en vertu de l’art. 16 al. 2 OLP doit être imputé comme élément de fortune non seulement en cas de versement effectif mais déjà lorsque le versement est légalement admissible. Le TF a ainsi jugé que le droit au versement au sens de l’art. 16 al. 2 OLP d’un avoir provenant d’un compte de libre passage naissait au moment de l’entrée en force de la décision d’octroi d’une rente entière de l’assurance-invalidité.
Le TF a rappelé que, le cas échéant, l’absence de restitution de l’avoir de prévoyance professionnelle serait sanctionnée par une réduction des prestations d’invalidité. Ainsi, le TF a considéré qu’il n’était pas exigible du recourant qu’il retire son capital de libre passage si cela avait pour conséquence de prétériter son droit à une rente d’invalidité non réduite de la prévoyance professionnelle. Il s’ensuit en l’espèce que l’avoir figurant sur le compte de libre passage du recourant ne doit pas être pris en compte dans l’évaluation de son droit aux prestations complémentaires, cela jusqu’à droit connu sur la procédure relative à son droit éventuel à une rente de la prévoyance professionnelle. Ensuite, si le recourant se voit dénier le droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle, il n’y aura plus d’obstacle à la prise en considération de l’avoir de prévoyance dans le calcul des prestations complémentaires. Dans le cas contraire, en cas de paiement rétroactif de rentes d’invalidité du deuxième pilier, le montant de la rente arriérée afférente à la même période devra être pris en compte dans l’année civile pour laquelle une prestation complémentaire a été payée, afin d’éviter tout risque de surindemnisation. Le recourant pourra alors être tenu de restituer les éventuelles prestations complémentaires versées en trop, dans un but de rétablissement de l’ordre légal.
En résumé, le droit au versement de l’avoir de libre passage selon l’art. 16 al. 2 OLP ne doit pas être pris en compte dans l’évaluation du droit aux prestations complémentaires lorsqu’un assuré fait valoir de manière active son droit à une rente d’invalidité du deuxième pilier. Sont réservées les situations où l’assuré ne concrétise pas son intention d’obtenir la rente d’invalidité du deuxième pilier ou si, après un examen sommaire des circonstances, ses prétentions apparaissent clairement mal fondées.
Auteures : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne, et Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


ATF 150 V 391, TF 8C_485/2023 du 19 juin 2024
Assurance-accidents; travailleuse salariée à temps partiel, activité indépendante non assurée en LAA, accident survenant pendant l’exercice de l’activité indépendante, accident non professionnel; art. 1a, 7 et 8 LAA; 13 OLAA
En présence d’une assurée, salariée à 25 % pour une activité de cuisinière à hauteur de 8.5 heures hebdomadaires auprès de l’entreprise B. AG, et exerçant parallèlement une activité à 75 % en qualité d’agricultrice indépendante, avec son époux, sur leur propre domaine agricole (sans couverture d’assurance facultative pour cette activité indépendante), le TF a considéré que les conséquences d’un accident, survenu dans le cadre de travaux agricoles et ayant entraîné un traitement dentaire, devaient être prises en charge par l’assureur-accidents de l’entreprise B. AG, au titre d’accident non professionnel (d’un assuré travaillant à temps partiel et non assuré à titre facultatif pour son activité lucrative indépendante). Le TF a ainsi confirmé sa jurisprudence antérieure (ATF 139 V 457), la doctrine partageant unanimement cette interprétation dans la perspective d'une couverture d'assurance la plus globale possible.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 150 V 363, TF 9F_18/2023 du 19 juin 2024
Assurance-invalidité; révision, expertise; art. 123 LTF
Un assuré obtient, en 2000, une rente d’invalidité avec effet rétroactif à partir de novembre 1992. En 2016, à la suite d’une enquête pénale pour soupçon de fraude à l’assurance, la rente est suspendue par l’assurance-invalidité. Cette dernière a, dans le cadre de son instruction, mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire auprès du centre d’expertise PMEDA SA. Sur la base du rapport d’expertise notamment, l’assurance-invalidité a rendu une décision mettant un terme aux prestations rétroactivement à compter du 1er octobre 2005 et une décision ordonnant la restitution d’un montant de CHF 249’589.-. Le recours de l’assuré à l’encontre de ces décisions a été rejeté par le TF (TF 9C_444/2021 et 9C_496/2021). Le 4 octobre 2023, la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans l’évaluation médicale (COQEM) a recommandé de ne plus attribuer de mandats au centre d’expertises PMEDA SA en raison de graves lacunes sur le plan de la forme et du contenu. L’assuré dépose une requête en révision auprès du TF des deux jugements précités.
Le TF rappelle ainsi que conformément à l’art. 123 al. 2 let. a LTF, la révision peut être demandée dans les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’il n’avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt. Seuls peuvent donc être invoqués des faits anciens, découverts après coup (pseudo nova), la nouveauté se rapportant ainsi à la découverte et non aux faits eux-mêmes, les faits postérieurs, soit les véritables nova, étant exclus (c. 4.1). Le TF souligne également que 5 conditions doivent être remplies pour obtenir une révision au sens de la disposition précitée (c. 4.1 et 4.2).
Dans le cas d’espèce, le TF précise que la Commission a procédé à une vérification du travail du centre PEMEDA SA afin notamment de s’assurer du respect de certaines directives applicables dès le 1er janvier 2022. Cet examen a montré que les expertises présentaient des lacunes considérables, tant en ce qui concerne le respect des prescriptions formelles de l’OFAS qu’en ce qui concerne la qualité du contenu technique et la traçabilité (c. 5.3.2). Cela étant dit, le TF souligne que le travail de la Commission s’est fondé sur des échantillons d’expertises PMEDA SA des années 2022 et 2023. Aussi, les constatations et recommandations de la Commission ne constituent pas des faits nouveaux importants au sens de l’art. 123 al. 2 let. a LTF car l’annonce de la Commission concernait une situation postérieure à la date de transmission de l’expertise de l’assuré (expertise rendue le 30 octobre 2018). Aussi, le communiqué de la Commission n’apportait aucun éclairage nouveau quant à la propre situation du recourant.
Par ailleurs, le présent cas différait également de la jurisprudence publiée à l’ATF 144 V 258. En effet, dans cette décision le TF a admis le motif de révision dans un dossier expertisé auprès d’une clinique genevoise au motif que, s’il avait été informé des graves manquements relatifs à ces rapports, il aurait considéré que ceux-ci entachaient la confiance placée dans une exécution lege artis de l’expertise de sorte qu’il aurait constaté que le rapport en question ne pouvait servir de fondement à la décision relative au droit aux prestations de l’assurance-invalidité (c. 5.4.1).
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains


ATF 150 V 354, TF 8C_657/2023 du 14 juin 2024
Assurance-accidents; taux d’invalidité, revenu d’invalide, statistiques ESS, niveau de compétence; art. 6 al. 1 et 18 al 1 LAA; 16 LPGA
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’OFS par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé. Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé. Le TF a rappelé que, pour déterminer le niveau de compétences, l’accent est avant tout mis sur le type de tâches à assumer en fonction des qualifications de la personne concernée. En particulier, avoir suivi des cours de droit à l’université, toutefois sans titre universitaire à la clé, ne remplace pas la formation et l’expérience nécessaires pour accomplir les tâches spécifiques de la profession de secrétaire juridique. Il en va de même pour les autres domaines, en particulier la profession de photographe ou de « dirigeant d’une petite entreprise », lorsque l’expérience acquise par l’assuré à cet égard a été développée dans son temps libre, à côté de son activité de garde-frontière. Sans nier d’emblée ses capacités, le TF a confirmé qu’on ne peut pas considérer, selon le degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré puisse directement exercer ces mêmes activités en tant que professionnel et assumer les tâches pratiques complexes qui s’y rapportent. Seul le niveau de compétences 2 dans la détermination du revenu d’invalide doit dès lors être pris en considération.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 150 V 334, TF 8C_741/2023 du 14 juin 2024
Assurance-invalidité; allocation pour impotent, prestation supplémentaire en raison du besoin d’accompagnement, coordination des prestations; art. 66 LPGA; 42 al. 3 LAI; 37 al. 1 et 38 RAI; 26 LAA; 38 OLAA
L’assuré gravement impotent au sens de l’art. 37 al. 1 RAI a droit à une allocation maximale suivant l’art. 42ter LAI, indépendamment du fait qu’il aurait en outre besoin ou non d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, selon les prévisions des art. 42 al. 3 LAI et 38 RAI, correspondant à une impotence faible. Une prestation supplémentaire en raison du besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie n’entre alors pas en considération (c. 6.1).
Quant à l’impotence qui résulte d’un accident et qui suscite l’octroi d’une indemnité pour impotence grave selon les art. 26 LAA et 38 al. 2 OLAA, elle ne justifie pas non plus une prestation en vertu de l’art. 42 al. 3 LAI, quand bien même la législation sur l’assurance-accidents ne connaît pas l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie comme cause d’impotence (cf. art. 38 OLAA). En effet, l’octroi de l’allocation pour impotence grave LAA exclut, en vertu de l’art. 66 LPGA, aussi bien une allocation pour impotence grave au sens de l’art. 37 al. 1 RAI qu’une hypothétique prestation pour un tel accompagnement, qui n’est pas prévue de façon distincte en matière d’assurance-invalidité (c. 6.2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


TF 8C_748/2023 du 6 juin 2024
Assurance-accidents; indemnité journalière, âge de la retraite, absence de surindemnisation; art. 16 LAA; 22 al.3 OLAA; 68 LPGA; 62 CO
En date du 8 juillet 2021, l’assurée, née en septembre 1958, s’est blessée notamment au membre supérieur gauche ainsi qu’à la cheville droite à la suite d’une chute à son domicile. L’assureur-accidents (SWICA) a diligenté une première expertise orthopédique, prévoyant une probable stabilisation des troubles dans un délai de 18 mois dès l’accident, avant de se raviser et de décider que cette expertise n’était pas assez complète. Durant l’instruction complémentaire, l’employeur a fait savoir à SWICA que l’assurée, engagée par contrat de travail de durée déterminée jusqu’à sa retraite, n’avait pas l’intention de travailler au-delà du 31 octobre 2022 (64 ans). SWICA en a, dès lors, profité pour mettre un terme au versement de ses indemnités journalières LAA avec effet au 31 octobre 2022. Le Tribunal cantonal genevois a annulé la décision de SWICA et condamné l’assureur à verser des indemnités journalières jusqu’au 27 mars 2023.
En substance, dans son recours, SWICA conteste auprès du TF le droit de l’assurée à l’indemnité journalière au-delà du moment où elle a atteint l’âge de la retraite.
Le TF rappelle sa jurisprudence en la matière (ATF 130 V 35 et ATF 134 V 392) et nie toute violation du principe de l’égalité de traitement, rappelant que l’indemnité journalière est calculée de manière abstraite et rétrospective, sur la base du revenu perçu avant l’accident ; pour éviter des lacunes d’assurance et pour des raisons de simplification administrative, le législateur a renoncé à mettre fin au versement des indemnités journalières pour les assurés qui auraient cessé leur activité après l’âge de la retraite, pour autant que leur droit aux indemnités journalières ait pris naissance auparavant ; il s’agit donc d’un choix du législateur, guidé par des motifs de praticabilité, dont il n’y a pas lieu de s’écarter, selon le TF.
Par ailleurs, en ce qui concerne la surindemnisation invoquée par SWICA pour soutenir un enrichissement illégitime (art. 62 CO), le TF nie toute absence de cause légitime, le versement de l’indemnité journalière LAA trouvant son fondement dans l’accident, tandis que l’allocation de rente AVS a pour origine l’arrivée de l’assurée à l’âge de la retraite. Dès lors, la concordance événementielle requise par l’art. 69 LPGA doit être niée entre ces prestations qui ne sont pas de même nature.
Le TF rejette donc le recours de SWICA.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion

ATF 150 V 316, TF 9C_141/2023 du 5 juin 2024
Assurance-invalidité; indemnité journalière, personne de condition indépendante, indépendant, fixation du montant de l’indemnité journalière, salaire soumis à cotisations; art. 23 et 24 LAI; 21quater RAI
Selon l’art. 23 LAI, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2012, l’indemnité de base s’élève à 80 % du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé. Le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fond sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant) (al. 3). Selon l’art. 21quater al. 1 RAI, l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS. Selon le chiffre 0835 de la circulaire de l’OFAS concernant les indemnités journalières de l’assurance-invalidité (CIJ), en vigueur depuis le 1er janvier 2022, pour les personnes de condition indépendante, le revenu déterminant pour le calcul de l’indemnité journalière se fonde sur le dernier revenu d’activité lucrative, converti en revenu journalier, précédant la survenance de l’atteinte à la santé, et sur lequel des cotisations AVS ont été prélevées
La juridiction cantonale a retenu que selon l’extrait du compte individuel AVS, le revenu annuel (brut) du recourant s’élevait à CHF 66'400.- pour l’année 2013. Les cotisations sociales correspondantes n’avaient cependant pas été acquittées par le recourant dans leur totalité. Pour l’année 2013, le recourant avait uniquement versé les cotisations correspondant à un revenu annuel (brut) de CHF 9'333.-, le solde des créances de cotisations étant présumé irrécouvrable. L’argumentation du recourant soulève la question de savoir quel est le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI : celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées, comme l’a retenu la juridiction cantonale, ou celui qui est soumis au prélèvement de cotisations et sert de base pour la fixation des cotisations, comme le prétend le recourant.
Le TF procède à une interprétation du texte légal. Selon lui, la volonté du législateur est claire. Les interprétations historique et systématique conduisent à retenir que l’art. 23 al. 1 LAI, lu en corrélation avec les art. 17 ss RAI, ne prévoit nullement que les cotisations sont réputées formatrices des indemnités journalières de la LAI dans la mesure seulement où elles sont versées. Au contraire, il y a lieu de comprendre que l’art. 23 al. 1 LAI, en lien avec l’art. 21quater al. 1 RAI, prévoit que l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS (et non pas celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées).
En conséquence, la juridiction cantonale a fait une application erronée du droit fédéral en fixant le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI en fonction du « revenu pour lequel le recourant avait matériellement versé les cotisations » (de CHF 9'333.-) et en corrigeant en conséquence le revenu de l’année 2013 soumis aux cotisations (de CHF 66'400.-). Bien fondé, le recours est admis
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève


TF 9C_540/2023 du 3 juin 2024
Assurance-vieillesse et survivants; convention de sécurité sociale Suisse-Portugal, exercice du droit à libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, périodes de cotisations à l’étranger; art. 33bis LAVS
Un assuré, né en 1956 au Portugal, y a travaillé et accompli des périodes de cotisations jusqu’à son entrée en Suisse le 2 avril 1987, cotisant depuis lors au système suisse d’assurances sociales. Souffrant des séquelles d’un accident survenu en 1991, il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité à compter du 1er octobre 1992. Sa rente s’élevait à Frs 2’390 par mois depuis le 1er janvier 2021 et était calculée en fonction d’une durée de cotisations de quinze ans, de l’échelle de rente 44, de bonifications pour tâches éducatives (2.5), d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 67’398.- et d’une durée de cotisations pour ce dernier de quatre ans et cinq mois. Elle tenait compte des périodes de cotisations au Portugal et d’un supplément pour veuvage. Ayant atteint l’âge de la retraite, la caisse de compensation lui a accordé une rente de vieillesse mensuelle de Frs 1’310 depuis le 1er novembre 2021. La rente était calculée en fonction d’une durée de cotisations de trente-quatre ans et cinq mois, de l’échelle de rente 34, de bonifications pour tâches éducatives (3.0), d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 24’378.- et d’une durée de cotisations pour ce dernier de trente-trois ans et sept mois. Elle ne tenait plus compte des périodes de cotisations au Portugal, mais toujours d’un supplément pour veuvage.
Le litige porte sur la question du montant de la rente de vieillesse du recourant succédant à sa rente AI. L’assuré reproche en effet à la caisse de compensation de ne pas avoir pris en compte les périodes de cotisations accomplies au Portugal et d’avoir retenu une échelle de rente ainsi qu’un revenu annuel moyen erronés.
En vertu de l’art. 33bis al. 1 LAVS, les rentes de vieillesse ou de survivants sont calculées sur la base des mêmes éléments que la rente d’invalidité à laquelle elles succèdent, s’il en résulte un avantage pour l’ayant droit. En ce qui concerne les périodes de cotisations acquittées à l’étranger, le TF a examiné s’il y a lieu de prendre en compte les périodes de cotisations réalisées au Portugal dans le calcul d’une rente de vieillesse succédant à une rente d’invalidité d’un ressortissant portugais ayant exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etat membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, et dont la rente suisse de vieillesse avait été octroyée par décision rendue en octobre 2021.
Pour les juges fédéraux, un litige relève de la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur de l’ALCP lorsque le champ d’application temporel de cet accord et des règlements de coordination qui en découlent, ainsi que le champ d’application personnel du R CE n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, sont remplis. Selon ce règlement, l’assuré avait droit à la conversion de sa rente suisse d’invalidité en une rente suisse de vieillesse calculée en fonction exclusivement des périodes suisses de cotisations dès qu’il avait atteint l’âge de la retraite en Suisse. Il ne pouvait, en revanche, pas prétendre une rente portugaise de vieillesse tant qu’il n’avait pas atteint l’âge de la retraite au Portugal. Toutefois, dans l’intervalle de ces deux dates, il pouvait prétendre à une rente portugaise transitoire d’invalidité, calculée en fonction des périodes portugaises de cotisations, qui se cumule provisoirement avec la rente suisse de vieillesse. Le Tribunal fédéral a précisé qu’il serait ensuite procédé à un nouveau calcul de la rente suisse de vieillesse, une fois l’âge de la retraite au Portugal atteint.
En l’occurrence, comme l’assuré a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, il peut se prévaloir de l’application d’une convention se sécurité sociale plus favorable. Il convenait par conséquent de déterminer concrètement si le système mis en place par la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal est plus favorable que celui mis en place par l’ALCP.
L’art. 12 par. 2 de de la convention Suisse-Portugal prévoit que les rentes ordinaires de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse venant se substituer à une rente d’invalidité sont calculées sur la base des dispositions légales suisses compte tenu exclusivement des périodes de cotisations suisses. Si toutefois les périodes d’assurance portugaise, compte tenu de l’art. 20 de la convention et des dispositions d’autres conventions internationales, n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation portugaise analogue, elles sont également prises en compte pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base au calcul des rentes suisses susmentionnées.
Dès lors que les textes des conventions Suisse-Portugal et Suisse-Espagne sont identiques, il n’y a pas lieu de faire une interprétation différente de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal que celle qui a été faite de l’art. 9 par. 4 de la convention Suisse-Espagne dans l’ATF 112 V 145. La totalisation des périodes portugaises d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation portugaise analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation portugaise naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 12 par. 2 première phrase de la convention Suisse-Portugal. Cela signifie concrètement que l’assuré peut prétendre la prise en compte des périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente de vieillesse jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la retraite au Portugal, pour autant que cette solution soit plus favorable au système mis en place par le R n° 883/2004.
In casu, il ne ressort pas du dossier que la caisse aurait examiné si le système de la convention Suisse-Portugal ou celui du R n° 883/2004 s’appliquerait, ni lequel serait plus favorable au recourant. A cet égard, le TF a déjà considéré que le point de savoir quel système était plus favorable au recourant nécessitait un calcul comparatif fondé sur les informations dont l’obtention, ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale. Il convient par conséquent de rejeter la conclusion principale, en tant qu’elle postule le versement de la rente la plus favorable pour une durée indéterminée, et d’admettre la conclusion subsidiaire de renvoi.
L’arrêt cantonal attaqué est annulé, et la cause est renvoyée à l’administration pour complément d’instruction et nouvelle décision. Le TF précise toutefois qu’il n’y a pas lieu d’annuler la décision de rente litigieuse dont il n’est pas encore établi qu’elle soit contraire au droit. Il n’est pas davantage nécessaire de se prononcer sur les autres griefs de l’assuré dans la mesure où la caisse intimée devra justifier ses nouveaux calculs. Le TF admet ainsi partiellement le recours de l’assuré.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne
Note : dans une affaire dont l’état de fait était comparable, mais qui concernait une personne qui n’avait pas bénéficié au préalable d’une rente d’invalidité, le TF a jugé qu’il n’y avait pas d’inégalité de traitement entre les deux situations (TF 9C_631/2023).

ATF 150 II 465, TF 1C_653/2022 du 3 juin 2024
LAVI; aide immédiate, frais d’hébergement, degré de la preuve; art. 2 let. a LAVI
Une femme victime de contrainte de la part de son mari demandait l’aide d’urgence au sens de l’art. 2 let. a LAVI. Les autorités inférieures avaient nié à la requérante le droit à cette prestation au motif que l’atteinte dont elle avait souffert n’était pas d’une gravité suffisante et n’était pas en lien de causalité avec sa demande d’aide. La requérante avait quitté le domicile familial pour se rendre dans un centre d’accueil d’urgence. Elle demandait le remboursement des frais d’hébergement.
Le TF a rappelé tout d’abord que la contrainte au sens de l’art. 181 CP constituait une infraction susceptible de porter une atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne et pouvant ainsi ouvrir le droit à l’aide de la LAVI conformément à l’art. 1 al. 1 LAVI. Il a rappelé que, pour l’examen du droit aux prestations, ce n’était pas la gravité de l’infraction pénale qui était déterminante, mais la gravité de l’atteinte subie par la personne lésée. S’agissant de l’aide d’urgence, le TF a relevé qu’il ne fallait pas se fonder sur un degré de preuve stricte. Au contraire, dans la mesure où l’aide doit être accordée d’urgence, l’autorité doit se contenter d’une simple crédibilité de l’allégation de la part de la requérante. C’est ainsi que l’aide peut être fournie même si la situation de fait n’est pas entièrement clarifiée. En particulier, on ne peut exiger un diagnostic concret d’ordre médical. Dans le cas d’espèce, le TF a réformé l’avis des autorités précédentes en considérant que la contrainte subie par la requérante, laquelle l’avait poussée à quitter le domicile familial pour un centre d’accueil d’urgence, couplé à un suivi psychologique, avait causé une atteinte suffisante pour justifier l’octroi de prestations d’urgence au sens de la LAVI.
Dans un considérant complémentaire, le TF s’est également prononcé sur la question de la causalité entre l’atteinte subie et la prestation à allouer d’urgence. Il a considéré que la notion de causalité était identique à celle du droit de l’assurance accident. A nouveau, dans le cadre d’un examen d’une prestation d’urgence, la preuve ne doit pas être stricte et l’on peut se contenter d’une situation de fait simplement crédible. Il a également considéré, dans le cas d’espèce, que ce lien de causalité était donné.
Le TF a enfin considéré que le séjour dans un centre d’urgence à la suite d’une contrainte émanant du conjoint était approprié et adéquat. Par conséquent, il a considéré que les conditions liées au droit à une aide d’urgence, sous la forme d’un hébergement dans un centre, étaient données dans le cas d’espèce. Il a ainsi réformé l’arrêt cantonal afin que les coûts d’hébergement puissent être pris en charge.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne


TF 4A_411/2023 du 3 juin 2024
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; accidents successifs de la circulation routière, causalité naturelle, pluralité de causes, causalité alternative; art. 58 LCR
La personne lésée qui, sans faute de sa part, est impliquée dans un premier accident en tant que conductrice de son véhicule, puis dans un second accident en tant que passager d'une dépanneuse, a le fardeau de prouver la causalité naturelle (art. 8 CC ; c. 3.1). Il y a causalité alternative lorsqu’un préjudice résulte de plusieurs causes entières, dont une seule peut avoir provoqué le préjudice, sans qu’il soit possible de déterminer laquelle. Dans un tel cas de figure, la responsabilité est exclue, car la simple possibilité de causer un préjudice ne suffit pas à établir un lien de causalité (c. 4).
Auteur : Scott Greinig, MLaw, assistant-doctorant à la Faculté de droit de Neuchâtel


ATF 150 V 305, TF 8C_184/2023 du 29 mai 2024
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, restitution, péremption, délai relatif, dies a quo; art. 25 al. 2 LPGA
Il n’est pas possible de maintenir la jurisprudence du TF qui s’écarte de l’ATF 110 V 304 en ce qui concerne la restitution de prestations indûment versées à la suite de la suppression d’une rente invalidité.
Le délai de péremption relatif devra donc à l’avenir toujours être déterminé sur la base des circonstances concrètes du cas d’espèce, en fonction de la prise de connaissance avec l’attention requise et raisonnablement exigible. L’abandon de la pratique particulière qui consistait à retenir l’entrée en force de la décision de suppression de la rente comme le moment déclencheur du délai de péremption relatif signifie qu’il faut toujours se baser pour fixer le début du délai de péremption relatif sur le moment où l’administration a reconnu ou aurait dû reconnaître, en faisant preuve de l’attention qu’on pouvait attendre d’elle – et indépendamment de l’entrée en force de la décision de suppression de la rente – que les conditions pour une restitution étaient remplies. Sur la base de la jurisprudence selon l’ATF 148 V 217 (c. 5.1.1), il ne peut y avoir un point fixe temporel uniforme pour le début du délai de péremption relatif. Ce sont toujours les circonstances du cas d’espèce qui sont déterminantes pour savoir à quel moment l’administration doit avoir connaissance de l’existence et de l’étendue du droit à la restitution. La condamnation pénale peut, mais ne doit pas nécessairement, coïncider avec cette connaissance de l’administration.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg



ATF 150 V 323, TF 8C_435/2023 du 27 mai 2024
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, absence de formation à cause de l’invalidité, droit transitoire; art. 26 al. 6 RAI; let. b Disp. trans. RAI 2021
Un assuré né en 1999 souffre notamment d’un TDAH. Il ne parvient pas à terminer une formation. Selon l’art. 26 al. 1 aRAI, il n’a pas droit à une rente AI. En revanche, tel serait le cas si on appliquait le nouvel art. 26 al. 6 RAI. L’autorité précédente estime toutefois que l’ancien droit continuerait à s’appliquer même après l’entrée en vigueur au 1er janvier 2022 du nouveau droit.
Le Tribunal fédéral rappelle que s’il n’y a pas de disposition transitoire spécifique, les principes généraux du droit valables en matière de droit intertemporel imposent que, en cas de prestation durable, on applique la disposition en vigueur pour la période considérée (c. 4.2). Ainsi, l’assuré n’a pas droit à une rente pour la période durant laquelle l’art. 26 al. 1 aRAI était en vigueur, ce qui n’est contesté par personne. En revanche, dès l’entrée en vigueur de l’art. 26 al. 6 RAI, soit le 1er janvier 2022, c’est à l’aune de cette disposition que le droit de l’assuré s’analyse.
L’office AI intimé prétend que les principes généraux susmentionnés ne seraient pas applicables. Il se réfère à la let. b Disp. trans. RAI 2021, qui dispose que « si une rente AI a été octroyée avant l’entrée en vigueur de la modification du 3 novembre 2021 à un assuré qui, en raison de son invalidité, n’a pas pu acquérir de connaissances professionnelles suffisantes et si cet assuré n’avait pas encore 30 ans au moment de l’entrée en vigueur de la modification, le droit à la rente AI doit être révisé selon les nouvelles dispositions dans l’année qui suit. En sont exclus les assurés qui perçoivent déjà une rente entière. Une éventuelle augmentation de la rente a lieu au moment de l’entrée en vigueur de la modification du 3 novembre 2021 ». Cette disposition contiendrait un silence qualifié, en ce sens que le nouvel art. 26 al. 6 RAI ne serait pas applicable à l’assuré dont le droit à la rente ne naîtrait qu’après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Le Tribunal fédéral rejette cette argumentation : d’une part, au vu des principes généraux valant en matière de droit intertemporel, on ne saurait y déroger de manière déraisonnable ; d’autre part, la disposition transitoire susmentionnée a précisément pour but de corriger les effets délétères des anciennes dispositions sur les jeunes assurés et non de les amplifier.
L’affaire est renvoyée à l’office AI, afin qu’il calcule le droit de l’assuré en se fondant sur le nouvel art. 26 al. 6 RAI pour la période postérieure au 1er janvier 2022, l’arrêt cantonal étant déjà définitif et exécutoire pour la période antérieure à cette date, ce qui est d’ailleurs accepté par le recourant.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 6B_1144/2023 du 22 mai 2024
Responsabilité aquilienne; incendie par négligence, règles de l’art (directives), arbitraire; art. 222 CP
L’entrepreneur A. a été condamné par le Tribunal cantonal de Lucerne pour incendie par négligence à la suite des travaux d’asséchement qu’il avait effectués sur la terrasse d’un restaurant. En effet, un feu avait couvé pendant plusieurs heures après son intervention, avant de se transformer en feu ouvert, annoncé aux services du feu plus de sept heures et demi après la fin des travaux. Les juges reprochaient au prévenu d’avoir violé plusieurs prescriptions imposées par le droit cantonal, lequel renvoyait à un certain nombre de directives de l’Association des établissements cantonaux d’assurance incendie. Il était notamment reproché à A. de ne pas avoir respecté l’obligation de protéger les éléments de construction présentant un risque d’incendie, et de ne pas avoir organisé une surveillance du site pendant quatre heures après la fin des travaux, comme l’exigent les directives applicables lorsqu’aucune caméra thermique n’est pas utilisée. Le Tribunal cantonal a en outre retenu que le fait de recouvrir correctement des zones à risque aurait permis d’éviter le début d’incendie avec une probabilité suffisamment élevée.
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral considère que le Tribunal cantonal a appliqué de façon arbitraire les directives auxquelles renvoie le droit cantonal s’agissant de l’obligation de recouvrir en l’espèce certains éléments de construction présentant un risque d’incendie. Il retient également que c’est arbitrairement que les premiers juges ont estimé que A. avait manqué à son devoir de diligence en n’instruisant pas son auxiliaire de protéger les éléments de construction menacés (c. 1.4.2). En conséquence, demeure selon le Tribunal fédéral une violation de la règlementation applicable en ce qui concerne l’absence de surveillance du chantier pendant quatre heures après la fin des travaux. Comme le Tribunal cantonal s’est contenté à ce sujet de dire sans autre examen que s’il avait contrôlé une nouvelle fois la zone de travail quatre heures après la fin des travaux, le prévenu aurait pu percevoir des braises, force est de constater que cette question de fait n’a pas été établie. Comme le Tribunal fédéral écarte la violation des autres mesures de précaution, il arrive à la conclusion que l’affaire doit être renvoyée à l’instance précédente pour établir si l’incendie était véritablement évitable en mettant en place une surveillance de quatre heures. Il charge également les juges cantonaux de se prononcer sur la prévisibilité (consid. 1.4.3).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 8C_425/2023 du 21 mai 2024
Assurance chômage; contribution unique de l’employeur, prestations de prévoyance, indemnité de chômage, coordination; art. 18c et 11a LACI; 10b OACI
L’assuré, né en 1960, a travaillé depuis 1980 pour la société B. Sàrl, devenue C. Sàrl (l’employeur) à la suite d’une fusion. Le 8 juillet 2021, l’assuré a été informé de la fin de son contrat de travail au 31 octobre 2021 et de sa retraite anticipée au 1er novembre 2021. L’employeur s’est engagé, en application du plan social, à verser un montant total de CHF 218'921.02 en faveur de l’institution de prévoyance. L’assuré s’est inscrit auprès de l’assurance chômage dès le 1er novembre 2021. La caisse de prévoyance lui a versé une rente annuelle de CHF 52'416.- et une rente de transition AVS de CHF 25'682.90. La caisse cantonale de chômage de Zurich (ALK) a fixé l’indemnité journalière à CHF 371.90, mais a déduit la totalité de la rente mensuelle de CHF 6'509.- versée par la caisse de prévoyance du mois de novembre 2021. L’assuré a contesté la décision de compensation. La cour cantonale a annulé la décision de l’ALK de déduire la totalité de la rente mensuelle de la caisse de prévoyance des indemnités de chômage et a renvoyé l’affaire pour une nouvelle détermination de l’indemnité de chômage à partir de novembre 2021. L’ALK recouru auprès du Tribunal fédéral, en concluant à la confirmation de sa propre décision.
Le litige porte donc sur la question de la déduction de la prestation de vieillesse de CHF 4'338.- de l’indemnité de chômage en vertu de l’art. 18c al. 1 LACI, dans la mesure où cette prestation de vieillesse est attribuable à la contribution unique de l’employeur d’un montant de CHF 121'847.50 (c. 3.2). Il n’est en revanche pas contesté devant le Tribunal fédéral que la « rente-pont AVS » de CHF 2'141.- par mois, ne doit pas être déduite de l’indemnité de chômage (c. 3.3), car il s’agit d’une prestation de retraite professionnelle au sens de l’art. 18c LACI, même si elle est versée sur la base d’une prestation volontaire de l’employeur (c. 6.2.2).
Le Tribunal fédéral rappelle que les prestations de vieillesse de la prévoyance professionnelle sont déduites des indemnités de chômage, qu’elles soient versées sous forme de rente ou de capital. Pour les institutions de prévoyance qui permettent une retraite anticipée, l’événement assuré « vieillesse » correspond, selon la jurisprudence, à l’atteinte de l’âge réglementaire pour une retraite anticipée ; l’intention de la personne assurée d’exercer une autre activité lucrative est sans importance (c. 4.1).
Les prestations de vieillesse comprennent les prestations de prévoyance professionnelle obligatoire et surobligatoire auxquelles une personne assurée a droit lorsqu’elle atteint l’âge réglementaire pour une retraite anticipée, mais également les rentes de vieillesse, les indemnités en capital et les rentes-ponts. Les prestations de libre passage en sont exclues (c. 4.2).
L’ALK a donc procédé à une application correcte de l’art. 18c LACI en déduisant la totalité des prestations de vieillesse de CHF 4'368.- de l’indemnité de chômage (c. 6.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

ATF 150 V 273, TF 9C_385/2023 du 8 mai 2024
Assurance-maladie; troubles psychiques, soins de base, proche aidant; art. 33 let. b OAMal; 7 al. 2 let. c ch. 2 OPAS
En présence d’un assuré, né en 2000 souffrant du syndrome de l’X fragile avec des troubles du spectre autistique, les soins de base destinés à des malades psychiques selon l’art. 7 al. 2 let. c ch. 2 OPAS prodigués par la mère employée d’une organisation de soins et d’aide à domicile sont, en principe, à la charge de l’assurance obligatoire des soins (à l’instar de ce qui prévaut pour les soins de base selon l’art. 7 al. 2 let. c ch. 1 OPAS – ATF 145 V 161, c. 5), et ce indépendamment de l’origine de l’atteinte à la santé (corporelle, mentale ou psychique). L’élément déterminant est de savoir si les prestations fournies sont des mesures nécessaires en raison des troubles à la santé et non de simples mesures d’ordre social ou pour des raisons personnelles. Il doit y avoir une raison médicale suffisamment étayée justifiant les prestations prodiguées pour qu’elles doivent être prises en charge par l’assurance-maladie obligatoire. En l’espèce, le Tribunal fédéral a renvoyé le dossier à l’assureur-maladie pour qu’il vérifie cette condition.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 150 V 340, TF 8C_572/2023 du 8 mai 2024
Prestations complémentaires; rémunération du proche aidant, droit cantonal, arbitraire; art. 14 al. 1 let. b LPC; 13b let. b aOMPC
La mère d’un enfant bénéficiaire d’allocation pour impotence grave se consacre à sa prise en charge à domicile et a cessé, pour ce faire, son activité professionnelle de juriste. Le litige porte notamment sur le salaire à prendre en considération pour sa rémunération au titre des dispositions cantonales de mise en œuvre des art. 14 al. 1 let. b et al. 2 à 4 LPC.
Depuis l’entrée en vigueur le 1er janvier 2008 de la nouvelle loi fédérale sur la péréquation financière et la répartition des charges (RPT), il appartient aux cantons de rembourser les frais de maladie et d’invalidité sans que cela ne doive cependant conduire à une détérioration de la situation des assurés. Dans ce contexte, ils disposent « d’une marge d’appréciation non négligeable » (« ein nicht unerheblicher Gestaltungsspielraum »).
Dans le cas d’espèce, le Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Zoug a retenu un salaire à raison d’un taux horaire de CHF 33.20.-, soit le tarif de rémunération 2018 de l’assurance-invalidité pour une contribution d’assistance, et non pas le salaire de juriste auquel la mère du bénéficiaire aurait pu prétendre dans son ancienne activité.
Le Tribunal fédéral observe que l’art. 13b al. 2 de l’ancienne OMPC (Ordonnance relative au remboursement des frais de maladie et des frais résultant de l'invalidité en matière de prestations complémentaires du 29 décembre 1997 – RS 831.301.1) et la disposition cantonale identique en substance limitent le remboursement des frais à un montant correspondant « au maximum à la perte de gain » (« höchstens im Umfang des Erwerbsausfalls »). Ce nonobstant, il juge qu’une réduction forfaitaire des frais donnant droit à une indemnisation sur la base du salaire horaire d'une contribution d’assistance fixé selon le barème de l’assurance-invalidité n’est pas « tout à fait insoutenable » (« nicht geradezu unhaltbar »). La solution cantonale retenue n’est donc pas arbitraire.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève


TF 1C_443/2023 du 7 mai 2024
LAVI; réparation morale, gravité de l’atteinte, atteinte à l’intégrité physique de peu de gravité; art. 22 al. 1 et 23al. 2 let. a LAVI; 47 et 49 CO
Selon l’art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l’atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 CO s’appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit. La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Le législateur n’a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu’elle a subi. Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d’une allocation ex aequo et bono, étant précisé que toute lésion corporelle n’ouvre pas le droit à la réparation morale, encore faut-il qu’elle revête une certaine gravité.
La victime qui présente (à la suite d’une agression au sortir d’une discothèque) des séquelles psychiques difficiles à identifier, dont l’état de stress post-traumatique n’a pas été diagnostiqué, qui n’a suivi aucune psychothérapie, ni aucun traitement médical, qui a presque repris immédiatement le travail et a recommencé à sortir de nuit, ne peut pas se prévaloir d’une lésion corporelle suffisante pour atteindre le seuil de gravité relativement élevé qu’exige l’art. 22 al. 1 LAVI.
Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne



ATF 150 V 229, TF 8C_348/2023 du 3 mai 2024
Assurance-accidents; accident, infection au VIH, facteur extérieur extraordinaire; art. 4 LPGA
Le Tribunal fédéral a dû se prononcer sur la qualification d’accident d’une infection au VIH dans le cas d’un rapport sexuel non protégé et consenti. A cette occasion, il a rappelé que la cause extérieure est la caractéristique centrale de tout accident. Pour qu’elle soit extraordinaire, il faut que, selon des critères objectifs, la cause extérieure ne se situe pas dans le cadre ce qui est quotidien ou habituel pour le domaine de vie concerné. En revanche, il importe peu que l’effet soit extraordinaire. En l’espèce, l’assurée a entretenu une relation avec un partenaire déterminé entre 2002 et 2013. A la suite de leur séparation, elle a déposé plainte pénale contre celui-ci, qui a été reconnu coupable de lésions corporelles graves à son encontre, du fait de lui avoir caché sa séropositivité pendant plus de trois ans et d’avoir continué à entretenir avec elle des rapports sexuels non protégés. Sous l’angle des assurances sociales, les juges cantonaux et le Tribunal fédéral ont considéré que la cause extérieure et extraordinaire n’était pas remplie : contrairement à un viol, le caractère extraordinaire n’est en principe pas donné dans le cas de rapports sexuels consentis, qui sont habituels. En effet, l’agent pathogène n’a pas pénétré dans le corps de l’assurée de manière atypique. A cet égard, la qualification pénale du comportement de l’ancien partenaire n’est pas déterminante.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 150 V 281, TF 9C_169/2023 du 3 mai 2024
Assurance-maladie; soins de longue durée, intervention d’une OSAD dans un établissement stationnaire, surindemnisation; art. 7 et 7a OPAS; 69 LPGA
Le TF a considéré qu’une organisation de soins et d’aide à domicile reconnue au sens de l’art. 51 OAMal pouvait valablement facturer ses prestations (art. 7 al. 2 OPAS) prodiguées dans un établissement stationnaire qui n’est pas considéré comme un EMS (art. 39 al. 3 LAMal), selon le tarif fixé à l’art. 7a al. 1 OPAS, et non selon le système forfaitaire prévu à l’art. 7a al. 3 OPAS. Un éventuel risque de surindemnisation ne peut pas être pallié, faute de base légale, lorsque les prestations de l’assureur-maladie sont versées parallèlement à des subventions cantonales. L’art. 69 LPGA n’est en particulier pas applicable dans une telle situation.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 150 V 235, TF 8C_438/2023 du 26 avril 2024
Assurance-chômage; calcul du gain intermédiaire; art. 10 al. 2 let. b, 24 al. 1 et 3 LACI
Après avoir été licencié de son emploi à temps partiel de 15 heures par semaine, un justiciable requiert l’octroi d’indemnités de chômage, indiquant à la caisse de chômage qu’il était prêt et en mesure de travailler à temps plein. Il a continué d’exercer une autre activité à temps partiel, pour laquelle le contrat de travail prévoyait un « temps de travail hebdomadaire » de 16,50 heures « selon les plans d’intervention ». Dans sa décision sur opposition, la caisse de chômage a retenu que le gain intermédiaire devait être calculé en fonction du temps de travail convenu dans le contrat de travail. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que l’instance précédente avait violé le droit fédéral en annulant la décision sur opposition de la caisse de chômage et l’obligeant à calculer le gain intermédiaire en tenant compte du salaire effectivement versé durant les périodes de contrôle.
Le salaire que les personnes partiellement au chômage au sens de l’art. 10 al. 2 let. b LACI continuent d’obtenir grâce à l’activité exercée à temps partiel doit être pris en compte comme gain intermédiaire. Est réputé intermédiaire tout gain que le chômeur retire d’une activité salariée ou indépendante durant une période de contrôle ; l’assuré qui perçoit un gain intermédiaire a droit à la compensation de la perte de gain (art. 24 al. 1 LACI). Est réputée perte de gain la différence entre le gain assuré et le gain intermédiaire, ce dernier devant être conforme, pour le travail effectué, aux usages professionnels et locaux (art. 24 al. 3 LACI).
Selon la jurisprudence, ce sont les salaires effectivement perçus qui sont déterminants pour la détermination du gain assuré, et non les salaires fixés dans le contrat de travail. On ne peut toutefois pas encore en déduire que le même principe devrait s’appliquer aux gains intermédiaires (c. 7.1.2). Le sens et le but de l’art. 24 al. 3 LACI consistent manifestement à limiter les paiements compensatoires de l’assurance-chômage pendant les différentes périodes de contrôle à la différence entre le gain intermédiaire réalisé pendant la période de contrôle et le gain assuré. L’art. 24 al. 3 LACI prévoit un correctif pour lutter contre les abus : si le gain intermédiaire ne correspond pas au taux usuel de la profession ou de la localité, la perte de gain n’est compensée qu’à hauteur de la différence entre le salaire usuel de la profession ou de la localité et le gain assuré. Il s’agit notamment d’éviter que l’employeur et le travailleur puissent convenir d’un salaire trop bas pour que la différence soit indemnisée à la charge de l’assurance-chômage (c. 7.4.1).
Si une personne inscrite à l’assurance-chômage exerce une activité lucrative, le gain intermédiaire au sens de l’art. 24 al. 1 et 3 LACI doit correspondre au droit au salaire acquis et non au montant versé par l’employeur. Ce n’est qu’ainsi qu’une délimitation correcte avec les obligations de paiement de l’employeur relevant du droit du travail peut avoir lieu (c. 7.4.2). Si l’on suivait le point de vue de l’instance précédente selon lequel le gain intermédiaire devrait correspondre au salaire versé pour des heures de travail effectives et non aux heures de travail convenues contractuellement, cela pourrait conduire à un contournement de l’art. 24 al. 3 LACI, dans la mesure où les employeurs seraient incités à ne pas respecter leurs propres obligations découlant du contrat de travail individuel. Ceux-ci pourraient en effet renoncer à verser le salaire convenu, puisque le manque à gagner des employés serait couvert par les indemnités journalières de chômage. Or le risque entrepreneurial ne saurait être transféré à l’assurance-chômage (c. 7.4.3).
En résumé, la formulation de l’art. 24 al. 1 et 3 LACI n’est pas claire s’agissant de la définition du gain intermédiaire réalisé. La genèse de la réglementation sur les gains intermédiaires n’apporte pas d’éléments supplémentaires. Toutefois, la systématique de la loi et la ratio legis conduisent à assimiler le gain intermédiaire réalisé – indépendamment du montant de la rémunération versée par l’employeur – au droit au salaire fixé par le contrat de travail. La méthode de calcul du gain intermédiaire prescrite à la caisse dans l’arrêt du Tribunal cantonal s’avère contraire au droit fédéral, raison pour laquelle il doit être annulé (c. 7.5).
En l’espèce, comme les faits sont loin d’être clairs concernant les accords conclus dans le cadre du contrat de travail, en ce sens qu’il pourrait possiblement s’agir d’un travail sur appel, l’affaire est renvoyée à la caisse de chômage pour instruction complémentaire et nouvelle décision.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 4A_249/2023 du 22 avril 2024
Responsabilité du fait des produits; for, lieu du fait dommageable, action en constatation négatoire; art. 5 par. 3 CL
En matière de responsabilité civile du fait des produits, dans le contexte d’un litige international entre des parties résidants dans un état lié par la Convention du Lugano (CL), ladite Convention s’applique. L’action en responsabilité pour le fait des produits est une action délictuelle au sens de l’art. 5 par. 3 CL.
L’art. 5 par. 3 CL désigne le lieu où le fait dommageable s’est produit. Cela vise à la fois le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage, autrement dit le lieu de commission de l’acte, et le lieu de matérialisation du dommage, c’est-à-dire le lieu de résultat de l’acte. L’interprétation de ces notions doit se faire en tenant compte de la règle générale selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre sont attraites devant les juridictions de cet état (art. 2 par. 1 CL) et ne saurait prendre en compte l’intérêt de la personne lésée en lui permettant d’introduire son action au lieu de son domicile, l’art. 5 par. 3 CL ne tendant pas précisément à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée.
Lorsque le lieu de commission de l’acte et celui de son résultat ne concordent pas, le demandeur à l’action, qu’il s’agisse d’une action condamnatoire ou d’une action en constatation négative de droit (dans laquelle le rôle des parties est inversé) dispose de la faculté de choisir librement entre ces deux lieux, sans qu’il ne soit nécessaire de déterminer quelle est la juridiction objectivement la mieux placée.
Dans le cadre de la responsabilité du fait des produits, l’on ne peut déduire l’art. 5 par. 3 CL que le lésé doit ouvrir action ou que le producteur puisse être attrait dans tous les Etats de fabrication matérielle de toutes les pièces détachées qui composent le produit. Dans la chaîne des causes du défaut, il y a lieu de considérer que le lieu de commission de l’acte dépend à la fois du producteur dont le lésé met en cause la responsabilité et du lieu où celui-ci a agi, et non de tous les lieux où celui-ci a fait réaliser ses produits par des tiers. Ces tiers sont à considérer comme des auxiliaires du fabricant, lequel répond vis-à-vis de l’acquéreur du produit fini.
Le cas d’espèce concerne une société suisse ayant conçu en Suisse un produit (en l’occurrence un vélo de course en carbone), lequel a été fabriqué en Chine, assemblé en Hollande, stocké en Belgique et vendu en Italie à un acquéreur italien qui a subi un accident en Italie, à la suite d’une rupture de la fourche du vélo. L’action négatoire de droit de la société suisse dirigée contre la victime italienne devant le Tribunal d’arrondissement de la Sarine a été déclarée recevable, en considération du lieu de commission de l’acte.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève



TF 5A_824/2023 du 17 avril 2024
Responsabilité du propriétaire foncier; servitude foncière, plantations entre deux biens-fonds; art. 679, 737 et 973 CC
Des propriétaires voisins ont conclu un contrat de servitude aux termes duquel les propriétaires de la parcelle A autorisaient le propriétaire de la parcelle B à planter des arbustes et des arbres à sa guise (« beliebige Bepflanzung mit Büschen und Bäumen ») jusqu'à la limite commune et renonçaient à toute prétention au respect des distances minimales en cas de plantation, telles qu’elles figuraient dans la loi cantonale d’application du Code civil. A la suite d’une expertise judiciaire, les propriétaires de la parcelle A ont ouvert action en justice. Le tribunal de première instance a condamné le propriétaire de la parcelle B à élaguer certains arbres ainsi que toutes les plantations (y compris les racines) le long de la limite de propriété commune dans les 60 jours suivant l'entrée en vigueur de la décision, puis chaque année en automne, jusqu'à la hauteur du pignon de sa maison ou jusqu’à 2 m. de la limite. Le tribunal cantonal a rejeté l’appel interjeté par le propriétaire de la parcelle B contre ce jugement.
La controverse porte sur la question de savoir si les plantations situées le long de la limite commune entre les terrains des parties ont un impact excessif sur le terrain des intimés (propriétaires de la parcelle A) et si ces derniers ont le droit d’exiger leur suppression. Le Tribunal fédéral rappelle que le bénéficiaire de la servitude a le droit de faire tout ce qui est nécessaire à la conservation et à l’exercice de la servitude (art. 737 al. 1 CC). Il est toutefois tenu, dans la mesure du possible, d’exercer son droit avec ménagement (art. 737 al. 2 CC). L’obligation d’exercer le droit avec ménagement ne limite pas l’étendue ou le contenu de la servitude foncière. En application de l’art. 2 CC, elle interdit toutefois son exercice abusif. L’ayant droit doit donc renoncer à l’exercice d’un droit qui porte atteinte au propriétaire grevé, dans la mesure où cet exercice est inutile ou que l’intérêt à l’exercice du droit est manifestement disproportionné par rapport à l’intérêt du propriétaire grevé à ne pas l’exercer (c. 3).
Le tribunal cantonal avait considéré qu’en raison de la servitude, les plantations du recourant le long de la limite de propriété ne devaient pas respecter les distances minimales et les limitations de hauteur et que les intimés devaient tolérer les branches et les racines qui dépassaient. La servitude avait cependant pour but de créer une protection visuelle pour le terrain du recourant. Or, le recourant n’exerçait pas, selon le Tribunal cantonal, la servitude avec ménagement : une protection visuelle pouvait être obtenue même si la hauteur de l’arbre était limitée à la hauteur du pignon de la maison du recourant et si la largeur des plantes était de 2m. Une croissance illimitée des plantes n’était pas nécessaire, mais était de nature à porter massivement atteinte aux intérêts des intimés. A cet égard, le tribunal cantonal faisait notamment référence aux branches « transfrontalières » avec un surplomb allant jusqu’à 5,35 m., qui atteignaient en partie le balcon des intimés, au système racinaire « transfrontalier » avec une extension horizontale allant jusqu’à 4,5 m. ainsi qu’à l’impact des feuilles mortes et à l’ombre portée étendue. De l’avis du Tribunal cantonal, comme les empiètements sur le terrain des intimés n’étaient pas conformes à l’art. 737 al. 2 CC, ceux-ci avaient un droit à la suppression et à la cessation (c. 4).
Devant le Tribunal fédéral, le recourant soutient qu’un accord tacite résulte de la formulation-même de la servitude, selon lequel celle-ci ne doit justement pas être exercée avec ménagement. Le Tribunal fédéral relève que celle-ci a été constituée avant l’achat de l’immeuble par les intimés. Ceux-ci pouvaient donc se fier, dans la mesure de leur bonne foi, à l’inscription au registre foncier (art. 973 al. 1 CC). Or, l’inscription d’un « "beliebigen" Näherpflanzrechts » ne doit pas être comprise de bonne foi comme signifiant qu’aucune limite ne s’applique à la servitude (c. 7. 2). Le recourant se prévaut enfin du règlement de construction de la ville, selon lequel les arbres d’une circonférence supérieure à 0,8 m. ne peuvent être abattus qu’avec une autorisation. Le Tribunal rappelle qu’il examine en principe uniquement si le droit applicable au moment où la décision attaquée a été rendue a été correctement appliqué. Or, le recourant ne fait pas valoir qu’au moment déterminant, une autorisation était nécessaire pour l’élagage ordonné ou que le jugement attaqué n’était pas applicable pour des raisons juridiques. Ensuite, il ne fait pas valoir que la nouvelle planification évoquée dans le recours aurait dû être prise en compte au sens d’un effet anticipé, ce dès le prononcé de la décision attaquée. Le recours s’avère donc infondé (c. 8).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 8C_434/2023 du 10 avril 2024
Assurance-accidents; assureur compétent, accidents successifs, droit à un demi-salaire au moins; art. 3 LAA; 7 et 100 OLAA
S’agissant de déterminer l’assureur-accidents appelé à verser des prestations lorsqu’il y a deux accidents survenus successivement et en cas d’occupation de plusieurs postes (assurés auprès d’assureur-accidents différents) ou de perception d’indemnités journalières du chômage (cf. art. 100 OLAA), il y a systématiquement lieu de tenir compte de l’art. 3 al. 2 et 5 LAA. Ainsi, en présence d’une assurée, née en 1973, ayant subi un premier accident le 8 août 2021 pour lequel elle a bénéficié de prestations de l’assureur-accidents, il y a lieu d’examiner si, en février 2022, elle percevait encore éventuellement des indemnités journalières (droit à un demi-salaire au moins selon l’art. 3 al. 2 LAA) de cet assureur, auquel cas la couverture d’assurance auprès de ce même assureur pourrait être donnée, selon l’art. 3 al. 2 ou 5 LAA, en lien avec l’art. 7 al. 1 let. b OLAA, pour la couverture d’un deuxième accident survenu le 9 mars 2022.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_742/2023 du 8 avril 2024
Prise en charge d’un enfant malade; absence de pronostic défavorable; art. 16n ss LAPG
Une fille de trois ans et demi a subi une fracture intracrânienne de la paroi supérieure de l’orbite gauche, avec une lésion perforante de la paupière supérieure le 4 février 2022 en tombant sur la pointe métallique d’une baguette de Diabolo. Après avoir attendu, en vain, de voir si le fragment osseux se repositionnait spontanément, la fillette a subi une opération du crâne le 9 février 2022. L’intervention s’est déroulée sans complication et l’enfant a pu quitter l’hôpital le 14 février 2022. La mère a demandé les allocations pour enfant gravement atteint dans sa santé du 15 février au 27 mars 2022, ce qui lui a été refusé par la caisse de compensation. L’instance cantonale a confirmé le refus de la caisse de compensation. La mère recourt devant le Tribunal fédéral contre le jugement du Tribunal des assurances.
Selon l’art. 16o LAPG, un enfant est réputé gravement atteint dans sa santé aux conditions cumulatives suivantes : il a subi un changement majeur dans son état physique ou psychique, l’évolution ou l’issue de ce changement est difficilement prévisible ou il faut s’attendre à ce qu’il conduise à une atteinte durable ou croissante à l’état de santé ou au décès, l’enfant présente un besoin accru de prise en charge de l’un des parents et au moins un des parents doit interrompre son activité lucrative pour s’occuper de l’enfant.
Selon la circulaire de l’OFAS sur l’allocation de prise en charge (N 1037.3), les maladies bénignes ou les suites d’accidents ainsi que les atteintes moyennes peuvent nécessiter une hospitalisation ou des consultations médicales régulières et rendre la vie quotidienne plus difficile. Dans ces cas (par exemple, fractures, diabète, pneumonie), on peut toutefois prévoir une issue positive ou sous contrôle et il n’y a donc pas de droit à l’allocation de prise en charge. Le législateur part également du principe qu’une durée minimale du traitement médical de quelques mois est nécessaire pour retenir une atteinte grave à la santé (FF 2019 4103 ss, 4134 en all.).
En l’espèce, le médecin avait coché sur le formulaire de demande les trois cases correspondant aux trois premières conditions de l’art. 16o LAPG, mais pas celle de l’interruption de l’activité lucrative de l’un des parents. L’hôpital, après avoir pris des renseignements auprès du médecin responsable, a complété l’information par courriel du 14 mars, dans lequel il constatait que le traitement ne s’était pas déroulé sur une longue période, que le pronostic n’était pas difficilement prévisible et que l’enfant n’était pas atteint si gravement qu’il nécessitait une prise en charge intense. Lors du contrôle post-opératoire, une évolution très favorable était constatée, sans déficit neurologique.
La recourante reproche à la cour cantonale d’être partie du principe que le pronostic était positif du seul fait que la fillette avait rapidement pu quitter l’hôpital. L’art. 16o let. d LAPG ne trouverait ainsi jamais application puisque toutes les situations dans lesquelles le pronostic est mauvais nécessitent que l’enfant reste à l’hôpital. Le Tribunal fédéral balaie cet argument, en relevant que la cour cantonale ne s’est pas fiée au retour à domicile pour trancher, mais s’est basée sur l’avis de sortie, pour conclure à un pronostic positif. Il relève également que même une issue négative n’empêche pas une sortie de l’hôpital, de sorte que l’argument de la recourante tombe à faux.
La recourante reproche ensuite à l’instance cantonale d’avoir procédé à un jugement a posteriori, en retenant la bonne évolution constatée lors du contrôle post-opératoire du 7 mars 2022. Or, lors de la sortie de l’hôpital, le pronostic n’était pas aussi clair et prévisible. Le Tribunal fédéral rejette ces considérations de nature purement appellatoire et relève que la recourante ne peut rien tirer du formulaire rempli par le médecin, qui a été ensuite contredit par le complément. Le médecin n’a par ailleurs jamais attesté de la réunion des quatre conditions de l’art. 16o LAPG.
En conclusion, le Tribunal fédéral confirme que l’appréciation de la cour cantonale n’est pas manifestement inexacte lorsqu’elle conclut que l’état de santé de la fillette n’était plus imprévisible lors de sa sortie de l’hôpital le 14 février 2022 et qu’on ne devait alors plus s’attendre à une atteinte durable ou croissante ou au décès. Le refus d’allocations est donc confirmé.
Auteure : Pauline Duboux, titulaire du brevet d’avocat à Rennaz

TF 9C_491/2023 du 3 avril 2024
Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuf, suites de l’arrêt Beeler c. Suisse; art. 24 al. 1 LAVS; 8 CEDH
Dans la mesure où il opère une distinction entre hommes et femmes, l’art. 24 al. 1 LAVS, qui ne prévoit le droit à une rente de conjoint survivant, en l’absence d’enfant à charge, qu’en faveur des secondes, est contraire à l’art. 8 al. 3 Cst. Le droit à la rente de conjoint survivant dans cette constellation ne tombe toutefois pas dans le champ d’application de l’art. 8 CEDH, dans la mesure où la prestation sociale n’a ici pas d’impact sur l’organisation de la vie familiale selon les critères dégagés par la Cour EDH dans l’affaire Beeler c. Suisse. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont confirmé le refus de la rente à un homme de 59 ans dont les enfants étaient tous deux majeurs depuis un certain temps au moment du décès de son épouse. Dans la mesure où elle se calque sur la jurisprudence européenne, la lettre-circulaire n° 460 fixant le régime transitoire à la suite de l’arrêt Beeler c. Suisse n’est pas lacunaire.
Note : Pour un résumé et une analyse de l’arrêt Beeler c. Suisse, voir ici. La Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de Genève est parvenue à une conclusion similaire dans un arrêt du 5 juillet 2023 (ATAS/552/2023), résumé et annoté dans la Semaine judiciaire (SJ 4/2024 250 ss).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 150 V 178, TF 9C_201/2023 du 3 avril 2024
Assurance-maladie; polypragmasie, échantillon insuffisant; art. 59 al. 1 let. b LAMal
Dans le cadre de l’examen de prestations facturées par un hôpital, le Tribunal fédéral a considéré qu’un échantillon de 40 cas choisis au hasard, s’il permettait certes de constater que certaines prestations avaient été facturées sans avoir être fournies (position TARMED 39.5070), n’était toutefois pas suffisant pour permettre aux assureurs de fonder valablement une demande de restitution de prestations, selon l’art. 59 al. 1 let. b LAMal.
Auteur : Guy Longchamp


TF 6B_308/2022 du 2 avril 2024
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, violation des règles de la circulation routière, devoir de prudence, prinicpe in dubio pro reo; art. 117 CP; 17, 36, 37 et 39 LCR; 17 OCR; 13 aOTConst
Les dispositions topiques de la LRC et de l’OCR ont vocation à s’appliquer par analogie, sur les chantiers également, lorsqu’il s’agit de concrétiser le contenu du devoir de diligence des conducteurs de véhicule (c. 3.2).
Le fait que l’art. 17 al. 1 OCR fasse de manière générale peser l’obligation d’avoir recours à un tiers sur le conducteur du véhicule concerné ne peut faire perdre de vue les circonstances spécifiques de l’espèce. La marche arrière en cause s’inscrivait en effet dans le cadre d’une procédure organisée au préalable et coordonnée, qui impliquait plusieurs autres camions, ainsi que la fraiseuse, et était en l’occurrence supervisée par la victime. Les travaux se déroulaient dans une zone où la présence de tiers extérieurs au chantier était en principe exclue. Quant à la marche arrière qu’a effectuée l’intimé, à la suite de ses collègues chauffeur de camion précédemment intervenus sur le chantier, elle s’est déroulée dans la zone d’intervention prévue de la fraiseuse, où nul n’avait de motif de se tenir, pas même la victime, étant rappelé qu’elle était responsable du chantier et de sa sécurité. Ainsi peut-on admettre, en se replaçant dans une perspective ex ante, qu’à l’entame de sa manœuvre, l’intimé n’avait pas à anticiper la présence ou l’apparition inopinée de tiers dans la zone concernée. L’intimé pouvait raisonnablement exclure tout danger qui aurait dû le contraindre à être secondé pour effectuer sa marche arrière. Dans cette mesure, la question de savoir à qui incombait la responsabilité de requérir une aide pour effectuer la manœuvre se trouve privée d’objet. En tout état, il s’ensuit que l’on ne peut imputer à l’intimé une violation de son devoir de diligence sur ce plan (c. 5.3).
L’art. 17 al. 2 OCR, toujours applicable par analogie dans le présent contexte, précise que la marche arrière ne doit s’effectuer qu’à l’allure du pas. Il s’agit, en d’autres termes, d’une vitesse de 5 km/h environ. Au regard des constatations cantonales, les valeurs moyennes de 3 km/h, respectivement de 7 km/h retenues demeurent dans une fourchette admissible et permettaient malgré tout aux juges précédents de considérer, sans violer le droit fédéral, que la vitesse d’évolution de l’intimé lors de sa manœuvre de marche arrière ne paraissait pas inadaptée. La cour cantonale était donc fondée, in fine, à dénier l’existence d’une violation du devoir de diligence sous cet angle également (c. 6.2).
S’agissant de la causalité, l’instruction, qualifiée de complète par les juges précédents, n’a pas permis de trancher entre l’hypothèse d’une inattention, d’un faux pas ou d’un malaise. Les circonstances précises du drame demeurent par conséquent entourées d’incertitudes. En ce sens, la cour cantonale était fondée à retenir, en application du principe in dubio pro reo, que l’inattention ou le malaise de la victime représentait la cause prépondérante de l’accident.
De même était-elle fondée à retenir, par identité de motif, que cette dernière s’était retrouvée sur la trajectoire du camion à proximité immédiate du véhicule évoluant en marche arrière et qu’elle avait pu trébucher ou faire un malaise juste derrière le camion. Dans cette perspective, la cour cantonale pouvait, sans que cela prête le flanc à la critique, retenir que, même si l’intimé avait eu recours à l’aide d’un tiers pour effectuer cette manœuvre et même si la manœuvre de recul avait été effectuée plus lentement, l’accident serait tout de même survenu. Elle en a conclu, à juste titre, qu’on ne pouvait pas considérer qu’un comportement différent de la part de l’intimé, correspondant aux attentes exprimées par les recourants, aurait permis d’éviter la survenance du drame. Un tel raisonnement ne viole pas le droit fédéral (c. 7.2).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud

TF 5A_487/2023 du 2 avril 2024
Responsabilité de l’Etat; responsabilité en cas de séquestre injustifié, collectivité publique; art. 273 LP
La loi fédérale sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires (LRCF) n’est applicable que s’il n’existe pas de réglementation spéciale. L’art. 273 LP, qui prévoit une responsabilité causale stricte, constitue une lex specialis qui exclut dès lors l’application de la LRCF.
Le droit suisse prévoit l’exécution de l’ensemble des prestations pécuniaires par la voie de la poursuite pour dettes et faillites, les créances fondées sur le droit privé ou le droit public étant traitées sur un pied d’égalité. Ainsi, la collectivité qui poursuit l’exécution d’une créance de droit public par la voie du séquestre répond du dommage causé selon l’art. 273 LP comme tout autre créancier. En l’absence d’une réglementation spécifique concernant la responsabilité pour séquestre injustifié dans la LIFD, respectivement d’une norme de délégation dans la LHID, les créances fiscales ne font pas exception à ce qui précède. Cela se justifie notamment par le fait que le séquestre LP et le séquestre fiscal ont la même fonction.
Dans une telle constellation, le litige fondé sur un séquestre injustifié entre donc dans la compétence des tribunaux civils du for du séquestre.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne


ATF 150 V 263, TF 8C_523/2023 du 27 mars 2024
Assurance-invalidité; contribution d’assistance, contrat de travail, identité de l’employeur, personne physique ou personne morale; art. 42quinquies LAI
Les recourants sont parents et curateurs – depuis sa majorité – d’une enfant en situation de handicap qui est au bénéfice de diverses prestations de l’assurance-invalidité, notamment d’une contribution d’assistance pour les prestations d’aide dont elle a besoin à domicile (art. 42quinquies LAI). En décembre 2022, l’office AI a décidé de ne plus verser de contribution d’assistance dès janvier 2023 au motif que depuis 2016, les prestations d’aide ne sont plus fournies par des personnes engagées par l’assurée ou ses représentants légaux sur la base d’un contrat de travail, mais par des personnes employées d’une Sàrl fondée par les parents de l’assurée. Sur recours, l’interruption de l’aide est portée à janvier 2024. Les parents recourent au Tribunal fédéral.
Au terme d’une interprétation littérale et téléologique de l’art. 42quinquies LAI, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que la manière de procéder de l’office AI était correcte, la loi excluant que les prestations d’aide soient fournies par des organisations ou d’autres personnes morales (c 4.4.5). Le fait que les parents aient été les seuls associés et gérants de la société ne permettait pas de faire exception à la règle, pas plus que le fait que l’office AI ait toléré la situation entre 2016 et 2022 (c. 5.2, 5.3 et 7.3).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 4A_489/2023 du 19 mars 2024
Assurances privées; assurance complémentaire à l’AOS, portefeuille fermé au sens de l’art. 156 OS, absence de produit équivalent, contrariété aux mœurs, lésion; art. 20 et 21 CO; 31 LSA; 156 OS
Le Tribunal fédéral examine un cas d’application de l’art. 156 de l’ordonnance sur la surveillance des entreprises d’assurance privée (OS ; RS 961.011). Une assurée a été couverte pendant 35 ans par un contrat d’assurance complémentaire maladie. Elle a souffert d’une leucémie ayant impliqué des prestations de la part de l’assureur et qui nécessite encore des traitements en raison des séquelles consécutives à la greffe de cellules souches qu’elle a subie. L’assureur lui annonce la fermeture du portefeuille du produit par lequel elle est couverte (c’est-à-dire que ledit produit d’assurance n’est plus proposé à la vente et qu’il n’est donc plus possible d’y adhérer) et lui propose un produit ouvert. L’assurée est contrainte de refuser, car le contrat proposé ne couvre pas les greffes, leurs complications et leurs séquelles. Restée liée au produit fermé, l’assurée voit ses primes augmenter massivement. Elle les conteste sous l’angle de la contrariété aux mœurs et de la lésion, jusqu’au Tribunal fédéral. Ce dernier confirme, au terme d’une analyse assez étroite, que les CGA permettaient à l’assureur d’augmenter les primes, que l’assurée s’était vu proposer de passer dans un produit ouvert et que l’absence de produit équivalent ne mettait pas sa santé en danger. Il a donc nié toute lésion, la situation de gêne n’ayant par ailleurs pas été démontrée.
Auteur : Matthias Stacchetti


TF 8C_438/2023 du 18 mars 2024
Assurance-chômage; prestations transitoires pour anciens chômeurs, dessaisissement de fortune; art. 13 al. 1 et 2 LPtra
La loi sur les prestations transitoires pour anciens chômeurs (LPtra) a pour but de fournir une aide aux chômeurs en fin de droit ayant atteint l’âge de 60 ans. La caisse cantonale de compensation AVS/AI/APG recourt contre la décision du Tribunal cantonal (TI) niant le désistement de fortune supérieur à CHF 50'000.- reproché à l’assuré (art. 5 al. 1 let. c LPtra). Le requérant avait dépensé sa fortune de CHF 123'193.- du 3 décembre 2002 au 30 septembre 2022 sans justification d’après la caisse de compensation recourante qui lui avait refusé les prestations transitoires constatant une renonciation à des parts de fortune de CHF 71'000.-. Il avait en particulier consommé son capital de prévoyance prélevé à l’âge de 58 ans, à raison de CHF 13'000.- par mois, avant le 1er juillet 2021, date de l’entrée en vigueur de la loi sur les prestations transitoires.
Selon l’art. 13 al. 2 LPtra, les autres revenus, parts de fortune et droits légaux ou contractuels auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate sont pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas renoncé. En l’absence d’une base légale régissant l’application temporelle de la loi, les dépenses intervenues avant le 1er juillet 2021 ne sont pas à prendre en considération (art. 13 al. 2 LPtra ; art. 24 al. 2 OLPtra) (c. 5.2.1).
Le principe de non-rétroactivité des lois résulte de la Constitution (art. 5, 8 et 9 Cst.). Elle ne peut intervenir que s’il existe une base légale suffisante, en présence d’un intérêt public prépondérant et si l’égalité de traitement ainsi que les droits acquis sont respectés. Lorsque le législateur réglemente un état de fait antérieur toujours existant à l’entrée en vigueur de la loi, la rétroactivité est qualifiée d’impropre et doit garantir les droits acquis (c. 7.1.2.1).
Le message du Conseil fédéral exprimant la volonté de se calquer largement sur la LPC dans sa nouvelle teneur du 1er janvier 2021 ne permet pas encore de conclure à la rétroactivité des nouvelles dispositions légales. Le Tribunal fédéral juge nécessaire de procéder à l’interprétation de l’art. 13 al. 2 sur la renonciation aux « parts de fortune » sans y être légalement tenu et en l’absence de contre-prestation adéquate, tandis qu’à l’al. 3, il est question du calcul du montant de la fortune « dépensée » sans raison valable. L’ordonnance permet toutefois d’établir que l’art. 13 al. 2 LPtra vise les cas d’aliénation des parts de fortune (art. 24 let. a et 25 OPtra), alors que l’art. 13 al. 3 LPtra traite de la « consommation excessive » de fortune (art. 24 let. b et 26 OPTra). Cette claire distinction est faite aussi par le commentaire de l’ordonnance qui consacre l’influence de la loi sur les prestations complémentaires (à l'art. 24 OPtra let a 25 OPtra).
Dans son examen des deux systèmes LPC et LPtra, le Tribunal fédéral retient néanmoins que des règles différentes ont été adoptées en matière de dessaisissement de fortune antérieur à la naissance du droit. L’art. 11a al. 4 LPC étend expressément l’application de l’art. 11 al. 3 LPC aux dix années précédant le droit à une rente de vieillesse de l’AVS, ce qui n’a pas été prévu pour l’art. 13 al. 3 LPtra (c. 7.2.3.3). Bien que les deux systèmes prévoient un seuil de fortune à partir duquel l’assistance doit être fournie, on ne peut conclure à un parfait parallélisme des deux normes. Le Tribunal fédéral déduit même des travaux préparatoires (PV de la CSSS du Conseil des Etats du 21 novembre 2019) une volonté du législateur de considérer le caractère non planifiable du chômage pour renoncer à légiférer sur le dessaisissement avant la naissance du droit aux prestations transitoires. L’art. 13 al. 3 LPtra (art. 24 let. b et 26 al. 1 et 2 OPtra) prévoit ainsi expressément que le dessaisissement de fortune est pris en compte à partir de la naissance du droit aux prestations transitoires.
La jurisprudence développée en matière de prestations complémentaires (PC) sur le dessaisissement de fortune (obligation de collaborer et conséquences si la diminution extraordinaire de fortune n’est pas justifiée) s’applique aux prestations transitoires. Une présomption de renonciation à la fortune, comme pour les PC, est admise dans tous les cas où l’intéressé n’a pas justifié le motif de la diminution. Dans le cas d’espèce, toutefois, seul l’art. 13 al. 2 LPtra pourrait entrer en ligne de compte et non l’art. 13 al. 3 LPtra qui limite l’examen du dessaisissement à compter de la naissance du droit aux prestations transitoires. En l’espèce, il n’a pas été démontré que les juges cantonaux auraient apprécié les preuves de manière arbitraire (art. 9 Cst.) en retenant que les sommes dépensées avant la naissance du droit ne constituaient pas une renonciation à des parts de fortune (au sens de l’art. 13 al 2 LPtra) (c. 7.2.4.2.)
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


ATF 150 V 120, TF 9C_6/2023 du 12 mars 2024
Prévoyance professionnelle; maintien provisoire de l’assurance; art. 26a al. 1 LPP
Une informaticienne atteinte d’une sclérose en plaques évoluant par poussées présente une incapacité de travail de 40 % à compter du 2 juin 2014. Son contrat de travail est résilié pour le 31 octobre 2014. Des mesures de réadaptation professionnelle sont accordées par l’office AI. A la suite de ces mesures, un emploi est obtenu à 50 % sur une période limitée du 1er janvier 2017 à décembre 2018. Dès mars 2018, une incapacité de travail totale est attestée. En 2019, l’office AI octroie un quart de rente dès le 1er mai 2015, trois-quarts de rente dès le 1er août 2015, une rente entière dès le 1er septembre 2016, un quart de rente dès le 1er janvier 2017 et enfin une rente entière à partir du 1er juin 2018. Sur la base de cette décision, la caisse de pensions de son employeur en 2014 accorde une rente d’invalidité en précisant que le droit à la rente à partir du1er juin 2018 est régi par les dispositions minimales LPP, car aucune assurance n’a été conclue auprès d’elle entre le 1er janvier 2017 et le 31 mai 2018. L’assurée recourt au Tribunal fédéral concluant au versement d’une rente fondée sur les dispositions réglementaires et non selon les dispositions minimales de la LPP dès le 1er juin 2018. Elle invoque à l’appui de son recours le maintien provisoire de l’assurance selon l’art. 26a al. 1 LPP.
Le Tribunal fédéral examine dans cet arrêt si l’art. 26a al. 1 LPP peut s’appliquer au cas d’espèce. Il rappelle sa teneur selon laquelle, si la rente de l’AI versée à un assuré est réduite ou supprimée du fait de l’abaissement de son taux d’invalidité, le bénéficiaire reste assuré avec les même droits durant trois ans auprès de l’institution de prévoyance tenue de lui verser des prestations d’invalidité, pour autant qu’il ait, avant la réduction ou la suppression de sa rente de l’AI participé à des mesures de nouvelle réadaptation destinées aux bénéficiaires de rente au sens de l’art. 8a LAI ou que sa rente ait été réduite ou supprimée du fait de la reprise d’une activité lucrative ou d’une augmentation de son taux d’activité (c. 3.1).
Après analyse du message relatif à la 6e révision de la LAI et de la teneur de la disposition invoquée, le Tribunal fédéral considère que le sens et le but du maintien provisoire de l’assurance au sens de l’art. 26a LPP est d’encourager la réinsertion des bénéficiaires de rentes ou de protéger les bénéficiaires de rentes qui participent à des mesures de réinsertion. Par le biais de cette disposition, le législateur entend éliminer les obstacles particuliers qui se présentent lors de la réinsertion de personnes qui sont déjà mises au bénéfice d’une rente. Partant, le Tribunal fédéral considère que cette norme ne s’applique pas aux cas dans lesquels, comme dans le cas d’espèce, une rente échelonnée ou limitée est accordée rétroactivement à une personne assurée pendant la durée de laquelle des mesures de réadaptation professionnelle ont lieu (c. 4.3 et 4.4).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


ATF 150 V 249, TF 8C_306/2023 du 7 mars 2024
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail; art. 31 et 83a LACI; 46b et 110 OACI
L’entreprise A. AG, active dans le secteur automobile, a perçu durant la pandémie de Covid-19 un montant de CHF 407'020.05 d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail au sens des art. 31 ss LACI (RHT). Après un contrôle effectué le 24 mars 2021, le SECO a sollicité le remboursement de la somme de CHF 256'162.15. Il a maintenu sa prise de position suite à l‘opposition de A. AG et le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours de cette dernière. Pour l’essentiel, la demande de remboursement est justifiée par l’absence de documents relatifs au contrôle du temps de travail pour divers collaborateurs de A. AG. Alors que la direction de l’entreprise avait attesté par écrit dans le cadre du contrôle du 24 mars 2021 ne disposer d’aucune saisie du temps de travail pour neuf collaborateurs, A. AG a présenté par la suite des relevés dans le cadre de la procédure d’opposition. Le Tribunal administratif fédéral a considéré que les documents produits postérieurement au contrôle ne permettaient pas de remplir les obligations en la matière (cf. art. 46b OACI) et n’étaient manifestement pas authentiques (c. 4.1 et 5.1).
Le Tribunal fédéral a confirmé qu’en ne présentant pas la documentation relative à la saisie du temps de travail pour divers collaborateurs lors du contrôle effectué sur place et en signant le formulaire de contrôle le même jour, alors qu’elle n’y était pas tenue, la directrice générale de A. AG n’avait pas été en mesure de justifier le droit aux indemnités pour lesdits collaborateurs, ce d’autant plus qu’avec la signature du formulaire, il était expressément admis que d’éventuels documents fournis postérieurement ne permettraient pas de remplacer l’examen du temps de travail dans l'entreprise effectué au moment du contrôle (c. 5.1 et 5.1.1). Le fait que la directrice générale aurait reçu des informations peu claires, ait notamment commis une erreur et était sous pression, n’y change rien.
Il est également rappelé que le bien-fondé du droit aux indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail dépendait essentiellement des documents fournis par les entreprises et notamment le constat de la saisie du temps de travail en temps réel, si bien qu’il y a tout lieu de penser que si cette documentation avait été disponible, elle aurait été produite lors du contrôle effectué sur place. En l’absence de celle-ci, il n’est pas possible de dûment constater que la saisie du temps de travail s’effectue régulièrement (c. 5.1.2).
Le Tribunal fédéral a également considéré que les griefs de la recourante, soit l’absence de base légale pour refuser les documents produits postérieurement au contrôle et l’excès de formalisme dans l’application de l’art. 46 OACI, étaient infondés (c. 5.2).
Auteur : Walter Huber, Juriste à Puplinge


ATF 150 V 105, TF 8C_499/2023 du 6 mars 2024
Prestations complémentaires; non-rémunération des soins par une personne prise en compte dans le calcul des PC; art. 8 al. 1 Cst; 9 al. 2, 10 et 11a al. 1 LPC; 159 al. 3 et 163 CC
Le Canton de Saint-Gall prévoit de ne pas rémunérer les soins et l’entretien qui sont apportés par une personne qui est comprise dans le calcul des PC. Ainsi, une épouse vivant en ménage commun avec son mari ne peut prétendre à la rémunération susmentionnée, puisqu’elle fait partie du calcul des PC conformément à l’art. 9 al. 2 LPC.
Selon le Tribunal fédéral, une telle façon de procéder est parfaitement correcte et ne contrevient pas au principe de l’égalité de l’art. 8 al. 1 Cst. D’une part, on n’impute aucun revenu hypothétique à l’épouse sur la base de l’actuel art. 11a al. 1 LPC puisqu’elle donne elle-même une partie des soins à son mari, de sorte qu’elle n’est pas en mesure de travailler. Ainsi, cette non-imputation correspond indirectement à une rémunération du travail effectué par l’épouse au chevet de son mari. D’autre part, conformément à l’art. 10 LPC, le montant de base est augmenté de quelque CHF 10'000.- en cas de vie commune des époux. Au surplus, on relève que les frais de maladie de l’épouse font aussi l’objet du calcul du couple.
Ainsi, le traitement différencié de la rémunération des soins selon que le prestataire est ou n’est pas compris dans le calcul est parfaitement correct. Cela serait même le cas si l’on avait retenu un revenu hypothétique pour l’épouse. Dans ce cas de figure, la prise en compte du revenu hypothétique se fonde sur l’obligation de diminuer le dommage ainsi que sur le devoir d’assistance et l’obligation d’entretien du droit de la famille (art. 159 al. 3 et 163 CC). Ainsi, même si, toujours dans ce cas de figure, il se peut que la perte de revenu ne soit pas forcément compensée à 100 %, un traitement quelque peu différent se justifie sur la base des obligations susmentionnées.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg



ATF 150 V 67, TF 8C_166/2023 du 6 mars 2024
Assurance-invalidité; rente échelonnée, révision, enquête suisse sur la structure des salaires (ESS); art. 17 LPGA; 88 RAI
Le Tribunal cantonal des assurances sociales qui annule la décision déférée et octroie, à titre rétroactif, une rente échelonnée dans le temps, doit, en relation avec cet échelonnement, procéder à un examen à la lumière des conditions de la révision du droit aux prestations durables (art. 17 LPGA et 88a RAI).
A cet égard, il lui appartient d’utiliser la dernière édition des tableaux de l’ESS, en l’occurrence les tableaux 2020, pour le calcul de l’invalidité et non pas une version antérieure. Il n’est pas admissible que l’assuré soit traité de manière moins favorable que dans l’hypothèse d’un renvoi à l’administration.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève


TF 4A_478/2022 du 5 mars 2024
Responsabilité médicale; violation des règles de l’art médical, appréciation d’une expertise commune et d’une expertise privée, valeur de l’expertise administrative en procédure civile; art. 6 al. 1 LResp FR
Selon la jurisprudence, la notion d’illicéité est la même en droit public cantonal de la responsabilité et en droit privé fédéral. Le personnel chargé des soins (médecins, infirmiers, sages-femmes, etc.) est tenu de respecter les règles de l’art médical, afin de protéger la vie ou la santé du patient. Il doit observer la diligence requise, déterminée selon des critères objectifs. La notion d’illicéité rejoint ici celle de violation du devoir de diligence, appliquée en matière de responsabilité contractuelle. Pour établir son diagnostic, le médecin procède par diagnostic différentiel, c’est-à-dire qu’il tente d’identifier une maladie grâce à la comparaison entre eux des symptômes dus à plusieurs affections voisines que l’on cherche à différencier les unes des autres en utilisant un processus d’élimination logique. L’établissement d’un tel diagnostic (c’est-à-dire l’élaboration d’une liste des problèmes possibles pouvant être à l’origine des signes et symptômes chez un patient) constitue une partie importante du raisonnement clinique. Cette étape permet de procéder à des investigations appropriées visant à écarter des possibilités et à confirmer un diagnostic définitif.
L’erreur de diagnostic ne suffit en principe pas, à elle seule, à engager la responsabilité du médecin. Si celui-ci pose consciencieusement son diagnostic, après avoir examiné son malade selon les règles de l’art avec tout le temps et l’attention nécessaires, il n’y a pas violation des règles de l’art. Il appartient au lésé d’établir la violation des règles de l’art médical. Le juge doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les titres à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. Notamment si les rapports médicaux sont contradictoires, il doit apprécier l’ensemble des preuves et indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. La jurisprudence a posé des lignes directrices compatibles avec la libre appréciation des preuves s’agissant de la manière d’apprécier certains types d’expertises ou de rapports médicaux. Il est ainsi admis, en particulier, qu’une expertise privée produite par une partie n’a pas la même valeur probante que des expertises mises en œuvre par un tribunal ou par un assureur-accidents.
Lorsque, au stade de la procédure administrative, une expertise judiciaire confiée à un expert indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d’observations approfondies et d’investigations complètes, ainsi qu’en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé. Le juge doit donc examiner si l'expertise privée est propre à mettre en doute, sur les points litigieux importants, l'opinion et les conclusions de l'expert mandaté dans le cadre de la procédure administrative.
La jurisprudence sur la force probante des expertises médicales est différente en procédure administrative et en procédure civile. En effet, selon la jurisprudence actuelle en procédure civile, l'expertise privée n’est pas un moyen de preuve, alors qu’elle l’est en procédure administrative, selon les principes jurisprudentiels précités. La cour cantonale a considéré que l’expertise privée produite par la patiente ne constitue pas seulement un allégué de partie, mais qu’elle est un rapport médical dont il y a lieu d’apprécier la valeur probante. Il ressort des faits constatés que l’expertise commune du 1er juin 2017 et son rapport complémentaire ont été réalisés d’entente entre les parties : l’expert a été mandaté en qualité d’expert par les deux parties, il a eu accès au dossier complet de la cause, il a reçu la patiente en entretien et a eu un entretien téléphonique avec le médecin-chef avant de rendre son rapport, il a répondu aux questions posées, par les deux parties, en motivant ses différentes prises de position et a été amené à répondre encore à des questions supplémentaires des parties dans son rapport complémentaire. Sur la base des éléments à sa disposition, le tribunal est en mesure de se prononcer lui-même, librement, sur la question de savoir si l’expertise privée suffit à faire douter de l’expertise commune. En l’espèce, tel n’est pas le cas, en raison d’un certain nombre de manquements reprochés à l’expertise privée.
Le recours a été rejeté par le TF.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême


TF 8C_548/2023 du 21 février 2024
Assurance-accidents; notion d’accident, choc psychologique, agression à caractère sexuel, viol; art. 4 LPGA
Au terme d’une nuit bien arrosée, une jeune assurée s’est réveillée dans son lit à côté d’un homme qu’elle ne connaissait pas, simplement vêtue d’un t-shirt. Elle a déclaré de manière constante n’avoir aucun souvenir de la nuit, en particulier aucun souvenir d’avoir eu des rapports sexuels. En prenant sa douche, elle a trouvé à l’intérieur de son vagin des résidus de préservatif. A la suite de cet événement, l’assurée a présenté des troubles psychologiques que l’assureur-accidents a nié devoir prendre en charge, motif pris que les conditions d’un choc psychologique n’étaient pas remplies. Le tribunal cantonal lui ayant donné tort, c’est au TF d’examiner si l’on était en présence de « circonstances propres à susciter l’effroi » permettant d’admettre le caractère extraordinaire dans le cadre de l’analyse de l’art. 4 LPGA.
Rappelant que, dans ses « déclarations de la première heure » et de manière constante depuis, l’assurée avait indiqué ne pas se souvenir de ce qui s’était passé cette nuit-là, et en particulier ne pas souvenir avoir eu des rapports sexuels, le TF a jugé que la condition de confrontation immédiate avec l’événement traumatisant, indispensable pour admettre l’accident sous l’angle du choc psychologique, n’était pas réalisée en l’espèce. Il a donc admis le recours de l’assureur LAA et nié le caractère accidentel des troubles psychiques sous l’angle du choc psychologique.
Note : cet arrêt s’inscrit dans la ligne de l’arrêt rendu dans le cas d’un assuré qui n’avait pas eu la chance de voir la camionnette écraser les passants sur la Promenade des Anglais (TF 8C_609/2018), ou encore de celui rendu dans l’affaire d’un conducteur de locomotive qui avait eu le malheur de penser passer sur un objet et n’avait appris qu’après coup qu’il s’agissait d’un être humain qui était, de ce fait, décédé (TF 8C_376/2013). Alors que l’on admet (enfin) de prendre en compte, dans l’appréhension pénale du viol, l’état de sidération de la victime, cet arrêt campe sur des positions passéistes qui ne peuvent se comprendre que dans le cadre d’une analyse strictement économique du droit des assurances sociales, ou comme l’expression à peine voilée de discriminer, là aussi, les personnes atteintes de troubles psychiques, quand bien même le texte de la loi ne le commande pas.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 7B_744/2023 du 14 février 2024
Responsabilité aquilienne; négligence, position de garant, causalité adéquate; art. 11, 12 al. 3 et 125 CP; 3, 4 et 8 aOTConst
Un ingénieur civil chargé de la direction et de la surveillance d’un chantier recourt contre sa condamnation pour lésions corporelles graves par négligence. La position de garant est indépendante de l’existence d’un lien de subordination juridique avec les personnes qui pourraient être mises en danger. La position de garant existe en effet également envers des tiers. Selon le Tribunal fédéral, le recourant était tenu d’aviser toute personne susceptible d’être concernée par un danger sur le chantier, peu importe qu’elle lui soit liée par un contrat ou non (c. 4.4.2).
Le Tribunal fédéral retient une violation fautive par le recourant de son devoir de prudence puisqu’il a omis de mettre en place les mesures de sécurité prévues par l’aOTConst (ancienne ordonnance du 29 juin 2005 sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction), respectivement en ne veillant pas à ce qu’elles le soient ; le recourant n’a ainsi pas déployé l’attention ni les efforts que l’on pouvait attendre de lui (c. 4.5).
S’agissant de la causalité adéquate, le Tribunal fédéral relève que celle-ci ne peut être exclue que si l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’ait empêché. Le Tribunal fédéral retient que si le recourant avait pris les mesures commandées par les circonstances, le dommage ne serait pas survenu. Il existe donc bien un lien de causalité adéquate entre le devoir de diligence du recourant et les lésions subies par l’intimé. Il n’y a pas de rupture de ce lien de causalité. Le comportement de l’intimé ne permet en effet pas de reléguer à l’arrière-plan le manquement du recourant. Ce comportement ne s’impose en effet pas comme la cause la plus probable et la plus immédiate de la chute, cause des lésions (c. 4.6).
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


CourEDH – Jann-Zwicker et Jann c. Suisse (requête n° 4976/20) du 13 février 2024
Responsabilité civile; droit à un procès équitable, prescription de l’action engagée par une victime de l’amiante; art. 6 § 1 CEDH
La décision des tribunaux suisses que le délai de prescription avait commencé à courir à partir du moment où la victime avait été exposée et qu’en conséquence l’action était prescrite viole l’art. 6 § 1 (droit à un procès équitable) CEDH en raison d’un défaut d’accès à un tribunal.
L’ajournement de la procédure décidé par le Tribunal Fédéral dans l’attente d’une réforme législative n’était pas nécessaire et viole ainsi l’art. 6 § 1 CEDH quant à la durée de procédure devant les juridictions nationales.
Auteur : Christoph Müller



TF 4A_423 et 425/2023 du 7 février 2024
Responsabilité aquilienne; illicéité, norme de protection; art. 41 CO
Les deux recourants ont saisi le Tribunal fédéral à la suite d’une condamnation pour abus de confiance (art. 138 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et gestion fautive (art. 165 CP). Plus particulièrement, leur recours est dirigé contre leur condamnation à s’acquitter des prétentions civiles de deux parties lésées. Les infractions ont été reprochées aux recourants dans le cadre de la faillite d’une société, faillite qui n’a ainsi pas permis aux créances des deux lésés d’être acquittées. Les deux créances des lésés n’atteignant pas la limite minimale de la valeur litigieuse de CHF 30'000.- pour l’ouverture d’un recours en matière civile, le Tribunal fédéral s’est demandé si la question posée était une question juridique de principe. Arrivant à la conclusion que tel n’était pas le cas, c’est uniquement dans le cadre d’un recours constitutionnel subsidiaire que la procédure a été examinée, plus particulièrement sous l’angle de l’arbitraire.
La question que s’est ainsi posée le Tribunal fédéral était de déterminer si les infractions auxquelles avaient été condamnés les recourants constituaient une norme de protection suffisante pour qu’une responsabilité au sens de l’art. 41 CO soit admise.
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral a rappelé tout d’abord que la notion d’illicéité s’entendait soit par l’illicéité de résultat (dommage à un bien absolu), soit par l’illicéité de comportement (dommage purement patrimonial). Or, pour que l’illicéité de comportement soit donnée, il faut qu’une norme protectrice du patrimoine ait été violée (Schutznorm). Une telle norme doit avoir clairement pour objectif de protéger le patrimoine des individus.
Ensuite, le Tribunal fédéral a rappelé qu’à de multiples reprises, sa jurisprudence avait considéré que les art. 163 ss CP, à savoir les crimes ou délits dans la faillite et la poursuite pour dette, n’étaient pas constitutifs de normes ayant pour objectif de protéger le patrimoine des individus. Ces normes avaient pour unique but de protéger les créanciers par un effet préventif. Pour le surplus, les règles de la LP, comme les actions révocatoires, étaient suffisantes pour protéger le patrimoine des parties lésées.
Ce faisant, le TF a considéré que, faisant fi de ce qui précède, l’instance cantonale avait versé dans l’arbitraire. Elle ne pouvait pas passer outre la jurisprudence constante à ce sujet. Par conséquent, le Tribunal fédéral a confirmé, encore une fois, sa jurisprudence, ceci même sous l’angle de l’examen confiné à l’arbitraire. Par ailleurs, l’instance cantonale semblait partir du principe que les créances civiles jugées par adhésion dans une procédure pénale n’avaient pas à être examinées selon les mêmes règles que celles prévalant en droit civil. Le Tribunal fédéral a alors indiqué qu’un tel raisonnement était insoutenable et donc également arbitraire. Les recours ont ainsi été amis et les prétentions des lésés ont été rejetées.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne


ATF 150 II 225, TF 2C_176/2022 du 7 février 2024
Responsabilité de l’Etat; dommage, chef de responsabilité, marchés publics, procédure d’adjudication; art. 9Cst.; 3 et 12 LRFC; 32 et 34 aLMP
L’art. 34 de la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 (aLMP) ne gouverne le régime de responsabilité en la matière qu’à l’égard de décisions dont le caractère illicite a été constaté par une autorité judiciaire, dans le cadre d’une procédure suivant l’art. 32 al. 2 aLMP (c. 5.1). En dehors du champ d’application de cette disposition spéciale réservée par l’art. 3 al. 2 de la loi sur la responsabilité (LRCF), celle-ci s’applique, en vertu de son art. 3 al. 1, à la responsabilité découlant d’actes illicites imputables à l’autorité fédérale d’adjudication et survenus en dehors de la prise de décisions formelles (c. 5.6).
Dans un cas où, comme dans la présente cause, le préjudice a été causé non pas par une décision d’adjudication, mais par la conclusion d’un contrat allant au-delà d’une décision adjugeant un premier lot, d’une part, et par l’interruption de la deuxième procédure d’adjudication, devenue sans objet, d’autre part, on se trouve en présence d’actes illicites – en particulier une violation du principe de la bonne foi énoncé à l’art. 9 Cst. (c. 8.2) – soumis à la LRCF (c. 6). Le lésé n’a pas eu la faculté de contester valablement ces choix du pouvoir adjudicateur, de sorte que l’exclusion de responsabilité prévue par l’art. 12 al. 3 LRCF, si le lésé n’a pas usé de voies légales à disposition, ne trouve pas application (c. 7.1-2).
Dans cette hypothèse, seuls peuvent être réclamés, comme dans le champ d’application de l’art. 34 aLMP, des dommages-intérêts négatifs, consistant ici (c. 8.3) dans le coût de participation à la procédure d’adjudication interrompue. En effet, le pouvoir adjudicateur n’a pas l’obligation de conclure un contrat avec le candidat bénéficiant de l’adjudication, de sorte que celui qui a été lésé par un acte ou une omission illicite du pouvoir adjudicateur ne peut pas prétendre à des dommages-intérêts positifs (c. 7.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle



ATF 150 V 7, TF 9C_482/2022 du 31 janvier 2024
Prestations complémentaires; revenu hypothétique, cotisations AVS/AI/APG; art. 10 al. 3 let. c LPC
Née en 1963, l’assurée perçoit trois-quarts de rente AI. Par décision du 4 juin 2021, la caisse de compensation lui a accordé des prestations complémentaires en tenant compte d’un revenu hypothétique en cas d’invalidité partielle. Lors du calcul des prestations complémentaires, la Caisse de compensation n’a pas tenu compte, à titre de dépense, de la cotisation minimale AVS/AI/APG pour les personnes sans activité lucrative. Le recours déposé par l’assurée contre la décision de la caisse de compensation a été rejeté.
Selon l’art. 10 al. 3 let. c LPC, sont considérées comme dépenses reconnues, entre autres, les cotisations aux assurances sociales de la Confédération, à l’exclusion des primes de l’assurance-maladie. Il s’agit de droit fédéral impératif. Les cotisations aux assurances sociales de la Confédération sont à prendre en considération pour toutes les personnes qui ne sont pas des travailleurs indépendants, et donc aussi pour les invalides partiels, auxquels il faut imputer un revenu hypothétique. Contrairement à l’avis du tribunal cantonal, il n’est donc pas question de faire totalement abstraction lors du calcul des prestations complémentaires de la cotisation minimale AVS/AI/APG effectivement versée par la recourante en tant que personne sans activité lucrative. Or, l’appréciation de l’instance cantonale revient à cela dans la mesure où, en se référant au fait que le revenu hypothétique selon l’art. 14a al. 2 OPC est un « revenu net », elle refuse d’en tenir compte.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 6B_1058/2022 du 29 janvier 2024
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, devoir de diligence de l’employeur, prescriptions relatives à la sécurité au travail; art. 117 CP; 85 LAA; 49, 52 et 52a OPA
En 2019, un ouvrier auxiliaire, employé par l’entreprise E. AG, a effectué des travaux de nettoyage sur le site d’une société. Dans ce cadre, il a utilisé seul une plateforme élévatrice fonctionnant sur batterie. Lors de l’utilisation de cette plateforme, il s’est coincé le cou entre un conduit de câbles et le garde-corps de la plateforme élévatrice et est mort asphyxié. Deux employés de E. AG, dont D., son directeur général, ont été reconnus coupables d’homicide par négligence (art. 117 CP) par les juridictions cantonales. Ils recourent au Tribunal fédéral.
Est notamment examinée par le Tribunal fédéral la question de savoir s’il était de la responsabilité de D., en tant qu’employeur, de ne confier des travaux comportant des dangers particuliers qu’à des travailleurs ayant reçu une formation appropriée à cet effet et, par conséquent, s’il incombait à D. de vérifier, qu’une formation avait été suivie par l’employé s’agissant de l’utilisation de plateformes élévatrices, notamment en demandant des certificats attestant d’une telle formation.
Le Tribunal fédéral rappelle qu’en vertu de l’art. 85 LAA en relation avec l’art. 52 OPA, la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail (CFST) peut édicter des directives afin de garantir une application uniforme et appropriée des prescriptions relatives à la sécurité au travail. Si l’employeur suit ces directives, il est présumé satisfaire aux prescriptions sur la sécurité au travail concrétisées par ces directives (art. 52a al. 2 OPA). L’employeur peut satisfaire aux prescriptions sur la sécurité au travail d’une autre manière que celle prévue par les directives, s’il prouve que la sécurité des travailleurs est garantie de manière équivalente (art. 52a al. 3 OPA).
En l’espèce, les obligations pertinentes pour le travail avec des plateformes de travail ou de personnes élévatrices sont concrétisées entre autres par les listes de contrôle de la Suva « Liste de contrôle : plateformes élévatrices PEMP – 1re partie : planification sûre » (n° 67064-1.f) et « Plateformes élévatrices, 2e partie : contrôle sur site » (n° 67064-2.f). Selon l’annexe I de la directive CFST n° 6508 relative à l’appel à des médecins du travail et autres spécialistes de la sécurité au travail, les travaux avec des installations et appareils techniques font partie des travaux comportant des dangers particuliers, conformément à l’art. 49 al. 2 OPA. Dans l’énumération de l’art. 49 al. 2 OPA, les plateformes élévatrices de travail ou de personnes sont également mentionnées aux ch. 2 et 5. Selon le ch. 5.5 de la directive CFST n° 6512, une formation à l’utilisation des équipements de travail est nécessaire lorsque les travaux à effectuer comportent des dangers particuliers (c. 4.2.3).
Sur cette base, le Tribunal fédéral retient que c’est à juste titre que l’instance cantonale a considéré qu’une formation pour l’utilisation des plateformes de travail élévatrices est obligatoire et qu’elle s’est basée sur les directives susmentionnées pour examiner la violation du devoir de diligence. Certes, le non-respect d’une directive n’a pas automatiquement pour conséquence que le devoir de diligence requis n’a pas été respecté ; toutefois, la violation d’une telle directive constitue un indice de non-respect du devoir de diligence au sens de l’art. 12 al. 3 CP. En contrepartie, le respect des prescriptions correspondantes confère à l’employeur la présomption qu’il remplit les exigences de sécurité selon la LAA et l’OPA. En outre, le recourant ne parvient pas à démontrer dans quelle mesure il a rempli son devoir de diligence en tant qu’employeur d’une autre manière, malgré le non-respect des prescriptions précitées, et à prouver ainsi que la sécurité de ses employés était garantie dans la même mesure (c. 4.2.4).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne

TF 8C_638/2023 du 18 janvier 2024
Assurance-chômage; procédure, garanties, tenue d’une audience publique, prestations transitoires pour chômeurs âgés; art. 6 § 1 CEDH; 30 al. 3 Cst.; 61 let. a LPGA
Un assuré âgé de 60 ans a demandé à pouvoir bénéficier des prestations transitoires pour les chômeurs âgés. La caisse de compensation bernoise a rejeté sa demande. Dans son recours, l’assuré demandait notamment la tenue d’une audience publique selon l’art. 6 CEDH. Le Tribunal administratif du canton de Berne a rejeté le recours sans avoir tenu d’audience publique.
En principe, le Tribunal cantonal doit tenir une audience publique lorsque l’une des parties en fait la demande clairement et dans les temps. Une demande faite pendant l’échange d’écritures ordinaire est faite dans les temps (rappel de jurisprudence ; c. 3.1).
En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le Tribunal cantonal n’était pas en droit de refuser d’organiser une audience publique au motif que le recours paraissait manifestement infondé (c. 4.1 et 4.2). En effet, l’argumentation de l’assuré selon laquelle celui-ci devait être mis au bénéfice des prestations transitoires en vertu du principe d’interdiction de la discrimination, quand bien même il ne remplissait pas les conditions légales au moment de l’épuisement des prestations du chômage, ne paraissait pas d’emblée vouée à l’échec (c. 4.3).
Le Tribunal cantonal aurait donc dû tenir une audience publique comme demandé par l’assuré, aucun autre motif d’exemption n’ayant été avancé par l’autorité pour refuser sa demande. La cause a donc été renvoyée à l’instance cantonale pour qu’elle statue à nouveau sur le fond après avoir tenu une audience publique (c. 4.4 et 4.5).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

TF 4A_31/2023 du 11 janvier 2024
Responsabilité aquilienne; fardeau de l’allégation, Preuve du dommage; art. 754 CO; 55 al. 1 et 157 CPC; 42 al. 2 CO
En quittant une société active dans le domaine de l’audiovisuel (Sàrl), l’associé a notamment emporté l’intégralité de la base de données de celle-ci après l’avoir copiée sur un disque dur externe. La société a ensuite dû cesser son activité, et ses actifs, dont le principal était sa base de données, ont été repris par une société repreneuse. L’associé a été condamné en première instance, puis en deuxième instance, à rembourser le montant de CHF 52'349.-, montant correspondant principalement au prix que cet associé aurait dû payer normalement pour obtenir les données qu’il a emportées sans droit.
Le Tribunal fédéral rappelle les principes régissant la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC) et les fardeaux de l’allégation subjectifs, de l’administration des preuves et de la contestation qui en découlent. Le Tribunal fédéral rappelle que, en ce qui concerne l’allégation d’une facture, d’un compte ou d’un dommage, les différents postes doivent être présentés dans la demande, sous plusieurs numéros d’allégués, afin de permettre au défendeur de pouvoir se déterminer clairement. A titre exceptionnel, cependant, il a été admis qu’un allégué de la demande n’indique que le montant total, lorsque le demandeur se réfère à une pièce qu’il produit et qui contient toutes les informations nécessaires. Par ailleurs, selon la jurisprudence rendue en matière de droit à la preuve, il faut que celle-ci soit présentée régulièrement (formgerecht), conformément à l’art. 152 al. 1 en relation avec l’art. 221 al. 1 let. e CPC, c’est-à-dire immédiatement après l’allégué.
En l’espèce, en ce qui concerne le poste de dommage de CHF 50'000.-, alloué par les deux instances cantonales pour la base de données copiée et emportée sans droit, l’associé recourant soutenait que son existence et son montant n’avaient pas été prouvés, invoquant la violation de l’art. 8 CC en relation avec l’art. 754 CO. Il appartient au demandeur à l’action en responsabilité de l’art. 754 CO de prouver la réalisation des quatre conditions prévues par cette disposition qui sont cumulatives (violation d’un devoir, faute intentionnelle ou par négligence, dommage et existence d’un rapport de causalité naturelle et adéquate). Le fardeau de la preuve du dommage incombe donc au demandeur lésé.
Toutefois, selon la jurisprudence, lorsque le dommage est difficile à prouver, soit lorsqu’une preuve certaine est objectivement impossible à apporter ou ne peut pas être raisonnablement exigée, au point que le demandeur se trouve dans un état de nécessité quant à la preuve (Beweisnot), l’art. 42 al. 2 CO instaure une preuve facilitée en faveur du demandeur. Le juge applique d’office les règles du droit aux faits qu’il aura constatés conformément à son pouvoir de libre appréciation des moyens de preuve administrés (art. 157 CPC). Dans ce cadre, le juge applique d’office les règles du droit. Selon le Tribunal fédéral, ce serait tomber dans un formalisme excessif que d’imposer au tribunal de devoir trancher un litige contrairement à son intime conviction. Le Tribunal fédéral confirme ainsi qu’il était licite de retenir CHF 50'000.- à titre de gain manqué, même si ce montant différait de celui allégué par la demanderesse, laquelle chiffrait ce dommage à CHF 200'000.-, prix que les instances cantonales ont estimé correspondre non pas à la seule base de données, mais à la valeur totale de la société.
Peu importe que la société demanderesse n’ait pas allégué se trouver dans l’impossibilité de chiffrer précisément son dommage. Peu importe également le fait qu’une expertise judiciaire n’ait pas été ordonnée pour évaluer la valeur de cette base de données. Peu importe finalement que les moyens de preuve aient été proposés par l’une ou l’autre des parties, le tribunal étant libre d’apprécier les preuves et de fixer le dommage d’une autre manière, en fonction des preuves administrées. En vertu de l’art. 157 CPC, les instances genevoises étaient libres de calculer le dommage en se basant sur les prix payés par la société repreneuse pour la base des données résiduelles, ce sans passer par une expertise.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion


ATF 150 I 99, TF 9F_20/2022 du 8 janvier 2024
Assurance-vieillesse et survivants; affaire Beeler c. Suisse (suites), révision de l’arrêt fédéral, absence de motif de révision, étendue de la révision, assistance judiciaire; art. 121 ss LTF
M. Beeler, dont l’épouse était décédée alors que leurs enfants étaient très jeunes et dont la rente de veuf avait été supprimée au 18e anniversaire de la cadette de ses enfants en application de l’art. 24 al. 2 LAVS, a obtenu de la Cour européenne des droits de l’homme qu’elle reconnaisse le caractère discriminatoire de cette disposition et, partant, la violation des art. 8 et 14 CEDH.
A la suite de l’arrêt rendu par la Grande Chambre le 11 octobre 2022, M. Beeler a introduit une demande de révision de l’arrêt du Tribunal Fédéral à l’origine de l’affaire (TF 9C_617/2011), procédure suspendue après que l’OFJ a informé des négociations entamées avec le requérant. Ces négociations ont abouti au versement à ce dernier d’un montant correspondant à l’arriéré de la rente, intérêts moratoires compris. L’OFJ ayant requis la radiation de la cause, le requérant s’y est opposé, au motif que dans sa requête, il avait conclu en plus au versement de dommages-intérêts.
Le Tribunal fédéral rappelle que l’objet d’une procédure de révision est déterminé par le dispositif de l’arrêt qui doit être révisé. Dans le recours qui avait abouti à cet arrêt, le requérant avait conclu à la poursuite du versement de sa rente de veuf au-delà du 18e anniversaire de sa cadette. La conclusion prise dans la procédure de révision tendant au versement de dommages-intérêts supplémentaires est ainsi irrecevable.
Dans la mesure où la Confédération, à la suite de l’arrêt européen, a entièrement fait droit à la prétention du requérant concernant le versement de la rente de veuf, sa requête de révision est devenue sans objet.
La demande d’assistance judiciaire formulée par le requérant après la conclusion avec la Confédération de l’accord transactionnel portant sur le versement rétroactif de la rente était d’emblée dénuée de toute chance de succès et doit par conséquent être rejetée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 6B_654/2023 du 5 janvier 2024
Responsabilité du détenteur d’un véhicule automobile; causalité, interruption; Art. 12 al. 3 et 125 al. 1 CP; 31 al. 1, 32 al. 1, 33 al. 2 LCR
Acquitté en première, puis condamné en deuxième instance pour lésions corporelles simples par négligence, un automobiliste ayant heurté un cycliste sur un passage pour piétons porte l’affaire devant le Tribunal fédéral.
Celui-ci rappelle en premier lieu la définition de la négligence, puis examine si celle-ci s’inscrit dans un rapport de causalité avec les lésions subies par la victime, respectivement si ce rapport est interrompu en raison du comportement du lésé.
S’agissant de lésions corporelles causées à la suite d’un accident de la circulation, ce sont les règles de la circulation routière qui définissent les devoirs de prudence. Le Tribunal fédéral indique ainsi que « le conducteur circulera avec une prudence particulière avant les passages pour piétons. Il réduira sa vitesse et s’arrêtera, au besoin, pour laisser la priorité aux piétons qui se trouvent déjà sur le passage ou s’y engagent ». La loi prescrit cependant que même s’ils bénéficient de la priorité sur les passages pour piétons, ces derniers ne doivent pas s’y lancer à l’improviste. Appliquant son raisonnement à la situation d’un piéton, le Tribunal fédéral poursuit en insistant sur le fait que l’automobiliste doit adapter sa vitesse aux abords d’un passage pour piétons, de manière à pouvoir accorder la priorité à ceux-ci, ce devoir étant accru lorsque la configuration des lieux l’exige en raison de sa dangerosité. Ce devoir ne disparaît pas, même si l’on en déduit qu’il est atténué, « à l’égard d’un piéton qui s’élance sur un passage pour piétons de manière contraire aux règles ».
Après avoir rappelé ces principes, le Tribunal fédéral retient, en l’espèce, que l’automobiliste n’avait pas ralenti à l’approche du passage pour piétons, alors que sa vision des alentours était limitée par la présence d’une haie. Ce constat est aggravé par le fait que l’automobiliste empruntait cette route chaque jour. Le Tribunal fédéral ajoute, reprenant les constats de l’instance inférieure, que le cycliste était visible. Ainsi, le prévenu ayant indiqué n’avoir aperçu la victime qu’au moment du choc « montrait bien qu’il n’avait pas porté une attention suffisante », ce qui confirme sa négligence.
Enfin, s’agissant de l’interruption du lien de causalité, le Tribunal fédéral reprend le constat de l’instance précédente selon lequel le fait qu’un cycliste traverse un passage pour piétons sans marquer d’arrêt n’était pas si imprévisible que le recourant ne pouvait s’y attendre, ou du moins se préparer à une telle éventualité. Il ajoute que le fait qu’un cycliste bifurque soudainement pour prendre un passage pour piétons sans s’arrêter, même à une vitesse supérieure à celle du pas, ne saurait être considéré comme une circonstance exceptionnelle.
Sans préciser si son avis aurait alors été différent, le Tribunal fédéral insiste en relevant que le recourant n’a pas allégué qu’il « ne pouvait s’attendre à ce qu’une personne circulant à vélo emprunte le passage pour piétons ».
Note :
On constate ainsi qu’une pratique de plus en plus répandue, même contraire à la LCR, doit être anticipée par les automobilistes, ce qui amène l’auteur à s’interroger sur le caractère exceptionnel (ou non) du non-respect des signaux lumineux par les cyclistes et donc de ses conséquences.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève


TF 9C_401/2023 du 5 janvier 2024
Assurance-vieillesse et survivants; exemption de l’obligation de cotiser en Suisse; art. 13 et 16 R 883/2004
Cet arrêt concerne le cas d’un ressortissant allemand qui exerce la profession de médecin-dentiste en Allemagne et en Suisse. Initialement au bénéfice d’une exemption lui permettant d’être soumis à la législation allemande en matière de sécurité sociale, il a demandé à être à nouveau exempté de l’application de la législation suisse à partir de janvier 2016. L’OFAS a refusé cette demande. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision, estimant que le recourant était soumis à la législation suisse depuis janvier 2016. Le médecin a alors déposé un recours auprès du Tribunal fédéral. Il a notamment fait valoir que l’application de la législation suisse constituait une violation de l’interdiction de l’arbitraire et du droit à la liberté économique. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours. Il ne voit pas en quoi la limitation dans le temps de l’exemption des dispositions légales normalement applicables dont avait bénéficié le recourant jusqu’à la fin de 2015 ne serait admissible qu’en présence d’une base légale spécifique. Il considère par ailleurs que l’application de la législation suisse est appropriée et que l’OFAS n’est pas tombé dans l’arbitraire en refusant le renouvellement de l’exemption.
Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 4A_614/2021 du 21 décembre 2023
Responsabilité médicale; légitimation passive, consentement hypothétique; art. 61 al. 1 et 101 CO
Il n’est pas aisé, dans la pratique, de déterminer si l’action en responsabilité doit être dirigée contre le médecin incriminé, ou contre l’hôpital. Selon le Tribunal fédéral, si l’opération a lieu dans une clinique privée, il conviendra de déterminer si le patient (privé) a conclu un seul contrat, incluant l’intervention chirurgicale, avec l’établissement (contrat d’hospitalisation global) ou s’il a passé deux contrats parallèles, l’un avec la clinique, portant sur les prestations hôtelières et la prise en charge générale des soins (contrat d’hospitalisation partiel, contrat d’hospitalisation démembré) et l’autre avec le médecin, comportant notamment la prestation de chirurgie (contrat de soins).
Dans le premier cas, l’établissement de soins assume une responsabilité du fait des auxiliaires (art. 101 CO) pour les actes du médecin (employé, voire agréé) en lien avec l’intervention. Le patient lésé qui entend ouvrir une action en responsabilité contractuelle devra donc agir contre l’établissement privé. En revanche, dans le second cas de figure, il pourra invoquer la responsabilité civile personnelle du médecin (agréé) découlant du contrat de soins.
Un canton peut au demeurant soumettre au droit public cantonal la responsabilité des médecins opérant dans un hôpital public, y compris pour les actes d’un médecin-chef à l’égard d’un patient privé, sur la base de l’art. 61 al. 1 CO.
Une consultation préalable aux interventions, dans le cabinet privé du médecin, peut être une circonstance pertinente, par exemple si le patient lésé allègue que les opérations avaient été pratiquées dans une clinique privée par un médecin agréé (indépendant) ; en effet, il peut s’agir d’un indice d’un contrat de soins avec le médecin englobant les interventions à l’hôpital, conclu parallèlement à un contrat d’hospitalisation partiel avec l’établissement.
Pour le Tribunal fédéral, l’assimilation de l’Hôpital de la Riviera à une clinique privée plutôt qu’à un hôpital public n’a rien d’évident dans la mesure où il était, avant le transfert de patrimoine à l’Hôpital Riviera-Chablais Vaud-Valais, un établissement sanitaire privé reconnu d’intérêt public. La question n’est toutefois pas tranchée.
Il appartient au médecin d’établir qu’il a suffisamment renseigné le patient et obtenu le consentement éclairé de ce dernier préalablement à l’intervention. En l’absence d’un tel consentement, le praticien peut soulever le moyen du consentement hypothétique du patient. Il doit alors démontrer que celui-ci aurait accepté l’opération même s’il avait été dûment informé. Si le fardeau de la preuve incombe là aussi au médecin, le patient doit toutefois collaborer à cette preuve en rendant vraisemblable ou au moins en alléguant les motifs personnels qui l’auraient incité à refuser l’opération s’il en avait notamment connu les risques. En effet, il ne faut en règle générale pas se baser sur le modèle abstrait d’un « patient raisonnable », mais sur la situation personnelle et concrète du patient dont il s’agit. Ce n’est que dans l’hypothèse où le patient ne fait pas état de motifs personnels qui l’auraient conduit à refuser l’intervention proposée qu’il convient de considérer objectivement s’il serait compréhensible, pour un patient sensé, de s’opposer à l’opération.
Par ailleurs, le consentement hypothétique ne doit en principe pas être admis lorsque le genre et la gravité du risque encouru auraient nécessité un besoin accru d’information, que le médecin n’a pas satisfait. Dans un tel cas, il est en effet plausible que le patient, s’il avait reçu une information complète, se serait trouvé dans un réel conflit quant à la décision à prendre et qu’il aurait sollicité un temps de réflexion. Finalement, selon la jurisprudence, le devoir d’information du médecin ne s’étend en principe pas aux risques qui se réalisent rarement.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

ATF 150 V 57, TF 9C_202/2023 du 21 décembre 2023
APG Covid-19; prestations perçues à tort, remise de l’obligation de restituer, personne morale, notion de situation difficile; art. 25 LPGA; O APG COVID-19; LCaS-COVID-19; OCaS-COVID-19
Le litige oppose la Caisse de compensation GastroSocial et la société A. Sàrl, au sujet de l’obligation faite à celle-ci de rembourser l’allocation pour perte de gain liée aux mesures de lutte contre le coronavirus, versée à ses deux employés occupant une position similaire à celle d’un employeur.
Les dispositions de la LPGA sont applicables aux allocations prévues par l’ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, sauf si les dispositions de l’ordonnance prévoient expressément une dérogation à la LPGA (art. 1 O APG COVID-19) (c. 4.1). Selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées (1re phr.). La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile (2e phr.) (c. 4.2). Il manque une réglementation sur la manière d’évaluer la grande difficulté pour les personnes morales (c. 4.3).
La juridiction cantonale a considéré que lorsque la caisse de compensation exige, pour les personnes morales, un surendettement survenu ou imminent pour admettre l’existence d’une situation très difficile en appliquant par analogie l’art. 40 RAVS, elle ne tient pas compte du fait que cette norme se réfère à la remise de la créance de cotisations arriérées et qu’il s’agit ici de prestations indûment perçues. L’allocation de perte de gain COVID-19 serait une prestation calquée sur l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, notamment pour les personnes assimilées à des employeurs, qui ne peuvent en principe pas prétendre aux prestations de l’assurance-chômage. Pour cette raison, il serait justifié de ne pas poser d’exigences plus strictes pour la remise du remboursement de cette prestation que pour les indemnités de chômage partiel (c. 5.1).
Selon le Tribunal fédéral, contrairement à la juridiction cantonale, on ne peut pas déduire du fait que l’allocation pour perte de gain COVID-19 peut être attribuée, entre autres, aux personnes assimilées à des employeurs qui n’ont pas droit aux prestations de l’assurance-chômage, en considérant que les dispositions de l’assurance-chômage s’appliquent par analogie à la question de la remise du remboursement. Les dispositions du régime des APG s’appliquent par analogie à l’allocation pour perte de gain COVID-19 pour différentes questions et donc en principe également au cas d’espèce (c. 5.2.1).
Le Tribunal fédéral expose que dans l’arrêt I 553/01 du 28 juin 2002, le TFA a estimé qu’il y avait lieu d’appliquer un critère plus strict à l’appréciation de la situation économique d’une société anonyme en ce qui concerne la remise des cotisations qu’en ce qui concerne la remise du remboursement des prestations. Ainsi, la remise du paiement rétroactif ne doit être accordée que de manière restrictive, car elle constitue une exception au principe de base du régime de cotisations, qui repose sur le prélèvement de pourcentages de salaire, sans tenir compte de la capacité financière. En revanche, il se justifie de tenir davantage compte des circonstances particulières du cas d’espèce lors de la remise du remboursement des prestations et d’admettre exceptionnellement qu’il s’agit d’une situation très difficile, même s’il n’y a pas encore de surendettement ou si celui-ci est imminent, mais que le remboursement mettrait la société dans de graves difficultés financières. Dans les faits à juger à l’époque, des circonstances particulières, justifiant une mesure moins sévère, ont été reconnues dans le fait que l’employeuse ne s’était pas enrichie en percevant les prestations qui lui avaient été versées à tort, mais qu’elle avait fait des avances correspondantes à l’assuré. Il a en outre été tenu compte du fait qu’il n’y avait plus de fonds provenant des paiements indus qui auraient pu être utilisés pour le remboursement (c. 5.3.2)
Le Tribunal fédéral indique que contrairement à l’arrêt I 553/01 du 28 juin 2002, où l’employeur tenu au remboursement avait fait des avances à son employé sans en tirer le moindre avantage, il s’agit ici de paiements que la société A. Sàrl a reçus pour ses propriétaires ou ses employés ayant une position similaire à celle d’un employeur (B. et C.), ce qui rend évident l’avantage qui en résulte pour elle. Les faits à juger ici ne présentent donc pas de parallèles avec ceux jugés le 28 juin 2002. On ne voit pas non plus de circonstances particulières qui pourraient exceptionnellement plaider en faveur d’une considération plus clémente. Ainsi, l’appréciation de la grande difficulté est soumise au critère strict (applicable en principe). En d’autres termes, la condition de remise ne peut être remplie que si un surendettement s’est produit ou est imminent. Selon l’art. 725 en relation avec l’art. 820 CO (dans la version applicable ici, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022), il y a surendettement lorsqu’en raison de pertes de capital, l’ensemble des fonds propres et même une partie des fonds étrangers ne sont plus couverts, que ce soit à la valeur de continuation ou à la valeur de liquidation (c. 5.3.4).
Le Tribunal fédéral explique que c’est le moment où la décision sur la restitution est entrée en force qui est déterminant pour juger de l’existence d’une situation difficile (art. 4 al. 2 OPGA) (c. 5.4).
Le Tribunal fédéral rappelle que selon l’art. 24 al. 1 LCaS-COVID-19, dans la version applicable en l’espèce et en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022, les crédits cautionnés sur la base de l’art. 3 OCaS-COVID-19 (crédits jusqu’à 500’000 francs) ne sont pas considérés comme des fonds étrangers pour le calcul de la couverture du capital et des réserves selon l’art. 725 al. 1 CO et pour le calcul d’un surendettement selon l’art. 725 al. 2 CO (c. 5.4.2)
Selon le Tribunal fédéral, même si la disposition de l’art. 24, al. 1 LCaS-COVID-19 est formulée de manière très générale, elle vise uniquement à libérer les entreprises de l’obligation d’avis prévue à l’art. 725 CO en cas de perte de capital ou de surendettement. L’intention du législateur n’était pas de dénier de manière générale aux crédits COVID-19 le caractère de fonds étrangers. Si l’on qualifiait également les crédits COVID-19 de fonds propres dans d’autres situations où la situation financière d’une société doit être évaluée, c’est-à-dire en dehors du champ d’application de l’art. 24 LCaS-COVID-19, le bienfait voulu par cette norme serait vidé de son sens. C’est pourquoi, dans le cadre de la remise du remboursement de l’allocation pour perte de gain COVID-19 dont il est question ici, les crédits COVID-19 - comme tous les autres crédits, nonobstant la disposition de l’art. 24 LCaS-COVID-19 - doivent être considérés comme des fonds étrangers lors de l’examen de la question de savoir s’il existe un surendettement ou s’il existe un risque imminent de surendettement (c. 5.4.3).
Partant, le recours de la Caisse de compensation GastroSocial a été rejeté.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 9C_294/2023 du 20 décembre 2023
Assurance-vieillesse et survivants; rente de vieillesse, droit d’être entendu, rente ordinaire, plafonnement des rentes pour un couple, notion de ménage commun, restitution de prestations indûment touchées, péremption, devoir d’informer; art. 25 al. 1 et 2 LPGA; 49 al. 3 LPGA; 35 LAVS
Le litige porte sur la restitution de CHF 35'450.- par la recourante et de CHF 35'510.- par le recourant, correspondant aux montants des rentes de vieillesse qu’ils auraient perçues indûment entre les 1er juin 2017 et 31 mai 2022.
Le TF relève préliminairement que la guérison d’une violation du droit d’être entendu, même grave, peut se justifier lorsqu’un renvoi à l’autorité auteure de la violation en question constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l’intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable.
Il ajoute que contrairement à ce que prétendent les recourants, la jurisprudence relative aux conditions d’application de l’art. 25 al. 1 LPGA n’exige pas le prononcé de trois décisions séparées mais le respect de trois étapes en principe distinctes (examen des conditions d’une reconsidération ou d’une révision procédurale, examen de la restitution en tant que telle, examen de la remise de l’obligation de restituer). La dernière étape ne saurait être effectuée, respectivement la décision portant sur la remise de l’obligation de restituer rendue, avant qu’une décision concernant l’obligation de restituer elle-même (comme celle faisant l’objet du présent litige) ne soit entrée en force.
Sur le fond, le TF retient que le fait, pour les recourants, de vivre sous le même toit depuis le 12 septembre 2013 (même si chacun occupait un étage différent et versait une partie du loyer du duplex qu’ils louaient à leur fils) constituait un fait nouveau important (au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA) justifiant la révision procédurale à laquelle avait procédé la caisse intimée. Il considère que cette autorité n’avait pu avoir connaissance (au sens de l’art. 25 al. 2 LPGA) de la reprise de la vie commune des époux qu’au moment d’un contrôle de concordance de ses fichiers et du Registre des personnes effectué en avril 2022 et non lorsque ces derniers lui ont annoncé leur changement d’adresse ou ont répondu aux questions qui leur étaient posées, ce qui ne suffit pas à considérer qu’ils ont respecté leur devoir d’informer.
Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter

TF 7B_51/2022 du 20 décembre 2023
Responsabilité aquilienne; responsabilité du skieur, lésions corporelles par négligence, causalité, faute concomitante; art. 125 CP; Règles FIS
Le skieur descendant en amont n’a pas adapté son comportement (vitesse, direction et trajectoire) aux circonstances ; nonobstant des conditions de neige défavorables et de nombreux usagers, il s’est engagé entre le bord gauche de la piste et un groupe d’enfants qui se trouvait au milieu de la piste avec leur moniteur. Il est entré en collision avec une jeune skieuse située en aval, alors âgée de 7 ans, qui effectuait un exercice pour rejoindre ses camarades et son moniteur de ski. Cette dernière a souffert d’une double fracture au niveau du plateau tibial du genou droit. Elle a pu reprendre des activités sportives deux mois et demi après l’accident. Le skieur fautif a également été blessé à la suite de l’accident (fracture du plateau tibial externe du genou gauche). Le skieur fautif a été condamné pour lésions corporelles simples par négligence, condamnation confirmée en appel.
La présomption d’innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, ainsi que son corollaire, le principe in dubio pro reo, concernent tant le fardeau de la preuve que l’appréciation des preuves au sens large. Le fardeau de la preuve incombe à l’accusation et le doute doit profiter au prévenu. La présomption d’innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l’existence d’un fait défavorable à l’accusé si, d’un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l’existence de ce fait. En l’espèce, le Tribunal fédéral retient que la « dynamique de l’accident » a été décrite de manière précise par la cour cantonale et qu’il n’apparaît pas qu’elle ait procédé à un renversement du fardeau de la preuve, respectivement éprouvé un doute qu’elle aurait interprété en défaveur du recourant.
S’agissant du chef d’accusation de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP), le Tribunal fédéral examine si l’auteur a violé les règles de la prudence. En vertu de la règle FIS n° 1, tout skieur doit se comporter de telle manière qu’il ne puisse pas mettre autrui en danger ou lui porter préjudice. Cette disposition énonce une règle générale de prudence, applicable à défaut de disposition spéciale. La règle FIS n° 2 exige que le skieur descende « à vue », par quoi on entend qu’il doit adapter sa vitesse à sa distance de visibilité et skier de telle manière qu’il puisse s’arrêter ou effectuer une manœuvre d’évitement en présence d’un obstacle prévisible survenant dans son champ de vision. La règle FIS n° 3 oblige le skieur amont, dont la position dominante permet le choix d’une trajectoire, de prévoir une direction qui assure la sécurité du skieur aval. Le skieur amont est, autrement dit, débiteur de la priorité. La règle FIS n° 4, le dépassement peut s’effectuer, par amont ou par aval, par la droite ou par la gauche, mais toujours de manière assez large pour prévenir les évolutions du skieur dépassé. La règle FIS n° 5 dispose enfin que tout skieur et snowboarder qui pénètre sur une piste de descente, s’engage après un stationnement ou exécute un virage vers l’amont doit s’assurer, par un examen de l’amont et de l’aval, qu’il peut le faire sans danger pour lui et pour autrui.
L’examen de l’adaptation de la vitesse aux circonstances, dans leur ensemble, est en principe une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement. Mais, comme la réponse dépend pour beaucoup de l’appréciation des circonstances locales par l’autorité cantonale, le Tribunal fédéral ne s’écarte de cette appréciation que lorsque des raisons impérieuses l’exigent. Le Tribunal fédéral considère qu’aucune raison impérieuse n’oblige à s’écarter de l’appréciation effectuée par les autorités précédentes, qui ont considéré que par son comportement, le recourant avait violé les règles n° 2 et 3 FIS et, partant, les devoirs de prudence que les circonstances lui imposaient. Le devoir de prudence était accru du fait que le recourant savait qu’un groupe d’enfants avec un moniteur – qu’il avait identifié – se trouvait à proximité, à l’arrêt, et qu’un autre groupe de skieurs, dont des enfants, se situait sur la gauche à proximité de la piste. Il aurait dû, au vu de ces circonstances, envisager que d’autres enfants puissent rejoindre le groupe, le cas échéant en coupant sa propre trajectoire.
Il faut encore qu’il existe un rapport de causalité entre la négligence et les lésions subies (art. 125 al. 1 CP). Le recourant ne saurait se prévaloir, du principe de la confiance en soutenant que l’accident serait survenu au motif que l’enfant aurait violé la règle FIS n° 5 en s’engageant depuis une zone hors-piste, perpendiculairement à la piste, sans regarder en amont avant de s’élancer. Même fautif, le comportement de la jeune victime, âgée de 7 ans au moment des faits, n’était pas d’une imprévisibilité telle qu’il suffirait à interrompre le rapport de causalité adéquate. La négligence commise par le recourant se trouve donc en rapport de causalité adéquate avec les lésions subies par l’enfant. Sa condamnation en vertu de l’art. 125 CP ne viole dès lors pas le droit fédéral.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

ATF 150 V 73, TF 9C_597/2023 du 20 décembre 2023
Assurance-vieillesse et survivants; rente de vieillesse, ajournement de la rente, supplément de rente, modalités de calcul; art. 39 LAVS; 55bis ss RAVS
Dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, l’art. 39 LAVS avait la teneur suivante : « Les personnes qui ont droit à une rente ordinaire de vieillesse peuvent ajourner d’une année au moins et de cinq ans au plus le début du versement de la rente ; elles ont la faculté de révoquer l’ajournement à compter d’un mois déterminé durant ce délai. La rente de vieillesse ajournée et, le cas échéant, la rente de survivant qui lui succède sont augmentées de la contre-valeur actuarielle de la prestation non touchée. Le Conseil fédéral fixe, d’une manière uniforme, les taux d’augmentation pour hommes et femmes et règle la procédure. Il peut exclure l’ajournement de certains genres de rentes ». L’art. 55ter al. 2 RAVS, également dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, précise les modalités de calcul du supplément, à savoir que « le montant de l’augmentation sera déterminé en divisant la somme des montants des rentes ajournées par le nombre de mois correspondants. Cette somme est multipliée par le taux d’augmentation correspondant en vertu de l’al. 1 ». Cette disposition inclut également une adaptation de ce supplément à l’évolution du salaire et des prix (al. 5) (c. 4.1). Cette délégation de compétence a justifié l’édition d’une directive qui précise la formule mathématique de calcul [somme des rentes différées] x [taux de supplément] : [durée de l’ajournement = nombre de mois] (c. 4.2).
Dans le cas d’espèce, le recourant avait sollicité l’ajournement maximum de sa rente de vieillesse. En vertu des règles applicables, il sollicitait donc un supplément correspondant à 31,5 %. Le litige consistait à savoir si cette augmentation devait s’appliquer sur la rente de base au moment de la demande d’ajournement, soit CHF 2'350.- ou sur celle prévalant au moment de la prise de retraite effective, soit CHF 2'450.- (c. 5.1 et 5.2). En effet, l’application de la formule mathématique précitée revenait à octroyer concrètement un supplément mensuel de CHF 748.-, ce qui ne représentait que le 30,53 % de la rente actuelle de retraite (c. 5.2). Le recourant a saisi le Tribunal fédéral, mettant en cause la conformité au droit fédéral de la formule mathématique permettant la détermination du supplément fondée sur l’art. 55ter al. 2 RAVS (c. 6.1). Après une analyse très complète et détaillée du cadre légal et jurisprudentiel (c. 7), le Tribunal fédéral parvient à la conclusion que la méthode de calcul telle qu’elle ressort de la directive ne viole aucunement le droit fédéral et que le montant de la rente à prendre en considération est celui existant au jour de la demande d’ajournement (c. 7.3.2).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Winterthur


ATF 150 V 129, TF 9C_135/2022 du 12 décembre 2023
Assurance-maladie; principe d’économicité, polypragmasie, contrôle de la prise en charge, méthode de régression, restitution de prestations; art. 32 al. 1 et 56 LAMal
Cet arrêt fait suite à une action déposée devant le Tribunal arbitral par 26 assureurs-maladie à l’encontre d’un médecin spécialiste en médecine interne générale et au bénéfice d’une autorisation d’exploiter une pharmacie de cabinet lui permettant de remettre directement des médicaments aux patients. Le médecin est condamné par le Tribunal arbitral à restituer aux assureurs la somme de CHF 266'998.40 pour l’exercice de l’année 2017 en raison du fait que ses notes d’honoraires étaient sensiblement plus élevées en comparaison des autres praticiens (polygramasie). Le Tribunal fédéral est saisi d’un recours déposé par le médecin à l’encontre de ce jugement.
Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord la notion de polypragmasie et expose les différentes méthodes permettant d’évaluer le critère d’économicité d’un fournisseur de soins (c. 4.1). Ainsi, pour établir l’existence d’une polypragmasie, le Tribunal fédéral admet le recours à trois méthodes : la méthode statistique, la méthode analytique ou une combinaison des deux méthodes (c. 4.2). En application de l’art. 56 al. 6 LAMal, la FMH et les représentants des assureurs-maladie, Santésuisse et Curafutura, ont adopté le modèle d'analyse de variance, dite aussi méthode ANOVA. Les partenaires précités ont affiné la méthode ANOVA en développant la méthode de régression en deux étapes (screening-methode). L’analyse de régression inclut ainsi non plus seulement les critères de morbidité, de l’âge et du sexe, mais également les critères « franchise à option », « séjour dans un hôpital ou dans un établissement médico-social l’année précédente », ainsi que les « PCG (Pharmaceutical Cost Group) » (c. 4.4.1). Selon le Tribunal fédéral, l’analyse de régression relève ainsi de la méthode statistique (c. 4.3.2 et 4.3.3).
Le Tribunal fédéral précise ensuite que la convention liant la FMH, Santésuisse et Curafutura prévoit que la méthode de screening ne constitue qu’une première étape de l’analyse du critère de l’économicité (c. 5.2.4). Ainsi, selon l’accord intervenu entre les partenaires, le contrôle de l’économicité comprend d’abord une analyse de régression et, si cette première phase révèle une situation anormale, l’assureur doit procéder à un examen individuel du fournisseur de prestations. En d’autres termes, à lui seul, le résultat de l’analyse de régression ne permet pas de retenir une violation du principe de l’économicité (c. 5.3.2).
Par ailleurs, le Tribunal fédéral souligne que les particularités de certains cabinets, par exemple l’autorisation de remettre des médicaments, influencent l’analyse du critère de l’économicité et doivent dès lors être appréciées dans le cadre de l’examen individuel de la situation du fournisseur de prestations (c. 6.4). Dans le cas d’espèce, l’examen devant le Tribunal arbitral a été limité à l’analyse de régression, les spécificités du cabinet du recourant n’ayant pas été examinées. Le recours du médecin est donc partiellement admis et la cause renvoyée au Tribunal arbitral pour nouvelle décision.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains


ATF 150 V 1, TF 9C_199/2023 du 11 décembre 2023
APG COVID-19; personne assimilable à un employeur, qualité pour recourir de l’employeur, reconsidération et restitution; art. 59, 25 al. 1 et 53 al. 2 LPGA; 5 al. 1 et 7 al. 2 O APG COVID-19
Une personne a une position assimilable à un employeur dans deux sociétés distinctes affiliées à deux caisses de compensation dans deux cantons différents. Des APG Covid-19 sont versées aux deux sociétés. Une restitution partielle est réclamée aux deux employeurs par les deux caisses de compensation.
Le 21 janvier 2022, l’OFAS a établi un Bulletin à l'intention des caisses de compensation AVS et des organes d'exécution des PC n° 448. En substance, on exigeait que les APG Covid-19 des personnes ayant une position assimilable à un employeur leur soient versées directement, contrairement à une certaine pratique tendant à verser les allocations directement à l’employeur. En raison de cette pratique, le TF admet que les employeurs disposent de la légitimation active, à tout le moins pour les allocations versées jusqu’à la publication de la communication de l’OFAS susmentionnée. En effet, en soi, ni l’art. 59 LPGA, ni l’art. 7 al. 2 O APG COVID-19 ne confère de qualité pour recourir. Au surplus, il y a lieu de relever que la demande de restitution s’adresse bel et bien à l’employeur. Les motifs de la demande de restitution se fondent sur des raisons matérielles (trop-perçu) et non sur des raisons formelles (mauvais destinataire des allocations). L’employeur a donc un intérêt à recourir en tant que destinataire de la demande de restitution fondée sur l’art. 25 al. 1 LPGA.
La caisse de compensation a initié sa demande de correction des décomptes d’allocations en engageant implicitement une procédure de reconsidération au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. L’art. 5 al. 1 O APG COVID-19 prévoit que l’indemnité journalière est égale à 80 % du revenu moyen de l’activité lucrative obtenu avant le début du droit à l’allocation. Cette disposition a été concrétisée par la Circulaire sur l’allocation pour perte de gain en cas de mesures destinées à lutter contre le coronavirus – Corona-perte de gain (CCPG). Le TF estime qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de cette directive, y compris pour les personnes ayant une position assimilable à un employeur. Ainsi, la personne concernée a perçu plus que l’indemnité maximale de CHF 196.00. La restitution doit être ordonnée au prorata des montants versés par chaque caisse de compensation. Au surplus, il est clair que les conditions d’une reconsidération existent, les montants concernés étant importants.
Le TF constate qu’il existe une légère différence en faveur de l’assuré dans les décomptes correctifs. Toutefois, en vertu du principe de l’interdiction de la reformatio in pejus, les décisions litigieuses sont maintenues.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


ATF 150 V 83, TF 8C_103/2023 du 6 décembre 2023
Assurance-invalidité; allocation pour impotent, AVQ exécuté de manière inhabituelle, début du droit; art. 42 LAI
Il s’agit d’un assuré paraplégique ayant formulé une demande d’allocation pour impotent, laquelle lui a été reconnue en raison d’une impotence faible. L’assuré a recouru contre cette décision. Le TF commence par rappeler les principes relatifs à l’allocation pour impotent. Elle poursuit en relevant qu’il n’est pas contesté que l’assuré ne nécessite pas d’aide pour les actes ordinaires de la vie tels que s’habiller, se déshabiller et manger, mais qu’il a besoin de l’aide d’un tiers pour se lever, s’asseoir, se coucher, faire sa toilette et se déplacer. C’est ce qui a justifié l’allocation pour impotent de degré faible.
L’assuré fait valoir que, bien qu’il parvienne à évacuer ses selles manuellement de manière autonome, cela lui prend un temps considérable, ce qui entraînerait une restriction personnelle dans son mode de vie. Par conséquent, l’assuré fait valoir qu’il ne peut faire ses besoins que d’une manière inhabituelle et au prix d’efforts déraisonnables. Il estime ainsi avoir droit à une allocation pour impotent de degré moyen.
Le TF relève que le fait que l’assuré ne puisse accomplir un acte ordinaire de la vie que de manière inhabituelle ne permet pas de conclure directement à un besoin d’aide d’une personne tierce. Le TF examine alors ses précédentes jurisprudences où l’impotence avait été admise pour le fait de devoir vider sa vessie six fois par jour au moyen d’un cathéter, cela étant alors considéré comme inhabituel. Il rappelle également son arrêt concernant l’évacuation manuelle des intestins où une impotence avait été admise. Le TF relève néanmoins que les jurisprudences précitées ne pouvaient être appliquées au cas d’espèce. C’est ainsi que, bien que le fait de faire ses besoins soit particulièrement inhabituel pour l’assuré, cela ne permet pas de retenir qu’il lui serait possible, avec l’aide d’un tiers, d’accomplir cet acte d’une manière plus habituelle et moins couteuse ou moins contraignante. Par conséquent, dans la mesure où il n’est pas démontré le besoin d’un recours à un tiers, le TF considère que l’allocation pour une impotence faible n’est pas contestable.
Dans un considérant supplémentaire, le TF examine encore le moment à partir duquel l’allocation pour impotent doit être versée. La demande était datée du 11 octobre 2021. Par contre, d’autres demandes de prestations, ne concernant pas l’impotence, avaient déjà été adressées à l’Office AI à partir du 11 août 2017. Or, dans ce cadre, ce dernier avait déjà examiné la question de l’impotence et pouvait ainsi instruire cette question. Le TF relève ainsi que, en cas de paraplégie complète, une allocation pour impotent de degré faible peut, conformément à la pratique, être versée sans examen. Il ajoute également que le fait d’être tributaire d’un fauteuil roulant permet de considérer la personne comme impotente pour les actes ordinaires de la vie « se déplacer/prendre contact ». Par conséquent, le TF parvient à la conclusion que l’office AI disposait déjà, lors de la première demande du 11 août 2017, d’indices suffisants concernant l’impotence de degré faible. Dans ces circonstances, l’office AI aurait dû procéder à des clarifications dès cette date. Cela justifie le versement de l’allocation pour impotent de manière rétroactive.
Pour les motifs qui précèdent, le TF a admis partiellement le recours.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne


ATF 150 V 33, TF 8C_196/2023 du 29 novembre 2023
Assurance-accidents; rente, calcul, salaire déterminant; art. 15 LAA; 22, 23 al. 5, 24 et 99 OLAA
A. exerçait une activité professionnelle principale pour le compte de l’entreprise B. ainsi que deux activités accessoires dans le cadre desquelles il réalisait des revenus annuels de respectivement CHF 22'800.- et CHF 2'400.-.
Ayant subi plusieurs accidents non professionnels assurés en LAA, A. a été mis au bénéfice, à la suite de l’annonce d’une rechute, d’une rente d’invalidité à hauteur de 33 % et d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 20 %. Saisie d’un recours de A., la Cour cantonale saint-galloise l’a admis et a octroyé une rente d’invalidité LAA basée sur un degré d’invalidité de 57 % et calculée sur l’ensemble des revenus de A. En cela, l’instance cantonale a considéré que la règle prévalant pour le cumul des salaires dans le cadre de l’octroi des indemnités journalières (cf. art. 23 al. 5 OLAA) était également applicable pour la détermination du salaire pour le calcul de la rente, indépendamment de l’absence d’une disposition dans ce sens au niveau de l’art. 24 OLAA (c. 4.1).
L’assurance LAA a recouru au Tribunal fédéral invoquant notamment une violation du principe d’équivalence au sens de l’art. 92 al.1 LAA entre les primes et les prestations. Le fait que l’art. 24 OLAA ne contienne aucune disposition en lien avec la prise en compte de revenus provenant de plusieurs employeurs, même après la dernière révision de la LAA, démontrerait qu’une application de l’art. 23 OLAA par analogie n’entrerait pas en ligne de compte (c. 4.2).
Le Tribunal fédéral note tout d’abord que le fait qu’à la suite d’une évolution jurisprudentielle (cf. ATF 139 V 148), le salaire pour le calcul des indemnités journalières en cas de pluralités d’emplois (cf. art. 23 al. 5 OLAA) ait fait l’objet d’une révision valable à partir du 1er juillet 2017, permet de penser qu’il n’y a pas eu d’omission de la part du législateur quant à la détermination du salaire pour le calcul de la rente selon les art. 22 al. 4 et 24 OLAA (c. 5.2.2 à 5.2.4).
Même s’il est question « d’un ou de plusieurs employeurs » dans l’art. 22 al. 4 OLAA, cela ne signifie pas que le salaire déterminant pour le calcul de la rente doit être interprété comme celui qui est valable pour le calcul des indemnités journalières au sens de l’art. 23 al. 5 OLAA, bien au contraire (c. 5.2.2 et 5.2.5). Sachant que la couverture pour les accidents non professionnels n’était pas donnée, il n’y a donc pas lieu de tenir compte des revenus accessoires pour la détermination du salaire pour le calcul de la rente (c. 5.3 à 6).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge


ATF 150 V 89, TF 9C_449/2022 du 29 novembre 2023
Prévoyance professionnelle; délai de prescription/péremption, restitution; art. 35a LPP
Une caisse de pension s’est fiée au préavis de décision de l’AI pour déterminer s’il y avait surindemnisation avec le versement d’une rente d’invalidité du 2e pilier. Elle a fixé le plafond de surindemnisation à hauteur du revenu de valide retenu par l’AI de CHF 100’000.- environ. En réalité, la décision d’octroi de rente de l’AI se fonde finalement sur un revenu de valide de CHF 80’000.- environ. Lorsqu’elle réalise cette différence après avoir obtenu l’entier du dossier AI dans le cadre d’une procédure de réexamen, la caisse de pension réduit la rente pour l’avenir et réclame un trop perçu pour les rentes versées pour les mois de mai 2016 à mai 2021 (courrier du 25 mai 2021). Elle déclare ensuite compenser ce trop perçu avec les rentes futures, ce qui oblige l’assuré à ouvrir action contre la caisse de pension en octobre 2021. La caisse de pension se prévaut de l’exception de compensation dans sa réponse au recours du 23 novembre 2021. Le Tribunal cantonal rejette l’action de l’assuré, qui recourt au Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral rappelle d’abord la modification de l’art. 35a LPP, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, qui implique le passage d’un délai relatif de prescription d’un an à un délai de péremption de trois ans, ceci afin de s’aligner sur la révision de l’art. 25 LPGA. Au contraire de l’art. 25 LPGA, l’art. 35a LPP n’exige en revanche pas que les conditions d’une révision procédurale ou d’une reconsidération soient réalisées pour réclamer la restitution de prestations versées à tort.
S’agissant de l’application de la loi dans le temps, le Tribunal fédéral applique les règles générales, à défaut de règlement spécial prévu lors de la modification de l’art. 35a LPP. Par conséquent, l’ancien art. 35a LPP s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle mouture le 1er janvier 2021. Depuis cette date, la nouvelle disposition s’applique aussi aux prestations dues et exigibles avant le 1er janvier 2021, qui n’étaient pas encore prescrites lors de l’entrée en vigueur de la révision. Le temps écoulé jusqu’à la modification légale est pris en considération dans le calcul (ATF 134 V 353). Le Tribunal fédéral précise encore que l’art. 35a LPP se trouve dans la 2e partie de la LPP, ce qui implique que les règlements des caisses de pension peuvent modifier le régime en faveur des assurés uniquement. En l’espèce, l’article pertinent du règlement de la caisse de pension prévoyait, au-delà du 1er janvier 2021, un délai relatif de prescription d’un an.
S’agissant du début du délai relatif, le Tribunal fédéral s’appuie sur la jurisprudence rendue au sujet de l’art. 25 LPGA. Le moment où l’institution a eu connaissance du fait doit se comprendre comme le moment où elle aurait dû connaître les faits fondant l’obligation de restituer, en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. L’administration doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde – quant à son principe et à son étendue – la créance en restitution à l’encontre de la personne tenue à restitution. Pour le cas où le versement d’une prestation indue repose sur une erreur de l’administration, le délai de péremption relatif n’est pas déclenché par le premier acte incorrect de l’office. Au contraire, il commence à courir le jour à partir duquel l’organe d’exécution aurait dû au plus tard reconnaître son erreur – par exemple à l’occasion d’un contrôle des comptes ou sur la base d’un indice supplémentaire – en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui (ATF 146 V 217). Pour les prestations qui ne sont pas encore versées à ce moment-là, le délai de prescription ne commence à courir que dès le paiement concret.
En l’espèce, même si la caisse de pension pouvait avoir connaissance, dès l’examen initial du droit à la rente, des détails de calcul définitifs de la rente AI, le délai relatif ne peut commencer à courir à partir de l’octroi de la première rente, en application de la jurisprudence précitée. En revanche, le Tribunal fédéral, contrairement à l’instance précédente, estime que la caisse devait s’apercevoir de son erreur lors du premier réexamen de la rente, intervenu le 7 août 2018, en raison de la perte des rentes d’enfants. A ce moment, la caisse a réexaminé son calcul de surindemnisation et devait réaliser qu’elle s’était préalablement fiée aux données du préavis de décision AI et non à la décision finale.
Pour toutes les rentes versées avant le 7 août 2018, un délai d’une année (ancien droit) a commencé à courir à partir de cette date. Le Tribunal fédéral retient que le premier acte interruptif a eu lieu avec la réponse de la caisse de pension au recours devant le tribunal cantonal, le 23 novembre 2021 (art. 135 CO). Par conséquent, le droit de réclamer le trop-perçu est tardif pour toutes les rentes versées du 1er mai 2016 au 7 août 2018.
Pour les rentes versées entre le 8 août 2018 et le 31 mai 2021, le délai a commencé à courir uniquement au moment du versement de chaque rente. Les rentes versées entre le 8 août 2018 et le 31 décembre 2019 étaient exclusivement soumises à l’ancien droit, le délai de prescription d’un an arrivant à échéance au plus tard le 31 décembre 2020. Le droit à restitution était donc prescrit lorsque la caisse a fait valoir la compensation. En revanche, pour les rentes versées à partir du 1er janvier 2020, les prétentions n’étaient pas encore prescrites lors de l’entrée en vigueur du nouvel art. 35a LPP au 1er janvier 2021 et le délai devait donc être prolongé pour tenir compte de la nouvelle durée de trois ans. Mais c’est sans compter l’article plus favorable du règlement de prévoyance, qui n’a pas été révisé au 1er janvier 2021 et qui a donc continué à s’appliquer, avec un délai d’une année. Par conséquent, seules les rentes versées à partir du 23 novembre 2020 n’étaient pas prescrites au moment où l’interruption a eu lieu. Toutes les rentes versées avant le 23 novembre 2020 sont en revanche prescrites.
Auteure : Pauline Duboux, juriste


ATF 150 V 12, TF 9C_430/2022 du 16 novembre 2023
Prévoyance professionnelle; interruption de l’assurance obligatoire, retraite anticipée, notion de la survenance du cas de prévoyance « vieillesse », maintien de l’assurance aux conditions de l’art. 47 LPP; art. 47 LPP; 2 al. 1 LFLP
L’affaire concerne deux personnes ayant perçu, à l’âge de 60 ans, des prestations de la Fondation pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (Fondation FAR), demandant le maintien de la prévoyance professionnelle sans assurance de risque auprès de l’Institution supplétive (plan de prévoyance maintien facultatif de la prévoyance vieillesse dans le cadre de la LPP [WO]). Après avoir procédé à une interprétation littérale, historique, systématique et téléologique de l’art. 47 LPP (c. 4.3.1 à 4.3.5), le TF est arrivé à la conclusion que l’assuré qui, après avoir atteint l’âge de 58 ans, cesse d’être assujetti à l’assurance obligatoire en raison de la dissolution des rapports de travail par lui-même peut maintenir son assurance aux conditions fixées par l’art. 47 LPP, même s’il s’agit d’une cessation d’activité définitive (c. 4.4).
Le TF a rappelé que, conformément à l’art. 2 al. 1 LFLP, la prestation de sortie ne peut être versée par l’ancienne institution de prévoyance de l’assuré que s’il la quitte avant la survenance d’un cas de prévoyance. A ce sujet, lorsqu’une institution de prévoyance accorde la possibilité d’une retraite anticipée, la survenance du cas de prévoyance « vieillesse » a lieu non seulement lorsque l’assuré atteint l’âge légal de la retraite selon l’art. 13 al. 1 LPP, mais aussi lorsqu’il atteint l’âge auquel le règlement lui donne droit à une retraite anticipée. Le point de savoir si un cas de libre passage ou un cas de prévoyance vieillesse survient avec l’abandon de l’activité lucrative avant l’accession à l’âge ordinaire de la retraite doit ainsi être examiné – sous réserve de l’art. 2 al. 1bis LFLP – à la lumière du règlement de la dernière institution de prévoyance à laquelle l’assuré a été affilié (c. 5.2).
Dans le cas du premier recourant, c’est à bon droit que les premiers juges ont admis que l’Institution supplétive était fondée à refuser le maintien de la prévoyance vieillesse au sens de l’art. 47 al. 1 LPP, compte tenu de ce qu’un cas de prévoyance était déjà survenu, conformément au règlement de prévoyance. Le TF a souligné qu’il se justifie de réserver l’application de la possibilité offerte par l’art. 47 LPP aux situations dans lesquelles le cas de prévoyance vieillesse n’est pas encore survenu selon le règlement de prévoyance (c. 5.3.1.2).
Dans le cas du second recourant, l’intéressé n’ayant pas perçu de prestations à titre de retraite anticipée ni demandé à en percevoir, le cas de prévoyance n’est dès lors pas survenu. Dans la mesure où l’application de l’art. 47 al. 1 LPP n’est pas réservée aux assurés qui n’ont pas déjà atteint l’âge de 58 ans ni limitée à une période de deux ans, et dès lors que le prénommé remplit les conditions de l’art. 47 al. 1 LPP, l’institution supplétive doit recevoir sa prestation de sortie et maintenir sa couverture d’assurance (c. 5.3.2).
Enfin, s’agissant du grief de violation des dispositions étendues et déclarées de force obligatoire de la Convention collective de travail pour la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction (CCT RA), le TF a précisé que la CCT RA règle exclusivement les relations entre l’employeur, le travailleur et la Fondation FAR, si bien que l’institution supplétive n’entre pas dans son champ d’application (c. 6.2).
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne


TF 4A_440/2022 du 16 novembre 2023
Assurances privées; assurance de la responsabilité civile, étendue de la couverture; art. 33 LCA
Une banque suisse exploitait à Dubaï une société de services financiers dont elle détenait 60 % des actions. Dans le cadre d’un procès civil tenu aux Emirats arabes unis, la banque suisse a été condamnée solidairement avec sa filiale de Dubaï à payer plus de USD 35 millions à des investisseurs, au motif qu’elle n’avait pas obtenu pour les opérations litigieuses l’autorisation requise par la législation locale. Cette législation prévoyait en effet qu’en cas de défaut d’autorisation, la banque devait rembourser les investisseurs et les indemniser pour les pertes subies, indépendamment du fait que ces pertes soient dues ou non à l’absence d’autorisation de pratiquer.
La banque suisse était assurée en responsabilité civile professionnelle dans un contrat d’assurance soumis au droit suisse qui prévoyait l’assurance de la responsabilité civile de la banque et de ses employés pour des dommages purement pécuniaires fondée sur les dispositions légales suisses en matière de responsabilité civile ou sur des dispositions nationales comparables et juridiquement valables. Le contrat contenait également des exclusions de couverture pour des prétentions fondées sur des « punitive ou exemplary damages ».
En substance, la banque assurée soutenait que la présence de l’exclusion pour punitive damages permettait d’admettre que tout autre type de prétentions était couvert. Le Tribunal fédéral retient qu’il s’agit-là d’une interprétation trop large de la police d’assurance. Il rappelle que toute assurance repose sur la possibilité d’évaluer l’importance du risque assuré sur la base d’études statistiques. En optant pour une couverture des responsabilités fondées sur le droit suisse ou sur des règles comparables, l’assureur vise précisément à ne pas devoir garder un œil sur tous les systèmes juridiques du monde, mais à se baser uniquement sur le droit suisse pour déterminer la probabilité de survenance du risque assuré. Dans ce contexte, les exclusions (comme celles des punitive damages) ne peuvent pas être considérées comme signifiant que tout autre dommage serait couvert, mais constituent davantage des exemples de ce qui n’est précisément pas couvert par l’assurance. Dans le cas d’espèce, la banque assurée a dû indemniser ses investisseurs pour un dommage qui aurait été subi même si elle avait adopté un comportement correct (à savoir requis l’autorisation des autorités de Dubaï) ; ce mécanisme est inconnu du droit suisse, qui ne retient une responsabilité civile que lorsque le dommage a été causé de manière adéquate. Les règles de Dubaï selon lesquelles la banque suisse a été condamnée ne sont donc pas comparables à celles de notre pays, et un tel sinistre n’est pas couvert.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 6B_817/2023 du 15 novembre 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles par négligence, imprévoyance coupable; art. 12 al. 3 et 125 CP
La condition de base pour une violation du devoir de diligence et donc pour la responsabilité pour négligence est la prévisibilité du résultat dommageable. Le déroulement des événements conduisant à ce résultat doit être prévisible pour l’auteur, au moins dans ses traits essentiels. Il convient de se demander si l’auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique le critère de la causalité adéquate, selon lequel le comportement doit être de nature, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer un résultat tel que celui qui s’est produit ou, du moins, à le favoriser considérablement.
Dans le contexte d’une inondation, le prévenu a cherché à améliorer l’écoulement de l’eau dans un déversoir qui était bouché par des éléments végétaux. Comme la chambre du déversoir demeurait remplie d’eau et compte tenu d’un effet de tourbillon vers le tuyau d’évacuation, il n’a pas replacé le couvercle sur cette chambre. Il a dressé un tronc d’arbre pour pallier et signaler cette situation, sans que le tronc remplisse toutefois complètement la chambre. Un petit enfant passant à vélo sur ce lieu de promenade est tombé dans la chambre, malgré le tronc. Il a été happé par le tourbillon, mais est resté, durant une vingtaine de minutes, suspendu à un pachon de l’échelle de la chambre auquel s’était accroché son casque de vélo. L’enfant a ainsi subi de graves lésions cérébrales.
Le Tribunal fédéral a écarté l’argument du prévenu selon lequel les circonstances de l’accident, subi par un enfant suffisamment petit pour être happé dans le tuyau d’évacuation, mais assez grand pour se déplacer de lui-même et tomber dans la chambre, seraient si exceptionnelles que le résultat dommageable n’était pas prévisible. Le prévenu était bien conscient de la situation dangereuse qu’il avait créée, puisqu’il a mis en place un tronc dans la chambre. Il aurait dû réaliser que cette mesure était insuffisante pour écarter tout risque d’un résultat dommageable tel que celui qui est survenu. La négligence a dès lors été retenue.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

TF 9C_557/2022 du 13 novembre 2023
Assurance-invalidité; exécution d’une mesure thérapeutique institutionnelle, suspension de la rente; art. 21 al. 5 LPGA
Lorsque les conditions de l’art. 21 al. 5 LPGA sont remplies, l’assureur social doit, quant au principe, suspendre le versement de la rente pendant la durée de l’exécution de la peine ou de la mesure. La formulation potestative de la disposition (Kann-Vorschrift) lui permet uniquement de tenir compte des circonstances concrètes dans le but d’assurer l’égalité de traitement entre les personnes assurées. Si la peine ou la mesure est exécutée de manière que la personne assurée aurait été en mesure d’exercer une activité lucrative pendant ce temps, alors la rente doit être maintenue. En revanche, si, comme en l’espèce, la peine ou la mesure est exécutée de manière que la personne assurée n’aurait pas été en mesure d’exercer une activité lucrative pendant ce temps, alors la rente doit être suspendue (c. 4.1).
Le fait que l’acte pénalement répréhensible ait été commis en raison de l’atteinte à la santé psychique n’y change rien. L’art. 21 al. 5 LPGA a pour but d’assurer l’égalité de traitement entre les personnes qui exécutent une peine ou une mesure ordonnée par l’autorité pénale, et non l’égalité de traitement entre les personnes qui exécutent des mesures et celles qui sont simplement internées en raison de l’atteinte à la santé psychique (c. 4.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 150 V 26, TF 9C_244/2021 du 9 novembre 2023
Prévoyance professionnelle; mesures d’assainissement, compétences respectives de l’autorité de surveillance et du Tribunal cantonal des assurances sociales; art. 62 al. 1 let. d, 65c, 65d et 73 LPP
L’employeur est affilié externe de l’institution de prévoyance du personnel de l’administration du canton de Bâle. Cette institution de prévoyance de droit public est constituée sous forme de fondation collective de sorte que pour chaque nouvelle affiliation, une caisse est constituée avec une comptabilité propre. Dès le 1er janvier 1991, la caisse de l’employeur est devenue une caisse fermée de rentiers, les salariés actifs étant assurés auprès d’une autre institution de prévoyance.
En raison du découvert important apparu dans les comptes de la caisse, l’institution de prévoyance agit à l’encontre de l’employeur en paiement d’une contribution exceptionnelle d’assainissement par-devant le Tribunal cantonal des assurances sociales. La demande est partiellement admise et l’employeur recourt au Tribunal fédéral.
Le TF rappelle sa jurisprudence relative aux compétences respectives de l’autorité de surveillance, d’une part, et du Tribunal cantonal des assurances sociales, d’autre part. Selon cette jurisprudence, l’autorité de surveillance est compétente en matière de litiges concernant la sécurité financière et les mesures prises pour assainir une institution de prévoyance. Une situation de découvert, de par son caractère extraordinaire, nécessite une activité de contrôle accrue et une surveillance particulièrement étroite.
Ainsi, en cas de litige concernant l’assainissement d’une institution de prévoyance (ou d’une caisse de prévoyance dans le cas d’une fondation collective), il convient de procéder en deux étapes : en premier lieu, il appartient à l’autorité de surveillance d’examiner la légalité des mesures d’assainissement, la mise en œuvre concrète de ses mesures ne peut intervenir que dans un second temps.
En l’espèce, la demande en paiement est prématurée, elle est donc rejetée.
Auteur : Eric Maugué


TF 4A_532/2023 du 3 novembre 2023
Responsabilité aquilienne; procédure, preuve à future; expertise médicale; art. 93 al. 1 LTF; 158 CPC
A. a été victime d’un accident du travail qui a entraîné des blessures graves et permanentes. Il considère que cet événement est dû à une violation des obligations de son employeur, dont la responsabilité civile serait ainsi engagée. Alors que la Suva avait annoncé la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire, il a déposé une requête de preuve à future auprès du Tribunal d’arrondissement de St-Gall tendant à l’organisation d’une autre expertise médicale. Le juge unique du tribunal d'arrondissement a alors suspendu la procédure jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue dans la procédure de recours contre la décision sur opposition de la Suva. Cette décision a été confirmée par le Tribunal cantonal de Saint-Gall, qui a considéré que, après le dépôt d’une expertise en assurances sociales, A. ne devrait plus avoir d’intérêt digne de protection à une autre expertise dans la procédure de preuve à futur, puisque l’expertise organisée par la Suva pourrait a priori être utilisée par le juge civil comme expertise judiciaire.
La Présidente de la Ire Cour de droit civil du TF a considéré que le recours en matière civile déposé par A. était manifestement irrecevable au sens de l’art. 108 al. 1 lit. a LTF. Elle retient à cet égard que la décision attaquée ne cause pas un préjudice irréparable à A., qui pourra toujours le moment venu recourir au TF contre la décision de dernière instance cantonale qui mettra fin à la procédure de preuve à futur, si cette décision lui refuse l’expertise demandée. Il pourra aussi dans ce cadre contester la suspension en tant que telle dans la mesure où elle aurait une incidence sur le contenu de la décision finale. La Présidente ajoute encore que l’on ne comprend pas non plus pourquoi la décision attaquée devrait (inévitablement) conduire le juge civil à se fonder, dans un procès en responsabilité civile, sur l'expertise mise en œuvre par l’assureur social.
Commentaire :
Cette décision porte sur la stratégie récemment exposée par Patrick Wagner (Vorsorgliche Massnahmen im Personenschadenrecht (ZPO 158 / OHG 21) – Ein neuer Blick auf ein altes Problem, in : Krauskopf/Rothenberger, Haftpflichtprozess 2023 – Das Rechtsbegehren, Eglisau 2023), consistant à court-circuiter une expertise sur le point d’être mise en œuvre par un assureur social en requérant au préalable une expertise « civile » par la voie de la preuve à future de l’art. 158 CPC. Cette façon de faire se fonde sur la constatation de l’auteur qu’en droit des assurances sociales, les experts médicaux se basent sur une notion purement biopsychique de la maladie et ne tiennent pas compte des facteurs psychosociaux et socioculturels lors de l'évaluation de la capacité de travail. Une telle expertise n'a pas de valeur probante en droit de la responsabilité civile. En effet, en RC, la notion de maladie biopsychosociale reconnue par la médecine dans le monde entier s'applique à l'évaluation du dommage corporel. A cela, s’ajoute sans conteste selon nous le fait que la procédure de droit social ne donne pas au lésé les mêmes droits quant au choix de l’expert.
On peut craindre que, sur la base de cette décision, même prise par la seule Présidente de la Ire Cour de droit civil, les instances inférieures des autres cantons seront à leur tour tentées de suspendre ce type de requête en preuve à futur, surtout lorsqu’une assurance sociale aura annoncé son intention de procéder elle-même à une telle mesure d’instruction. C’est donc dans une seconde phase, pour le cas où le juge saisi d’une telle requête venait à la rejeter au motif qu’il existe déjà une expertise judiciaire externe, que le lésé devra faire trancher la question de la force probante matérielle d’une expertise établie sur la base de principes médicaux propres au droit social, et par hypothèse plus restrictifs que ceux retenus par la science médicale internationale.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 9C_189/2023 du 30 octobre 2023
Assurance-vieillesse et survivants; statut de cotisant, personne n’exerçant durablement pas une activité à plein temps, abus de droit, reconsidération; Art. 29 Cst.; 53 al. 2 LPGA; 3 LAVS; 28bis RAVS
Une caisse de compensation avait admis, dans deux décisions successives, de considérer les recourants comme des personnes avec activité lucrative, et avait en conséquence fixé les cotisations pour l’année 2018 sur la base des salaires indiqués, bien qu’ils soient très bas (CHF 2'500.- par mois pour un pensum de 100 %). Après avoir pris connaissance de la taxation fiscale, qui faisait état de revenus de rentes pour un montant supérieur à CHF 300'000.- et d’une fortune de plus de CHF 9 millions, elle a tenté de revenir sur ces deux décisions par voie de reconsidération. La cour cantonale a fait obstacle à ce procédé, au motif que la caisse n’avait pas démontré que les décisions étaient manifestement erronées.
Le TF ne pouvait, pour des raisons liées à son pouvoir de cognition (cf. c. 3.3.2), pas corriger matériellement la décision cantonale. Il a cependant considéré que les premiers juges avaient manqué à leur obligation de motiver en ne prenant pas position sur le descriptif détaillé que la caisse cantonale avait fait du procédé utilisé par les intimés pour contourner leur obligation de verser des cotisations. La caisse avait en particulier démontré que la conclusion de contrats de travail entre ces derniers et l’entreprise appartenant à l’un d’eux avait immédiatement suivi la notification de la décision fixant le montant de leurs cotisations comme personnes sans activité lucrative, et l’augmentation successive des taux d’activité et des salaires avait eu lieu après chaque information donnée par la caisse que le taux était insuffisant pour qu’ils soient considérés comme personnes travaillant à plein temps. La cour cantonale avait violé le droit d’être entendu de la caisse de compensation en ne prenant pas position de manière circonstanciée sur les faits présentés par la caisse de compensation.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_366/2022 du 19 octobre 2023
Responsabilité médicale; responsabilité de droit public, procédure, Appréciation des preuves; art. 9 et 29 al. 2 Cst.; 61 al. 1 CO
Il s’agit d’un cas de responsabilité médicale soumis au droit public fribourgeois, selon la réserve facultative prévue à l’art. 61 al. 1 CO.
Sous l’angle de la procédure, le TF rappelle que même si les prétentions du patient relèvent exclusivement du droit public cantonal, c’est la voie du recours en matière civile qu’il convient d’utiliser en application de l’art. 72 al. 2 let. b LTF qui prévoit que les décision prises en application de normes du droit public dans des matières connexes au droit civil sont également sujettes au recours en matière civile. Il est en effet opportun de soumettre toutes les affaires de responsabilité médicale à une seule et même cour, à savoir la Ire Cour de droit civil, afin de dégager une jurisprudence assurant l’application uniforme du droit, que la responsabilité relève du droit privé ou du droit public.
Sur le fond, le patient se plaignait d’une violation du droit à la preuve sous l’angle de l’art. 29 al. 2 Cst. (droit d’être entendu). Selon la jurisprudence, le juge peut refuser une mesure probatoire lorsque celle-ci ne serait pas de nature à modifier le résultat des preuves déjà administrées, qu’il tient pour acquis. Un tel refus ne peut être mis en cause devant le TF qu’en invoquant l’arbitraire (art. 9 Cst.) dans l’appréciation des preuves. Dans ce cadre, le juge apprécie librement la force probante d’une expertise. Dans le domaine des connaissances professionnelles particulières de l’expert, il ne peut toutefois s’écarter de l’opinion de celui-ci que pour des motifs importants. A l’inverse, lorsque l’autorité précédente juge une expertise concluante et en fait sien le résultat, le grief d’appréciation arbitraire des preuves ne sera admis que si l’expert n’a pas répondu aux questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou si, d’une quelconque autre façon, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents reconnaissables, même sans connaissances spécifiques, que le juge ne pouvait tout simplement pas les ignorer.
Dans le cas d’espèce, les juges fribourgeois ne se sont pas livrés à une appréciation arbitraire des preuves en considérant que l’expertise judiciaire qu’ils avaient mis en œuvre était concluante. Ils pouvaient ainsi valablement refuser la contre-expertise sollicitée par le patient ou l’audition du chirurgien puisque de telles mesures n’étaient pas susceptibles de modifier le résultat auquel l’expert était parvenu, à savoir l’absence de violation des règles de l’art par le chirurgien concerné.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

ATF 150 IV 48, TF 1C_19/2023 du 11 octobre 2023
Indemnisation LAVI; demande de réparation du dommage matériel; art. 19 al. 3 LAVI
Le salaire non perçu est un dommage matériel, dont l’indemnisation est exclue par l’art. 19 al. 3 LAVI. L’employé, victime de traite d’êtres humains pour lequel son employeur a été condamné par jugement pénal, ne dispose pas d’un droit subjectif à l’indemnisation de son salaire impayé par l’autorité cantonale LAVI.
Dans cette affaire, le TF constate l’inexistence d’une lacune proprement dite à l’art. 19 al. 3 LAVI. Sans privilégier une méthode d’interprétation mais en s’inspirant d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme, les juges fédéraux confirment que l’art. 19 al. 3 LAVI exclut clairement la prise en charge des dommages matériels dans le cadre de l’indemnisation LAVI (c. 3.4).
L’art. 4 CEDH, interprété à l’aune de l’art. 15 de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (CETEH, RS : 0.311.543), ne prévoit pas d’obligation positive, à charge de l’Etat, d’instaurer un mécanisme d’indemnisation subsidiaire des salaires impayés des victimes de traite d’êtres humains (c. 4.3).
Le TF relève que le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) du Conseil de l’Europe s’intéresse à cette problématique comme l’illustrent les questions adressées en 2023 à ce sujet. La Suisse s’est contentée de renvoyer à l’art. 19 LAVI et aux règles de calcul du dommage du droit civil (GRETA, Questionnaire pour l’évaluation de la mise en œuvre de la CETEH – Troisième cycle d’évaluation, 2023, ch. 3.4 et 4). Or, comme le relève le TF, le futur rapport d’évaluation dudit questionnaire pourrait apporter certaines clarifications à la notion de préjudice matériel visé par l’art. 15 al. 4 CETEH pouvant conduire, cas échéant, le législateur suisse à se pencher sur un élargissement de la notion de préjudice couvert par l’art. 19 LAVI (c. 4.3).
Auteur : Scott Greinig, avocat et assistant-doctorant



TF 8C_120/2023 du 11 octobre 2023
Assurance-accidents; causalité naturelle, expertise médicale; art. 44 LPGA
Une assurée a été victime d’un traumatisme craniocérébral (TCC) lors d’un accident de la route. L’assureur LAA, après avoir consulté un spécialiste en neurologie et ancien médecin de son centre de compétence, met un terme au versement des prestations avec effet au 30 avril 2020, invoquant l’absence de lien de causalité, au-delà de cette date.
Le TF rappelle que lorsqu’un cas d’assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure conforme à l’art. 44 LPGA, l’appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères. Lorsqu’il y a un doute, même minime, sur la fiabilité et la validité des constatations d’un médecin de l’assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (c. 3).
Le TF indique ensuite que la cour cantonale a retenu à juste titre l’existence d’un TCC en se fondant sur le mécanisme de l’accident et un témoignage, sans qu’il soit nécessaire de connaître l’endroit exact où la tête de l’assurée avait heurté le véhicule (c. 5.2.2). A cet égard, il écarte l’avis du médecin consulté par l’assureur LAA pour différents motifs d’ordre factuels.
S’agissant du lien de causalité, le TF relève que l’avis du médecin consulté par l’assureur LAA ne convainc pas non plus, pour les mêmes motifs. Malgré cela, les objections du médecin de l’assurance au sujet du rapport d’un autre médecin sont suffisantes pour justifier une expertise pluridisciplinaire.
La cause est ainsi renvoyée à l’assureur LAA pour la mise en place d’une expertise.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève



TF 4A_415/2023 du 11 octobre 2023
Responsabilité médicale; devoir d’information, consentement hypothétique; art. 41 CO; 28 CC
Au cours d’une coloscopie organisée dans le cadre du traitement d’hémorroïdes, le médecin retire un polype découvert par hasard. A la suite de cette ablation, la patiente subit une perforation secondaire de l’intestin avec de graves répercussions. Elle fait valoir des prétentions en dommages et intérêts et en réparation du tort moral au motif qu’elle n’aurait été informée et n’aurait valablement consenti qu’à la coloscopie elle-même, à l’exclusion de l’ablation d’un éventuel polype découvert fortuitement.
Selon la cour cantonale, dont l’appréciation est suivie par le TF, la patiente n’avait certes pas donné son consentement exprès à l’ablation d’un polype. Dans une telle situation, il convient néanmoins d’admettre le consentement hypothétique de la patiente.
Le consentement hypothétique doit en effet être admis lorsqu’il peut être établi que le patient aurait consenti au traitement s’il avait été correctement informé. La décision qui serait prise par un autre patient raisonnable dans la même situation n’est pas déterminante puisque le droit à l’autodétermination constitue le noyau de la liberté personnelle protégée par l’art. 28 CC. En revanche, pour des raisons procédurales, il peut être attendu du patient qu’il rende plausible qu’il aurait refusé l’intervention ou se serait trouvé dans un conflit décisionnel s’il avait été correctement informé avant la survenance de la complication. Lors de la pesée des avantages et des inconvénients du traitement, l’on prêtera d’autant plus d’attention aux préoccupations individuelles du patient que le traitement est particulièrement risqué ou accompagné d’effets secondaires importants.
En l’espèce, le TF souligne que les risques de perforation intestinale lors d’une coloscopie sont connus et ne se limitent pas aux cas dans lesquels un polype est retiré. La probabilité d’une perforation est toutefois très faible. Ainsi, rien n’indiquait que la patiente aurait refusé l’ablation d’un polype potentiellement cancéreux si elle avait été informée de manière exhaustive.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 2C_11/2023 du 9 octobre 2023
Responsabilité de l’Etat; responsabilité de la Confédération, subsidiarité de l’action en responsabilité, dommage; art. 3 et 12 LRCF
L’arrêt traite de l’obligation de la Confédération d’indemniser selon la loi sur la responsabilité (LRCF) un fonctionnaire en raison d'éventuels dommages et torts moraux subis en lien avec son emploi au sein de l’administration fédérale.
Selon la jurisprudence, le régime de la LRCF (art. 3) trouve également application lorsque le lésé est ou a été fonctionnaire fédéral et prétend avoir subi un dommage résultant d’actes illicites commis par d’autres fonctionnaires, dans la mesure où il n’existe aucune raison de soumettre le fonctionnaire lésé à d’autres règles que l’administré ordinaire. Cependant, certains actes dommageables ne peuvent en principe donner lieu à aucune indemnisation de la Confédération en application de cette loi, en particulier les décisions, arrêtés et jugements ayant force de chose jugée qui ne peuvent pas être revus dans une procédure en responsabilité, selon le principe de la primauté de la protection juridictionnelle par rapport à une procédure en responsabilité de l’Etat (art. 12). Conformément à ce principe, généralement repris en droit cantonal, celui qui a épuisé, sans succès, les voies de droit contre une décision, de même que celui qui n’a pas utilisé tous les moyens de droit qui étaient à sa disposition pour faire corriger cette même décision, ne peut en principe plus en contester (encore une fois) la licéité dans un procès en responsabilité contre l’Etat, dès lors que cette décision entrée en force, ou confirmée sur recours, bénéficie d’une sorte de présomption irréfragable (fiction) de conformité au droit.
Dans la présente affaire, à défaut d’un quelconque acte illicite justifiant une indemnisation fondée sur la LRCF, le TF a nié les différentes prétentions en indemnisation émises par le recourant à l’encontre de la Confédération, pour les raisons suivantes :
1. Des prétentions directement liées à une procédure pénale ne relèvent en aucun cas du droit public sur la responsabilité de l’Etat. L’indemnisation de tels préjudices est du ressort exclusif des autorités pénales. Ainsi, en cas d’acquittement total ou partiel du prévenu, l’Etat doit réparer l’intégralité du dommage en rapport de causalité adéquate avec la procédure pénale. Une indemnisation ne peut en principe plus intervenir dans une procédure ultérieure indépendante. Si l’autorité pénale omet de statuer dans son jugement ou son ordonnance sur les prétentions du prévenu acquitté, celui-ci doit en règle générale utiliser les voies de droit contre le jugement ou l’ordonnance en question.
2. La licéité d’un licenciement – de même que les motifs qui l’ont entouré – ne peut pas être remise en question dans le cadre d’une procédure en responsabilité contre la Confédération, si celle-ci a déjà été définitivement tranchée par une autorité judiciaire, dans le cadre d’une précédente procédure.
3. Des faits ne témoignant pas d’un dénigrement systématique qui aurait visé à isoler ou à marginaliser un fonctionnaire sur son lieu de travail ne sauraient être assimilables à un quelconque harcèlement psychologique ou mobbing susceptible d’engager la responsabilité de la Confédération. Tel est le cas d’un dysfonctionnement général ainsi que d’une ambiance de travail délétère au sein d’un service étatique, même si ceux-ci ont contribué à déclencher l’ouverture d’une procédure pénale et de licenciement, avec pour conséquence des répercussions pénibles pour le fonctionnaire lésé.
4. La responsabilité de la Confédération ne saurait être engagée en raison d’un certificat de travail, prétendument négatif, si l’intéressé ne parvient pas à démontrer avoir été pénalisé en raison de la teneur de ce certificat. Indépendamment de son contenu exact et de sa justesse, il y a lieu de constater l’absence de toute responsabilité de la Confédération en raison d’un tel document lorsque le fonctionnaire lésé n’en a jamais demandé la modification auprès du service compétent, ni attaqué une éventuelle décision de refus. Il lui appartient de subir les conséquences de son choix consistant à n’agir, en la matière, qu’en responsabilité au sens de la LRCF.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 7B_11/2022 du 6 octobre 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corprelles par négligence, procédure pénale, principe « in dubio pro duriore », obligations incombant aux exploitants de pistes de ski, normes professionnelles; art. 319 al. 1 let. a et b CPP; 12 al. 3 et 125 CP
Le recours porte sur le classement par le Ministère public de la procédure pénale ouverte sur plainte d’une victime d’un accident de luge sur une piste de ski. Cette dernière, renvoyée à agir au civil, reproche au responsable de l’entretien de la piste, à la patrouilleuse et au directeur des remontées mécaniques de s’être rendus coupables de lésions corporelles par négligence. Elle a en effet été sévèrement blessée, subissant de multiples fractures au bassin et des lésions au torse après avoir percuté un poteau en bois délimitant la piste.
La partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale a la qualité pour recourir si la décision attaquée a des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (c. 1). Le Tribunal fédéral examine si le classement de la procédure pénale respecte les conditions à l’art. 319 al. 1 let a et b CPP. La décision ordonnant le classement d’une procédure pénale est régie par le principe « in dubio pro duriore » qui interdit ainsi au Ministère public, confronté à des preuves non claires, d’anticiper sur l’appréciation des preuves par le juge du fond. Ce principe doit également être respecté lors de l’examen des décisions de classement dans une procédure de recours. Le Ministère public et l’instance de recours peuvent ainsi être amenés à constater des faits, pour autant qu’ils paraissent clairs et établis au point qu’en cas de renvoi en jugement, le juge du fond ne s’en écarterait pas. Le Tribunal fédéral n’examine que sous l’angle de l’arbitraire l’appréciation des preuves selon le principe « in dubio pro duriore », ainsi que la question de savoir si l’instance inférieure pouvait exclure l’existence de soupçons suffisants sur la base de ces preuves.
Analysant l’application de l’art. 125 CP, le TF rappelle la notion de négligence (art. 12 al. 3 CP) et sa jurisprudence à ce propos (c. 2.2). La négligence suppose en premier lieu la violation d’un devoir de prudence dont le résultat est prévisible. Le comportement doit être propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer un résultat tel que celui qui s’est produit ou du moins à le favoriser considérablement. Le lien de causalité n’est rompu que si des circonstances tout à fait exceptionnelles interviennent, telles que la faute concomitante de la victime ou d’un tiers ou des défauts de matériel ou de construction, avec lesquelles il ne fallait pas du tout compter et qui sont d’une telle gravité qu’elles apparaissent comme la cause la plus probable et la plus directe du résultat, reléguant ainsi à l’arrière-plan tous les autres facteurs concomitants, notamment le comportement de la personne accusée. Le comportement d’un tiers ne peut rompre le lien de causalité que si cette cause additionnelle est à ce point extérieure à l’événement normal, à ce point insensée qu’il ne fallait pas s’y attendre.
En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. L’infraction peut également être commise par omission contraire aux devoirs (art. 11 CP). Dans ce cas, il faut qu’il y ait une obligation légale d’accomplir l’acte omis (position de garant). Pour admettre une position de garant, il suffit d’une obligation qualifiée. Le délit d’omission « improprement dit » sanctionne l’auteur qui aurait pu éviter le résultat par son action (possibilité d’éviter la survenance du résultat) et qu’il y était tenu en raison de sa position de garant. On vérifie si le résultat aurait pu être évité, si l’auteur avait eu un comportement conforme à ses devoirs. Il faut en principe qu’il soit encore établi avec une haute vraisemblance que si l’auteur avait agi d’une manière conforme à son devoir de prudence, le résultat ne se serait pas produit (c. 2.2.3).
Après avoir rappelé sa jurisprudence au sujet de la notion de négligence, le TF examine les obligations qui s’imposent aux entreprises de remontées mécaniques qui aménagent des pistes et les ouvrent à la pratique du ski. Celles-ci sont en principe tenues de prendre les mesures de précaution et de protection que l’on peut raisonnablement exiger d’elles pour écarter les dangers. Cette obligation de sécurité exige d’une part que les usagers des pistes soient protégés contre les dangers qui ne sont pas facilement identifiables et qui s’avèrent être de véritables pièges. D’autre part, il faut veiller à ce que les usagers des pistes soient préservés des dangers qui ne peuvent être évités même en faisant preuve de prudence. La limite de l’obligation d’assurer la sécurité des pistes est constituée d’une part par le caractère raisonnablement exigible et d’autre part par la responsabilité personnelle de chaque usager de la piste (c. 2.2.4). L’étendue de l’obligation d’assurer la sécurité dépend des circonstances du cas d’espèce.
Le Tribunal fédéral se réfère aux directives de la Commission suisse pour la prévention des accidents sur les descentes pour sport de neige (SKUS) et aux directives des remontées mécaniques suisses relatives à l’obligation d’assurer la sécurité sur les descentes de sports de neige (RMS). Sans être des normes droit objectif, elles revêtent une fonction importante dans la concrétisation des devoirs en matière de sécurité des pistes. Les conditions locales peuvent exiger un niveau de sécurité plus élevé que celui prévu par les directives précitées. Le TF n’est pas lié par les directives et détermine le degré de diligence exigé en fonction des circonstances concrètes du cas.
Dans le cas d’espèce, le TF confirme la décision attaquée de l’autorité cantonale en tant qu’elle nie l’existence de soupçons suffisants pour une mise en accusation. Selon la décision attaquée, la piste bleue se prêtait à la pratique de la luge (ch. 24 et ch. 74 directives SKUS). Les directives SKUS préconisent que le bord de la piste doit être sécurisé efficacement, y compris dans la zone contiguë de 2 mètres, lorsque des obstacles mettent en danger les usagers ou qu’il existe un risque de chute. Il n’est pas nécessaire de créer des espaces de chute (ch. 24 directives SKUS). Seuls les obstacles que les usagers ne peuvent reconnaître en faisant preuve de la diligence requise doivent être signalés. Si les obstacles ne peuvent être évités, des mesures seront prises en vue de les écarter. Ce sera le cas notamment s’il existe un risque qu’une personne tombe et continue ensuite à glisser en raison des conditions du terrain, sans pouvoir freiner et se diriger efficacement (ch. 28 directives SKUS). L’obligation de garantir la sécurité peut exceptionnellement s’étendre au-delà de la zone contiguë des 2 mètres (ch. 113 directives RMS). Même dans la zone marginale de 2 mètres adjacente à la piste, les obstacles de type chute doivent être signalés. La présence d’une telle chute s’évalue du point de vue d’un utilisateur attentif (ch. 144 directives RMS). En l’espèce, le poteau en bois se trouvait à un endroit où la piste devenait plus étroite, après une pente raide où les usagers descendaient relativement vite pour ne pas avoir à marcher lors de la traversée de la forêt. L’autorité cantonale a néanmoins relevé que le poteau ne se situait pas immédiatement sous la pente raide, mais après une partie plate. De plus, la piste devenait plus étroite avant le niveau du poteau en bois qui se trouvait en outre sur un tronçon rectiligne. Le poteau était recouvert d’un tapis orange et visible de loin. Le fait qu’il fut situé en bordure de piste et non à 1.5m de celle-ci, comme l’autorité l’aurait constaté à tort, ne changeait rien à la visibilité du poteau à distance.
L’autorité cantonale n’est donc pas tombée dans l’arbitraire ni n’a violé le droit fédéral en retenant que recourante n’avait pas respecté une distance de sécurité suffisante par rapport au bord de la piste.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 9C_458/2022 du 5 octobre 2023
Assurance-invalidité; restitution d’une subvention à la pierre, cas de rigueur; art. 73 al. 1 aLAI; 29 LSu
L’art. 73 al. 1 LAI prévoyait, jusqu’à la fin 2007, que « l’assurance-invalidité alloue des subventions pour la construction, l’agrandissement et la rénovation d’établissements et d’ateliers publics ou reconnus d’utilité publique, qui appliquent des mesures de réadaptation dans une proportion importante ». En relation avec cette disposition, l’art. 104bis RAI (également abrogé au 1er janvier 2008) prévoyait que « si, avant l’expiration d’un délai de 25 ans à compter du paiement final, l’établissement est détourné de son but ou transféré à un organisme responsable dont le caractère d’utilité publique n’est pas reconnu, la subvention doit être remboursée. Le montant à rembourser est diminué de 4 % pour chaque année d’utilisation conforme à l’affectation prévue » (al. 1). Dans le cadre de la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons entrée en vigueur le 1er janvier 2008, les art. 73 LAI et 104bis RAI ont été abrogés et le contenu de cette dernière disposition a été repris dans les dispositions transitoires de la modification de l’AI du 6 octobre 2006.
Une fondation reconnue d’utilité publique a bénéficié d’une subvention fondée sur l’ancien art. 73 LAI en 1994, finalisée en 1999, pour la réalisation d’un centre résidentiel pour la réintégration socio-professionnelles de personnes toxicodépendantes. Apprenant la démolition du bâtiment en 2016, l’OFAS a demandé la restitution d’une partie de la subvention, ce qui a été confirmé par le TAF.
Saisi du recours de la fondation, le TF statue en premier lieu sur la notion de « détournement de son but » contenue à l’art. 73 LAI. Quand bien même cette disposition doit être considérée comme une lex specialis par rapport à l’art. 29 al. 1 de la loi fédérale sur les aides financières et les indemnités (LSu) (« désaffectation ou aliénation d’un bien »), le TF retient que la notion de l’art. 73 LAI ne doit pas être interprétée plus restrictivement que celle de l’art. 29 LSu et que la démolition du bâtiment constitue bien un détournement du but du bâtiment qui entraîne une obligation de restitution à la charge de la fondation.
Le TF entre cependant en matière sur l’argumentation subsidiaire de la fondation, consistant à demander l’examen de la question de l’existence d’un cas de rigueur conduisant à la réduction du montant à restituer, selon l’art. 29 al. 1 3e phrase LSu. Il estime tout d’abord que cette argumentation, formulée pour la première fois dans le cadre du recours devant son autorité, est admissible, dès lors que cette question constitue un aspect du rapport juridique qui fait l’objet de la procédure. Il juge ensuite que l’absence d’indication à ce propos dans la LAI n’empêche pas l’application de l’art. 29 al. 1 3e phrase LSu en concurrence, les deux dispositions n’étant pas contradictoires sur ce point. La cause est donc renvoyée à l’OFAS pour examen de cette question et nouvelle décision.
Auteure : Pauline Duboux, Lausanne

TF 9C_340/2023 du 4 octobre 2023
Prestations complémentaires; procédure, procédure judiciaire, compétence à raison du lieu, entrée en force matérielle et formelle, conflit de compétence, délai de recours, dies a quo; art. 100 al. 5 LTF; 58 LPGA; 21 LPC
Le TF rappelle qu’en matière de PC, la compétence territoriale pour la procédure administrative (interne) est déterminée uniquement par l’art. 21 LPC. Selon cette disposition, c’est le canton dans lequel la personne est domiciliée qui est compétent pour statuer sur la demande de PC et pour verser les prestations. L’entrée en home ne fonde pas de nouveau domicile. Depuis début 2021, ce canton reste compétent même si la personne assurée fonde un nouveau domicile dans un autre canton (art. 21 al. 1quater LPC). La compétence territoriale pour la procédure judiciaire, en revanche, est déterminée conformément à l’art. 58 LPGA. C’est donc le canton dans lequel la personne est civilement domiciliée au moment du dépôt du recours qui est compétent (c. 5.2.1).
Conformément à l’art. 100 al. 5 LTF, en cas de conflit de compétences entre deux cantons, le délai de recours ne commence à courir qu’à partir du moment où les deux cantons ont statué en rendant un jugement contre lequel le recours au TF est ouvert. Le premier jugement rendu est attaqué avec le second et n’entre en force qu’en même temps que lui. En l’espèce, la recourante n’avait attaqué ni le premier (canton de Glaris), ni le second arrêt (canton de Zurich) refusant d’entrer en matière.
Le TF examine en conséquence si l’arrêt zurichois (le second arrêt) est formellement entré en force. Il parvient à la conclusion que non, car dans l’intervalle, le domicile civil de l’assurée avait été définitivement fixé, dans le canton de Zurich, et il n’y avait dès lors plus de conflit de compétence. La procédure zurichoise ayant perdu tout objet, l’arrêt du tribunal cantonal des assurances (non entrée en matière) n’est pas entré en force ; ce dernier aurait dû, selon le TF, revenir d’office sur sa décision de non entrée en matière (c. 5.2.4 et 5.2.5).
Cela ne vaut toutefois, selon le TF, que si le jugement n’a pas acquis matériellement la force de chose jugée. En l’espèce, ce n’est pas le cas car le tribunal qui se tient pour incompétent doit transmettre l’affaire au tribunal qu’il estime être compétent ; il peut le faire de manière informelle ou en rendant une décision de non entrée en matière. Dans les deux cas, sa décision ne peut pas acquérir autorité de chose jugée avant que le second tribunal ne se soit prononcé (c. 5.3).
En définitive, une décision de non entrée en matière pour incompétence, à raison du lieu, rendue en application de l’art. 58 LPGA ne peut pas entrer formellement en force tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas de conflit de compétence, ou qu’un autre tribunal n’a pas statué à son tour. Elle n’entre pas non plus matériellement en force.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 6B_1333 et 1353/2022 du 2 octobre 2023
Responsabilité du détenteur d’animal; lésions corporelles graves par négligence, position de garant, maîtrise de fait, instructions; art. 122 CP; 56 CO; 16 al. 2 LPolC
Au mois de mai 2020, un électricien qui était venu faire des travaux à l’extérieur d’une maison familiale a été attaqué par les deux chiens du propriétaire. Celui-ci avait quitté les lieux en laissant à son père la garde de ses deux dogues argentins, un mâle et une femelle, dont il connaissait le potentiel de dangerosité compte tenu notamment de leur race et d’un antécédent de morsure de la femelle. Au moment de s’absenter, il avait dicté comme unique consigne de sécurité à son père de maintenir ses animaux enfermés à clé dans la maison le temps que l’électricien finisse les travaux. En particulier, le propriétaire n’avait pas commandé à son père de maintenir fermé le portail intermédiaire qui avait spécialement été aménagé afin que les chiens ne puissent aller jusqu’au portail principal donnant sur la voie publique. Au retour de sa pause de midi, l’électricien avait sonné au portail mais n’avait pas attendu qu’un membre de la famille vienne lui ouvrir. Il avait pénétré dans le jardin seul. Les chiens s’étaient rués sur lui alors que le père ouvrait la porte de la maison et s’étaient acharnés pendant une quinzaine de minutes sur leur victime. Ce n’est qu’en tapant sur la tête d’un des chiens avec une pierre que celui-ci a finalement lâché prise. L’ouvrier a été mordu à la tête, aux bras, aux fessiers, aux jambes et aux pieds. Il a souffert d’une multitude de plaies ouvertes avec perforation et arrachement musculaire et d’une fracture d’un doigt de la main gauche. Sa plaie à la tête a nécessité 42 points de suture. Le père du propriétaire a quant à lui été sévèrement mordu au bras. Le risque causé par les chiens a été qualifié de « très sérieux à mortel » par un vétérinaire. L’enquête a par ailleurs révélé que le propriétaire avait utilisé deux colliers électriques pour dresser ses dogues argentins, et que la chienne avait déjà mordu au bras et au visage un voisin qui mangeait chez les propriétaires l’année précédente, raison pour laquelle le vétérinaire cantonal avait décidé que le molosse devrait être mis à l’écart au domicile en présence de personnes inconnues.
Les juges cantonaux ont notamment observé que le fils connaissait le potentiel de dangerosité de ses chiens et qu’il ne pouvait qu’en être conscient. Il avait du reste pris des mesures pour éviter que ceux-ci soient en contact avec des personnes qui ne leur étaient pas familières, en les enfermant à l’intérieur de la maison lorsque des personnes étrangères étaient présentes sur la propriété et en installant deux portails successifs ainsi que deux pancartes de mise en garde sur le portail d'entrée. Pour autant, ces mesures ne s’étaient pas révélées suffisantes. Dans ce contexte, le fait de ne pas avoir donné de consignes suffisamment claires à son père dénotait déjà une violation fautive du devoir de prudence auquel était tenu le propriétaire en vertu des art. 56 CO et 16 al. 2 LPoIC. L'attaque s'était en outre révélée complètement disproportionnée, même pour des chiens supposés garder une propriété, dénotant ainsi un défaut d’éducation, également imputable à leur maître. De son côté, le père – en laissant la porte de la maison entre-ouverte ainsi qu’en ne fermant pas le portail intermédiaire – avait non seulement permis que les chiens sortent de la maison et s’en prennent à l’électricien, mais il s’était en plus par la suite montré incapable de se faire obéir et de faire cesser l’attaque. Une violation du devoir de prudence, qui lui incombait en tant que détenteur effectif des chiens, devait dès lors également lui être imputée. Dans ces circonstances, peu importait en définitive pour les juges cantonaux que l’électricien ait pris l’habitude, lors de ses précédentes visites dans les mois et semaines qui précédaient, d’attendre que le propriétaire ou son père viennent lui ouvrir. L’omission d’attendre l’autorisation d’entrer ne constituait pas, dans le contexte du cas d’espèce, une circonstance exceptionnelle imprévisible, pouvant interrompre le lien de causalité entre la violation des devoirs de prudence du père et du fils et l’attaque survenue. A tout le moins, les instances cantonales ont estimé qu’on ne pouvait en déduire qu'il avait volontairement pris un risque de se faire attaquer.
Le propriétaire et son père ont contesté leur condamnation pour lésions corporelles graves par négligence devant le TF, qui a relevé d’emblée que le fils, en sa qualité de détenteur principal et « maître » des chiens, était tenu de prendre les mesures nécessaires et utiles à éviter tout accident, y compris lorsque les chiens demeuraient au domicile pendant qu’il s’absentait. Il assumait par conséquent une position de garant.
Dans ces circonstances, il appartenait au fils de donner des consignes claires à son père afin d’assurer la sécurité de l’électricien, qu’il savait en train d’effectuer des travaux sur la propriété. A cet égard, il aurait dû insister sur la nécessité de verrouiller le portail intermédiaire, qui avait été spécialement conçu pour que les chiens ne puissent pas aller jusqu’au portail principal qui donnait sur la voie publique. Le fait que son père s’occupait régulièrement des chiens ne le déchargeait pas de son devoir de donner des instructions claires compte tenu du contexte et de l’antécédent agressif de l’un d’eux. En confiant ses chiens à une personne manifestement incapable de les maîtriser, le fils a violé fautivement son devoir de diligence.
La réalisation de la position de garant du père découle quant à elle des circonstances, puisqu’il a accepté de surveiller les chiens de son fils durant l’absence de celui-ci et qu’il avait la maîtrise de fait sur les animaux confiés, ce qui lui imposait de prendre, lui aussi, les mesures nécessaires et utiles à éviter un accident. Dès lors qu’il savait que l’ouvrier reviendrait après sa pause, il devait prendre les mesures propres à empêcher les chiens de se trouver au contact de l'intimé, ce qui impliquait à tout le moins de verrouiller le portail intermédiaire, ce qu'il a omis de faire.
Le TF rejette par ailleurs l’argument d’une rupture du lien de causalité adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions corporelles de la victime au motif que l’électricien aurait fait preuve d'imprudence au moment de son retour sur la propriété et que son comportement était volontaire. Compte tenu du fait que les chiens étaient demeurés enfermés jusqu’à la pause de midi, il n’y avait rien d’inhabituel à ce que la victime, après avoir sonné, entreprenne de franchir le portail principal, alors qu’il avait travaillé tout le matin sur la propriété et fait librement des allers-retours entre le jardin et l’extérieur. A ce propos, le TF a encore rappelé que la cour cantonale n’avait pas établi que l'intimé aurait fait fi des instructions du père.
Ainsi, après avoir confirmé la qualification de lésions corporelles graves, le TF a rejeté les recours du père et du fils.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne


TF 1C_195/2023 du 27 septembre 2023
Responsabilité aquilienne; LAVI, dommage matériel, tort moral; Art. 41, 46 al. 1, 47 et 49 CO; 19, 22 et 23 LAVI; 14 CEDH
Le TF rappelle que la notion de dommage selon la LAVI correspond de manière générale à celle du droit de la responsabilité civile. Il peut ainsi être renvoyé aux principes prévus par les art. 46 al. 1 CO en cas de lésions corporelles, auquel l’art. 19 al. 2 LAVI fait d’ailleurs expressément référence. Le législateur a cependant choisi de ne pas reprendre en tous points le régime de la responsabilité civile et l’instance LAVI peut donc s’en écarter au besoin. Ainsi, toutes les prétentions résultant des dispositions sur la responsabilité civile ne fondent pas nécessairement le droit à une aide financière au sens de la LAVI. Des solutions spécifiques sont donc possibles, même si des différences en matière de détermination du dommage ne se justifient qu’exceptionnellement, étant précisé que dans tous les cas, lorsqu’une des conditions des art. 41 ss CO fait défaut, une indemnisation LAVI n’est jamais octroyée.
En vertu de l’art. 46 al. 1 CO, la victime de lésions corporelles a droit à la réparation du dommage qui résulte de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l’atteinte portée à son avenir économique ; est déterminante à cet égard la diminution de la capacité de gain. Lors de l’appréciation de ce préjudice, celui-ci doit être rendu suffisamment vraisemblable au regard de toutes les circonstances concrètes entrant en jeu. Cette vraisemblance n’ayant pas été suffisamment démontrée dans le cas d’espèce, le dommage matériel allégué n’a pas lieu d’être indemnisé.
Selon l’art. 22 al. 1 LAVI, la victime a droit à une réparation morale lorsque la gravité de l’atteinte le justifie. Le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l’atteinte (art. 23 al. 1 LAVI). Au regard des particularités de ce système d’indemnisation, le TF confirme que le législateur n’avait pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage. Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d’une allocation « ex aequo et bono ». La collectivité n’est en effet pas responsable des conséquences de l’infraction, mais seulement liée par un devoir d’assistance publique envers la victime. Ainsi, elle n’est pas nécessairement tenue à des prestations aussi étendues que celles exigibles de la part de l’auteur de l’infraction. Si le principe d’un droit subjectif à la réparation morale est ancré dans la LAVI (art. 22 LAVI), le plafonnement de l’indemnisation implique que les montants alloués en vertu de cette loi sont nettement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé. Sans avoir voulu instaurer une réduction systématique et proportionnelle des montants alloués en vertu du droit privé, le législateur a fixé les plafonds environ aux deux tiers des montants de base généralement attribués en droit de la responsabilité civile. La fourchette des montants à disposition est ainsi plus étroite qu’en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves, tels qu’une invalidité à 100%.
L’OFJ a à cet égard établi un guide qui prévoit notamment, des montants allant jusqu’à CHF 8'000.- pour les victimes ayant subi une atteinte grave à leur intégrité sexuelle. Pour des atteintes à l’intégrité physiques « atteintes corporelles non négligeables, en voie de guérison [et des] atteintes de peu de gravité avec circonstances aggravantes » , des montants allant jusqu’à CHF 5'000.- sont prévus. Pour des atteintes à l’intégrité psychique « atteinte à l’intégrité psychique non négligeable même si temporaire avec circonstances aggravantes déterminées par l’acte », ce guide prévoit des montants allant jusqu’à CHF 5'000.-, ainsi que des montants allant de CHF 5'000.- à CHF 15'000.- pour une « atteinte à l’intégrité psychique sévère en raison de circonstances dramatiques avec de lourdes séquelles ».
Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d’application ; toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles constituent une référence permettant d’assurer une certaine égalité de traitement, tant que le CF n’impose pas de tarif en application de l’art. 45 al. 3 LAVI.
Dans le cas d’espèce, force est de constater que l’instance inférieure a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et que l’indemnité fixée se situe dans la fourchette des cas qui peuvent offrir une comparaison avec celui de la victime. Le montant de l’indemnité octroyée, par l’instance précédente, soit CHF 3'000.- dans le cadre d’un cas d’agression sexuelle, est conforme au droit fédéral.
La victime, une travailleuse du sexe, invite encore le TF à constater que l’indemnité qu’elle a reçue à titre de tort moral est symbolique et reflète par conséquent une pratique discriminatoire à l’égard des femmes. Elle considère que la pratique du système LAVI, consistant à octroyer des montants si faibles à titre de tort moral pour les séquelles d’une agression sexuelle, touche principalement les femmes, dans la mesure où elles sont majoritairement victimes de violences sexuelles ; cela constituerait par conséquent une défaillance structurelle qui équivaudrait à une pratique discriminatoire, même si celle-ci ne découle pas de la volonté expresse des autorités.
Le fait que les indemnités octroyées par la LAVI à titre de tort moral soient peu élevées n’est pas constitutif d’une discrimination envers les femmes, telle qu’interdite par l’art. 14 CEDH. Il appert que l’autorité précédente a procédé à un examen de la jurisprudence et des directives pertinentes afin de s’assurer que la somme octroyée corresponde aux indemnités habituellement allouées dans des cas similaires. Au surplus, on ne voit pas en quoi le système instauré par la LAVI en matière d’indemnités pour tort moral, qui est subsidiaire aux autres possibilités d’obtenir réparation à disposition de la victime et qui se rapproche d’une allocation « ex aequo et bono », constituerait une pratique discriminatoire, qui défavoriserait particulièrement les femmes.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève


TF 4A_383/2022 du 25 septembre 2023
Responsabilité de l’employeur; procédure, privilège de recours, employeur, faute, organe, délégation de compétence; art.75 al. 2 LPGA
Une société exploite un entrepôt qu’elle loue. Deux employés de cette société, dont le directeur de l’entrepôt, ont enlevé l’une des six grilles métalliques situées au sol devant un ascenseur, afin de la nettoyer. Sous celle-ci, le propriétaire avait fait poser des panneaux de polystyrène non-porteurs destinés à éviter des courants d’air. Un troisième employé de cette même société a marché accidentellement sur lesdits panneaux, lesquels ont cédé sous son poids. Il a chuté de 4 mètres et a été grièvement blessé. A la suite à l’accident, les assurances sociales (AI et AVS) ont versé des prestations à l’employé lésé. Elles se sont retournées ensuite contre l’employeur. Les tribunaux de première et de seconde instances du canton ont tous deux rejeté l’action, au motif que l’employeur, respectivement ses organes, n’avait pas provoqué l’accident, si bien qu’il n’existait pas de droit de recours contre l’employeur au sens de l’art. 75 al. 2 LPGA. Les assurances recourent au TF.
Le TF examine en premier lieu si l’art. 75 al. 2 LPGA supprime le privilège de recours uniquement lorsqu’un organe de l’employeur a provoqué l’accident intentionnellement ou par négligence grave, ou si ce privilège tombe également lorsque le reproche de négligence grave ou de dol est formulé à l’encontre d’un auxiliaire. Le TF rappelle qu’avec l’introduction de l’art. 75 al. 2 LPGA, le privilège de responsabilité (prévu par l’ancien art. 44 al. 2 LAA) a disparu, laissant place au privilège de recours. S’il s’applique, cela signifie que les assureurs sociaux doivent fournir les prestations légales, sans pouvoir se retourner contre l’employeur. Si le législateur avait voulu limiter l’étendue du privilège également en ce qui concerne les prestations des assureurs sociaux, il n’aurait pas simplement remplacé le privilège de responsabilité et de recours par un simple privilège de recours, mais il aurait limité celui-ci dans son libellé par rapport au privilège de responsabilité, par exemple en mentionnant expressément les auxiliaires de l’employeur (cf. par exemple art. 58 al. 4 LCR). En édictant l’art. 75 al. 2 LPGA, le législateur a délibérément proposé de remplacer les privilèges de responsabilité par des privilèges de recours. Si, à cette occasion, il avait envisagé d’élargir le cercle des personnes exclues du privilège lorsqu’elles ont provoqué le cas d’assurance intentionnellement ou par négligence grave, en s’écartant de la jurisprudence alors en vigueur et dans le sens d’une prise en compte de la faute de simples auxiliaires, cela aurait été expressément mentionné, d’autant plus que le législateur était parfaitement conscient du fait que certains auteurs remettaient même en question le privilège de recours et proposaient l’abolition pure et simple de tels privilèges (c. 1.3.4).
Le TF examine ensuite le second grief des recourantes, qui soutiennent que l’accident aurait été causé par un organe de fait de l’employeur et éventuellement en vertu d’une délégation des pouvoirs. Les recourantes s’appuient sur une jurisprudence publiée à l’ATF 128 III 76, dans laquelle le TF a considéré que le directeur de l’exploitation était un organe de fait de l’institut agricole qui l’employait et qu’un autre salarié, à qui des compétences avaient été déléguées par le directeur de l’exploitation, devenait également un organe en raison de cette délégation, faisant ainsi une interprétation extensive de la notion d’organe. Le TF retient que dans la jurisprudence précitée, le directeur de l’exploitation avait lui-même provoqué la situation dangereuse qui a finalement conduit à l'accident, sans donner les instructions nécessaires et sans assurer une surveillance suffisante. S’il a délégué celle-ci à un collaborateur, cela ne change rien au fait qu'il était responsable de la situation dangereuse. Il ne pouvait pas se soustraire à cette responsabilité par le biais d’une délégation. Cela ne signifie cependant pas que tout collaborateur qui agit dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées doit être considéré comme un organe de l'employeur en vertu de la délégation (c. 2.3.1).
En outre, le TF relève que la situation du directeur de l’entrepôt, dans le cas d’espèce, n’est pas comparable à celle du directeur de l’exploitation, dans la jurisprudence précitée, lequel était responsable de toute une unité autonome. Il ne s’agissait donc pas d’une personne qui exerçait une tâche plus ou moins étroitement définie au sein de cette unité, comme c'était le cas du directeur de l’entrepôt (c. 2.3.2).
Enfin, le TF retient que le directeur de l’entrepôt ne peut pas non plus être considéré comme un organe de l’employeur sur la base d’une délégation générale de compétence d’un organe formel – soit le directeur général – comme cela a été retenu dans l’ATF 128 III 74. En effet, si le directeur général avait connaissance du projet de nettoyage des grilles, il n’a pas ordonné lui-même l’enlèvement de celles-ci et n’avait même pas conscience qu’il fallait enlever ces grilles pour nettoyer. La manière de procéder au nettoyage n’a jamais fait l’objet de discussions. Le directeur général a ainsi placé cette procédure dans le domaine de compétences du directeur de l’entrepôt. Il n’a donc pas créé lui-même la situation dangereuse et n’a pas non plus délégué une compétence d’organe, si bien que le cas d’espèce ne peut pas être comparé à celui de l'ATF 128 III 76.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne


ATF 149 II 381, TF 9C_259/2023 du 18 septembre 2023
Assurance-maladie; Polypragmasie, méthode anova, critères justifiant des coûts plus élevés, dépens; art. 59 al. 1 let b LAMal; 68 al. 3 LTF
Un pédiatre interjette un recours au TF contre un jugement du Tribunal arbitral de Bâle-Campagne le condamnant à la restitution de ses honoraires à hauteur de CHF 877'646.- pour la période allant de 2013 à 2016 et lui adressant un avertissement.
Dans cet arrêt, le TF confirme l’applicabilité de la méthode statistique de l’analyse de la variance (anova) comme méthode de contrôle du caractère économique des prestations médicales LAMal (c. 3.2 et 3.3).
Il procède ensuite à l’examen du caractère économique de l’activité du recourant selon ladite méthode rappelant, dans un premier temps, que la jurisprudence reconnaît comme caractéristiques atypiques d’un cabinet justifiant une moyenne plus élevée des coûts par cas, entre autres, un grand nombre de patients de longue date, un grand nombre de patients âgés, un nombre de visites à domicile supérieur à la moyenne, une très forte proportion de patients étrangers et le fait de ne pas traiter de patients en urgence (c. 5.2).
Dans le cas d’espèce, le TF confirme le jugement cantonal qui considère que le nombre élevé de patients adultes est une particularité du cabinet qui augmente la valeur de tolérance pour un cabinet de pédiatrie (150 points). Il nie d’autres particularités du cabinet augmentant la valeur de tolérance, notamment le nombre élevé de patients atteints de tuberculose ainsi qu’un nombre de patients étrangers élevé, du fait que le recourant maîtrise les langues parlées par une grande partie de ses patients issus de l’immigration (c. 5.6).
Finalement, le TF considère qu’il n’y a pas lieu d’allouer de dépens aux vingt-deux assureurs LAMal intimés. Après avoir rappelé que les assurances qui garantissent l'assurance obligatoire des soins sont des organisations chargées de tâches de droit public au sens de l'art. 68 al. 3 LTF, il relève qu’il ne se justifie plus de s’en tenir à la jurisprudence publiée qui dérogeait à l’art. 68 al. 3 LTF. Notre Haute Cour considère ainsi que la complexité des questions juridiques qui se posent et une éventuelle surcharge des organisations chargées de tâches publiques ne suffisent plus à justifier une dérogation à l'art. 68 al. 3 LTF (c. 7).
Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat


TF 4A_279/2023 du 14 septembre 2023
Assurances privées; indemnités journalières maladie LCA, faillite, prétentions frauduleuses; art. 40 LCA
En raison d’une incapacité de travail, un assuré perçoit des indemnités journalières perte de gain maladie LCA. A la suite d’une surveillance, l’assureur constate que ses capacités physiques, notamment sa mobilité, sont nettement meilleures que celles décrites dans les certificats médicaux qui lui ont été transmis. Invoquant l’art. 40 LCA concernant les prétentions frauduleuses, il met un terme au contrat d’assurance et au versement des indemnités journalières. Le 3 février 2021, l’assureur ouvre action en restitution d’un montant de CHF 47'316,30 correspondant aux indemnités journalières versées à tort, ainsi qu’en paiement d’un montant de CHF 7'914,25 relatif aux frais de surveillance. L’assuré conclut au rejet de la demande et, à titre reconventionnel, au paiement du solde des indemnités journalières à hauteur de CHF 24'881,90. Le 28 avril 2022, une procédure de faillite est ouverte à l’encontre de l’assuré. En date du 12 octobre 2022, l’administration de la faillite reconnait la créance de l’assureur en la cataloguant en 3e classe. Par décision du 26 avril 2023, le tribunal cantonal procède, compte tenu de la reconnaissance précitée, à la radiation de la cause du rôle et condamne l’assuré à verser des intérêts sur les sommes réclamées par l’assureur. La demande reconventionnelle est, quant à elle, rejetée. Le TF est saisi d’un recours déposé par l’assuré à l’encontre de ce jugement.
Le TF rappelle que, sauf dans les cas d’urgence, les procès civils auxquels le failli est partie et qui influent sur l’état de la masse en faillite sont suspendus (art. 207 al. 1, 1ère phrase LP). Si le procès n’est continué ni par la masse ni par les créanciers autorisés à le faire (art. 260 LP), la prétention produite est considérée comme reconnue et est inscrite de façon définitive à l’état de collocation (art. 63 al. 2 OAOF ; c. 2.2.1). Dans ce cas, la collocation définitive de la créance réclamée en justice rend sans objet la procédure judiciaire dirigée contre le failli, la cause devant être radiée du rôle.
A l’appui de son recours, l’assuré requiert du TF de clarifier la portée du dispositif cantonal en indiquant que la reconnaissance de la créance par la masse en faillite n’a d’effets qu’en application de l’art. 64 al. 1 OAOF et ne constitue pas une reconnaissance de dette au sens de l’art. 82 LP. Il soutient ainsi que la décision rendue par l’instance cantonale constituerait en réalité un titre à la mainlevée définitive portant sur une somme que lui-même n’avait pas reconnue (c. 2.4). Le TF écarte le grief en relevant que l’instance cantonale n’a pas condamné le recourant au paiement des sommes réclamées par l’assureur, mais a fixé le point de départ des intérêts compte tenu, vraisemblablement, de l’imprécision de l’action en paiement (les intérêts ayant été réclamés « seit wann rechtens » par l’assureur). Les juges fédéraux rappellent, en outre, qu’il n’appartient pas au TF d’interpréter le dispositif d’un jugement cantonal, pas plus que de préciser les conséquences de l’inscription de la créance à l’état de collocation au sens de l’art. 63 al. 2 OAOF (c. 2.5).
Dans un second moyen, le recourant critiquait l’application de l’art. 40 LCA et le rejet de sa demande reconventionnelle. Les juges fédéraux précisent que les conditions de l’art. 40 LCA étaient remplies dans le cas d’espèce, et rappellent ainsi qu’il importe peu de savoir que les prestations d'assurance avaient été versées par l’assureur sur la base d'attestations médicales et non directement sur des déclarations faites par l’assuré à l’assureur. En effet, les médecins dépendent largement des informations fournies par leurs patients (c. 3.2.3). Or, le recourant avait fourni des informations incorrectes à ses médecins traitants concernant ses limitations médicales. Son intention était ainsi de continuer à percevoir des indemnités journalières sur la base d'une incapacité totale de travail. Les conditions de l'article 40 LCA étaient dès lors remplies et le recours est rejeté (c. 3.2.2 et 3.2.3).
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains

ATF 150 V 44, TF 8C_610/2022 du 13 septembre 2023
Assurance-chômage; gain assuré, taux de placement, gain intermédiaire; art. 23 et 24 LACI; 41a OACI
Engagé à 50% en qualité de joueur de hockey professionnel pour un revenu de CHF 100’000.- par an, un assuré travaillait en sus à 50% pour un salaire de CHF 26’325.- par an. Ayant démissionné de ce dernier emploi, il a sollicité l’indemnisation de sa perte de gain auprès de la caisse de chômage, indiquant qu’il cherchait désormais une activité à 40%. La caisse de chômage a refusé d’allouer ses prestations au motif que l’assuré ne subissait aucune perte de gain. Saisi d’un recours de l’assuré, le TF a confirmé le refus du droit aux prestations.
Est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS qui est obtenu normalement au cours d’un ou de plusieurs rapports de travail durant une période de référence, y compris les allocations régulièrement versées et convenues contractuellement, dans la mesure où elles ne sont pas des indemnités pour inconvénients liés à l’exécution du travail (art. 23 al. 1, 1re phrase, LACI). Le gain assuré doit encore être adapté au « taux de placement », respectivement à la disponibilité de la personne assurée sur le marché du travail, et éventuellement réduit en conséquence (c. 3.3).
Selon l’art. 24 al. 1 LACI, est réputé intermédiaire tout gain que le chômeur retire d’une activité salariée ou indépendante durant une période de contrôle. La personne assurée qui perçoit un gain intermédiaire a droit à la compensation de la perte de gain. Est réputée perte de gain la différence entre le gain assuré et le gain intermédiaire, ce dernier devant être conforme, pour le travail effectué, aux usages professionnels et locaux (art. 24 al. 3 LACI). Selon l’art. 41a al. 1 OACI, lorsque la personne assurée réalise un revenu inférieur à son indemnité de chômage, il a droit à des indemnités compensatoires pendant le délai-cadre d’indemnisation (c. 3.4).
Selon l’art. 16 al. 2 let. i LACI, n’est pas réputé convenable tout travail qui procure à la personne assurée une rémunération qui est inférieure à 70% du gain assuré, sauf si celle-ci touche des indemnités compensatoires conformément à l’art. 24 (gain intermédiaire). La jurisprudence a précisé que tant qu’une personne assurée a droit à des indemnités compensatoires en vertu de l’art. 24 al. 4 LACI, le seuil du travail convenable se situe à 70% ou 80% du gain assuré (selon le taux d’indemnisation applicable). Pour déterminer si la limite de 70% ou 80% du gain assuré est atteinte (seuil réputé convenable), il faut prendre en compte les revenus de tous les rapports de travail. Les revenus de plusieurs activités exercées à temps partiel sont ainsi cumulés pour l’examen de la prétention à la compensation de la perte de gain. Une prétention aux indemnités compensatoires n’existe que si le revenu global de la personne assurée demeure inférieur à l’indemnité de chômage à laquelle elle pourrait prétendre (ATF 127 V 479 c. 4a). Il s’ensuit qu’une perte de gain ne dépassant pas 20% ou 30% du gain assuré n’ouvre pas droit à l’indemnité puisqu’elle reste dans les normes du travail convenable selon l’art. 16 LACI (c. 5.3).
Il découle de ce qui précède que si une personne assurée a perdu l’un de ses emplois à temps partiel et continue d’exercer une ou plusieurs autre(s) activité(s) à temps partiel, il convient, pour déterminer si elle a droit à l’indemnisation de sa perte de gain, de comparer le revenu mensuel brut qu’elle réalise malgré son chômage partiel (revenu provenant d’une ou de plusieurs autres activités à temps partiel) avec l’indemnité de chômage à laquelle elle aurait droit si elle n’était pas au chômage partiel mais si elle était totalement sans emploi (c. 5.4).
En l’espèce, le revenu mensuel brut réalisé par le recourant dans son activité de hockeyeur est de CHF 8'333,33, ce qui correspond à un gain journalier brut de CHF 384.- (CHF 8'333,33/21,7). Quant à l’indemnité journalière que toucherait le recourant en cas de chômage complet dans les limites de sa disponibilité, il est obtenu en multipliant le gain assuré (total réalisé par le recourant dans ses deux activités à temps partiel) de CHF 10'527.- par 70% ou 80% (selon le taux d’indemnisation entrant en ligne de compte en l’espèce ; art. 22 LACI) puis en divisant le montant obtenu par 21,7 (art. 40a OACI). Il convient encore de réduire ce montant au prorata du taux de placement global du recourant, à savoir 90% (50% dans l’activité de hockeyeur + 40% dans une nouvelle activité), ce qui donne une indemnité journalière de CHF 349,30 par jour (90% x [80% x CHF 10'527.-] / 21,7) pour un taux d’indemnisation de 80% (art. 22 al. 1 LACI), respectivement de CHF 305,60 par jour (90% x [70% x CHF 10'527.-]/21,7) pour un taux d’indemnisation de 70% (art. 22 al. 2 LACI).
Dès lors que le gain journalier brut du recourant dans son activité de hockeyeur (CHF 384.-) est supérieur à l’indemnité journalière qu’il percevrait en cas de chômage complet (CHF 349,30), l’activité encore exercée à temps partiel est réputée convenable eu égard au salaire perçu et il n’y a dès lors pas de place pour la prise en considération d’un gain intermédiaire, respectivement pour la compensation de sa perte de gain (art. 24 LACI).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 4A_32/2023 du 31 août 2023
Responsabilité aquilienne; procédure, fardeau de l’allégation du dommage, devoir de motiver l’appel et le recours au TF; art. 8 CC; 311 CPC
La recourante, entreprise fabriquant et vendant des boîtes de montres, a prétendu avoir subi un dommage de CHF 63'004.- lors d’une interruption de sa production due à une coupure de courant électrique. Selon elle, la responsabilité en incombait à l’entreprise de construction chargée de déplacer deux conduites électriques, qui ne les avait pas enfouies assez profondément ou protégées notamment par des plaques métalliques. En effet, le paysagiste occupé à des travaux de jardin avait endommagé l’une des conduites entraînant une coupure de courant de 35 minutes. Une expertise a confirmé que les conduites auraient dû être enfouies plus profondément ou protégées par la pose de plaques métalliques pour prévenir des dommages mécaniques.
Le juge de première instance a rejeté l’action en responsabilité de la demanderesse-recourante. Elle a exclu la responsabilité de l’entreprise de construction parce que cette dernière n’était que simple exécutante des travaux, sans pouvoir décisionnel. En effet, après avoir averti la société exploitante et propriétaire des conduites qu’il fallait enfouir les conduites plus profondément qu’elles ne l’étaient en l’état ou les protéger, l’entreprise de construction n’avait fait que s’en tenir aux instructions de la société en question qui avait refusé d’agir selon ses conseils. Il n’y avait donc pas de faute de la part de l’entreprise de construction. Le juge de première instance n’a pas examiné les autres conditions de la responsabilité dont celle de dommage, vu que la condition de la faute faisait défaut.
L’appel de la recourante a été rejeté, par substitution de motif : la cour cantonale a exclu que la défenderesse ait commis un acte illicite, pour les mêmes raisons que celles retenues par le juge de première instance. Examinant encore la condition du dommage, la cour cantonale a estimé que l’appel n’était pas suffisamment motivé sur ce point (art. 311 CPC) et le dommage insuffisamment allégué : même si le juge de première instance ne s’était pas prononcée sur la question du dommage, dans son appel, la demanderesse s’était contentée de renvoyer aux arguments présentés et aux pièces produites en première instance ou figurant au dossier, ne satisfaisant ni à son devoir de motivation de l’appel, ni à son devoir d’alléguer le dommage, alors que le dommage était contesté par la demanderesse.
Saisi d’un recours portant sur les deux conditions (acte illicite et dommage), le TF a déclaré le recours de la demanderesse irrecevable : par-devant le TF, la recourante n’avait pas démontré que la cour cantonale avait violé le droit en retenant une violation de l’art. 311 CPC et un défaut d’allégation s’agissant du dommage. Elle s’était limitée à affirmer que le dommage avait été exposé et explicité avec offre d’expertise rejetée et qu’on ne pouvait lui faire le reproche de ne pas avoir motivé son appel conformément à l’art. 311 CPC, vu que le juge de première instance n’avait pas tranché la question du dommage et rejeté son expertise tendant à prouver ledit dommage que contestait la défenderesse. Sur le fond, le TF a ajouté que bien que la cour cantonale ait mêlé exigence de motivation de l’appel découlant de l’art. 311 CPC et devoir d’alléguer le dommage découlant du droit matériel, il résultait de sa motivation qu’elle considérait que la demanderesse n’avait consacré à son dommage et à sa quotité que des allégués insuffisants. Or, pour faire partie du cadre du procès, cette condition du dommage devait avoir été alléguée, le demandeur supportant le fardeau de l’allégation objectif conformément à l’art. 8 CC et la charge de la motivation suffisante. Les allégués relatifs ne permettaient pas une administration des preuves, par expertise ou par témoignage, de sorte que c’est avec raison que la cour cantonale avait rejeté l’action de la demanderesse faute d’allégation suffisante. Un renvoi de la cause à la première instance était ainsi superflu.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 8C_662/2022 du 25 août 2023
Assurance-accidents; troubles psychiques, causalité adéquate, accident grave ou de gravité moyenne, circonstances particulièrement dramatiques; art. 4 LPGA; 6 LAA
Une agression violente subie en pleine nuit, à l’occasion de laquelle l’assurée et ses amies ont été frappées violemment par plusieurs hommes, l’une des femmes restant inconsciente au sol et devant par la suite être plongée dans le coma et subir différentes interventions, l’assurée elle-même présentant d’importantes blessures à la tête, est un accident de gravité moyenne ou grave. La délimitation n’est en l’espèce par nécessaire, car le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du critère particulièrement impressionnant de l’événement s’est ici manifesté avec une intensité particulière, de sorte qu’il suffit, à lui seul, à faire admettre la causalité adéquate entre l’agression et les troubles psychiques réactionnels dont souffre l’assurée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_646/2022 du 23 août 2023
Assurance-accidents; assurance facultative, accident survenu après l’âge ordinaire de la retraite, rente d’invalidité, interprétation du contrat, principe de la bonne foi; art. 4, 5 et 18 al. 1 LAA; 136 OLAA
Le litige porte sur l’interprétation d’un contrat d’assurance-accidents facultative alors que l’assureur-accidents avait transmis par erreur le renouvellement automatique d’une police fixant expressément le montant de la rente d’invalidité, alors même que l’assurée, née en 1946, avait déjà largement passé l’âge ordinaire de la retraite, ce qui excluait d’emblée tout droit à une rente d’invalidité en cas d’accident. La cour cantonale avait préalablement débouté l’assurée en vertu de l’art. 18 al. 1 LAA, applicable par analogie conformément à l’art. 5 al. 1 LAA, qui exclut cette prestation pour les accidents survenant après l’âge de la retraite.
Dans un premier temps, le TF se penche sur la question de savoir si une dérogation à l’art. 18 al. 1 LAA est possible dans le cadre d’un contrat d’assurance-accidents facultative (c. 4.6). Le TF retient que le droit à une rente d’invalidité pour les accidents survenant après l’âge ordinaire de la retraite a été supprimé – avec l’entrée en vigueur au 1er janvier 2017 – pour éviter toute surindemnisation (c. 4.6.2). En outre, le TF souligne qu’admettre un droit à une rente d’invalidité en faveur des personnes assurées facultativement en cas d’accident au-delà de l’âge ordinaire de la retraite – en dérogation de l’art. 18 al. 1 in fine LAA – reviendrait à procurer un avantage aux assurées soumis au régime facultatif (c. 4.6.3). Par conséquent, le TF retient que le contrat liant les parties doit être interprété conformément à cette disposition légale à laquelle il ne peut être dérogé (c. 4.7).
Dans un second temps, le TF se penche sur la question de savoir si l’octroi d’une rente d’invalidité est possible sur la base des principes relatifs à la protection de la bonne foi (c. 4.7). Le TF rappelle les conditions de l’art. 27 LPGA et le principe de la bonne foi découlant directement de l’art. 9 Cst., valant pour l’ensemble de l’activité étatique. Ce principe protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronée de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (2) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) que l’administré se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, (5) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée et (6) que l’intérêt à l’application du droit n’apparaisse pas prépondérant.
Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (3) devant toutefois être formulée de la façon suivante : que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (c. 5.1). En l’espèce, la recourante soutient que les juges cantonaux ont évalué le dommage de manière incorrecte en ne prenant en compte que les mesures « actives » qu’elle aurait pu prendre, mais elle aurait aussi adopté un comportement passif préjudiciable à ses intérêts en ne cherchant pas d’autres sources de revenus ou d’autres couvertures d’assurance (c. 5.3). Le TF estime que ce grief est mal fondé et explique que la recourante n’a pas prouvé avoir subi un préjudice spécifique en se basant sur les informations incorrectes, ce qui a été retenu à juste titre par les premiers juges. Le TF estime également qu’il est peu probable qu’elle aurait pu prendre des mesures significatives pour couvrir un éventuel préjudice (c. 5.4). Au vu des éléments qui précèdent et en raison de l’absence de preuves de préjudice, le TF rejette le recours de la recourante (c. 6).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 9C_511 et 516/2022 du 23 août 2023
Assurance-invalidité; infirmité congénitale, mesures médicales, soins de base; art. 13 ss aLAI
Une enfant atteinte d’infirmités congénitales séjourne une partie du temps dans une école spécialisée, non pas pour des raisons médicales, mais essentiellement afin de décharger sa famille. Elle y bénéficie de soins de base fournis par une OSAD, soins qui sont, le reste du temps, fournis par les parents. Le TF confirme qu’il ne s’agit pas d’une mesure médicale au sens de l’art. 14 aLAI.
Cette affaire n’avait pas pour objet les soins de base fournis par les parents eux-mêmes, notamment par la mère, infirmière diplômée. Dans un obiter dictum (c. 7.3), le TF rappelle que ces soins, respectivement la décharge des parents par une OSAD, peuvent, respectivement doivent, être compensés dans le cadre de l’allocation pour impotent et du supplément pour soins intenses, et ne sont pas des mesures médicales au sens de l’art. 14 aLAI.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 5A_86/2023 du 22 août 2023
Responsabilité du propriétaire foncier; rapports de voisinage, immissions (moustiques), devoir d’allégation, nécessité de l’expertise; art. 684 CC; 55 CPC
Des propriétaires d’étage disposent chacun d’une terrasse sur le toit. L’un d’eux a aménagé sur sa terrasse un bassin de plus de 4m2 qui, selon les propriétaires de la terrasse voisine, est à l’origine d’une présence accrue de moustiques. Ceux-ci demandent l’enlèvement du bassin, subsidiairement une indemnité correspondant à la diminution de la valeur vénale de leur bien, ainsi qu’une indemnisation pour la perte de la possibilité de jouir de leur terrasse. Déboutés en première et en seconde instances, ils saisissent le TF.
Après avoir rappelé la notion d’atteinte excessive au sens de l’art. 684 CC (c. 3.1), le TF confirme que la présence d’insectes peut constituer une telle atteinte (c. 3.2). Le débat porte en réalité sur le devoir d’allégation et de preuve des immissions, ainsi que sur la preuve du lien de causalité entre le bassin et la présence de moustiques. Sur la première question, l’instance précédente reprochait aux recourants de n’avoir pas allégué qu’ils auraient été attaqués ou piqués par les moustiques lorsqu’ils séjournaient sur leur propre terrasse ; ils n’auraient pas non plus étayé ce qu’ils entendaient par une « énorme nuée de moustiques », ni indiqué à quels moments et dans quelles périodes lesdits moustiques étaient apparus à chaque fois ainsi que la durée de la présence de ces insectes sur leur terrasse (c. 5.3.1). Le TF estime que les exigences posées par la cour cantonale sont excessives. On ne voit pas pourquoi ils auraient dû prétendre avoir été piqués : cette question peut être prise en compte dans la pesée des intérêts nécessaire lors de l’examen de l’art. 684 CC ; elle ne peut en revanche pas conduire à ce qu’aucun examen matériel des nuisances alléguées n’ait lieu. A cet égard, les recourants avaient allégué la présence de nuées de moustiques en précisant la température et les heures auxquelles ceux-ci apparaissaient. Dans un mouvement d’humeur (et d’humour), le TF relève que « wenn die Vorinstanz darauf hinaus will, die Beschwerdeführer hätten die einzelnen Mücken zählen müssen, kann dem jedenfalls nicht gefolgt werden » (c. 5.3.2). S’agissant de la preuve du lien de causalité, l’instance cantonale avait écarté la demande d’expertise des recourants, au motif que ceux-ci n’avaient pas apporté la démonstration que l’avis d’un spécialiste pourrait démontrer que les insectes issus de larves se trouvant dans le bassin seraient exclusivement ou principalement responsables de la prolifération des moustiques sur leur propre terrasse (c. 6.2.1). Le TF rejette cet argument, au motif que cette question relève précisément de la compétence de l’expert et non de celle des parties. C’est donc à tort que la cour cantonale avait rejeté la requête d’expertise dans le cadre de l’appréciation anticipée des preuves (c. 6.2.2 à 6.2.8). La cause est donc renvoyée au tribunal cantonal pour nouvelle décision.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 4A_206/2023 du 17 août 2023
Assurances privées; exclusion de couverture, interprétation de la clause de sanction, principe de la confiance; art. 18 CO
Une société cotée en bourse a été victime d’une cyberattaque bien connue qui consiste à crypter les fichiers, notamment les données clients, de sorte que ces fichiers ne peuvent plus être lus. Seul le code de décryptage, connu des cyberattaquants, permet de décrypter les données. En l’espèce, une rançon de 1'500 bitcoins était demandée pour la remise du code de décryptage. Cette rançon a été payée par la société victime de cette attaque (c. A).
La société demande ensuite la couverture de son dommage à son assureur, qui refuse de le couvrir en invoquant une exclusion de couverture. Selon la clause invoquée, l'assurance serait libérée de son obligation de paiement si le paiement de la somme assurée contrevient notamment au droit américain des sanctions. Le paiement de la somme demandée contreviendrait, selon l’assurance, au droit américain des sanctions car l’attaque aurait été proférée par des cyberattaquants russes inscrits sur la « Specially Designated Nationals and Blocked Persons-List » (liste SDN) du « U.S. Treasury Department’s Office of Foreign Assets Controls » (OFAC) (c A). La liste SDN contient des entreprises, des organisations et des individus qui ont été identifiés comme constituant une menace pour la sécurité nationale et la politique étrangère et économique des États-Unis. Leurs avoirs sont bloqués et il est généralement interdit aux ressortissants américains de traiter avec eux (https://ofac.treasury.gov/specially-designated-nationals-list-data-formats-data-schemas).
Le Handelsgericht de Zurich admet la demande en paiement déposée par la société en raison du fait qu’il serait hautement improbable que l’assureur soit sanctionné par l’OFAC en cas de paiement de la somme assurée. Cela rendrait la clause de sanction inapplicable. En effet, l’assureur n’est pas parvenu à prouver que l’attaque était le fait des cyberattaquants russes inscrits sur la liste américaine précitée et que cette société aurait profité financièrement de l’attaque (c. B). L’assureur dépose un recours en matière civile au TF à l’encontre du jugement du « Handelsgericht » de Zurich (c. C).
Le recours est rejeté par le TF qui confirme l’appréciation du tribunal zurichois. En effet, l’assurance n’a pas été en mesure de prouver que les cyberattaquants russes, sanctionnés par le gouvernement américain étaient les auteurs de la cyberattaque contre la société ou qu’ils en ont profité. Il manque donc un point de rattachement au droit américain des sanctions. Une sanction de l’assurance en cas de versement de la somme assurée à la société pour violation du droit américain des sanctions est hautement improbable. Le TF confirme ainsi que la clause de sanction invoquée par l’assurance ne s’applique pas (c. 5). De plus, il interprète la clause de sanction et considère qu’il faut un risque de sanction pour violation du droit américain des sanctions, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (c. 6). A cela s’ajoute que le simple fait que le logiciel utilisé proviendrait des cyberattaquants russes inscrits sur la liste SDN ne suffit pas à prouver l’existence d’un lien entre les cyberattaquants russes et la cyberattaque contre la société, ce qui serait insuffisant pour appliquer la clause de sanction (c. 7.1.1. et 7.1.4.). Pour finir, le TF relève que l’assurance ne peut pas se plaindre du fait qu’un droit étranger, soit le droit américain en l’espèce, n’a pas été correctement appliqué (art. 96 let. b LTF). Seul l’arbitraire et la violation de l’art. 9 Cst. dans son application peuvent être invoqués (c. 7.2.1.).
Note : Il s’agit, à notre connaissance, du premier arrêt du TF relatif au paiement d’une rançon suite à une cyberattaque dans le domaine du droit des assurances privées.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 8C_113/2023 du 12 août 2023
Moyens auxiliaires, monte-escaliers; art. 8 et 14 CEDH; 8 al. 3 let. d et 21 al. 1 et 2 LAI; 14 RAI; ch. 14.05 OMAI
L’assuré, né en 1989, souffre d’un trouble moteur spastique. Sa demande porte sur la modernisation du lift d’escalier situé dans la maison familiale, étant relevé que depuis quelques années il vit dans un home, mais visite parfois ses parents. L’assuré argue qui lui est désormais impossible de séjourner dans la maison de ses parents, sans adaptation de ce lift pour l’escalier.
Le présent litige porte ainsi sur le droit de l’assuré à des moyens auxiliaires en général (art. 8 al. 3 let. d, art. 21 al. 1 et 2 LAI ; art. 14 RAI). Le 1er juillet 2020 est entrée en vigueur la nouvelle mouture de l’ordonnance du DFI sur les moyens auxiliaires de l’AI (OMAI ; RS 831.232.51). Plus particulièrement, les mesures et moyens visés dans le cas présent cas tombent sous le chiffre 14.05 de l’annexe à l’OMAI, étant cependant relevé que la prise en charge de cette mesure ou de ce moyen (concernant les lifts ou monte-rampes d’escalier) est en principe exclue pour les personnes vivant dans un home. De l’avis de l’OFAS, il s’agit cependant d’un cas limite, car il ne porte pas sur l’octroi d’un nouveau moyen auxiliaire, mais uniquement sur la modernisation d’un tel moyen octroyé il y a plus de 25 ans. Le recourant a par ailleurs rendu vraisemblable qu’il ne pouvait pas, sans cette adaptation du lift, visiter ses parents, respectivement y passer la nuit dans leur demeure ou se rendre aux toilettes. Le lien avec ses parents est par ailleurs un contact essentiel pour l’assuré.
Le TF considère quant à lui que dans une telle situation, il n’est pas impossible que le recourant puisse invoquer une violation de son droit à la vie de famille (art. 8 CEDH) et, éventuellement, faire valoir une discrimination (art. 14 CEDH) dans ce contexte. Cette question peut cependant rester ouverte en l’état, car le dossier pèche par un manque d’instruction et de détails fournis sur la vie familiale, en particulier concernant le mode de vie de l’assuré avec ses parents et sur la fréquence et la durée de ses visites. De plus, le moyen auxiliaire litigieux devant être adapté dans le cas d’espèce par la voie de la révision, il conviendra d’examiner la nécessité de l’adaptation sous l’angle de l’autonomie de la personne assurée, de la proportionnalité (« Verhältnismässigkeit ») et de l’obligation de diminuer le dommage, d’autant, qu’il n’y a en l’espèce pas de possibilité de reclassement professionnel (c. 3.3).
En raison de ces lacunes dans le dossier, l’affaire, comme le concède d’ailleurs l’OFAS, doit être renvoyée à l’administration pour complément d’instruction.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion

TF 8C_125/2023 du 8 août 2023
Assurance-accidents; notion d’accident, causalité naturelle, état préexistant; art. 4 LPGA; 6 al. 1 LAA
L’assurée, âgée de 58 ans, a mordu dans un caillou alors qu’elle mangeait une salade emballée achetée en supermarché. Une semaine après, son dentiste a tenté de traiter sa dent. Un mois plus tard, il a dû se résoudre à extraire la dent. Le cas a été annoncé à Helsana, assureur LAA. Helsana a toutefois refusé de prendre le cas en charge à défaut de lien de causalité naturelle.
Le TF confirme tout d’abord que le cas doit être qualifié d’accident au sens de la LAA (c. 4). Au niveau de la causalité naturelle, il rappelle qu’une causalité partielle suffit. Encore faut-il que l’élément déclenchant paraisse avoir joué un rôle dans la survenance du sinistre, et non pas être seulement un élément fortuit (c. 5.1). L’analyse de la causalité adéquate se recoupe avec celle de la causalité naturelle. Celle-ci ne devrait être niée que lorsqu’il s’avère que la dent préalablement affaiblie aurait succombé à un acte ordinaire de la vie au même moment si l’accident n’était pas survenu (c. 5.2).
En matière dentaire, il ne suffit pas de dire, pour pouvoir exclure la causalité naturelle, qu’une dent entièrement saine aurait résisté au choc contrairement à une dent préalablement traitée (c. 5.3). En l’occurrence, selon le TF, l’avis du médecin conseil d’Helsana, qui excluait tout lien de causalité compte tenu de l’état antérieur de la dent, ne déployait pas de valeur probante. En effet, même si la dent était abîmée, rien ne laissait supposer qu’elle ne permettait plus de remplir sa fonction ordinaire de mastication. Les spécificités de l’accident n’avaient pas non plus été suffisamment analysées (c. 5.5).
La cause a été renvoyée à Helsana pour mise en place d’une expertise (c. 6).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

TF 4A_82/2023 du 8 août 2023
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; causalité naturelle, preuve du dommage, expertises judiciaire et privée, valeur probante, appréciation arbitraire des preuves; art.168 CPC; 95, 97 et 105 LTF
Une infirmière en formation subit un accident de la route et se plaint ensuite de douleurs cervicales qui la conduisent à interrompre sa formation d’infirmière, incompatible avec les douleurs. Elle obtient ensuite un diplôme en travail social avec orientation en éducation sociale, avec une activité réduite à 70 % auprès d’une prison vaudoise. Plusieurs rapports et expertises médicales privées et judiciaires, dans le cadre de procédures avec les assureurs sociaux, sont effectués, aboutissant à des conclusions contradictoires sur le lien de causalité naturelle entre les plaintes de la lésée et l’accident. La lésée obtient très partiellement gain de cause en première instance. Elle est intégralement déboutée en appel, les juges considérant qu’elle n’a pas apporté la preuve du lien de causalité entre l’accident et les cervico-scapulalgies chroniques, ni du lien causal entre l’accident et la fin de sa formation en soins infirmiers. Le TF admet un premier recours de la lésée et renvoie la cause à la cour cantonale afin qu’elle rende une nouvelle décision. Il a considéré que les rapports d’expertise mis en œuvre par l’assureur-accidents de la lésée, ne devaient pas être considérés comme des expertises privées mais comme de simples allégations d’une partie. La cour d’appel rend un nouveau jugement admettant largement les prétentions de la lésée. L’assureur RC recourt au TF
Le TF statue sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l’autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d’une violation du droit au sens de l’art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). « Manifestement inexactes » signifie ici « arbitraires ». Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d’influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). En matière d’appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables.
Le juge civil peut utiliser, à titre de preuve, une expertise mise en œuvre par une autre autorité dans une autre procédure (par exemple, une expertise médicale ordonnée par un assureur social). Une telle expertise « extérieure » a valeur probante dans la mesure où le juge civil respecte le droit d’être entendu des parties. L’expertise extérieure est alors dotée de la même valeur probante qu’une expertise ordonnée par le juge civil lui-même. Si l’expertise n’a pas été requise par une autre autorité dans une autre procédure, il s’agit d’une expertise privée. Celle-ci n’est pas un moyen de preuve au sens de l’art. 168 al. 1 CPC, mais doit être assimilée aux allégués de la partie qui la produit.
Lorsque la juridiction cantonale se rallie au résultat d’une expertise, le TF n’admet le grief d’appréciation arbitraire des preuves que si l’expert n’a pas répondu aux questions, si ses conclusions sont contradictoires ou si, de quelque autre manière, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même en l’absence de connaissances ad hoc, qu’il n’était tout simplement pas possible de les ignorer.
L’existence d’un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante. L’allègement se justifie car, en la matière, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de celui qui en supporte le fardeau. La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération.
Le TF a retenu que le raisonnement tenu par les juges cantonaux, reposant sur une série de constatations non étayées par des moyens de preuve et des appréciations manifestement inexactes, a abouti à la conclusion arbitraire selon laquelle il existait un lien de causalité entre l’accident et l’interruption des études d’infirmière par l’intimée. Ainsi, le degré de preuve requis pour retenir l’existence d’un tel lien de causalité – dont l’autorité avait pourtant une juste conception – n’était manifestement pas atteint en l’espèce.
De même il a retenu que la cour cantonale a versé dans l’arbitraire en retenant comme établies une incapacité de travail alléguée de 30 % et une incapacité ménagère de 20 %, dès lors que ces éléments, ressortant exclusivement d’expertises privées, avaient été soigneusement contestés par la recourante et n’étaient étayés par aucune preuve.
Enfin, la cour cantonale a fondé arbitrairement son raisonnement sur des faits non établis, en retenant que l’intéressée présentait une incapacité de gain partielle. La lésée n’a pas offert le moindre moyen de preuve visant à établir une prétendue atteinte à son avenir économique. Elle n’a jamais allégué, ni a fortiori démontré qu’elle serait désavantagée sur le marché du travail car il lui serait plus difficile de trouver et de conserver un emploi avec une rémunération identique, ou que ses douleurs pourraient entraver un changement de profession ou réduire ses chances de promotion. Elle n’a surtout jamais prouvé que son taux d’invalidité médico-théorique était encore supérieur à 10 %, ce qui, selon la jurisprudence, exclut toute atteinte à l’avenir économique.
Le TF a admis dans une large mesure le recours de l’assureur responsabilité civile, le condamnant à payer à l’intimée la somme de CHF 6’799,80.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève



TF 9C_381/2022 du 19 juillet 2023
Prévoyance professionnelle; rente d’invalide LPP, survenance de l’incapacité de travail, lien de connexité temporelle et matérielle; art. 23 et 26a LPP
A. a travaillé jusqu’au 30 septembre 2016 pour la banque E. et a été assurée en conséquence pour la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de pension des Grisons. Depuis le 15 octobre 2018, elle travaillait pour l’administration F. et était, de ce fait, assurée auprès de la caisse de pension glaronnaise. En décembre 2016, une tumeur cérébrale bénigne a été découverte chez A. Celle-ci a été enlevée chirurgicalement le 20 janvier 2017. L’assurance-invalidité a prononcé différentes mesures d’intervention précoce et d’insertion professionnelle, qui se sont déroulées pour l’essentiel entre l’été 2017 et la mi-2018. A partir de juillet 2018, A. était entièrement apte au travail et, depuis le 15 octobre 2018, elle était employée par l’administration F. pour une durée indéterminée. A l’automne 2018, une récidive du méningiome est survenue. Lors de son ablation chirurgicale le 10 décembre 2018, une artère cérébrale a été lésée, entraînant une invalidité et une impotence. Sur recours, le tribunal des assurances du canton de Saint-Gall a alloué à A. une rente entière de l’assurance-invalidité avec effet de juillet 2017 à septembre 2018 ainsi qu’à partir de décembre 2018. La Caisse de pension glaronnaise (ci-après : la recourante) a exclu A. de l’assurance étant donné le maintien provisoire de l’assurance auprès de la caisse de pension des Grisons (art. 26a LPP), avec effet rétroactif au 1er octobre 2018. Le TF a toutefois confirmé qu’il incombait bien à la recourante, et non à la caisse de pension des Grisons, caisse antérieure où était assurée A., de verser des prestations de prévoyance professionnelle, à compter du 10 décembre 2018.
La recourante a tout d’abord fait valoir que la question litigeuse du lien temporel et matériel doit être tranchée sur la base des constatations contraignantes effectuées dans le cadre de la procédure AI. Dans cette procédure, et dans le cadre de l’application de l’art. 29bis RAI, le Tribunal des assurances du canton de Saint-Gall a retenu que l’incapacité de travail survenue le 10 décembre 2018, à la suite de l’ablation chirurgicale, était « suffisamment imputable à la même affection », soit à la tumeur cérébrale découverte en décembre 2016 (c. 2.2.2). Le TF a toutefois indiqué qu’en raison des différentes règles édictées par les art 29bis RAI et 23 LPP, la recourante n’était pas liée par les constatations spécifiques à l’AI qui retenait que l’incapacité de travail jusqu’en juin 2018 et celle développée à partir du 10 décembre 2018 étaient imputables à la même affection (c. 2.2.5).
S’agissant du lien de connexité étroit au sens de l’art. 23 let. a LPP, la question à examiner était celle de savoir si les états de santé à comparer (incapacité existante depuis 2016 et atteinte invalidante survenue à la suite de l’opération du 10 décembre 2018) avaient un lien matériel étroit entre elles. Le TF a considéré, contrairement à ce que soutenait la recourante, que les conséquences de l’opération n’étaient pas liées à l’ancienne affection et que l’incapacité de travail survenue après le 10 décembre 2018 constituait le point de départ de l’incapacité de travail au sens de l’art. 23 let. a LPP, de sorte que l’institution de prévoyance à qui incombait l’obligation de verser des prestations était celle auprès de qui A. était assurée au moment de l’opération, soit la recourante (c. 2.3.4 et 3).
S’agissant de l’application de l’art. 26a LPP, le TF a exposé que cette disposition s’appliquait notamment lorsque la diminution du degré d’invalidité entrainant la réduction ou la surpression de la rente était l’effet d’une mesure de réadaptation au sens de l’art. 8a LAI (c. 3.3). Dans le cas d’espèce, le TF a retenu que les mesures mises en place en faveur de A. l’avaient été pour adapter son emploi à son état de santé postopératoire, de sorte que, selon le TF, les conditions de l’art. 26a LPP n’étaient pas remplies. Partant, le TF a considéré que la recourante n’était pas en mesure de résilier rétroactivement son rapport de prévoyance d’avec A. en se référant au l’art. 26a LPP, confirmant que la recourante était tenue d’allouer les prestations de prévoyance dès l’engagement de A. auprès de l’administration F. en octobre 2018 (c. 3.4 et 3.5).
Finalement, la recourante contestait devoir des intérêts moratoires dès lors qu’elle estimait être en demeure du paiement des rentes de prévoyance professionnelle uniquement lorsque A. lui aurait transmis une déclaration de céder ses créances contre des tiers responsables (c. 5.1). Le TF a toutefois relevé qu’il n’existait « absolument aucune raison » de faire dépendre l’échéance de prestations de prévoyance à la cession ou déclaration de cession des droits d’un assuré, précisant que les prestations légalement dues par les assurances de prévoyances professionnelles étaient exigibles sans aucune réserve et que le cours des intérêts était déclenché en conséquence (c. 5.2 et 5.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 6B_64/2023 du 14 juillet 2023
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, faute, prescription, dies a quo; art.97, 98 et 117 CP
Le début de la prescription coïncide, en matière d’infractions contre la vie ou l’intégrité corporelle par négligence, avec le moment où l’auteur a agi contrairement à ses devoirs de prudence ou, en cas de délit d’omission improprement dit, à partir du moment où le garant aurait dû agir ; si ce devoir est durable, à partir du moment où les obligations du garant prennent fin. La distinction entre une infraction de commission et une infraction d’omission improprement dite n’est pas toujours aisée : faut-il reprocher à l’auteur d’avoir agi comme il ne devait pas le faire ou d’avoir omis d’agir comme il le devait ? Dans les cas limites, il faut s’inspirer du principe de la subsidiarité et retenir un délit de commission dès que l’on peut imputer à l’auteur un comportement actif. Si une activité dangereuse est entreprise sans prendre les mesures de sécurité suffisantes, il y a lieu, en principe, de considérer un comportement actif. L’élément déterminant réside ainsi dans le fait d’accomplir l’activité sans observer les mesures de sécurité.
Dans le cas d’espèce, il a été reproché au prévenu de s’être contenté de la mise en place de barrières de type « Vauban » au travers de la route, en n’ayant prévu aucune signalisation qui indiquait la présence du chantier et la fermeture du chemin. La violation du devoir de diligence est intervenue le jour de l’installation de la barrière « Vauban » et non le jour où il a été décidé que la mise en place d’une barrière non signalée de type « Vauban » en travers de la chaussée constituerait une installation adéquate.
La négligence suppose la violation fautive d’un devoir de prudence, c’est-à-dire qu’il faut reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. Le TF a confirmé le caractère fautif de la violation dans le cas d’espèce, après avoir rappelé que le recourant avait violé son devoir de prudence en ne respectant pas les normes de sécurité prescrites pour la signalisation des chantiers. Non seulement le recourant n’a pas obtenu la confirmation expresse par les employés communaux présents que les barrières « Vauban » constituaient le moyen approprié pour procéder, en toute sécurité, à la fermeture des routes en vue de l’exécution des travaux mais encore le TF a souligné qu’il n’était nul besoin de connaissances spécifiques pour se rendre compte que l’installation d’une barrière métallique de couleur grise en travers de la chaussée, dépourvue de toute mesure permettant d’en signaler préalablement la présence, créait une situation hautement dangereuse pour les usagers de la route.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 4A_37/2023 du 10 juillet 2023
Assurances privées; contrat d’assurance, interprétation des CGA, clause d’exclusion; art. 33 LCA
Les clauses ambiguës des conditions générales doivent être interprétées, dans le doute, au détriment de la partie qui les a rédigées.
Dans le domaine particulier du contrat d’assurance, l’art. 33 LCA précise d’ailleurs que l’assureur répond de tous les événements qui présentent le caractère du risque contre les conséquences duquel l’assurance a été conclue, à moins que le contrat n’exclue certains événements d’une manière précise, non équivoque. Il en résulte que le preneur d’assurance est couvert contre le risque tel qu’il pouvait le comprendre de bonne foi à la lecture des conditions générales ; si l’assureur entendait apporter des restrictions ou des exceptions, il lui incombait de le dire clairement.
Conformément au principe de la confiance, c’est à l’assureur qu’il incombe de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées. Il ne suffit donc pas que les parties discutent de la signification d’une déclaration ; il faut au contraire que la déclaration puisse être comprise de bonne foi de différentes manières et qu’il ne soit pas possible d’éliminer le doute par d’autres moyens d’interprétation.
Dans le cas d’espèce, les conditions générales d’assurance excluaient de la couverture d’assurance les parcours dans les circuits de courses. Quand bien même le recourant participait à un « trackday » réservé à une circulation touristique dans le circuit national de Monza, il n’a pas démontré à satisfaction de droit que la clause d’exclusion des CGA était ambiguë ou que son interprétation laissait apparaître le moindre doute sur le fait que l’assureur n’entendait clairement exclure de la couverture casco, les accidents même en cas de conduite dans les circuits lors d’événements touristiques.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême

TF 4A_323/2021 du 5 juillet 2023
Responsabilité aquilienne; prescription, délai plus long de l’action pénale, classement, monnaie de l’obligation; art. 60 al. 2 CO
Pour le TF, lorsque le délai de prescription décennal absolu de l’art. 60 al. 2 CO s’est écoulé sans avoir été interrompu, les demandeurs ne peuvent se prévaloir de la prescription plus longue de l’action pénale selon l’art. 60 al. 2 CO si des décisions de classement ont déjà été rendues par des autorités pénales et que les faits à la base des deux procédures sont les mêmes.
Si la prétention est réclamée dans la mauvaise monnaie, soit en francs suisses plutôt qu’en dollars, la demande doit être déclarée irrecevable. Au surplus, pour le TF, un changement de monnaie dans le libellé des conclusions est une modification de l’objet de l’action. Ainsi, si les conclusions des demandeurs ont été faussement formulées en francs suisses, elles lient le juge et ne peuvent être modifiées par les demandeurs. Le juge ne peut ainsi que rejeter ce poste de la demande.
Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont


TF 4A_293/2023 du 27 juin 2023
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, preuve à futur; art. 158 CPC
La recourante est assurée pour la perte de gain en cas d’incapacité de travail par le contrat d’assurance de son employeur. Elle ne répond pas à la convocation du médecin spécialisé désigné par l’assureur qui lui annonce suspendre le paiement des indemnités journalières pour ce motif. L’assurée engage une procédure de mesures provisionnelles et requiert la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire pour établir son incapacité de travail. La cour des assurances sociales du tribunal cantonal la déboute de sa demande, estimant qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable son droit aux prestations. Par son refus de collaborer, en ne se rendant pas à l’examen médical demandé par l’assureur, sa demande de preuve à futur contrevenait au principe de la bonne foi.
Un recours peut être formé contre le rejet d’une requête de preuves à futur visée par l’art. 158 CPC, qualifiée de mesure provisionnelle par la LTF, pour la seule violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF).
L’art. 158 al. 1 let. b CPC permet au tribunal d’administrer les preuves en tout temps lorsque la mise en danger des preuves ou un intérêt digne de protection est rendu vraisemblable par le requérant. L’administration des preuves à futur est reconnue lorsqu’elle a pour but d’assurer la conservation de la preuve, lorsque le moyen de preuve risque de disparaître ou que son administration ultérieure se heurterait à de grandes difficultés. Elle peut aussi servir à clarifier les chances de succès d’un procès ou d’apporter une preuve. La locution « intérêt digne de protection » se réfère à cette possibilité qui permet d’éviter des procès dénués de chance de succès. Le TF rappelle que le requérant doit rendre vraisemblable qu’il a une prétention matérielle contre le défendeur et – cumulativement – que l’administration de la preuve tend à établir l’état de fait dont il tire son droit.
Dans le cas d’espèce, l’instance cantonale a rejeté la requête de preuve à futur en s’appuyant sur les conditions générales d’assurance de l’intimée, selon lesquelles l’assuré ne peut pas faire valoir un droit à des prestations tant qu’il s’oppose à un examen médical spécialisé (c. 4.2.2). La recourante n’a donc pas rendu vraisemblable l’existence de sa prétention matérielle, plus précisément l’état de fait dont elle tire son droit. Selon le TF, la recourante ne démontre pas que l’instance précédente serait tombée dans l’arbitraire en considérant que la prétention au fond n’avait pas été rendue vraisemblable pour défaut de collaboration de l’assurée.
L’art. 24.1 des CGA de l’intimée stipule explicitement que les prestations d’assurance sont réduites ou refusées, temporairement ou durablement, si la personne assurée ne remplit pas les obligations fixées par la loi ou le contrat. La recourante n’a ainsi pas le droit d’opter pour l’expertise judiciaire dans le cadre de l’administration d’une preuve à futur selon l’art. 158 CPC à la place (ou avant) l’examen médical spécialisé par le médecin-conseil de l’intimée (c. 5).
Le risque lié à la disparition de la preuve n’a pas été reconnu par l’autorité cantonale. La recourante, qui se prévaut d’un défaut de motivation, n’a pas, selon le TF, démontré la violation de ce droit constitutionnel (art. 29 al. 2 Cst. et art. 6 ch. 1 CEDH), ni le caractère arbitraire de la décision (c. 4.3). L’autorité cantonale a motivé son refus d’administrer la preuve à futur, estimant que les médecins établissaient régulièrement des expertises rétrospectives sur l’état de santé et la capacité de travail. La recourante ne peut pas non plus s’appuyer sur la jurisprudence du TF pour se voir reconnaître la mise en œuvre d’une expertise en temps réel.
L’arrêt 4A_247/2020 du 7 décembre 2020 (c. 5.2), en particulier, ne lui est d’aucune utilité (c. 4.3.1). Dans cet arrêt, le TF avait reconnu que l’assuré avait diligemment déposé une requête de preuve à futur. La demande de l’assuré avait été écartée au motif que l’expertise médicale pouvait être réalisée dans la procédure au fond. Par la suite, la cour cantonale avait refusé de mettre en œuvre l’expertise médicale demandée par l’assureur. Le TF avait admis le recours de ce dernier considérant que les certificats médicaux et les expertises des assureurs sont des allégations de partie au sens du CPC. Le TF retient donc que le contexte décrit par cet arrêt était différent et ne portait pas en particulier sur le devoir de collaboration de l’assuré. Il n’y a donc aucune violation des droits constitutionnels à refuser d’administrer la preuve à futur, dans le cas d’espèce, en raison du comportement contradictoire et contraire à la bonne foi de la recourante.
Le TF ajoute que celle-ci avait demandé à être évaluée par une femme médecin, ne s’est pas présentée au rendez-vous fixé et a déposé enfin une expertise preuves à futur demandant à être expertisée par un médecin (et plus une femme médecin) (c. 4.6).
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 8C_661/2022 du 26 juin 2023
Assurance-invalidité; procédure, décision incidente, recevabilité du recours au TF, pratique cantonale contraire à la jurisprudence fédérale, nouvelle demande, mesures de réadaptation; art. 93 LTF; 29 LPGA; 87 RAI
Par décision du 10 septembre 2020, un Office AI avait refusé toute prestation à une assurée. Cette décision était entrée en force. Une année après, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations, visant l’octroi de mesures d’ordre professionnel. L’office AI a refusé d’entrer en matière, au motif qu’elle n’avait pas rendu vraisemblable que sa situation s’était modifiée de manière à influencer ses droits. Le tribunal cantonal a admis partiellement le recours de l’assurée et renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il entre en matière et instruise la demande de prestations concernant les mesures d’ordre professionnel. L’office AI recourt au TF.
Lorsque le tribunal cantonal renvoie la cause à l’assureur social pour compléter l’instruction sans donner de directives matérielles concrètes, on se trouve en présence d’une décision incidente qui ne cause aucun préjudice irréparable aux parties au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF. Une exception à cette disposition est néanmoins possible lorsqu’il apparaît qu’un tribunal adopte une pratique régulière contraire à la jurisprudence fédérale. En l’espèce, le TF arrive à la conclusion que le Tribunal cantonal saint-gallois a déjà, à de nombreuses reprises, considéré que les nouvelles demandes de prestations concernant les mesures d’ordre professionnel n’étaient pas soumises à la condition de l’art. 87 al. 3 RAI et que l’Office AI devait ainsi entrer en matière sur une demande de mesures d’ordre professionnel même si la personne assurée n’avait rendu vraisemblable aucune modification de sa situation depuis le dernier refus de prestations. Cette pratique étant contraire à la jurisprudence fédérale, le TF considère donc qu’il y a ici matière à faire une exception à la règle de l’art. 93 al. 1 LTF et entre en matière sur le recours (c. 3.6.4).
Sur le fond, le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle l’art. 87 al. 2 et 3 RAI s’applique également à une nouvelle demande d’octroi de mesures d’ordre professionnel lorsque de telles mesures ont été préalablement refusées par une décision entrée en force. Cette disposition réglementaire ne s’applique dès lors pas uniquement lorsque la nouvelle demande porte sur le versement d’une rente, d’une allocation pour impotent ou une contribution d’assistance. A cet égard, le TF considère que l’art. 29 al. 1 LPGA pose simplement le principe de la demande, soit une règle générale du droit des assurances sociales selon laquelle le droit aux prestations présuppose qu’une demande ait été déposée, les prestations n’étant pas versées d’office. On ne peut donc pas déduire de cette disposition un principe général selon lequel l’assureur social devrait systématiquement entrer en matière sur toute demande qui lui est adressée (c. 4). Le recours de l’office AI est donc admis.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_62/2023 du 16 juin 2023
Responsabilité aquilienne; enrichissement illégitime, protection des données, données non commandées, substantification du dommage; art. 41, 42, 43, 62 et 924 ss CO; 5 let. c, 6 et 9 al. 3 LCD
La société A. qui a pour objet, notamment la collecte d’informations économiques, la distribution de renseignements sur le crédit ainsi que l’édition et l’entretien d’une banque de données a conclu un contrat avec la société B. qui a notamment pour but la gestion et l’administration de sociétés. Le 25 juin 2018, ces deux sociétés ont passé un contrat visant à éditer et à enrichir le fichier des créanciers de la société B. de même qu’à utiliser le service Online de la société A. afin de rechercher les sociétés par leur numéro d’identification. Les 15 et 16 avril 2020, la société B. a consulté, via l’outil en ligne de la société A., des données de base (Stamm-) et de solvabilité (Bonitätsdaten) concernant 32'051 entreprises. La société A. était d’avis que la société B. avait obtenu ces données, grâce à son outil en ligne, données qui devaient être indemnisées. Cette facture n’a pas été honorée. La société B. estimait, de son côté, que les données de solvabilité lui étaient parvenues sans qu’elle ne l’ait souhaité. Ces données représentaient un résultat non commandé. Une comparaison globale de ces données (Gestamtdatenabgleich) n’avait pas eu lieu de sorte que la société A. n’avait pas droit à une indemnisation.
Le tribunal de commerce saisi a confirmé que la société A. n’avait aucune prétention à faire valoir. Il a estimé, dans un premier temps, que l’on devait faire une distinction entre les données de base et les données de solvabilité. Il a estimé ensuite que le contrat passé ne contenait aucune indication selon laquelle des données de solvabilité pouvaient être obtenues via l’outil en ligne. Une telle offre avait même été refusée par la société B. lors des négociations. Dans ces conditions, cette société ne pouvait pas partir du principe que l’outil en ligne lui permettrait d’obtenir de telles données. Le Tribunal a rappelé que les deux sociétés s’accordaient sur le fait que le contrat passé ne portait pas sur ces données. Comme la preuve d’un contrat ultérieur qui aurait été conclu en 2019 n’avait pas été apportée à satisfaction de droit par la société A., elle ne pouvait élever de prétention en dommages-intérêts, fondé sur une violation contractuelle comprise comme la violation des devoirs accessoires visant à préserver la sphère juridique et patrimoniale de la recourante (c. 4.1). L’autorité inférieure a ensuite rejeté l’existence d’une prétention fondée sur l’art. 41 CO. Elle a constaté que la société A. n’avait pas démontré son dommage, soit l’existence de coûts externes assumés en relation avec la consultation de ces données ou encore un manque à gagner. Elle a également rappelé que l’obtention de ces données par un autre moyen que l’outil en ligne était douteuse, puisque la société B. ne disposait pas de moyens technologiques pour ce faire, qu’elle n’obtenait ce type de données que de manière isolée en amont de transactions stratégiques et qu’elle recourait justement à un prestataire tiers pour ce faire (c. 4.1). La Cour cantonale a enfin rejeté une éventuelle prétention en enrichissement illégitime selon l’art. 62 CO. Elle a estimé que le rétablissement de l’état initial devait se faire, en premier lieu, en nature, ce qui faute de système de stockage suffisant de la société B. pouvait simplement se faire par la suppression des données. Or, la société A. ne l’avait pas requis, de sorte que la société B. ne pouvait y être astreinte. La société B. n’avait pas prétendu réaliser un bénéfice à l’aide de ces données, de sorte que l’examen d’une restitution du bénéfice était superflu (c. 4.1 et 4.2). Dans un second temps, l’instance inférieure a examiné la situation des données de base. Elle a considéré que la société A. n’avait pas établi le montant dû uniquement pour l’obtention de ces données. Elle a rappelé que l’art. 43 al. 1 en relation avec l’art. 99 al. 3 CO ne dispensait pas la recourante de chiffrer son dommage. Le manque à gagner aurait pu être déterminé à l’aide du prix de la comparaison globale des données, de sorte que l’art. 42 al. 2 CO ne trouvait pas non plus son application. Faute de prétentions chiffrées, la société A. échouait à démontrer l’existence d’un dommage indemnisable. Enfin, pour les mêmes raisons qu’en ce qui concernait les données de solvabilité, aucune prétention en enrichissement illégitime ne pouvait être élevée (c. 4.2).
En réponse aux griefs de la société A. (c. 5), le TF a répondu en 3 temps (c. 6, c. 7 et c. 8).
Tout d’abord, en ce qui concerne les données de solvabilité, il a rejeté les critiques concernant l’appréciation de la Cour cantonale quant au contenu des relations contractuelles entre les parties (c. 6.1). Il a confirmé que les allégations relatives aux « instructions données par la société A. concernant les possibilités d’obtenir des données de solvabilité au moyen de l’outil en ligne » représentaient un fait précis qui aurait pu et dû être introduit en temps utile dans la procédure cantonale. A défaut, il n’y avait pas à en tenir compte (c. 6.2). Il a soutenu également l’appréciation de l’instance inférieure lorsqu’elle retenait qu’il n’y avait pas eu d’utilisation ou de mise en valeur des données de solvabilité, faute de moyens technologiques idoines à disposition (c. 6.3). Il n’a pas remis en cause le fait que les juges cantonaux aient considéré que la société A. n’avait pas prouvé l’existence de son dommage (frais externes et manque à gagner). L’absence de dommage était un argument qui à lui seul avait clos la discussion sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres conditions (c. 6.4). Il a donné ensuite tort à la recourante lorsqu’elle estimait que les conditions de substantification de son dommage étaient excessives ou que l’autorité aurait dû attirer son attention sur le caractère éventuellement incomplet de son exposé en application de l’art. 56 CPC (c. 6.5).
Ensuite, en ce qui concerne les données de base, le TF a simplement constaté que la recourante n’expliquait pas pourquoi elle aurait dû être dispensée de chiffrer son dommage. Il a ajouté que si d’aventure ce chiffrement n’était pas possible, elle aurait alors dû exposer toutes les circonstances qui auraient permis d’estimer le dommage relatif aux données de base (c. 7.2).
Dans un dernier élan, le TF a contesté que le comportement de la société B. puisse constituer des infractions à la LCD, en relation avec les art. 5 et 6 LCD. Il a indiqué que l’art. 5 let. c et 6 LCD exigeaient une exploitation de l’information obtenue ou du résultat du travail d’autrui à des fins économiques, ce qui n’avait pas été le cas (c. 8.1.1.). Il a rappelé, également au passage, que les conditions de la prétention en dommage-intérêt visée à l’art. 9 al. 3 LCD étaient identiques à celles du code des obligations. Ainsi, même en admettant l’existence d’une infraction, la recourante aurait dû prouver l’existence de son dommage ou que la société B. avait réalisé un bénéfice, ce qu’elle n’avait pas fait (c. 8.1.2). Il a rejeté également les griefs relatifs à une instruction déficiente de l’autorité inférieure (c. 8.2). Il a terminé enfin en indiquant qu’il ne voyait pas de raison d’appliquer les art. 924 ss CO, à savoir de considérer les données comme des choses, estimant que cela ne changerait de toute façon rien au résultat du présent litige.
Le recours est rejeté.
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Winterthur


TF 6B_286/2022 du 15 juin 2023
Responsabilité du détenteur d’un véhicule automobile; causalité, interruption, principe de la confiance, principe non applicable aux enfants; art. 12 al. 3, 26, 32 al. 1, 33 al. 2, 122 et 125 al. 2 CP; 58 LCR
Condamné en première instance pour lésions corporelles graves par négligence, un automobiliste, conduisant en état d’ébriété et à une vitesse de 45-47 km/h aux abords d’un passage pour piétons et d’une école, est acquitté en deuxième instance. La Cour d’appel pénale du tribunal cantonal vaudois a considéré que le lien de causalité entre les lésions corporelles subies par l’enfant et le comportement négligent du prévenu, qui n’avait pas ralenti à l’approche du passage pour piétons, avait été rompu par celui du lésé, âgé de cinq ans, qui avait surgi au guidon de sa trottinette, à une vitesse de 9-11 km/h, alors qu’il était précédemment masqué par un muret excédant sa taille. Le TF ne partage pas l’avis de la Cour et renvoie la cause à l’autorité cantonale pour nouvelle décision.
Le TF rappelle que cause des lésions corporelles graves par négligence le conducteur qui viole les règles de prudence que les circonstances imposaient, celles-ci étant en particulier définies par les règles régissant la circulation routière (LCR). Un tel comportement négligent doit s’inscrire dans un rapport de causalité naturelle et adéquate, avec les conséquences de celui-ci, à savoir d’avoir porté gravement atteinte à l’intégrité corporelle de la victime. Ainsi, un conducteur doit adapter sa vitesse aux circonstances et donc être en mesure de s’arrêter aux abords d’un passage pour piétons, même si ces derniers doivent également prêter une attention particulière aux véhicules.
En vertu du principe de la confiance, un usager de la route peut présumer que les autres usagers adopteront un comportement conforme aux règles de la circulation. Cependant, un tel principe ne s’applique pas aux enfants, lesquels ont, selon le TF, une notion de prudence vis-à-vis de la circulation routière « particulièrement ténue ». Dès lors, le lien de causalité ne peut être considéré comme interrompu que lorsque l’acte imprévisible de la victime relègue à l’arrière-plan les fautes du responsable.
En l’espèce, le conducteur connaissait très bien la configuration des lieux, se situant sur le trajet séparant son lieu de travail de son domicile, en particulier la présence d’un muret à droite du passage pour piétons. De plus, il avait aperçu que des enfants jouaient aux abords du complexe scolaire et sportif jouxtant le passage pour piétons et le long du trottoir à gauche. En outre, il n’était pas imprévisible qu’un enfant se déplace sur une trottinette, à une vitesse excédant celle de l’homme au pas. Enfin, par son comportement, à savoir le fait de déporter son véhicule à gauche, le conducteur a démontré qu’il n’est pas imprévisible qu’un enfant traverse la route sans prêter gare à la circulation. Le prévenu aurait par conséquent dû adapter sa vitesse aux circonstances, qu’il connaissait et avait malgré tout appréhendées, et ralentir à 35 km/h, vitesse qui lui aurait permis de s’arrêter et d’éviter de blesser grièvement un enfant de cinq ans.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève


TF 4A_472/2022 du 15 juin 2023
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières LCA, obligation de diminuer le dommage, Covid-19; art. 61a et 38 aLCA; 8 CC; 9 Cst.; 7 CPC
L’assurée, née en 1959, a travaillé, dès le 1er janvier 1996, pour une entreprise en qualité d’employée de commerce. L’employeuse avait souscrit une assurance collective perte de gain en cas de maladie après de la société d’assurance intimée. En cas de sinistre, elle s’engageait à verser des indemnités journalières pendant 730 jours, sous déduction d’un délai d’attente de sept jours. L’art. D1 des conditions générales d’assurance précisait : « Est incapable de travailler la personne qui, en raison d’une maladie, ne peut exercer son activité professionnelle habituelle, ou, si l’incapacité dure un certain temps, reste dans l’impossibilité d’exercer tout autre activité raisonnablement exigible eu égard à son état de santé et à ses aptitudes » (c. A).
Victime d’une atteinte psychiatrique, soit une phobie de contamination par la COVID-19 cumulée à un épisode dépressif moyen, l’assurée a été incapable de travailler du 9 au 31 mars 2020, puis dès le 11 mai 2020. L’employeuse lui a signifié son licenciement pour le 28 février 2021 (c. A.b). Sur le plan médical, les troubles de l’assurée étaient incompatibles avec une quelconque activité exigeant un contact avec autrui. La seule activité exigible était du télétravail à domicile, sans aucun contact avec des personnes et objets venant de l’extérieur. Le handicap n’était pas lié à une incapacité d’exercer le métier en lui-même, mais à une incapacité de surmonter les exigences de contact minimal exigible pour un travail (c. A.c).
La société d’assurance intimée a versé 301 indemnités journalières jusqu’au 28 février 2021 et cessé ses versements à cette date sur avis de son médecin-conseil qui estimait la capacité de travail de l’assurée à 100 % dès le 1er mars 2021 (c. A.f). Sur action de l’employée contre la société d’assurance portant sur un solde de 412 indemnités journalières, le tribunal cantonal l’a admise (c. B).
En droit, s’il est acquis que l’assurée est inapte au travail dans son activité habituelle en entreprise dès le 1er mars 2021, le litige dont est saisi le TF porte uniquement sur la question de savoir si un changement d’activité intégrant ses limitations fonctionnelles peut raisonnablement être exigé d’elle – l’enjeu étant le solde d’indemnités journalières (c. 3).
L’art. 61 aLCA, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, consacrait une « obligation de sauvetage » et son pendant actuel figure à l’art. 38a LCA (c. 4.1). L’obligation de réduire le dommage, codifiée à l’art. 61 aLCA, peut impliquer un changement de profession si cela peut raisonnablement être exigé de l’ayant droit et si cela permet de réduire l’incapacité de travail. L’assureur qui entend être mis au bénéficie de l’art. 61 al. 2 aLCA doit inviter l’ayant droit à changer d’activité et lui impartir un délai d’adaptation approprié ; en règle générale, un délai de trois à cinq mois est jugé adéquat. L’art. 61 al. 2 aLCA ne permet pas à l’assureur de réduire ses prestations dans la perspective d’un changement d’activité purement théorique, irréalisable en pratique : le juge doit bien plutôt analyser la situation concrète. Partant, il doit se demander, d’après l’âge de l’ayant droit et l’état du marché du travail, quelles sont ses chances réelles de trouver un emploi avec ses limitations fonctionnelles. Le juge doit également examiner, en fonction de la formation, de l’expérience et de l’âge de l’ayant droit, si un tel changement d’activité peut réellement être exigé de lui (c. 4.2). L’assureur doit prouver que l’ayant droit a violé son devoir de réduire le dommage (art. 8 CC), à savoir qu’il n’a pas pris les mesures qu’on aurait pu raisonnablement attendre de lui en vue de diminuer le dommage (c. 4.3).
En l’espèce et sur la base des principes ci-dessus, la cour cantonale a estimé que l’assurée n’avait aucune chance de retrouver un travail adapté à ses limitations fonctionnelles, que ce fût le 1er mars 2021 ou plus tard (c. 5.1). Le TF confirme le raisonnement de l’instance inférieure et rejette le recours, ne décelant aucun arbitraire dans la constatation des faits ou l’appréciation des preuves, respectivement aucune violation de l’art. 61 aLCA (c. 5.2 et 5.3).
Sous l’angle de cas particulier de la pandémie, le TF souligne encore que la COVID-19 n’est ici qu’un épiphénomène. L’assurée a certes développé une phobie à cause de cette maladie, mais elle aurait tout aussi bien pu contracter sans cette pandémie une maladie entraînant les mêmes limitations sans que le raisonnement ne s’en trouve modifié. Ses perspectives de retrouver un emploi sans pouvoir ne serait-ce que se présenter à un entretien d’embauche, réceptionner des objets extérieurs ou avoir un simple contact humain direct sont inexistantes, si on les met en perspective avec son âge, sa formation et la profession qu’elle a exercée durant plus de vingt-cinq ans (c. 5.3).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud

TF 6B_513 et 520/2022 du 9 juin 2023
Responsabilité aquilienne; lien de causalité, position de garant, négligence, violation des règles de l’art; art. 11 al. 2, 12 al. 3, 229 CP
Un directeur de succursale a confié la réalisation de travaux d’étanchéité à l’intérieur d’un bâtiment à l’un de ses techniciens. Le directeur a personnellement assisté à une séance de chantier dans le but de planifier les travaux. Le technicien a ensuite expliqué les travaux à accomplir à deux de ses collaborateurs, l’un ouvrier qualifié, l’autre non, puis a quitté les lieux. Les deux ouvriers n’étaient pas pourvus des équipements usuels de protection. L’ouvrier qualifié a entrepris une manœuvre visant à accélérer la réalisation des travaux, ce qui a entraîné un départ de feu et la propagation de vapeurs chimiques avec pour conséquences qu’il a souffert de brûlures, a été hospitalisé et a subi un arrêt de travail complet de longue durée. La violation des règles de l’art de construire a notamment été retenue contre le directeur et son technicien, lesquels recourent jusqu’au TF.
Le TF constate que le directeur des travaux est tenu de veiller au respect des règles de l’art de construire et répond d’une action ou d’une omission. Il rappelle que la responsabilité pénale d’un participant à la construction se détermine sur la base des prescriptions légales, des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chacun est tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence que l’on peut attendre de lui pour veiller au respect des règles de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, à l’instar du technicien en charge, il existe un devoir de donner des instructions nécessaires et de surveiller. Une seule et même violation des règles de l’art peut être le fait de plusieurs personnes. L’art. 229 CP implique une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il astreint les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution d’un ouvrage à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de responsabilité. En raison de sa conception en tant que délit spécial, l’art. 229 CP limite d’emblée la punissabilité aux personnes pour lesquels une position de garant doit être admise.
Deux conditions doivent être remplies pour que la négligence soit fondée : l’auteur doit violer les règles de prudence et la violation doit pouvoir être imputée à faute. En l’espèce, le TF retient que le directeur a assisté à une séance de chantier avec le but de planifier celui-ci. Il n’est donc pas intervenu personnellement sur le chantier, ou s’occuper de la mise en œuvre opérationnelle, respectivement en assurer la coordination. Ne s’étant pas personnellement impliqué dans la direction des travaux, il ne fait pas partie du cercle des auteurs de l’infraction visée à l’art. 229 CP et a donc été acquitté.
En revanche, le TF retient la responsabilité du technicien. Celui-ci avait pour tâche la mise en œuvre opérationnelle du chantier soit de donner des instructions aux ouvriers, de rappeler régulièrement les règles de sécurité et de passer régulièrement sur le chantier vu son rôle de cadre intermédiaire. Son rôle implique d’emblée une position de garant en lien avec les tâches qui lui reviennent. Il ne pouvait pas se décharger de ses devoirs d’information et de surveillance sur ses ouvriers. Dans le cas présent, la réalisation des travaux nécessitait des instructions particulières en raison des risques liés à l’usage du produit en cause, qui peut provoquer des vapeurs chimiques. Les règles de sécurité devaient également être rappelées. Le technicien n’a donné aucune instruction concernant la pose du produit ou l’aération des locaux par exemple. Il y a eu omission. Ce dernier a donc violé les règles de l’art au sens de l’art. 229 CP. Il a été négligent, car il n’a pas instruit et surveillé les ouvriers quand bien même il avait 15 ans d’expérience dans l’entreprise. Le lien de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et la mise en danger existe car la violation des règles de l’art par le technicien a conduit à l’augmentation du risque d’incendie et a ainsi exposé les ouvriers présents sur le chantier à une mise en danger. Les conditions objectives et subjectives de l’art. 229 CP sont dans ce cas remplies selon le TF.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate


ATF 149 II 246, TF 1C_344/2022 du 2 juin 2023
Responsabilité aquilienne; procédure, LAVI, indemnisation des honoraires d’avocat; art. 4 et 13 LAVI
Une victime a été représentée par un avocat dans le cadre d’une procédure pénale. Elle a alors demandé une indemnisation à concurrence de CHF 12'294.50 pour ses frais d’avocat au titre de l’aide aux victimes.
Dans son arrêt, le TF commence par relever que s’agissant de prestations découlant de la LAVI, les frais d’avocat ne peuvent être réclamés qu’exclusivement au titre de l’aide immédiate ou de l’aide à plus long terme au sens de l’art. 13 LAVI. Il relève ensuite que les cantons sont libres d’organiser comme ils le souhaitent les procédures en matière d’aide aux victimes et qu’il n’est pas contraire au droit fédéral qu’une autorité administrative se charge de statuer sur les demandes d’indemnisation.
Puis le TF examine si la demande de prise en charge des honoraires d’avocat d’une victime au sens de l’art. 13 LAVI pouvait être formulée en tout temps et si elle était subsidiaire à une demande d’assistance judiciaire.
A cet égard, il est d’abord rappelé la jurisprudence rendue sous l’angle de l’ancienne LAVI selon laquelle la demande de prise en charge des frais d’avocat devait être déposée, dans la mesure du possible, avant que les frais d’avocat ne soient engagés. Toutefois, les juges fédéraux ont relevé que si une victime était tardive dans sa demande de prise en charge, son droit ne s’éteignait pas. Tout au plus prend-elle le risque que l’intégralité de ses frais ne soient pas pris en charge au titre de l’aide aux victimes. Il n’existe ainsi pas de péremption du droit à la prise en charge de frais d’avocat au sens de la LAVI. A ce sujet, le TF rappelle encore que contrairement aux droits à l’indemnisation et à la réparation morale qui sont soumis à un délai de péremption selon l’art. 25 LAVI, le droit à l'aide des centres de consultation ne se périme pas (art. 15 al. 2 LAVI).
Quant à la question de la subsidiarité de l’aide aux victimes, il est d’abord rappelé que ce principe est ancré à l’art. 4 al. 1 LAVI, mais que cette disposition ne traite pas de l’institution de l’assistance judiciaire. Le TF rappelle ensuite que les cantons sont débiteurs à la fois de l’assistance judiciaire et des prestations d’aide aux victimes. Il procède à une interprétation de l’art. 4 al. 1 LAVI et parvient à la conclusion que l’aide aux victimes n’est pas subsidiaire à l’assistance judiciaire. Par conséquent, une victime ne requérant pas l’assistance judiciaire peut encore demander la prise en charge de ses honoraires d’avocat par le biais de l’aide aux victimes.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne



TF 2C_901/2022 du 31 mai 2023
Responsabilité du propriétaire d’ouvrage; irrecevabilité de l’action fondée sur la loi cantonale sur la responsabilité de l’Etat; art. 58 CO
Dans le cas d’espèce, le recourant soutenait du fait que la réalisation d’un remblai terreux aménagé en contrebas d’une route communale aurait contribué à accélérer le mouvement de son terrain. Ce phénomène aurait entraîné des fissures à l’intérieur et à l’extérieur de son chalet. Il avait attaqué en responsabilité la commune sur la base de la loi cantonale sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents.
La responsabilité des collectivités publiques cantonales et communales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons et des communes à l’égard des particuliers pour le dommage qu’ils causent dans l’exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO. Les cantons sont toutefois libres de soumettre cette problématique au droit public cantonal en adoptant une réglementation spécifique en vertu de l’art. 59 al. 1 CC et de l’art. 61 al. 1 CO. Le canton de Fribourg a fait usage de cette faculté (c. 4.1).
La compétence des cantons d’édicter des dispositions sur la responsabilité civile de l’Etat et de ses agents dérogeant aux règles ordinaires de droit privé n’est cependant pas générale. S’il existe une norme fédérale de responsabilité régie par une loi spéciale (p. ex. l’art. 58 LCR, les art. 56 et 58 CO, l’art. 679 CC), cette norme fédérale prime et les cantons ne peuvent, en vertu de l’art. 49 Cst., pas y déroger (c. 4.2). Ainsi, la responsabilité d’un canton ou d’une commune s’examine en principe à l’aune de l’art. 58 CO lorsqu’une personne a subi préjudice causé par un ouvrage appartenant à l’une de ces collectivités (c. 4.3).
Après avoir émis quelques considérations sur la définition classique de l’ouvrage au sens de l’art. 58 CO, le TF rappelle que cette notion peut aussi s’étendre à certaines choses naturelles qui, lorsqu’elles sont artificiellement aménagées, peuvent acquérir la qualité d’ouvrages. Tel est notamment le cas d’un remblai installé en vue d’assurer la fonctionnalité d’un ouvrage, dont il fait dès lors partie intégrante (c. 5.2). Le fait que, dans le cas d’espèce, le propriétaire du terrain sur lequel avait été aménagé le remblai est non pas la commune, mais un tiers, est sans portée. Certes, la jurisprudence impose de déterminer qui est propriétaire (au sens du Code civil) de l’ouvrage défectueux ou mal entretenu. Cette règle doit cependant être tempérée, notamment lorsque deux choses juridiquement indépendantes forment un seul et même ouvrage d’un point de vue fonctionnel et que le défaut affectant la chose la moins importante se présente comme un défaut de l’autre ; dans un tel cas, il importe peu que les deux choses appartiennent à des propriétaires différents. La responsabilité du propriétaire de l’ouvrage de l’art. 58 CO est alors encourue par le propriétaire de la partie la plus importante (c. 5.4 et 5.5).
Le recourant avait tenté d’échapper à l’application du droit privé fédéral en soutenant que ce n’était pas le défaut du remblai qui avait provoqué le dommage, mais la décision prise par la commune de le réaliser. Telle n’est pas la question, objecte le TF il s’agit de savoir si la commune est responsable des dégâts causés au chalet du recourant en application de l’art. 58 CO, ce qu’il n’y a pas lieu de trancher dans le cadre d’une procédure relevant de la responsabilité étatique (c. 5.7). Le TF confirme dès lors l’arrêt d’irrecevabilité qui avait été rendu par l’instance cantonale (c. 5.8).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

ATF 149 V 97, TF 9C_198/2022 du 30 mai 2023
Assurance invalidité; coordination européenne, ALCP, rente d’invalidité, calcul, totalisation des périodes de cotisations; art. 8 ch. 1 R (CE) n° 883/2004; 12 Convention de sécurité sociale CH-P
Le litige porte sur le calcul de la rente d’invalidité allouée au recourant, plus particulièrement sur la prise en compte, dans le calcul de sa rente à partir du 1er septembre 2021, des périodes de cotisations accomplies au Portugal. Le droit du recourant à une rente d’invalidité est en l’espèce né le 1er janvier 2018, après l’entrée en vigueur du R (CE) n° 883/2004. Ratione temporis, le litige doit ainsi être tranché à la lumière de ce règlement.
L’art. 8 ch. 1 R (CE) n° 883/2004 prévoit que « dans son champ d’application, le présent règlement se substitue à toute convention de sécurité sociale applicable entre les Etats membres. Toutefois, certaines dispositions de conventions de sécurité sociale que les Etats membres ont conclues avant la date d’application du présent règlement restent applicables, pour autant qu’elles soient plus favorables pour les bénéficiaires ou si elles découlent de circonstances historiques spécifiques et ont un effet limité dans le temps. Pour être maintenues en vigueur, ces dispositions doivent figurer dans l’annexe II. Il sera précisé également si, pour des raisons objectives, il n’est pas possible d’étendre certaines de ces dispositions à toutes les personnes auxquelles s’applique le présent règlement. »
Ni l’office intimé, ni la juridiction cantonale n’ont examiné le point de savoir si le système de la Convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et le Portugal est plus favorable au recourant que le système du R (CE) n° 883/2004. A cet égard, le TF a considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal ; art. 84 R [CE] n° 1408/71 ; art. 76 ss R [CE] n° 883/2004 ; art. 2 ss R [CE] n° 987/2009).
En conséquence, il convient d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction sur ce point et rende une nouvelle décision.
Auteur : Me Gilles-Antoine Hofstetter


ATF 149 V 136, TF 8C_670/2022 du 25 mai 2023
Assurance-chômage; prestations transitoires, prestations de préretraite, qualification en droit européen; art. 3 par. 1 let. h et i, 66 R (CE) n° 883/2004; 5 al. 1 let. b LPtra
La loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra) prévoit des prestations de préretraite au sens de l’art. 3 par. 1 let. i R (CE) n°883/2004, et non des prestations de chômage au sens de l’art. 3 par. 1 let. h de ce règlement. En conséquence, en vertu de l’art. 66 R (CE) n°883/2004, les périodes de cotisation accomplies à l’étranger ne doivent pas être prises en considération pour le calcul de la durée minimale d’assurance de vingt ans, dont au moins cinq ans après l’âge de 50 ans, exigée par l’art. 5 al. 1 let. b LPtra.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


TF 6B_658/2022 du 24 mai 2023
Responsabilité aquilienne; causalité, art. 117 CP; 32 LCR; 41 CO
En examinant les circonstances d’un accident de la circulation lors duquel un cycliste a mortellement heurté un piéton, les juges fédéraux rappellent que pour qu’il y ait négligence, il faut tout d’abord que l’auteur ait, d’une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d’autre part, il n’ait pas déployé l’attention et les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir.
Selon l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur doit rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer au devoir de la prudence. L’observation de la règle de l’adaptation de la vitesse aux circonstances est la première condition de la maîtrise du véhicule. La règle de l’art. 32 al. 1 LCR implique aussi qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité le permettent. Il faut notamment réduire sa vitesse dans un virage à visibilité réduite. La règle de la possibilité d’arrêt sur la distance de visibilité, et en fonction des risques prévisibles, est la règle fondamentale de l’adaptation de la vitesse.
Dans le cas d’espèce, le choc a eu lieu au sortir du deuxième segment d’une grande courbe à droite. Le TF retient que le cycliste a violé son devoir de prudence en n’adoptant pas une vitesse adéquate aux circonstances et à la visibilité dont il disposait, compte tenu de la courbe sur laquelle il circulait. Le cycliste devait compter avec la possibilité de se retrouver face à un danger au sortir de la courbe, laquelle restreignait sa visibilité et donc aussi l’anticipation possible. Or, son allure ne lui permettait pas de s’arrêter sur la distance visible. Ainsi, la prudence commandée par les circonstances aurait dû l’amener à ralentir et à adapter sa vitesse à la visibilité dont il disposait.
La présence d’un piéton traversant une route touristique du Lavaux un dimanche soir d’été, vers 19h50, ne constitue pas un fait extraordinaire ou imprévisible qui relègue à l’arrière-plan le rôle causal joué par la faute du cycliste. Il n’y a donc pas rupture du lien de causalité adéquate entre la violation fautive du devoir de prudence et le décès de la victime.
Le TF renvoie la cause aux juges vaudois qui avaient acquitté le cycliste du chef d’homicide par négligence en violation du droit fédéral.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne


TF 9C_223/2022 du 15 mai 2023
Prestations complémentaires; calcul de la prestation complémentaires, revenus déterminants, franchise sur le revenu de l’activité lucrative; art. 11 al. 1 let. a LPC
L’affaire concerne le calcul des prestations complémentaires pour l’année 2021 pour une femme percevant une rente AI (taux d’invalidité de 62 %), n’exerçant aucune activité lucrative. Cette dernière vit en ménage commun avec sa fille au bénéfice d’une rente pour enfant de l’AI et percevant un revenu de son activité d’apprentie. La cour cantonale a procédé à un calcul commun, en déduisant d’abord du revenu de l’activité lucrative de la fille de l’assurée les dépenses dûment justifiées pour son obtention (art. 10 al. 3 let. a LPC) et les cotisations aux assurances sociales obligatoires prélevées sur le revenu (art. 10 al. 3 let. c LPC). Ensuite, la franchise de CHF 1'500.- a été déduite, car la fille vit avec sa mère, soit le parent qui a droit à une rente ; par conséquent, la prestation complémentaire est déterminée globalement avec la rente du parent (art. 7 al. 1 let. b OPC-AVS/AI). Le montant intermédiaire a été retenu à hauteur des deux tiers, en tant que revenu privilégié (art. 11 al. 1 let. a, première phrase, LPC). La cour cantonale a considéré en substance que la franchise devait être appliquée à ce revenu, n’ayant pas déjà pu être déduite concrètement d’un autre revenu privilégié – étant inexistant – c’est-à-dire celui de la mère, soit la personne ayant droit aux prestations complémentaires (cf. c. 5.6 in initio). La caisse de compensation recourt au TF.
Le litige porte sur le calcul du revenu de l’activité lucrative réalisé par la fille de l’assurée, seul revenu dans le ménage provenant de l’exercice d’une activité lucrative, ainsi que sur la déduction ou non de la franchise de CHF 1'500.- sur ce revenu (c. 3.1). L’examen de l’affaire s’effectue sous l’angle du nouveau droit, entré en vigueur le 1er janvier 2021 (c. 3.3).
Le TF procède à l’interprétation littérale de l’art. 11 al. 1 let. a, première phrase, LPC. Selon cette disposition, le revenu déterminant correspond aux deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l’exercice d’une activité lucrative, pour autant qu’elles excèdent annuellement CHF 1'500.- pour les personnes qui ont des enfants donnant droit à une rente pour enfant de l’AI (situation du cas d’espèce). Le libellé de la disposition n’indique pas clairement si la franchise doit s’appliquer au revenu du bénéficiaire seul ou à celui du ménage. Il est donc nécessaire de recourir à d’autres méthodes d’interprétation (c. 5.5 in initio).
Dans le cadre de l’interprétation historique, la combinaison d’une déduction fixe et le calcul du solde du revenu à hauteur des deux tiers « favorise particulièrement les personnes se trouvant dans une situation économique précaire, tout en les incitant à conserver une certaine activité lucrative ou à économiser en vue de l’octroi d’une rente ou d’une pension, étant donné que le revenu excédant le montant sujet à déduction ne conduit pas à une réduction proportionnelle de la prestation complémentaire » (FF 1964 II 705 ss, 718). Il existe donc à la fois un aspect social et un incitatif à conserver une activité lucrative, principalement pour les bénéficiaires de prestations complémentaires mais aussi pour les autres membres de la famille. L’intention du législateur, avec la prise en compte seulement partielle des revenus, était d’encourager les bénéficiaires des prestations complémentaires à exercer une activité lucrative sans être pénalisé par une diminution correspondante du montant de la prestation complémentaire (c. 5.5).
Selon le TF, la franchise de CHF 1'500.- doit être déduite une seule fois, car elle est établie pour le ménage et appliquée au ménage, mais elle ne doit pas être déduite en principe uniquement du revenu de l’activité lucrative du bénéficiaire des prestations complémentaires. La franchise ne s’applique donc pas au seul bénéficiaire des prestations complémentaires (c. 5.6).
Le TF arrive à la conclusion que le revenu de l’activité d’apprentie de la fille de la bénéficiaire des prestations complémentaires – qui ne perçoit aucun revenu et auquel aucun revenu ne peut être imputé au sens de l’art. 14a OPC-AVS/AI, diminué des frais d’obtention du revenu (art. 11a OPC AVS/AI) et des cotisations aux assurances sociales (art. 10 al. 3 let. c LPC), doit être réduit de la franchise de CHF 1'500.-, puis pris en compte à hauteur des deux tiers dans le revenu déterminant de la mère, en tant que revenu privilégié au sens de l’art. 11 al. 1 let. a, 1re phrase, LPC (consid. 5.7).
Le TF souligne également le fait que le N 3421.11 DPC est contraire à l’art. 11 al. 1 let a LPC. Il en est de même de l’annexe 6 des DPC (« Facteurs pour la prise en compte du revenu de l'activité lucrative »), dans la mesure où aucune franchise n'est prévue pour le revenu des enfants (c. 5.8).
Le TF rejette le recours de la caisse de compensation et confirme l’arrêt du tribunal cantonal.
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne


TF 4A_17/2023 du 9 mai 2023
Responsabilité aquilienne; dommage, théorie de la différence, dommage normatif; art. 41 al. 1 et 55 CO
Cet arrêt s’inscrit dans le cadre du scandale des gaz d’échappement diesel (Diesel-Abgasskandal), désormais connu sous le nom de « dieselgate ». Cette polémique a mis en lumière l’installation par un constructeur automobile allemand, dans près de 11 millions de ses véhicules diesel, d’un logiciel manipulant les résultats des tests d’émissions polluantes.
Dans le cas d’espèce, la recourante a directement actionné le constructeur, avec lequel elle n’avait aucune relation contractuelle, auprès du Tribunal de commerce du canton de Zurich. Se fondant sur les art. 41 ss CO, respectivement l’art. 55 CO, elle a conclu à la restitution en nature, à savoir le remboursement du prix d’achat brut, de son véhicule de CHF 33'102.-, ainsi qu’au remboursement à hauteur de EUR 3'357.39 au titre de frais de réparation de la boîte de vitesses pour un défaut survenu le 27 mai 2016 en Allemagne, dans les deux cas en échange de la restitution du véhicule. A titre subsidiaire, la recourante a conclu au paiement de dommages-intérêts à hauteur de 25 % du prix du véhicule neuf, soit CHF 8’275.50. Le Tribunal de commerce du canton de Zurich a rejeté la restitution en nature et n’est pas entré en matière sur la prétention tendant au remboursement des frais de réparation de la boîte à vitesse, faute de compétence internationale.
Le TF a confirmé cette décision. En opérant une distinction parmi les prétentions, elle a conclu que la compétence des tribunaux suisses était donnée selon l’art. 24 CL pour celles liées directement au scandale des gaz d’échappement. En revanche, les juges fédéraux sont arrivés à la conclusion inverse concernant la prétention fondée sur le dommage causé par le défaut affectant la boîte à vitesses à mesure que celui-ci s’était produit en Allemagne (c. 2.2.4). Le TF a en outre rappelé que la CL ne connaissait pas de for général de cumul objectif d’actions (c. 2.2.5).
Pour fonder l’existence d’un dommage dans le cadre spécifique du « dieselgate », la recourante s’est basée sur un arrêt de la Cour fédérale de justice d’Allemagne et sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. La décision allemande a considéré comme décisif le fait que l’acheteur ait conclu un contrat de vente qu’il n’aurait raisonnablement pas conclu, s’il avait eu connaissance de la manipulation du logiciel. Selon la Cour fédérale de justice allemande, cet engagement involontaire constitue un dommage relevant du droit de la responsabilité civile extracontractuelle. La Cour de justice de l’Union européenne a abouti à la même conclusion en retenant que l’achat d’une voiture concernée par le « dieselgate » donnait droit à des dommages-intérêts contre le constructeur sur la base de ce même régime de responsabilité (c. 7.2).
Le TF affirme qu’il ne peut suivre un tel raisonnement pour le droit suisse (c. 7.3). Il explique que de jurisprudence constante, le dommage en droit de la responsabilité civile extracontractuelle est basé sur la théorie de la différence. Selon cette théorie, le dommage est la diminution involontaire du patrimoine net, correspondant à la différence entre l’état actuel du patrimoine et l’état hypothétique qu’il aurait sans le fait dommageable. La réparation d’un dommage normatif – non lié à une diminution du patrimoine – n’est accordée que dans deux cas de figure, à savoir le dommage ménager (Haushaltschaden) et le dommage de prise en charge (Pflegeschaden). Ce n’est que dans ces cas que des dommages-intérêts peuvent être versés, même s’il n’y a pas eu une diminution du patrimoine (c. 7.3.1).
En l’espèce, la recourante n’a pas démontré que le comportement du constructeur lui aurait causé un dommage. Elle n’a pas fait valoir que la valeur vénale de son véhicule aurait été plus élevée sans la manipulation du logiciel, respectivement qu’elle aurait pu obtenir un prix de revente plus élevé sans celle-ci. Elle n’a en outre pas invoqué une moins-value mercantile au sens de la jurisprudence, des frais de réparation et d’équipement ultérieur ou d’autres frais consécutifs tels qu’une consommation accrue de carburant (c. 7.3.2).
La conclusion involontaire d’un contrat ne constitue pas un préjudice indemnisable en vertu du droit de la responsabilité civile extracontractuelle. En définitive, la recourante demande une « réparation du tort moral déguisée pour défaut matériel » qui ne peut être accordée en vertu des art. 41 et 55 CO (c. 7.3.3).
Il en découle que ni la restitution en nature ni le remboursement des « overcharges » (différence entre le prix effectif et le prix hypothétique du véhicule) réclamés ne trouvent de fondement dans les art. 41 ou 55 CO, conduisant au rejet du recours (c. 7.4).
Auteur : Scott Greinig, avocat, MLaw, assistant-doctorant à Neuchâtel


TF 4A_49/2023 du 3 mai 2023
Assurances privées; obligation de diminuer le dommage, assurance de sommes; art. 61 al. 1 aLCA ( 38a al. 1 LCA); 42 LTF
A. est un dentiste indépendant qui a conclu une assurance de perte de gain en cas de maladie sous forme d’une assurance de sommes avec un salaire de CHF 73'000.-. Après avoir pris en compte une incapacité de travail de presque une année dans la profession habituelle de A., l’assureur B. indique le 3 juillet 2019 à A. qu’en tenant compte d’une pleine capacité de travail dans une autre profession mieux adaptée à son état de santé, il ne pourra plus servir d’indemnités journalières à partir du 1er novembre 2019.
En premier lieu, le TF rappelle qu’un éventuel deuxième échange d’écritures ne saurait être utilisé pour améliorer ou compléter un recours, car au sens de l’art. 42 al. 1 LTF, les mémoires de recours doivent être déposés avec une motivation complète. Les griefs soulevés dans un deuxième temps sont donc irrecevables (c. 1.2).
Sur le fond, en considérant la teneur des conditions générales d’assurances qui permettent à l’assureur B. de tenir compte d’une incapacité de gain dans une autre activité professionnelle en cas d’incapacité de travail de longue durée, le TF confirme l’application de sa jurisprudence constante en matière d’obligation de réduire le dommage (c. 3.2 et 3.3.1).
En fixant à A. un délai de quatre mois pour un changement d’activité professionnelle, l’assureur B. respecte le délai de transition habituel (trois à cinq mois). Peu importe par ailleurs qu’il s’agisse d’une assurance de sommes ou de dommages, l’obligation de limiter le dommage s’applique (c. 3.3.1 et 3.3.3). Par ailleurs, A. considère qu’il n’y a pas lieu de comparer le salaire assuré de CHF 73'000.- avec un revenu à réaliser dans une activité professionnelle mieux adaptée à son état de santé, mais son salaire AVS qui est sensiblement plus élevé. Le TF estime à ce titre qu’en regard des conditions contractuelles du contrat d’assurance, la solution retenue par l’assureur (salaire assuré de CHF 73'000.- versus salaire de remplacement) ne viole pas le droit fédéral (c. 3.3.2).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 9C_226/2022 du 2 mai 2023
Assurance-vieillesse et survivants, remise de moyens auxiliaires, âge AVS; art. 43quater al. 1 LAVS; 4 OMAV
Un assuré, amputé de sa jambe droite à la suite d’un accident survenu le 8 juillet 1981, a bénéficié de la prise en charge des frais d’entretien et de renouvellement de la prothèse standard qui lui avait été remise à titre de moyen auxiliaire de l’assurance-invalidité. En avril 2020, il présente une nouvelle demande de moyen auxiliaire, sous forme de prothèse de jambe avec genou articulé contrôlé par microprocesseur de type C-Leg, au motif que celle-ci serait nécessaire à l’exercice de l’activité poursuivie après l’âge de la retraite. La juridiction cantonale a nié le droit à la remise d’une prothèse de type C-leg, au motif que l’assuré (né en 1951) avait atteint l’âge ouvrant le droit à une rente de l’AVS lors du dépôt de sa dernière demande, de sorte que seules les dispositions de la LAVS trouvent application.
Pour le TF, il n’y a pas de discrimination en raison de l’âge dès lors que l’assuré a bénéficié, et continue de bénéficier depuis 1981, d’un modèle de moyen auxiliaire jugé simple et adéquat pour atteindre les buts fixés par la loi. La juridiction cantonale a ainsi considéré à bon droit que l’assuré ne peut pas prétendre, sous le régime de la LAVS, à un moyen auxiliaire plus perfectionné que celui qui lui avait été accordé depuis 1981 sous le régime de l’AI, sous peine d’étendre la garantie des droit acquis d’une manière contraire au sens et au but de l’art. 4 OMAV.
Le TF rappelle par ailleurs que le but de l’art. 4 OMAV est de maintenir les droits acquis avant l’âge de retraite, mais pas de conférer à l’assuré un droit à l’octroi d’un moyen auxiliaire s’adaptant à l’atteinte à la santé. Si le moyen auxiliaire remis sur la base de la garantie des droits acquis peut parfois être d’une meilleure qualité que celui accordé sous le régime de la LAI, l’octroi d’un tel moyen est toutefois toujours justifié par des motifs techniques foncièrement indépendants de la seule qualité intrinsèque du moyen en question. Le seul fait qu’une prothèse de type C-leg soit d’une meilleure qualité qu’une prothèse mécanique ne suffit dès lors pas à justifier sa remise.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne

TF 6B_197/2021 du 28 avril 2023
Responsabilité aquilienne; obligation de prévention des accidents, devoir de diligence; art. 117 CP; 29 al. 1 OPA
Un employé d’une usine chimique remplit des conteneurs avec des eaux usées issues de la fabrication d’un composant. Les cinq premières cuves sont remplies sans incident. Au cours du remplissage du sixième conteneur, l’employé ne réalise pas qu’il s’agit d’un ancien conteneur non conducteur d’électricité, contrairement aux cinq premiers, lequel contenait des restes d’un distillat facilement inflammable. Le mélange des substances génère une décharge électrique entraînant une explosion du conteneur et provoquant le décès d’un ouvrier à proximité. Le responsable de la sécurité du site de production, acquitté en première instance mais reconnu coupable d’homicide par négligence par le tribunal cantonal, interjette recours auprès du TF.
Le TF rappelle les principes juridiques relatifs à l’art. 117 CP (homicide par négligence) et aux infractions par omission de même que les obligations de protection de l’employeur en vertu des articles 328 al. 1 CO et 3 al. 1 OPA (consid. 3.2.1 à 3.2.4). Il souligne ensuite que l’art. 29 al. 1 OPA traite spécifiquement du danger d’incendie et d’explosion et relève que les exploitants d’installations techniques dangereuses sont en principe tenus de veiller, par des dispositifs de sécurité appropriés, à ce que les risques d’accidents spécifiques liés à l’exploitation de l’installation puissent être évités dans la mesure du possible. L’arrêt relève que, dans le cas d’espèce, la production du composant chimique était une activité dangereuse. Or le recourant n’avait mis aucune mesure en place afin de garantir que les conteneurs non conducteurs soient tous éliminés de l’usine. L’arrêt mentionne également l’absence d’étiquetage des différents conteneurs accessibles aux employés ainsi qu’un défaut de formation du personnel travaillant sur le remplissage des cuves. En outre, le TF relève qu’aucune sensibilisation aux dangers posés par les conteneurs non conducteurs n’avait été instaurée par le recourant. Ce dernier a donc fait preuve de négligence dans la prévention d’éventuels accidents mortels en ne mettant en place qu’une seule mesure de sécurité, consistant en la vérification d’un câble de mise à terre sur les conteneurs, mesure manifestement insuffisante au regard de la dangerosité de l’activité en cause (c. 3.4.3).
Le recourant affirmait qu’il ne pouvait s’attendre à ce qu’un employé ne vérifie pas le câble de mise à terre et ne devait pas compter sur la présence d’un travailleur à proximité de la cuve au cours du remplissage. Après avoir rappelé qu’il n’existe pas de compensation des fautes en droit pénal, le TF relève que le comportement d’un tiers ne peut interrompre le lien de causalité que si cette cause apparaît tout à fait exceptionnelle ou si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Le TF souligne qu’il est incontestable que l’ouvrier en charge du remplissage des cuves savait qu’il aurait dû contrôler le câble de mise à terre en question et qu’il a omis de procéder à cette étape de contrôle prévue dans les instructions de fabrication. Toutefois, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, une telle étape de contrôle peut être facilement ignorée au cours de travaux de routine comportant des tâches répétitives. En ce qui concerne la présence d’un employé à proximité de la cuve, l’arrêt souligne qu’il est notoire que les employés ne se tiennent pas toujours uniquement aux postes de travail qui leur sont attribués et qu’ils se déplacent sur le lieu de travail pour des raisons les plus diverses, par exemple pour aider un collègue ou pour discuter avec quelqu’un (c. 3.5.4).
Le TF rejette l’argument du recourant tiré du principe de la confiance d’après lequel il pouvait s’attendre à ce que les ouvriers en question se conforment aux prescriptions de sécurité instaurées au sein de l’entreprise par ses soins. Ainsi celui qui, comme le recourant, a une responsabilité spécifique de contrôle, doit s’attendre à des erreurs. Le principe de la confiance doit être relativisé lorsque les obligations de diligence en question visent précisément à surveiller, contrôler ou superviser les agissements d’autres personnes, et donc à prévenir leur comportement fautif.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains

ATF 149 IV 273, TF 6B_1108/2021 du 27 avril 2023
Aide sociale; perception de prestations indues, cas de peu de gravité; art. 148a al. 2 CP
Dans le cas d’une personne bénéficiaire de l’aide sociale ayant omis avoir perçu des avoirs de libre passage à hauteur de CHF 18'400.-, le TF a été amené à définir la notion de cas de peu de gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP. La distinction entre l’art. 148a al. 1 et al. 2 CP est essentielle, dans la mesure où une condamnation en vertu de l’art. 148a al. 1 CP est un cas d’expulsion obligatoire au sens de l’art. 66a CP, alors que ce n’est pas le cas si la condamnation est prononcée en application de l’art. 148a al. 2 CP.
Le TF délimite le champ d’application des deux alinéas en indiquant que si le montant du délit est inférieur à CHF 3'000.-, il s’agit toujours d’un cas de peu de gravité ; à l’inverse, s’il est supérieur à CHF 36'000.- il ne s’agit en règle générale plus d’un cas de faible gravité. Dans l’intervalle entre ces deux montants, un examen approfondi des circonstances du cas d’espèce est nécessaire. Une obtention illicite de prestations durant une courte période, un comportement ne traduisant pas une intention marquée d’enfreindre la loi, une motivation ou des buts compréhensibles, sont autant d’indices d’une faible culpabilité. En cas de procédé astucieux, il conviendrait avant toute chose d’examiner si les éléments constitutifs d’une escroquerie sont réalisés, auquel cas l’expulsion devrait obligatoirement être ordonnée.
En l’espèce, la personne bénéficiaire n’a passé sous silence qu’un seul montant, et s’est expliquée à première réquisition. Elle a produit toutes les pièces justificatives demandées. L’intention d’enfreindre la loi étant ici peu marquée, il s’agit d’un cas de faible gravité, de sorte que l’expulsion ne peut être ordonnée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_489/2022 du 27 avril 2023
Prestations complémentaires à l’AVS/AI; procédure, conflit négatif de compétence ratione loci; art. 58 al.1 LPGA
L’enfant bénéficiaire de prestations complémentaires en lien avec une rente pour enfant d’invalide n’est ni la personne assurée, ni une autre partie à la procédure au sens de l’art. 58 al. 1 LPGA, disposition qui règle la question de la compétence territoriale des tribunaux cantonaux des assurances. En cas de litige portant sur des prestations complémentaires pour enfant d’invalide, le tribunal des assurances du canton de domicile du bénéficiaire de la rente de base (« Stammrente ») est territorialement compétent. Dans le cas présent, il s’agit du tribunal des assurances du canton du domicile de la mère bénéficiaire de la rente d’invalidité (c. 3.3).
Auteur : Eric Maugué


TF 8C_689/2022 du 26 avril 2023
Assurance-chômage; indemnité pour insolvabilité, personne dirigeante; art. 31 al. 3 let. c et 51 al. 2 LACI
L’art. 51 al. 2 LACI limite le droit à l’indemnité pour cause d’insolvabilité des personnes jouissant d’une position dirigeante de fait ou de droit dans une entreprise. On applique les mêmes principes et la même jurisprudence qu’en matière d’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (art. 31 al. 3 let. c LACI).
Si la personne concernée a une position dirigeante de par la loi (par ex. : associée d’une Sàrl, membre du conseil d’administration d’une SA), elle fait d’emblée partie des personnes qui sont exclues du cercle des ayants droit aux indemnités susmentionnées. Lorsque la personne concernée ne jouit pas d’une telle position, il faut prendre en compte la structure interne de l’entreprise. Ainsi, ce n’est pas parce que l’employé ne dispose d’aucune signature qu’il ne dispose pas d’un certain pouvoir décisionnel et influent.
En l’espèce, le TF renverse un arrêt cantonal zurichois, car l’employé était gérant, certes sans pouvoir de signature. Il avait toutefois une influence effective et importante sur la marche de l’entreprise. Dans ces conditions, le droit à une indemnité pour insolvabilité n’est pas ouvert.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

TF 4A_168/2023 du 21 avril 2023
Responsabilité aquilienne; dommage, fardeau et ampleur de l’allégation; art. 42 al. 2 CO
Le TF rappelle que même dans le champ d’application de l’art. 42 al. 2 CO et indépendamment de la méthode d’évaluation du dommage, le demandeur doit exposer toutes les circonstances auxquelles il a accès et sur la base desquelles le tribunal peut éventuellement estimer le dommage. L’art. 42 al. 2 CO ne libère pas le demandeur de la charge de fournir au juge, dans la mesure où cela est possible et où on peut l‘attendre de lui, tous les éléments de fait qui constituent des indices de l’existence du dommage et qui permettent ou facilitent son estimation ; il n’accorde pas au lésé la faculté de formuler sans indications plus précises des prétentions en dommages-intérêts de n’importe quelle ampleur.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 4A_557/2022 du 18 avril 2023
Assurances privées; procédure, légitimation passive, for, maxime inquisitoire, fardeau de l’allégation, fardeau de la preuve; art. 95a LCA; 7, 32 et 243 CPC
Dans le cadre d’une procédure ayant pour objet la restitution d’indemnités journalières maladie, un employé assuré par le biais d’un contrat collectif conclu par son employeur recourt au TF en contestant notamment sa légitimation passive ainsi que le for de l’art. 32 CPC sur lequel s’est fondé l’autorité inférieure pour statuer.
Le TF rappelle que l’art. 95a LCA (anciennement art. 87a LCA) prévoit que la personne en faveur de laquelle une assurance-maladie collective a été conclue dispose, dès la survenance de la maladie, d’un droit propre contre l’entreprise d’assurance. Si l’employeur conclut une assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, l’employé est ainsi l’ayant droit de la prestation d’assurance. A l’inverse, l’assureur est habilité à faire valoir d’éventuelles prétentions en restitution directement contre la personne assurée par un contrat collectif (c. 3.2).
Le TF renonce à se prononcer sur la question du for de l’art. 32 CPC dans la mesure où, même si l’on suivait le point de vue du recourant et que l’on considérait qu’il n’y avait pas de contrat de consommation, le recourant aurait dû être poursuivi en tous les cas en tant que partie défenderesse au for de son domicile, ce qui a été le cas en l’espèce (c. 4.1).
Finalement, le TF rejette le grief de violation des articles 7 et 243 CPC invoqué par le recourant. Selon ce dernier, l’intimée aurait invoqué l’ensemble du dossier sans aucune justification, ce qui devrait être considéré comme insuffisant, même au regard de la maxime inquisitoire sociale. A cet égard, le TF considère suffisante comme justification des prétentions l’énumération au chiffre 27 de la réplique des indemnités journalières versées sous forme de tableau et l’offre de preuve par la mention de la pièce correspondante au dossier. Il considère ainsi infondé le grief selon lequel l’intimée n’aurait pas suffisamment prouvé ses prétentions (c. 4.2).
Auteure : Tania Francfort, Titulaire du brevet d’avocat


TF 8C_57/2023 du 17 avril 2023
Assurance-chômage; aptitude au placement, obligation de diminuer le dommage, personne en formation; art. 8 et 15 LACI
Dans cet arrêt, le TF est amené à examiner l’aptitude au placement d’un assuré suivant une formation universitaire.
L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective (d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue) et n’est pas sujette à fractionnement. Lorsqu’un assuré est disposé à n’accepter qu’un travail à temps partiel (d’un taux d’au moins 20 %), il convient d’admettre l’aptitude au placement de l’intéressé dans le cadre d’une perte de travail partielle (et non une aptitude au placement partielle pour une perte de travail de 100 %). Ainsi, c’est sous l’angle de la perte de travail à prendre en considération qu’il faut, le cas échéant, tenir compte du fait qu’un assuré au chômage ne peut ou ne veut pas travailler à plein temps.
Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, être objectivement disposé – et être en mesure de le faire – à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Il faut que la volonté de l’assuré se traduise – pendant toute la durée du chômage – par des actes (une simple allégation de celui-ci ne suffit pas). La disponibilité d’un assuré à l’exercice d’un emploi salarié et au suivi d’une mesure du marché du travail s’examine d’après toutes les circonstances concrètes, en tenant compte du caractère vraisemblable de la possibilité d’interrompre la formation dans de brefs délais et de la volonté de l’assuré de le faire.
Le devoir de diminuer le dommage à l’assurance-chômage oblige l’assuré qui fait valoir des prestations à élargir le champ de ses recherches d’emploi – au besoin et assez rapidement – à d’autres activités que celles exercées précédemment et à accepter en règle générale immédiatement tout travail convenable.
Vu que l’aptitude au placement doit être évaluée de manière prospective et compte tenu des exigences sévères du devoir de limiter le dommage, le TF confirme l’appréciation de la cour cantonale, laquelle a retenu une aptitude de placement de 60 %, sur la base de la grille horaire des cours de la formation, et en déduisant des affirmations de l’assuré – selon lesquelles il était prêt à renoncer à sa formation d’une durée de quatre semestres s’il se présentait un emploi à plein temps ou était assigné à une mesure de l’ORP – qu’il n’aurait pas été prêt à interrompre sa longue formation à bref délai (à l’exception des réserves émises). En effet, à l’examen de l’ensemble des circonstances liées à la formation universitaire suivie par le recourant, il a été jugé inconcevable que celui-ci trouve un emploi à un taux de 100 %, voire 75 %, ni qu’un employeur s’accommode des horaires imposés par sa formation.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel

TF 9C_549/2022 du 12 avril 2023
Prestations complémentaires à l’AVS/AI; renonciation aux prestations d’assurance; Art. 23 LPGA
En 2021, une bénéficiaire de rente AI demande à renoncer aux PC dont elle bénéficie pour éviter que ses héritiers ne soient amenés à les rembourser.
Il ne doit pas être tenu compte des faits survenus postérieurement à la décision sur opposition. Ces faits doivent faire l’objet d’une nouvelle procédure administrative (c. 6.1)
La cour cantonale ayant constaté que le revenu de l’assurée se monte à CHF 1'931.00, qu’elle ne dispose pas de liquidités suffisantes et disponibles rapidement pour faire face à ses dépenses et qu’elle risque donc de léser les intérêts de l’aide sociale et de ses proches, le TF confirme la décision cantonale mettant en évidence l’existence d’un préjudice pour l’aide sociale au sens de l’art. 23 al. 2 LPGA (c. 6.2).
Les conditions pour protéger la bonne foi de la recourante, qui fait valoir que sa conseillère lui aurait garanti en 2015 qu’elle ne devrait jamais rembourser les PC perçues, ne sont pas données car elles supposent que la loi n’ait pas changé depuis le moment où la garantie a été donnée. Tel est le cas ici dans la mesure où la loi a changé avec entrée en vigueur le 1er janvier 2021 (c. 6.3).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

ATF 149 V 108, TF 9C_512/2022 du 6 avril 2023
Assurance-maladie; « Listes noires », moment de l’inscription, procédure cantonale (Aarau); art. 64a al. 7 LAMal
La question litigieuse est celle de savoir à partir de quelle date la personne assurée peut être inscrite sur la liste tenue par le canton d’Argovie de personnes n’ayant pas payé leurs primes et faisant l’objet de poursuites (« liste noire »). Le droit argovien prévoyant que cette inscription peut intervenir à l’échéance d’un délai de 30 jours dès la « communication de la poursuite » (« Betreibungsmeldung »), les premiers juges avaient retenu, suivant en cela la personne assurée, que le délai de 30 jours courait depuis la date de la notification du commandement de payer.
Procédant à l’interprétation du droit cantonal selon les méthodes usuelles, le TF parvient à la conclusion que le droit argovien n’est pas formulé de manière aussi restrictive, et que la solution des juges cantonaux est arbitraire. Sur la base des travaux préparatoires, mais également de son texte, qui ne reprend pas la formulation du droit des poursuites, ou encore du but de la norme, il fallait ici comprendre que le législateur argovien entendait faire partir le délai de 30 jours depuis le moment où la personne assurée avait été informée que des poursuites allaient être engagées à son encontre en raison de primes ou de participations impayées, et non depuis la notification formelle d’un commandement de payer.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


ATF 149 V 119, TF 9C_534/2021 du 4 avril 2023
Assurance-maladie; calcul du remboursement des recettes de médicaments, droit transitoire; art. 18 et 32 LAMal; 65b, 65d, 65f et 67 OAMal; 37e OPAS; LS
A. SA est titulaire de l’autorisation de mise sur le marché du médicament C., lequel figure sur la liste des spécialités pharmaceutiques et des médicaments confectionnés avec prix (LS) depuis le 1er août 2014. L’examen d’économicité requis avait alors été effectué sur la base d’une comparaison thérapeutique transversale (CTT) et d’une comparaison avec les prix pratiqués à l’étranger (CPE). Sur demande de A. SA en vue du réexamen périodique triennal des conditions d’admission à la LS, l’OFSP a baissé le prix du médicament C. de 30 % au 1er janvier 2018. Le 3 septembre 2018, l’OFSP a ordonné le remboursement des recettes supplémentaires en se fondant sur une CTT et une CPE. Le litige porte sur la question de savoir si l’instance inférieure a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’OFSP par laquelle le montant du remboursement a été calculé sur la base tant d’une CPE que d’une CTT, et non pas seulement d’une CPE (c. 2.1).
Au moment de l’admission du médicament C. dans la LS au 1er août 2014, la différence entre le prix de fabrique lors de l’admission et celui après la baisse de prix était généralement calculée exclusivement sur la base d’une CPE (c. 2.2.1). La prise en compte régulière de la CTT dans le cadre de l’examen périodique triennal des conditions d’admission a été introduite – dans le sillage de l’ATF 142 V 26 – de manière explicite dans l’OAMal et l’OPAS avec les révisions du 1er février 2017 (c. 2.3).
Le TF rappelle que lors de l’introduction du médicament C. le 1er août 2014, le prix de fabrique a été fixé sur la base d’une CPE et d’une CTT, ce qui est correct tant selon le droit de l’époque que selon le droit actuel (c. 3.1). Il considère en effet qu’il ne ressort pas des dispositions transitoires relatives aux modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 29 avril et du 21 octobre 2015 que seule une CPE doit être effectuée (c. 3.2.1). Le TF rappelle de plus que l’ATF 142 V 26 a constaté l’illégalité du réexamen triennal du caractère économique d’un médicament basé uniquement sur un CPE – et donc de l’art. 65d al. 1bis OAMal dans sa version en vigueur du 1er juin 2013 au 31 mai 2015 – et a conclu à la nécessité d’effectuer également une CTT (c. 4). Il considère donc qu’au moment de l’admission du médicament C. dans la LS le 1er août 2014, il fallait effectuer non seulement une CPE, mais également une CTT lors du contrôle triennal (c. 5.1).
Concernant le droit transitoire, le TF considère que les dispositions transitoires des modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 29 avril et du 21 octobre 2015 ne permettent pas de conclure que, lors du calcul des éventuelles recettes supplémentaires à restituer dans une constellation comme celle du cas d’espèce (admission de la LS avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l’ordonnance au 1er juin 2015, pas de nouvel examen des conditions d’admission jusqu’à présent), une CTT doit également être effectuée. Cela n’est toutefois pas étonnant car à l’époque l’ATF 142 V 26 n’était pas encore disponible. La question peut donc rester ouverte de savoir si les normes de droit transitoire correspondantes s’appliquent à cet endroit, étant donné que les modifications de l’OAMal et de l’OPAS du 1er février 2017, entrées en vigueur le 1er mars 2017, ne contiennent aucune disposition transitoire sur le thème du remboursement des recettes supplémentaires pour les médicaments (c. 5.3.2).
Selon le TF, le calcul des recettes supplémentaires remboursables sur la base d’une CPE et d’une CTT ne constitue pas une violation du principe de non rétroactivité. Au contraire, il ne fait que mettre en œuvre ce qui aurait déjà dû être conforme à la législation en 2014 (c. 6). En l’absence de violation de l’interdiction de la rétroactivité, le principe de la confiance ne peut pas non plus justifier l’application de la pratique contraire à la loi selon l’ATF 144 V 26, qui consisterait à procéder au contrôle triennal sur la base d’une CPE uniquement (c. 7.2).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 9C_457/2022 du 3 avril 2023
Assurance-invalidité; révision procédurale, délai de péremption; art. 53 al. 1 LPGA; 67 al. 1 PA
Par décision du 15 novembre 2007, l’Office AI pour le canton de Vaud a rejeté la première demande de prestations AI de A. Le 29 août 2013, l’autorité précitée a également rejeté la deuxième demande de prestations déposée par l’assuré, ayant relevée qu’aucun fait médical nouveau n’avait été constaté lors de l’instruction de la demande. En date du 2 septembre 2021, l’Office AI a rejeté la troisième demande de prestations de A. Le Tribunal cantonal a admis le recours de l’assuré et renvoyé la cause dans le sens des considérants. A. forme un recours contre cet arrêt dont il demande l’annulation, concluant principalement à ce qu’il soit admis « la présence d’un motif de révision procédure au sens de l’article 53 al. 1 LPGA des décisions du 15 novembre 2007, respectivement du 29 août 2013 » et subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée à l’office AI pour nouvelle expertise psychiatrique portant sur le droit aux prestations à partir de 2004. Le TF précise que le litige porte uniquement sur la révision procédurale des décisions de l’office AI des 15 novembre 2007 et 29 août 2013, le jugement rendu par le Tribunal cantonal étant une décision partielle au sens de l’art. 9 LTF.
S’agissant des délais applicables en matière de révision, l’art. 53 al. 1 LPGA n’en prévoit pas. En vertu du renvoi prévu par l’art. 55 al. 1 LPGA, sont déterminants les délais applicables à la révision de décisions rendues sur recours par une autorité soumise à la PA. A cet égard, l’art. 67 al. 1 PA prévoit un délai (de péremption) absolu de dix ans dès la notification de la décision sur recours (soit la décision soumise à révision). La jurisprudence a précisé que ce délai absolu de dix ans était aussi applicable lorsque la révision procédurale portait sur une décision de l’administration.
Après dix ans, la révision ne peut être demandée qu’en vertu de l’art. 66 al. 1 PA (art. 67 al. 2 PA). Aux termes de cette disposition, l’autorité de recours procède, d’office ou à la demande d’une partie, à la révision de sa décision lorsqu’un crime ou un délit l’a influencée.
Ainsi, la demande de révision procédurale de la décision du 15 novembre 2007 devait être adressée par écrit à l’autorité qui a rendu la décision dans les 90 jours qui suivaient la découverte du motif de révision, mais au plus tard dix ans après la notification de la décision (art. 67 al. 1 PA en corrélation avec l’art. 55 al. 1 LPGA). En agissant le 5 janvier 2021, soit plus de 13 ans après la notification de la décision du 15 novembre 2007, le recourant a agi tardivement. Il ne prétend par ailleurs pas qu’un crime ou un délit a influencé cette décision (révision « propter falsa », au sens de l’art. 66 al. 1 PA). Dans ces conditions, le droit de demander la révision procédurale de la décision du 15 novembre 2007, fondé sur les irrégularités alléguées de l’expertise psychiatrique du 25 novembre 2005, était périmé au moment où le recourant s’en est prévalu le 5 janvier 2021.
A moins qu’il existe un motif de révision matérielle (art. 17 LPGA), l’autorité de la chose décidée interdit de recommencer la procédure qui a conduit à la décision du 15 novembre 2007 sur le même objet. Pour demander la révision procédurale de la décision du 29 août 2013, le recourant devait invoquer, conformément aux exigences découlant de la sécurité du droit, des faits nouveaux importants ou des nouveaux moyens de preuve qui ne fondaient pas déjà la décision du 15 novembre 2007. La répétition des moyens invoqués tardivement pour demander la révision de la décision du 15 novembre 2007 ne saurait par conséquent ouvrir la voie de la révision « propter nova » de la décision du 29 août 2013.
Par cet arrêt, le TF limite le droit de l’assuré à déposer une demande de révision procédurale au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, en soumettant cette dernière au délai de péremption de dix ans prévu par l’art. 67 al. 1 PA. Toutefois, notre Haute Cour considère qu’un tel délai ne s’applique pas à la révision d’une décision pour un motif matériel, tel que le prévoit l’art. 17 LPGA. Il reste également muet sur la question de savoir si un tel délai s’applique aussi à la révision d’office par l’autorité, prévu également à l’art. 53 al. 1 LPGA.
Auteur : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne


TF 9C_510/2022 du 30 mars 2023
Assurance-invalidité; mesures médicales de réadaptation, traitement de durée indéterminée; art. 12 LAI
Le TF confirme que les mesures médicales de réadaptation doivent notamment permettre d’atteindre un résultat certain dans un laps de temps déterminé. En l’espèce, l’enfant est âgé de moins de dix ans et il ressort des constats médicaux que les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie devront se poursuivre jusqu’à la fin de sa croissance et de son développement, soit au-delà de sa majorité, sans aucune autre précision quant à la durée du traitement. En conséquence, le droit à la prise en charge de ces traitements par l’AI doit être nié, quand bien même l’enfant bénéficie d’une API et quand bien même les traitements lui seraient profitables. La notion de pronostic favorable n’a ici pas à être investiguée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 149 IV 116, TF 6B_208 et 209/2021 du 29 mars 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles simples par négligence, devoir de diligence, faute dans l’acceptation d’une tâche acceptation du risque, entrave à la circulation publique; art. 125 al. 1 et 237 CP
Lors d’un vol d’examen de parapente en tandem, dans la phase d’approche transversale en vue de l’atterrissage, A. a freiné fortement en tirant sur les deux drisses de frein, puis sur celle actionnant le frein gauche, et a provoqué le décrochage puis la chute du parapente. Le passager B. a subi des lésions. A. a été reconnu coupable de lésions corporelles simples par négligence. Il a cependant été acquitté du chef d’accusation d’entrave à la circulation publique. A. et le Ministère public de la Confédération recourent au TF.
Se référant au jugement cantonal, le TF rappelle que pour déterminer l’étendue de la diligence à observer lors d’un vol plané en tandem, il y a lieu de se référer tout d’abord aux dispositions légales relatives à l’aviation, en particulier à l’ordonnance du DETEC du 24 novembre 1994 sur les aéronefs de catégories spéciales (OACS), à l’ordonnance du DETEC du 20 mai 2015 concernant les règles de l’air applicables aux aéronefs (ORA), à l’ordonnance du 22 janvier 1960 sur les droits et obligations du commandant de bord d’un aéronef (OCdt), aux directives de la Fédération suisse de vol libre (FSVL) du 1er septembre 2015 concernant l’examen d’aptitude pour pilotes de biplace en parapente niveau 1, aux documents théoriques remis pour l’examen et aux connaissances et aptitudes personnelles du pilote. En outre, conformément à l’art. 5a OACP, les dispositions de l’annexe du règlement d’exécution (UE) n° 923/2012 de la Commission européenne du 26 septembre 2012 (Standardised European Rules of the Air, SERA) sont applicables (c. 3.2).
Le TF rappelle ensuite qu’agit par négligence celui qui, par imprévoyance coupable, n’a pas réfléchi aux conséquences de son comportement ou n’en a pas tenu compte. L’imprévoyance est coupable lorsque l’auteur n’a pas pris les précautions auxquelles il était tenu en raison des circonstances et de sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP). Un comportement est considéré comme imprudent si, au moment de l’infraction, l’auteur aurait pu et dû reconnaître la mise en danger des intérêts juridiques de la victime sur la base des circonstances ainsi que de ses connaissances et compétences et s’il a en même temps dépassé les limites du risque autorisé. Lorsque des normes particulières de prévention des accidents et de sécurité imposent un certain comportement, la mesure de la diligence à observer se détermine en premier lieu d’après ces prescriptions. En l’absence de telles règles, le reproche de négligence peut se baser sur des règles de comportement généralement reconnues d’associations privées ou semi-privées ou sur des principes généraux de droit tels que le devoir de prudence face à une situation dangereuse. La prudence à laquelle un auteur est tenu est finalement déterminée par les circonstances concrètes et sa situation personnelle. L’imprévoyance coupable peut également être fondée sur le fait pour le prévenu d’accepter d’accomplir une tâche qu’il n’est manifestement pas en mesure d’accomplir en raison de sa situation personnelle, notamment de sa formation (Übernahmeverschulden). Dans ce cas, la violation de la diligence ne réside pas dans le fait que le prévenu se comporte de manière imprudente et contraire à ses devoirs dans le cadre d’une activité, mais plutôt dans le fait qu’il exerce cette activité alors qu’il aurait pu se rendre compte qu’il n’était pas à la hauteur (c. 3.3).
En l’espèce, le recourant A. affirme qu’au moment de l’accident, il ne pouvait pas se rendre compte de sa vitesse trop basse en raison des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités encore insuffisantes en tant que pilote biplace. Ce serait en effet lors de l’examen pratique qu’il serait possible de vérifier si le sentiment de vol, en particulier en lien avec la vitesse minimale, est suffisamment développé. Le TF relève que dans la mesure où le recourant fait valoir qu’il n’était pas (encore) en mesure d’évaluer la vitesse de vol adéquate en raison de son manque d’expérience, on peut, contrairement à son opinion, lui imputer une faute ou une négligence (Übernahmeverschulden). En effet, il n’est pas contesté que l’apprentissage du vol en zone de vitesse de sécurité et la problématique de la vitesse minimale de vol font l’objet d’une formation théorique et pratique dans le cadre de la formation de pilote solo et tandem. Selon les explications non contestées de l’expert, chaque candidat est conscient du fait qu’un examen sera interrompu et considéré comme échoué au moindre signe de décrochage. Le vol d’examen est en outre le premier vol du candidat sous sa propre responsabilité, au cours duquel il n’existe en principe pas de liaison radio avec un instructeur de vol. Le candidat assume donc (pour la première fois) seul une grande partie de la responsabilité d’un passager, ce qui rend essentielle la garantie d’une expertise aéronautique suffisante. En outre, conformément au ch. 4.1.3. des directives FSVL, les candidats à l’examen confirment, par leur signature sur le procès-verbal d’examen remis avant celui-ci, qu’ils ont pris connaissance des directives FSVL et qu’ils s’estiment prêts à passer l’examen. Une inscription à l’examen ne doit donc avoir lieu que lorsqu’un candidat est convaincu d’avoir les capacités nécessaires pour passer l’examen – dont fait partie, selon les directives FSVL, l’atterrissage. Le vol d’examen ne semble en effet pas approprié pour « tester » le niveau de formation actuel du pilote. Le recourant ne peut donc pas, après avoir confirmé de manière expresse qu’il était prêt à passer l’examen, se disculper d’une erreur de vol telle que celle commise en l’espèce en faisant référence à son inexpérience ou à son sens du vol insuffisamment développé. Avant de s’inscrire à l’examen, il aurait dû s’assurer qu’il disposait des compétences aéronautiques nécessaires pour passer l’examen en toute sécurité, et il doit se voir imputer son manque d’expérience de vol (c. 3.4).
Le recourant A. soutient ensuite que le passager B. aurait délibérément consenti à une situation de risque accru. Le TF rappelle que pour délimiter les risques illicites des risques encore autorisés dans le sport, il faut se référer aux règles du jeu applicables à la compétition en question. Les différentes approches proposées dans la doctrine ont en commun le fait qu’en cas de réalisation du risque de base spécifique à la discipline sportive, il convient de renoncer à une sanction pénale. Toutefois, plus les règles servant à la protection physique des joueurs sont violées de manière flagrante, moins on peut parler de la réalisation d’un risque spécifique au jeu et plus la responsabilité pénale du joueur devient envisageable. S’agissant du parapente, il n’y a pas de « règles du jeu », mais les bases légales pertinentes rappelées ci-dessus s’appliquent. En particulier, le ch. 3101 SERA stipule qu’un aéronef ne doit pas être exploité d’une façon négligente ou imprudente pouvant entraîner un risque pour la vie ou les biens de tiers. Conformément à l’art. 6 al. 1 OCdt, le commandant est tenu de prendre, dans les limites des prescriptions légales, des instructions données par l’exploitant de l’aéronef et des règles reconnues de la navigation aérienne, toutes les mesures propres à sauvegarder les intérêts des passagers, de l’équipage, des ayants droit à la cargaison et de l’exploitant de l’aéronef. Les points 4.1.1 à 4.1.5 des directives FSVL définissent les conditions objectives et subjectives à remplir avant de se présenter à l’examen pratique. En outre, le principe est qu’un expert peut interrompre un examen à tout moment si un candidat est manifestement insuffisamment préparé ou s’il met en danger sa sécurité ou celle de tiers (ch. 4.10 des directives FSVL). Ces normes et règles peuvent être prises en compte pour l’évaluation des risques typiques de la discipline sportive in casu. En omettant de respecter une vitesse minimale adéquate, le recourant a mis en danger la santé et la sécurité de son passager, en violation des prescriptions susmentionnées. Il s’ensuit qu’une erreur d’appréciation de la vitesse n’est pas un simple écart mineur par rapport aux règles reconnues de l’art du vol. Il ne s’agit donc pas de la concrétisation d’un risque typique de la discipline dans le cadre de vols d’examen en parapente, sous la forme d’une légère infraction aux règles de l’art du vol, dont le passager B. aurait éventuellement dû se voir imputer la responsabilité (c. 3.5).
Le TF examine ensuite la question de savoir si un vol en parapente en tandem peut être considéré comme une infraction au sens de l’art. 237 CP (entrave à la circulation publique). Après un rappel très détaillé de l’évolution de la jurisprudence et des avis de doctrine en la matière, le TF revient sur sa jurisprudence actuelle et renoue avec sa jurisprudence initiale en retenant que la personne mise en danger ou lésée au sens de l’art. 237 CP doit représenter la collectivité et, dans ce but, l’identité de la victime concrètement mise en danger ou lésée ne doit dépendre que du hasard. C’est cette atteinte supra-individuelle de la collectivité qui légitime la pénalisation supplémentaire d’un comportement qui met en danger ou porte atteinte aux intérêts juridiques individuels. En d’autres termes, la victime au sens de l’art. 237 CP ne peut être que l’usager de la circulation publique qui est touché par hasard par la mise en danger de l’auteur et qui représente ainsi la collectivité par rapport à l’auteur. En l’occurrence, B. s’est délibérément rendu disponible en tant que passager, si bien qu’il ne peut pas être considéré comme une personne atteinte par hasard par le danger spécifique que représente la circulation publique. Par rapport au pilote du parapente, B. ne représente pas la « collectivité ». Une condamnation pour entrave à la circulation publique n’entre donc pas en ligne de compte (c. 5.2).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne



ATF 149 V 129, TF 8C_382/2022 du 27 mars 2023
Assurances-accidents; rente complémentaire, limite de surindemnisation, pas de prise en compte des frais d’avocat; art. 20 al. 2 LAA; 69 al. 2 LPGA
Une assurée s’est vu réclamer par l’assureur-accidents, au titre de la restitution de rentes d’invalidité complémentaires versées en trop, un montant de CHF 24'416.55, après que l’assurance-invalidité lui a accordé rétroactivement une rente d’invalidité complète, en lieu et place d’une rente d’invalidité de 50 %. L’assurée a opposé à la restitution les frais d’avocats qu’elle avait encourus à la suite du sinistre à l’origine de son invalidité, soit un montant de CHF 27'770.95. Dans cette décision, la Haute Cour a considéré qu’un tel montant n’était pas opposable à l’assureur-accidents. En effet, contrairement à ce que prévoit l’art. 69 al. 2 LPGA, l’art. 20 al. 2 LAA ne laisse aucune place pour intégrer d’autres postes de dommages que le gain assuré dans le calcul de surindemnisation. En clair, l’art. 20 al. 2 LAA prévaut, en tant que disposition spéciale, sur la règle générale fixée à l’art. 69 LPGA.
Auteur : Guy Longchamp


TF 2E_6/2021 du 23 mars 2023
Responsabilité de l’Etat; mesures de fermeture liées au Covid-19, manque à gagner d’un fitness, action en responsabilité contre la Confédération; art. 6 al. 2 let. d O 2 Covid-19; 120 al. 1 let. c LTF; 3 al. 1 LRCF
A. SA, une entreprise qui gère des fitness, a été forcée à la fermeture du 17 mars au 10 mai 2020, puis du 22 décembre 2020 au 18 avril 2021, dans le cadre de la crise sanitaire. A. SA a adressé une demande en réparation du dommage à la Confédération pour le manque à gagner estimé à CHF 259'245.-. Cette demande a ensuite été portée devant le TF.
En sa qualité d’instance unique, le TF n’est compétent que pour connaître des actions en dommages-intérêts basée sur la Loi sur la responsabilité, c’est-à-dire des actions pour actes illicites, et non pas des demandes d’indemnisation en équité basée sur l’art. 63 LEp ou encore des demandes en responsabilité pour actes licites. Pour ces deux dernières hypothèses, le lésé doit demander à l’autorité de statuer par la voie de la décision attaquable. La compétence du Tribunal fédéral basée sur l’art. 120 al. 1 let. c LTF ne doit pas être interprétée de manière extensive. Les prétentions de la recourante basée sur l’art. 63 LEp, respectivement sur la responsabilité pour actes licites, ne sont donc pas examinées (c. 1.2 et 4).
Pour que la Confédération soit tenue de réparer le dommage sur la base de la Loi sur la responsabilité, il appartient au lésé de prouver l’existence d’un acte illicite, d’un dommage et d’un lien de causalité entre l’un et l’autre (art. 3 al. 1 LResp) (c. 1.1 et 4.2).
En cas de préjudice purement économique, celui-ci ne peut donner lieu à réparation que lorsque l’acte dommageable viole une norme qui a pour finalité de protéger le lésé dans les droits atteints par l’acte incriminé (illicéité de comportement) (c. 5.1). Savoir si une telle norme existe en l’espèce est une question pouvant restée ouverte (c. 5.3).
En effet, selon la recourante, ce serait en décrétant la fermeture des fitness par voie d’ordonnance que le Conseil fédéral aurait commis un acte illicite. Or, seule une violation particulièrement crasse du devoir de fonction ou une erreur particulièrement lourde pourrait engager la responsabilité du Conseil fédéral en lien avec l’élaboration d’une ordonnance (c. 6.2).
Une telle violation crasse du devoir de fonction ne peut pas être reprochée au Conseil fédéral en lien avec les ordres de fermeture des fitness ancrés à l’art. 6 al. 2 let. d de l’O 2 Covid-19 et 5d al. 1 let. b O Covid-19 situation particulière. Ces mesures n’étaient pas disproportionnées dans le contexte de l’époque. La responsabilité de la Confédération ne peut donc pas être engagée en raison de ces actes (c. 7).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

TF 6B_47/2021 du 22 mars 2023
Responsabilité aquilienne; faute, causalité, homicide par négligence, position de garant; art. 12 al. 3 et 117 CP
Une boulangerie confie à une entreprise de peinture le soin de repeindre son conteneur à ordures métallique comportant à l’avant un dispositif permettant de verser les déchets et à l’arrière une trappe servant à les vider (Müll-Press-Box). Elle en informe son employé (ci-après : l’intimé). Le 26 mai 2015, l’employé de l’entreprise de peinture effectue les travaux de peinture sur le conteneur stationné sur le quai de chargement de la boulangerie. A cette occasion, il demande à un employé de la boulangerie de l’aider à ouvrir le couvercle de déchargement de la benne, qui pèse environ 220 kg. L’employé de la boulangerie demande à son supérieur, l’intimé, si lui ainsi qu’une autre personne peuvent aider le peintre à ouvrir la trappe en question et s’ils peuvent utiliser le transpalette électrique à cet effet. L’intimé l’autorise en précisant que la porte de déchargement doit être sécurisée lors de son ouverture. Lors de la manœuvre, la porte de déchargement du conteneur glisse des extrémités des fourches du transpalette et se referme, touchant le peintre à la tête. Celui-ci subi de très graves blessures à la tête et décède sur le lieu de l’accident. L’intimé est reconnu coupable d’homicide par négligence par le tribunal de première instance puis acquitté en seconde instance. La partie plaignante recourt au TF faisant valoir que l’intimé avait une position de garant vis-à-vis du peintre et qu’il aurait en outre violé son devoir de diligence (c. 3).
Le TF commence par rappeler que pour qu’une personne soit déclarée coupable d’homicide par négligence, il faut que l’auteur ait causé le résultat en violant un devoir de diligence et que, ce n’est que si celui-ci se trouve dans une position de garant, qu’il est possible de déterminer l’étendue du devoir de diligence et les actes concrets qu’il est tenu d’accomplir en vertu de ce devoir de diligence (c. 3.3.2 et 3.3.3).
Il examine ensuite la question de savoir si l’intimé avait une position de garant vis-à-vis du peintre et dans l’affirmative s’il a violé son devoir de diligence et considère que la décision attaquée viole le droit fédéral (c. 5). Le TF relève que lorsque l’intimé, dans le cadre de ses tâches contractuelles de responsable de la sécurité de l’entreprise, est sollicité pour autoriser une activité déterminée, il assume, en tant que responsable de la sécurité de l’entreprise, la responsabilité de ce projet en autorisant ou en n’interdisant pas une activité concrète – comme en l’occurrence l’ouverture manuelle et en partie mécanique de la trappe de déchargement du conteneur. Par conséquent, pour l’activité qu’il a autorisée ou n’a pas interdite, il devait également veiller à la sécurité au travail du peintre, même s’il s’agissait d’une personne extérieure à l’entreprise. Partant et selon le TF, l’intimé a étendu son obligation contractuelle de garant aux autres personnes impliquées dans le projet d’ouverture de la trappe. Cette position de garant a été établie par une prise en charge effective (c. 5.3).
Le TF conclut qu’en faisant preuve de la diligence requise, il aurait été tenu d’interdire l’ouverture non conforme de la trappe de déchargement ou, du moins, de procéder personnellement à une évaluation des risques sur place. En n’interdisant pas ou en autorisant cette procédure d’ouverture non conforme aux règles de l’art et en ne se rendant pas sur place pour s’assurer de la sécurité de l’ouverture de la porte de déchargement, il n’a pas fait preuve de la diligence requise et raisonnable dans les circonstances concrètes. C’est précisément la tâche d’un responsable de la sécurité d’informer, le cas échéant, les personnes concernées des éventuels dangers et de faire prendre les mesures de sécurité appropriées. En se limitant à indiquer que la porte de déchargement devait être sécurisée lors de son ouverture, l’intimé n’a pas rempli ses obligations (c. 5.4).
Le TF admet dès lors le recours et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour l’examen des éléments constitutifs de l’homicide par négligence qu’elle n’avait pas encore examinés (c. 5.5).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Etoy



TF 6B_239/2022 du 22 mars 2023
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; raute, distance par rapport au piéton, juste indemnité; art. 34 al. 4 LCR; 433 al. 2 CPP
Il est pénalement reproché à l’automobiliste impliqué de ne pas avoir adapté sa vitesse (30-35 km/h) et d’être passé trop près d’un piéton situé au bord ou à proximité du trottoir, avant de lui passer sur le pied droit avec sa roue arrière droite.
Le TF rappelle que la distance nécessaire par rapport à un piéton ne peut pas être fixée une fois pour toutes en chiffres. Elle se détermine notamment en fonction de la largeur de la route. Selon les circonstances, une distance de 50 cm peut être admissible en cas de ruelle étroite et de vitesse modérée permettant un arrêt immédiat. En l’espèce, l’automobiliste a bien violé l’art. 34 al. 4 LCR car il devait se rendre compte que le piéton qui lui tournait le dos avait son attention complètement accaparée par un véhicule de livraison et qu’une distance aussi faible ne permettrait pas d’éviter une collision. L’automobiliste conteste en vain le taux de responsabilité de 100 % qui lui incombe car son recours ne contient pas suffisamment d’éléments permettant de remettre en cause ce taux de responsabilité.
Par contre, concernant la juste indemnité au sens de l’art. 433 al. 2 CPP, c’est à tort que la note d’honoraires de l’avocat du lésé n’a pas été communiquée – ni même ses conclusions civiles – à l’avocat de l’automobiliste prévenu. Ainsi ce dernier a été privé de l’occasion de se déterminer sur la quotité de l’indemnité pour les dépenses obligatoires de la partie lésée, ce qui constitue une violation de son droit d’être entendu. De plus, aucun examen de cette note d’honoraires ne semble avoir été effectué par l’instance inférieure. Le recours est donc recevable sur ce point et l’affaire renvoyée à l’instance inférieure pour qu’elle se détermine sur la juste indemnité de partie.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion


ATF 149 V 49, TF 8C_583/2022 du 22 mars 2023
Assurance-invalidité; procédure judiciaire cantonale, recours, légitimation active des services sociaux, notion d’assistance régulière, délai de recours; art. 34 al. 1 PA; 55 al. 1 et 59 LPGA; 66 al. 1 RAI
La qualité pour recourir au tribunal cantonal contre une décision de l’office AI est régie par l’art. 59 LPGA. Selon cette disposition, « quiconque est touché par la décision ou la décision sur opposition et a un intérêt digne d’être protégé à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, a qualité pour recourir ». La qualité pour recourir des services sociaux ne découle pas déjà du fait qu’ils fournissent des prestations d’aide qui sont subsidiaires aux prestations sociales auxquelles la personne assurée a éventuellement droit. Il faut un lien particulier et concret avec l’affaire, ou une proximité toute particulière. C’est notamment le cas lorsque les services sociaux ont déposé la demande de prestations au nom de la personne assistée (c. 5.2).
Conformément à l’art. 66 RAI, l’exercice du droit aux prestations de l’assurance-invalidité appartient à la personne assurée ou à son représentant légal, ainsi qu’aux autorités ou tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente. En l’espèce, la personne assistée avait reçu de l’aide à concurrence d’environ CHF 48'000.- entre mars 2021 et mars 2022. Au moment de la décision entreprise, elle recevait une aide d’environ CHF 2'300.- par mois. Le fait que l’aide sociale ait pu, pendant un temps assez bref, être remboursée par le chômage, ne change rien au fait qu’en l’espèce, la personne assurée était régulièrement assistée par les services sociaux, ce qui confère à ces derniers la qualité pour recourir.
Le TF rappelle par ailleurs qu’une décision doit être notifiée à toutes les personnes légitimées à recourir. La décision n’ayant, en l’espèce, pas été communiquée aux services sociaux, le délai de recours a été respecté dans la mesure où ces derniers ont agi dans les 30 jours après avoir pris connaissance de la décision (c. 3).
Auteur : Anne-Sylvie Dupont


ATF 149 V 224, TF 8C_620/2022 du 16 mars 2023
Assurance-accidents; rrais de traitement, prise en charge après la fixation de la rente, âge de référence AVS, interprétation de la norme; art. 10 et 21 al. 1 let. c LAA; 15 OLAA
Il s’agit de déterminer si une personne accidentée invalide à 41 % des suites de l’accident, qui s’est vu reconnaître le droit à des séances de physiothérapie après la fixation de la rente en application de l’art. 21 al. 1 let. c LAA, voit son droit maintenu après qu’elle a atteint l’âge de référence AVS, ou si, au contraire, l’assureur LAA était en droit de mettre un terme à cette prestation à ce moment-là.
Le litige porte sur l’interprétation de la condition du besoin « pour conserver sa capacité résiduelle de gai » posée par l’art. 21 al. 1 let. c LAA. Il s’agit de savoir si cette condition suppose que l’on puisse encore exiger de la personne assurée qu’elle exploite effectivement sa capacité résiduelle de gain, ce qui n’est plus le cas lorsqu’elle a atteint l’âge de référence.
Le TF rappelle dans un premier temps le champ d’application respectif des quatre hypothèses permettant, selon l’art. 21 LAA, de maintenir le droit à la prise en charge de traitements médicaux après que le droit à la rente a été fixé, étant précisé que l’art. 19 LAA prévoit en principe la fin du droit au traitement médical au moment de la fixation de la rente (c. 3.3 et 4). Il mentionne ensuite les différentes affaires dans lesquelles il a eu à juger de situations proches, mais non identiques, aucun précédent n’ayant donc tranché clairement la question (c. 5.1). Il mentionne la maigre littérature à ce sujet, et son caractère controversé (c. 5.2). Il procède ensuite à l’interprétation de l’art. 21 al. 1 let. c LAA.
Le TF constate d’abord que le texte de la loi est clair et qu’il n’exige pas que la personne assurée mette effectivement en œuvre sa capacité de travail résiduelle pour donner droit à la prise en charge du traitement (c. 6.1). Les travaux préparatoires ne sont d’aucune utilité, pas plus que la LAMA qui ne contenait pas de disposition équivalente (c. 6.2).
D’un point de vue systématique, l’art. 21 al. 1 let. c LAA doit être lu en lien avec les art. 18, 19 et 22 LAA. L’octroi de la prise en charge du traitement médical après la stabilisation de l’état de santé est une prestation de durée, qui est en principe protégée au titre de droit acquis. Cette prestation est ainsi comparable à la rente, qui est protégée après l’âge de référence AVS, puisqu’il n’est alors plus possible de la réviser (art. 22 LAA). Si l’on admettait le contraire pour les frais de traitement, cela voudrait dire qu’on aurait des situations dans lesquelles la prise en charge du traitement est supprimée, mais pas le droit à la rente. Les trois autres hypothèses visées par l’art. 21 al. 1 LAA, en particulier par la let. d qui s’adresse aux personnes totalement invalides (100 %), ne prévoient pas la fin du droit au traitement à l’âge de référence ; il serait ainsi étranger de faire de la let. c une exception.
S’agissant de déterminer le sens et le but de la norme, le TF discute différents arguments allant dans les deux sens pour, finalement, juger qu’il serait contradictoire de demander aux personnes ayant atteint l’âge de référence de prouver que si elles avaient été en bonne santé, elles auraient continué de travailler au-delà de cet âge, alors qu’il n’est pas exigé des personnes qui ne l’ont pas encore atteint qu’elles mettent en œuvre leur capacité de travail résiduelle pour avoir droit à la prise en charge du traitement sous l’angle de l’art. 21 al. 1 let. c LAA. L’argument décisif reste cependant le non-sens d’une différence de traitement entre les personnes totalement invalides et les personnes partiellement invalides. Pour les premières en effet, la condition est que le traitement permette le maintien de l’état de santé. En l’absence d’indices permettant de conclure à une claire volonté du législateur de traiter différemment ces deux situations, il n’y a pas lieu de le faire. La prise en charge du traitement médical après la fixation de la rente en application de l’art. 21 al. 1 let. c LAA n’est donc pas limitée à l’âge de référence AVS (c. 6.3.5 et 6.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_474/2022 du 16 mars 2023
Assurance-maladie; procédure arbitrale, compétence ratione loci, pratique intercantonale; art. 89 al. 2 LAMal
Un médecin soupçonné d’avoir fourni des soins dans un canton sans autorisation de pratique (art. 36 LPMéd) se voit demander de rembourser un montant de l’ordre de CHF 125'000.-. Le tribunal arbitral du canton dans lequel le médecin est autorisé à pratiquer (Saint-Gall), saisi par les assureurs, se déclare incompétent et transmet la cause au tribunal dans lequel des prestations auraient été fournies sans autorisation (Zurich). Les assureurs recourent au TF contre la décision de non entrée en matière.
Interprétant l’art. 89 al. 2 LAMal, qui dispose que « le tribunal arbitral compétent est celui du canton dont le tarif est appliqué ou du canton dans lequel le fournisseur de prestations est installé à titre permanent », le TF indique tout d’abord que le lieu dans lequel le médecin est installé à titre permanent est celui dans lequel il exploite son cabinet (c. 3.4). La question se pose donc de savoir comment procéder lorsque le médecin exploite des cabinets dans plusieurs cantons.
D’un point de vue strictement littéral, l’art. 89 al. 2 LAMal ne semble permettre qu’un seul canton d’établissement (« …celui du canton… dans lequel… » ; c. 3.5). Les travaux préparatoires ne permettent pas d’aboutir à une autre conclusion (c. 3.6). D’un point de vue historique, l’institution du tribunal arbitral a été introduite dans l’ancienne LAMA en 1964, à une époque où l’exercice intercantonal de la médecine n’était pas monnaie courante. Pourtant, le fait que le législateur ait prévu, à l’époque déjà, deux fors alternatifs, montre qu’il a envisagé cette hypothèse et exclut l’admission d’une lacune, le législateur ayant manifestement voulu fixer le for dans un lieu ayant un lien étroit avec l’objet du litige. Son choix s’est clairement porté sur le lieu d’exercice du fournisseur de prestations, et non sur celui dans lequel les prestations litigieuses sont fournies (c. 3.7).
Si le fournisseur de prestations exerce dans plusieurs cantons, il faut rechercher le centre de son activité professionnelle (Schwerpunkt). Les exigences de preuve à cet égard ne doivent pas être trop élevées (c. 4.1). En l’espèce, les caisses-maladie avaient notamment fait valoir que le médecin mis en cause était visible sur le site Internet de l’endroit où il pratiquait dans le canton de Saint-Gall, avec photo et CV et possibilité de le contacter par le biais du site, alors qu’il n’était même pas mentionné sur le site Internet de l’institution dans laquelle il pratiquait dans le canton de Zurich. Par ailleurs, il lui était précisément reproché de ne pas avoir d’autorisation de pratiquer dans le canton de Zurich (c. 4.2). Le médecin incriminé n’a pas contesté avoir sa pratique principale dans le canton de Saint-Gall et ne pas avoir travaillé plus de 90 jours par année dans le canton de Zurich avant d’y avoir obtenu son autorisation de pratiquer (c. 4.3). Faute de comparaison entre le volume d’activité dans les deux cantons, à laquelle le tribunal arbitral saint-gallois devait procéder d’office, la décision de non entrée en matière n’est pas conforme au droit. La cause lui est donc renvoyée pour instruction dans ce sens, et nouvelle décision (c. 4.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 6B_1386/2021 du 16 mars 2023
Responsabilité aquilienne; devoir de prudence, violation des règles de l’art de construire, homicide par négligence; art. 12 al. 3, 117 et 229 CP
Le devoir de prudence s’apprécie en premier lieu au regard des normes de sécurité spécifiques qui imposent un comportement déterminé pour assurer la sécurité et prévenir les accidents. L’étendue de l’attention et de la diligence requises est d’autant plus élevée que le degré de spécialisation de l’auteur est important. Ainsi, la violation de prescriptions légales ou administratives, édictées dans un but de prévention des accidents, ou de règles analogues, émanant d’associations spécialisées reconnues, fait présumer la violation du devoir général de prudence (c. 2).
La responsabilité de celui qui collabore à la direction ou à l’exécution d’une construction se détermine sur la base des prescriptions légales (notamment LAA, OPA, OTConstr), des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. Chaque participant à une construction est donc tenu, dans son domaine de compétence, de déployer la diligence requise pour veiller au respect des règles de l’art de construire et de sécurité. Pour ceux qui dirigent les travaux, il existe le devoir de donner les instructions nécessaires et de surveiller l’exécution (c. 3). Ainsi, le directeur des travaux – soit la personne qui choisit les exécutants, donne les instructions et les recommandations nécessaires, surveille l’exécution des travaux et coordonne l’activité des entrepreneurs – répond tant d’une action que d’une omission, pouvant consister à ne pas surveiller, à ne pas contrôler le travail ou à tolérer une exécution dangereuse (c. 4).
En l’espèce, le TF considère que le recourant, en sa qualité de directeur des travaux, a créé un risque inadmissible pour autrui en ordonnant à son personnel de travailler en hauteur sur un chantier dangereux, au mépris des prescriptions et normes de sécurité élémentaires (absence de port d’un harnais, d’un casque de protection, etc.). Ce faisant, il a rendu possible la survenance de la chute mortelle de son employé inexpérimenté (apprenti), laquelle aurait par ailleurs pu être évitée par une intervention et une surveillance adéquates. Le décès de la victime est dès lors en lien de causalité naturelle et adéquate avec la violation fautive d’un devoir de prudence, constitutif d’un homicide par négligence (c. 7).
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

ATF 149 V 106, TF 9C_165/2022 du 16 mars 2023
Prévoyance professionnelle; calcul de surindemnisation, gain dont l’assuré est privé, revenu d’invalide AI; art. 34a LPP
Dans le cadre du calcul de surindemnisation, en présence d’une personne assurée qui travaillait à un taux d’activité partiel, l’institution de prévoyance est liée par le revenu sans invalidité pris en considération par l’assurance-invalidité, à moins que celui-ci soit manifestement insoutenable. Il découle de cette présomption que le revenu sans invalidité établi par l’assurance-invalidité correspond au « gain annuel dont on présumer que l’assuré est privé », au sens de l’art. 34a al. 1 LPP.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 149 V 91, TF 8C_616/2022 du 15 mars 2023
Assurance-accidents; rente d’invalidité, transaction, reconsidération; art. 25 al. 2, 50 al. 1 et 53 al. 2 LPGA; 22 LAA
Une puéricultrice, née en 1951, a été mise au bénéfice d’une IPAI de 25 % et d’une rente LAA de 25 % pour les suites de deux accidents de type « coup du lapin » survenus en 1994 et 1997, ce par décision-transaction du 30 septembre 2002. 18 ans plus tard, par décision d’octobre 2020, l’assureur LAA veut reconsidérer cette décision-transaction au motif d’une fausse application du droit et supprimer l’IPAI accordée, ainsi que la rente d’invalidité avec effet ex nunc et pro futuro.
Le TF rappelle que les exigences sont plus grandes pour une application de la reconsidération telle que prévue à l’art. 53 al. 2 LPGA lorsqu’il s’agit d’une décision prise sous la forme d’une transaction, au sens de l’art. 50 LPGA. Si le mécanisme de la pesée des intérêts est bien le même, il y a toutefois des différences concernant le poids donné à ces critères, en particulier pour ce qui est de la protection de la bonne foi, comme l’a rappelé à bon escient la cour cantonale.
L’assureur-accidents avait pris sa décision initiale sans procéder à un examen de la causalité adéquate pourtant déjà alors requise en 2002, selon la pratique existant de longue date en la matière, et n’aurait, en application de cette pratique, pas dû rendre sa décision, de l’avis de la cour cantonale. Cela étant, pour ce qui est tout d’abord de l’IPAI, celle-ci ne peut de toute manière pas être concernée par une reconsidération, en l’espèce, en raison de l’application de l’art. 25 al. 2 LPGA qui prévoit un droit d’exiger la restitution se prescrivant au plus tard cinq ans après le versement de la prestation indue. Ainsi, l’IPAI est de toute manière exclue du champ de la reconsidération pour ce seul motif.
Pour ce qui est de la rente d’invalidité LAA, le TF confirme que la décision initiale se basait sur une fausse application du droit et qu’elle était sans nul doute manifestement erronée, au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. A cela ne change rien le fait qu’elle ait été prise sous forme de transaction, malgré une pesée des intérêts différente, selon les principes précédemment rappelés par le TF. Il y a donc bel et bien matière à reconsidérer la rente d’invalidité avec effet ex nunc et pro futuro.
En effet, pour ce qui est de l’analyse des critères de l’adéquation pour cet accident devant être rangé dans la zone inférieure des accidents dits de gravité moyenne, l’assurée n’a procédé à aucun examen desdits critères dans le cadre de son recours au TF et, dès lors, il n’est pas possible pour la Haute Cour de deviner pour quelles raisons la cour cantonale aurait violé le principe de l’adéquation. Dans son recours, l’assurée se prévalait également de l’art. 22 LAA et soutenait qu’en raison de son âge de retraitée, sa rente d’invalidité LAA ne pouvait plus être reconsidérée. Le TF rejette aussi cet argument, rappelant que l’art. 22 LAA ne concerne que la révision (matérielle) prévue à l’art. 17 LPGA, et non la révision (procédurale) et la reconsidération prévues à l’art. 53 LPGA.
Tout en rejetant le recours de l’assurée, le TF critique cependant l’attitude de l’assureur-accidents ayant supprimé cette rente d’invalidité après l’avoir versée sans sourciller durant 20 ans et lui conseille une façon plus réfléchie de s’y prendre.
Auteur : Me Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion


TF 8C_261/2022 du 9 mars 2023
Assurance militaire; causalité et contemporanéité, symptômes de pont, coup du lapin; art. 5 et 6 LAM
Le litige porte sur le point de savoir si c’est à juste titre que la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents, Division de l’assurance militaire (Suva AM – Recourante), a refusé l’octroi des prestations à A. (Intimé), à la suite d’un accident survenu lors du service militaire de ce dernier.
Le TF rappelle qu’il convient, en premier lieu, de procéder à la distinction des cas d’application des art. 5 et 6 LAM. En effet, l’assurance militaire est tenue d’allouer ses prestations sur la base de l’art. 5 LAM pour autant qu’une atteinte à la santé soit déclarée ou constatée pendant le service militaire, selon le principe dit de la « contemporanéité » (c. 2.3). En revanche, la responsabilité de l’assurance militaire fondée sur l’art. 6 LAM n’est de mise qu’à la condition que l’atteinte à la santé soit déclarée ou constatée après le service militaire (c. 2.5.1).
En outre, le TF relève que pour conduire à une appréciation de la responsabilité selon l’art. 5 LAM, la question des symptômes de pont (« Brückensymptome ») se pose également. Le status quo sine est présumé après un intervalle suffisamment long sans symptôme (c. 3.2.1). Des symptômes de pont d’une intensité et d’une constante suffisantes doivent être démontrés pour amener la preuve du lien de causalité entre l’événement accidentel et les troubles invoqués postérieurement à l’accident (c. 3.2.3).
Ensuite, le TF se penche sur la question de savoir si un intervalle sans symptôme plus long est admissible, c’est-à-dire qui caractériserait l’événement entre l’accident et les troubles invoqués postérieurement comme une entité unique. Dans le cas contraire, un nouveau cas d’assurance devra être déclaré, impliquant l’évaluation de la question de la responsabilité sur la base de l’art. 6 LAM (c. 4.1).
En tout état de cause, il convient de déterminer si les troubles invoqués postérieurement à l’accident se trouvent dans un rapport de causalité juridiquement pertinent avec l’accident assuré pendant le service militaire. Se référant à la jurisprudence applicable en cas de traumatisme de type « coup du lapin » (ATF 134 V 109), également valable en matière d’assurance militaire, le TF a considéré qu’aucun des critères n’entrait en considération dans le cas d’espèce (c. 5.2 ss).
Au vu des éléments qui précèdent et en l’absence du lien de causalité adéquate entre l’évènement accidentel et les troubles invoqués postérieurement à l’accident, le TF a conclu à l’admission du recours de l’assurance militaire (c. 5.5).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


ATF 149 V 21, TF 9C_219/2022 du 2 mars 2023
Assurance-vieillesse et survivants; restitution des acomptes, délai de péremption, dies a quo; art. 25 al. 3 LPGA; art. 16 al. 3 LAVS; art. 24 et 25 RAVS
Par arrêt du tribunal administratif du canton de Zoug du 28 mars 2022, les juges cantonaux ont admis le recours d’une assurée dans la mesure où celle-ci contestait son devoir de payer des cotisations AVS comme indépendante pour l’année 2007, mais ont rejeté ses prétentions en restitution des acomptes payés au motif que sa demande de restitution était périmée (c. 1.2). Selon eux, le délai de péremption avait commencé à courir en septembre 2013, lors de l’entrée en force d’une décision de l’autorité fiscale indiquant que tous les revenus du couple réalisés en 2007 devaient être attribués à l’activité dépendante du mari et imposés dans le canton d’Argovie. A défaut d’avoir agi avant fin 2008, la demande de l’assurée était donc périmée sous l’angle de l’art. 16 al. 3 LAVS (c. 3.1)
Le TF rappelle ce qu’il faut entendre par « cotisations versées indûment » au sens de l’art. 16 al. 3 1re phr. LAVS, respectivement « cotisations payées en trop » au sens de l’art. 25 al. 3 LPGA (c. 4). Cette notion n’englobe pas les prestations versées dans une situation de doute quant à l’obligation de prester, mais à raison, telles que les prestations provisoires visées à l’art. 70 LPGA ou les indemnités de chômage selon l’art. 29 al. 1 LACI (c. 4.5.1).
Les acomptes de cotisations AVS visent à sécuriser les cotisations dont l’existence et la quotité sont incertaines jusqu’à ce que la caisse de compensation ait statué sur les cotisations dues par une décision. Ces acomptes ne sont pas des cotisations versées à tort, mais des cotisations versées à raison, dans une situation de doute quant au devoir de cotiser. Il ne s’agit donc pas de « cotisations payées en trop » jusqu’à ce que l’autorité ait statué de manière définitive sur le montant des cotisations (c. 4.5.2).
La prétention en restitution des acomptes payés en trop naît au moment de la décision fixant les cotisations (voir art. 25 al. 3 RAVS). C’est donc à ce moment-là que les acomptes perdent leur caractère provisoire et que le délai de péremption de l’art. 16 al. 3 LAVS commence à courir (c. 4.5.3). En l’espèce, c’est par l’arrêt cantonal du 28 mars 2022 que le devoir de l’assurée de cotiser pour l’année 2007 a été définitivement nié. La demande de restitution des acomptes formulée dès le stade de l’opposition n’était donc pas périmée (c. 4.6).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 6B_309/2022 du 22 février 2023
Responsabilité médicale; procédure, qualité pour recourir, classement, prétentions civiles, responsabilité d’un établissement de droit public cantonal; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF; 6, 182 et 319 al. 1 let. a et b CPP
Le patient D. A. a été pris en charge dans l’unité des soins intensifs de l’hôpital J., un établissement de droit public cantonal, après plusieurs opérations subies au niveau du cervelet. Le 8 février 2020, le patient est tombé alors qu’il était en train de faire ses besoins, sans surveillance directe, et a succombé à ses blessures. Au moment de la chute, l’infirmière responsable de l’unité se trouvait dans la chambre. Le Ministère public a ouvert une procédure pénale contre l’infirmière responsable de l’unité pour homicide par négligence. Il a clôturé la procédure par décision du 9 juin 2021. Les proches du patient décédé ont recouru jusqu’au TF contre cette décision.
Le TF rappelle que, conformément à l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la partie plaignante n’a qualité pour recourir en matière pénale que si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Sont considérées comme des prétentions civiles au sens de la disposition précitée celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s’agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO. En revanche, n’appartiennent pas à cette catégorie les prétentions fondées sur le droit public. De telles prétentions, y compris celles découlant de la responsabilité de l’Etat, ne peuvent pas être invoquées par adhésion dans le procès pénal et ne font partie des prétentions civiles au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1.1). En l’espère, les recourants reprochent à l’infirmière d’avoir provoqué par négligence le décès de D. A. en le laissant quelques instants sans surveillance aux WC. L’acte incriminé a donc été accompli dans le cadre de l’activité professionnelle de l’infirmière qui fait partie du personnel d’un établissement de droit public cantonal. Les dispositions légales cantonales pertinentes prévoient une responsabilité exclusive du canton pour les dommages causés par de tels actes. Les éventuelles prétentions des recourants ne pourraient ainsi relever que de la responsabilité de droit public de l’Etat. Il en découle que les recourants n’ont pas la légitimation active au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1.3).
Sans avoir la qualité pour recourir au sens de la disposition précitée, la partie plaignante peut néanmoins s’opposer au fond à un classement de la procédure pour autant qu’il existe en droit constitutionnel au prononcé des peines prévues par la loi. La jurisprudence reconnait, sur la base des art. 10 al. 3 Cst., 3 et 13 CEDH, 7 PIDCP et 13 de la Convention des Nations Unies contre les tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, un droit à une enquête officielle efficace et approfondie de celui qui fait valoir qu’il a été maltraité par des services de l’Etat. Pour tomber sous le coup de ces dispositions, le traitement incriminé doit cependant être intentionnel. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque les recourants font explicitement valoir que le décès a été causé par un comportement relevant de la négligence (c. 1.4).
Le TF relève que même si la qualité pour recourir était donnée et qu’il était possible d’entrer en matière sur le recours, celui-ci ne serait pas admis. En effet, en vertu de l’art. 319 al. 1 let. a et b CPP, la procédure doit être classée lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi ou lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis. La décision de classement doit se fonder sur le principe « in dubio pro duriore ». Selon ce principe, le classement de la procédure par le Ministère public ne peut intervenir que dans le cas où l’acte n’est clairement pas punissable ou lorsque que certaines conditions de l’action pénale ne sont manifestement pas remplies. Dans le cadre d’un recours contre un classement, le TF n’examine pas, comme par exemple en cas de condamnation, si les constatations de fait de l’instance précédente sont arbitraires, mais si, de manière arbitraire, l’instance précédente s’est fondée sur « une situation claire en matière de preuve » ou si, de manière arbitraire également, elle a admis des faits comme « clairement établis » (c. 2.1). En l’espèce, les recourants se méprennent sur ces principes lorsqu’ils reprochent à l’instance précédente une constatation inexacte des faits.
Enfin les recourants font valoir que l’instance précédente aurait omis à tort d’administrer diverses preuves en violation des art. 6 et 182 CPP. Le TF rappelle que, de jurisprudence constante, les autorités pénales peuvent, sans violer le droit d’être entendu ni la maxime de l’instruction, renoncer à l’administration de preuves supplémentaires si, en appréciant les preuves déjà administrées, elles ont la conviction que les faits juridiquement importants ont été suffisamment élucidés et si, en outre, elles arrivent à la conclusion par une appréciation anticipée, qu’un moyen de preuve en soit valable n’est pas en mesure d’ébranler leurs convictions quant à un fait litigieux, acquis sur la base des preuves déjà administrées. En l’espèce, l’instance précédente a considéré que les auditions avaient permis d’établir que l’infirmière en question avait agi conformément aux instructions avec la conviction fondée que son patient pouvait aller seul à selle. Aussi, l’expertise demandée par les recourants sur les causes théoriques de la chute du défunt et l’examen des données détaillées du moniteur des signes vitaux ne conduiraient pas à une appréciation différente du comportement de l’infirmière. Les recourants ne démontrent pas en quoi l’appréciation de l’instance précédente relèverait de l’arbitraire.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne


ATF 149 V 39, TF 8C_109/2022 du 22 février 2023
Assurance-accidents; assujettissement à la Suva, entreprise unitaire ou composite, auxiliaire, accessoire ou mixte; art. 66 LAA et 88 OLAA
Une association de défense des automobilistes offre à ses membres un grand choix de prestations, notamment diverses assurances, des conseils juridiques, des cours et des stages de conduite. Elle effectue en outre, dans ses centres de service, de nombreux tests ainsi que des contrôles officiels de véhicules à moteur. Ladite association soutient le point de vue selon lequel ses employés ne seraient pas obligatoirement assurés auprès de la Suva.
L’art. 66 al. 1 let. a-q LAA énumère les entreprises dont les travailleurs sont obligatoirement assurés auprès de la Suva. Concernant l’assujettissement, il y a tout d’abord lieu de savoir si une entreprise doit être qualifiée d’entreprise unitaire ou de composite.
On se trouve en présence d’une entreprise unitaire lorsque l’entreprise se limite pour l’essentiel à un seul domaine d’activité « cohérent » ou à un domaine prédominant (p. ex. entreprise de construction, entreprise commerciale ou société fiduciaire) et exécute principalement des travaux qui relèvent du domaine d’activité habituel d’une entreprise de ce type (ATF 137 V 114). L’ensemble des travailleurs d’une telle entreprise est obligatoirement assuré auprès de la Suva, pour autant qu’un critère d’assujettissement selon l’art. 66 al. 1 let. a-q LAA soit rempli (ATF 113 V 327).
En revanche, dans le cas d’une entreprise composite, il convient d’abord d’examiner si les parties de l’entreprise sont en relation les unes avec les autres en tant qu’entreprises principales, auxiliaires ou accessoires (art. 88 al. 1 OLAA) ou s’il s’agit d’une entreprise mixte au sens d’une pluralité d’unités d’exploitation sans lien technique entre elles (art. 88 al. 2 OLAA). Dans le premier cas, il faut déterminer l’exploitation principale, c’est-à-dire la partie de l’exploitation qui fournit la production ou le service caractéristique de l’entreprise et qui détermine donc le caractère prédominant de l’exploitation. Celle-ci est en principe attribuée à la Suva ou aux autres assureurs en fonction de son caractère prédominant, conformément à l’art. 68 LAA. L’entreprise auxiliaire ou accessoire est soumise à l’assureur de l’entreprise principale (ATF 113 V 327).
En cas d’entreprise mixte, l’assujettissement doit être examiné séparément pour chaque unité d’exploitation. L’assujettissement se fait en fonction du caractère prédominant de chaque unité d’exploitation, ce qui peut conduire à des assujettissements différents dans la même exploitation. Une entreprise mixte ne peut être admise que si plusieurs unités d’exploitation d’un même employeur « n’ont aucun lien technique entre elles » (art. 88 al. 2 OLAA), ce qui suppose – en plus de la subdivision en différents domaines d’activité en vertu du droit de l’assujettissement – que les différentes parties de l’entreprise soient pratiquement totalement autonomes en termes de locaux et de personnel (ATF 113 V 341).
En l’espèce, selon le TF, l’association recourante ne doit certainement pas être qualifiée d’entreprise unitaire mais d’entreprise composite (cf. dans le même sens arrêt TFA U 62/89, qui qualifiait de composite une entreprise qui, outre une boulangerie et une confiserie, exploitait également des tea-rooms). Compte tenu de l’administration centrale de l’ensemble de l’entreprise, les différentes parties de l’entreprise ne sont pas totalement autonomes en termes de locaux et surtout de personnel, ce qui ne permet pas de parler d’une entreprise mixte au sens de l’art. 88 al. 2 OLAA. Du point de vue du droit de l’assujettissement, il s’agit donc de savoir quelle est l’entreprise principale (art. 88 al. 1 OLAA). Le fait que les quelques 5’500 à 6’000 contrôles annuels de véhicules à moteur constituent l’activité principale de la recourante permet de retenir que le domaine « centre de service » constitue l’entreprise principale. Or, comme les contrôles de véhicules effectués dans les centres de service relèvent de la compétence de la Suva en vertu de l’art. 66 al. 1 let. m en relation avec l’art. 66 al. 2 let. a LAA, tous les employés de la recourante doivent être assurés auprès de la Suva.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 4A_22/2022 du 21 février 2023
Assurances privées; prescription, créance en dommages-intérêts; art. 46 al. 1 LCA; 127 CO
La question litigieuse soumise au TF est de savoir si, lorsque l'assureur de protection juridique donne des conseils juridiques et qu’il viole à cette occasion son devoir de diligence et cause un préjudice à l’assuré, le délai de prescription de la prétention en responsabilité de l’assuré est régi par le délai de l’art. 46 al. 1 LCA ou par le délai de dix ans de l’art. 127 CO.
Pour répondre à la question litigieuse, il faut procéder à une interprétation de l’art. 46 al. 1 LCA, la doctrine étant divisée sur cette question. Ainsi, il faut tenir compte non seulement des termes « créances qui découlent du contrat d’assurance », mais également des termes se rapportant au point de départ de la prescription, soit le « fait duquel naît l’obligation » (en allemand et en italien « fait sur lequel est fondée l’obligation de fournir la prestation »).
Dans l’assurance de protection juridique, l’assureur fournit, d’une part, un service sous forme d’assistance juridique et, d’autre part une prestation pécuniaire, ainsi que dès le début du litige, l’obligation de garantir à son assuré le paiement des frais du litige. Le fait duquel naît l’obligation de l’assureur correspond à la réalisation du risque, à savoir l’apparition du besoin d’assistance juridique. Le point de départ (dies a quo) du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA court donc dès ce moment-là. Les créances qui découlent du contrat d’assurance de protection juridique sont donc seulement celles dont l’assureur assume l’obligation en raison de la survenance du risque couvert, qui est le besoin d’assistance juridique, soit concrètement l’obligation de couvrir les frais d’un litige et/ou l’obligation de fournir des conseils. La créance en dommages-intérêts, fondée sur la responsabilité contractuelle, qui est subséquente à la prestation d’assurance (conseils fournis) et découle de la violation du devoir de diligence de l’assureur de protection juridique qui a fourni ces conseils, n’est pas visée par la lettre de l’art. 46 al. 1 LCA.
Approuvant une partie de la doctrine, le TF conclut qu’une telle créance en dommages-intérêts est soumise au délai de prescription de dix ans de l’art. 127 CO, la violation du devoir de diligence s’appréciant selon les règles du mandat (art. 398 et 97 CO).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 9C_70, 71, 75 et 76/2022 du 16 février 2023
Assurance-vieillesse et survivants (AVS); activité dépendante, établissement stable; art. 1a al. 1 let. b et 12 al. 2 LAVS; 49 LPGA
Le TF rejette les recours des sociétés néerlandaises détentrices des droits d’exploitation des plateformes de mise en relation Uber et UberEats et leur reconnaît un statut d’employeur cotisant pour les activités lucratives dépendantes des chauffeurs et des livreurs. Ce faisant, il démontre que les critères des directives OFAS s’adaptent aux services en ligne d’intermédiation du travail. Sans revenir sur sa décision 147 V 174, il constate la présence d’un établissement stable en Suisse pour la société néerlandaise par l’exploitation commerciale des bureaux de sa filiale en Suisse.
Auteure : Sabrine Magoga-Sabatier, MLaw, assistante-doctorante à Neuchâtel


TF 8C_457/2022 du 7 février 2023
Assurance-invalidité; révision, suspension de prestation en cas d’exécution d’une peine ou d’une mesure; art. 21 al. 5 LPGA; 88bis al. 1 let. c RAI
Même si la lettre de l’art. 88bis al. 1 let. c RAI envisage, en cas de décision qui s’avère manifestement erronée, seulement une augmentation de la rente, de l’allocation pour impotent ou de la contribution d’assistance déjà allouée, cette disposition doit aussi permettre, appliquée par analogie, l’attribution d’une telle prestation refusée de manière manifestement erronée (c. 5.2).
La découverte du vice entachant la décision selon l’art. 88bis al. 1 let. c RAI survient dès que l’administration a fait des constatations, que ce soit sur la base d’une demande de révision ou d’office, qui rendent vraisemblable ou probable l’existence d’un vice pertinent et que l’administration a ainsi suffisamment de raisons de procéder d’office à des investigations supplémentaires. Le défaut est également considéré comme découvert lorsque la personne assurée a déposé une demande de révision qui devait amener l’administration à procéder à des clarifications supplémentaires (c. 5.4.2).
La suspension, en application de l’art. 21 al. 5 LPGA, de prestations pour perte de gain – notamment de la LAI – non destinées aux proches, en cas d’exécution d’une peine ou d’une mesure du Code pénal, ne se justifie pas si les modalités de cette exécution n’excluent pas en elles-mêmes l’exercice d’une activité lucrative par une personne valide. Il en va ainsi de modalités d’exécution d’une mesure permettant un travail externe au sens de l’art. 90 al. 2bis CP (c. 6.2.1-2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle


TF 2C_362/2022 du 7 février 2023
Responsabilité de l’Etat; protection de la bonne foi; art. 5 al. 3 et 9 Cst.; 4 LRECA-VD
Une société constituée pour la création d’un nouveau port à Montreux dépose une action en responsabilité de l’Etat en raison de l’entrée en matière de la commune sur le projet portuaire. La société réclame différents frais pour sa constitution et des frais d’étude, après que le Plan partiel d’affectation (PPA) à l’origine de l’entrée en matière a été abrogé, rendant le projet de port irréalisable.
Le droit fondamental à la protection de la bonne foi protège le citoyen dans le confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après ces assurances qui peuvent également intervenir tacitement ou par actes concluants. Ce droit a pour corollaire que l’autorité est tenue de réparer le dommage subi par l’administré chez qui elle a créé puis déçu des attentes dignes de foi et qui a pris dans l’intervalle des dispositions patrimoniales préjudiciables.
Il est généralement acquis que la planification doit être périodiquement adaptée et révisée et qu’il n’existe en général pas d’assurance sur sa stabilité. C’est uniquement lorsqu’une modification de planification ou de réglementation est intervenue suite à une demande déterminée et pour en empêcher la réalisation que l’on peut admettre un droit à une indemnisation fondée sur la protection de la bonne foi, en combinaison avec la garantie de la propriété, en tout cas lorsque l’intention des autorités n’était pas prévisible. Une indemnisation est aussi envisageable lorsque la collectivité a donné des assurances sur le maintien des prescriptions en vigueur. En l’occurrence, ce n’est pas le projet litigieux qui avait justifié l’abrogation du PPA, mais une volonté générale découlant d’un plan directeur communal adopté avant l’entrée en matière de la commune.
Le fait que la société recourante n’avait pas obtenu elle-même les garanties, puisqu’elle ne s’était constituée que par la suite, conduit le TF à se demander « très sérieusement » si elle peut invoquer la protection de sa bonne foi. Il laisse toutefois la question ouverte et retient qu’aucune assurance suffisante n’a été donnée. Le fait de se montrer intéressé et curieux, d’entrer en matière et de suivre, même pendant plusieurs années, le projet ne peut et de doit pas être interprété comme une promesse d’issue favorable ou comme une assurance quant au maintien du PPA. En matière d’aménagement du territoire, il est très généralement admis et connu des acteurs de la construction que les décisions des autorités sont par nature sujettes à changement et qu’il n’existe dès lors pas d’expectative légitime au maintien d’un plan.
Le TF ne discerne ainsi pas d’acte illicite au sens de l’art. 4 LRECA-VD et ajoute que si la recourante estimait que l’abrogation du PPA violait le principe de la bonne foi, il lui appartenait de tout tenter pour en obtenir l’annulation, le cas échéant en recourant contre cet acte jusque devant lui.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 8C_322/2022 du 30 janvier 2023
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail (RHT), mesures de lutte contre le coronavirus, entreprise de droit public, statut du personnel, subvention; art. 31 al. 1 et 32 LACI
L’affaire concerne la demande d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) d’une société anonyme de droit privé active essentiellement dans le domaine du transport public de personnes. Selon la jurisprudence, les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sauraient, en règle générale, être remplies si l’employeur est une entreprise de droit public, faute pour celle-ci d’assumer un risque propre d’exploitation. Compte tenu des formes multiples de l’action étatique, on ne saurait de prime abord exclure que, dans un cas concret, le personnel des services publics remplisse les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT. Ce qui est déterminant en fin de compte, conformément à la finalité du régime de la prestation, c’est de savoir si, par l’allocation de l’indemnité en cas de RHT, un licenciement peut être évité (c. 4.2.1).
Les indemnités en cas de RHT sont des mesures temporaires. Le statut du personnel touché par la réduction de l’horaire de travail est dès lors décisif pour l’allocation de l’indemnité. Là où le personnel est au bénéfice d’un statut de fonctionnaire ou d’un statut analogue limitant les possibilités de licenciement que connaît le contrat de travail, ce statut fait échec à court terme – éventuellement à moyen terme – à la suppression d’emploi. Dans ce cas, les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sont pas remplies (c. 4.2.2).
L’exigence d’un risque économique à court ou moyen terme concerne aussi l’entreprise ; la perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. A l’évidence, cette condition ne saurait être remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou le risque de fermeture de l’exploitation. Or si l’entreprise privée risque l’exécution forcée, il n’en va pas de même du service public, dont l’existence n’est pas menacée par un exercice déficitaire (c. 4.2.2).
Dans le cas d’espèce (voir également TF 8C_325/2022 et 8C_328/2022 du 30 janvier 2023 dans deux causes parallèles similaires), la cour cantonale n’a pas clairement tranché la question de la couverture des coûts d’exploitation. Le TF rappelle que le fait de percevoir des subventions ne signifie pas encore que les coûts d’exploitation sont entièrement couverts par les pouvoirs publics. Par ailleurs, la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance s’examine non pas au regard de la main d’œuvre nécessaire pour fournir les prestations publiques selon l’offre soumise aux commanditaires, mais au regard de la règlementation applicable au personnel. La cour cantonale a violé le droit fédéral en niant le droit de la société aux indemnités en cas de RHT sans instruire et examiner de manière approfondie l’étendue de la couverture des frais d’exploitation par les pouvoirs publics ainsi que les possibilités concrètes de résiliation sur la base du régime applicable au personnel (c. 7.2).
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne


TF 9C_300/2022 du 26 janvier 2023
Assurance-invalidité; mesures médicales, psychothérapie; art. 12 LAI
Le TF confirme l’octroi de mesures médicales sous forme d’une psychothérapie à une jeune assurée atteinte de troubles obsessionnels compulsifs et d’anorexie. En l’espèce, le but principal de la thérapie était de permettre à l’assurée de quitter la clinique de jour où elle séjournait pour reprendre ses études de niveau gymnasial. Le caractère de réadaptation du traitement était donc clairement prépondérant, et le fait qu’il ait fallu, à l’occasion d’épisodes de crise, reléguer cet objectif au second plan pour préserver en premier lieu la vie de l’assurée n’y change rien (c. 4.2). Par ailleurs, le fait que la thérapie dure un certain temps – deux ans au moment de la décision de l’office AI – n’exclut pas l’octroi de mesures médicales, ce d’autant moins qu’en l’espèce, durant ce laps de temps, des progrès considérables ont été réalisés, la personne assurée ayant pu quitter la clinique et retourner à ses études (c. 4.3)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_219/2021 du 25 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; prescription, interruption introduction d’une poursuite, délai pénal plus long, ancien droit; art. 60 al. 2a, 135 ch. 2, 134 al. 1 ch. 3 et 138 al. 2 CO
En mai 1999, Mme A. a été grièvement blessée par le bateau dont son mari était copropriétaire lors d’une sortie sur le Léman. La victime et son mari se sont séparés en juin 2000. Leur divorce est devenu définitif et exécutoire le 29 mai 2012. Le conducteur et époux, suite à une plainte de la victime, a été condamné en janvier 2006 pour lésions corporelles graves par négligence. Dès la fin de l’année 2003, la victime a demandé à la compagnie d’assurance du bateau, contre laquelle elle avait un droit d’action directe, une série de déclarations de renonciation à la prescription. La dernière de ces déclarations était valable jusqu’au 29 février 2012. Ce même 29 février 2012, elle a déposé une réquisition de poursuite contre l’assureur, qui a fait opposition au commandement de payer, notifié le 16 mars 2012. La réquisition de poursuite suivante n’a été déposée que le 11 mars 2013, soit plus d’une année après la précédente réquisition de poursuite, mais moins d’une année après la notification du commandement de payer. En parallèle, la victime a déposé une réquisition de poursuite contre son ex-mari le 13 avril 2017. Le commandement de payer a été notifié le 28 avril 2017 ; il a été frappé d’opposition. Le 18 avril 2018, la lésée a déposé une nouvelle réquisition de poursuite contre son époux. Ella a enfin déposé le 31 mai 2018 une requête de conciliation à l’encontre aussi bien de l’assureur que de son ex-mari.
Alors que la Cour de justice du canton de Genève avait considéré que seule la réquisition de poursuite interrompait la prescription conformément à l’art. 135 ch. 2 CO, le TF a considéré que, conformément à une jurisprudence ancienne mais bien établie, la notification du commandement de payer était aussi constitutive d’un acte de poursuite au sens de l’art. 138 al. 2 CO. Dès lors, procédant en quelque sorte à une synthèse de jurisprudence, le TF a rappelé en substance que lorsque le créancier interrompait la prescription par voie de poursuite, la prescription était interrompue une première fois par la réquisition de poursuite, indépendamment du fait que cette réquisition soit concrètement suivie d’un commandement de payer. Cette réquisition fait donc partir un nouveau délai, conformément à l’art. 137 al. 1 CO. Par ailleurs, la notification du commandement de payer interrompt une nouvelle fois la prescription, et fait donc repartir aussi un nouveau délai de prescription. Cela résulte d’une ancienne jurisprudence confirmée par une large partie de la doctrine (c. 5.2).
Au terme de l’art. 134 al. 1 ch. 3 CO, la prescription ne court point et, si elle avait commencé à courir, elle est suspendue à l’égard des créances des époux l’un contre l’autre. L’ex-mari soutenait donc devant le TF qu’au moment où le divorce était devenu définitif et exécutoire, soit le 29 mai 2012, c’était un nouveau délai d’une année au sens de l’ancien article 60 al. 1 CO qui avait commencé à courir. Le TF n’a pas suivi ce raisonnement, estimant que selon l’art. 60 al. 2 aCO, c’était à l’époque un délai de cinq ans qui avait été empêché de courir pendant le temps qu’avait duré le mariage. En effet, la durée de ce délai pénal plus long de l’ancien droit était déterminée au jour de l’acte punissable, soit à un moment par définition antérieur à l’acquisition de la prescription pénale. C’est donc bien un délai de cinq ans qui, selon le TF, a commencé de courir à partir du 29 mai 2012, si bien que la lésée avait valablement interrompu la prescription en déposant une réquisition de poursuite en avril 2017 à l’encontre de son ex-mari.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_314/2022 du 24 janvier 2023
Responsabilité délictuelle; risque lié à l’emploi d’un véhicule, responsabilité civile du détenteur du véhicule; art. 58 al. 1 LCR
La responsabilité de l’art. 58 al. 1 LCR présuppose que le dommage ait été causé « par l’utilisation d’un véhicule à moteur ». La limite entre l’utilisation et la non-utilisation d’un véhicule à moteur doit être décidée en fonction des circonstances concrètes.
Dans le cas d’espèce, une camionnette de livraison, dont le catalyseur avait chauffé en raison du trajet, a été garée dans une aire de battage, ce qui a provoqué un incendie. La chaleur émanait certes d’un véhicule à moteur, mais cela ne suffit pas à transformer le risque d’incendie habituel en un risque d’exploitation particulier au sens de l’art. 58 al. 1 LCR. Ce qui est déterminant pour le risque d’exploitation n’est pas le fait que le véhicule à moteur soit une machine ou qu’il dispose d’un moteur, mais avant tout le fait que le véhicule puisse se déplacer à une vitesse importante et provoquer ainsi des dommages importants.
Le présent incendie n’a aucun rapport avec ce risque. A l’exception du fait que le catalyseur a chauffé pendant le trajet, il n’y a aucun lien entre l’incendie et le déplacement de la camionnette. Il ne s’agit donc pas d’un risque propre à l’utilisation d’un véhicule mais d’un risque ordinaire qui peut survenir lors du stockage inapproprié d’objets chauds.
L’incendie était donc certes une conséquence au sens large de l’utilisation du véhicule à moteur, mais l’utilisation ou le déplacement du véhicule joue en l’espèce un rôle si insignifiant que l’incendie n’est pas couvert par le but de l’art. 58 al. 1 LCR.
Auteur : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

ATF 149 I 41, TF 9C_592/2021 du 24 janvier 2023
Assurance-invalidité; réadaptation, mesures d’ordre professionnel, condition d’assurance, personne de nationalité étrangère, discrimination; art. 6 al. 2, 9 al. 3 LAI; 8 Cst.; 8 et 14 CEDH; 24 CDPH
Le recourant, arrivé en Suisse en 2017 en tant que mineur non accompagné, a été admis provisoirement après le rejet de sa demande d’asile, le renvoi n’étant pas raisonnablement exigible. Sa demande tendant à l’octroi d’une formation professionnelle initiale a été rejetée. Ne contestant pas que les conditions d’assurance posées par les art. 6 al. 2 et 9 al. 3 LAI ne sont pas remplies, il invoque la violation des art. 8 et 14 CEDH.
Le TF rappelle que le droit à la vie privée garantit par l’art. 8 CEDH n’inclut pas le droit à des mesures d’enseignement pour les enfants handicapés. En effet, s’il ne fait pas de doute qu'une mesure de formation professionnelle initiale favorise indirectement l’épanouissement des personnes qui en bénéficient, le refus d’une telle formation (professionnelle) n’empêche pas ou ne rend pas plus difficile l’exercice d’un des aspects du droit au développement personnel et à l’autonomie personnelle couverts par cette disposition (c. 5). La jurisprudence de la Cour EDH dans l’affaire Beeler c. Suisse (voir ici) ne s’applique pas dans cette affaire, le refus de mesures d’ordre professionnel ne violant pas le droit à la vie privée et à la vie de famille au sens de l’art. 8 CEDH (cf. aussi c. 3)
La différence de traitement entre ressortissants étrangers et ceux qui ont la nationalité suisse opérée par l’art. 9 al. 3 LAI est justifiée par des motifs objectifs, en l’occurrence la nécessité de s’assurer de la présence de liens suffisamment étroits entre une personne étrangère et la Suisse. Cette disposition n’est donc pas discriminatoire (c. 6.2).
L’art. 24 CDPH, qui garantit l’accès des personnes handicapées à l’éducation, n’est pas non plus violé dans la mesure où il existe bel et bien en Suisse des offres de formation accessibles aux personnes en situation de handicap. Cette disposition n’impose pas l’allocation, sans condition, de prestations spécifiques par les assurances sociales (c. 7).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 6B_1486/2021 du 18 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles, signalisation d’un chantier routier, négligence; art. 11, 12 et 125 CP; 4 LCR; 80 OSR
Un cycliste emprunte une route dont l’asphalte avait été fraisé en raison de travaux de revêtements. Il chute sur la chaussée et subit un grave traumatisme crânien. Condamné en première instance pour lésions corporelles graves par négligence, le chef de chantier responsable est acquitté par le tribunal cantonal. Le cycliste recourt au TF contre cet acquittement ; il reproche au chef de chantier un défaut de signalisation de la zone de travaux.
Le TF commence par rappeler les conditions qui permettent de retenir une imprévoyance coupable au sens de l’art. 12 CP ; une telle imprévoyance peut également être commise par une inaction contraire aux devoirs (art. 11 al. 1 CP). De plus, le déroulement des événements conduisant au résultat doit être prévisible pour l’auteur ; pour déterminer si l’auteur aurait pu et dû prévoir le résultat, on applique le critère de l’adéquation. Enfin, une autre condition de la responsabilité pour négligence consiste dans le fait que le résultat aurait pu être évité si l’auteur avait eu un comportement conforme à ses obligations. Pour que le résultat soit imputable à l’auteur, il faut que le comportement de celui-ci en soit la cause avec un degré élevé de vraisemblance (c. 3.1.2). Les règles de signalisation d’un chantier routier découlent des art. 4 LCR et 80 OSR. Les éventuels manquements aux obligations des autorités n’excluent pas la responsabilité de tiers, p. ex. d’une entreprise de construction, en cas de signalisation défectueuse. Ni l’art. 4 LCR, ni l’art. 80 OSR ne se prononcent sur les modalités de surveillance (intensité, fréquence) de l’obligation de signaler les obstacles à la circulation et de leur élimination dans les meilleurs délais (c. 3.1.3).
Dans le cas d’espèce, l’instance inférieure avait considéré le fait de n’avoir pas barré la route ne constituait pas une violation du devoir de diligence du chef de chantier. Il est en effet notoire que des zones dans lesquelles l’asphalte a été fraisé demeurent ouvertes au trafic, pour autant que les usagers les empruntent à une vitesse adaptée (c. 3.2.1). Les autres conditions d’une responsabilité pour négligence n’étaient, toujours selon la juridiction cantonale, pas remplies. En particulier, la position de garant du chef de chantier était limitée aux tâches de sécurité et de surveillance, telles qu’elles ressortaient de son contrat de travail. Un contrôle sans faille n’était ainsi pas possible, compte tenu de l’avancement constant des travaux. Il n’existait pas non plus d’obligation générale de contrôler quotidiennement les travaux (c. 3.2.2 et 3.2.3). Le TF approuve ces considérations dans leur résultat (c. 3.3). Il aurait en effet été possible pour le cycliste de s’engager sans danger dans la zone fraisée ; il est incompréhensible qu’il se soit dirigé à une vitesse aussi excessive (il circulait à 57,3 km/h malgré un périmètre de visibilité restreint et la présence d’un virage) vers un chantier dûment signalé 355 mètres et à 24,5 mètres auparavant. Il n’a ainsi pas satisfait aux exigences que tout usager de la route est en droit d’attendre d’un conducteur attentif (c. 3.3.1). Même la délimitation du chantier par la pose d’une barrière rouge et blanche, comme l’exigeait le recourant, n’aurait probablement pas empêché la chue, compte tenu du fait que celui-ci n’a pas vu la signalisation et s’est engagé sur le lieu de l’accident à près de 60 km/h. On doit donc nier l’existence d’un lien de causalité hypothétique (c. 3.3.2).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 4A_244/2022 du 13 janvier 2023
Responsabilité aquilienne; causalité hypothétique, règles d’expérience, cognition du TF; art. 8CC; 55 et 221 CPC; 97 et 398 CO
Il est reproché à une société de courtage d’avoir violé de manière fautive ses obligations de mandataire. La question à résoudre est celle de savoir s’il existe un lien de causalité hypothétique entre la violation des obligations contractuelles et le dommage.
En l’occurrence, le lésé a juste eu à alléguer que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, elle n’aurait pas subi de dommage. Elle n’avait pas à prouver ni à alléguer quelles solutions de remplacement se présentaient à elle ni laquelle de ces solutions elle aurait choisie. La cour cantonale, en considérant que si la société de courtage n’avait pas violé ses obligations, le lésé aurait pu entreprendre des démarches ce qui aurait eu pour conséquence de rechercher une autre solution pour éviter la survenance du dommage, a procédé, dans les circonstances concrètes, à une appréciation des faits en se fondant sur sa propre expérience générale de la vie. L’appréciation cantonale ne repose ainsi pas exclusivement sur une règle d’expérience mais sur l’appréciation des faits concrets, ce qui ne peut être revu par le TF que sous l’angle de l’arbitraire.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 8C_424/2022 du 10 janvier 2023
Assurance-chômage; coordination internationale, prise en compte des activités exercées au sein de l’UE, période d’assurance, période d’emploi; art. 6 et 61 R 883/2004; 27 LACI; 61 let. c LPGA
Une personne effectue un stage juridique non payé auprès d’un tribunal international aux Pays-Bas avant d’exercer un emploi de greffière en Suisse. Elle demande ensuite des indemnités de chômage et la caisse de chômage est amenée à s’interroger sur la prise en compte du stage non payé aux Pays-Bas pour déterminer si l’assurée a droit à 400 indemnités ou seulement 260 selon l’art. 27 al. 2 LACI. La caisse de chômage arrive à la conclusion qu’elle n’a pas à prendre en compte le stage non payé comme période de cotisation et applique donc une limite de 260 indemnités journalière, ce qui est confirmé par le tribunal cantonal. Celui-ci a tout d’abord admis que la totalisation des périodes prises en compte à l’étranger était possible selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004, dès lors que l’assurée avait exercé en dernier lieu un emploi en Suisse avant de s’annoncer à l’assurance-chômage, réalisant ainsi la condition de l’art. 61 al. 2 R 883/2004. Il a cependant jugé que la période de stage non payé aux Pays-Bas n’était pas une période d’assurance selon l’art. 61 al. 1 R 883/2004. Un stage non rémunéré n’était pas considéré comme une activité soumise à cotisation selon le droit suisse et ne devait donc pas entrer en considération. Le fait que cette même activité non salariée avait été prise en considération pour calculer un revenu intermédiaire hypothétique pour un droit aux indemnités de chômage antérieur n’était pas non plus relevant, car il ne s’agissait pas d’une activité soumise à cotisation mais bien d’un revenu retenu sur la base de l’obligation de diminuer le dommage. L’assurée recourt devant le TF et reproche une mauvaise application de l’art. 61 al. 1 R 883/2004, en ce sens que le tribunal cantonal n’a pas appliqué le droit néerlandais pour qualifier le stage non payé. Elle reproche également une violation de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA).
Le TF rappelle tout d’abord le principe de la totalisation des périodes d’assurance et d’emploi survenues au sein des différents Etats parties à l’ALCP. Ce principe est consacré à l’art. 61 R 883/2004 s’agissant de l’assurance-chômage. En substance, l’Etat compétent doit prendre en compte toutes les périodes d’assurance survenues dans les pays membres. Est compétent le pays dans lequel la personne assurée a été occupée en dernier avant la période de chômage, en l’occurrence la Suisse. Les périodes d’emploi ne sont à prendre en compte que si elles auraient été considérées comme période d’assurance au sens du droit de l’Etat compétent si elles avaient eu lieu sur son sol. On fait donc la distinction entre période d’assurance et période d’emploi (c. 4.2.2).
On entend par périodes d’assurance les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées selon cette même législation (art. 1 let. t R 883/2004). Selon la jurisprudence de la CJUE, on ne tient pas seulement compte des périodes reconnues par le droit de l’assurance-chômage du pays. Il suffit au contraire que l’activité soit reconnue par un domaine de la sécurité sociale, par exemple l’assurance-accidents (Jugement du 12 mai 1989 Rs 388/87 Warmerdam-Steggerda). Les périodes d’emploi désignent quant à elle les périodes définies ou admises comme telles par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes les périodes assimilées (art. 1 let. u R 883/2004) (c. 4.2.3).
Les périodes d’assurance ou d’emploi accomplies au sein d’un autre Etat membre sont attestées au moyen d’un document portable PD U1. La personne assurée doit transmettre ce formulaire à l’assurance chômage auprès de laquelle elle demande des prestations. Les périodes qui ne sont ni considérées comme des périodes d’assurance, ni comme des périodes d’emploi ou des périodes assimilées ne seront pas prises en compte par l’assurance compétente pour la totalisation des périodes.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut rien déduire en sa faveur du fait que la période de stage non payée pourrait éventuellement être qualifiée de période d’emploi au sens de l’art. 1 let u R 883/2004. En effet, ce stage non payé n’aurait dans tous les cas pas été qualifié de période de cotisation en Suisse, raison pour laquelle une période d’emploi au sens du droit néerlandais n’aurait pas été prise en considération selon l’art. 61 al. 1 2e phrase R 883/2004 (c. 4.4).
Pour déterminer si le stage peut être considéré comme une période de cotisation, est pertinente la présence d’une période de cotisation ou d’une période assimilée au sens du droit néerlandais. Afin d’en juger, la caisse de chômage a demandé des informations à l’autorité compétente néerlandaise. Celle-ci lui a répondu qu’elle avait besoin du numéro de citoyen (Burgerservicenummer) pour pouvoir lui répondre. Or, l’assurée ne disposait pas de ce numéro et le tribunal international ayant été entretemps dissous, elle ne pouvait pas s’enquérir auprès de lui. Partant du constat que l’assurée n’avait jamais eu de numéro de citoyen aux Pays-Bas, la caisse de chômage est arrivée à la conclusion que la période d’activité n’avait pas été annoncée auprès de l’équivalent de la caisse de chômage aux Pays-Bas et qu’il ne s’agissait donc pas d’une période de cotisation à prendre en considération.
Le TF souligne que la question de savoir si le stage doit être considéré comme une période d’assurance s’apprécie selon le droit néerlandais. Le fait qu’aucune cotisation n’ait été versée aux Pays-Bas pour ce stage ne suffit pas à nier toute période d’assurance, dès lors que cette notion comprend également celle de période d’emploi ou de période assimilée. De plus, selon la jurisprudence, la prise en considération dans un seul domaine de sécurité sociale suffit. Par conséquent, la cour cantonale fait fausse route quand elle retient qu’il ne peut pas y avoir de période d’assurance aux Pays-Bas étant donné que l’assurée n’a pas été assujettie à l’équivalent de l’assurance-chômage là-bas (c. 4.5.2).
Etant rappelé que les procédures d’assurances sociales sont soumises à la maxime inquisitoire, la caisse de chômage ne pouvait pas se contenter de la réponse de l’autorité compétente néerlandais concernant le numéro de citoyen pour conclure que le stage ne devait pas être pris en considération. Il était en effet fort probable que l’assurée n’ait jamais été annoncée et enregistrée aux Pays-Bas compte tenu du fait que son stage n’était pas rémunéré. Un tel état de fait n’était cependant pas suffisant pour conclure à l’absence de toute période d’assurance dans ce pays. Il aurait donc été nécessaire que la caisse de chômage sollicite une seconde fois l’autorité compétente néerlandaise afin de l’interroger sur la nécessité d’avoir un numéro de citoyen pour une activité non rémunérée et sur la qualification d’une telle activité. En ne procédant pas de la sorte, la caisse de chômage a violé son obligation d’instruire (art. 61 let. c LPGA). Le fait que l’assurée aurait également pu demander ces éclaircissements n’est pas suffisant. Le SECO exige en effet que la caisse de chômage recherche elle-même les données pertinentes si l’assuré ne peut pas fournir le formulaire PD U1. Exiger de l’assurée qu’elle obtienne une attestation de la part des Pays-Bas dans les circonstances concrètes irait au-delà de son devoir de collaborer (c. 4.6.3).
Par conséquent, la cause est renvoyée à la caisse de chômage pour complément d’instruction au sens des considérants.
Auteur : Pauline Duboux, juriste

TF 8C_504/2022 du 23 décembre 2022
Assurance-chômage; gain intermédiaire, gain accessoire, jetons de présence du membre d’un organe législatif cantonal; art. 24 al. 3 et 23 al. 3 LACI
Constituent un gain accessoire qui n’est pas pris en compte en tant que gain intermédiaire les jetons de présence perçus par un membre du Grand Conseil dans la mesure où il s’agit d’une activité, exercée en dehors de la durée normale de son travail, et qu’elle a débuté avant la perte de l’activité principale qui avait été exercée à plein temps.
Les gains accessoires réalisés durant le délai-cadre de cotisation ne deviennent des gains intermédiaires durant le délai-cadre d’indemnisation que s’ils augmentent sensiblement après la perte de l’activité principale. Tel n’est pas le cas lorsque le membre du législatif a déjà par le passé réalisé un gain comparable et que la variation du montant de ses jetons de présence, d’une année à l’autre, dépend de circonstances qu’il ne maîtrise pas, notamment le nombre de séances de commissions et de séances plénières.
A cet égard, c’est à tort que l’instance cantonale s’est fondée uniquement sur les gains réalisés durant les deux dernières années précédant la perte de l’activité principale. Le recours est donc admis.
Auteur : Me Eric Maugué, avocat à Genève

TF 6B_1335/2021 du 21 décembre 2022
Responsabilité aquilienne; tort moral; art. 47 et 49 CO
Le recourant, victime de profondes balafres sur le visage et d’un stress post-traumatique à la suite d’une bagarre, se voit allouer une indemnité pour tort moral de CHF 30’000 en première instance. Cette indemnité est réduite à CHF 8’000 en appel. Le recourant critique le montant de l’indemnité devant le TF.
Dans cet arrêt, les juges fédéraux rappellent très soigneusement les principes applicables en matière de fixation d’une indemnité pour tort moral. Ils confirment qu’il est admissible de fixer une indemnité à titre de réparation du tort moral selon une méthode s’articulant en deux phases : la première consiste à déterminer l’indemnité de base, de nature abstraite ; la seconde implique une adaptation de cette somme aux circonstances du cas d’espèce. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) selon l’annexe 3 de l’OLAA peut constituer un point de départ objectif pour le calcul de l’indemnité ; cette façon de procéder n’est pas imposée par le droit fédéral et ne fournit qu’une valeur indicative.
Dans le cas d’espèce, les juges fédéraux retiennent qu’il n’était pas arbitraire, pour la cour cantonale, de partir d’un montant indicatif de base de CHF 29’640, à savoir 20 % de CHF 148’200 (cf. gain assuré maximal prévu par l’art. 22 OLAA). Par contre, la réduction de 73 % du montant de base opérée par les juges cantonaux est arbitraire, cette réduction n’étant pas suffisamment motivée. L’arrêt entrepris ne décrit pas la prise en charge médicale, pas plus qu’il n’expose la situation personnelle du recourant, dont on ignore l’âge, le lieu de vie, les liens qu’il entretient avec la Suisse et la situation professionnelle.
Dès lors, le recours est admis et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne


TF 9C_15/2022 du 19 décembre 2022
Assurance-invalidité; mesures d’ordre professionnel, reclassement, conditions d’octroi; art. 17 LAI
Le droit au reclassement conformément à l’art. 17 LAI suppose, d’une part, que l’invalidité rende cette mesure nécessaire et, d’autre part, que la mesure permette de maintenir ou d’améliorer la capacité de gain. La jurisprudence a précisé la condition de la nécessité dans ce sens que la perte de gain que subirait la personne assurée sans le reclassement, c’est-à-dire en travaillant dans une profession accessible sans formation supplémentaire, doit être de l’ordre de 20 % (ATF 139 V 399 c. 5.3). Cette condition a pour but de conserver une certaine proportion entre les coûts entraînés par le reclassement et le bénéfice à en espérer.
Il ne s’agit toutefois pas d’une limite absolue. Si la perte de gain se situe légèrement en-dessous de ce pourcentage, il faut procéder à un pronostic global pour juger si, à moyen et long terme, les coûts engagés pour le reclassement respectent le principe de proportionnalité (c. 6.2). Par ailleurs, en présence d’une personne assurée encore jeune, on peut s’écarter du seuil de 20 % lorsque l’activité qu’elle peut exercer sans reclassement consiste en des travaux non qualifiés qui ne sont pas équivalents, qualitativement, à l’activité apprise (c. 3 et 6.3). Cela ne concerne toutefois que les personnes qui sont au début de leur carrière professionnelle, et non, comme en l’espèce, une personne âgée de 43,5 ans, se trouvant plutôt au milieu de sa vie professionnelle. Le taux d’invalidité – non contesté – s’élevant à 8 %, il n’y avait pas lieu de lui accorder de reclassement, le seuil de 20 % devant dans ce cas être respecté (c. 6.4)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_338/2022 du 19 décembre 2022
Assurances privées; invalidité, réticence; art. 4 à 6 LCA
C. a conclu en 2001 un contrat d’assurance auprès de A. SA pour sa fille B., âgée de 14,5 ans à ce moment-là, couvrant les risques d’invalidité et de décès. Le 25 février 2019, l’assurance-invalidité fédérale a mis B. au bénéfice d’une rente entière. Celle-ci a ensuite sollicité auprès de A. SA le paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-, ce que la compagnie a refusé en invoquant une réticence au sens de l’art. 6 LCA, notamment en raison des faits importants non déclarés prétendument connus de la maman C. à la conclusion du contrat (art. 5 al. 1 LCA).
Les différentes instances judiciaires ont reconnu le droit de B. au paiement du capital en cas d’invalidité de CHF 100’000.-. A ce titre, le fait que B. ait annoncé en 2019 qu’elle souffrait de troubles psychiques depuis 2000 n’y change rien. Il en va de même pour les indications provenant des spécialistes consultés qui ont diagnostiqué l’existence d’une atteinte à la santé psychique plusieurs années après la conclusion du contrat, mais sans préciser clairement la date de début de la maladie. En effet, la seule chose pertinente est de déterminer si B. ou sa mère le savait ou aurait dû le savoir au moment de l’établissement de la proposition d'assurance, soit le 22 mai 2001 (c. 5.2.1).
Le TF laisse cependant ouverte la question de savoir si l’art. 5 al. 1 LCA est applicable au représentant légal d’un enfant mineur ou si les faits importants connus de l’enfant capable de discernement ou qu’il devait connaître ont de l’importance (c. 4.2).
Par ailleurs, A. SA fait valoir que C. avait certes déclaré une maladie ophtalmologique ainsi qu’un asthme, mais avait omis de mentionner le suivi de B. chez une psychologue pour enfants entre 1992 et 1998, ce qui représenterait une réticence sur différentes questions de la proposition d’assurance de l’époque. Pour la plupart des questions, une réticence a été niée par les différentes instances judiciaires, car soit les questions ne concernaient pas une atteinte psychique, soit il était question de l’état de santé de B. au moment de l’établissement de la proposition d’assurance. Par ailleurs, le TF rappelle que la réticence ne doit être admise qu’avec retenue s’agissant de questions ouvertes et à large portée posées par l’assureur. Cela est d’autant plus vrai si, à la suite de telles questions, l’assureur ne laisse pas au proposant suffisamment d’espace sous forme de lignes vides pour lui permettre d’exprimer d’éventuels doutes ou d’expliquer sa réponse (c. 3.2 et 5.3.5). Quant à l’absence de réponse positive de la proposante à une question concernant le fait de savoir si B. avait souffert d’une maladie nerveuse et de dépression pendant une période de cinq ans avant l’établissement de la proposition d’assurance, le TF confirme qu’il n’a pas été démontré que la personne assurée souffrait d’une véritable maladie, malgré un suivi psychologique sur plusieurs années (c. 5.3.5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 4A_295/2022 du 16 décembre 2022
Responsabilité médicale; omission, causalité hypothétique, expertise, degré de la preuve, vraisemblance; art. 8 CC; 97 et 398 CO
Le 11 mars 2013, la recourante A. a présenté des signes de paralysie à sa jambe droite. Elle a consulté le jour même son médecin de famille, qui a immédiatement demandé un examen IRM. L’examen IRM a été effectué le 13 mars 2013 à l’hôpital D. Le 13 mars encore, le médecin de famille a envoyé sa patiente à l’hôpital C. où une hernie discale a été enlevée chirurgicalement le 25 mars 2013. A. souffre, malgré l’opération, d’une faiblesse persistante du releveur du pied. Elle reproche à son médecin de famille de ne pas l’avoir adressée le 11 mars 2013 à un spécialiste pour qu’il procède à une opération visant à soulager le nerf. Le tribunal civil a rejeté la demande de la recourante. Il a considéré, en se basant sur l’expertise médicale qui a eu lieu en deux parties, que le lien de causalité et le dommage invoqué n’étaient pas établis avec une vraisemblance prépondérante.
La Cour d’appel du canton de Bâle-Ville a rejeté le recours de A. Il a considéré que la première instance avait admis à juste titre, sur la base de l’expertise médicale, qu’un degré de force M3 ou même pire n’avait pas été établi le 11 mars 2013 lors de l’examen par le médecin de famille. Ainsi, la question des chances de guérison en cas d’opération dans les 48 heures ne se poserait plus faute d’indication opératoire urgente. Dans une motivation éventuelle, il a constaté qu’il était juste que la première instance ne se soit pas basée uniquement sur l’étude de PETR concernant les chances de guérisons. Les déclarations de l’expert ne démontraient pas avec une probabilité prépondérante une récupération complète en cas d’opération rapide.
Le TF relève qu’en cas d’omission, le lien de causalité est déterminé par la question de savoir si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli. Il s’agit d’un déroulement hypothétique de la causalité, pour lequel une probabilité prépondérante doit plaider selon les expériences de la vie et le cours ordinaire des choses. En principe, la jurisprudence fait également la distinction entre le lien de causalité naturelle et le lien de causalité adéquate en cas d’omission. Les constatations du juge du fond en rapport avec des omissions lient le TF, conformément à la règle générale sur le caractère obligatoire des constatations relatives au lien de causalité naturelle ; ce n’est que lorsque la causalité hypothétique est établie exclusivement sur la base de l’expérience générale de la vie – et non sur la base de moyens de preuve – qu’elle est soumise au libre examen du TF (c. 6.2).
Le TF retient également que le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante doit notamment être distingué de celui de « la simple vraisemblance ». En effet, d’une part, « rendre vraisemblable » décrit souvent le degré de preuve qui s’applique dans le cadre de décisions provisoires, prises la plupart du temps avec des restrictions des moyens de preuve, notamment des mesures provisoires. D’autre part, le degré de vraisemblance exigé diffère selon les cas. Un fait est déjà rendu vraisemblable lorsque certains éléments parlent en faveur de son existence, même si le tribunal compte encore sur la possibilité qu’il ne se soit pas réalisé. En revanche, les exigences sont plus élevées en ce qui concerne le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante : la possibilité qu’il puisse en être autrement n’exclut certes pas la vraisemblance prépondérante, mais elle ne doit pas jouer un rôle déterminant pour le fait en question ni entrer raisonnablement en ligne de compte (c. 6.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg



TF 4A_315/2022 du 13 décembre 2022
Responsabilité médicale; information donnée au patient, consentement éclairé; art. 97 CO
Un patient s’était soumis à une opération des cavités nasales. Il avait auparavant reçu une fiche d’information contenant des indications sur différents effets secondaires et complications possibles, dont ceux survenant après des blessures à la base du crâne. Lors de l’opération, le patient avait effectivement subi une lésion de la base antérieure du crâne et des méninges, avec fuite de liquide et entrée d’air dans l’espace cérébral. Ce type d’incident était connu et considéré comme rare (0,2 à 0,5 %). Le problème avait été corrigé trois jours plus tard par une opération d’urgence, après un rendez-vous chez le médecin ORL opérateur et l’établissement d’un scanner.
A la suite d’une action partielle du patient, qui se plaignait de certaines séquelles, le tribunal d’arrondissement avait rendu une décision incidente admettant la responsabilité de principe du médecin opérateur, sur la base d’une violation du devoir d’information. L’appel interjeté par le médecin auprès du Tribunal supérieur du Canton de Berne avait été rejeté. Devant le TF, la question d’une éventuelle faute médicale ne se posait plus, cette hypothèse ayant été rejetée par les deux premières instances.
La Cour supérieure était parvenue à la conclusion qu’une fiche d’information avait été remise au patient avant l’opération, fiche dans laquelle il était fait mention de la complication possible d’une fuite de liquide céphalorachidien avec le risque d’une méningite consécutive. Il n’avait pas été établi par contre qu’une explication orale avait été donnée à ce sujet et que l’intimé avait lu et compris la feuille d’information. Bien au contraire, le formulaire d’information remis au patient contenait au verso une rubrique intitulée « Documentation », dans laquelle il fallait cocher que le formulaire d’information avait été lu et compris, que toutes les questions intéressantes avaient pu être posées lors de l’entretien d’information, et qu’il y avait été répondu de manière complète et compréhensible. Comme cette page était restée vide, les premiers juges en avaient conclu que la preuve de ces explications orales et du fait que le patient avait lu et compris le texte de la fiche d’information n’avait pas été apportée. Le TF a rejeté sur cette question de faits le grief d’arbitraire du recourant (c. 6.3).
Par contre, il a considéré que, sur le plan juridique, le médecin ORL avait bel et bien rempli correctement son devoir d’information. Le TF rappelle à ce sujet que l’information adressée au patient n’est en principe pas liée à une forme particulière, et qu’il convient plutôt de décider, en fonction des circonstances, si celui-ci a été informé de manière claire et compréhensible sur le diagnostic, la méthode de traitement et les risques. On ne peut donc pas partir du principe, comme l’ont fait les premiers juges, qu’une information donnée exclusivement par écrit est en soi insuffisante, même en ce qui concerne des complications hautement improbables (c. 7.1).
En l’espèce, comme une fiche d’information avait été remise à l’intimé avec l’invitation à la lire, comme cette fiche mentionnait en termes compréhensibles le risque spécifique tel qu’il s’était réalisé, comme il s’agissait d’une complication extrêmement rare, et que celle-ci avait pu être corrigée, comme le patient avait eu la possibilité d’étudier la fiche d’information chez lui, d’y préparer des questions et de les poser lors d’une consultation ultérieure après un délai de réflexion approprié, et comme il avait déclaré que le fait de savoir que toute opération comportait des risques lui avait « suffi », le TF conclut que le devoir d’information a été correctement rempli, même si aucune explication orale n’a été donnée. Il relève par ailleurs qu’il convient de laisser à cet égard une certaine marge de manœuvre au médecin, qui doit aussi pouvoir prendre en compte le fait qu’un excès d’informations peut être néfaste pour le patient, causer un état d’anxiété préjudiciable, et finalement l’empêcher de prendre une décision appropriée (c. 7.2).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

ATF 148 II 556, TF 2C_259/2022 du 7 décembre 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance liée, déductibilité des primes, période fiscale déterminante; art. 82 al. 1 LPP; OPP3
Selon l’art. 15 al. 1 LHID, la période fiscale correspond à l’année civile. L’art. 82 al. 1 LPP prévoit que les salariés et les indépendants peuvent également déduire les cotisations affectées exclusivement et irrévocablement à d’autres formes reconnues de prévoyance assimilées à la prévoyance professionnelle (cf. aussi art. 1 al. 2 let. b OPP3 et 33 al. 1 let. e LIFD). Dans cette décision, le TF confirme que le montant de CHF 24'632.-, dont l’ordre de paiement a été effectué le 29 décembre 2017, ne peut pas être déduit fiscalement pour l’année 2017, dès lors que la somme litigieuse a été créditée à l’assureur le 3 janvier 2018 seulement (cf. art. 81 al. 3 LPP ; art. 8 OPP3).
Note : s’agissant d’une somme d’argent (dette portable ; cf. art. 74 al. 2 ch. 1 CO), la même règle prévaut dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, singulièrement en ce qui concerne le caractère déductible des rachats facultatifs (art. 79b LPP).
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_376/2022 du 5 décembre 2022
Assurances privées; procédure; vice de forme; art. 132 al. 1 CPC
Un assuré a déposé une demande devant la cour des assurances sociales pour obtenir le paiement d’indemnités journalières maladie fondées sur un contrat d’assurance maladie complémentaire. L’assureur a déposé une réponse signée uniquement par un collaborateur disposant de la signature collective à deux au Registre du commerce. L’autorité de première instance a ainsi déclaré cette réponse irrecevable et admis l’intégralité des conclusions de la demande au motif que, sans réponse, il fallait considérer que l’assureur avait admis les allégués de la demande. L’assureur a déposé un recours au TF par lequel il relevait que l’art. 132 al. CPC imposait à l’autorité de première instance de lui impartir un délai pour rectifier le vice de forme. Il invoquait également le droit d’être entendu de l’art. 29 al. 1 Cst.
Le TF explique que l’art. 132 al. 1 CPC a pour but d’atténuer la rigueur formelle qui ne serait justifiée par aucun intérêt digne de protection. C’est ainsi que si une partie dépose, par inadvertance ou involontairement, un acte vicié, un délai doit lui être imparti pour qu’il le rectifie. Il relève néanmoins qu’il n’y a aucune protection accordée à cette partie si le défaut constitue un abus de droit manifeste, comme par exemple volontairement déposer un acte vicié afin d’obtenir un délai supplémentaire ou afin de faire traîner la procédure.
Dans le cas d’espèce, le vice reproché à l’assureur avait déjà été constaté dans une procédure et l’attention de l’assureur avait ainsi été attirée sur cette problématique. Le TF relève toutefois qu’une telle récidive n’est en soi pas suffisante pour considérer qu’il y a abus de droit. Par conséquent, notre Haute Cour a considéré que l’autorité inférieure avait violé les art. 132 al. 1 CPC et 29 al. 1 Cst. dès lors qu’aucun délai n’avait été imparti à l’assureur pour rectifier la problématique de la signature. Il a ajouté que ces dispositions et l’obligation d’impartir un délai supplémentaire s’appliquaient également lorsque l’acte était signé par une personne seule si cette dernière ne dispose que de la signature collective à deux, inscrite au Registre du commerce. La cause a ainsi été renvoyé à l’autorité de première instance.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne


TF 4A_323/2022 du 5 décembre 2022
Assurances privées; procédure, preuve à futur, Lloyd’s; art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC
La société A. SA, (requérante, recourante) est une holding du groupe A., dont le siège est en Suisse. B. Limited (intimée 1) et C. Limited (intimée 2) sont des compagnies d’assurances anglaises qui proposent des contrats sur mesure (Spezialversicherungen) par l’intermédiaire du marché des assurances Lloyd’s de Londres. Le 19 décembre 2018, la recourante a signé un contrat d’assurance pour couvrir le risque d’annulation de grandes manifestations. En plus de la société D. plc (public limited company), quatre syndicats des Lloyd’s sont intervenus en tant qu’assureurs, soit les syndicats B. Lloyd’s Syndicate www et xxx et les C. Lloyd’s Syndicate yyy et zzz. Le contrat d’assurance a été conclu enfin par l’intermédiaire de la société E. Limited. L’intimée 1 est membre du syndicat B. Lloyd’s Syndicate www et l’intimée 2 est membre du syndicat C. Lloyd’s Syndicate yyy. En 2020, plusieurs manifestations internationales ont été annulées. Un conflit est né entre les parties en relation avec l’indemnisation du dommage subi. La recourante était de l’opinion que, pour faire valoir sa créance contractuelle, elle avait besoin des données (prénoms, noms ainsi que les adresses de domicile ou de siège) de tous les membres du syndicat des Lloyd’s, participant au contrat d’assurance en question. Le 4 octobre 2021, elle a donc introduit une requête de preuve à futur, dans ce but. Déboutée en première et en deuxième instance, elle porte l’affaire devant le TF.
Le TF rappelle, en premier lieu, qu’il y a une différence entre la demande en production de documents à des fins de preuve dans le cadre d’une procédure civile (Editionsbegehren zu Beweiszwecken) et une demande de production fondée sur un droit aux renseignements de nature matérielle (Editionsbegehren gestützt auf einen materiellrechtlichen Auskunftsanspruch). Alors que le droit aux renseignements ou à la reddition de compte peut être élevé, de manière indépendante et notamment être cumulé avec la prétention principale, en tant que prétention accessoire, dans le cadre d’une action échelonnée (Stufenklage), la demande de preuve en matière de procédure civile présuppose des allégations pertinentes sur les faits que les documents à éditer doivent prouver (c. 4 ss ; cf. ATF 144 III 43 c. 4).
Le TF rappelle ensuite rapidement le mode de fonctionnement du marché des Lloyd’s (c. 5.1 et réf. not. 4A_116/2015, 4A_118/2015 du 9 novembre 2015, c. 3.1, n. p. dans ATF 141 III 539). Il rappelle que les Lloyd’s ne contestent en principe pas leur légitimation passive lorsque la partie défenderesse est intitulée « les assureurs Lloyd’s signataires du contrat Nr. […], représentés par le mandataire général pour la Suisse ». Il reconnaît toutefois que cela ne change fondamentalement rien aux effets sur la capacité d’être partie. En passant, il mentionne que le projet de révision de la loi sur la surveillance des assurances prévoit un art. 15a P-LSA « association d’assureurs désignée par Lloyd’s ». Son al. 2 devrait prévoir que le mandataire général des Lloyd’s pour la Suisse a qualité de partie dans toutes les procédures concernant les prétentions et les créances découlant de contrats d’assurance, en lieu et place des assureurs des Lloyd’s concernés (c. 5.2 et réf.). Il examine ensuite le grief de la recourante qui conteste avoir voulu obtenir des preuves de manière contraire au droit. En effet, l’autorité cantonale avait considéré qu’il en allait ainsi puisque la recourante sollicitait des informations qu’elle ne connaissait pas encore et dont elle disait avoir besoin pour intenter une action contre les membres des syndicats, afin de prouver la capacité d’être partie et la légitimation passive, sur la base des art. 158 al. 1 let. b et 160 al. 1 let. b CPC. Pour le TF, l’appréciation cantonale n’est pas arbitraire, parce que la recourante ne fait pas valoir qu’elle aurait eu effectivement connaissance des informations requises. Or, la requête de preuve à futur visant l’édition de documents ne sert pas à clarifier un état de fait mais à le prouver (c. 6.2.1). Du point de vue du TF, il n’est pas non plus arbitraire de rejeter l’action de la recourante au motif qu’un tel rejet reviendrait à ce que la demanderesse ne puisse, dans l’hypothèse d’une absence d’un droit contractuel à l’information, pas faire valoir ses prétentions en justice. Il a ainsi suivi la cour cantonale, estimant que cela ne représentait pas un résultat insoutenable et que cette impossibilité serait en outre imputable à la recourante, elle-même, laquelle avait accepté de conclure un contrat, sans connaître ses partenaires voire sans prévoir de clause impliquant une obligation de communication desdits partenaires (c. 6.2.2). Enfin, le TF considère que l’argumentation principale des juges cantonaux, à savoir que la recourante n’a pas sollicité l’édition de documents mais d’informations et qu’elle n’avait pas démontré que l’objet de ses conclusions juridiques était constitué de documents déjà existants, malgré les dénégations de la demanderesse, ne représentait pas une violation du droit d’être entendu de la recourante (c. 6.3 ss). Le recours est rejeté.
Auteur : Rébecca Grand, avocate à Winterthour


ATF 149 I 57, TF 8C_374/2022 du 5 décembre 2022
Assurance-accidents; assistance judiciaire, choix du mandataire, mandataire hors canton; art. 29 Cst.
L’art. 29 al. 3 Cst. ne garantit pas en principe le droit du justiciable au bénéfice de l’assistance judiciaire de choisir librement son conseil d’office. Les règlements cantonaux selon lesquels seuls les avocats inscrits dans leur propre canton peuvent se voir confier des mandats d’office peuvent être objectivement justifiés et sont compatibles avec l’art. 29 al. 3 Cst. Toutefois, sur la base du droit à un procès équitable (art. 29 al. 1 Cst), s’il existe une relation de confiance particulière entre le client et l’avocat ou si l’avocat a déjà traité l’affaire dans le cadre d’une procédure antérieure, les dispositions cantonales ne peuvent faire obstacle à la désignation d’un avocat d’office inscrit en dehors du canton.
Dans le cas d’espèce, le recourant s’était vu accorder l’assistance judiciaire et la désignation d’un conseil d’office dans le cadre d’une première procédure, qui avait été portée devant une autorité judiciaire incompétente. La cause a été transférée à l’autorité compétente, sise dans un autre canton dans lequel l’avocat en question n’était pas inscrit. Les instances cantonales ont refusé de désigner au recourant le même conseil d’office au motif que cet avocat n’était pas inscrit dans le canton concerné. Pour le TF, il faut considérer que l’avocat en question avait déjà traité l’affaire dans le cadre d’une procédure antérieure, contrairement à ce que soutenait l’autorité inférieure, si bien que c’est à tort que sa désignation en qualité de conseil d’office lui a été déniée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si une relation de confiance particulière entre le client et l’avocat existait en l’espèce.
Auteur : Amandine Torrent, avocate à Lausanne


ATF 149 IV 42, TF 6B_171/2022 du 29 novembre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence, procédure, acte d’accusation, causalité; art. 333 CP
Un chauffeur circule au volant de sa camionnette lorsqu’il détourne brièvement son regard sur quatre véhicules, dont une voiture de police, stationnés sur une piste cyclable. Lorsque son regard se porte à nouveau sur la route devant lui, le chauffeur est ébloui par une source lumineuse ou un reflet dont l’origine n’a pu être déterminée par l’enquête. Lorsqu’il retrouve la vue, le conducteur réalise qu’un véhicule est arrêté devant lui et entre en collision avec celui-ci provoquant le décès d’une conductrice.
Le TF écarte tout d’abord le grief du ministère public relatif à la violation de la maxime d’accusation (art. 9 CPP) en rappelant que l’acte d’accusation doit préciser les circonstances sur lesquelles le Ministère public se fonde pour retenir une violation du devoir de diligence du prévenu de même que le caractère prévisible et évitable du résultat. Dans le cas d’espèce, l’acte d’accusation exposait uniquement le bref regard sur les véhicules stationnés sur la piste cyclable ainsi que l’éblouissement comme fondement de la violation du devoir de diligence. Ainsi, l’éventuelle vitesse inadaptée aux conditions de circulation ou la distance de sécurité insuffisante, éléments évoqués dans un rapport d’expertise, ne figuraient pas parmi les reproches formulés à l’égard du prévenu et c’est donc à juste titre que l’autorité cantonale ne les a pas pris en compte (c. 2.1 à 2.6).
Le ministère public critiquait également la mauvaise application de l’art. 333 al. 1 CPP (modification et compléments de l’accusation). Le TF précise la portée de l’art. 333 CPP : le recours à l’art. 333 al. 1 CPP n’est possible qu’à des conditions limitées. Ainsi, cette disposition est applicable lorsque l’état de fait décrit dans l’acte d’accusation pourrait correspondre à une autre infraction ou à une infraction supplémentaire, mais qu’il est nécessaire d’y ajouter un nouvel élément factuel (c. 3.4.3 et 3.4.4). Le TF précise, en revanche, que l’art. 333 al. 1 CPP n’a pas vocation à être appliqué dans le but de modifier l’état de fait de l’acte d’accusation sans que cela ne change la qualification juridique de l’infraction. Dans le cas d’espèce, le TF constate que l’acte d’accusation ne contient pas la description de toutes les circonstances permettant de fonder une violation du devoir de prudence – notamment rien sur la vitesse inadaptée et l’absence de distance de sécurité - de sorte que le tribunal cantonal n’a, à juste titre, pas renvoyé l’acte d’accusation au ministère public. En effet, ce dernier n’aurait pu compléter que la description de l’état de fait sans que cela n’ait une quelconque influence sur la qualification juridique de l’infraction puisque seul l’homicide par négligence entrait en ligne de compte (c. 3.5).
Le TF examine finalement la question de la causalité. Le tribunal cantonal avait considéré, sur la base d’une expertise, que la violation du devoir de prudence concrètement reprochée au conducteur (bref regard sur le côté et éblouissement) avait certes retardé son freinage d’urgence de 0.5 à 0.7 secondes mais n’auraient pas empêché la survenance de l’accident. A cet égard, le TF observe que même si la collision serait survenue de toute manière en raison des violations du devoir de prudence du conducteur non décrites dans l’acte d’accusation (vitesse inadaptée à la circulation et non-respect des distances de sécurité), les violations concrètement reprochées et figurant dans ce dernier ont pu contribuer au résultat final. En effet, l’élément déterminant pour envisager l’imputation objective d’un résultat à un auteur est que ce dernier ait, par son comportement, réalisé l’une des conditions dont le résultat, dans sa manifestation concrète, est la conséquence. En outre, les conséquences de la collision auraient pu être différentes si le conducteur avait freiné 0.5 à 0.7 secondes plus tôt. Aussi le TF admet-il partiellement le recours et renvoie la cause au tribunal cantonal pour nouvel examen.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains




TF 6B_375/2022 du 28 novembre 2022
Lésions corporelles graves par négligence; violation du devoir de prudence de l’employeur, causalité adéquate, interruption; art. 125 CP; 8 al. 2 let. a, 15 al. 1, 16 et 19 al. 1 aOTConst; 11 et 21 OPA
Pour éviter de faire un détour, un ouvrier a décidé de ne pas emprunter la sortie réglementaire du chantier sur lequel il travaillait. Il est passé par une autre ouverture où se trouvait un échafaudage duquel il a chuté, entraînant de graves blessures. Il est admis que l’employeur n’a pas manqué à son devoir de surveillance et d’information, ni à son devoir de prudence s’agissant du choix et de l’installation des échafaudages. L’employeur a néanmoins manqué à son devoir de prudence, découlant des art. 21 OPA, 15 al. 1, 16 et 19 al. 1 aOTConst, en n’installant pas de protection et en ne prenant ainsi pas les mesures nécessaires pour prévenir les chutes.
Dans le cadre de l’analyse de l’art. 125 CP, le TF s’attarde sur le concept général de la causalité adéquate qui demeure litigieuse en l’espèce. Il est rappelé qu’en cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée.
L’existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance ; autrement dit, elle n’est réalisée que lorsque l’acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat. La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’eût empêché.
La causalité adéquate peut aussi être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d’un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.
Il convient en l’espèce de se poser la question de savoir si l’installation de protections latérales ou de mesures de protection équivalentes aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité que l’ouvrier emprunte volontairement ce passage et, conséquemment, chute. Si l’employeur avait installé des protections latérales ou des mesures de protection équivalentes, l’ouvrier n’aurait eu d’autre choix que de franchir ces installations avant de pouvoir emprunter le passage dont il est question, ce qui aurait nécessairement pris du temps. La simple présence de protections latérales ou de mesures de protection équivalentes aurait, à tout le moins, eu pour effet de porter son attention sur les risques inhérents à la manœuvre envisagée et l’aurait très vraisemblablement décidé à emprunter la sortie réglementaire. Il résulte de ce qui précède que la causalité adéquate doit être admise.
Reste encore à se demander si le comportement de l’ouvrier est à ce point extraordinaire et inattendu qu’il relègue à l’arrière-plan les manquements de l’employeur. Travailler sur un chantier est en soi une activité dangereuse, raison pour laquelle des normes de sécurité strictes s’appliquent à cette activité. En particulier, l’OTConst et l’OPA contiennent de nombreuses prescriptions visant à prévenir les chutes, précisément parce qu’il n’y a rien de surprenant à ce qu’un ouvrier, pour gagner du temps ou pour toute autre raison, prenne des risques pouvant conduire à une chute involontaire.
En cela, le comportement de l’ouvrier ne s’impose pas comme la cause la plus probable et la plus immédiate de son accident, reléguant à l’arrière-plan les manquements de l’employeur. La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en retenant une rupture du lien de causalité adéquate.
Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève


TF 4A_603/2020 du 16 novembre 2022
Responsabilité aquilienne; responsabilité délictuelle, faute, dol éventuel, norme de protection, blanchiment d’argent; art. 41 al. 1, 55 al. 1 CO; 29, 305bis CP; 9 LBA
Un prétendu gérant de fortune indépendant a ouvert un compte dans une banque et berné des clients. Une procédure pour blanchiment d’argent a notamment été ouverte. A la suite de son décès, la procédure pénale a pris fin. Plusieurs clients ont fait valoir des dommages-intérêts et indemnités pour tort moral contre la banque, fondant leur action sur les principes de la responsabilité délictuelle (art. 41 ss CO). La norme de protection invoquée est l’art. 305bis CP, la banque se trouvant selon eux dans une position de garant. L’action a été rejetée, les clients échouant à démontrer l’intention délictueuse et le lien de causalité entre les manquements de la banque et le dommage subi. Ce jugement a été annulé en appel car la banque aurait dû réaliser le caractère insolite des transactions et disposait d’indices quant à la provenance douteuse des avoirs. Le dol éventuel pouvait ainsi être retenu, les agissements de la banque tombaient sous le coup de l’art. 305bis CP. L’action délictuelle était fondée et le dossier renvoyé aux premiers juges pour déterminer la quotité du dommage. La banque a recouru en matière civile auprès du TF et a conclu à l’annulation de la décision incidente rendue.
Le TF rappelle que la banque peut également engager sa responsabilité de par l’art. 55 al. 1 CO. L’acte de l’employé doit toutefois être illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO. Lorsqu’un acte illicite lèse le patrimoine, il faut établir la violation d’une norme de comportement (Schutznorm) visant à protéger le lésé dans les droits atteints par l’acte incriminé. L’art. 305bis CP est une de ces normes de comportement. Cette infraction ne peut être réalisée que sous la forme intentionnelle. Le blanchiment d’argent doit être intentionnel, ce qui signifie que son auteur doit agir « avec conscience et volonté ». L’intention est déjà réalisée lorsque l’auteur tient pour possible la réalisation de l’infraction et l’accepte au cas où celle-ci se produirait (art. 12 al. 1 et 2 CP). Est ici visé le dol éventuel : l’auteur envisage le résultat dommageable mais agit néanmoins, même s’il ne le souhaite pas, parce qu’il s’en accommode pour le cas où il se produirait. La frontière avec la négligence consciente est ténue ; elle se situe au niveau volitif. L’auteur négligent envisage lui aussi l’avènement du résultat dommageable mais escompte, ensuite d’une imprévoyance coupable, que ce résultat qu’il refuse en soi ne se produira pas. A défaut d’aveux, le juge doit se fonder sur les circonstances extérieures pour déterminer quelle forme de faute il retient.
En l’espèce, l’enjeu consistait à établir un acte intentionnel de blanchiment d’argent qui fût propre à engager la responsabilité civile de la banque. Le caractère insolite de la situation était apparu dans le cadre de la procédure pour blanchiment d’argent, la banque aurait dû s’interroger en particulier sur l’origine illicite des fonds. La responsabilité de la banque ne peut être engagée que dans la mesure où une/des personne(s) physique(s) a/ont commis un acte illicite, soit réalisé les éléments constitutifs objectifs et subjectif du blanchiment. Deux écueils se dressent à cet égard : d’une part, il faut pouvoir reprocher à une/des personne(s) physique(s) d’avoir contrevenu aux obligations juridiques qualifiées instaurées par la LBA. D’autre part, un comportement intentionnel est requis. L’art. 29 CP trace le cercle limité des personnes physiques auxquelles l’on peut reprocher d’avoir enfreint un devoir particulier incombant à la personne morale – ici en vertu de la LBA. Il s’agit des membres d’un organe (let. a), des associés (let. b), des collaborateurs dotés d’un pouvoir de décision indépendant (let. c) ou enfin, des dirigeants effectifs (let. d).
En l’occurrence, l’organisation de la banque pour lutter contre le blanchiment d’argent et les personnes en charge d’aviser le Bureau de communication au sens de l’art. 9 LBA ne sont pas indiquées. La responsable du service juridique était absente pendant la période problématique et il n’y a pas de détails quant au service de compliance. Un collaborateur précis ne peut ainsi être déterminé. Le TF rappelle qu’il faut ensuite démontrer l’intention délictueuse d’un employé précis. Les éléments au dossier ne permettent pas non plus de déduire une intention délictuelle. Les clients de la banque n’ont du reste pas requis l’audition de membres du personnel. Rien n’indique que la Commission ait pu identifier des collaborateurs animés d’une intention délictueuse. La cour cantonale ne pouvait s’inspirer d’un mécanisme étranger à l’art. 55 CO, qui n’est pas applicable faute d’acte illicite. L’enquête pénale n’a pas pu mettre en évidence des employés suspects. Devant la Cour de justice déjà, il était acquis que l’illicéité civile pouvait découler uniquement de la réalisation de l’art. 305bis CP, aucune autre norme pénale n’entrant en ligne de compte. Il était également admis que la violation des règles de la LBA était en soi inapte à fonder une responsabilité civile délictuelle au sens de l’art. 41 CO.
En définitive, le TF retient qu’aucun acte illicite susceptible d’engager une responsabilité de la banque selon l’art. 55 CO n’a pu être établi car aucune intention délictueuse n’a pu être prêtée à l’un ou l’autre collaborateur précis de la banque. Aussi le TF a-t-il rejeté les conclusions des demandeurs et admis le recours de la banque.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate, Lausanne


TF 4A_480/2021 du 9 novembre 2022
Responsabilité aquilienne; contrat de mandat, allégation du dommage, procédure; art. 42 al. 1 et 2, 398 al. 1 CO; 55 CPC
Dans le cadre de l’acquisition du capital-actions d’une société anonyme, la recourante reproche à la fiduciaire, chargée de réviser les comptes de la société visée, de ne pas avoir constaté que les fonds propres et les résultats de celle-ci étaient surévalués. Ayant payé un prix excessif pour les actions et invoquant la responsabilité de son mandataire, l’acheteuse a conclu à ce que la fiduciaire soit condamnée au paiement de la différence entre le coût des actions et leur valeur réelle, étant précisé qu’elle avait déduit du montant réclamé le versement effectué à bien plaire par le vendeur à la suite d’une action en réduction du prix de vente. Alors que les manquements de l’intimée et la différence de valeur avaient été démontrés par expertises, privée puis judiciaire, les deux instances cantonales ont intégralement rejeté les conclusions de la mandante.
Après avoir rappelé les conditions régissant la responsabilité du mandataire, soit la violation d’un devoir de diligence, l’existence d’une faute (présumée en cas de violation du contrat), un dommage et un lien de causalité entre le dommage et la violation fautive du devoir de diligence, le TF a confirmé le défaut d’allégation suffisante du dommage. En effet, en matière de responsabilité du mandataire, cas qui doit être distingué de la responsabilité du vendeur, l’acheteur doit alléguer quelle aurait été sa situation patrimoniale sans la survenance de l’événement dommageable, en l’espèce la violation par la fiduciaire des règles de l’art lors de la révision des comptes. Or, l’acheteuse s’est limitée à alléguer la valeur réelle de la société selon les comptes rectifiés de la société, et donc le trop-payé au regard du prix initialement versé. A l’appui de ces faits, elle a sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire portant sur la diligence du mandataire et la diminution de son patrimoine. Le préjudice ne peut toutefois être calculé par l’application purement arithmétique d’une formule mathématique dont on déduirait le delta entre le prix payé et la valeur réelle ; il faut comparer le patrimoine de la lésée en fonction des décisions qu’elle aurait prises si elle avait été correctement informée par la fiduciaire.
Le TF retient ainsi que la recourante aurait dû alléguer, puis offrir de prouver, quel aurait été son comportement si son mandataire avait correctement effectué la mission confiée, à savoir constaté que les fonds propres et les bénéfices de la société étaient surévalués. Dès lors, l’acheteuse aurait dû affirmer (i) qu’elle aurait renoncé à acheter les actions de la société compte tenu des résultats réels de celle-ci, son dommage s’élevant alors au prix payé, la valeur du bien en sa possession étant portée en déduction, ou (ii) qu’elle aurait été en mesure de négocier auprès du vendeur un prix inférieur, et a minima alléguer quel aurait été le prix réduit, son préjudice étant alors équivalent à la différence entre le prix versé et celui négocié à la baisse.
Le TF retient ainsi que les conclusions de l’expertise judiciaire, qui ne portait pas sur le dommage indemnisable, ont été écartées à juste titre. La violation du devoir d’allégation a donc été retenue à juste titre, que ce soit sous l’angle de l’établissement non arbitraire des faits ou de l’application correcte du droit fédéral. L’invocation de l’art. 42 al. 2 CO ne saurait remédier aux manquements de la recourante, cette disposition permettant certes au juge de définir l’indemnisation du dommage en équité, mais ne relevant pas le demandeur de son devoir d’allégation des faits pertinents et d’offrir les preuves à leur appui.
Ex cursus : cette procédure a également porté, à titre incident, sur la recevabilité d’un appel en cause, la Cour de justice l’ayant rejeté en raison de l’absence d’un lien de connexité suffisant entre la prétention principale et celle invoquée dans l’appel en cause, le TF, par substitution de motifs, retenant finalement que l’appelant en cause avait manqué de prendre des conclusions chiffrées contre l’appelé.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève



TF 4A_298/2021 du 8 novembre 2022
Responsabilité médicale; prescription, créance en euros, requête de conciliation, conclusions libellées en francs suisses, principe de la confiance; Art. 135 al. 1 et 2, 84 al. 2 et 127 CO; 67 al. 1 ch. 1 à 4 LP; 58 al. 1 et 132 al. 1 CPC
Est litigieuse la question de savoir si le délai de prescription de trois créances, à savoir de trois postes de préjudice, selon les conclusions prises en euros dans la seconde action du 28 mars 2018, objet de la présente procédure de recours, a été ou non interrompu par la première action, introduite le 30 juin 2015 et donc dans le délai de 10 ans à compter de l’opération du 3 mai 2006, mais dont les conclusions étaient libellées en francs suisses (c. 4).
Le TF rappelle tout d’abord sa jurisprudence relative à la monnaie dans laquelle le créancier doit formuler ses conclusions et la conséquence attachée à des conclusions prises dans une monnaie erronée (c. 5, 5.1, 5.1.1, 5.1.2 et 5.2).
Selon la jurisprudence rendue en matière d’interruption de la prescription par une requête de conciliation, la désignation inexacte d’une partie peut être rectifiée lorsqu’il n’existe dans l’esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l’identité de la partie, notamment lorsque l’identité résulte de l’objet du litige. Cela présuppose évidemment que la requête de conciliation ait été effectivement communiquée à la partie qui a la qualité pour défendre, et non à un tiers, en d’autres termes que celle-ci en ait eu connaissance, à défaut de quoi il n’est évidemment pas possible de lui imputer qu’elle aurait compris ou dû comprendre, selon les règles de la bonne foi, que l’action ait été ouverte contre elle. Il en va de même en cas d’inexactitude de la désignation d’une partie dans la demande (c. 6.2.1.2).
Dans la droite ligne de la jurisprudence susmentionnée et du principe de la confiance sur lequel repose la validité de l’acte interruptif en dépit de la désignation inexacte d’une partie qui affecte celui-ci, il y a lieu d’admettre que le créancier qui a adressé, en temps utile, à une autorité de conciliation une première action, libellée en francs suisses, pour une créance qui était due en monnaie étrangère, a valablement interrompu le délai de prescription puisqu’il a ainsi bien fait connaître à une autorité officielle son intention, ou aurait dû la comprendre selon le principe de la confiance. La créance suffisamment individualisée par son fondement, et les montants en francs suisses et en euros ne sont que les deux faces d’une même pièce. Cette solution s’impose aussi pour deux autres motifs : premièrement, une réquisition de poursuite (obligatoirement) exprimée en francs suisses interrompt valablement la prescription de la créance due en monnaie étrangère ; deuxièmement, lorsqu’il est saisi de conclusions en paiement et en mainlevée, le tribunal prononce simultanément, pour la seule et même créance, une condamnation en monnaie étrangère et la mainlevée en francs suisses de l’opposition au commandement de payer. On ne verrait donc pas pourquoi la prescription d’une créance en monnaie étrangère pourrait être interrompue par une réquisition de poursuite en francs suisses et qu’elle ne pourrait pas l’être par une requête en conciliation en francs suisses. Certes, il faut distinguer entre l’effet interruptif de la prescription, qui se produit à un moment donné, sans égard à la suite de la procédure, et qui a pour but la sauvegarde du droit lui-même, laquelle relève du droit matériel, et la rectification d’une erreur dans la procédure en cours, qui relève du droit de procédure. A la différence de la désignation inexacte d’une partie, qui peut être corrigée dans la procédure introduite, l’erreur concernant la monnaie due ne pourra être corrigée que par l’introduction d’une nouvelle requête libellée dans la monnaie correcte (c. 6.2.2).
En l’espèce, la patiente a communiqué par une requête de conciliation du 30 juin 2015, soit dans le délai de prescription de 10 ans, qu’elle entendait obtenir le paiement d’une créance en dommages-intérêts dont le fondement était le prétendu dommage causé par l’intervention chirurgicale qu’elle avait subie le 3 mai 2006. Elle a donc valablement interrompu la prescription par ses conclusions libellées en francs suisses, et ce sans égard à la suite de la procédure. Par conséquent, la seconde requête de conciliation du 28 mars 2018, portant sur la même créance et alors exprimée en euros, a été introduite en temps utile, de sorte que cette action n’est pas prescrite (c. 6.3). Le recours est admis et l’arrêt attaqué est annulé et réformé, en ce sens que l’exception de prescription soulevée par les défendeurs est rejetée.
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud



ATF 149 V 29, TF 9C_650/2021 du 7 novembre 2022
Assurance-maladie; assurance facultative des indemnités journalières, réserves de santé, réticence, protection des données; art. 69 LAMal
En matière de protection des données, l’assureur-maladie social n’est en droit de traiter de données sensibles – dont les données sur la santé (art. 3 let. c LPD) – que si une loi au sens formel le prévoit expressément (cf., de manière générale, l’art. 84 LAMal) ou si, exceptionnellement (et entre autres éventualités), la personne concernée y a consenti ou a rendu ses données accessibles à tout un chacun et ne s’est pas opposée formellement au traitement (art. 17 al. 2 let. c LPD). Il est par ailleurs tenu de prendre les mesures techniques et organisationnelles nécessaires pour garantir la protection des données (art. 84b LAMal ; cf. aussi art. 7 al. 1 LPD). Dans ce cadre, il doit assurer que le traitement des données, y compris la collecte des données et leur exploitation (cf. art. 3 let. e LPD), soit effectué en conformité à la loi.
A juste titre, le TF a rappelé que la loi interdit un échange d’informations général entre une caisse-maladie et une assurance complémentaire privée, même si elles appartiennent à un même groupe d’assureurs, que le transfert de données se fasse de l’assureur-maladie social à l’assureur privé ou dans l’autre sens. Il a ainsi annulé la décision du tribunal cantonal, au motif qu’on ne pouvait retenir que l’assureur-maladie d’indemnités journalières selon la LAMal avait eu ou aurait pu avoir connaissance du rapport d’un médecin ayant traité la personne assurée au moment où il a été transmis à l’assureur privé. En conséquence, l’assureur-maladie social n’était pas en retard lorsqu’il a émis une réserve (rétroactive) à l’endroit de l’assurée, pour cause de réticence (art. 69 LAMal).
Auteur : Guy Longchamp


ATF 149 V 2, TF 9C_663/2021 du 6 novembre 2022
APG-COVID; revenu déterminant pour le calcul des indemnités, égalité de traitement; art. 8 Cst.; 5 al. 2 O APG COVID-19 des 6 juillet et 8 octobre 2020
Le TF examine la conformité de l’ordonnance sur les pertes de de gain COVID-19 des 6 juillet et 8 octobre 2020 avec la Constitution fédérale à l’occasion d’une affaire ayant débuté le 18 août 2020, lorsque la recourante, musicienne indépendante, a demandé à bénéficier des APG-COVID en lien avec la pandémie. La caisse cantonale de compensation lui a reconnu, à compter du 17 mars 2020, le droit à une indemnité journalière calculée sur la base des revenus taxés en 2018 (en application des art. 2 al. 3bis et art. 2 al. 1bis let. b ch. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet 2020). Se fondant sur la taxation fiscale de ses revenus pour l’année 2019, intervenue le 21 octobre 2020, la recourante a demandé une modification du calcul de l’indemnité journalière avec effet au 17 mars 2020.
L’autorité cantonale a refusé pour la période du 17 mars au 31 octobre 2020 au motif que l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet 2020 accordait au bénéficiaire le droit de demander jusqu’au 16 septembre 2020 un nouveau calcul de l’indemnité allouée sur la base de la taxation fiscale des revenus réalisés en 2019. Elle lui a également refusé le droit au nouveau calcul pour la période ultérieure à compter du 17 septembre 2020, au motif que l’O APG COVID-19 du 8 octobre 2020 disposait que les bases de calcul pour les indemnités allouées sur base de l’O APG COVID-19 applicable jusqu’au 16 septembre 2020 étaient maintenues pour la période ultérieure (art. 5 al. 2bis et 5 al. 2ter O APG COVID-19 dans sa teneur du 8 octobre 2020).
Le TF constate que l’O APG COVID-19, modifiée le 8 octobre 2020, après l’adoption de la loi COVID-19 du 25 septembre 2020, dont l’art. 15, entré en vigueur avec effet rétroactif au 17 septembre 2020, constitue la base légale des mesures destinées à compenser la perte de gain.
La recourante invoque une violation de l’art. 8 Cst. Selon elle, la limite temporelle, imposée par l’ordonnance dans sa teneur au 6 juillet et au 8 octobre 2020, désavantage sans motif valable les bénéficiaires dont les revenus 2019 ont été taxés après le 16 septembre 2020.
Le TF rappelle qu’une norme viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou si elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. L’inégalité de traitement injustifiée doit porter sur un aspect substantiel. Une inégalité de traitement peut se justifier par les buts poursuivis par le législateur ou par le Conseil fédéral, en cas d’ordonnance, ce dernier disposant en général d’une grande marge de manœuvre (c. 10).
L’O APG COVID-19 du 6 juillet 2020 a été adoptée par le Conseil fédéral dans le cadre des larges pouvoirs lui ayant été conférés par l’art. 185 al. 3 Cst. Le TF a le pouvoir d’examiner à titre préjudiciel le caractère constitutionnel de cette ordonnance de substitution indépendante d’une loi parlementaire et peut ne pas l’appliquer si elle viole les droits fondamentaux (c. 9 et 147 V 423 sur les ordonnances indépendantes qui se distinguent des ordonnances de substitution dites « dépendantes »).
Le TF constate qu’au cours du printemps et de l’été 2020, il était difficile de prévoir la durée des mesures sanitaires et le nombre de requêtes à traiter. Il se justifiait dès lors d’adopter des mesures simples pour répondre rapidement aux nombreuses demandes d’aide urgente dues aux conséquences économiques de la pandémie. La limite temporelle de l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet, fixée au 16 septembre 2020, pour déposer la demande et la taxation fiscale 2019, en vue d’un nouveau calcul de l’indemnité, se justifiait objectivement par l’urgence de la situation. Cette disposition n’est ainsi pas arbitraire et respecte le principe de l’égalité de traitement (c. 11.3.3). La décision cantonale est donc confirmée pour la période du 17 mars au 16 septembre 2020.
En revanche, l’O APG COVID-19 dans sa teneur du 8 octobre 2020 trouve son fondement dans la loi fédérale, laquelle ne contient aucune indication détaillée quant au contenu de l’ordonnance en matière d’indemnités perte de gain. Aucune immunité constitutionnelle ne peut être ainsi conférée à l’ordonnance du 18 octobre 2020 (c.11.3.4). Le TF relève d’ailleurs qu’à son art. 5 al. 2, l’ordonnance du 8 octobre 2020 renvoie, pour le calcul des indemnités, à l’application par analogie aux art. 11 al. 1 LAPG et 7 al. 1 RAPG. Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2021, ce dernier article permet de procéder à un nouveau calcul de l’indemnité si les revenus déterminants AVS de l’année de service diffèrent des revenus AVS déterminants antérieurs, pris en compte pour le calcul de l’indemnité journalière.
Le TF rappelle que l’O APG COVID- 19 a été modifiée le 1er juillet 2021 pour prescrire de calculer le montant des indemnités journalières sur la base de la taxation fiscale de l’année 2019 (c. 6.2.2 et 11.3.4). Les bénéficiaires des prestations pour la période du 17 septembre 2020 au 30 juin 2021 sont dès lors désavantagés, sans raison valable, par rapport à ceux qui ont pu bénéficier des prestations dès le 1er juillet 2021. La limite temporelle fixée par l’ordonnance du 8 octobre 2020 ne doit dès lors pas être appliquée. Il en résulte ainsi également une absence de violation du devoir d’informer de la part de l’assurée que lui avait reproché l’autorité cantonale pour ne pas avoir transmis les revenus AVS avant le 17 septembre 2020 (art. 31 LPGA, art. 24 al. 4 OAVS) (c. 11.5).
En l’absence du caractère urgent reconnu précédemment, le TF ne voit pas de motif justifiant de refuser aux bénéficiaires un nouveau calcul des indemnités journalières, fondé sur la taxation fiscale des revenus de l’année 2019, après le 16 septembre 2020.
Auteur : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 8C_366/2022 du 19 octobre 2022
Assurance-chômage; restitution, péremption, rectification de la décision; art. 53 al. 2 et 25 al. 2 LPGA
En matière d’assurances sociales, une décision entrée en force qui repose sur une application initialement erronée du droit peut faire l’objet d’une reconsidération. La reconsidération, qui se fonde sur l’art. 53 al. 2 LPGA, est soumise à deux conditions : l’importance notable de la rectification et l’existence d’une erreur manifeste. L’erreur manifeste peut résulter de l’application des mauvaises bases légales, de la non-application ou de la mauvaise application des normes déterminantes ainsi que de l’application erronée de la jurisprudence. Lorsque les conditions de la reconsidération sont réalisées, la décision reconsidérée est annulée.
L’art. 25 al. 2, 1re phrase, LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, prévoit que le droit de demander la restitution de prestations indûment touchées s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du motif de restitution, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Selon le TF, malgré la terminologie légale, il s’agit de délais (relatif ou absolu) de péremption et non de prescription. Ces délais ne peuvent par conséquent pas être interrompus. Par ailleurs, le délai de péremption est sauvegardé une fois pour toutes lorsque l’autorité a accompli l’acte conservatoire que prescrit la loi. Pour le TF, est déterminant pour la sauvegarde du délai de péremption le moment où la caisse a rendu sa décision de restitution.
S’agissant de l’interruption de la péremption de la créance en restitution de prestations indues, le TF considère qu’une première décision de restitution de prestations rendue avant l’échéance du délai de péremption sauvegarde valablement ce délai, quand bien même elle est par la suite annulée et remplacée sur le champ par une nouvelle décision de restitution portant sur un montant corrigé.
Le TF distingue cette situation de celle où une caisse de chômage rend une première décision de restitution en temps utile qui entre en force puis qui est annulée par voie de reconsidération. Lorsqu’ultérieurement, soit après l’échéance du délai de péremption d’une année, la caisse rend une nouvelle décision de restitution, cette dernière doit être jugée tardive car l’effet de la première décision quant au respect du délai de péremption ne perdure pas ; en effet, l’annulation de la décision de restitution sans remplacement entraîne également la disparition des conséquences et des effets juridiques qu’elle produisait.
Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 9C_536/2021 du 19 octobre 2022
Assurance-invalidité; contribution d’assistance, besoin d’aide, évaluation, ménage commun avec un autre adulte, réduction de la contribution, art. 42quater ss LAI; 39g al. 2 let. b RAI; CCA
Une personne assurée au bénéfice d’une contribution d’assistance de l’assurance-invalidité a vu le montant de cette dernière, réduit du moment que son assistante de vie a emménagé avec elle.
Le TF rappelle que le besoin d’aide est évalué au moyen de l’instrument FAKT2. Conformément au chiffre 4030 de la Circulaire sur la contribution d’assistance (CCA), le besoin d’aide est réduit ou augmenté en fonction de la composition du ménage dans lequel vit la personne assurée. En présence d’un ou deux autres adultes, la déduction est de 33 %. Il est expressément précisé que l’assistante ou l’assistant qui vit chez la personne assurée peut être considérée comme un adulte vivant dans le même ménage.
Une fois le besoin d’aide établi, les mêmes circonstances justifient encore la réduction d’un douzième du montant de la contribution d’assistance annuelle, conformément à l’art. 39g al. 2 let. b RAI.
Dans cet arrêt, le TF confirme que le recours à l’outil FAKT2 est conforme au droit (cf. ATF 140 V 543), de même que l’art. 39g al. 2 let. b RAI, qui concrétise l’obligation de diminuer le dommage de la personne assurée, à tout le moins lorsque la participation de la personne faisant ménage commun est objectivement possible et exigible. Tel n’est pas le cas lorsque cette dernière est elle-même impotente au sens de l’art. 9 LPGA, ou qu’en raison de l’âge, elle peine déjà à s’occuper d’elle-même. Dans une telle hypothèse, une réduction suppose d’examiner au préalable la possibilité et l’exigibilité objectives d’une aide (cf. ATF 141 V 462 ; c. 4.2).
Il n’existe pas, en l’espèce, de motifs objectifs sérieux pour un changement de jurisprudence (c. 5).
Note : la question de la conformité de l’art. 39g al. 1 let. b RAI et du ch. 4030 CCA avec l’art. 8 CEDH mérite d’être posée, compte tenu de la récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Beeler c. Suisse (pour une analyse, cf. ici).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 148 V 385, TF 9C_466/2021 du 17 octobre 2022
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations, salaire déterminant, participation aux frais de garde, exemption des allocations familiales; art. 5 al. 2 et 4 LAVS; 6 al. 2 let. f RAVS
La participation aux frais de garde offerte par un hôpital à son personnel à certaines conditions pour les enfants en âge préscolaire fait partie du salaire déterminant soumis à cotisations AVS au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS.
Contrairement à l’avis de la dernière instance cantonale, cette prestation de l’employeur ne peut pas être assimilée à des allocations familiales exemptées de cotisations sociales en vertu de l’art. 6 al. 2 let. f RAVS. En effet, les allocations familiales sont octroyées forfaitairement pour chaque enfant, indépendamment des revenus des parents. Au contraire, la participation aux frais de garde n’est octroyée qu’aux membres du personnel de l’hôpital qui ont des enfants et qui remplissent certains critères bien précis (garde de leur enfant dans la crèche de l’hôpital ou une crèche affiliée, revenus des parents ne dépassant pas un certain seuil, taux d’occupation des parents, âge des enfants). Même parmi les bénéficiaires, le montant octroyé n’est pas identique pour chacun, puisqu’il est défini en fonction des revenus (c. 6 et 8).
En outre, les allocations familiales poursuivent un objectif de politique familiale et sociale, alors que la participation aux frais de garde vise également à faciliter le recrutement et le maintien du personnel de l’employeur, ce qui va au-delà de l’objectif purement social d’une allocation familiale (c. 7.2).
Ces prestations ne sont donc pas assimilables à des allocations familiales exemptées de charges sociales.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 4A_303/2022 du 17 octobre 2022
Assurances privées; CGA, interprétation, ordonnances COVID, clauses ambiguës; art. 18 CO
Un assuré a contracté une assurance entreprise « tous risques » dont la police prévoit une couverture complémentaire pour les épidémies. Par la suite, le Conseil fédéral a promulgué plusieurs ordonnances en relation avec le COVID. Le recourant estime qu’il existe un nouvel événement assuré (et donc un nouveau sinistre) à l’occasion de la publication de chaque ordonnance, qui donne droit à l’indemnisation convenue avec l’assureur. Il estime qu’il peut se prévoir de la règle des clauses ambiguës en relation avec l’art. 18 CO. L’assureur estime, quant à lui, que ses CGA sont claires et que l’on doit considérer que l’on est en présence d’un seul sinistre.
Le TF rejoint l’argumentation de l’assureur, dont les clauses ne prêtent pas le flanc à la critique. D’une part, il ressort tant de la police que des CGA que l’événement assuré est l’ensemble des mesures successivement ordonnées par les autorités pour éviter la propagation d’une épidémie. D’autre part, un montant fixe est prévu pour dédommager les conséquences d’une fermeture et les coûts des salaires. En l’espèce, il y a bien eu une seule épidémie et les mesures successivement ordonnées par le Conseil fédéral constituent un paquet homogène. Il y a donc un seul sinistre et les règles établies par l’assurance sont claires, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se référer à la règle des clauses ambiguës.
Les juges fédéraux estiment même que le recourant se livre à un véritable ergotage conceptuel (Begriffsrabulisitik) qui est hors sujet.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

ATF 148 V 397, TF 8C_326/2022 du 13 octobre 2022
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, incapacité de travail, incapacité de gain, absence de lacune à l’art. 28 al. 1 LAI; art. 6 et 8 LPGA; 28 al. 1 LAI
Le TF rappelle qu’est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA) et qu’il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas surmontable d’un point de vue objectif (c. 5.1 et 5.2).
Aussi, le TF considère qu’il n’existe pas de lacune à l’art. 28 al. 1 LAI dans le sens exposé par le tribunal cantonal. Ainsi, il considère comme erronée la position de l’instance inférieure selon laquelle l’art. 28 LAI comporterait une lacune qui doit être comblée en ce sens que les assurés qui ont été en moyenne en incapacité de travail à 40 % au moins pendant plus d’une année ont droit à une rente, même si des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, susceptibles d’améliorer leur capacité de travail peuvent être prises. Dans ce contexte, le TF rappelle le principe selon lequel « la réadaptation prime la rente » (art. 28 al. 1 let. a LAI). Le droit à une rente ne peut être admis que lorsqu’il n’existe plus de mesure de réadaptation possible (c. 6).
Par ailleurs, le TF relève que la procédure de mise en demeure de l’art. 21 al. 4 LPGA n’a pas à être appliquée dans le cas d’espèce. En effet, selon les éléments au dossier, l’assuré avait lui-même la possibilité de rétablir immédiatement une capacité de travail à 100 % en s’abstenant de consommer des drogues ou de l’alcool (c. 7).
Partant, le TF a admis le recours formé par l’office AI, considérant qu’il est contraire au droit fédéral d’octroyer une rente d’invalidité in casu (c. 8).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat


TF 8C_319/2022 du 12 octobre 2022
Assurance-chômage; RHT, personnes qui fixent ou influencent les décisions de l’employeur, fonction de cadre subalterne; art. 31 al. 3 let. c LACI
Cette affaire concerne le droit aux indemnités pour réduction de l’horaire de travail (RHT) d’une employée, occupant le poste de directrice au sein d’une entreprise individuelle, durant le mois de septembre 2020. Ce droit lui a été refusé par la Caisse de chômage, qui avait estimé qu’elle occupait une position similaire à celle d’un employeur.
Le TF commence par rappeler que l’ordonnance COVID-19 sur l’assurance-chômage avait introduit des allégements en matière de réduction de l’horaire de travail, notamment en étendant le droit aux indemnités de chômage à certaines catégories d’ayants droit. Il en allait ainsi de la dérogation faite à l’art. 31 al. 3 let. c LACI, en ce sens que les personnes qui fixaient les décisions que prenait l’employeur – ou pouvaient les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise, et les conjoints de ces personnes, occupés dans l’entreprise, pouvaient prétendre à des indemnités de chômage. Il conclut toutefois que dite ordonnance n’était pas applicable pour la période de septembre 2020 et que le régime de la LACI s’appliquait donc.
Le TF procède ensuite à l’examen de la notion de personne qui fixe ou influence de manière considérable les décisions de l’employeur. Pour trancher la question, il faut vérifier en premier lieu si ce pouvoir de décision découle de la loi, comme c’est le cas par exemple pour les associés d’une Sàrl. En second lieu, il faut examiner la structure interne de l’entreprise (confirmation de jurisprudence). Il passe ainsi en revue, de manière très détaillée, le cahier des charges de l’employée, son pouvoir décisionnel et son influence. Les critères examinés sont notamment le pouvoir de signature inscrit au registre du commerce, la limite des dépenses qu’elle pouvait engager sans en référer à l’employeur, le pouvoir de prendre des décisions dépassant le cadre des affaires courantes, l’influence sur la politique de l’entreprise et les compétences en matière de planification du personnel (existence ou non d’un pouvoir d’engagement, d’augmentation des salaires, de contrôle sur le temps de travail), etc. L’implication de l’employeur dans les activités non courantes est également examinée. Le montant du salaire en revanche n’est pas déterminant. Le TF conclut en l’espèce que la directrice n’avait pas d’influence déterminante sur son employeur, de sorte que le droit à l’indemnité de chômage lui était en principe ouvert.
Enfin, le TF rappelle que derrière la réglementation de l’art. 31 al. 3 let. c LACI se cache l’idée de prévenir les abus (auto-délivrance d’attestations nécessaires à l’indemnisation du chômage partiel, attestations de complaisance, impossibilité de contrôler la perte effective de travail, décision ou responsabilité dans l’introduction du chômage partiel, etc.). Un tel risque d’abus existe principalement chez les personnes qui, en tant que décideurs suprêmes d’une entreprise, sont habilitées à ordonner le chômage partiel. La disposition ne s’applique donc pas aux employés occupant des fonctions de cadre subalternes.
Auteur : Me David Métille, avocat à Lausanne

ATF 148 V 419, TF 8C_716/2021 du 12 octobre 2022
Assurance-accidents; rente d’invalidité; revenu statistique; abattement; âge; art. 28 al. 4 OLAA
De manière générale, une réduction au titre du handicap (abattement pour limitations fonctionnelles) dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré.
L’âge d’un assuré ne constitue pas en soi un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Selon le TF, pour atteindre son objectif, l’art. 28 al. 4 OLAA commande qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré. Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte. Il s’ensuit qu’un abattement à cause de l’âge avancé d’un assuré ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA.
Auteur : Guy Longchamp


Arrêt Beeler c. Suisse (requête n° 78630/12) du 11 octobre 2022
Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuf, fin du droit, discrimination, droit à la vie privée, prestations sociales; art. 8 et 14 CEDH; 24 al. 2 LAVS
La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme confirme l’arrêt rendu par la Cour le 20 octobre 2020, qui constatait la violation, par la Suisse, des art. 8 et 14 CEDH, en raison de la limitation du droit à la rente de veuf au 18e anniversaire du cadet des enfants (art. 24 al. 2 LAVS), cette limite ne s’appliquant pas aux rentes de veuves, qui sont viagères sous réserve de remariage (voir le résumé de cet arrêt ici et son analyse ici).
Constatant une jurisprudence non uniforme de la Cour à ce sujet, la Grande Chambre définit, dans cet arrêt, les critères qui permettent d’invoquer l’art. 8 CEDH, le cas échéant en combinaison avec l’art. 14 CEDH, lorsqu’il est question de refus de prestations sociales (N 47 à 72 de l’arrêt). Le raisonnement de la Grande Chambre peut être résumé de la manière suivante :
- l’art. 8 CEDH, même combiné avec l’art. 14 CEDH, ne permet pas d’exiger de l’Etat des prestations positives, singulièrement des prestations sociales ;
- cela étant, si l’Etat décide d’octroyer des prestations sociales par le biais de sa législation interne, il ne peut en aménager les conditions d’octroi de manière discriminatoire. Cela vaut de manière absolue lorsque le Protocole n° 1 s’applique (art. 1 Prot. n° 1 cum 14 CEDH), ce qui n’est pas le cas pour la Suisse ;
- si le Protocole n° 1 ne s’applique pas, il faut encore déterminer si le droit aux prestations sociales peut être protégé par le biais de l’art.8 CEDH. La Grande Chambre résume la jurisprudence précédente de la Cour, identifiant trois critères non uniformément utilisés par le passé, et décide que désormais, les deux critères suivants doivent être cumulativement remplis : 1. les prestations sociales en question visent à favoriser la vie familiale, et 2. elles ont nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_367/2022 du 7 octobre 2022
Assurance-chômage; Indemnité en cas d’insolvabilité, obligation de réduire le dommage, mesures propres à sauvegarder le droit envers l’employeur; art. 51 et 55 LACI
Cette affaire porte sur l’examen du droit à une indemnité en cas d’insolvabilité d’un employé licencié avec effet immédiat, au motif que la société qui l’employait était dans l’impossibilité d’honorer son salaire. Ce droit lui a été refusé par la caisse de chômage, qui a considéré que l’assuré avait violé son obligation de diminuer le dommage en n’effectuant aucune démarche contraignante propre à sauvegarder ses prétentions salariales avant le prononcé de la faillite de la société en janvier 2021.
Le TF commence par rappeler que le travailleur qui n’a pas reçu son salaire, en raison de difficultés économiques de l’employeur, a l’obligation d’entreprendre à l’encontre de ce dernier les démarches utiles en vue de récupérer sa créance. L’assuré doit non seulement entreprendre une poursuite systématique et continue des démarches engagées contre l’employeur, mais également tenir compte d’une éventuelle péjoration de la situation financière de l’employeur. En d’autres termes, les salariés doivent se comporter vis-à-vis de l’employeur comme si l’institution de l’indemnité en cas d’insolvabilité n’existait pas du tout.
En l’occurrence, le TF observe d’emblée qu’au vu du risque de faillite – qui s’est matérialisé début 2021 – et de l’incertitude qui concernait le dédommagement de l’employeur par un assureur tiers, il n’apparaissait pas insoutenable de retenir que la situation de la société pouvait se dégrader à la suite du licenciement.
Il rappelle ensuite qu’entre son licenciement en octobre 2018 et la production de sa créance salariale auprès de l’office cantonal des faillites en février 2021, l’assuré s’est limité à interpeller oralement son employeur, à lui adresser une mise en demeure écrite en septembre 2018 et à se faire remettre une reconnaissance de dette en janvier 2019. Or, des interventions orales ne suffisent pas à satisfaire à l’obligation de réduire le dommage, à tout le moins lorsque, comme en l’espèce, l’employeur n’a pas rempli ses obligations contractuelles sur une longue période. Il en va de même de l’obtention d’une simple reconnaissance de dette. Dans ces conditions, l’inactivité prolongée de l’assuré constitue une violation fautive de son obligation de diminuer le dommage. Le seul espoir d’une amélioration de la situation financière de la société après un éventuel dédommagement par un assureur tiers ne justifie pas davantage l’inactivité de l’assuré. Les importants problèmes financiers de l’employeur- qui étaient connus de l’assuré – auraient en outre dû l’inciter à entreprendre rapidement des démarches « sérieuses » en vue de tenter de récupérer sa créance salariale.
Ainsi, pour le TF, l’assuré ne pouvait pas se contenter de rester inactif jusqu’à la mise en faillite de la société de son employeur, ce d’autant moins qu’en matière d’indemnité en cas d’insolvabilité, il n’appartient pas à l’assuré d’estimer lui-même si des démarches en vue de récupérer sa créance peuvent ou non être couronnées de succès.
Auteur : Me Patrick Moser, avocat à Lausanne

TF 6B_160/2022 du 5 octobre 2022
Responsabilité aquilienne; qualité pour recourir, objet de la procédure; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF
L’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF donne à la partie plaignante la qualité pour recourir en matière pénale au TF lorsque la décision attaquée peut avoir des effets sur ses prétentions civiles. En règle générale, un jugement d'acquittement a un effet direct sur ses prétentions civiles (c. 1).
Toutefois, la partie plaignante qui n’a pas contesté en appel le rejet de ses prétentions civiles par l’autorité de première instance n’a pas la qualité pour recourir en matière pénale au TF. En effet, le jugement de première instance étant entré en force sur ce point, le jugement d’acquittement prononcé par l’autorité d’appel n’a pas d’effet sur les prétentions civiles au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (c. 1).
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 6B_1002/2021 du 3 octobre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; raute, causalité, conclusions civiles; art. 125 al. 1 CP; 122 al. 2 CPP
L’art. 125 al. 1 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé. La réalisation de cette infraction suppose la réunion de trois éléments constitutifs, à savoir une négligence imputable à l’auteur, des lésions corporelles subies par la victime, ainsi qu’un lien de causalité naturelle et adéquate entre la négligence et les lésions. Un cycliste a contesté devant la juridiction d’appel la libération d’un automobiliste de l’accusation de lésions corporelles simples par négligence pour le motif, déjà retenu par le premier juge, qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le comportement contraire à la LCR de l’automobiliste et la blessure subie par le cycliste. II faisait valoir que le fait d’utiliser un véhicule pour forcer un cycliste à s’arrêter ou à changer de direction amenait notoirement à un risque de chute très marqué pour celui-ci.
Le lien de causalité naturelle serait dans ce cadre indéniablement réalisé en tant que, sans la manœuvre précitée, la chute ne serait pas intervenue. Quant à la causalité adéquate, elle devrait également être admise car d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, utiliser un véhicule automobile pour forcer un cycliste à dévier vers la gauche dans le but de l’obliger à s’arrêter est propre à entraîner la chute du cycliste et donc à le blesser. Le fait pour le cycliste d’avoir continué sa route alors qu’il se trouvait sur la gauche du véhicule ne saurait être vu comme un comportement à ce point inattendu et exceptionnel qu’il serait de nature à exclure un lien de causalité avec l’accident survenu. En d’autres termes, le comportement de l’automobiliste consistant à utiliser son véhicule automobile pour forcer le cycliste à dévier vers la gauche dans le but de l’obliger à s’arrêter, doit être considéré comme étant en lien de causalité naturelle et adéquate avec les blessures subies par ce dernier, sans que son comportement permette d’admettre une interruption du lien de causalité adéquate.
Conformément à l’art. 122 al. 1 CPP, en sa qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l’infraction par adhésion à la procédure pénale. Aux termes de l’art. 126 al. 1CPP, le tribunal statue sur les conclusions civiles présentées lorsqu’il rend un verdict de culpabilité à l’encontre du prévenu (let. a) ou lorsqu’il acquitte le prévenu et que l’état de fait est suffisamment établi (let. b). Lorsque l’état de fait est suffisamment établi – à défaut de quoi le tribunal doit renvoyer la partie plaignante à agir par la voie civile conformément à l’art. 126 al. 2 let. c CPP, un jugement d’acquittement peut donc aussi bien aboutir à la condamnation du prévenu sur le plan civil qu’au déboutement de la partie plaignante.
En instance d’appel, le cycliste a invoqué une responsabilité objective du détenteur de véhicule automobile pour conclure au versement en sa faveur d’un montant de CHF 12'963,70, avec intérêts à 5 % l’an dès le 5 mai 2018, pour les dommages causés par l’emploi dudit véhicule. Dès lors que le recours doit être admis s’agissant de l’infraction de lésions corporelles simples par négligence commise au préjudice du cycliste, il doit l’être aussi en ce qui concerne les conclusions civiles déduites de cette infraction. Il appartiendra à l’autorité cantonale, à laquelle la cause doit être renvoyée, d’examiner les conclusions civiles prises par le cycliste.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême


TF 6B_677/2021 du 28 septembre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence, devoir de diligence; art. 117 CP
Pour être déclaré coupable d’homicide par négligence, l’auteur doit avoir causé le résultat en violant un devoir de diligence.
En matière circulation routière, l’étendue de la diligence à observer est déterminée par les dispositions de la loi sur la circulation routière et des ordonnances y afférentes. Dans la circulation, chacun doit se comporter de manière à ne pas gêner ni mettre en danger autrui dans l’utilisation correcte de la route (art. 26 al. 1 LCR). En outre, le conducteur doit constamment maîtriser son véhicule de manière à pouvoir remplir ses devoirs de prudence (art. 31 al. 1 LCR). Le conducteur qui veut insérer son véhicule dans la circulation, faire demi-tour ou reculer ne doit pas gêner les autres usagers de la route ; ceux-ci ont la priorité (art. 36 al. 4 LCR). Avant de quitter son véhicule, le conducteur doit l’assurer de manière adéquate (art. 37 al. 3 LCR). Cela signifie notamment que le conducteur doit s’assurer, avant de quitter le véhicule, qu’il ne met pas en danger des enfants ou d’autres usagers de la route. Pour les véhicules dont la visibilité vers l’arrière est limitée, il faut faire appel à une personne auxiliaire pour effectuer la marche arrière si tout danger n’est pas exclu (art. 17 al. 1 OCR). Le conducteur doit couper le moteur lorsqu’il quitte le véhicule (art. 22 al. 1 OCR). Les règles de circulation reflètent des règles de base générales telles que le principe de confiance (cf. art. 26 al. 1 LCR) ou encore le principe de « non-mise en danger ». La jurisprudence a précisé le critère de diligence à appliquer dans la circulation routière en ce sens que celui qui quitte son véhicule, même pour une courte durée, doit couper le moteur. Si, en raison des circonstances concrètes, le conducteur doit s’attendre à la présence de personnes dans l’angle mort, il doit, le cas échéant, se lever brièvement de son siège, se pencher ou se déplacer légèrement sur le côté afin d’obtenir une visibilité. Le degré d’attention exigé du conducteur dépend de l’ensemble des circonstances, notamment de la densité du trafic, des conditions locales, de l’heure, de la visibilité et des sources de danger prévisibles. Si cette obligation est respectée et que l’espace nécessaire est libre, le conducteur peut effectuer sa manœuvre sans autre surveillance de la zone sans visibilité (c. 3.3.).
En l’espèce, le TF retient que l’instance cantonale a établi de manière incomplète les faits juridiquement pertinents, en lien avec la question de savoir si le conducteur intimé aurait pu voir ou entendre la victime lorsqu’il est monté dans le véhicule, compte tenu du déroulement chronologique des événements ainsi que des conditions de luminosité et des explications de l’expertise technique. Sans examen complémentaire des faits, il n’est pas possible d’examiner une éventuelle violation du devoir de diligence.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne



TF 6B_45/2022 du 21 septembre 2022
Responsabilité aquilienne; tort moral, présomption d’innocence; art. 177, 183 CP; 10 al.1, 122, 433 al. 1 CPP; 47 et 49 CO; 6 par. 2 CEDH
Le 10 juin 2017, alors qu’elle rentrait chez elle au volant de son véhicule, B. a été confrontée à une dispute qui avait éclatée entre A. et C. sur le parking de son immeuble. A. a insulté et frappé B. Celle-ci a dû consulter divers médecins et psychiatres, qui ont constaté un stress post traumatique directement en lien avec ces événements. B. a été hospitalisée plusieurs semaines et s’est trouvée en arrêt de travail total pendant près d’une année. B. n’avait pas eu de problèmes psychiatriques avant l’altercation du 10 juin 2017. Elle souffre depuis d’un trouble anxieux d’intensité sévère, de symptômes dépressifs d’intensité sévère ainsi que d’un stress post-traumatique avec modification durable de la personnalité. Par jugement du 3 décembre 2020, le Tribunal de police de la République est canton de Genève a reconnu A. coupable d’injures (art. 177 CP) et de menace (art. 180 CP). Outre certaines autres condamnations, A. a été condamné à titre de réparation du tort moral à verser CHF 5’000.- à B. Par arrêt du 3 novembre 2021, la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise a admis très partiellement l’appel de A., tout en confirmant le jugement de première instance relatif à la condamnation pour tort moral. A. forme un recours en matière pénale au tribunal fédéral afin de réduire l’indemnité pour tort moral à CHF 2’500.-.
La Cour cantonale a retenu que la gravité de l’atteinte à la santé psychique de l’intimée était indéniable au vu du long traitement psychologique, des trois semaines d’hospitalisation, du fait qu’elle avait été totalement incapable de travailler pendant de longs mois puis seulement à 50 %, de sa rechute suite au jugement de première instance et du fait qu’elle présentait encore une fragilité psychique. Que le recourant ait été acquitté de certains autres faits consécutivement à la prescription n’est pas pertinent, ceux-ci n’étant pas en lien direct avec les problèmes psychiques de l’intimée.
Ainsi que le relève le TF, la CourEDH n’a pas constaté une violation de la présomption d’innocence dans des affaires relatives à des actions civiles en réparation engagées par des victimes, indépendamment du point de savoir si les poursuites avaient débouché sur une décision de clôture des poursuites ou une décision d’acquittement. Sur ce point, elle a souligné que si l’acquittement prononcé au pénal devait être respecté dans le cadre de la procédure en réparation, cela ne faisait pas obstacle à l’établissement, sur la base de critères de preuve moins stricts, d’une responsabilité civile emportant obligation de verser une indemnité à raison des mêmes faits. Contrairement à ce qu’affirme le recourant, la Cour cantonale s’est bien basée sur les faits ayant conduit à la condamnation de ce dernier pour fixer l’indemnité pour tort moral.
La fixation de l’indemnité pour tort moral est une question d’application du droit fédéral, que le TF examine donc librement. Dans la mesure où celle-ci relève pour une part importante de l’appréciation des circonstances, il intervient avec retenue. Il le fait notamment si l’autorité cantonale a mésusé de son pouvoir d’appréciation, en se fondant sur des considérations étrangères à la disposition applicable, en omettant de tenir compte d’éléments pertinents ou encore en fixant une indemnité inéquitable parce que manifestement trop faible ou trop élevée. En l’espèce, la Cour cantonale a fixé le montant de l’indemnité pour tort moral conformément aux critères fixés par l’art. 49 CO. Elle a établi un lien direct entre les infractions retenues et l’atteinte à la santé psychique subie par l’intimée.
Le recourant se prévaut ensuite de plusieurs précédents jurisprudentiels. Toutefois la comparaison avec d’autres affaires doit se faire avec prudence, dès lors que le tort moral touche au sentiment d’une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment au malheur qui le frappe. Au vu de ces considérations, le montant de CHF 5’000.- ne prête pas flanc à la critique et ne viole pas le droit fédéral. La somme allouée tient suffisamment compte de la gravité de l’atteinte et ne paraît pas disproportionnée par rapport à l’intensité des souffrances morales de la victime, lesquelles ne sont d’ailleurs pas contestées de manière précise.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève


TF 4A_114/2022 du 20 septembre 2022
Responsabilité aquilienne; qualité pour agir, dommage, fardeau de l’allégation, fardeau de la preuve; art. 41 al. 1 CO
A. Sàrl réclame à B., pour des objets que celui-ci lui aurait dérobé, un montant de CHF 46'400.-. Le Tribunal de première instance rejette la demande, au motif que A. Sàrl n’a pas apporté la preuve du montant de son dommage. Sur appel, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève confirme le jugement du Tribunal de première instance, au motif substitué que la demanderesse, A. Sàrl, ne disposait pas de la légitimation active. Devant le TF, A. Sàrl conteste que B. ait remis en cause sa légitimation active, et elle invoque que c’est à tort que la cour cantonale a nié sa légitimation active en retenant qu’elle n’était pas propriétaire des biens volés.
Précisément, s’agissant de la qualité pour agir de A. Sàrl, le TF rappelle que le fardeau de l’allégation de la preuve de ce fait implicite qu’est la qualité pour agir incombe à la partie demanderesse lorsque sa partie adverse l’a contesté et que c’est dans cette hypothèse, alors, qu’il lui appartient d’alléguer et d’offrir les moyens de preuve nécessaires pour établir l’existence de cette qualité (c. 3.1.1.).
Et le TF de reprendre les critiques que A. Sàrl formule dans son recours en matière civile, à l’encontre de la manière dont l’autorité précédente a retenu qu’il y avait eu remise en cause par B. de la qualité pour agir de A. Sàrl, et défaut de propriété de celle-ci sur les objets dérobés, pour arriver à la conclusion qu’aucune de ces critiques n’est de nature à faire apparaître que les faits ainsi retenus eussent été établis de manière manifestement inexacte.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 8C_233/2022 du 14 septembre 2022
Assurance-chômage; procédure, suspension du droit à l’indemnité, restitution, péremption, notification de la décision; art. 30 et 95 LACI; 45 OACI
L’exécution de la suspension du droit à l’indemnité au sens des art. 30 LACI et 45 OACI (in casu, huit jours de suspension pour absence de recherches d’emploi avant l’inscription au chômage) devient caduque six mois après le début du délai de suspension (art. 30 al. 3 in fine LACI). Dans la situation du cas d’espèce, la suspension prend effet le premier jour suivant la fin des rapports de travail (c. 3.1). Après l’écoulement du délai de six mois, le droit d’exiger l’exécution de la suspension est périmé. (c. 3.2).
Lorsque les indemnités litigieuses ont été payées à l’assuré, il n’y a plus lieu de prendre une mesure de suspension après l’échéance du délai d’exécution, la restitution des prestations indûment versées ne pouvant plus être exigée en vue de faire exécuter la sanction. Si par contre l’assuré n’a pas encore perçu les indemnités litigeuses, rien ne s’oppose au prononcé d’une suspension au-delà du délai de six mois (c. 3.3).
Selon une jurisprudence constante, une décision ne déploie pas d’effets juridiques tant qu’elle n’a pas été notifiée à la personne concernée, cette dernière ne pouvant être tenue par une décision que si elle en a connaissance (c. 5.2). Ainsi, une décision notifiée irrégulièrement (in casu, par courriel) avant l’échéance du délai de caducité de six mois, puis régulièrement après l’échéance dudit délai est tardive et le droit d’exiger la restitution (des prestations in casu déjà versées à l’assuré) est périmé (c. 5.3).
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève


TF 4A_116/2022 du 13 septembre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage, calcul du dommage futur, taux de capitalisation, pas de changement de jurisprudence; art. 46 CO
Alors qu’il traversait la chaussée en empruntant un passage pour piétons, un enfant, âgé de 9 ans, a été percuté par un véhicule en janvier 2002. Il a notamment subi un traumatisme craniocérébral avec fractures du crâne. Le lésé ouvre action le 14 janvier 2018 contre l’assureur RC du conducteur en réparation de son dommage total à hauteur de CHF 818’131.- avec intérêts. En première instance, la Cour civile condamne l’assureur RC à payer au lésé la somme de CHF 156’711,90 avec intérêts, sous déduction des montants déjà versés. Par arrêt du 19 août 2020, statuant sur les appels déposés par le lésé et l’assureur RC à l’encontre du jugement de première instance, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois renvoie la cause à la Cour civile pour qu’elle rende une nouvelle décision. En particulier, il convenait, selon les juges cantonaux, d’appliquer un taux de capitalisation de 2 % – et non de 3,5 % – dans le calcul du dommage futur. A la suite de l’arrêt de renvoi, la Cour civile a condamné l’assureur RC à payer au lésé la somme totale de CHF 424’389,75 avec intérêts, sous déduction des montants déjà versés. Par arrêt du 1er février 2022, la Cour d’appel civile a rejeté l’appel formé par l’assureur RC à l’encontre du jugement précité. L’assureur RC a recouru au TF.
Est litigieuse la question du taux de capitalisation de 2 % retenu par la Cour cantonale pour le calcul de la perte de gain future et de la perte sur rentes de vieillesse futures.
Le TF observe en premier lieu qu’à l’ATF 125 III 312, le taux de capitalisation de 3,5 %, appliqué depuis 1946, a été confirmé, avant d’examiner s’il y a lieu de modifier cette jurisprudence.
En se référant à une jurisprudence constante, le TF rappelle qu’un changement de jurisprudence ne peut se justifier que lorsqu’il apparaît que les circonstances ou les conceptions juridiques ont évolué ou qu’une autre pratique respecterait mieux la volonté du législateur. Les motifs du changement doivent être objectifs et d’autant plus sérieux que la jurisprudence est ancienne, afin de ne pas porter atteinte sans raison à la sécurité du droit. En l’occurrence, il faut tenir compte du fait que le besoin de sécurité du droit est particulièrement important dans le domaine du calcul du dommage. En l’occurrence, la question du taux de capitalisation n’appelle pas exclusivement un débat juridique, mais doit être résolue en fonction des circonstances économiques déterminantes, étant rappelé que, dans sa jurisprudence, le TF s’est opposé à un examen « au cas par cas », eu égard à la prévisibilité et à la sécurité du droit. La question de savoir quand les conditions d’un changement de pratique seraient réunies, à savoir qu’il existe des indices suffisamment sûrs qu’un rendement réel de 3,5 % sur les indemnités en capital n’est pas réalisable dans un avenir prévisible et qu’il est possible d’affirmer avec suffisamment de certitude que le taux d’intérêt de capitalisation en vigueur depuis 1946 n’est plus compatible avec le principe de la réparation intégrale du dommage, ne peut être résolue que sur la base d’une appréciation de l’ensemble des circonstances. Il appartient à celui qui se prévaut d’un taux différent de celui de 3,5 % appliqué jusqu’alors de présenter des allégations relatives aux circonstances économiques déterminantes.
Le TF remet en cause l’analyse de la Cour cantonale et considère que le lésé n’a pas suffisamment démontré l’existence de motifs importants justifiant un changement de jurisprudence. La Cour cantonale n’était par conséquent pas fondée à retenir un taux de 2 % et aurait dû confirmer le taux de 3,5 % appliqué par l’autorité de première instance.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne


TF 9C_131/2022 du 12 septembre 2022
Assurance-invalidité; mesures de réadaptation, formation professionnelle initiale, autisme, formation gymnasiale, art. 8 al. 1 et 16 al. 1 LAI
L’assuré, né en 2004, souffre notamment d’un trouble du spectre autistique et a sollicité l’assurance-invalidité pour l’aider dans sa formation professionnelle initiale. En effet, depuis août 2020, il étudie dans un collège privé en vue de l’obtention maturité gymnasiale.
Le TF rappelle tout d’abord la jurisprudence en la matière et l’obligation, pour une formation professionnelle initiale, de remplir également les exigences l’art. 8 al. 1 let. a LAI, c’est-à-dire que la mesure de réadaptation doit être nécessaire, proportionnelle et de nature à rétablir, maintenir ou améliorer la capacité de gain ou la capacité à accomplir les travaux habituels (c. 2.3 à 2.3.2).
Sur la question de l’opportunité de suivre une formation gymnasiale, le TF relève qu’elle permettrait certes d’accéder à tout un éventail de professions académiques, mais qu’en même temps l’objectif de la réadaptation professionnelle, qui est l’atteinte d’un revenu permettant de couvrir en tout cas une partie des frais d’entretien de la personne assurée, s’en retrouverait compliqué, puisque plus la qualification professionnelle est élevée et plus les exigences envers les collaborateurs sont importantes. De plus, l'écart entre la personne assurée avec ses limitations et d’autres collaborateurs ayant la même formation mais sans restrictions comparables se creuserait, ce qui affaiblirait les chances d'embauche de la personne assurée (c. 4.1.1).
Néanmoins, le TF précise qu’il est notoire que les personnes atteintes d'autisme ont de très bonnes chances de s'établir professionnellement dans certains secteurs du premier marché du travail. Elles sont généralement considérées comme ayant une bonne capacité de concentration et d’analyse, une pensée logique, de la rigueur et de la fiabilité. Dans ces conditions, les conclusions des spécialistes appelés à se prononcer sur les aptitudes du recourant sont erronées. En effet, il n’est pas déterminant de savoir si une personne atteinte d’autisme pourrait exercer une vaste palette d’activités sur le marché équilibré du travail, car pour la plupart, ces emplois ne sont pas adaptés aux restrictions et aux besoins particuliers d'une personne atteinte de cette maladie. Il convient plutôt de déterminer si la personne assurée peut s’insérer dans le marché du travail de niche existant pour les personnes atteintes d'autisme. Celui-ci se compose d'emplois qui, d'une part, requièrent des forces cognitives typiquement liées audit trouble et, d'autre part, comblent les déficits spécifiques à l'autisme (c. 4.1.4).
Quant à l’opportunité de suivre une formation gymnasiale dans une école privée située en dehors du canton de domicile de la personne assurée, il est rappelé que les préférences individuelles ne sont pas seules déterminantes pour la prise en charge des frais de formation par l’assurance-invalidité. Dans le cas d’espèce, il ne s'agit pas de savoir si un certain projet professionnel est nécessaire et approprié au sens de l'art. 8 al. 1 let. a LAI. Dans la mesure où il est contesté que la future réadaptation professionnelle nécessite un cursus gymnasial, il s'agit bien plus d'une question de niveau de formation. L'exigence de la simplicité et de l'adéquation de la mesure ne se rapporte pas à de telles orientations (c. 4.2.3).
En présence d’avis médicaux contradictoires et de conclusions inexploitables sur le potentiel de la personne assurée et ses aptitudes, un renvoi à l’office AI est ordonné pour un complément d’instruction (c. 4.1.2 et 5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 6B_1271/2021 du 12 septembre 2022
Responsabilité du commandant d’aéronef; lésions corporelles graves par négligence, règle de l’art, causalité; art. 12 al. 3 CP
Les devoirs du commandant d’aéronef découlent de l’ordonnance du 22 janvier 1960 sur les droits et devoirs du commandant d’aéronef (RS 748.225.1). En particulier, le commandant est tenu de prendre, dans les limites des prescriptions légales, des instructions données par l’exploitant de l’aéronef et des règles reconnues de la navigation aérienne, toutes les mesures propres à sauvegarder les intérêts notamment des passagers (art. 6 al. 1). Le commandant est responsable de la conduite de l’aéronef conformément aux dispositions légales, aux prescriptions contenues dans les publications d’information aéronautique (AIP), aux règles reconnues de la navigation aérienne et aux instructions de l’exploitant (art. 7).
Pour se conformer aux prescriptions légales en matière d’aviation, le pilote doit notamment minimiser les risques au décollage. Pour ce faire, les informations contenues dans le manuel de vol de l’appareil sont déterminantes. Les données relatives à l’appareil et à son exploitation sont à ce titre décisives lorsqu’il s’agit de décider de la configuration des volets au décollage. Le commandant d’aéronef doit ainsi pouvoir s’adapter aux circonstances concrètes. Plus le danger créé est grand, plus la prudence doit être accrue. En particulier, les conditions de décollage (modèle et poids de l’aéronef, météo, distance de décollage, longueur de la piste) lui imposent une remise en question du choix de la configuration des volets et d’opter pour la plus sûre possible.
In casu, au vu de ses connaissances et aptitudes, le commandant de l’aéronef a agi par inattention et donc fautivement violé son devoir de prudence. Le choix d’une configuration des volets au décollage moins sûre constitue la cause naturelle et adéquate de l’accident survenu : le fait d’avoir choisi, dans les circonstances du jour de l’accident, la configuration de volets qui nécessitait une vitesse plus élevée et une longueur de piste plus importante (proche de la longueur totale de la piste), était propre, dans le cas d’une accélération moins rapide que celle envisagée, à causer un accident du type de celui qui s’est produit. Dans ce cadre, un freinage involontaire – qui peut intervenir durant la phase de décollage (phénomène connu dans le domaine de l’aviation) – n’est aucunement exceptionnel et ne saurait interrompre le lien de causalité adéquate.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat, Neuchâtel
TF 8C_157/2022 du 8 septembre 2022
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), entreprises publiques ou subventionnées, risque d’exploitation; art. 31 al. 1 LACI; 51 al. 1 OACI
A l’annonce des mesures prises par les autorités suisses suite à la pandémie Covid-19, une société ayant notamment pour buts de promouvoir, d’encadrer, de soutenir, de protéger et d’intégrer dans la société des personnes handicapées demande à bénéficier d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail. Déboutée par l’autorité administrative, puis par la juridiction cantonale, elle recourt au TF.
Le TF rappelle que, lors de l’appréciation des conditions de l’art. 31 al. 1 let. d LACI, il faut, selon une pratique constante, partir du caractère probablement temporaire de la perte de travail et du maintien des emplois lors de l’octroi de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, tant qu’il n’existe pas de faits concrets permettant de tirer la conclusion contraire. Selon la jurisprudence, le but de l’indemnité est de compenser le risque économique auquel le personnel concerné par la réduction de l’horaire de travail est exposé en raison de la perte de son emploi, perte due aux risques propres à l’entreprise (faillite, fermeture).
Dans le cas du personnel des entreprises publiques, l’élément déterminant pour l’évaluation du droit est de savoir si l’octroi de l’indemnité permet d’éviter à court terme un licenciement ou une non-réélection (« Nichtwiederwahl »). Dans le cas d’entreprises subventionnées par les pouvoirs publics, il convient d’examiner dans quelle mesure, respectivement dans quels domaines partiels de l’entreprise concernée il existe, d’une part, une assurance de couverture complète des frais d’exploitation et, d’autre part, s’il faut s’attendre, dans les domaines partiels financés exclusivement (ou éventuellement partiellement) par des fonds privés, à un recul de la demande dû à des mesures prises par les autorités et à la résiliation de postes de travail qui en résulterait (c. 3.1.2). Selon la juridiction cantonale, lorsqu’un employeur n’assume pas de risque d’exploitation, il n’a pas de raison de licencier des collaborateurs, même en cas de mauvaise marche des affaires ; tel est notamment le cas lorsque les éventuels déficits sont pris en charge par les pouvoirs publics. Dans le cas d’espèce, l’entreprise recourante avait conclu un contrat de prestations avec le canton, prévoyant le versement d’un forfait par personne prise en charge. Compte tenu de ce financement partiel par les pouvoirs publics, la situation n’était pas comparable à celle d’une entreprise privée. C’est donc à bon droit que l’autorité administrative avait, selon les juges cantonaux, nié le droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (c. 3.2).
Le TF ne partage pas cet avis. Il n’est pas prouvé, relève-t-il d’emblée, que les contributions versées par le canton constituent une garantie de déficit ; on ne peut donc soutenir que l’entreprise n’assume pas de véritable risque d’exploitation. Tout au plus est-il établi que celle-ci est partiellement subventionnée par les pouvoirs publics, ce qui ne suffit pas pour exclure l’indemnité pour réduction de l’horaire de travail (c. 3.4.1). L’argument selon lequel les emplois auraient de toute façon dû être maintenus en raison du but social de la recourante, de sorte que l’indemnité de chômage n’aurait servi qu’à compenser une perte de chiffre d’affaires, ne permet pas non plus de nier le droit à l’indemnité de chômage. Un risque de perte d’emploi existait au contraire, dès lors que l’institution n’était financée que partiellement par les pouvoirs publics. En l’absence de véritable garantie de déficit, la recourante supportait donc, comme une entreprise privée, un risque d’exploitation, voire de faillite. Enfin, le risque de licenciement ne peut être évalué rétrospectivement, comme l’avait fait l’instance cantonale (c. 3.4.2). Le TF admet donc le recours et renvoie la cause à la juridiction inférieure pour qu’elle procède à des investigations complémentaires et rende une nouvelle décision (c. 3.4.3).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

ATF 148 V 408, TF 9C_538/2021 du 6 septembre 2022
Assurance-invalidité; contribution d’assistance, domaine « éducation et garde des enfants », valeurs standard; art. 42quater ss LAI; 39b ss RAI
Une femme devenue paraplégique suite à un accident survenu en 1994 bénéficie d’un trois-quarts de rente ainsi que d’une allocation pour impotent de degré moyen de l’assurance-invalidité. Elevant seule ses deux jeunes enfants, elle a demandé en sus une contribution d’assistance. Le Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich a confirmé la décision de l’office AI se fondant sur l’instrument d’enquête standardisé FAKT2, selon lequel le besoin maximal d’aide dans le domaine « éducation et garde des enfants » s’élève à 14 heures par semaine pour une personne qui nécessite une assistance complète de tiers.
Le TF rappelle que les bénéficiaires d’une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité vivant à domicile peuvent demander une contribution d’assistance (c. 2.1). Celle-ci est accordée pour l’aide fournie par des tiers dont la personne concernée a besoin pour gérer son quotidien en dehors d’une structure institutionnelle. Le besoin d’aide individuel est évalué à l’aide de l’instrument d’enquête standardisé FAKT2 (c. 2.2). Celui-ci permet de déterminer tous les besoins d’aide pour différents domaines de la vie et de façon différenciée selon les degrés de limitation de la personne concernée, à l’aide de valeurs en minutes prédéfinies (c. 3.1). Dans un arrêt précédent, le Tribunal fédéral avait retenu que FAKT2 est propre en principe à établir tous les besoins d’aide de la personne (ATF 140 V 543) (c. 4.1).
Il ressort de l’enquête suisse sur la population active (ESPA) qu’en 2020 par exemple, le temps moyen consacré à la garde des enfants dans les ménages avec enfants était de 23 heures par semaine pour les femmes et de 14,8 heures pour les hommes. FAKT2 s’éloigne donc nettement de l’ESPA en retenant un besoin maximal d’aide de 14 heures par semaine dans le domaine « éducation et garde des enfants » pour une personne nécessitant une assistance complète de tiers. Le TF relève également que FAKT2 ne tient pas compte du nombre d’enfants ni de la présence ou non d’un autre parent (c. 4.6.5).
Il en découle que les valeurs standard appliquées dans le domaine « éducation et garde des enfants » de FAKT2 pour déterminer la contribution d’assistance sont inadéquates et contraires au droit fédéral. Le recours est ainsi partiellement admis. L’office AI devra procéder à des clarifications supplémentaires concernant le besoin d’aide dans le domaine « éducation et garde des enfants » et rendre une nouvelle décision (c. 4.7).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 4A_417/2021 du 1 septembre 2022
Responsabilité médicale; prescription, acte interruptif, action civile par adhésion au procès pénal, fondement juridique de l’action civile; art. 122 à 126 CPP; 135 ch. 2 CO
Un patient ayant conclu un mandat avec un médecin, qui est lésé par les actes de ce dernier dispose d’un concours objectif d’actions : il peut invoquer la responsabilité contractuelle des art. 398 al. 2 et 97 ss CO pour violation d’une obligation contractuelle et/ou la responsabilité délictuelle des art. 41 ss CO, pour violation d’un devoir général, comme l’atteinte illicite à son intégrité corporelle (c. 3.1). Toutefois, seule l’action fondée sur la responsabilité délictuelle peut faire l’objet d’une action civile par adhésion au procès pénal.
En effet, la notion de « conclusions civiles déduites de l’infraction » au sens de l’art. 122 CPP ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui découlent d’une ou de plusieurs infractions. Le fondement juridique de ces prétentions réside le plus souvent dans les règles de la RC des art. 41 ss CO ou des art. 58 et 62 LCR, mais peut aussi se trouver dans les actions tendant à la protection de la personnalité (art. 28 ss CC), en revendication (art. 641 CC) ou possessoires (art. 927, 928 et 934 CC).En revanche, les prétentions contractuelles ne se fondent pas sur une infraction pénale et sont donc exclues du champ d’application de l’art. 122 al. 1 CPP ; elles ne peuvent pas faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale (c. 3.2.1).
L’action fondée sur la responsabilité contractuelle du mandataire est donc de la compétence exclusive des tribunaux civils. Pour déployer ses effets, un acte interruptif de prescription doit notamment être adressé à un tribunal compétent. Ainsi, des conclusions civiles déposées dans la procédure pénale doivent nécessairement avoir pour fondement les actions délictuelles et extracontractuelles précitées pour avoir un effet interruptif au sens de 135 ch. 2 CO (c. 3.3.2).
Le délai de prescription d’une action purement contractuelle en responsabilité, ne pouvant pas faire l’objet d’une action civile par adhésion au procès pénal, à défaut de compétence du tribunal pénal, ne peut donc pas être interrompu par le dépôt d’une plainte pénale et constitution de partie plaignante (c 3.4).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

TF 4A_172/2022 du 31 août 2022
Assurances privées; assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, appréciation des preuves, arbitraire; art. 39 LCA; 105 LTF; 8 CC
Le TF statue sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l’autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes, c’est-à-dire arbitraires (art. 105 al. 2 LTF), notamment dans le cadre de l’appréciation des preuves (c. 2.2-4).
Conformément à la règle fondamentale posée par l’art. 8 CC, également valable dans le domaine du contrat d’assurance, l’ayant droit doit prouver les faits permettant la « Justification des prétentions » (titre marginal de l’art. 39 LCA). Suivant un degré de preuve ordinaire, la preuve est apportée lorsque le tribunal est convaincu, d’un point de vue objectif, de la véracité d’une allégation (c. 2.5).
La preuve de l’existence d’un rapport de travail ne présente aucune difficulté particulière, raison pour laquelle elle est soumise à une preuve stricte, devant emporter une pleine conviction. En règle générale, cette preuve peut être apportée par un contrat de travail passé en la forme écrite ou par le versement d’un salaire (c. 3.3 princ.).
Faute de l’établissement de l’existence – retenue arbitrairement par l’autorité de première instance sur la base des preuves invoquées par l’assuré – d’un rapport de travail au moment où l’incapacité de travail a débuté (c. 3.3.3.2-4), la couverture d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie fait défaut (c. 3.4).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle


TF 9C_552/2021 du 25 août 2022
Assurance-vieillesse et survivants; activité lucrative, qualification, activité accessoire d’enseignante; Art. 5 et 8 LAVS
L’activité accessoire exercée en tant qu’enseignante de thérapies complémentaires dans une académie privée, à côté d’une activité principale indépendante en tant que thérapeute, doit être qualifiée d’activité dépendante au sens de l’AVS.
Après avoir rappelé les principes permettant de distinguer les activités dépendantes de celles indépendantes (appréciation au cas par cas, sans s’arrêter à la qualification utilisée par les parties, en fonction d’une pluralité de critères tels que le risque économique, la liberté d’organisation, etc.), le TF relève que l’art. 7 let. l RAVS précise que les honoraires des privat docent et d’autres enseignants rémunérés de manière analogue font partie du salaire déterminant. Les directives sur le salaire déterminant précisent quant à elles que la rétribution versée à celui qui enseigne régulièrement fait partie du salaire déterminant.
En l’espèce, l’enseignante se considère elle-même comme privat docent (« Dozent ») en acupressure sur son site Internet. Si elle a une grande liberté dans l’organisation de ses cours, c’est bien l’entreprise tierce, considérée comme l’employeuse et qui conteste cette qualification, qui recherche les élèves, gère les contrats et encaisse les écolages. C’est également l’entreprise qui offre l’infrastructure, en particulier les salles de cours. Le fait que l’entreprise fasse également de la location de salles en marge de son activité d’académie n’est pas déterminant, puisqu’il n’a jamais été question de louer la salle à l’enseignante dans le cas d’espèce. Au contraire, son enseignement est inclus dans l’offre de cours de l’entreprise.
Au niveau de la rémunération, les parties ont prévu que l’enseignante a droit à 45 % des encaissements nets de l’entreprise relatifs aux cours d’acupressure, ce qui implique un certain risque économique auprès de l’enseignante. Il n’est cependant pas contesté que l’enseignante avait droit à un forfait minimal de CHF 600.- par jour de cours, ce qui réduit considérablement son risque économique et le fait passer en second plan au regard des autres éléments.
Le fait que c’est l’enseignante qui a initié la relation et qui s’est adressée à l’entreprise pour proposer ses cours ne constitue qu’un élément secondaire parlant en faveur d’une activité indépendante, non déterminant. Les échanges de mails examinés démontrent au demeurant qu’un enseignement régulier était souhaité et proposé par l’enseignante et accepté par l’entreprise. A cet égard, le fait d’avoir offert environ 50 jours de cours sur une durée de quatre ans est considéré comme une activité régulière par le TF.
Compte tenu de l’ensemble des circonstances, le TF confirme le jugement cantonal et la qualification d’activité dépendante.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 6B_322/2022 du 25 août 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; violation grave qualifiée des règles de la circulation, état de nécessité; art. 90 al. 3 et 4 LCR; 17 CP
L’accusé a été flashé à 200 km/h sur l’autoroute au volant d’une voiture de sport. Son épouse, qui l’accompagnait, souffrait d’une maladie cardiaque et avait soudainement ressenti des symptômes alarmants. Il s’était alors dépêché de rentrer à la maison pour qu’elle puisse prendre ses médicaments. Aussi bien le Tribunal d’arrondissement de Winterthur que le Tribunal cantonal de Zurich ont acquitté le conducteur, en retenant un état de nécessité au sens de l’art. 17 CP.
Le TF admet le recours du Ministère public zurichois, en rappelant que l’art. 90 al. 3 et 4 LCR protègent la vie et l’intégrité corporelle des autres usagers de la route. Ainsi, l’état de nécessité ne peut être admis qu’avec une grande retenue lors d’un excès de vitesse de cette importance. Dans ce cas, cette retenue s’impose même lorsque la protection immédiate de la vie d’une autre personne est en jeu. En effet, avec une telle vitesse, la mise en danger concrète d’un nombre indéterminé de personnes est possible, et ce n’est souvent que grâce au hasard que ce risque ne se réalise pas. Le TF prend également en compte le fait que l’accusé, en voulant sauver son épouse d’une vraisemblable crise cardiaque, l’avait en réalité mise en danger d’une autre façon en roulant avec elle à une telle vitesse.
Le TF rappelle encore qu’aussi bien l’état de nécessité licite que l’état de nécessité excusable (art. 17 et 18 CP) impliquent que le danger ne pouvait pas être écarté autrement. Ces dispositions ne peuvent donc être appliquées qu’à la condition d’une subsidiarité absolue. En l’espèce, il avait été établi que l’accusé aurait pu amener son épouse en 11 minutes à l’Hôpital cantonal de Winterthur, alors qu’un retour à la maison impliquait une distance trois fois supérieure. Le danger supposé pour la vie de son épouse pouvait donc être écarté d’une autre manière qu’en roulant à 200 km/h sur l’autoroute.
En résumé, le TF considère que l’acquittement de l’accusé viole le principe de la proportionnalité, et que le gain de temps de quelques minutes tout au plus ne pouvait pas l’emporter face à une vitesse aussi massivement excessive. Le seul fait que cet excès de vitesse ait été commis dans des bonnes conditions de route et de visibilité n’y change rien.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 8C_82/2022 du 24 août 2022
Assurance chômage; aptitude au placement, voyage à l’étranger, formation; art. 15 al. 1 LACI; O COVID-19 assurance-chômage
Selon l’art. 15 al. 1 LACI, est réputé apte au placement le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire. L’aptitude au placement comprend deux éléments, soit la capacité de travail et la disposition à accepter immédiatement un travail convenable (au taux minimum de 20 %) qui suppose non seulement la volonté de prendre un tel travail, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à l’emploi et quant au nombre des employeurs potentiels.
Un chômeur qui prend des engagements à partir d’une date déterminée et, de ce fait, n’est disponible sur le marché du travail que pour une courte période n’est en principe pas apte au placement car il n’aura que très peu de chances de conclure un contrat de travail. Ce principe s’applique notamment lorsque des chômeurs s’inscrivent peu avant un départ à l’étranger, une formation ou l’école de recrues, ce qui équivaut à un retrait du marché du travail. Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage, il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé – et être en mesure de le faire – à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. L’aptitude au placement doit être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l’existence d’autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi. Peu importe à cet égard le motif pour lequel le choix des emplois potentiels est limité.
Dans le contexte de la pandémie du COVID-19 et des restrictions ordonnées le 16 mars 2020, il n’y a eu aucune dérogation à l’art. 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement (O COVID-19 assurance-chômage ; RS 837.033).
En l’occurrence, l’aptitude au placement d’un assuré a été niée, celui-ci s’étant inscrit à l’assurance-chômage quelques jours avant son départ en Russie (22 mars 2020), sans prouver la nécessité et le caractère professionnel de son voyage, en connaissant les risques de ne pouvoir rentrer à temps pour être apte au placement au 1er avril 2020, vu la crise sanitaire et la limitation des vols. Dès lors, il faut admettre que le recourant s’était retiré du marché de travail suisse peu après son inscription au chômage, ce qui entraînait son inaptitude au placement.
Même si le recourant avait cherché uniquement des emplois pour lesquels des moyens numériques étaient utilisés pour le recrutement et pour l’entrée en service, une telle restriction dans le choix des postes de travail aurait rendu très incertaine sa possibilité de retrouver un emploi, situation qui était également sanctionnée d’inaptitude.
Enfin, l’application par analogie de la jurisprudence pour les chômeurs qui participent à un cours de formation n’y changeait rien. Comme il n’y a eu aucune dérogation à l’art. 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement, il ne justifie pas de déroger au principe de la disponibilité suffisante, soit disposition et capacité à commencer une activité professionnelle du jour au lendemain si elle se présente, condition non remplie par l’assuré.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 8C_141/2022 du 17 août 2022
Assurance-accidents; litige entre assureur et fournisseur de prestations; art. 10 et 57 LAA
Dans cet arrêt, le TF a confirmé la décision de non-entrée en matière du Tribunal arbitral zurichois en matière d’assurance-accidents dans un litige opposant une clinique à la CNA (Suva). Le tribunal arbitral prévu à l’art. 57 LAA n’est fondé à rendre une décision que pour autant qu’il existe un litige, dans une situation concrète, opposant un assureur à un fournisseur de prestations. En l’espèce, le fait que la clinique soit d’avis que, de manière générale, la CNA favoriserait ses propres cliniques de réhabilitation à Bellikon et à Sion (art. 67a al. 2 let. a LAA) au détriment de celles que la clinique exploite n’est pas une question qui rentre dans le champ d’application des art. 10 et 57 LAA. Une clinique ne saurait employer cette voie de droit pour tenter d’améliorer sa situation concurrentielle par rapport aux cliniques rattachées à la CNA ou invoquer une inégalité de traitement entre cliniques habilitées à pratiquer à la charge de la LAA. La situation serait différente s’il s’agissait d’un véritable conflit, dans une situation concrète, découlant directement de l’application de la LAA.
Auteur : Guy Longchamp

ATF 148 IV 432, TF 6B_1310/2021 du 15 août 2022
Responsabilité aquilienne; procédure, action civile par adhésion à la procédure pénale, conclusions civiles et prétentions contractuelles; art. 119, 122 et 126 CPP; 41 à 46 CO
Le TF rappelle en premier lieu les conditions auxquelles des prétentions civiles peuvent être octroyées sur la base d’un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, nonobstant un verdict d’acquittement. Il précise alors la portée de l’art. 126 al. 1 let. b CPP, en disant que si l’acquittement résulte de motifs juridiques, c’est-à-dire en cas de non-réalisation d’un élément constitutif de l’infraction, les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut et les conclusions civiles doivent être rejetées. Le juge pénal peut néanmoins statuer sur les conclusions civiles, malgré un acquittement, lorsque l’élément constitutif subjectif de l’infraction fait défaut mais que le comportement reproché au prévenu constitue un acte illicite au sens de l’art. 41 CO, tel est par exemple le cas lorsque la culpabilité fait défaut en raison de l’irresponsabilité du prévenu au sens de l’art. 19 al. 1 CP.
En l’espèce, il ressort de l’arrêt attaqué que la cour cantonale a acquitté le recourant en raison de la non-réalisation des éléments constitutifs tant objectif que subjectif des infractions d’abus de confiance et d’escroquerie. L’acquittement prononcé résulte donc de motifs juridiques, en particulier de la non-réalisation d’éléments constitutifs objectifs des art. 138 ch. 1 al. 2 et 146 al. 1 CP. La cour cantonale ne pouvait pas conclure, à la fois, qu’aucune utilisation illicite des avoirs confiés ne pouvait être reprochée au recourant, puis constater une appropriation par celui-ci des fonds prêtés en violation de ses pouvoirs pour fonder une responsabilité civile au sens de l’art. 41 CO. Il s’ensuit que les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut.
En second lieu, le TF tranche la question de savoir si des prétentions contractuelles, in casu découlant d’un contrat de prêt, peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale. En procédant aux interprétations littérales, téléologiques et systématiques de l’art. 122 al. 1 CPP, le TF considère que la notion de conclusions civiles ne vise pas toutes les prétentions de droit privé, mais uniquement celles qui peuvent se déduire d’une infraction pénale, ce qui n’est pas le cas des prétentions contractuelles. Ainsi, ces prétentions ne peuvent pas faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale et sont donc exclues du champ d’application de l’art. 122 al. 1 CPP. Pour de telles prétentions, la partie plaignante doit donc être renvoyée à agir par la voie civile.
En condamnant le recourant à verser les intérêts dus sur la base du contrat de prêt, la cour cantonale a statué sur des prétentions fondées sur un contrat. Or de telles prétentions ne peuvent faire l’objet d’une action civile par adhésion à la procédure pénale au sens de l’art. 122 al. 1 CPP.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève



ATF 148 V 427, TF 9C_37/2022 du 11 août 2022
Assurance perte de gain en cas de service; calcul du montant de l’indemnité, décomptes de prestations, nature, décision matérielle, délai d’opposition; art. 1 al. 2 let. b RAPG
Le recourant accomplit un service long durant lequel il perçoit une allocation pour perte de gain de CHF 62.- par jour pendant l’instruction de base en tant que recrue (du 15 janvier au 18 mai 2018) et une indemnité journalière de CHF 91.- pendant les services d’avancement (du 19 mai 2018 au 10 novembre 2019), ce qui correspond au taux minimal pour les cadres en service long. Il demande à la Caisse de compensation du canton de St-Gall que l’indemnité soit calculée sur la base d’un revenu annuel de CHF 60’091.-, conforme aux usages locaux et professionnels, et qu’elle lui soit versée ultérieurement. La Caisse de compensation et le Tribunal des assurances du canton de
St-Gall rejettent la demande.
Le TF relève que le recourant n’a pas eu la possibilité, après avoir terminé sa formation, de conclure un contrat de travail de longue durée pour les quelques mois qui le séparaient de son service militaire de deux ans. Le fait de combler un semestre de transition par un stage à l’étranger ne constitue pas un indice qu’il n’aurait pas cherché et accepté un emploi fixe. En revanche, les informations relatives à la formation et au parcours professionnel donnent des indices quant à l’activité lucrative hypothétique. Aucun élément ne permet de conclure à des parcours alternatifs, comme par exemple le fait que, sans service militaire, il aurait commencé des études à plein temps ou pris un congé sabbatique prolongé. Le recourant aurait donc dû être assimilé à une personne exerçant une activité lucrative au sens de l’art. 1 al. 2 let. b RAPG. La conclusion contraire de l’instance précédente repose sur une application incorrecte du degré de la preuve et viole le droit fédéral (c. 3.3).
Les décomptes de prestations sont des injonctions officielles par lesquels la prestation est fixée de manière contraignante. Ils ont la qualité d’une décision matérielle, même s’ils ne présentent pas les caractéristiques formelles d’une décision (art. 49 et 51 LPGA). Le TF soutient que si le destinataire n’est pas confronté à un acte administratif qualifié de décision et à un délai nominal, il aura en général besoin d’un peu plus de temps pour se rendre compte de la portée et du contenu de l’acte administratif ainsi que de l’éventuel recours. Dans ces cas, le délai de réclamation est généralement de 90 jours à compter de la notification de l’acte administratif informel (ici : réception du décompte), ce qui correspond au délai réglementaire pour les demandes de révision (c. 4.1).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 8C_195/2022 du 9 août 2022
RHT-Covid; indemnité pour réduction horaire de travail, motivation, droit d’être entendu, reconsidération, restitution; art. 31 ss, 95 al. 2 LACI; 53 al. 2, 25 al. 1, 19 al. 2 LPGA; 4 OPGA
Un défaut de motivation d’une décision de reconsidération du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) n’est pas suffisamment grave pour constituer un cas de nullité. Dans la mesure où le recourant a pu s’exprimer dans la procédure d’opposition ainsi que devant l’instance cantonale de recours, le grief d’une violation du droit d’être entendu est réparé (c. 4.2).
La décision est manifestement erronée (art. 53 al. 2 LPGA) quand bien même la caisse a versé dans un premier temps des indemnités pour ensuite procéder à un second examen au terme duquel elle a réalisé que les documents remis étaient lacunaires et les explications de l’employeur contradictoires. A cela s’ajoute que qu’en dépit de demandes répétées, le recourant n'avait pas fourni les justificatifs demandés, raison pour laquelle il n'avait pas été possible de clarifier les faits déterminants (c. 5.1 et 5.2).
L’octroi d’indemnités RHT par l’assurance-chômage sur la base d’éléments lacunaires fournis par l’employeur et de contradictions dans ses déclarations ne constitue pas un obstacle à une reconsidération ultérieure. En l’espèce, une telle reconsidération n’est pas une nouvelle appréciation d’un état de fait identique mais résulte du constat de la violation par le recourant de son obligation de collaborer (c. 5.3).
Les conditions de la bonne foi et de la situation difficile qui permettent de s’opposer à une demande de restitution (art. 25 al. 1, 2e phrase, LPGA) sont examinées, en principe, à l’occasion d’une demande de remise, soit dans le cadre d’une procédure distincte qui intervient après que la décision de restitution est entrée en force (art. 4 OPGA). Exceptionnellement, le grief selon lequel la demande de restitution heurterait de manière choquante le principe de la confiance peut être immédiatement invoqué. Dans le cas d’espèce, les conditions pour admettre une telle exception ne sont pas réunies (c. 7.2 et 7.3).
L’argument selon lequel l’employeur n’intervient que comme « office de paiement » (art. 19 al. 2 LPGA) et ne pourrait être de ce fait appelé à rembourser n’est pas non plus recevable. En effet, l’art. 95 al. 2, 1re phrase, LACI prévoit expressément que les indemnités en cas de RHT versées à tort doivent être restituées par l’employeur (c. 8.1 et 8.2).
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 8C_242/2022 du 4 août 2022
Assurance chômage; position assimilable à celle de l’employeur, risque d’abus; art. 31 al. 3 let. c OACI
Le directeur d’une société s’est annoncé auprès d’une caisse de chômage à compter du 1er juin 2021 parce qu’il a été licencié. Il a toutefois conservé une signature individuelle jusqu’au 3 août 2021 et exécuté, dans cet intervalle, un certain nombre d’opérations pour le compte de la société, notamment la conclusion d’affaires contractuelles importantes, personne d’autre n’étant titulaire d’un droit de signature (c. 5.2 et 5.3). La caisse de chômage lui a dénié le droit à des indemnités journalières, en raison de sa position assimilable à celle de l’employeur. La Cour des assurances sociales cantonales de Zurich ayant infirmé cette décision, la caisse de chômage a porté l’affaire au TF.
Le TF remet en cause l’analyse juridique de l’instance précédente, en précisant qu’il est erroné de comparer cette situation avec celle d’une personne assimilée à celle de l’employeur qui aurait travaillé durant au moins six mois dans une entreprise tierce et se retrouverait au chômage suite à la perte de ce second emploi. Dans ce cas, il est admis que le droit à l’indemnité peut naître, nonobstant le maintien d’une position assimilable à celle de l’employeur que l’assuré aurait conservé dans la 1re société (c. 5.4). Cette jurisprudence n’est pas applicable dans cette affaire. L’assuré était bien inscrit au registre du commerce dans deux autres sociétés, toutes deux domiciliées à la même adresse que la société qui l’avait licenciée, mais, pour pouvoir prétendre à des indemnités, l’assuré aurait dû prouver en sus qu’il avait travaillé dans une société tierce durant au moins six mois et déposé une demande à la suite de la perte de ce second emploi. La société qui l’a licenciée ne peut pas être considérée comme une société tierce puisque c’est justement dans cette société que l’assuré exerçait une position assimilable à celle de l’employeur. Il y a donc manifestement un risque d’abus, ce qui justifie l’exclusion du droit aux indemnités journalières (c. 5.4 et 5.5). Le recours est admis.
Auteure : Rébecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Winterthour

ATF 148 V 373, TF 9C_586/2021 du 2 août 2022
Allocations pour perte de gain; calcul de l’indemnité, salaire déterminant, assuré sortant de formation; art. 4 al. 2 RAPG
Dans la présente affaire, le TF a été amené à préciser l’interprétation de l’art. 4 al. 2, 2e phrase RAPG. Etait litigieuse la question de savoir quel est le salaire déterminant pour fixer l’allocation perte de gain d’un assuré, lequel s’était vu délivré un bachelor en sciences économiques quelques semaines avant de débuter son service civil. Alors même qu’il avait effectué des postulations essentiellement pour des stages, le tribunal cantonal avait retenu un salaire annuel de CHF 72’000.- correspondant à la rémunération d’un économiste débutant sur le marché du travail. Dans les trois versions linguistiques, l’art. 4 al. 2 RAPG fixe le droit à l’indemnité en se rattachant au salaire initial usuel dans la profession concernée. La notion de profession n’est toutefois pas définie plus avant. Le texte ne précise donc pas sur quelle base l’allocation pour perte de gain doit être calculée, dans la mesure où une formation donne accès à plusieurs professions ou permet d’entrer dans le monde du travail sous différentes formes (c. 5.2.1).
Le TF observe que l’art. 4 al. 2 RAPG présente une structure en deux parties, qui se rattache, de par son libellé, à la structure de l’art. 1 al. 1 let. b et c RAPG. La première phrase détermine le calcul du droit à l’indemnité pour les personnes visées par l’art. 1 al. 2 let. b RAPG, soit les personnes qui rendent vraisemblable qu’elles auraient entrepris une activité lucrative de longue durée si elles n’avaient pas dû entrer en service. En revanche, la deuxième phrase de l’art. 4 al. 2 RAPG règle le droit des personnes qui auraient terminé leur formation immédiatement avant l’entrée en service ou qui l’auraient terminée pendant le service, c’est-à-dire les personnes définies à l’art. 1 al. 2 let. C RAPG (c. 5.2.2).
En se référant notamment aux débats parlementaires ainsi qu’à la jurisprudence relative à l’art. 4 al. 1, 1re phrase RAPG, le TF précise que s’agissant des personnes qui auraient terminé leur formation immédiatement avant l’entrée en service ou qui l’auraient terminée pendant le service, il convient de tenir compte du salaire qu’elles sont, de façon réaliste, empêchées de réaliser en raison du service civil. Afin d’arrêter le salaire déterminant pour le calcul de l’allocation, il est donc nécessaire de tenir compte notamment de la formation de l’assuré, de sa vision de l’avenir, des autres circonstances du cas d’espèce et de se fonder sur le salaire versé selon l’usage local dans la profession en question (c. 5.2.4 et 5.3).
Dans le cas d’espèce, le TF relève, qu’au vu de ces circonstances, il est probable que, s’il n’avait pas effectué son service civil, l’intimé aurait d’abord réalisé un stage après son bachelor universitaire en sciences économiques. Dans cette perspective, l’allocation pour perte de gain doit être déterminée sur la base du salaire versé dans le cadre d’un stage et non dans le cadre d’un emploi d’économiste.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Yverdon-les-Bains


TF 9C_126/2022 du 2 août 2022
Assurance-invalidité; invalidité, réadaptation, exigibilité, personne appartenant à la communauté des gens du voyage; art. 4 LAI; 7 et 8 LPGA; 105 al. 2 LTF
Cet arrêt est la suite de l’affaire jugée à l’ATF 138 I 205. Elle concerne une assurée membre de la communauté suisse des gens du voyage, ayant travaillé dans l’entreprise de brocante de son mari jusqu’à ce des troubles du rachis l’en empêchent. Elle avait demandé des prestations de l’assurance-invalidité qui lui avaient été refusées, au motif qu’elle jouissait d’une capacité de travail entière dans une activité adaptée. Le TF avait admis son recours au motif que l’office AI n’avait pas déterminé s’il existait des activités lucratives compatibles avec ses limitations fonctionnelles et adaptées qui lui permettent de respecter son mode de vie, protégé par les conventions internationales. Les prestations de l’assurance-invalidité lui ayant une nouvelle fois été refusées, sur la base notamment d’une expertise médicale ordonnée parce que l’assurée alléguait une aggravation de son état de santé, le TF est à nouveau saisi de son affaire.
Le TF, manifestement agacé par le fait que l’affaire lui revienne sans que les instructions données plus de dix ans auparavant aient été mises en œuvre, complète l’état de fait d’office (art. 105 al. 2 LTF).
Il ressort du dossier qu’après avoir procédé à l’examen des activités adaptées conformément aux instructions contenues dans le premier arrêt du TF, l’office AI était parvenu à déterminer un revenu d’invalide de CHF 35’700.- après abattement de 15 %. La personne assurée admettait pour sa part pouvoir réaliser le tiers de cette somme, correspondant à une activité déployée durant les quatre mois où elle séjournait à un endroit fixe. Sur la base des déclarations de la personne assurée et des constatations de l’office AI, il a été retenu qu’il n’existait pas d’activité adaptée pendant les périodes d’itinérance. En conséquence, compte tenu d’un revenu de valide de CHF 43’587.-, l’assurée a droit à une rente entière de l’assurance-invalidité (c. 7.2).
D’un point de vue temporel, le droit à la rente est ouvert depuis le 1er mars 2007, le délai d’attente ayant débuté le 1er mars 2006, selon des rapports du SMR. La question d’une aggravation de l’état de santé en 2014, alléguée par l’assurée, n’est pas déterminante pour l’issue du litige.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 148 V 334, TF 9C_543/2021 du 20 juillet 2022
Prévoyance professionnelle; rente d’orphelin, surindemnisation, notion de formation; art. 22 al. 3 LPP
Le TF a rappelé que l’art. 22 al. 3 let. a LPP subordonne le maintien du droit aux prestations pour orphelin après que l’ayant droit a atteint l’âge de 18 ans à la poursuite d’une formation (« tant que l’orphelin fait un apprentissage ou des études »). A la différence de l’art. 25 al. 3 LAVS, l’art. 22 al. 3 LPP ne délègue pas au Conseil fédéral la compétence de définir ce que l’on entend par formation. Les juges fédéraux ont considéré qu’il était possible d’appliquer les art. 25 al. 3 LAVS et 49bis RAVS par analogie, s’agissant du critère « qualitatif » de la formation. En revanche, une telle application ne se justifiait pas en ce qui concerne le critère « quantitatif » de la formation, à savoir la fixation d’une limite forfaitaire en francs qui serait applicable de manière schématique. Le TF a toutefois réservé une situation dans laquelle une personne orpheline consacrerait la plus grande partie de son temps à l’exercice d’une activité lucrative tout en restant inscrit dans un cursus de formation pour ne pas perdre son droit.
Note :
Cette jurisprudence doit être nuancée, en ce sens qu’il importe d’examiner systématiquement les règlements de prévoyance des institutions de prévoyance (dans le domaine de la prévoyance professionnelle surobligatoire, y compris les plans enveloppants)
Auteur : Guy Longchamp, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel


ATF 148 V 356, TF 8C_596/2021 du 12 juillet 2022
Assurance-accidents; accident non professionnel, causalité adéquate; art. 6 LAA
A la suite d’une chute survenue le 4 octobre 1989 alors qu’il se trouvait sur un chantier, un assuré est devenu paraplégique et doit avoir recours à une chaise roulante depuis lors. Le 8 juillet 2019, soit à une période où l’assuré n’était plus assuré auprès de la CNA, il est tombé de sa chaise roulante, en restant notamment accroché à un coin du lit, ce qui a provoqué une chute sur son épaule gauche. L’assureur-accidents, suivi par le TF, a nié une quelconque obligation de prester, au motif que le critère de la causalité adéquate ne pouvait être rempli. En effet, selon l’expérience de la vie et le cours ordinaire des choses, la paraplégie et l’obligation de l’assuré d’avoir recours à une chaise roulante (depuis près de trente ans) ne pouvaient être à l’origine de l’accident du 8 juillet 2019. L’événement ayant provoqué l’accident devait bien plutôt être le fait d’être resté « accroché » au coin du lit, le fait de se déplacer en chaise roulante ne pouvant à cet égard être considéré comme une situation de « danger particulier ».
Auteur : Guy Longchamp



ATF 148 V 321, TF 8C_104/2021 du 27 juin 2022
Assurance-invalidité; troubles psychiques, indicateurs, revenu d’invalide, ESS, abattement, révision ou suppression de la rente, réadaptation, limite de 55 ans, moment déterminant; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI
Dans le cadre de l’évaluation du caractère invalidant de troubles psychiques, le TF revoit l’analyse des indicateurs de l’ATF 141 V 281 faite par les juges cantonaux, et ne trouve rien à y redire (c. 5.1). Il rejette également le grief d’arbitraire s’agissant de l’évaluation du caractère invalidant de ces troubles pour la période antérieure à l’expertise (c. 5.2).
Lorsque, comme en l’espèce, la personne assurée a travaillé de longues années dans un secteur économique déterminé (la construction dans ce cas) et qu’un travail dans un autre secteur économique paraît illusoire, il est correct de déterminer le salaire d’invalide en se fondant sur l’ESS, TA1, rubrique « total », plutôt que par référence aux moyennes dans les différentes branches (c. 6.3).
Le TF confirme l’abattement de 10 % sur le revenu d’invalide, déjà opéré par l’office AI et confirmé par les premiers juges, qui tient compte de ce que le rendement de la personne assurée est limité pour des raisons médicales, en l’espèce un diabète et des troubles du sommeil (c. 6.4).
Motif pour sa publication à venir, l’arrêt tranche la question du moment à prendre en considération pour savoir si la personne assurée, âgée de 55 ans, doit se voir proposer des mesures de réadaptation avant la baisse ou la suppression de sa rente, ou si l’on peut attendre d’elle qu’elle se réadapte par ses propres moyens. Cette question a jusqu’ici été laissée ouverte, l’arrêt de principe (cf. ATF 145 V 209) ayant mentionné trois moments possibles : la date de la décision administrative, la date depuis laquelle la rente est révisée vers le bas ou supprimée, et la date de l’évaluation médicale. En l’espèce, cette question ne peut rester ouverte car la personne assurée était âgée de 55 ans au moment de l’évaluation médicale puis de la décision administrative, mais n’était en revanche âgé que de 52 ans à la date depuis laquelle la rente a été supprimée.
Le TF, considérant qu’il n’y a pas lieu de traiter différemment la situation dans laquelle une rente limitée dans le temps (ou une rente diminuant au fil du temps) est accordée rétroactivement et une révision du droit à la rente selon l’art. 17 LPGA, retient que c’est la date à laquelle la décision administrative est rendue qui est déterminante. En effet, au moment de l’évaluation médicale, le droit à la rente n’a pas encore été entièrement examiné, et le moment de la diminution, respectivement de la suppression de la rente n’est connu que bien après (c. 7.3). En l’espèce, la personne assurée était âgée de 55 ans au moment où la décision administrative a été rendue, de sorte qu’il était nécessaire d’instruire la question de la possibilité d’une réadaptation par soi-même, et, le cas échéant, de mettre en œuvre des mesures de réadaptation, avant de pouvoir statuer définitivement. Le recours est donc admis.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_91/2022 du 22 juin 2022
APG-COVID; notion de « perte de gain ou de salaire », subsidiarité de l’allocation Covid-19, art. 2 al. 3bis O APG COVID-19; 31 al. 3 let. b et c LACI
La société A. SA est active dans le domaine de l’événementiel. Depuis 2016, B. est le seul membre du conseil d’administration de A. SA, ainsi que le directeur de celle-ci. Quant à C., l’épouse de B., elle est employée par A. SA en qualité de collaboratrice. La Caisse de compensation de Lucerne a versé à C. une allocation pour perte de gain en lien avec les mesures COVID-19 pour la période du 1er juin au 16 septembre 2020. La caisse a encore reconnu un droit à dite allocation pour la période du 17 septembre au 30 novembre 2020 mais elle a ensuite nié un tel droit pour la période du 1er décembre 2020 au 30 avril 2021, par décision du 27 mai 2021 puis décision sur opposition du 7 juillet 2021. A. SA fait recours contre cette décision, que rejettent tant le Tribunal cantonal de Lucerne que le TF.
Le TF laisse ouverte la question de la qualité pour recourir de l’employeur dans les cas particuliers d’allocations perte de gain COVID-19, question qu’il a déjà laissée ouverte à l’arrêt 9C_356/2021.
L’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 du 20 mars 2020 (RS 830.31) s’applique ici dans sa version entrée en vigueur avec effet rétroactif au 17 septembre 2020, et valable jusqu’au 16 février 2022 (ci-après : art. 2 al. 3bis).
Le Tribunal cantonal a qualifié C. d’ayant droit au sens de l’art. 31 al. 3 let. c LACI, respectivement de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19. Il a en outre constaté qu’A. SA avait versé à C. son salaire durant toute la période litigieuse. En l’absence de perte de salaire (selon l’art. 2 al. 3bis let. b de dite ordonnance), les juges cantonaux ont donc nié tout droit à l’indemnité de perte de gain. Le TF estime ce jugement conforme au droit fédéral.
Le TF rappelle que le droit à l’allocation perte de gain COVID-19 des personnes assurées ayant une position similaire à celle d’un employeur est subsidiaire au maintien du salaire par l’employeur (cf. arrêt 9C_356/2021 du 10 mai 2022). Par arrêt 9C_448/2021, rendu le 10 mai 2022 lui aussi, le TF a par ailleurs conclu que cette subsidiarité du droit à l’allocation par rapport au maintien du salaire s’appliquait également au-delà du 17 septembre 2020.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 6B_1295/2021 du 16 juin 2022
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, personnel soignant, faute, position de garant, devoir de prudence, gravité des manquements, infraction de commission; art. 11 al. 1 et 2 ainsi que 117 CP
Un comportement constitutif d’une négligence consiste en général en un comportement actif, mais peut aussi avoir trait à un comportement passif contraire à une obligation d’agir (cf. art. 11 al. 1 CP). Reste passif en violation d’une obligation d’agir celui qui n’empêche pas la mise en danger ou la lésion d’un bien juridique protégé par la loi pénale bien qu’il y soit tenu à raison de sa situation juridique, notamment en vertu de la loi, d’un contrat, d’une communauté de risque librement consentie ou de la création d’un risque (art. 11 al. 2 let. a-d CP). N’importe quelle obligation juridique ne suffit pas. Il faut qu’elle ait découlé d’une position de garant, c’est-à-dire que l’auteur se soit trouvé dans une situation qui l’obligeait à ce point à protéger un bien déterminé contre des dangers indéterminés (devoir de protection), ou à empêcher la réalisation de risques connus auxquels des biens indéterminés étaient exposés (devoir de surveillance), que son omission peut être assimilée au fait de provoquer le résultat par un comportement actif.
Lorsqu’il s’agit d’apprécier le comportement adopté par le personnel soignant d’une institution de soins médicaux, qui a, dans le cas particulier, laissé la victime prendre son bain sans surveillance, la position de garant au sens de l’art. 11 al. 2 let. b CP est de toute manière donnée, dès lors qu’il est admis que les personnes travaillant dans ce domaine d’activité assument une obligation contractuelle de protection vis-à-vis de leurs patients.
Dans le cas d’espèce toutefois, compte tenu de l’état de santé et des limitations de la victime en raison de ses handicaps, lui donner le bain doit être considéré comme une activité dangereuse. L’élément déterminant qui doit être examiné se rapporte ainsi au fait d’accomplir l’activité en cause sans observer les mesures de sécurité suffisantes. Il y a donc lieu de retenir en l’occurrence que l’on se trouvait en présence d’un comportement actif, soit d’une infraction de commission.
Pour le surplus, s’il est clair que l’absence de directives concernant le déroulement des bains a certainement favorisé les manquements du recourant, il n’empêche que ce dernier, qui était au bénéfice d’une formation professionnelle spécialisée, était parfaitement conscient de la dépendance totale de la victime, de la dégradation de son état de santé, et du fait que, peu avant les faits, elle avait présenté des épisodes de spasmes, fait l’objet d’une crise d’épilepsie, ainsi que de mouvements incontrôlés en lien avec la douleur, et qu’elle était récemment tombée de son fauteuil. Or, malgré cela, il a, avec son collègue, placé la victime dans un bain – soit une activité à risque dans le cas de la victime – certes avec une « cigogne », mais avec une bouée insuffisamment gonflée, pour une durée de 30 minutes, sans aucune surveillance. Ce faisant, il a commis une violation fautive de son devoir de prudence au sens de la jurisprudence relative à l’art. 117 CP.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 4A_440/2021 du 25 mai 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; expertise, appréciation par le juge, causalité naturelle, gravité de l’accident, observation; art. 46 al. 1 et 47 CO; 62 al. 1 LCR
Une personne est victime de trois accidents successifs dont le premier est une collision par l’arrière avec un diagnostic de traumatisme par accélération cranio-cervical ; le delta-v est compris entre 10 et 15 km/h, voire moins. Après un peu plus de deux mois, le lésé retrouve une pleine capacité de travail sans adaptation nécessaire et cesse de consulter pour ses cervicalgies. Une rechute est annoncée deux ans et demi plus tard avec apparition de nouveaux troubles visuels, auditifs et plus généraux (fatigue, difficultés de concentration, irritabilité). Un rapport de détective révèle l’absence de gêne fonctionnelle dans les activités du quotidien. Le lésé ouvre action contre l’assurance RC. L’expertise judiciaire conclut à une entorse cervicale de type II et des troubles associés à l’entorse cervicale (TAEC) et admet la causalité naturelle entre les troubles présentés et l’accident tout en relevant une évolution des symptômes atypiques, une majoration des plaintes et des contradictions entre les plaintes et les constatations objectives. Le tribunal de première instance, se basant sur l’expertise, retient un lien de causalité naturelle et adéquate entre les troubles et l’accident alors que le tribunal cantonal s’écarte de l’expertise et rejette la causalité naturelle.
Pour le TF, le juge, même s’il est dépourvu de connaissances médicales, est capable de faire la part des choses entre les différents moyens de preuve recueillis et apprécie librement la valeur probante d’une expertise médicale, à l’aune de toutes les circonstances. S’il s’écarte de l’expertise, il doit motiver son appréciation, ce qui est suffisant s’il indique les traits essentiels de sa motivation. En l’état, et cela n’est pas arbitraire selon le TF, les juges cantonaux se sont référés, pour réfuter le lien de causalité, à une étude scientifique de laquelle il ressort que l’apparition de nouveaux symptômes après un intervalle asymptomatique est peu probable.
Les juges étaient, d’autre part, autorisés à s’écarter de l’avis des experts réfutant tout lien de causalité entre les accidents deux et trois, puisqu’ils ont retenu deux éléments non pris en considération par les experts (décompensation des douleurs cervicales suite au deuxième accident selon le médecin AI et déclarations du lésé selon lesquelles il ressentait toujours des douleurs après le deuxième accident).
Ils ont en outre retenu, dans l’examen de la causalité naturelle, le critère de la gravité de l’accident, critère en principe pris en compte dans l’examen de la causalité adéquate. Rien n’empêche, selon le TF, le juge civil d’en tenir compte lorsqu’il étudie la causalité naturelle, le degré de gravité de l’accident constituant l’un des indices pertinents dans l’examen de la causalité naturelle. Selon le TF, diverses circonstances peuvent en effet influer tant la question de la causalité naturelle que celle de la causalité adéquate.
Enfin, le TF relève que le rapport de détective fournit une raison supplémentaire de s’écarter de l’expertise.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève



ATF 148 V 301, TF 8C_58/2022 du 23 mai 2022
Assurance-accidents; qualification d’un accident dû à la foudre, lien de causalité naturelle et adéquate; art. 4 LPGA; 6 LAA
A., médecin-assistante, pratiquait une randonnée en montagne lorsqu’elle a été frappée par la foudre. Cette dernière est passée à travers l’un des trous d’aération du casque situé sur le haut de l’arrière droit de la tête de A. et est ressortie par ses deux petits orteils droit et gauche. Des marques de brûlures claires ont été constatées par les médecins qui l’ont prise en charge. A. est restée aphasique et confuse durant plusieurs dizaines de secondes après avoir été frappée par la foudre. Après avoir servi les prestations légales durant un peu plus de deux ans, l’assurance LAA intimée a considéré que A. avait récupéré et que son état s’était stabilisé. Elle a cessé de verser les prestations légales, maintenant sa décision sur opposition. Le recours de A. a été rejeté par le Tribunal supérieur d’Appenzell Rhodes-Extérieures. Il est établi que A. a été frappée par la foudre, ce qui l’a rendue aphasique puis confuse, engourdie et désorientée. Selon la déclaration de sinistre, le dommage principal a été causé au cerveau. On ne connaît cependant pas les lésions exactes causées par le coup de foudre ni ses conséquences sur sa capacité de travail, respectivement de gain, le diagnostic exact n’ayant pas été posé.
Le TF considère qu’un accident dû à la foudre doit être qualifié de grave ou de moyennement grave à la limite des accidents graves et ne peut être comparé à un accident dû à l’électricité, et donc à une source de courant artificielle, même forte. En effet, les accidents dus à la foudre se caractérisent par une intensité de courant extrêmement élevée (plus de 100’000 ampères), une durée d’exposition très courte, avec une température très élevée (l’air s’échauffe dans le canal de la foudre jusqu’à environ 25’000 à 30’000° C), une onde de choc, et des tensions supérieur à 100 millions de volts (c. 4.3.5).
L’autorité cantonale a laissé ouverte la question de la causalité naturelle, dans la mesure où elle a considéré que la causalité adéquate devait être niée, les critères pour l’admettre n’étant pas remplis, à savoir des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques, respectivement le caractère particulièrement impressionnant (c. 4.4.2.). Selon le TF, la qualification des accidents de foudre en tant que moyennement graves à la limite de graves et la présence d’un seul des critères précités – sans qu’il ne soit réalisé de manière particulièrement prononcée – devrait suffire pour reconnaître le lien de causalité adéquate (c. 4.5.). Le TF considère en particulier qu’on ne peut nier que les accidents dus à la foudre sont particulièrement impressionnants (c. 4.4.5.). Cela étant, si le lien de causalité adéquate ne peut être nié schématiquement entre les troubles persistants et le choc accidentel lié à la foudre, il n’est pas admissible d’admettre sans autre en l’espèce un lien de causalité adéquate entre d’éventuels troubles psychiques ou organiques non démontrables et un accident avant que les questions relatives à la nature des atteintes à la santé et du lien de causalité naturelle ne soient clarifiées par une expertise (c. 4.5.1.). Le TF admet le recours et renvoie l’affaire à l’intimée, afin qu’elle procède à une expertise sur les questions de faits concernées. Elle devra ensuite statuer à nouveau sur la prétention de la recourante concernant ses troubles organiques non objectivables (c. 4.5.2.).
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier



TF 6B_491/2021 du 23 mai 2022
Responsabilité médicale; intervention dentaire, lésions corporelles, degré de gravité, pluralité d’auteurs, causalité; art. 125 CP
Une patiente, avec un lourd passif médical et au bénéfice d’une rente AI, recourt auprès du TF à l’encontre d’un acquittement prononcé en faveur de deux dentistes ayant eu à répondre de lésions corporelles graves par négligence. A cette occasion, le TF rappelle que les interventions médicales réalisent les éléments constitutifs objectifs d’une lésion corporelle en tout cas si elles touchent à une partie du corps (par exemple lors d’une amputation) ou si elles lèsent ou diminuent, de manière non négligeable et au moins temporairement, les aptitudes ou le bien-être physiques du patient. Cela vaut même si ces interventions étaient médicalement indiquées et ont été pratiquées dans les règles de l’art.
Pour que les lésions corporelles soient considérées comme graves, l’atteinte doit être permanente, c’est-à-dire durable et non limitée dans le temps ; il n’est en revanche pas nécessaire que l’état soit définitivement incurable et que la victime n’ait aucun espoir de récupération. Il faut procéder à une appréciation globale : plusieurs atteintes, dont chacune d’elles est insuffisante en soi, peuvent contribuer à former un tout constituant une lésion grave. Il faut tenir compte d’une combinaison de critères liés à l’importance des souffrances endurées, à la complexité et la longueur du traitement, à la durée de la guérison, respectivement de l’arrêt de travail, ou encore à l’impact sur la qualité de vie en général.
Lorsque plusieurs individus ont, indépendamment les uns des autres, contribué par leur négligence à créer un danger dont le résultat incriminé représente la concrétisation, chacun d’entre eux peut être considéré comme un auteur de l’infraction, que son comportement représente la cause directe et immédiate du résultat ou qu’il l’ait seulement rendu possible ou favorisé.
Dans le cas d’espèce, le TF confirme l’acquittement en retenant que les lésions corporelles, à savoir la dévitalisation et l’extraction de dents, n’étaient pas graves et que le lien de causalité faisait défaut.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

ATF 148 III 343, TF 4A_179/2021 du 20 mai 2022
Responsabilité pour l’exploitation d’un chemin de fer; causalité adéquate, interruption, faute grave de la personne lésée; art. 40b al. 1 et 40c al. 2 let. b LCdF; 38 al. 1 LCR; 47 al. 2 1re phr. OCR
Le détenteur d’une entreprise ferroviaire répond du dommage causé par la réalisation d’un risque d’exploitation (art. 40b al. 1 LCdF). Il est dégagé de cette responsabilité si un fait qui ne lui est pas imputable, tel que la faute grave du lésé (art. 40c al. 2 let. b LCdF), a contribué à causer le dommage d’une façon si intense qu’il doit en être considéré comme la cause principale (art. 40c al. 1 LCdF). Le comportement d’un tiers constitue une cause principale seulement s’il présente un degré d’efficacité tellement élevé, s’il se situe à tel point en dehors du cours normal des choses, que la responsabilité causale du détenteur de l’entreprise ferroviaire n’est plus appréciée comme juridiquement pertinente à l’égard du dommage survenu. Ce comportement du tiers ne peut rompre le lien de causalité adéquate que si cette cause supplémentaire est si extérieure au déroulement normal des événements qu’on ne pouvait pas s’y attendre (c. 3.1-3.2).
La violation de la diligence résulte de la comparaison entre le comportement effectif de l’auteur de l’acte et le comportement hypothétique d’une personne moyennement diligente, la faute étant d’autant plus grave que l’écart par rapport au comportement moyen est important (c. 3.3).
Le tramway a en principe la priorité sur le piéton (art. 38 al. 1 LCR), même sur les passages pour piétons (art. 47 al. 2 1re phr. OCR). Tant que le conducteur du tramway n’enfreint ni la signalisation, ni les règles de circulation, et qu’il n’y a pas de défaillance technique, le piéton est en principe fautif en cas de collision (c. 3.4). Cette faute est grave, au sens de l’art. 40c al. 2 let. b LCdF, dans le cas d’un lésé familier des lieux, happé par un tram après s’être brusquement engagé sur les rails, en prêtant attention à son téléphone portable, sans avoir regardé, suivant une règle de prudence élémentaire, à gauche si un tram arrivait (c. 4.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle




TF 6B_315/2020 du 18 mai 2022
Responsabilité aquilienne; faute, causalité, mise en danger par négligence en violation des règles de l’art de construire, lésion corporelles graves par négligence; art. 229 CP; 125 al. 2 CP; 11 OPA
Un grutier A. a été chargé de transporter un élément en béton d’environ dix tonnes depuis son lieu de stockage jusqu’à sa position finale. A cet endroit et selon les instructions de C., l’entrepreneur chargé du montage, a déposé l’élément en béton sur son côté longitudinal le plus étroit (20 cm) sur une plateforme élévatrice et a desserré les chaînes qui sécurisaient le bloc. Celui-ci est resté un certain temps jusqu’à ce qu’il tombe et heurte la plateforme élévatrice qui, à son tour, a poussé contre la façade de l’immeuble un travailleur présent sur le chantier, lequel a subi des lésions corporelles importantes. Le grutier est condamné pour lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP) et violation des règles de l’art de construire (art. 229 CP). Il recourt jusqu’au TF contre cette condamnation, invoquant principalement que la responsabilité de l’arrimage du chargement incombait à C.
Le TF rappelle que l’infraction visée à l’art. 229 CP consiste en l’inobservation des règles reconnues du droit de la construction. L’art. 229 CP instaure une position de garant de l’auteur, en ce sens qu’il oblige les personnes qui créent un danger dans le cadre de la direction ou de l’exécution de travaux à respecter les règles de sécurité dans leur domaine de compétence. Il convient ainsi de déterminer pour chaque cas individuel l’étendue des tâches et donc du domaine de compétence. Il faut, à cet égard, se référer aux prescriptions légales, aux accords contractuels, aux fonctions exercées, ainsi qu’aux circonstances du cas d’espèce. Les usages dans le secteur de la construction doivent également être pris en compte, même s’ils ne règlent qu’une éventuelle responsabilité civile. La distinction entre les différents domaines de compétences est une conséquence de la division du travail, qui est inévitable dans le domaine de la construction, dans lequel les différentes activités ne peuvent souvent pas être délimitées de manière claire les unes par rapport aux autres, de sorte qu’en cas de violation constatée des règles de l’art de la construction, la responsabilité pénale selon l’art. 229 CP incombe souvent à plusieurs personnes en même temps (c. 6.3). Ces principes sont transposables aux éléments constitutifs de l’art. 125 al. 2 CP. En particulier, la position de garant peut être fondée sur les mêmes considérations que pour l’art. 229 CP.
S’agissant d’un grutier, il convient de se référer à l’ordonnance sur les conditions de sécurité régissant l’utilisation des grues qui prévoit, à son art. 6 al. 1, que les charges doivent être assurées pour le levage, arrimées aux crochets des grues et déposées après le levage, de sorte qu’elles ne puissent pas se renverser, tomber ou glisser et par là, constituer un danger. Lorsque l’ordonnance sur les grues ne prévoit rien, c’est l’ordonnance sur la prévention des accidents (OPA) qui s’applique. Son art. 11 al. 1 indique que l’employé est tenu d’observer les règles de sécurité généralement reconnues (c. 6.3.1).
Il convient de retenir en l’espèce une violation des règles de l’art de construire par le grutier. La répartition du travail entre ce dernier et C., en tant que chef d’équipe et instructeur, ne permet pas, dans les circonstances du cas d’espèce, de décharger le grutier. Dans son activité, celui-ci doit tenir compte des règles de sécurité généralement reconnues et doit immédiatement remédier aux éventuels défauts constatés qui portent atteinte à la sécurité du travail, conformément à l’art. 11 al. 1 OPA. En l’espèce, le grutier, vu qu’il se trouvait en hauteur, était en mesure de voir les dimensions et la position de l’élément en béton et de reconnaître le risque de basculement et l’état de fait dangereux ainsi créé. En omettant, malgré le « défaut » qu’il a constaté et qui porte atteinte à la sécurité du travail, de prendre ou de faire prendre les mesures de protection nécessaires pour l’éliminer, il n’a pas respecté les règles reconnues de l’art de construire. Le comportement fautif de C. n’était par ailleurs pas exceptionnel au point de rompre le lien de causalité entre la violation du devoir de diligence du grutier et la survenance du résultat.
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne

ATF 148 V 311, TF 8C_621/2021 du 18 mai 2022
Assurance-accidents; soins à domicile, prestataire de soins sans convention tarifaire, tarif applicable; art. 56 LAA
Un assureur-accidents doit prendre en charge le coût des prestations d’un fournisseur de prestations de soins à domicile admis à pratiquer, même lorsque celui-ci n’a ni signé, ni adhéré à une convention tarifaire. A juste titre, les juges fédéraux ont considéré que l’art. 56 LAA n’a pas pour but de limiter le choix du fournisseur de prestations, contrairement à ce qu’invoquait l’assureur-accidents, cette question étant exclusivement réglée aux art. 10 LAA et 18 OLAA. S’agissant du tarif à prendre en considération, le TF a précisé que, en faisant usage de l’art. 15 al. 2 OLAA par analogie, l’assureur-accidents devait rembourser les frais qu’il aurait dû prendre en charge, sur la base de la convention en vigueur.
Auteur : Guy Longchamp, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel


TF 9C_50/2022 du 17 mai 2022
Prestations complémentaires; renonciation à la fortune; art. 11 al. 1 let. g aLPC
Le TF commence par rappeler le principe selon lequel une renonciation à la fortune doit malgré tout être comptabilisée dans les revenus lors de l’examen du droit aux prestations complémentaires AVS/AI. On considère ainsi qu’il y a renonciation à la fortune lorsque la cession ne s’accompagne d’aucune obligation juridique ni d’aucune contrepartie adéquate.
Dans cette affaire, il s’agissait d’une personne qui vivait en-dessus de ses moyens et qui a ainsi dilapidé sa fortune jusqu’à devoir déposer une demande de prestations complémentaires. La situation étant antérieure à 2021 et ainsi, à l’entrée en vigueur de l’art. 11a al. 3 et 4 LPC, cette disposition n’était pas applicable.
Les premiers juges critiquaient la jurisprudence en arguant que la personne assurée qui consomme régulièrement plus de fortune que ce dont elle aurait besoin pour couvrir ses besoins vitaux préfinancerait en réalité son niveau de vie actuel plus élevé au moyen des prestations. L’adoption du nouvel art. 11a al. 3 LPC montrerait également que la jurisprudence du TF était erronée.
Le TF rappelle alors que pour retenir une renonciation à la fortune au sens de l’ancien art. 11 al.1 let. g LPC, il faut l’absence d’une obligation juridique, ainsi que l’absence de contrepartie adéquate (équivalente) en lien avec le dessaisissement de la fortune. Il continue en relevant que l’adoption du nouvel art. 11a al. 3 et 4 LPC soulève de nouvelles considérations juridiques. L’adoption de cette disposition ne reflète ainsi pas la situation qui prévalait avant son adoption. Dès lors, pour le TF, il n’y a pas de raison de s’écarter de la jurisprudence relative à l’ancien art. 11 al. 1 let. g LPC, selon laquelle il n’est pas important de savoir si un assuré vivait au-dessus de ses moyens avant de s’inscrire pour percevoir des prestations. Le train de vie de l’assuré n’est ainsi pas pertinent pour déterminer si l’on est en présence d’une renonciation à la fortune.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne

ATF 148 I 145, TF 2C_704/2021 du 12 mai 2022
Responsabilité de l’Etat; prescription, dies a quo, conditions de détention illicites; art. 7 LRECA-VD
Selon l’art. 7 de la loi vaudoise sur la responsabilité de l’Etat (LRECA-VD), la créance en dommages-intérêts à l’encontre de l’Etat se prescrit par un an dès la connaissance du dommage et en tout cas par dix ans dès l’acte dommageable. Le TF rappelle que cette disposition doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 60 al. 1 CO, dont le texte est pratiquement identique. De jurisprudence constante, la notion de « connaissance du dommage » ne doit pas être appliquée de manière stricte, particulièrement lorsqu’elle correspond au dies a quo d’un délai de prescription très bref, comme en l’espèce.
Le TF relève ensuite qu’un détenu ayant souffert de conditions de détention illicites dans un établissement carcéral ne peut exclure le risque de subir à nouveau un traitement similaire à l’avenir. En l’absence de toute garantie quant à la pérennité de l’amélioration de sa situation, le détenu ne peut en aucun cas réaliser que le traitement carcéral illicite dont il a été victime a durablement pris fin ni prendre la mesure de son préjudice maximal.
En admettant que le délai de prescription avait commencé à courir le 12 janvier 2018, le Tribunal cantonal a en réalité fixé le moment de la connaissance du dommage d’un point de vue rétrospectif. Cette interprétation se heurte néanmoins à la jurisprudence constante rendue à propos de l’art. 60 al. 1 CO, selon laquelle le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le lésé a une connaissance effective du dommage. Or, tel ne peut être le cas, en l’espèce, qu’à partir du moment où le détenu a été transféré dans une autre prison, le 30 juillet 2018. Un détenu ayant subi des conditions de détention illicites ne peut en effet pas avoir une connaissance effective de son dommage avant d’avoir quitté l’établissement concerné. Le délai de prescription relatif qui présuppose la connaissance effective du dommage ne commence donc pas encore à courir au moment de l’amélioration des conditions de détention au sein d’un même établissement.
Le Tribunal cantonal aurait donc dû retenir que le délai de prescription d’une année n’avait pas commencé à courir avant le 30 juillet 2018. Dès lors, la prescription n’était pas encore acquise lorsque l’Etat de Vaud a renoncé, le 29 juillet 2019, à se prévaloir de la prescription jusqu’au 31 juillet 2020. L’arrêt attaqué repose ainsi sur une interprétation manifestement insoutenable de l’art. 7 LRECA-VD, tant dans son principe que dans son résultat, de sorte que le grief de violation de l’arbitraire est fondé. Partant, le recours est admis. L’affaire est renvoyée au Tribunal d’arrondissement pour nouvelle décision.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 9C_448/2021 du 10 mai 2022
APG-COVID; portée de la notion de « perte de gain ou de salaire » et de « perte de chiffre d’affaires »; art. 2 al. 3bis et 3ter O APG COVID-19 (au 3 février 2022)
La société A. (Sàrl), dont B. et C. sont les uniques associés et gérants, est active dans le domaine du sport et de l’événementiel. En septembre 2020, B. et C. ont requis l’octroi d’allocations pour perte de gain en lien avec les mesures COVID-19, ce qui leur a été refusé en raison d’une absence de perte de revenu. B. et C. avaient en effet continué à se verser un salaire mensuel qu’ils prélevaient toutefois sur les fonds propres de la Sàrl. Le litige porte ainsi essentiellement sur l’interprétation des notions de « perte de gain ou de salaire » et de « perte de chiffre d’affaires », prévues à l’art. 2 al. 3bis et 3ter O APG COVID-19 du 20 mars 2020.
Après avoir appliqué les méthodes habituelles d’interprétation de la loi, le TF arrive à la conclusion que le droit à une indemnité de perte de gain COVID-19 présuppose, outre une perte minimale du chiffre d'affaires, une perte de gain ou de salaire. Partant, un salarié qui a continué à percevoir son salaire mensuel usuel, même si celui-ci a dû être versé par le biais de fortune de la société, ne subit pas de perte de salaire et n’a ainsi pas le droit à des allocations pour perte de gain (c. 4.2.1 et 4.2.2). Le fait que la fortune ou le capital social de l’entreprise, mis à contribution pour le paiement du salaire, aient été constitués à partir de la fortune privée des salariés, n’a aucun impact sur ce qui précède (c. 4.2.1 et 4.2.2).
Les pertes de salaire ou de chiffre d’affaires doivent être déterminées sur la base de montants réels qui découlent de la situation financière d’une entreprise qui existait préalablement à la mise en œuvre des mesures de lutte contre le COVID-19. Partant, les recourants ne peuvent pas faire valoir des pertes de salaires basées sur des salaires hypothétiques et non étayés (c. 4.3).
Le TF a également examiné la qualité pour recourir d’une Sàrl dans le cadre d’un refus d’octroi d’indemnités pour perte de gain COVID-19 à l’encontre de ses employés. Il a considéré que dans le cas d’espèce, dès lors que la société avait continué à verser les salaires mensuels à ses employés durant la pandémie, sa qualité pour recourir pouvait potentiellement découler de l’art. 7 al. 2 O APG COVID-19. Compte tenu de l’issue de la procédure, le TF a estimé qu’il n'était pas nécessaire de décider si la société avait ou non la qualité pour former un recours en matière de droit public au sens de l’art. 89 LTF (c. 1.3.2).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

ATF 148 V 265, TF 9C_356/2021 du 10 mai 2022
APG-COVID; revenu déterminant, notion de « perte de gain ou de salaire »; art. 2 al 3bis O APG COVID-19
Une SA, active dans l’organisation d’évènements, dépose un recours en matière de droit public au TF concluant au versement d’indemnités perte de gain COVID-19 pour son directeur. Ce dernier avait été engagé au 1er janvier 2020 et avait continué à percevoir un salaire suite à l’entrée en vigueur des mesures de lutte contre le coronavirus le 17 mars 2020. Après avoir laissée ouverte la question de la qualité pour recourir de l’employeur dans les cas particuliers d’allocations perte de gain COVID-19 compte tenu de l’issue de la procédure (c. 1.4), le TF rappelle les conditions d’octroi desdites allocations, à savoir notamment que le revenu annuel antérieur doit avoir été compris entre CHF 10'000.- et CHF 90'000.- et qu’une perte de gain ou de salaire est nécessaire par rapport à cette valeur de départ (c. 3 et 5.3.2).
Le TF considère que, s’agissant des allocations perte de gain COVID-19, seule la personne assurée est l’ayant droit. L’employeur ne devient l’ayant droit à la prestation ni en raison de son éventuel droit au versement, ni en raison de son rôle procédural de recourant. Dès lors, seul le revenu soumis à des cotisations AVS est déterminant pour décider s’il y a perte de gain. L’allocation perte de gain selon l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 n’a pas pour but d’amortir la baisse du chiffre d’affaires ou du bénéfice d’une entreprise, mais bien de compenser la perte de gain ou de salaire subie par les personnes assurées (c. 5.3.4.3).
Ainsi, le TF relève qu’il n’y a pas de perte de gain ou de salaire au sens de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19 par une perte de chiffre d’affaires subie par l’employeur. Dans le cas d’une personne assurée ayant une position similaire à celle d’un employeur, le critère décisif est celui de savoir si elle a elle-même subi une perte de salaire. En d’autres termes, son droit à l’allocation perte de gain est subsidiaire au maintien du salaire par l’employeur (c. 5.3.5).
Au vu du maintien du versement du salaire par l’employeur, et partant, d’absence de perte de gain, le TF considère le recours comme infondé. Par ailleurs, le TF souligne que si l’on venait à considérer que le versement de plusieurs montants sur le compte courant du directeur ne suffisait pas à démontrer qu’il s’agissait d’un revenu soumis à cotisations au sens de l’art. 2 al. 3bis O APGV COVID-19, la condition d’un revenu annuel antérieur compris entre CHF 10'000.- et CHF 90'000.- n’aurait en tous les cas pas été remplie et le recours aurait également été infondé (c. 5.3.6).
Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 4A_160/2021 du 6 mai 2022
Responsabilité médicale; règles de l’art, obligation d’informer, prescription médicamenteuse; art. 398 al. 2 CO
Les recourants, soit une mère et son fils, qui présente de lourdes séquelles consécutivement à la prise de Roaccutane durant la grossesse, reprochent deux manquements à la doctoresse : elle aurait manqué à son devoir d’information lorsqu’elle a prescrit ce médicament et, en sus, aurait violé les règles de l’art médical en le prescrivant alors que les conditions du protocole n’étaient pas toutes remplies, la patiente ne souffrant pas d’une forme sévère d’acné et l’intimée n’ayant ordonné ni test de grossesse, ni traitement contraceptif.
Lorsqu’il prescrit un médicament, le praticien doit avertir le patient des risques particuliers induits par celui-ci (TFA 4C.229/2000 c. 3a/aa). En l’espèce, le TF rejette le recours au motif que, bien qu’il ait été préférable que les notes de la doctoresse indiquent expressément les risques liés à la prise de Roaccutane en cas de grossesse, il ressort néanmoins du dossier médical que cette dernière les a abordés avec sa patiente, ce qui doit conduire à écarter toute violation du devoir d’information.
S’agissant de la question d’une éventuelle violation des règles de l’art avec la prescription de Roaccutane, elle a été écartée par une expertise judiciaire. A cet égard, s’ils ont estimé que le dossier médical tenu par la doctoresse était lacunaire (absence de note selon laquelle elle avait bien informé sa patiente des risques du traitement, absence de plan de traitement, poids de la patiente non indiqué) et s’ils ont également pointé du doigt l’absence de test de grossesse réalisé avant le début du traitement, en relevant que le CHUV en pratiquait un, les experts ont toutefois considéré que ce test n’était pas imposé par les règles de l’art médical dans le cas d’espèce, car l’absence de relation sexuelle annoncée en début de traitement pouvait justifier ce manquement. En outre, ils ont déploré l’absence de contraception prescrite en notant que l’absence de partenaire ne justifiait pas ce manquement. Cela étant, ils ont conclu que ces lacunes ne constituaient pas une violation des règles de l’art, dans la mesure où la doctoresse avait dûment informé sa patiente des risques de foetopathie liés au traitement.
De l’avis du TF, si les experts n’ont pas, sur ces questions, accordé au protocole de prescription la portée contraignante que les recourants lui attribuent, l’on ne saurait en déduire que l’expertise était par là-même entachée d’un défaut à ce point évident ou reconnaissable que les juges ne pouvaient l’ignorer.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

ATF 148 V 286, TF 8C_701/2021 du 4 mai 2022
Assurance-accidents; assurance facultative des indépendants, rechute, gain assuré pour la fixation de la rente; art. 4 al. 1, 5 al. 1 LAA; 22 al. 1, 24 al. 2 et 138 OLAA
En 1997, A. s’est assuré contre les accidents à la Suva d’abord de manière facultative comme indépendant, avec un gain assuré fixé à CHF 48'600.-, porté à CHF 60'000.- dès 2002, puis de manière obligatoire comme salarié de sa propre entreprise à partir de 2004. En 2000, alors que ses gains étaient déjà largement supérieurs au gain maximum assuré en LAA, il a été victime d’un accident de travail. Ses séquelles ne l’ont pas empêché de poursuivre sa carrière sans entrave jusqu’à une rechute survenue en 2018 ayant conduit à l’octroi d’une rente d’invalidité LAA de 50 % dès avril 2020. La Suva a fixé le montant de la rente sur la base du gain assuré à l’époque de l’accident, soit CHF 48'600.-. La cour cantonale a considéré qu’il fallait tenir compte du gain hypothétique qui aurait été réalisé lors de la naissance du droit à la rente en vertu de l’art. 24 al. 2 OLAA par analogie.
Le TF rappelle qu’une rechute ne constitue pas un nouvel accident et est donc à charge de l’assurance en vigueur lors de l’accident, soit en l’espèce l’assurance facultative (c. 6). L’assurance facultative devrait être équivalente à l’assurance obligatoire (c. 7.1). Les primes et les prestations financières sont définies en fonction du gain assuré, qui peut être adapté chaque début d’année (c. 7.2). Le gain assuré ne devrait pas être durablement nettement plus élevé que le gain effectif. Les parties sont tenues, le cas échéant, d’adapter le montant en fonction des circonstances concrètes (c. 7.3 et 9.3.4).
En LAA obligatoire, l’art. 24 al. 2 OLAA permet d’éviter de défavoriser les assurés dont la rente est fixée plus de cinq ans après l’accident compte tenu de l’augmentation des salaires réels survenue entretemps. Cette norme s’applique aussi en cas de rechutes ou séquelles tardives (c. 8.3). Cette norme avait été jugée inapplicable à l’assurance facultative par le TFA dans un arrêt U 167/95 en raison du principe d’équivalence (c. 8.4). Le TF renverse cette jurisprudence (c. 9). A l’instar de la cour cantonale, il considère qu’il n’y a pas de raison que le gain assuré ne puisse être adapté qu’en défaveur de l’assuré, en cas de gain assuré surévalué, et non pas en faveur de l’assuré, en cas de gain assuré trop bas par rapport aux revenus effectifs (c. 9.1 et 9.3.3). En définitive, il s’agira de fixer la rente selon le salaire réalisé par l’assuré au moment de l’accident, adapté selon l’évolution des salaires nominaux survenue depuis lors (c. 9.4).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


ATF 148 V 277, TF 9C_79/2021 du 4 mai 2022
Assurance-vieillesse et survivants; délai de péremption, créances de cotisation, taxation fiscale, procédure de rappel d’impôt; art. 14, 16 al. 1 et 39 LAVS; 151 et 152 LIFD; 53 LPGA; 55, 66 et 67 PA
A. a été affilié, du 1er avril 1986 au 30 septembre 2005, en qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante auprès du GastroSocial Caisse de compensation (ci-après « la Caisse de compensation »). Au terme d’une procédure de rappel d’impôt à la suite d’une soustraction d’impôt, l’autorité fiscale cantonale a rendu des décisions de taxation rectificative le 28 août 2019. Sur la base des nouveaux revenus retenus par l’autorité précitée, la Caisse de compensation a requis le paiement par A. de cotisations sociales complémentaires pour l’année 2004 ainsi que pour la période du 1er janvier au 30 septembre 2005, par décisions du 14 octobre 2019 confirmées sur opposition le 8 janvier 2020. A l’issue du recours formé par A. par-devant la Chambre des assurances sociales de la Cour de Justice de la République et canton de Genève, les décisions précitées ont été annulées. La Caisse de compensation a alors formé un recours en matière de droit public à l’encontre de l’arrêt de la Cour de Justice.
Le litige vise à déterminer si la recourante était fondée à réclamer le solde des cotisations pour les années 2004 et 2005, respectivement si la créance correspondante était frappée de péremption.
A teneur de l’art. 16 al. 1 ph. 2 LAVS, l’exigibilité et le versement des cotisations visées aux articles 6 al. 1, 8 al. 1 et 10 al. 1 LAVS échoient dans un délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force. Le TF rappelle à cet égard qu’il s’agit d’un délai de péremption, malgré le titre marginal de cette disposition. L’article 16 al. 1 LAVS s’applique notamment lorsqu’une procédure de soustraction d’impôt a été mise en œuvre.
Le législateur fédéral a ainsi maintenu une règle spéciale permettant à l’organe d’exécution de la LAVS de fixer les cotisations devant être déterminées en fonction de la taxation fiscale dans un délai qui dépend de la date de l’entrée en force de cette taxation. Aussi, ce délai peut excéder dix années, au vu notamment du délai de 15 ans prévu par l’article 152 al. 3 LIFD à teneur duquel le droit de procéder au rappel de l’impôt s’éteint 15 ans après la fin de la période fiscale à laquelle il se rapporte.
Le TF précise que le délai de l’art. 16 al. 1 ph. 2 LAVS ne saurait être raccourci par celui prévu en matière de révision procédurale, par les art. 53 al. 1 LPGA cum 67 PA, ainsi que le retenaient les premiers juges. Ces derniers ont en effet considéré que l’art. 16 al. 1 LAVS ne contenait aucune mention qui dérogerait, en tant que lex specialis, à l’art. 53 LPGA, alors qu’une révision procédurale au sens de cette disposition ne pourrait intervenir que dans le délai de péremption de dix ans (art. 66 al. 1 et 67 al. 2 PA). Le TF indique à ce titre qu’en l’espèce, l’existence d’un motif de révision procédurale, soit la taxation fiscale rectificative issue de la procédure de soustraction d’impôt, constitue seulement la condition à laquelle la période de cotisations initiale peut être revue, mais n’évince toutefois pas la règle spéciale de la péremption prévue par la disposition LAVS concernée.
La Caisse de compensation a ainsi respecté le délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle les décisions de rappel d’impôt du 28 août 2019 sont entrées en force.
Le recours est dès lors admis.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève


TF 8C_782/2021 du 3 mai 2022
Assurance-invalidité; infirmité congénitale, mesures médicales, traitement à l’étranger, droit à la substitution; art. 9 al. 1 LAI; 23bis al. 3 RAI
Pour la prise en charge par l’assurance-invalidité de mesures médicales à l’étranger, il faut interpréter la notion d’« autre raison méritant d’être prise en considération » de l’art. 23bis al. 3 RAI à la lumière de l’art. 9 al. 1 LAI, qui postule le caractère exceptionnel d’un traitement à l’étranger. Cette condition n’est pas réalisée en présence d’une infirmité congénitale relativement courante (en l’espèce une hypospadie, ch. 352 OIC) pour laquelle il existe des traitements régulièrement pratiqués en Suisse, même si une méthode différente pratiquée en Allemagne réduit de 5 % les risques de complications.
Il n’existe pas, dans ce contexte, de droit à la substitution.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 6B_158/2021 du 2 mai 2022
Responsabilité délictuelle; causalité adéquate; art. 125 al. 1 CP
Le recourant a été victime d’un accident de travail en relation avec l’usage d’une presse à plaquer. Plus précisément, sa main a été écrasée par la machine actionnée par un collègue alors qu’il replaçait un panneau de bois trop grand pour être placé en une fois. Il a été établi que le recourant n’avait pas respecté les instructions orales de l’employeur, selon lesquelles aucun doigt ne devait être placé sous la presse pendant le chargement. Le collègue avait lui aussi violé ces instructions, dans ce sens où il n’avait pas attendu le signal « OK » ou un signe de la main de la personne qui introduisait la pièce dans la presse avant d’actionner celle-ci.
Le Tribunal supérieur de Soleure a considéré que la causalité naturelle était bien réalisée entre le comportement du collègue opérateur et l’accident. Néanmoins, selon lui, ce dernier ne pouvait pas compter avec la survenance d’un tel accident, lequel avait été causé par la victime elle-même, puisqu’elle avait violé l’interdiction de mettre ses doigts dans la presse. En conséquence, selon les premiers juges, le fait que l’opérateur n’avait pas attendu le feu vert de son collègue n’avait pas de portée propre. Compte tenu du fait que l’accident n’était selon lui pas prévisible pour l’opérateur, le Tribunal supérieur a donc nié le lien de causalité adéquate, et considéré que les éléments constitutifs des lésions corporelles par négligence n’étaient pas réunis.
Le TF casse cette décision, en se fondant sur le fait que les deux employés concernés avaient l’un et l’autre violé les règles de sécurité de leur employeur. S’il est vrai que l’accident ne serait manifestement pas survenu si la victime n’avait pas mis ses doigts dans la presse, il est tout aussi clair, selon les faits retenus par le Tribunal supérieur, qu’il ne se serait pas non plus produit si l’opérateur avait attendu le feu vert exprès de son collègue avant de mettre en route la machine. Si l’employeur a mis en place un double concept de sécurité, c’est précisément parce que l’écrasement d’une main constitue un danger typique de ce type de presse. On doit ainsi tenir compte du fait qu’il n’était pas exclu en pratique qu’un ouvrier introduise ses mains dans la presse malgré l’interdiction d’agir de la sorte. Ce danger était donc prévisible, raison pour laquelle l’opérateur était tenu d’attendre le feu vert de son collègue avant de mettre la presse en marche. Le Tribunal supérieur a donc violé le droit fédéral en attribuant au comportement illicite de l’opérateur une importance aussi accessoire et en le privant de toute portée propre. Cette portée existe du seul fait que, sans ce comportement, l’accident n’aurait pas eu lieu. Le lien de causalité adéquate doit donc être admis.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_28/2022 du 28 avril 2022
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières en cas de perte de gain LCA, couverture d’assurance, cessation d’activité; art. 55 aLCA; 45 LCA et 45 aLCA
Est litigieuse en l’espèce la signification qui doit être donnée aux CGA de l’assurance collective en perte de gain LCA, selon lesquelles la couverture d’assurance prend fin notamment en cas de cessation dans les faits de l’activité professionnelle (« Geschäftsaufgabe »). Selon l’autorité cantonale, cette cessation d’activité intervient pour une société seulement au moment où l’ouverture de la faillite est prononcée et pas avant. Dans le cas d’espèce, cela signifie qu’à l’ouverture de la faillite du 16 janvier 2020, la couverture d’assurance était encore donnée pour le chef d’entreprise tombé en incapacité de travail à partir du 9 décembre 2019. L’assureur perte de gain ne partage, quant à lui, pas cet avis, estimant que dans les faits c’était déjà à compter du 2 décembre 2019 que l’activité de l’entreprise avait pris fin.
Le TF confirme, sur ce point, le jugement cantonal, estimant que l’assureur n’avait pas démontré dans son recours dans quelle mesure le droit fédéral aurait été violé par le sens donné par les juges cantonaux à l’expression de cessation d’activité (« Geschäftsaufgabe »), d’autant plus que cette interprétation se trouvait en accord avec l’art. 55 aLCA concernant la faillite du preneur d’assurance.
De même, le TF a renoncé à se prononcer sur la question de savoir s’il s’agissait d’une assurance de somme ou de dommage, au motif que l’assureur n’avait non plus pas suffisamment motivé ce point dans son recours.
Par contre, sur la question de la violation du devoir d’annonce, le TF constate une violation du droit d’être entendu par l’instance cantonale, laquelle n’a pas examiné les griefs de l’assureur en rapport avec les possibilités de réduction découlant de ses CGA, raison pour laquelle la cause est renvoyée à l’instance cantonale pour complément d’instruction, d’autant que les CGA peuvent, selon le Tribunal fédéral et contrairement à l’avis de l’instance cantonale, s’appliquer même si la violation du devoir d’annonce n’est pas causale, c’est-à-dire même si elle n’a eu aucun effet sur le dommage ; l’art. 45 aLCA, applicable en l’espèce, ne change rien à cela, car il ne prévoyait pas de règle sur la causalité, contrairement au nouvel art. 45 LCA.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et Sion

ATF 148 V 225, TF 8C_514/2021 du 27 avril 2022
Assurance-accidents; expertise, récusation; art. 44 LPGA
Le TF a confirmé la décision de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois. Dans le cas où deux médecins, en l’espèce des chirurgiens orthopédistes, qui oeuvrent parallèlement au sein d’un même centre d’expertise pluridisciplinaire et qui travaillent tous les jours dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe dont ils partagent les frais, il est justifié de retenir une apparence de prévention. En effet, de tels contacts quotidiens doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais constituent des éléments objectifs suffisants – au vu des exigences élevées posées à l’impartialité des experts médicaux – pour faire naître à tout le moins une apparence de prévention lorsque l’un des associés est désigné comme expert par un assureur-accidents alors que son associé a déjà émis un avis médical sur le cas en tant que médecin-conseil dudit assureur.
Auteur : Guy Longchamp



TF 6B_1504/2021 du 25 avril 2022
Responsabilité délictuelle; lésions corporelles par négligence, circulation routière; art. 125 CP; 26 et 31 ss LCR
Dans cet arrêt rendu en matière pénale, le TF se penche sur un accident survenu alors qu’un cycliste qui circulait sur la route entre deux promeneuses de chiens s’est emmêlé dans la laisse extensible de l’un de chiens qui avait traversé la route. La piétonne qui tenait encore la laisse a chuté et a subi plusieurs blessures.
Le TF rappelle tout d’abord que, dans le contexte de la circulation routière, chacun doit pouvoir compter sur le fait que les autres usagers se comporteront de manière à ne pas gêner ou mettre en danger les autres usagers de la route. Ceux-ci doivent notamment avoir constamment la maîtrise de leur véhicule et consacrer leur attention à la circulation, le degré d’attention requis dépendant de la densité du trafic, de l’heure, de la visibilité et des sources de danger prévisibles.
Dans le cas d’espèce, le TF constate qu’il avait entre les deux piétonnes une distance suffisante pour passer sans danger avec un vélo. Le cycliste avait adapté sa vitesse et son placement en fonction de la situation et attiré l’attention des piétonnes en actionnant sa sonnette.
La laisse tendue à travers la route, qui était « pratiquement invisible » compte tenu de l’ensoleillement, ne faisait pas partie des dangers auxquels le cycliste devait raisonnablement s’attendre, de sorte qu’il n’a pas enfreint son devoir de prudence. L’existence d’une obligation de tenir les chiens en laisse dans cette zone est sans pertinence à cet égard.
Auteur : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 4A_431/2021 du 21 avril 2022
Responsabilité aquilienne; dommage, imputation des avantages, immeuble, plus-value en cas de rénovation; art. 41 et 42 CO
B. est propriétaire d’une maison mitoyenne et loue l’appartement situé au premier étage de l’immeuble à A. (la locataire). Le 10 février 2012, l’appartement occupé par la locataire a été entièrement détruit par un incendie qui a également endommagé l’appartement occupé par le propriétaire. La locataire a été condamnée pour incendie volontaire.
Le TF rappelle les deux types de dommages matériels qu’on distingue traditionnellement (c. 6.1.2). Lors du calcul du dommage (total ou partiel), il convient, dans la détermination de son montant, de procéder à l’imputation des avantages (en faveur du lésé) générés par l’événement dommageable, la valeur résiduelle d’un objet totalement détruit représente en principe un avantage financier à imputer (c. 6.1.3).
Le montant de CHF 617'556.20 fixé par les premiers juges se compose de trois postes de dommage : les travaux strictement nécessaires à la remise en état des parties endommagées (CHF 565'000.-) ; les taxes et frais divers (CHF 5'000.-) ; les frais de sécurisation et de couverture provisoire (CHF 47'556.20). S’agissant de la remise en état, la somme de CHF 565'000.- comprend, quant à lui, des postes pour lesquels la question d’une réduction de l’indemnité à la valeur du bien avant l’incendie ne se pose pas, par exemple pour ceux de la direction de la conception et de la construction (CHF 45'000.-) et de l’ingénieur civil (CHF 9'680.-), d’autant plus que le propriétaire ne peut en tirer aucun avantage. Sans ces postes de dommage, les frais d’assainissement s’élèveraient à environ CHF 510'320.-, proche de la valeur du bâtiment avant l’incendie de CHF 525'000 (selon la locataire). Il n’apparaît pas que le propriétaire ait subi une perte totale par rapport à l’immeuble, puisque le coût nécessaire à sa réparation ne dépasse pas la valeur de l’immeuble avant l’incendie et n’apparaît pas disproportionné (c. 6.2.1).
Le TF rejeté le grief de la locataire selon laquelle l’instance précédente n’aurait pas tenu compte de la plus-value que le propriétaire retire de la chose réparée, les explications de la locataire à ce sujet étant insuffisamment motivées (c. 6.2.4).
Auteur : David Ionta, juriste à Lucerne


ATF 148 V 348, TF 9C_400/2021 du 20 avril 2022
Assurance-maladie; médicaments, fixation du prix, comparaison internationale; art. 65b al. 3 OAMal; 34abis OPAS
Le caractère économique d’un médicament est évalué notamment sur la base d’une comparaison avec les prix pratiqués dans les pays de référence que sont l’Allemagne, le Danemark, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la France, l’Autriche, la Belgique, la Finlande et la Suède (art. 34abis al. 1 OPAS). La comparaison porte sur un médicament identique dans les pays de référence, quels qu’en soient la dénomination, le titulaire de l’autorisation ou la prise en charge dans le pays de référence, et indépendamment d’une influence du titulaire suisse sur le prix de fabrique. Par médicament identique, on entend les préparations originales contenant la même substance active et possédant une forme galénique identique (art. 34abis al. 2 OPAS). Les différences d’indication entre la Suisse et les pays de référence ne sont pas prises en compte (art. 34abis al. 3 OPAS).
Le prix de fabrique d’une crème qui est autorisée en Suisse par Swissmedic en tant que médication peut être comparé avec le prix de fabrique d’une crème de même composition (mêmes composants et même dosage), qui est enregistrée en France sous un autre nom et pour des indications quelque peu différentes dans la « Liste des Produits et Prestations », qui correspond plus ou moins à notre Liste des moyens et appareils auxiliaires (LiMA). Le nom différent, de même que les indications non identiques n’empêchent pas la comparaison de ces deux crèmes.
Le fait que la crème ne soit pas inscrite comme médicament en France mais comme dispositif médical n’est pas non plus décisif. En effet, lorsque l’art. 34abis al. 2 OPAS parle de comparaison avec un médicament identique, cette notion doit s’entendre dans un sens matériel. Le fait que l’art. 34abis al. 2, 2e phrase parle de préparation originale ne change rien à cette conclusion. En effet, un produit de référence étranger peut correspondre à la définition qui en est faite à l’art. 64a al. 1 OPAS, même s’il n’est pas enregistré comme médicament en tant que tel. Il convient donc bien plus de se focaliser sur une préparation contenant la même substance active et une forme galénique identique pour déterminer les produits de référence à comparer.
Dans le cas d’espèce, la baisse de prix ordonnée par l’OFSP sur la base de la comparaison avec le prix de fabrique de la crème en France est donc justifiée.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


ATF 148 III 232, TF 5A_907/2021 du 20 avril 2022
Prévoyance professionnelle; avoirs de prévoyance professionnelle, séquestre; art. 16 al. 1 OLP; 92 al. 1 ch. 10 et 93 LP
Le TF a jugé que l’exigibilité, au sens de l’art. 92 al. 1 ch. 10 LP, de la prestation de sortie versée sur un compte ou une police de libre passage à la survenance du cas de prévoyance nécessite une demande de l’ayant droit. Comme c’est le cas pour le paiement en espèces de la prestation de sortie (art. 5 LFLP), cette demande constitue une condition potestative et suspensive, dont dépend l’exigibilité du droit au paiement et qui s’analyse comme l’exercice d’un droit formateur. Par conséquent, la prestation est exigible au sens de l’art. 92 al. 1 ch. 10 LP et, partant, relativement saisissable (art. 93 LP), si le poursuivi en demande le versement et la touche effectivement.Avant qu’il ne dépose sa demande, il n’a qu’une expectative envers son institution de libre passage.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 148 V 234, TF 9C_31/2021 du 14 avril 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance obligatoire, obligation d’assurance, activité accessoire; art. 1j al. 1 let. c OPP2
L’art. 1j al. 1 let. c OPP2 ne trouve pas application en présence d’un travailleur exerçant une activité accessoire auprès de l’employeur pour lequel il est au bénéfice d’un contrat de travail pour une activité principale. En clair, les revenus tirés de ces deux activités pour un même employeur doivent être additionnés et assurés pour la prévoyance professionnelle obligatoire.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 148 V 253, TF 9C_469/2021 du 8 avril 2022
Congé maternité; allocation pour perte de gain, extinction anticipée du droit à l’allocation de maternité; art. 16d al. 3 LAPG; 25 RAPG
Le TF a jugé que le fait, pour une conseillère nationale, de participer aux activités parlementaires entraîne l’extinction anticipée de son droit à l’allocation de maternité (art. 16d al. 3 LAPG, art. 25 RAPG ; c. 5). Il a également nié que le droit à l’allocation de maternité puisse renaître en cas de cessation ultérieure de l’activité lucrative qui avait été reprise avant l’échéance du congé de maternité selon l’art. 16d al. 1 LAPG (c. 6) et confirmé que la reprise anticipée d’une activité lucrative entraîne en principe également l’extinction du droit à l’allocation de maternité accordée en raison de l’exercice d’une autre activité lucrative (c. 7).
Auteure : Stéphanie Perrenoud, chargée d’enseignement



ATF 148 V 217, TF 9C_32/2021 du 5 avril 2022
Assurance-vieillesse et survivants; créance en restitution, péremption, procédure, défense de statuer ultra petita; art. 25 al. 2 1re phr. LPGA; 23 al. 4 let. a LAVS; 107 al. 1 LTF
Le 13 mai 2019, le remariage d’une veuve, qui a eu lieu le 11 juin 2015, est annoncé à une caisse de compensation. Toutefois, le 23 décembre 2016, une agence communale AVS avait déjà eu connaissance du remariage, une annonce de changement ayant été effectuée le 27 décembre 2016. Le 21 mai 2019, une décision de restitution est rendue, étant relevé que le remariage entraîne l’extinction du droit à la rente de veuve conformément à l’art. 23 al. 4 let. a LAVS. La Caisse de compensation prétend que la veuve doit se laisser imputer la violation de son devoir d’information, si bien qu’elle exige la restitution de la rente versée du 1er juillet 2015 au 31 mai 2019.
Selon l’art. 25 al. 1 1re phrase LPGA, dans sa teneur valable jusqu’à la fin décembre 2020, le droit de demander la restitution s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard trois ans après le versement de la prestation.
Selon la jurisprudence, par « moment où la caisse de compensation a eu connaissance » du fait justifiant la restitution d’une prestation versée à tort, il faut entendre le moment où l’administration aurait dû s’apercevoir d’un tel fait en faisant preuve de l’attention que les circonstances permettaient raisonnablement d’exiger d’elle. En outre, pour le cas où le versement d’une prestation indue repose sur une erreur de l’administration, le délai de péremption relatif d’un an n’est pas déclenché par le premier acte incorrect de l’office. Au contraire, selon la jurisprudence constante, il commence à courir le jour à partir duquel l’organe d’exécution aurait dû au plus tard reconnaître son erreur – par exemple à l’occasion d’un contrôle des comptes ou sur la base d’un indice supplémentaire – en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui (jurisprudence de la deuxième occasion – Zweiter Anlass).
En l’espèce, la rente de veuve s’est éteinte ex lege. L’octroi d’une rente après le remariage est objectivement erroné. Il n’y a pas eu de première faute de l’administration qui aurait pu donner le droit à une deuxième occasion à celle-ci de se rattraper et donc de reporter le délai de péremption. Au surplus, la connaissance du remariage par l’agence communale AVS doit être imputée à la caisse de compensation : ce que connaît l’agence AVS, la caisse de compensation le connaît aussi. Le délai de péremption étant manifestement échu lorsque la décision de restitution a été rendue, aucun montant ne doit être rétrocédé.
Il faut noter encore que dans cette affaire, c’est la Caisse de compensation qui recourt, le Tribunal cantonal ayant admis une partie de la créance en restitution. Ce montant reste dû, car l’assurée a omis de recourir, le TF n’étant pas fondé à statuer ultra petita (art. 107 al. 1 LTF).
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 9C_24/2022 du 5 avril 2022
Assurance-vieillesse et survivants; rente complémentaire pour enfant; art. 22ter al. 1 et 25 al. 1 et 3 LAVS; 49 al. 1 RAVS
A., né en 1952 et divorcé à deux reprises, est au bénéfice d’une rente AVS et part vivre en Thaïlande où il épouse B. une ressortissante locale née en 1985 et veuve d’un premier mariage, qui a eu un enfant C. issu de cette première union. Nonobstant le fait que C. perçoive déjà une rente d’orphelin de EUR 213.35 par mois, A. demande une rente d’enfant AVS pour l’enfant de son épouse. La caisse de compensation refuse l’octroi de cette prestation au motif que la rente d’orphelin couvre les frais d’entretien et d’éducation de l’enfant.
L’autorité cantonale a conclu que le montant des dépenses nécessaires à l’entretien de C., qui doit être fixé sur la base des taux non réduits définis par H. Winzeler en collaboration avec l’Office de la jeunesse du canton de Zurich (cf. ATF 122 V 125 c. 3), s’élevait à CHF 202.70 en tenant compte du niveau de vie en Thaïlande, ce qui conduit au refus du droit à une rente pour enfant à cause de la rente d’orphelin de EUR 213.35 qui est supérieure au montant précité (c. 4.2).
Dans le cadre de son recours au TF, A. conteste tout d’abord le fait que le critère de l’exigence de la gratuité de l’entretien et de l’éducation de l’enfant au sens de l’art. 49 RAVS repose sur une base légale suffisante (c. 5.1). Cet argument est rejeté (c. 5.2). Dans un second moyen, A. estime que l’exigence précitée constitue une notion juridique mal déterminée et peu claire, ce que rejette également la Haute cour en rappelant sa jurisprudence à ce titre (c. 5.3).
De plus, A. considère aussi qu’il conviendrait de ne pas se baser sur des montants forfaitaires pour déterminer si les conditions d’octroi d’une rente pour enfant seraient réalisées, mais qu’une détermination au cas par cas devrait pouvoir s’effectuer (c. 6.1). A ce titre également, le TF estime qu’il n’y a pas suffisamment de motifs pour s’écarter de sa jurisprudence en la matière (c. 6.2 et c. 6.3).
Finalement, le recourant est aussi d’avis que l’adaptation du forfait déterminé en Suisse au niveau de vie en Thaïlande n’est pas admissible et que l’index du coût de la vie d’UBS SA ne prend notamment pas en compte les frais de formation locaux (c. 7.1), ce que rejette également la Haute cour (c. 7.2 à 7.4), qui estime par ailleurs que les données provenant de cette banque constituent une base de calcul suffisamment fiable pour être prise en compte.
Auteur: Walter Huber, juriste à Puplinge

ATF 148 V 242, TF 9C_460/2021 du 1 avril 2022
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, EMS, séjour extracantonal; art. 25a LAMal
Le canton de domicile est tenu de prendre en charge les coûts des soins lorsqu’une personne choisit de séjourner dans un EMS situé hors de ce canton, même si des places sont disponibles dans ce dernier. Par ailleurs, dans les rapports intercantonaux, la règle continue à se fonder sur le domicile, mais le principe du domicile cède le pas au principe du lieu de provenance (« Herkunftsprinzip ») lorsque la personne concernée entre dans un EMS extra-cantonal et transfère son domicile au lieu de situation de l’EMS. Le changement de domicile au moment de l’admission dans un EMS ne joue ainsi pas de rôle s'agissant du financement résiduel, selon l’art. 25a LAMal.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_8/2022 du 1 avril 2022
Assurances privées; assurance indemnité journalière en cas de maladie, cessation de l’exploitation de l’entreprise; CGA
Un contrat d’assurance a été conclu par l’employeur pour prémunir les employés des conséquences d’une incapacité de travail en raison de la maladie. Lié par l’état de fait, le TF retient que le propriétaire de l’entreprise vendant ses actions au porteur met fin à son exploitation, ce qui équivaut à une cessation de l’activité au sens des CGA.
Il n’y a aucune violation du droit fédéral à retenir concernant la fin du droit aux prestations dans ce contexte, malgré la fonction du propriétaire, également directeur et salarié assuré et ayant perçu des indemnités journalières jusqu’à la vente de sa société, laquelle est tombée en faillite peu après.
Le TF rappelle et confirme la jurisprudence de son arrêt 4A_472/2018 du 5 avril 2019 concernant la cessation de l’exploitation (une agence d’assurances) ayant emporté la fin du droit aux prestations conformément aux conditions du contrat d’assurance. La cessation de l’activité, volontaire ou non, n’étant pas un événement assuré selon les CGA du contrat d’assurance, la perte de gain en résultant pour l’assuré, détenteur de l’entreprise, ne résulte pas de la maladie et n’est donc pas couverte.
La situation du cas d’espèce diffère de celle visée par son autre arrêt, 4A_238/2019 du 2 décembre 2019, concernant la cessation d'une entreprise individuelle dont le travail est fourni par son seul détenteur (une entreprise de taxis). Si l’abandon de l’activité résulte de l’incapacité de travail consécutive à la maladie de l’assuré, les prestations sont dues jusqu’à l’épuisement du droit aux indemnités journalières pour autant que l’assuré n’ait pas recouvré sa capacité de travail.
Auteur : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 8C_787/2021 du 23 mars 2022
Assurance-invalidité; expertise, interprète, notes internes, suspicion de diagnostic; art. 44 LPGA
Dans le cadre d’un recours contre une décision lui refusant une rente de l’assurance-invalidité, se fondant sur une expertise psychiatrique, le TF rappelle, respectivement précise, certains points en lien avec la mise en œuvre d’expertises au sens de l’art. 44 LPGA :
- si la personne expertisée parle une langue étrangère que l’experte ou l’expert ne parle pas, il y a lieu de recourir aux services d’un interprète (ATF 140 V 260). La décision revient à l’expert. La valeur probante d’une expertise n’est pas diminuée lorsqu’il n’y a pas lieu de penser que les problèmes de compréhension ont influencé le résultat de l’expertise. En l’espèce, la personne assurée se limite à critiquer l’absence d’interprète, sans indiquer concrètement quelles questions ou quelles réponses auraient été mal comprises. Le grief est écarté (c. 8.2) ;
- dans le cadre d’une expertise, il n’existe pas de droit à pouvoir consulter les notes internes de l’experte ou de l’expert, ni les démarches préparatoires auxquelles il ou elle a procédé pour établir l’expertise. Dans ce sens, la personne assurée n’a pas à se voir garantir l’accès aux résultats des tests psychométriques (GAF et HAMD) (c. 9) ;
- une suspicion de diagnostic conçue par le médecin traitant n’atteint pas le degré de la vraisemblance prépondérante, de sorte que la personne assurée ne peut en tirer argument pour contester l’appréciation de l’experte ou de l’expert (c. 11.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_450/2021 du 21 mars 2022
Responsabilité du propriétaire d’ouvrage; défaut de l’ouvrage, faute concomitante; art. 58 et 44 al. 1 CO
Un jeune homme de 22 ans plonge la tête la première dans un lac depuis un ponton de baignade situé sur une plage communale dont l’accès est payant. Sa tête heurte le fond du lac, situé à une profondeur de 1,10 mètres. Blessé grièvement aux vertèbres cervicales, il est depuis paralysé. Le règlement communal n’interdisait pas de sauter du ponton ; la commune n’avait fait poser aucun panneau ni aucun dispositif pour interdire cette pratique, pourtant courante et connue du maître-nageur, qui n’intervenait pas pour la proscrire. La victime ouvre une action partielle contre la commune en chiffrant sa prétention à CHF 30’000.- au à titre de participation au dommage ménager. Le Tribunal de district de Horgen admet l’action, chiffre le dommage ménager à CHF 57'568,50 mais opère une réduction de 40 % en raison de la faute concomitante de la victime. La Cour suprême du canton de Zurich confirme ce jugement. La commune recourt au TF.
Le TF commence par rappeler les principes qui régissent la responsabilité du propriétaire d’ouvrage au sens de l’art. 58 CO. Il y a notamment défaut lorsque l’ouvrage n’offre pas une sécurité suffisante lorsqu’il est utilisé conformément à sa destination (c. 4.1.2). Il s’agit donc en premier lieu de déterminer le but ou la destination de l’ouvrage ; le propriétaire ne doit pas s’attendre à ce que quelqu’un utilise l’ouvrage de manière contraire à sa destination, une distinction devant toutefois être faite, en fonction du cercle des utilisateurs, entre les ouvrages destinés à être utilisés par le public et ceux qui servent à l’usage privé. La sécurité des premiers répond à des exigences accrues. On ne saurait non plus attendre du propriétaire de l’ouvrage des dépenses de sécurité disproportionnées par rapport à la destination de celui-ci (c. 4.1.3). Le TF relève que le principe selon lequel le propriétaire de l’ouvrage n’est responsable que de l’utilisation conforme à sa destination ne s’applique pas de manière illimitée. Doctrine et jurisprudence admettent exceptionnellement que la responsabilité du propriétaire est engagée en cas de comportement contraire à la destination provenant de certains groupes, notamment des enfants ; on pense notamment aux ouvrages pour lesquels il est évident, en raison de leur nature, qu’une imprévoyance peut entraîner des dommages graves (c. 4.1.4).
Procédant à l’examen du cas d’espèce, le TF considère que l’instance précédente n’a pas violé le droit dès lors qu’elle a correctement distingué l’éventuel comportement déraisonnable, respectivement la faute de la victime, de la question de savoir si l’ouvrage présentait un défaut. En considérant que, jusqu’au moment de l’accident, il était courant que des personnes sautent dans le lac depuis le ponton, également la tête la première, elle n’a pas fondé sa décision sur une définition abstraite du but d’un ponton, mais a logiquement évalué la finalité de l’ouvrage au moment de son utilisation effective lors de l’accident. Ce ponton se trouvant dans un établissement de baignade mis à la disposition du public contre paiement, le cercle des utilisateurs comprend sans aucun doute des enfants ; compte tenu du danger considérable que représente un plongeon dans une eau peu profonde, il tombe sous le sens qu’en raison de la nature du ponton, une imprudence peut entraîner des dommages graves. Dès lors, la commune ne peut invoquer sans autre l’absence de défaut de l’installation, en se prévalant du fait que le ponton constitue un simple passage vers un escalier permettant de descendre dans le lac si les utilisateurs se comportent avec prudence. Dès lors que les baigneurs avaient l’habitude de sauter dans le lac depuis le ponton, sans que le maître-nageur intervienne, l’instance précédente a considéré à juste titre que l’argument selon lequel le ponton n’était pas destiné à des sauts dans l’eau n’était pas pertinent. Dès lors qu’elle n’a pris aucune mesure pour empêcher les utilisateurs d’adopter un comportement dangereux malgré le risque connu, la commune doit se laisser opposer l’utilisation effective de l’installation, reconnue comme dangereuse. L’instance précédente a ainsi considéré à juste titre que l’ouvrage était défectueux ; il en irait différemment pour un ponton ne se trouvant pas dans un établissement de bains et n’étant pas utilisé pour des sauts. Ainsi, il n’est pas possible de rendre une commune lacustre responsable chaque fois qu’un nageur imprudent utilise un débarcadère, un ponton, une digue ou une installation similaire pour se jeter à l’eau (c 4).
Le TF examine ensuite si la victime a commis une faute concomitante de nature à interrompre le lien de causalité. Il retient, avec l’instance précédente, que la victime a commis une faute grave en plongeant la tête la première dans le lac sans avoir évalué la profondeur de l’eau. Les premiers juges ont cependant eu tort de se contenter d’indiquer de manière générale qu’il était courant, au moment de l’accident, de sauter dans le lac de différentes manières à partir du ponton. En effet, lors de l’examen de la causalité, la responsabilité personnelle des usagers (autrement dit le comportement attendu de l’ensemble des usagers visés) qui doit être prise en compte lors de l’évaluation du défaut de l’ouvrage, doit être distinguée de la faute qui peut être reprochée individuellement à la victime. Ainsi, pour déterminer si son comportement personnel a interrompu la causalité adéquate, la victime ne peut se contenter de soutenir qu’un certain comportement a déjà a été adopté par d’autres personnes à l’endroit en question. Dans le cas présent, plonger tête la première dans une surface d’eau naturelle dont la profondeur n’est pas indiquée et peut varier, dont le fond peut receler des rochers, constitue une faute personnelle grave. Il aurait été aisé à la victime de vérifier le niveau de l’eau à cet endroit. Cette faute grave ne relègue cependant pas l’omission des mesures de sécurité de la commune à l’arrière-plan : le défaut de l’ouvrage apparaît comme une cause juridiquement notable du dommage (c. 5.2).
Enfin, faute pour la commune d’avoir démontré dans quelle mesure l’instance précédente aurait violé l’art. 311 al. 1 CPC, le TF refuse de se pencher sur la réduction de 40 % opérée par l’instance précédente en application de l’art. 44 al. 1 CO pour tenir compte de la faute concomitante (c. 6).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 8C_595/2021 du 17 mars 2022
Assurance-chômage; violation de l’obligation d’instruction, aptitude au placement, capacité de travail partielle, coordination avec l’assurance-invalidité; art. 43 al. 1 LPGA ; 15 al. 2 LACI ; 15 al. 3 OACI ; 70 LPGA
Dans cet arrêt, le TF a précisé la portée de l’obligation d’instruction fondée sur l’art. 43 al. 1 LPGA. Il a considéré que l’autorité inférieure avait violé ce devoir, en omettant de compléter son dossier pour tenir compte de l’état de fait tel qu’il s’était développé jusqu’à la décision sur opposition (c. 5.3.2 et réf.). Il a affirmé qu’il n’était pas correct de statuer en l’état du dossier pour trancher la question de l’aptitude au chômage du recourant et l’obligation de prise en charge provisoire de l’assurance-chômage fondée sur l’art. 70 LPGA, alors même que le recourant avait pu prendre connaissance de la liste des pièces versées à la cause et constater ainsi que les documents permettant de motiver et d’étayer ses objections, en l’occurrence son inscription à l’assurance-invalidité et le préavis de cette autorité lui reconnaissant une capacité de travail de 80 % dans une activité adaptée, ne s’y trouvaient pas (c. 4.2, 5.2 et 5.3.2). La cause est ainsi renvoyée à l’autorité intimée pour qu’elle prenne en considération les documents mentionnés et rende, après d’éventuels éclaircissements supplémentaires, une nouvelle décision (c. 5.3.2).
Auteur : Rébecca Grand, avocate à Winterthur

ATF 148 V 162, TF 9C_390/2021 du 17 mars 2022
APG-COVID; revenu déterminant soumis à cotisation, adaptation dans le temps; art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19; 11 al. 1 LAPG; 7 al. 1 RAPG
Le litige oppose une productrice de films indépendante à la Caisse de compensation du canton de Zurich concernant le revenu cotisant déterminant pour le calcul de l’indemnité perte de gain COVID-19. Le TF commence par rappeler sa jurisprudence tirée de l’arrêt 9C_390/2021 du 8 février 2022 concernant les principes généraux intertemporels relatifs aux modifications successives, en 2020, de l’O APG COVID-19. En principe, le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition (c. 3.2.1) (cf. résumé de Me David Métille in NLRCAS Avril 2022).
En l’espèce, la perte de gain a été subie entre le 17 mars et le 16 mai 2020 et la décision sur opposition a été rendue le 16 septembre 2020. Les art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19 sont donc applicables à la présente constellation dans la version de l’ordonnance en vigueur le 16 septembre 2020, étant précisé qu’ils ont un effet rétroactif au 17 mars 2020 (c. 3.2.2).
Le TF retient ensuite que, dans le cadre d’un premier examen du droit à l’indemnité perte de gain COVID-19, non seulement les décisions définitives de cotisations, mais aussi les décisions d’acomptes (provisoires) et les communications de la Caisse de compensation concernant le revenu soumis à cotisations AVS ainsi que les calculs d’acomptes qui en découlent, peuvent servir de base à la fixation du revenu déterminant en relation avec les conditions d’octroi de l’art. 2 al. 3bis de même qu’avec le calcul de l’indemnité selon l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19. En outre, il n’existe pas de limite temporelle au 17 mars 2020 pour la prise en compte des adaptations du revenu déterminant. Si la Circulaire Corona-perte de gain (CCPG) de l’OFAS devait contenir des dispositions contraires, elles ne seraient pas contraignantes pour le tribunal (c. 6.2.1 à 6.2.3).
En l’espèce, l’instance précédente a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’administration qui s’est fondée sur un revenu déterminant soumis à cotisation de CHF 27’900.- pour l’année 2019, conformément à une communication du 29 janvier 2019. La Caisse de compensation aurait dû calculer l’indemnité perte de gain COVID-19 sur la base d’un revenu soumis à cotisation de CHF 69’200.-, adapté selon le calcul de la différence du 9 avril 2020 (c. 6.3).
Le TF a ainsi partiellement admis le recours et renvoyé l’affaire à la Caisse de compensation pour procéder au nouveau calcul (c. 6.4).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 9C_442/2021 du 17 mars 2022
APG-COVID; revenu déterminant soumis à cotisation, adaptation dans le temps; art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19; 11 al. 1 LAPG; 7 al. 1 RAPG
Le litige oppose une productrice de films indépendante à la Caisse de compensation du canton de Zurich concernant le revenu cotisant déterminant pour le calcul de l’indemnité perte de gain COVID-19. Le TF commence par rappeler sa jurisprudence tirée de l’arrêt 9C_390/2021 du 8 février 2022 concernant les principes généraux intertemporels relatifs aux modifications successives, en 2020, de l’O APG COVID-19. En principe, le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition (c. 3.2.1) (cf. résumé de Me David Métille in NLRCAS Avril 2022).
En l’espèce, la perte de gain a été subie entre le 17 mars et le 16 mai 2020 et la décision sur opposition a été rendue le 16 septembre 2020. Les art. 2 al. 3bis et 5 al. 2 O APG COVID-19 sont donc applicables à la présente constellation dans la version de l’ordonnance en vigueur le 16 septembre 2020, étant précisé qu’ils ont un effet rétroactif au 17 mars 2020 (c. 3.2.2).
Le TF retient ensuite que, dans le cadre d’un premier examen du droit à l’indemnité perte de gain COVID-19, non seulement les décisions définitives de cotisations, mais aussi les décisions d’acomptes (provisoires) et les communications de la Caisse de compensation concernant le revenu soumis à cotisations AVS ainsi que les calculs d’acomptes qui en découlent, peuvent servir de base à la fixation du revenu déterminant en relation avec les conditions d’octroi de l’art. 2 al. 3bis de même qu’avec le calcul de l’indemnité selon l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19. En outre, il n’existe pas de limite temporelle au 17 mars 2020 pour la prise en compte des adaptations du revenu déterminant. Si la Circulaire Corona-perte de gain (CCPG) de l’OFAS devait contenir des dispositions contraires, elles ne seraient pas contraignantes pour le tribunal (c. 6.2.1 à 6.2.3).
En l’espèce, l’instance précédente a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l’administration qui s’est fondée sur un revenu déterminant soumis à cotisation de CHF 27’900.- pour l’année 2019, conformément à une communication du 29 janvier 2019. La Caisse de compensation aurait dû calculer l’indemnité perte de gain COVID-19 sur la base d’un revenu soumis à cotisation de CHF 69’200.-, adapté selon le calcul de la différence du 9 avril 2020 (c. 6.3).
Le TF a ainsi partiellement admis le recours et renvoyé l’affaire à la Caisse de compensation pour procéder au nouveau calcul (c. 6.4).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 9C_607/2021 du 11 mars 2022
Prestations complémentaires; frais de maladie et d’invalidité, établissement du besoin d’aide, instrument FAKT 2; art. 14 LPC
Le recourant A., diagnostiqué avec un trouble du spectre autistique, est titulaire d’une rente AI et d’une allocation pour impotence grave. Il touche également des prestations complémentaires de la caisse de compensation du canton de Glaris. En l’espèce, il a fait valoir auprès de la caisse de compensation des prétentions à hauteur de CHF 31'389.95 pour les salaires de l’assistant et de CHF 21'000.- pour des soins psychiatriques de base fournis par sa mère. La caisse de compensation a refusé la prise en charge. Le TC GL a rejeté le recours formé contre la décision de la caisse de compensation. Le recourant forme alors recours au Tribunal fédéral. Le recours est rejeté.
Le TF constate que, selon l’art. 14 al. 1 let. b LPC, les cantons remboursent les frais d’aide, de soins et de tâches d’assistance, étant précisé, qu’en l’espèce, la version de la LPC en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 fait foi. Les cantons restent compétents pour désigner quels frais sont effectivement remboursés. Les cantons ont notamment la possibilité de limiter le remboursement aux frais qui découlent d’une fourniture économique et appropriée de prestations sous réserve du montant minimum prévu par l’art. 14 al. 2 et 4 LPC (c. 2.1).
L’art. 14 de l’ordonnance cantonale du canton de Glaris (Ergänzungsleistungsverordnung, ELV ; GS VIII D/13/2) reprend ces montants minimaux et ajoute les conditions suivantes : pour les bénéficiaires d’une allocation pour impotence grave ou moyenne vivant à domicile, les frais ne sont remboursés que pour la partie des soins et de l’assistance qui ne peut être fournie par une organisation d’aide et de soins à domicile reconnue au sens de l’art. 51 al. 1 OAMal. Si des membres de la famille fournissent de telles prestations, celles-ci ne sont remboursées que si les membres de la famille concernés ne sont pas inclus dans le calcul des prestations complémentaires et subissent une perte de gain importante et de longue durée en raison des soins et de l’assistance (al. 1a) (c. 2.2).
Le recourant met en cause la conformité du système prévu par le canton de Glaris avec la Constitution et le droit supérieur en soutenant que le remboursement des frais d’aide, de soins et d’assistance à domicile serait systématiquement refusé lorsque la personne assurée perçoit une contribution d’assistance. Le TF rejette cet argument en relevant que, contrairement à ce que soutient le recourant, le refus des prestations est fondé sur un examen au cas par cas (c. 4.1).
Le recourant met aussi en cause la capacité du système FAKT 2 à établir le besoin d’aide d’un assuré. Dans le FAKT 2, seules les prestations de soins de base remboursées par l’assurance obligatoire des soins seraient déduites, mais ni l’ensemble des besoins en soins de base, ni les autres besoins en soins assurés selon l’art. 7 al. 2 OPAS ne seraient établis (c. 4.2). Après avoir relevé que le système FAKT 2 est un outil apte à déterminer le besoin d’aide d’un assuré, le TF rejette l’argumentation du recourant dès lors que ce dernier n’a nulle part indiqué quels sont les besoins d’assistance qu’il pourrait avoir qui ne seraient pas prévus par le FAKT 2. En outre, contrairement à ce qu’affirme le recourant, l’art. 14 al. 1 let. b LPC n’accorde pas des prestations de soins assurées plus étendus que la loi sur l’assurance invalidité (c. 4.2). Le TF relève en effet que l’art. 42sexies al. 1 let. c LAI parle clairement en faveur du fait que le besoin en soins de base au sens de l’art. 7 al. 2 let. c OPAS est couvert par l’art. 39c RAI et est donc (en principe) inclus dans le besoin d’aide global. Il convient de distinguer le besoin d’aide total déterminé au moyen du système FAKT 2 du besoin d’aide reconnu pour le droit à la contribution d’assistance ; à cet égard, l’art. 39e al. 2 RAI prévoit des montants maximaux (c. 4.3).
Le TF rappelle que le remboursement des frais qui ont été demandés se basent également sur les aides régulières, similaires à la contribution d’assistance. L’autorité n’a ainsi pas violé le droit en renonçant à administrer d’autres moyens de preuves (c. 4.4).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

ATF 148 V 174, TF 8C_256/2021 du 9 mars 2022
Assurance- invalidité; comparaison des revenus, revenu d’invalide, salaire statistique, ESS, confirmation de jurisprudence; art. 7, 8 et 16 LPGA; 4 LAI
A l’occasion d’un recours introduit par une personne assurée contre une décision de rente AI moins généreuse qu’elle ne l’espérait, la première Cour de droit social se livre à l’examen de la méthode de comparaison des revenus découlant de l’art. 16 LPGA, à l’aune des nombreuses critiques publiées récemment par différents experts.
Après avoir rappelé la comparaison des revenus imposée par l’art. 16 LPGA, la Cour expose, s’agissant du revenu d’invalide, soit du revenu encore réalisable dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, qu’il convient si possible de le déterminer concrètement, si la personne assurée a repris un emploi, qu’elle exploite effectivement sa capacité de travail et que le salaire qu’elle perçoit n’est pas un salaire social. Si ces conditions ne sont pas réunies, il faut se fonder sur des statistiques, les données utilisées étant celles de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) établie tous les deux ans par l’OFS. Cette enquête répertoriant les salaires bruts standardisés, la valeur centrale (médiane) représente la base de départ de la réflexion. Le salaire ainsi identifié peut – ou en tout cas pouvait, jusqu’à l’entrée en vigueur du nouvel art. 26bis RAI au 1er janvier 2022, qui limite fortement les possibilités dans ce contexte – être adapté à la situation concrète par le biais d’un abattement (de 5 à 25 %), ou encore par la parallélisation des revenus s’il s’avère que la personne assurée percevait, avant l’atteinte à la santé, un revenu nettement inférieur à la moyenne dans son activité, en raison de facteurs étrangers à l’invalidité et sans qu’elle ne s’en contente délibérément.
La Cour relaie ensuite les trois avis récents critiquant la méthode décrite au paragraphe précédent :
1. L’expertise du bureau BASS du 8 janvier 2021 (« Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung ») ;
2. L’avis de droit du Prof. Gächter et des Drs Meier et Filippo du 22 janvier 2021 (« Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung ») et ses conclusions du 27 janvier 2021 (« Fakten oder Fiktion ? ») ;
3. L’article de la Prof. em. Gabriela Riemer-Kafka dans la Jusletter du 22 mars 2021 (« Invalideneinkommen Tabellenlöhne ») et l’article co-publié par cette dernière et Urban Schwegler dans la RSAS 6/2021, « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn ».
La Cour prend position sur les critiques émises en retenant, en substance que :
1. La référence au marché du travail équilibré est imposée par la loi et la jurisprudence ne porte aucune responsabilité dans son interprétation (c. 9.1) ;
2. L’utilisation des statistiques ESS est l’ultima ratio (c. 9.2.1) ;
3. La référence à la valeur médiane ne pose pas de problème dès lors que l’abattement permet de l’adapter aux situations individuelles. L’application de l’abattement relevant du pouvoir d’appréciation de l’office AI et la cognition du TF étant limitée, ce n’est pas de sa responsabilité s’il est appliqué de manière incohérente (c. 9.2.1 et 9.2.2) ;
4. Ce n’est pas le bon moment pour modifier la jurisprudence, étant donné la révision de la loi et du règlement entrée en vigueur au 1er janvier 2022.
La Cour refuse donc d’opérer un revirement de jurisprudence, ce qui dans le cas d’espèce, conduit à un rejet du recours.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : Près de 2000 ans après Ponce Pilate, la deuxième Cour de droit social marche dans ses pas, et se lave les mains de l’indignation que suscite, de toutes parts, la fiction « à la Disney » dans laquelle évolue l’assurance-invalidité depuis plusieurs décennies. On apprécie tout particulièrement, dans cette affaire, que la Cour rejette la responsabilité de la situation actuelle sur le législateur et la pratique administrative, comme si le Tribunal fédéral n’avait pas, depuis plus de 30 ans, la main sur la politique sociale dans cette branche de l’assurance sociale.
On s’étonne par ailleurs grandement de ce que la première Cour de droit social n’ait pas jugé bon, dans cette affaire, de procéder à une procédure commune conformément à l’art. 23 al. 2 LTF, dès lors que la question débattue en l’espèce est d’une importance primordiale pour la mise en œuvre du droit de l’assurance-invalidité, tâche assumée tout autant par la deuxième Cour de droit social que par la première. Cela laisse deviner des rapports de force entre les deux cours qui ne sont pas de bon augure.
Le seul point positif de cet arrêt est de laisser maintenant (enfin) la main au législateur et au débat démocratique. Le 6 avril 2022, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a, à l’unanimité, cela mérite d’être souligné, déposé une motion demandant au Conseil fédéral d'instaurer une nouvelle base de calcul du revenu avec invalidité d'ici fin juin 2023 (Mo 22.3377 CSSS-N). Affaire à suivre.



ATF 148 III 201, TF 9C_362/2021 du 9 mars 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance individuelle liée (pilier 3a), droit d’accès à la comptabilité d’une compagnie d’assurance; art. 36 LSA; 92 et 94 LCA
Le TF a jugé qu’une compagnie d’assurance n’a pas à produire à l’assurée des pièces détaillées, même lorsqu’il s’agit de vérifier les calculs permettant d’établir les « participations aux excédents ou aux bénéfices » d’un produit d’assurance du troisième pilier (lié). L’assureur peut notamment invoquer le droit au secret des affaires. Le contrôle se fait selon les règles générales prévues à l’art. 36 al. 2 LSA, notamment les contrôles effectués par la FINMA (art. 92 al. 2 et 94 LCA).
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_230/2021 du 7 mars 2022
Responsabilité de l’employeur; relation entre droit civil et droit pénal, auxiliaire, diligence; art. 53 et 58 CO
Selon l’art. 53 CO, le juge civil n’est point lié par l’acquittement prononcé au pénal. Pour le TF, cette disposition ne concerne pas l’établissement des faits ni l’illicéité qui en résulte, de sorte qu’il échoit à la procédure civile de décider si le juge civil est lié ou non par les faits constatés au pénal. Le CPC ne contenant aucune règle à ce sujet, le TF en déduit que le juge civil n’est pas lié par l’état de fait arrêté par le juge pénal ; il décide selon sa propre appréciation de reprendre ou non les faits constatés au pénal et se prononce librement sur l’illicéité. Le TF mentionne bien qu’il a par le passé reconnu une certaine autorité au jugement pénal en s’inspirant de la jurisprudence relative au retrait administratif du permis de conduire, afin d’éviter des décisions contradictoires. Il s’agissait toutefois d’un cas isolé. Ainsi, le juge civil, même lorsqu’un procès pénal a déjà été mené, lorsqu’il examine la responsabilité de l’employeur, peut établir librement les faits et statuer librement sur la licéité ou non du comportement adopté par l’auxiliaire.
L’art. 55 CO, qui traite de de la responsabilité de l’employeur institue une responsabilité spécifique pour le fait d’autrui, fondée sur un manque de diligence de l’employeur qui est présumé. L’employeur doit ainsi supporter les conséquences des manquements de son auxiliaire. Les exigences, qui permettent à l’employeur de s’exculper, sont élevées. La diligence requise est par ailleurs proportionnelle à la dangerosité du travail de l’auxiliaire. Il faut néanmoins s’en tenir à ce qui est raisonnablement exigible dans la marche quotidienne d’une entreprise.
Il est encore souligné que la jurisprudence requiert des circonstances très strictes pour retenir une rupture de la causalité en raison du fait d’un tiers ou de la victime. Ainsi, il ne suffit pas que la faute (ou le manquement) du tiers ou de la victime puisse apparaître plus grave que celle de l’auteur du dommage.
Si un chantier présente une configuration spécialement dangereuse, par exemple de par la présence d’un trou destiné à l’aménagement d’escaliers, on peut raisonnablement attendre d’un employeur qu’il se rende sur le chantier pour apprécier l’état des lieux, détermine dans quelles conditions précises les travaux d’isolation doivent se dérouler, se préoccupe de la coordination avec les autres entreprises et, surtout, dicte les mesures de précaution à prendre.
Auteur : Me Charles Poupon, avocat à Delémont

ATF 148 V 327, TF 8C_742/2021 du 4 mars 2022
Assurance accidents; restitution d’indemnités journalières par l’employeur; art. 49 et 50 LAA; 19 al. 2 LPGA; 2 al. 1 let. c OPGA
Les indemnités journalières en cas d’accident servent à compenser une perte de gain subie en raison d’un accident et à garantir ainsi la subsistance d’une personne assurée en incapacité de travail. Dans cette perspective, elles sont insaisissables et incessibles en vertu de l’art. 22 al. 1 LPGA (c. 5.3.1).
En vertu de l’art. 49 LAA, les assureurs peuvent déléguer le paiement des indemnités journalières à l’employeur. Selon l’art. 19 al. 2 LPGA, les indemnités journalières et autres indemnités similaires reviennent à l’employeur dans la mesure où celui-ci verse un salaire à la personne assurée malgré le droit aux indemnités journalières. Le législateur a ainsi admis un versement d’indemnités journalières à l’employeur plutôt qu’à la personne assurée, mais il en a limité le montant au salaire effectivement versé par l’employeur (c. 5.3.3). S’il a reçu de l’assureur des indemnités journalières en cas d’accident sans avoir rempli son obligation de verser le salaire (cf. art. 324a al. 1 CO) par un versement effectif, l’employeur n’est titulaire d’aucune prétention sur les prétentions de la personne assurée en matière d’indemnités journalières, sachant que celle-ci dispose d’un droit de paiement direct à l’encontre de l’assureur-accidents. Tant qu’il détient ainsi sans droit le montant correspondant aux indemnités journalières, l’obligation de verser celles-ci à l’assuré ne lui incombe pas. Une compensation d’une telle obligation avec une créance de l’employeur contre son salarié assuré n’entre donc pas en considération (c. 5.3.5).
On peut dès lors laisser ouverte la question de savoir si l’art. 50 LAA, prévoyant la compensation avec des prestations échues de l’assurance-accidents par l’assureur seulement (c. 5.3.2), doit ou non être interprété comme une disposition exhaustive excluant d’autres compensations à l’égard de ces prestations (c. 5.3.5). Cela dit, dans le cas particulier de l’employeur, la possibilité de paiement par un tiers prévue à l’art. 49 LAA et à l’art. 19 al. 2 LPGA n’a pas pour but de le protéger, à la charge de l’assurance-accidents, contre le risque d’une éventuelle insolvabilité de l’employé en rapport avec des créances résultant des rapports de travail ou d’actes illicites. Une compensation par l’employeur équivaudrait à un détournement des indemnités journalières d’accident, ce qui est inadmissible compte tenu du but d’entretien qu’elles poursuivent (c. 5.3.6).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


ATF 148 II 16, TF 1C_336/2021 du 3 mars 2022
Prévoyance professionnelle; institution de prévoyance de droit public, accès à des documents; art. 86 LPP; 26 al. 4 LIPAD
Le TF a jugé qu’une institution de prévoyance professionnelle de droit public ne pouvait opposer à des tiers les art. 86 et 86a LPP pour refuser, sur le principe, l’accès à des documents. L’affaire a été renvoyée à l’autorité inférieure pour qu’elle examine si la séance dont le procès-verbal est demandé était publique, non publique ou à huis clos, au sens des dispositions cantonales (art. 5 à 7 LIPAD).
Auteur : Guy Longchamp
Note : Cette décision, sous l’angle restreint du principe de la transparence de l’administration, peut être suivie. Elle ne manquera toutefois pas de soulever un grand nombre de questions, notamment quant à la question de la responsabilité des personnes qui veulent avoir accès à des données stratégiques – aux fins de les commenter politiquement par exemple – sans vouloir assumer une quelconque responsabilité sur la base des art. 51, 51a et 52 LPP, contrairement aux membres du Conseil de fondation.


ATF 148 V 195, TF 8C_466/2021 du 1 mars 2022
Assurance-accidents; réduction a posteriori des prestations pour faute, lien avec la procédure pénale; art. 53 al. 2 et 17 al. 1 LPGA; 320 al. 3 et 310 al. 2 CPP
L’assuré A., né en 1956, a été victime d’un polytraumatisme du fait d’un accident de moto. Son assureur LAA, Allianz Suisse Société d’Assurances SA, lui a octroyé, par décision du 7 novembre 2013, une rente invalidité de 41 %, non réduite, ainsi que, par décision du 19 décembre 2013, une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 67,5 %. Après que l’Office AI du canton de Berne a, selon préavis du 27 octobre 2016, prévu de porter à une rente entière dès le 1er juin 2016 le quart de rente d’invalidité accordé par décision du 30 avril 2014, Allianz a, de son côté, par décision du 7 février 2018, augmenté, dès le 1er juin 2016, la rente servie à A., de 41 à 55 %, tout en réduisant cependant celle-ci de 20 %, et refusé en outre une allocation pour impotent. L’assuré A. recourt contre cette décision par-devant le Tribunal administratif du canton de Berne, aux fins d’obtenir une rente de 64 % qui ne soit pas réduite selon l’art. 37 al. 3 LAA, ainsi que de bénéficier d’une allocation pour une impotence de degré léger. Par jugement du 25 mai 2021, le Tribunal administratif du canton de Berne rejette le recours de A., dans son ensemble.
Saisi d’un recours en matière de droit public de A., le TF commence par rappeler que, s’agissant de l’octroi ou du refus de prestations de l’assurance-accidents, il examine la cause librement en fait et en droit, en vertu de l’art. 97 al. 2 LTF. Cela étant, le TF considère que le degré d’invalidité tel que retenu par Allianz et les premiers juges n’est pas critiquable, les circonstances du cas n’étant pas de celles qui permettent de justifier, selon la jurisprudence, une déduction sur le salaire statistique (c. 3.1 à 3.7). Le TF estime par ailleurs que, A. n’ayant pas, selon les constatations de l’expert, besoin de façon régulière et importante de l’aide d’autrui pour se lever/s’asseoir/se coucher, il n’a pas droit à une allocation pour impotent (c. 8.1 à 8.4).
Quant à la question de savoir si Allianz pouvait, par sa décision du 7 février 2018, réduire la rente servie à A., au titre de l’art. 37 al. 3 LAA, le TF l’examine sous deux angles : d’abord sous l’angle de la reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), puis sous l’angle de la révision selon l’art. 17 al. 1 LPGA. Le TF commence par dire qu’en tant qu’il y était prononcé de ne pas réduire la rente de A. selon l’art. 37 al. 3 LAA, la décision d’Allianz du 7 novembre 2013 n’apparaît comme manifestement erronée au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. Au moment où Allianz a pris sa décision de rente non réduite, elle avait en effet connaissance de l’ordonnance de non entrée en matière à l’encontre de A., rendue le 16 mars 2010 par le Ministère public IV de l’Oberland bernois, ce malgré les violations graves des règles de la circulation routière commises par A. lors du dépassement ayant causé son accident. Une ordonnance que le ministère public dit avoir rendue en se fondant sur l’art. 54 CP, pour tenir compte des graves blessures subies par A. lors de son accident. La règle de principe posée par l’ATF 138 V 74 (un arrêt daté du 19 décembre 2011, et qui est donc antérieur à la décision d’Allianz du 7 novembre 2013) selon laquelle l’assureur social est, lorsqu’il réclame la restitution de prestations indûment versées, lié par une ordonnance de classement ou de non-entrée en matière entrée en force (art. 320 al. 3 et 310 al. 2 CPP), fait que la décision de non réduction de rente d’Alliance du 7 novembre 2013 ne peut pas apparaître comme manifestement erronée (c. 4.1 à 4.3. et 5.1 à 5.4).
Quant à savoir enfin si Allianz pouvait, pour justifier la réduction de rente de 20 % décidée le 5 février 2018, se fonder sur la règle formulée à l’ATF 141 V 9, règle selon laquelle, s’il existe un motif de révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA, le droit à la rente doit être à nouveau examiné globalement (« allseitig »), en fait et en droit, et sans référence à des évaluations antérieures de l’invalidité, le TF répond que cela n’est pas possible. La réduction d’une rente d’invalidité selon l’art. 37 al. 3 LAA est en effet, contrairement à ce qui vaut pour la capacité de travail et les facteurs de causalité, un point de fait circonscrit dans le temps, et qui, par là même, s’il a déjà été examiné précédemment, est soustrait à la procédure de révision de l’art. 17 al. 1 LPGA ; le TF rappelant qu’il a, à l’ATF 147 V 213, dit exactement la même chose concernant le gain assuré dans la LAA, gain qui, s’il a été déterminé par une décision antérieure, ne peut plus être revu par la suite dans le cadre d’une révision selon l’art. 17 al. 1 LPGA (c. 6.1 à 6.4).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 9C_689/2020 du 1 mars 2022
Assurance maladie; attestation de travailleur détaché, annulation couverture d’assurance obligatoire des soins, conditions d’affiliation, art. 3 LAMal; 1 al. 1 et 4 OAMal; 13 LPGA ; 23 ss CC; 6 Convention de sécurité sociale CH-USA
A. (mère) et C. (père) sont les parents de B., née aux USA (janvier 2013). A. et B. sont affiliées auprès de Helsana qui a décidé, en 2016, de résilier rétroactivement leur couverture LAMal car elles avaient leur domicile aux USA depuis décembre, respectivement janvier 2013. Le TC VD a rejeté leur recours, le centre de leurs intérêts se trouvant aux USA et, en l’absence d’attestation de détachement, les recourantes ne pouvant pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les USA restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.
Recours est formé au TF, qui relève que les formalités en cas de détachement aux USA correspondent aux standards de coordination prévus par le droit européen et international des assurances sociales. En relation avec le droit de l’UE, le TF rappelle que l’attestation concernant la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs détachés a un effet déclaratif et non pas constitutif (ATF 134 V 428). En délivrant une telle attestation, la caisse de compensation compétente se borne à déclarer que le travailleur demeure soumis à la législation de sécurité sociale suisse tout au long d’une période donnée au cours de laquelle il effectue un travail sur le territoire de l’Etat d’accueil. En conséquence, l’absence d’attestation de détachement ne suffit pas à nier le statut de travailleur détaché. Aussi, en retenant que les recourantes ne pouvaient se voir reconnaître le bénéfice de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché du simple fait qu’elles n’avaient pas produit une telle attestation, les premiers juges ont violé le droit fédéral. Les premiers juges devaient donc examiner librement si C. remplissait les conditions pour se voir reconnaître la qualité de travailleur détaché pendant la période litigieuse. En cas de réponse positive, ils devaient ensuite examiner si les recourantes pouvaient prétendre au statut de membres de la famille d’un travailleur détaché et si elles demeuraient, pour ce motif, soumises aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur, en l’occurrence la Suisse. Le recours a été partiellement admis et la cause renvoyée au TC VD pour nouvelle décision.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate à Lausanne

TF 4A_131/2021 du 11 février 2022
Responsabilité des chemins de fer; faute grave des lésés, causalité, interruption; art. 40b et 40c LCdF
Alors qu’elles souhaitent mettre à flot un catamaran récemment acquis dont le mat monté mesure près de 7 mètres, deux personnes prévoient de passer par un passage à niveau. Lorsqu’elles s’apprêtent à franchir ledit passage, le mât du catamaran heurte le caténaire du chemin de fer qui se trouve à 5,65 mètres de hauteur. Le courant est dévié par le catamaran et cause ainsi des lésions corporelles aux deux personnes. Le litige porte sur la question de savoir si les CFF peuvent s’exonérer de leur responsabilité en raison d’une faute grave des personnes lésées (art. 40c LCdF).
Le TF interprète l’art. 40c LCdF à la lumière de sa jurisprudence relative à la rupture du lien de causalité adéquate selon laquelle le comportement d’un tiers ne constitue une cause principale au sens de cette disposition que s’il présente un degré d’importance tellement élevé, qu’il se situe à tel point en dehors du cours ordinaire des choses, que la cause établie pour le responsable causal n’apparaît plus comme juridiquement pertinente pour le dommage survenu. Ainsi, le comportement d’un tiers ne peut rompre le lien de causalité que si cette cause additionnelle est à ce point extérieure au cours ordinaire des choses qu’on ne pouvait s’y attendre. Ainsi, la réalisation du risque d’exploitation doit être d’une importance si secondaire par rapport aux faits qui s’y ajoutent qu’elle n’apparaît plus que comme une cause partielle fortuite et insignifiante du dommage (c. 1.1).
In casu, le TF rejette les arguments de la recourante (assurance-accidents des lésés), qui fait valoir que la négligence inconsciente des lésés, contrairement aux cas de négligence consciente, ne permettrait pas de neutraliser le risque d’exploitation. Le TF considère que les lésés ont créé inutilement un risque de collision dont ils étaient parfaitement conscients, du moins en ce qui concernait une possibilité de collision avec des ponts, et que, partant, le mât aurait dû être démonté pour le transport du catamaran (c. 2.2 et 2.3). Finalement, le TF indique qu’on ne saurait considérer que les CFF doivent assumer un risque d’exploitation accru en raison d’un panneau d’avertissement insuffisamment grand (c. 2.5)
Il conclut que c’est à celui qui transporte des objets inhabituellement longs en position verticale de veiller à ce que l’espace libre vers le haut soit suffisant. Il considère que les lésés ont pris un risque inutile et incompréhensible en redressant le mât pour le transport du catamaran au lieu de le transporter démonté. Pour le TF, la seule cause de l’accident est le comportement de négligence grave des personnes lésées. Partant, les conditions pour une exonération de la responsabilité civile selon l’art. 40c LCdF sont, selon lui, remplies (c. 2.6).
Auteur : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat à Etoy



TF 9C_390/2021 du 8 février 2022
APG-COVID; Droit applicable en cas de modifications de la loi, portée de la notion de « taxation fiscale plus récente »; art. 2 al. 3bis et 5 par. 2 O APG COVID-19 (état au 6 juillet 2020)
Il s’agit d’un examen de la version applicable de l’O APG COVID-19, qui a rencontré plusieurs modifications dans le courant 2020, dans le cadre d’une demande d’allocations déposée en août 2020 par une physiothérapeute indépendante, pour des prestations à partir du 17 mars 2020. La caisse AVS intimée a refusé d’allouer les prestations requises.
Le TF rappelle qu’en principe le droit applicable est déterminé par la date de la décision, respectivement de la décision sur opposition. Pour ce qui concerne l’établissement de la perte de gain, qui entraîne des conséquences juridiques, il doit revêtir un caractère durable. Le principe de base n’étant pas suffisant, il convient de vérifier si la base juridique applicable contient des règles de droit transitoire, ce qui est le cas pour l’ordonnance examinée. A défaut de celles-ci, la cause doit être jugée selon les bases juridiques en vigueur au fil du temps ; l’ancien droit s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur de la modification juridique et ensuite, ex nunc et pro futuro, en ce qui concerne le nouveau droit, pour autant que les conditions soient remplies (c. 3.2.1 et 3.2.2).
Dans de telles situations intertemporelles, il ne faut pas confondre la validité temporelle de la norme et le champ d’application temporel de la loi, qui peuvent ne pas coïncider. La validité temporelle d’une disposition débute par son entrée en vigueur et se termine par son abrogation. Le champ d’application temporel de la norme juridique détermine la période pendant laquelle les faits couverts dans l’état de fait doivent s’être produits (c. 3.2.1).
Dans un second temps, le TF se penche sur l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19, qui conditionne l’octroi d’indemnités perte de gain à un revenu déterminant pour le calcul de cotisations AVS se situant entre CHF 10’000.00 et CHF 90’000.00 pour l’année 2019, et sur l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 qui précise qu’un nouveau calcul pouvait être effectué après la fixation de l’indemnité si une taxation fiscale plus récente était envoyée à l’ayant droit jusqu’au 16 septembre 2020 et que celui-ci déposait une demande de nouveau calcul avant cette date.
En l’espèce, l’assurée avait produit dans un premier temps la taxation fiscale de 2019, montrant un revenu supérieur à CHF 90’000.00. Après un refus de prestations de la part la Caisse, elle a produit une nouvelle décision de taxation, pour l’année 2018, faisant état d’un revenu inférieur à la limite précitée, celle-ci étant susceptible de remplir les conditions pour l’obtention d’indemnités perte de gain. Après avoir appliqué les méthodes habituelles d’interprétation de la loi, le TF arrive à la conclusion que l’expression « une taxation fiscale plus récente » se réfère uniquement aux taxations des années 2019 et suivantes, à l’exclusion de celles relatives aux années précédentes, quelle que soit la date de leur établissement (c. 5.2 et 5.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 8C_702/2021 du 4 février 2022
Assurance-chômage; aptitude au placement d’un indépendant; art. 15 LACI
Dans cet arrêt, le TF se penche sur la question de savoir si un employé licencié est apte au placement alors même qu’il avait, en parallèle de son activité salariée, fondé une société anonyme dans le but d’être, à terme, indépendant. La caisse de chômage puis le tribunal cantonal ont, en effet, nié l’aptitude au placement de cet assuré.
Le TF rejette le recours et rappelle qu’en règle générale, les personnes exerçant durablement une activité indépendante sont d’emblée exclues du droit à l’indemnité journalière de l’assurance-chômage. Toutefois, dans la mesure où une activité soumise à cotisation a été exercée avant l’activité d’indépendant, le droit à l’indemnité de chômage doit exceptionnellement être examiné à la lumière de l’ATF 123 V 234 (applicable au travailleur qui jouit d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur). Il convient ainsi de vérifier que la demande d’indemnisation déposée auprès de l’assurance-chômage ne soit pas abusive. Est ainsi déterminante la question de savoir si l’assuré projette, à long terme, d’exercer uniquement une activité économique indépendante (c. 4.1). En effet, lorsque l’activité indépendante commence juste après le début du chômage, l’aptitude au placement doit être admise si cette activité a été entreprise dans le but de diminuer le dommage à l’assurance (c’est-à-dire en réaction face au chômage), après une phase de recherches d’emploi sérieuses, et ne correspond pas à un objectif poursuivi de toute façon et décidé déjà bien avant le début du chômage (c. 4.2 et 4.3). L’assuré qui exerce une telle activité doit poursuivre intensivement ses recherches en vue de trouver une activité salariée. Il n’incombe, en effet, pas à l’assurance-chômage de compenser dans de pareils cas les risques d’un entrepreneur ou un manque à gagner dans une activité indépendante.
En l’espèce, le TF relève que, quand bien même l’assuré était disponible sur le marché de l’emploi durant une période de plus de trois mois, il avait, bien avant son licenciement, fondé sa société dans le but d’exercer, à terme, une activité indépendante. Il est également établi qu’au moment de son inscription auprès de l’assurance-chômage, la mise en place du commerce de l’assuré n’était pas terminée de telle sorte qu’il n’était pas en mesure d’exercer son activité indépendante. En outre, l’assuré n’avait réalisé que des postulations spontanées sans répondre à aucune offre concrète d’emploi. Il avait, par ailleurs, investi des montants conséquents pour le développement de son activité d’indépendant de sorte que la probabilité qu’il accepte à nouveau un emploi en tant que salarié était faible. Cette constellation de faits présentait, selon le TF, un risque d’abus, de sorte que les autorités cantonales avaient, à juste titre, nié son aptitude au placement.
L’assuré invoquait également une violation de l’art. 27 LPGA sur le devoir d’information de l’assurance-chômage. Le TF confirme l’appréciation des autorités cantonales d’après laquelle, même si l’assuré avait été informé sur l’absence de tout droit aux prestations de l’assurance-chômage, il aurait de toute évidence démarré son activité indépendante au vu des montants importants déjà investis au sein de la société (c. 5.2).
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Yverdon-les-Bains

ATF 148 V 138, TF 8C_421/2021 du 27 janvier 2022
Assurance-accidents; troubles psychiques, causalité naturelle et adéquate, procédure d’examen, gain assuré; art. 4 LPGA; 6 LAA; 22 OLAA
Un employé a connu deux accidents successifs. Sa situation s’est progressivement stabilisée du point de vue des capacités fonctionnelles, de sorte qu’une capacité de travail entière a pu être retenue. Les avis des médecins divergent toutefois en ce qui concerne la répercussion de troubles psychiques sur la capacité de travail de l’assuré. L’assureur-accidents a considéré que les troubles psychiques n'étaient pas en relation de causalité adéquate avec les deux accidents, raison pour laquelle il n’entendait pas mettre en œuvre d’autres mesures d’instruction afin de départager les avis des médecins. Le litige porte sur le point de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral, premièrement en considérant sur le plan somatique que la capacité de travail du recourant était complète dans une activité adaptée, deuxièmement en niant le droit de celui-ci à des prestations d’assurance en raison de ses troubles psychiques et, troisièmement, en admettant le gain annuel assuré retenu par l’intimée. Le TF confirme d’emblée les conclusions des premiers juges sur la capacité résiduelle de travail de l’assuré compte tenu des seules atteintes physiques.
S’agissant des troubles psychiques, le TF observe que tant la cour cantonale que l’assureur-accidents ont procédé à l’examen du caractère adéquat du lien de causalité entre les troubles psychiques et les accidents subis en laissant ouverte la question du lien de causalité naturelle. Il rappelle par conséquent que si la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat, il n’est en revanche pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. En l’occurrence pour le TF, il convient de renvoyer la cause à l’intimée pour qu’elle instruise ces questions au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. Ceci fait, elle se prononcera définitivement sur le droit du recourant à des prestations pour ses troubles psychiques, en procédant, au besoin, à un nouvel examen circonstancié du lien de causalité adéquate.
Le TF précise encore que ce qui précède vaut également pour les autorités de recours de première instance qui se retrouveraient dans la même constellation, à savoir saisies d’un examen du lien de causalité adéquate à l’égard de troubles psychiques alors que la question de la causalité naturelle a été laissée ouverte. Dans ce cas, si le juge parvient à la conclusion que l’appréciation de l’assureur-accidents est erronée sur un ou plusieurs critères et que l’admission du lien du causalité adéquate pourrait entrer en considération, il doit, avant de statuer définitivement sur ce dernier point, instruire ou faire instruire par l’assureur-accidents les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle.
Ceci écrit, et puisque le recourant a de toute façon droit à une rente d’invalidité du fait des séquelles physiques, le TF a encore examiné la question du gain assuré. Dans ce cadre, il a rappelé que sont seuls déterminants, d’une part, le rapport de travail et les circonstances salariales qui existaient au moment de l’évènements accidentel et, d’autre part, que l’annualisation du salaire intervient lorsqu’au moment déterminant la relation de travail a duré moins d’une année (art. 22 al. 4, 1re et 2e phrase OLAA). Dans le cas d’espèce, c’est à juste titre que les juges cantonaux ont annualisé le salaire perçu au moment déterminant, soit celui afférent à la relation de travail précédant immédiatement l’événement accidentel. Ils n’avaient pas à tenir compte des salaires touchés pour les missions antérieures.
Auteur : Patrick Moser, avocat à Lausanne


TF 4A_615/2021 du 26 janvier 2022
Responsabilité du détenteur d’ouvrage; prescription, connaissance du dommage, état médical définitif, dies a quo; art. 58 CO; 60 aCO
A la suite d’une chute intervenue depuis une terrasse, le lésé a déposé une action contre la communauté des copropriétaires, fondée sur l’art. 58 CO. Le TF examine si cette action est prescrite selon l’art. 60 aCO, qui est applicable dans le cas d’espèce, les faits remontant au 9 août 2014. Il recherche, dans un premier temps, si la prescription plus longue découlant de l’action pénale, soit en l’occurrence celle de dix ans valant pour les lésions corporelles graves par négligence (art. 125 et 97 al. 1 lit. c CP), pourrait s’appliquer, conformément à l’art. 60 al. 2 aCO (c. 4.1).
Le TF considère que les juges cantonaux étaient en droit de retenir, sans tomber dans l’arbitraire, que le déroulement précis de l’accident n’avait pu être reconstitué que sur la base des déclarations du lésé et que celles-ci étaient imprécises et contradictoires, si bien qu’aucun fait pertinent sur le plan pénal ne pouvait être établi. N’est pas non plus critiquable la renonciation des juges cantonaux à procéder à une inspection, dès lors que près de sept ans s’étaient écoulés depuis l’accident et qu’il fallait partir du principe que les conditions locales avaient changé depuis (c. 4.2 et 4.3). C’est ainsi à juste titre que les juges cantonaux n’ont pas appliqué une prescription pénale de plus longue durée selon l’art. 60 al. 2 aCO.
S’agissant de la prescription relative d’une année selon l’art. 60 al. 1 aCO, le TF rappelle que le délai commence à courir lorsque la personne lésée a connaissance de l’auteur et des éléments essentiels du dommage lui permettant d’apprécier approximativement celui-ci et de motiver une demande en justice. En cas de lésions corporelles, le lésé a une connaissance suffisante du dommage si les conséquences médicales de l’acte dommageable sont prévisibles et peuvent être déterminées avec un haut degré probabilité, une fois l’état de santé stabilisé. C’est le cas au plus tard avec la décision de l’assureur-accident portant sur la rente. Toutefois, le montant des prestations de cette assurance ne doit pas nécessairement être connu avec certitude. La subrogation de l’assurance dans les droits du lésé n’a aucune influence sur le début et le cours de la prescription, puisque la créance du lésé passe à l’assurance telle qu’elle existait pour le lésé contre l’auteur. En particulier, il n’est pas nécessaire de connaître l’issue de la procédure devant l’assurance sociale (c. 5.1).
Le délai de prescription relatif de l’art. 60 al. 1 aCO commence à courir dès que le lésé sait qu’il a atteint l’état médical définitif. En l’espèce, les effets de l’accident du 9 août 2014 étaient connus sous tous leurs aspects au moment où le lésé a été examiné par le médecin d’arrondissement de la SUVA le 10 février 2017. Il ressort du rapport de l’assurance, daté du même jour, que l’état médical définitif avait été atteint, ce dont le lésé avait été informé, vu qu’il avait consenti à ce que le rapport soit transmis à son médecin. Le TF considère que les juges cantonaux ont retenu de manière convaincante que dès le 10 février 2017, le lésé avait une connaissance suffisante de son dommage et qu’il était en mesure de l’estimer. Il n’y avait pas lieu d’attendre la décision fixant l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, qui a été rendue le 9 janvier 2018. Le délai relatif d’une année était ainsi échu lorsque le lésé a déposé sa requête de conciliation le 20 août 2018 (c. 5.3 et 5.4).
Auteure : Maryam Kohler, avocate à Lausanne


ATF 148 II 73, TF 8C_110 et 175/2021 du 26 janvier 2022
Prévoyance professionnelle; oligation d’assurance, affiliation rétroactive, dommages-intérêts dus par l’employeur; art. 1 LPP; 10 OPP2; 3 ss LRCF
Le TF a jugé qu’un employeur (et non l’institution de prévoyance) devait compenser le dommage causé à un employé qui n’avait pas été annoncé à l’institution de prévoyance. Le dommage consiste en la différence entre la prestation de vieillesse que l’assuré aurait effectivement perçue sur la base des bonifications de vieillesse qui auraient dû être versées et la prestation de vieillesse réellement versée à l’assuré. La Haute Cour a précisé que les cotisations de l’assuré qui n’ont pas été prélevées sur son salaire pouvaient être portées en déduction du dommage.
Auteur : Guy Longchamp



ATF 148 V 209, TF 8C_432/2021 du 20 janvier 2022
Assurance-chômage; domicile en Suisse, distinction entre vrai frontalier et faux frontalier, art. 65 al. 2 R (CE) n° 883/2004; 8 al. 1 let. c et 121 al. 1 let. a LACI
Un ressortissant italien est arrivé en Suisse en avril 2019 au bénéfice d’un permis L pour travailler comme ouvrier. Son contrat a pris fin le 14 novembre 2019, date de son inscription au chômage. Il a ensuite recommencé à travailler pour le même employeur en Suisse le 6 avril 2020. L’autorité valaisanne a refusé de lui allouer des indemnités de chômage, au motif qu’A. devait être qualifié de vrai frontalier et qu’il devait s’adresser à son Etat de résidence. Les juges cantonaux ont, au contraire, jugé que la condition du domicile en Suisse était remplie (c. 3.1).
Sur recours de l’autorité valaisanne, le TF rappelle qu’en présence d’une situation transfrontalière, les règlements de coordination conclus avec l’Union européenne s’appliquent, en particulier l’art. 65 al. 2 R (CE) n° 883/2004 cum 121 al. 1 let. a LACI (c. 4.1 s.). En parallèle, c’est le droit interne qui fixe les conditions d’octroi des prestations. En l’occurrence, l’art. 8 LACI prescrit que l’assuré doit résider en Suisse pour pouvoir prétendre aux prestations du chômage (c. 4.3). La question de savoir si le travailleur avait son domicile en Suisse ou en Italie peut toutefois rester ouverte (5.1). En effet, à défaut d’être retourné chaque jour ou au moins chaque semaine en Italie, auprès de sa famille, le travailleur doit être qualifié de faux frontalier (c. 5.2). Or, les faux frontaliers ont la possibilité de requérir les prestations du chômage dans l’Etat de leur dernier emploi plutôt que dans leur Etat de résidence (art. 65 al. 2 3e phr. R n° 883/2004). On ne peut pas exiger d’eux qu’ils disposent d’un domicile en Suisse au sens de l’art. 8 LACI. Il suffit qu’ils se mettent à disposition des services de placement en Suisse (c. 5.3).
In casu, le travailleur a toujours été à disposition du service de placement en Valais, où il se rendait fréquemment. De plus, en retournant travailler auprès du même employeur en Suisse en avril 2020, A. a démontré son intention de poursuivre son activité en Suisse. L’autorité compétente ne peut être suivie lorsqu’elle soutient que tant les vrais frontaliers (qui retournent chez eux chaque jour ou chaque semaine) que les faux frontaliers (qui ne retournent qu’occasionnellement chez eux) ne peuvent prétendre au chômage que dans leur Etat de résidence (c. 5.4). Le recours de l’autorité valaisanne est rejeté.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 8C_558 et 559/2021 du 20 janvier 2022
RHT-COVID; employeur public, risque d’exploitation; art. 31 al. 1 let. b et d, 32 al. 1 et 3 LACI; 51 OACI
Les conditions posées par la loi et la jurisprudence en vue de l’octroi de l’indemnité en cas de RHT (ATF 121 V 362) sont les mêmes pour tout employeur, qu’il s’agisse d’un employeur public ou d’un employeur privé.
L’allocation de l’indemnité en cas de RHT qui a pour finalité d’éviter un licenciement associe le risque économique que court le personnel touché par la réduction de l’horaire de travail de perdre son emploi au risque propre d’exploitation qu’assume l’entreprise concernée. L’indemnité en cas de RHT est une mesure préventive au sens large et doit pouvoir éviter, à brève échéance, un licenciement. Le risque de licenciement doit être imminent.
La perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. Cette condition n’est pas remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou risque de fermeture de l’exploitation.
La directive 2020/06 du SECO qui prévoit que le risque de disparition d’emplois constitue une condition essentielle du droit à l’indemnité en cas de RHT ne fait que préciser les principes dégagés par la jurisprudence et repris par la doctrine.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 9C_376/2021 du 19 janvier 2022
Prestations complémentaires; revenus déterminants, revenu hypothétique, dessaisissement; art. 9, 10 et 11 LPC; 14a OPC
Est litigieux le montant de la prestation complémentaire d’un assuré, invalide à 61 %, ayant atteint l’âge de 60 ans durant la période déterminante et dont l’épouse a perdu son emploi, avant de s’annoncer elle aussi à l’assurance-invalidité.
Selon la jurisprudence, il faut prendre en considération le revenu hypothétique d’un conjoint, au sens des ressources en espèces dont un ayant droit s’est dessaisi (art. 11 al. 1 let. a et g LPC), lorsqu’il a renoncé à une activité exigible. C’est à l’aune de la vraisemblance prépondérante qu’est jugée l’exigibilité de cette activité. Cette présomption est réfragable, si l’assuré prouve qu’interviennent – indépendamment d’une invalidité partielle ou non – des facteurs tels que l’âge, la formation, les connaissances linguistiques ou les circonstances personnelles.
L’art. 9 al. 5 let. c LPC donne le pouvoir au Conseil fédéral d’édicter des dispositions sur la prise en compte du revenu de l’activité lucrative pouvant ainsi être raisonnablement exigée des personnes concernées ; l’art. 14a OPC introduit une césure entre les invalides n’atteignant pas les montants maximum définis par cette disposition et âgés de moins de 60 ans, pour lesquels est pris en compte le revenu hypothétique (lequel ne correspond pas forcément à celui intervenant dans le calcul de la rente d’invalidité AI), et ceux âgés de 60 ans ou plus, pour lesquels c’est le montant effectivement obtenu qui est pris en compte.
Dans le cas d’espèce, selon le TF, c’est à tort que l’administration et la cour cantonale n’ont pas examiné plus précisément le revenu hypothétique exigible de l’assuré avant l’âge de 60 ans (on ne peut pas sans autre se baser sur la comparaison des revenus découlant de l’art. 16 LPGA) et n’ont pas déduit comme dépenses, à compter de l’âge de 60 ans, les frais d’obtention du revenu, au sens de l’art. 10 al. 3 let. a LPC. Pour ces motifs, la cause doit être renvoyée à l’administration, afin qu’elle procède à de nouveaux calculs.
En revanche, de l’avis du TF, c’est à bon droit que la cour cantonale a pris en considération un revenu hypothétique de CHF 28’194 de l’épouse de l’assuré, correspondant à son précédent revenu effectif. En effet, c’est en violation de son obligation de diminuer le dommage que celle-ci a mis fin à son emploi, au motif qu’elle ne gagnait pas assez, sans faire les efforts nécessaires pour recouvrer rapidement un emploi.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion

ATF 148 V 58, TF 9C_759/2020 du 12 janvier 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance surobligatoire, prestations de vieillesse, concours de prestations sociales, surindemnisation, assuré atteignant l’âge de 65 ans, art. 34a LPP; 24a OPP2
Sur la base des dispositions légales et réglementaires en vigueur dans le domaine de la prévoyance surobligatoire, une institution de prévoyance peut valablement continuer de réduire pour cause de surindemnisation, même en présence d’un assuré ayant atteint l’âge légal de la retraite de 65 ans, une (demi-) rente d’invalidité, tout en accordant une demi-rente de vieillesse, au motif que l’assuré perçoit parallèlement une rente d’invalidité de l’assurance-accidents de 49 % (LAA) et une rente complète de vieillesse du premier pilier (LAVS).
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_547/2021 du 11 janvier 2022
Assurance-invalidité; restitution de prestations indues, délai de l’action pénale, lien entre la procédure pénale et la procédure administrative, exigences pour la sauvegarde du délai; art. 25 LPGA
Le TF rappelle les règles applicables à la péremption de la demande en restitution de prestations versées à tort, en l’espèce pendant une longue période, en raison d’une violation, par la personne assurée, de son obligation de renseigner. En particulier, il rappelle que le délai de prescription de l’action pénale est déterminant si l’acte commis par la personne assurée relève d’une infraction pénale (art. 25 al. 2, 2e phr., LPGA).
Si une condamnation pénale a d’ores et déjà été prononcée et est entrée en force, l’assureur social, respectivement le juge des assurances sociales, est tenu par cette décision. En l’absence d’une telle décision, ces derniers doivent, à titre préjudiciel, déterminer si l’acte reproché à la personne assurée est constitutif ou non d’une infraction pénale. Ce faisant, ils doivent respecter les règles du droit pénal en matière de preuve. Le degré de la vraisemblance prépondérante, pertinent pour le droit des assurances sociales, ne l’est pas à cet égard (c. 6.2). En l’espèce, cette question n’ayant pas été suffisamment instruite, l’affaire doit être renvoyée à la cour cantonale (c. 9.2 et 10).
Pour sauvegarder valablement les délais de péremption de l’art. 25 al. 2 LPGA, la décision de l’office AI doit formuler clairement la demande de restitution ainsi que la période exacte sur laquelle elle porte. Il n’est en revanche pas nécessaire que le montant exact en francs soit indiqué. Une décision indiquant la réduction rétroactive de la quotité de la rente et mentionnant le retrait de l’effet rétroactif pour le cas où cette modification entraînerait une demande de restitution est insuffisante pour sauvegarder le délai (c. 7). Si la décision portant sur la demande de restitution et indiquant à satisfaction la période concernée est révoquée par la suite, cela ne fait pas obstacle à la sauvegarde du délai (c. 8).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 148 III 134, TF 4A_394/2021 du 11 janvier 2022
Assurance perte de gain; comportement frauduleux, fardeau de la preuve; art. 40 LCA
Le TF commence par rappeler les conditions d’application de l’art. 40 LCA, à savoir une condition objective qui consiste à une dissimulation ou à une communication inexacte de faits susceptible d’exclure ou de réduire les prestations, ainsi qu’une condition subjective qui suppose une intention de tromper de la part de l’assuré.
Puis le TF rappelle les principes applicables en matière de fardeau de la preuve. L’assuré doit apporter la preuve des éléments fondant le droit à l’assurance et l’assureur doit démontrer les faits qui lui permettent de réduire ou de refuser de prester. La preuve doit être apportée de manière stricte et un allégement sous la forme de la vraisemblance prépondérante n’est admissible que si la preuve stricte n’existe pas. Notre Haute Cour relève alors que la preuve de la condition subjective de l’art. 40 LCA ne peut jamais être apportée de manière stricte ce qui justifie l’allègement sous la forme de la vraisemblance prépondérante. En revanche, s’agissant de la condition objective, la preuve doit en principe être apportée de manière stricte.
En application des principes susmentionnés, le TF a estimé que l’indépendant qui annonçait une incapacité de travail à l’assureur et qui, quelques jours après, reprenait son activité, même à titre temporaire, sans l’annoncer, commettait une fraude. L’assuré ne peut à la fois prétendre à des indemnités journalières et exercer une activité professionnelle. Dans cette affaire, l’assuré prétendait que la reprise de travail était une tentative censée refléter son obligation de réduire le dommage. Le TF a estimé que, non seulement, la reprise de l’activité à titre d’essai n’était pas démontrée et que, par ailleurs, même si tel était le cas cette tentative aurait dû être annoncée à l’assureur. Il est en outre exclu de considérer cette tentative comme faisant écho à l’obligation de réduire le dommage dans la mesure où l’assuré a malgré tout perçu des indemnités journalières.
Auteur : Julien Pache, avocat à Lausanne


ATF 148 III 57, TF 4A_330/2021 du 5 janvier 2022
Assurance privée; assurance perte d’exploitation, COVID-19, couverture des épidémies, validité de la clause d’exclusion d’une pandémie; art. 18 CO; 33 LCA
Dans cet arrêt, le TF statue pour la première fois, en relation avec le COVID-19, sur une clause d’exclusion de la couverture des conséquences économiques d’une pandémie de niveau 5 ou 6 selon la classification de l’OMS, dans le cadre d’un contrat qui couvre en principe les épidémies. Il renverse la décision cantonale favorable à l’assuré de manière quelque peu cavalière si l’on tient compte de l’objectif central visé par la législation sur le contrat d’assurance, qui est de protéger la partie qui se voit imposer l’utilisation des conditions d’assurance. Comme le TF le rappelle lui-même dans son arrêt, celle-ci ne doit pas nécessairement être faible et inexpérimentée. Même une partie rompue à une branche donnée peut être surprise par une disposition reprise globalement dans des conditions générales (c. 2.1.3.1).
Le TF procède pour ce faire au contrôle des conditions d’assurances, rédigées par l’assureur et acceptées de manière globale par le preneur d’assurance. Il vérifie tout d’abord si les clauses litigieuses ont été valablement incorporées au contrat (principe de transparence et règle de la clause insolite), puis si elles sont claires (règle de la clause ambiguë, art. 33 LCA). Ce faisant, il arrive, contrairement à l’autorité inférieure, à la conclusion que la clause d’exclusion litigieuse n’est pas objectivement insolite et qu’elle est rédigée de manière claire et non équivoque, de sorte qu’elle est valide. Il admet dès lors le recours de l’assureur.
Cette issue de la procédure devant le TF est étonnante, compte tenu du fait que le Prof. Walter Fellmann a rendu le 23 avril 2020, sur demande de l’Ombudsman de l’assurance privée et de la SUVA un avis de droit publié sur le site de ce dernier et que ce document semble ne pas avoir été pris en compte au cours de la procédure, à tout le moins dans cet arrêt.
Auteur : Matthias Stacchetti, avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Neuchâtel



ATF 148 II 189, TF 2C_199/2020 du 28 décembre 2021
Prévoyance professionnelle; rachats, versement en capital, limitations d’ordre fiscal; art. 79b LPP
Le rachat effectué dans le but d’améliorer une rente transitoire versée jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite (rente pont AVS) n’est pas limité par l’art. 79b al. 3 LPP. En l’espèce, et dans ce contexte bien particulier, le TF a considéré que le rachat de CHF 62’050.40 effectué le 29 mai 2015 par l’assuré en vue d’améliorer spécifiquement la rente transitoire (pont AVS) débutant le 1er juillet 2015 pouvait entièrement être déduit fiscalement. Le fait que la prestation de vieillesse soit versée dans le délai de carence de trois ans n’est pas déterminant, dès lors qu’elle est effectuée sous forme de rente et non de capital.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 148 V 70, TF 9C_764/2020 du 23 décembre 2021
Assurance-maladie; financement hospitalier, passage du système du «financement des établissements» au système du «financement des prestations par cas», conséquence de ce passage pour des cas d’hospitalisation à cheval sur les deux systèmes; art. 41 al. 1bis, 49 al. 1 et 49a al. 1 LAMal
Le système dit du financement des prestations par cas est, dans le canton de Zurich, devenu effectif le 1er janvier 2012. Or, pour des hospitalisations qui se sont déroulées en partie avant le 1er janvier 2012 et en partie après le 31 décembre 2011, la société A. SA, qui exploite la clinique A., a réclamé au canton de Zurich le paiement, dans un premier temps, de la moitié de la part cantonale, de CHF 412'328.20, et, dans un deuxième temps, de la part cantonale non réduite, de CHF 824'656.36, demande de paiement que le canton de Zurich a refusé d’honorer. Par jugement du 3 novembre 2020, le Tribunal administratif du canton de Zurich a prononcé qu’au regard des principes généraux qui valent en matière de droit transitoire, c’est selon le nouveau modèle de financement par prestations que les hospitalisations à cheval entre 2011 et 2012 devaient être prises en compte, et ce pour leur durée entière.
Le TF admet partiellement le recours en matière de droit public du canton de Zurich, considérant que, s’agissant de l’application des principes de droit transitoire, les premiers juges ne pouvaient pas faire remonter l’application du nouveau système de financement par prestation à avant le 1er janvier 2012. Une telle rétroactivité n’aurait été possible que si elle avait été prévue par la loi ou si elle avait reposé sur un intérêt public prépondérant. Ni l’une ni l’autre de ces conditions n’est remplie ici (c. 5.3).
Au reste, étant donné que le système de financement en place avant le 1er janvier 2012 reposait sur le droit cantonal, le TF ne peut parler d’une violation du droit fédéral que pour la partie des traitements postérieure au 31 décembre 2011, le financement de cette partie devant se faire, dit le TF, pro rata temporis, à l’image de ce que prévoit le chiffre 3.6 des règles et définitions pour la facturation des cas établies par SwissDRG SA (c. 5.4).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 9C_603/2021 du 16 décembre 2021
APG-COVID; indemnités pour indépendants, cas de rigueur; art. 15 Loi COVID-19; 2 al. 3 et 3bis O COVID-19
A. est musicien indépendant et affilié à la Caisse cantonale de compensation lucernoise en tant que tel depuis 1er janvier 2020. Le 15 janvier 2021, il a déposé une demande d’indemnisation en lien avec la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19. Sa demande a été rejetée notamment au motif qu’il n’avait pas réalisé en 2019 un revenu AVS d’au moins CHF 10’000.- au sens de l’art. 2 al. 3bis let. c O COVID-19. Néanmoins, A. fait valoir qu’il n’a initié son statut d’artiste indépendant qu’au début de l’année 2020 et qu’il avait de toute façon réalisé des revenus soumis AVS en 2019 provenant d’activités lucratives (dépendantes) en tant que salarié.
Le TF confirme le fait que l’interprétation des dispositions visées de l’O COVID-19 ne laisse place à aucun doute quand bien même il est également question de perte de gain ou de salaire dans le texte (cf. art. 2 al. 3 let. b O COVID-19). En effet, cette distinction concerne d’une part les indépendants au sens de l’art. 12 LPGA et de l’autre les personnes visées par l’art. 31 al. 3 let. b et c LACI (réduction de l’horaire de travail). Il ne peut donc pas être compris que les revenus AVS réalisés en 2019 en tant que salarié puissent également être pris en considération pour l’ouverture d’un droit à une indemnisation (c. 4.5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 9C_386/2021 du 15 décembre 2021
Assurance invalidité; mesures médicales, blessures, origine inconnue; art. 12 LAI; 2 al. 4 aRAI
L’office AI interjette un recours contre une décision de l’instance cantonale aux termes de laquelle il lui appartiendrait de prester au titre de l’art. 12 LAI en relation avec une épiphysiolyses femoris capitis, faisant valoir que cette atteinte à la santé serait d’origine accidentelle.
Selon le TF, les premiers juges ne pouvaient pas se contenter d’observer que le traitement était directement nécessaire à la réadaptation professionnelle. Conformément à l’art. 2 al. 4 aRAI, dans sa teneur en vigueur au moment des faits, ne sont pas considérées comme mesures médicales au sens de l’art. 12 LAI, entre autres, les traitements de blessures.
A cet égard, la Circulaire sur les mesures médicales de réadaptation de l’AI (CMRM) dispose que les mesures médicales visant à traiter les épiphysiolyses qui sont apparues après des accidents ou qui ont provoqué des douleurs pour la première fois après un accident n’entrent pas dans le cadre des prestations de l’AI (ch. 734/934).
Comme l’instance précédente n’a pas instruit la question du caractère accidentel de l’atteinte à la santé, l’affaire doit lui être renvoyée afin qu’elle clarifie cette question et statue ensuite à nouveau sur l’éventuel droit à des mesures médicales selon l’art. 12 LAI.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

ATF 148 V 128, TF 9C_736/2020 du 10 décembre 2021
Assurance-maladie; prix des médicaments, liste des spécialités, examen triennal, critères de l’adéquation et de l’économicité; art. 32 al. 1 et 2, 43 al. 6 et 52 al. 1 let. b LAMal; 30 ss OPAS; 65 ss OAMal
A. SA est titulaire d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le médicament B., délivrée par Swissmedic. B. figure sur la Liste des spécialités pharmaceutiques et des médicaments confectionnés avec prix (LS). Par circulaire du 13 décembre 2017, l’Office fédérale de la santé publique (OFSP) a informé A. SA que B. devait être soumis à l’examen triennal des conditions d’admission des préparations figurant sur la LS (art. 65d al. 1 OAMal et 34d OPAS). A ce titre, l’OFSP demandait des informations sur le respect des critères d’adéquation et d’économicité, notamment s’agissant de la comparaison thérapeutique transversale (CTT) effectuée. A. SA. a proposé d’analyser le rapport coût bénéfice en procédant à une comparaison thérapeutique (TQV) entre B. (forme galénique : substance sèche pour la préparation de solution injectable) et le médicament D. (forme galénique : comprimés pelliculés), les deux médicaments traitant la même pathologie. D. est en ce sens un médicament de substitution par rapport à B. Les parties ne sont toutefois pas parvenues à se mettre d’accord sur l’utilisation des critères d’adéquation et d’économicité. L’OFSP a finalement conclu par décision du 7 décembre 2018 que B. pouvait certes être considéré comme adéquat dans sa forme galénique actuelle, à condition que A. SA dépose, pour B., une demande d’inscription d’un plus petit emballage et d’un nouveau dosage dans la LS. En effet, les études menées avaient démontré que B. subissait d’importants rebus (gaspillages) pour une certaine quantité requise par kilogramme de poids corporel du patient. Il se justifiait donc de n’admettre à long terme l’utilité de B., déjà listé dans la LS, qu’à la condition d’introduire un emballage plus petit avec un dosage différent. S’agissant du critère d’économicité, il ne fallait pas selon l’OFSP tenir compte du coût de la dose effectivement administrée mais bien du prix du plus petit emballage lors de la comparaison des médicaments. Sur cette base, l’OFSP a retenu une baisse de prix du médicament B. Par arrêt du 7 octobre 2020, le TAF a rejeté le recours formé contre la décision du 7 décembre 2018. A. SA a alors interjeté devant le TF un recours en matière de droit public.
Rappel du critère de l’adéquation (c. 4) – Le critère de l’adéquation est déterminé par l’utilité diagnostique ou thérapeutique de l’application dans le cas d’espèce, compte tenu des risques qui y sont liés, mesurés en fonction du succès thérapeutique visé, à savoir la suppression aussi complète que possible de l’atteinte physique ou psychique ainsi que du risque d’utilisation abusive. Selon la pratique administrative, l’évaluation de l’adéquation se fait sur la base du rapport entre le succès et l’échec d’une application ainsi que de la fréquence des complications. L’examen de la taille des emballages eu égard au critère d’adéquation est correct, même si cet examen présente des interfaces avec le critère d’économicité (c. 4.3.2 et 4.3.3). L’OFSP peut assortir l’admission d’un médicament (y compris lors de son examen triennal) de conditions conformément à l’art. 65 al. 5 OAMal. Même si l’art. 33 OPAS est formulé de manière ouverte (ne mentionne pas expressément la question du dosage et de la taille de l’emballage) il constitue aux côtés de l’art. 32 al. 2 LAMal une base légale suffisante pour la condition contestée (c. 4.4). La proportionnalité de la condition contestée a été admise (c. 6).
Rappel du critère d’économicité (c. 7) – Selon l’art. 65b al. 1 OAMaL, un médicament est considéré comme économique s’il garantit l’effet thérapeutique indiqué avec un coût aussi faible que possible. Cette disposition concrétise l’objectif du réexamen périodique prévu à l’art. 32 al. 2 LAMal au sens de la garantie que les médicaments remplissent en tout temps le critère EAE de l’art. 32 al. 1 LAMal. L’efficacité et le coût (journalier ou par cure) des préparations originales qui figurent dans la LS au moment du réexamen par rapport à d’autres médicaments utilisés pour le traitement de la même maladie sont examinés à cette occasion. La TQV s’effectue sur la base du plus petit emballage et du plus petit dosage à moins que ceux-ci ne permettent pas une comparaison adéquate avec le médicament de référence (art. 65d al. 2 OAMal). Si le réexamen révèle que le prix maximum en vigueur est trop élevé, l’OFSP ordonne, pour le 1er décembre de l’année du réexamen, une baisse de prix au niveau du prix déterminé selon les art. 65b al. 5 et 67 al. 1quater OAMal (c.7.2). Il n’est pas contesté en l’espèce que la TQV devait s’effectuer en comparant B. à D. Toutefois, bien que la recourante considère qu’il est plus pertinent de se baser sur le coût de la dose effectivement utilisée (comme c’est le cas pour le médicament D.), l’important gaspillage résultant de l’administration du médicament B. est une raison suffisante pour s’écarter de la procédure utilisée pour le médicament D. Il convient donc en l’espèce de considérer le coût d’une boite entière de B. plutôt que la dose effectivement utilisée comme coût déterminant du traitement journalier. En procédant de la sorte, l’autorité intimée a tenu compte des particularités du médicament B. (c. 8 à 10). Le recours est rejeté.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 6B_343/2021 du 9 décembre 2021
Responsabilité aquilienne; accident, moto sur circuit, lésions corporelles graves par négligence, violation des règles du sport, acceptation du risque; art. 125 al. 2 CP; 2.1.20 du code sportif établi par la Fédération française de motocyclisme
Se référant à un arrêt 6B_261/2018, le recourant soutient qu’il devrait être acquitté du chef d’inculpation de lésions corporelles graves par négligence, dans la mesure où il n’a pas violé les règles du sport. Selon lui, le risque de chute est inhérent à tous les roulages libres à moto, et la lésée l’avait accepté (c. 3).
Lorsqu’il existe des prescriptions spéciales de prévention d’accident ou de sécurité, il faut en tenir compte en premier lieu pour déterminer les devoirs imposés par la prudence. En l’absence de telles règles, il doit être tenu compte des règles édictées par des associations privées ou semi-publiques pour réglementer un domaine particulier ou une activité donnée. Lorsqu’aucune règle de sécurité spécifique n’existe ou n’a été violée, le devoir de diligence s’apprécie à l’aune des principes généraux du droit et notamment du principe « neminem laedere » (c. 3.2.1).
Il existe un risque de lésions corporelles inhérent à toute activité sportive. Les atteintes à l’intégrité corporelle infligées durant une rencontre sportive seront, jusque dans une certaine mesure, couvertes par l’assentiment (implicite) du lésé, et ainsi considérées comme licites. La pratique d’un sport n’implique toutefois que l’acceptation des risques normaux liés à l’exercice de ce sport conformément à ses règles. Il ne saurait y avoir acceptation de risques lorsque les lésions infligées résultent de la violation intentionnelle ou grossière des règles du sport par un autre participant (c. 3.2).
Dans l’arrêt 6B_261/2018, le TF avait considéré qu’il existait dans les courses cyclistes un risque élevé de chutes pouvant entraîner des lésions corporelles, voire le décès d’un coureur, étant donné qu’il était permis de rouler dans le sillage d’autres coureurs (c. 3.2.2). Dans cet arrêt, le TF avait retenu que la limite du risque spécifique à la discipline sportive n’avait pas été dépassée et que le danger avait été créé par l’ensemble des coureurs, sous leur propre responsabilité (c. 3.2.2).
La 1re Cour de droit social du Tribunal fédéral a considéré que la pratique de la moto sur circuit, en dehors de toute compétition, constituait une entreprise téméraire absolue, donnant lieu à réduction de prestations de l’assurance-accident (c. 3.2.3).
L’accident s’est produit sur un circuit, de sorte que le droit de la circulation, qu’il soit suisse ou français, ne trouve pas application. Est applicable en l’espèce, le code sportif établi par la Fédération française de motocyclisme qui prévoit notamment que « les coureurs sur le point de dépasser ou d’être dépassés ne doivent pas se gêner les uns les autres ». En particulier, il est admis qu’afin de garantir la sécurité de l’autre pilote et la sienne dans son dépassement, le pilote qui dépasse doit faire en sorte que le pilote qu’il veut dépasser ait le temps de le voir avant qu’il ne déclenche son virage (c. 3.3.1).
En l’espèce, l’accident est dû à une mauvaise appréciation de la situation par le recourant. En pratiquant la moto sur circuit, même en dehors de toute compétition, la lésée a accepté de prendre des risques, notamment ceux liés à des chutes provoquées par une faute personnelle, comme celle qu’elle avait déjà subie auparavant sur ce même circuit. Elle réduisait toutefois les risques, en roulant derrière son compagnon, qui lui montrait les trajectoires, et en respectant les distances. En cela son comportement n’est pas comparable à celui des cyclistes dans l’arrêt 6B_261/2018. Elle ne s’attendait pas qu’un participant surgisse de manière imprévue pour la dépasser, par l’intérieur du virage, sans respecter une distance latérale suffisante. Elle ne pouvait donc pas accepter le risque qu’une telle situation se produise. Compte tenu de la dangerosité du dépassement entrepris par le recourant, on ne saurait admettre que l’intimée a accepté les lésions corporelles qu’elle a subies. C’est donc à juste titre que la cour cantonale a condamné le recourant pour lésions corporelles graves par négligence (c. 3.3.2).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud

TF 8C_555/2021 du 24 novembre 2021
RHT-COVID; réduction des horaires d’ouverture d’un bar, perte de travail à prendre en considération; art. 31 al. 1 let. b LACI
Le TF est saisi d’un recours du Service de l’emploi du canton de Schwytz. Ce service contestait la décision de la dernière instance cantonale confirmant que la réduction des heures d’ouverture d’un bar ne constituait pas une violation du devoir de diminution du dommage mais bien, une perte de travail à prendre en considération au sens de l’art. 31. al. 1 let. b LACI (c. 4.3 et 5). Après un examen in concreto, l’autorité inférieure avait considéré comme plausible que l’assurée ne pouvait pas exploiter son établissement de manière rentable pendant les heures de fermeture décidée par le tenancier. Cette réduction de l’horaire d’ouverture ne prenait pas sa source dans le fait que le temps de travail des collaborateurs avait été réduit. Elle était, au contraire, la conséquence des restrictions d’exploitation induites par les prescriptions relatives à la pandémie du COVID-19 (c. 4 ss). La réduction des horaires d’ouverture du bar avait donc une justification économique (betriebswirtschaflich sinnvoll) (c. 4.3). Le TF a confirmé la décision cantonale et débouté le Service de l’emploi (c. 5).
Auteure : Rébecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Winterthour

TF 8C_503/2021 du 18 novembre 2021
RHT-COVID; indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT); art. 32 al. 1 let. a et 33 al. 1 let. a LACI
Pour obtenir des indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en raison d’une pandémie, l’employeur doit rendre vraisemblable que celle-ci a causé une perte de travail allant au-delà des risques normaux d’exploitation qu’il doit supporter en vertu de l’art. 33 al. 1 let. a LACI. L’existence du droit à ces prestations doit être examinée en fonction de la situation particulière de l’employeur concerné ; le fait que la branche économique à laquelle celui-ci appartient ait en moyenne été peu touchée n’exclut pas qu’il puisse avoir subi des pertes excessives, en fonction de ses propres particularités (c. 4.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

ATF 148 V 144, TF 8C_272/2021 du 17 novembre 2021
Assurance-chômage; indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, procédure sommaire de décompte, calcul de l’indemnité, gain déterminant, gain horaire à prendre en considération, prise en compte des vacances et jours fériés; art. 34 LACI; 8i O COVID-19; assurance-chômage
Dans la procédure sommaire de décompte, le droit aux vacances et aux jours fériés pour les personnes employées payées au mois doit aussi être pris en compte dans le calcul de l’indemnité en cas de RHT.
Il retient sans équivoque que la méthode de calcul des indemnités RHT suivie jusqu’ici par les caisses de chômage en application de la procédure sommaire est illicite, crée une inégalité de traitement entre les personnes assurées et ne se justifie par aucune base légale suffisante.
Note :
Le SECO a créé les bases nécessaires afin que les caisses de chômage puissent verser les indemnités en cas de RHT conformément à l’arrêt du TF dès janvier 2022.
Auteur : Marco Meli, MLaw, assistant-doctorant à la Faculté de droit



ATF 148 V 49, TF 8C_280/2021 du 17 novembre 2021
Assurance-invalidité; expertises, appréciation, atteintes psychiques, exigences; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI
Le TF apporte une précision supplémentaire s’agissant de la répartition des tâches entre l’expert et le juge.
Il rappelle tout d’abord que toutes les expertises peuvent être librement appréciées par l’administration, respectivement par le juge. Lorsqu’il existe des raisons valables (« triftige Gründe ») pour ce faire, il convient de s’en écarter, même si elles ont été réalisées lege artis. Représente notamment une raison valable le fait que l’incapacité de travail constatée par le médecin-psychiatre n’est en réalité pas vraiment établie compte tenu des exigences essentielles que sont la consistance et le fardeau matériel de la preuve incombant à la personne assurée. D’autre part, l’ATF 141 V 281 décrit la mesure dans laquelle l’administration, respectivement le juge, peut s’écarter des conclusions des médecins pour appliquer l’art. 8 LPGA.
La méthode est donc la suivante : dans tous les cas, l’office AI, respectivement le juge, doit vérifier si et dans quelle mesure les experts ont motivé de manière suffisante et compréhensible leur évaluation de l’incapacité de travail en tenant compte des indicateurs déterminants. Pour ce faire, il est indispensable que les experts fassent le lien avec les éléments en amont de leur analyse (extrait du dossier, anamnèse, résultats, diagnostics, etc.). L’expert doit donc exposer de manière circonstanciée les raisons médico-psychiatriques pour lesquelles les résultats obtenus sont susceptibles de réduire les capacités fonctionnelles et les ressources psychiques de la personne assurée, et ce d’un point de vue tant qualitatif, quantitatif que temporel. Si l’expert s’acquitte de cette tâche de manière convaincante en se référant aux indicateurs de l’ATF 141 V 281, l’expertise a une pleine valeur probante. Dans le cas contraire, il existe une raison valable qui impose de s’en écarter (c. 6.2.1).
Le TF rappelle ensuite que la mention d’un diagnostic psychiatrique, même intrinsèquement grave, ne permet pas encore de conclure à la gravité de l’atteinte à la santé d’un point de vue juridique. Le degré de l’atteinte de la personne assurée dans sa vie sociale, professionnelle ou dans d’autres domaines importants, est déterminé par le degré de gravité fonctionnelle de l’atteinte. Cette catégorie d’indicateurs (« degré de gravité fonctionnel ») se recoupe en partie avec les indications fournies par les médecins spécialistes pour établir le diagnostic. Il faut en revanche se rappeler qu’en principe, seule une atteinte grave à la santé psychique peut avoir un caractère invalidant. Si l’expert-psychiatre exclut la présence d’une atteinte grave à la santé psychique mais conclut néanmoins à l’existence d’une incapacité de travail sans expliquer pourquoi de manière convaincante, alors l’office AI, respectivement le juge, doit s’écarter de ses conclusions (c. 6.2.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont



ATF 148 V 102, TF 8C_463/2021 du 9 novembre 2021
RHT-COVID; RHT pendant la période du « lockdown » de mars 2020; art. 36 al. 1 LACI; 58 al. 1 OACI; 6 al. 2 let. b et 7 LEp; O 2 COVID-19; O COVID-19 assurance-chômage
Un club de football veut requérir des RHT pendant la pandémie. La requête est déposée le 24 mars 2020 et les RHT sont accordées avec effet rétroactif au 17 mars 2020, alors que le club estimait que l’on devrait retenir la date du 13 mars 2020.
En principe, la LACI instaure un délai de préavis de dix jours pour requérir des RHT (art. 36 al. 1 LACI), qui est réduit à trois jours (art. 58 al. 1 OACI) lorsque l’employeur prouve que la réduction de l’horaire de travail doit être instaurée en raison de circonstances subites et imprévisibles. Le délai de préavis est un délai de péremption. Ainsi, lorsque l’employeur n’a pas remis le préavis de réduction de son horaire de travail dans le délai imparti sans excuse valable, la perte de travail n’est prise en considération qu’à partir du moment où le délai imparti pour le préavis s’est écoulé (art. 58 al. 4 OACI).
Le Conseil fédéral a ordonné le 28 février 2020 des mesures relevant d’une situation particulière au sens de l’art. 6 al. 2 let. b LEp, qui ont fait l’objet de l’Ordonnance 2 COVID-19. Le 16 mars 2020, c’est une situation extraordinaire au sens de l’art. 7 LEp qui a été décrétée, ce qui a entraîné la modification de l’O 2 COVID-19, dont l’art. 6 ordonne le fameux « Lockdown ». Cette modification est entrée en vigueur le 17 mars 2020 à minuit.
L’art. 8b de l’O COVID-19 assurance-chômage supprime le délai de préavis (al. 1). Son alinéa 2 permet même une communication téléphonique du préavis que l’employeur doit confirmer par écrit immédiatement. Selon l’art. 9 al. 1 de cette ordonnance, l’entrée en vigueur est fixée au 1er mars 2020.
La possibilité d’un effet rétroactif au début de la mesure concernée existait dans l’art. 17b al. 2 loi COVID-19 dans sa version au 2 septembre 2021, étant relevé que cet alinéa a été supprimé par la suite et qu’il n’était pas applicable en l’espèce. Toutefois, un tel effet rétroactif constitue une exception, des RHT ne pouvant en principe n’être perçues que dès le dépôt du préavis au plus tôt, même si le délai de préavis a été supprimé ou réduit. Le principe est donc celui d’un effet ex nunc du préavis et non ex tunc.
Le SECO a établi des directives et a retenu que toute requête de RHT déposée jusqu’au 31 mars 2020 au plus tard avait un effet rétroactif au 17 mars 2020, voire au 13 mars 2020 notamment pour les domaines skiables.
Le TF constate que le recourant a déposé sa requête le 24 mars 2020, donc hors du délai de préavis. Il peut néanmoins bénéficier des dispositions susmentionnées. Toutefois, il faut retenir la date du 17 mars 2020 comme point de départ des RHT et non celle du 13 mars 2020, car au contraire des domaines skiables, l’installation du recourant n’était pas totalement fermée dans le cadre des premières mesures. Il relève également que les directives du SECO ne prêtent nullement le flanc à la critique, étant précisé qu’elles ont été établies en ayant le souci d’un certain pragmatisme eu égard à la situation de pandémie.
Note de l’auteur :
On ne peut que saluer cette jurisprudence éminemment pragmatique du TF dans un cadre juridique aussi peu stable que des sables mouvants, à cause de l’évolution de la situation sanitaire. Cet arrêt peut être considéré comme un exemple de synthèse qui permet finalement d’aboutir à un résultat correct et équitable entre les différentes personnes assurées.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


ATF 148 V 84, TF 8C_773/2020 du 9 novembre 2021
Assurance-accidents; gain assuré, principe d’équivalence; art. 15 al. 3 LAA; 24 al. 3 OLAA
L’art. 24 al. 3 OLAA ne s’applique que si, en raison de la formation professionnelle, le salaire de la personne assurée était inférieur à celui d’une personne pleinement formée dans le même domaine. Il doit dès lors exister un lien de causalité entre la formation en cours et le niveau inférieur du salaire (c. 4.1).
La « formation » au sens de l’art. 24 al. 3 OLAA doit être comprise comme une formation primaire, à l’exclusion, notamment, des formations complémentaires, des études supérieures et des formations continues (c. 4.2).
Cette disposition n’a dès lors pas vocation à s’appliquer aux étudiants exerçant un emploi à temps partiel en marge de leurs études. Selon le TF, cette exclusion est justifiée dans la mesure où les étudiants ne sont pas couverts par le champ de protection de la LAA (art. 1a LAA). En outre, admettre une protection accrue des étudiants exerçant un emploi à temps partiel créerait une nouvelle inégalité entre eux et les autres personnes exerçant une activité à temps partiel (c. 4.5).
Cette règle – critiquée en doctrine (c. 5) – est insatisfaisante compte tenu de la politique d’encouragement à la formation (cf. art. 41 al. 1 let. f) ainsi que du développement des filières de formation supérieure intervenu depuis l’adoption de la LAA et de l’OLAA (c. 7.3). Il s’agit toutefois d’une lacune improprement dite qu’il n’appartient pas à l’autorité judiciaire de combler. En effet, étendre la protection de l’art. 24 al. 3 OLAA aux étudiants constituerait une rupture du principe d’équivalence prévu par l’art. 15 LAA dont les répercussions financières doivent être étudiées dans le cadre d’une procédure législative (c. 7.4).
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne


ATF 148 IV 39, TF 6B_727/2020 du 28 octobre 2021
Responsabilité médicale; homicide par négligence, prescription d’un médicament contre-indiqué, négligence; art. 117 CP; 26 LTPh
Un médecin avait prescrit à sa patiente du Cefuroxim, un médicament contre-indiqué pour les personnes allergiques à la pénicilline. La patiente est décédée le jour même d’un choc anaphylactique, provoqué par ce médicament. Le médecin a été libéré du chef d’accusation d’homicide par négligence aussi bien par le Président du tribunal de première instance que par le Tribunal cantonal d’Argovie. Le TF a rejeté le recours déposé par les enfants de la défunte.
Le TF rappelle tout d’abord sa jurisprudence en matière de négligence, selon laquelle d’une part toute violation d’une norme de comportement légale ou généralement reconnue pour certaines activités ne constitue pas une négligence, et selon laquelle d’autre part un comportement peut être contraire au devoir de diligence même si aucune norme de comportement déterminée n’a été violée. Le degré de prudence auquel est tenu l’auteur potentiel est finalement déterminé par les circonstances concrètes et sa situation personnelle, car il n’est pas possible, de par la nature même des choses, de cerner toutes les circonstances pertinentes d’une situation donnée dans des règles générales (c. 2.3.3).
Il en va de même du devoir de diligence du médecin, qui se définit en fonction du cas concret, soit selon la nature de l’intervention ou du traitement, les risques qui y sont liés, la marge d’appréciation et d’évaluation dont il dispose, ainsi que selon les moyens mis en œuvre et l’urgence de l’acte médical. Le médecin n’est pas en soi tenu de répondre des dangers et des risques inhérents à tout acte médical et à la maladie en tant que telle. Il dispose souvent d’une certaine marge de manœuvre, tant dans le diagnostic que dans la détermination des mesures thérapeutiques. Il ne viole son devoir de diligence que lorsqu’il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre démarche qui ne semble plus justifiable selon l’état général des connaissances scientifiques et qui ne satisfait donc pas aux exigences objectives de l’art médical (c. 2.3.4).
Selon l’art. 26 al. 2 LPTh, un médicament ne doit être prescrit que si l’état de santé du consommateur ou du patient est connu. La doctrine déduit de cette disposition que les données vitales du patient, son état de santé, ses allergies, ses intolérances aux médicaments, ainsi que le potentiel d’interaction avec d’autres substances actives ou médicaments et aliments doivent être connus du médecin prescripteur. Le médecin doit se faire une idée précise de ce dont souffre le patient et des formes de thérapie appropriées. Aucune ordonnance en blanc ne peut être délivrée. Habituellement, le devoir de diligence du médecin exige la réalisation d’une anamnèse, c’est-à-dire l’enregistrement des antécédents de la maladie actuelle tels que communiqués par le patient ou ses proches. L’obligation de tenir un dossier médical fait partie de l’obligation générale de diligence du médecin. Elle revêt une importance particulière en cas de changement de médecin ou de collaboration entre plusieurs médecins. En cas de changement de praticien, le patient peut exiger que le nouveau médecin reçoive une copie du dossier médical du précédent. On admet cependant que, de façon générale, si le patient ne collabore pas au traitement, le médecin n’est pas tenu d’intervenir activement (c. 2.4.1 à 2.4.3).
En l’espèce, la défunte consultait le médecin en question depuis une année. A deux reprises, l’accusé lui avait demandé de lui fournir son dossier médical complet et avait même indiqué la deuxième fois (11 mois avant le décès) que cela était urgent. Il avait certes reçu quelques informations concrètes sur l’historique médical de la patiente, mais aucune qui ne permettait de retenir une hypersensibilité au Cefuroxim. Le TF a considéré qu’il n’avait aucune raison de mettre en doute les déclarations de sa patiente selon lesquelles elle n’avait pas d’allergie aux antibiotiques, alors même qu’il s’est avéré ensuite qu’elle ne connaissait elle-même pas parfaitement ses propres problèmes de santé. En effet, au moment de prescrire le médicament litigieux, le médecin ne disposait pas de tous les éléments qui ont ensuite été communiqués à l’expert judiciaire. Comme il avait interrogé sa patiente sur d’éventuelles allergies, il avait ainsi suffisamment satisfait aux obligations de clarification qui s’imposaient à lui et à son devoir de diligence (c. 2.5 à 2.7).
En d’autres termes, ni la loi ni les règles reconnues de la branche, comme le code de déontologie de la FMH, n’imposaient au médecin d’agir lui-même et de se charger de l’obtention de son dossier médical, ce que la patiente n’avait pas effectué malgré plusieurs demandes (consid. 2.8).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne



ATF 148 V 28, TF 8C_81/2021 du 27 octobre 2021
Assurance-accidents; notion de soins non médicaux à domicile, surindemnisation; art. 26 LAA; 18 al. 2 let. b OLAA
A la suite d’un accident survenu le 21 mars 2011, un assuré a notamment dû recourir à des prestations de soins à domicile. L’assureur-accidents a notamment accordé une allocation pour impotent de degré grave ainsi que la prise en charge de soins à domicile pour un montant mensuel global de CHF 1'248.-, réduit par la suite à CHF 748.- par mois, en raison d’une amélioration de l’état de santé de l’assuré. Celui-ci a contesté cette réduction. Le TF a dû se pencher de manière détaillée sur l’interprétation de la notion de « participation » aux soins non médicaux prévue à l’art. 18 al. 2 let. b OLAA, d’une part, ainsi que sur la coordination avec l’allocation pour impotent (surindeminsation), d’autre part. Tout en renvoyant l’affaire à l’assureur-accidents pour instruction complémentaire, les juges fédéraux ont précisé qu’il n’était pas admissible de retrancher intégralement de la participation aux coûts des prestations de soins à domicile le montant versé au titre de l’allocation pour impotent : il y a lieu d’examiner dans chaque cas particulier les prestations (non médicales) effectuées, en particulier les heures de surveillance.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_133 et 135/2021 du 26 octobre 2021
Responsabilité aquilienne; responsabilité de l’administrateur, dommage, causalité, preuve; art. 42 et 754 CO
Il s’agit d’un litige classique où des créanciers d’une société en faillite ouvrent action à l’encontre de ses administrateurs en leur faisant le reproche d’avoir tardé à aviser le juge d’un état de surendettement. Dans ce cadre, le TF rappelle que l’art. 754 al. 1 CO vise non seulement les membres du conseil d’administration, mais également toute personne qui s’occupe de la gestion, à l’instar des directeurs de la société anonyme, lesquels dépendent directement du conseil d’administration. La responsabilité fondée sur cette disposition incombe donc aussi aux organes de fait, c’est-à-dire à toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d’une manière déterminante.
Parmi les tâches de l’administrateur, figure le devoir de contrôler de manière régulière la situation économique et financière de la société. L’obligation de surveillance subsiste même si l’administrateur a délégué le pouvoir d’agir à l’actionnaire unique et propriétaire économique de la société. En effet, l’administrateur n’est pas seulement responsable envers les actionnaires, il l’est aussi envers la société en tant qu’entité juridique autonome et envers les créanciers de la société.
Pour déterminer s’il existe des raisons sérieuses d’admettre un surendettement, le conseil d’administration ne doit pas seulement se fonder sur le bilan, mais aussi tenir compte d’autres signaux d’alarme liés à l’évolution de l’activité de la société, tels que l’existence de pertes continuelles ou l’état des fonds propres. L’administrateur doit avoir commis une faute intentionnelle ou par négligence. Toute faute, même une négligence légère, suffit.
Lorsqu’il s’agit de déterminer le dommage que les organes ont causé à la société en tardant de manière fautive à aviser le juge de l’état de surendettement, il y a lieu de comparer, conformément à la théorie de la différence, le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant qu’aurait ce même patrimoine si l’événement dommageable ne s’était pas produit. Le dommage à la société consiste dans l’augmentation du découvert entre le moment où la faillite aurait été prononcée si l’administrateur n’avait pas manqué à ses devoirs et le moment (impliquant une perte supérieure) où la faillite a effectivement été prononcée.
Si la preuve exacte du dommage ne peut pas être apportée, parce que les pièces comptables nécessaires au calcul de la valeur de liquidation des actifs de la société faillie n’ont pas été conservées par les administrateurs, il est juste de déterminer en équité le montant du dommage selon l’art. 42 al. 2 CO, sans que l’on puisse par ailleurs faire le reproche aux créanciers de n’avoir pas requis la production de documents comptables qui n’existaient pas.
Lorsque le manquement reproché consiste en une omission, à savoir de n’avoir pas avisé le juge du surendettement en temps utile, le rapport de causalité doit exister entre l’acte omis et le dommage. Dans ce cas, le rapport de cause à effet est nécessairement hypothétique, une inaction ne pouvant pas modifier le cours extérieur des évènements, de sorte qu’il faut se demander si le dommage aurait été empêché dans l’hypothèse où l’acte omis aurait été accompli ; dans l’affirmative, il convient d’admettre l’existence d’un rapport de causalité entre l’omission et le dommage. Lorsqu’un tel lien est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne



TF 6B_1209/2020 du 26 octobre 2021
Responsabilité aquilienne; procédure, classement, motivation insuffisante, annulation, piste de luge, normes de sécurité, art. 319 CPP et 125 CP
Selon l’art. 319 al. 1 CPP, le Ministère public ordonne le classement lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis (let. b). La jurisprudence n’autorise cependant un classement que si la non-punissabilité est clairement établie, particulièrement en cas d’infraction grave. Son pouvoir d’examen étant limité à l’arbitraire s’agissant des constatations de fait (art. 97 al. 1 LTF), le TF annule un classement si l’autorité cantonale retient de manière insoutenable un état de fait ou une situation de preuves comme clairement établis (c. 2.4.1).
Une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé est commise par négligence, au sens de l’art. 125 CP, si elle résulte d’une violation fautive des règles de la prudence. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, au moins dans les grandes lignes, le déroulement des événements et quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter le résultat. Le degré de diligence requis s’apprécie en premier lieu au regard des prescriptions édictées pour la prévention des accidents dans un domaine déterminé, par le législateur, ou des associations spécialisées si les règles en question sont généralement reconnues ; leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence (c. 2.4.2).
La jurisprudence reconnaît ainsi la pertinence des directives de la Commission suisse pour la prévention des accidents sur les descentes pour sport de neige (SKUS) et celles de la Commission juridique des Remontées mécaniques suisses (RMS), car ces normes permettent de concrétiser le devoir de prudence. Les circonstances locales peuvent toutefois exiger un standard de sécurité plus élevé (c. 2.4.3). En l’occurrence, l’accident s’est produit sur une piste de luge dans la soirée du 31 décembre 2017 et le TF mentionne les directives SKUS 2015/2019 (protection des usagers contre les dangers atypiques, interdiction d’utiliser les pistes fermées), ainsi que les directives RMS 2019 concernant les obligations spécifiques en cas d’organisation de manifestations du type « Night Events » (c. 2.4.4).
Le classement de la procédure pénale est annulé car le Tribunal cantonal d’Obwald s’est focalisé sur la fermeture formelle de la piste, signalée sur les tableaux d’information, sans tenir compte du fait qu’une information différente était disponible sur internet, que la piste était accessible par l’installation de remontée mécanique et que des luges étaient mises en location, même après la fermeture, en raison d’une fête de Nouvel An organisée dans une cabane, que cette fermeture dès 17h00 le 31 décembre était incohérente avec une réouverture spéciale prévue durant la nuit du 1er janvier de 01h00 à 02h00. Le TF souligne aussi que l’enquête est lacunaire car on ignore si l’organisateur de la fête avait pris, en coordination avec l’exploitant des remontées mécaniques, des mesures pour garantir la sécurité des participants à la descente, selon les directives RMS 2019 (c. 2.5).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg


TF 8C_365/2021 du 23 octobre 2021
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), activité salariée, siège social; art. 31 ss LACI; 121 al. 1 let. a et b LACI; R (CE) 883/2004 et 987/2009
L’employé d’une société dont l’activité économique n’est pas liée à des structures opérationnelles permanentes en Suisse n’a pas droit à l’indemnité en cas de RHT fondée sur le droit suisse, même s’il exerce une activité salariée en Suisse et est soumis à la législation sur la sécurité sociale suisse.
Le seul fait que l’employé dirige cette société, dont il est également le fondateur et le directeur, depuis un poste de travail situé en Suisse lorsqu’il travaille à domicile n’est pas suffisant pour reconnaître l’existence de structures opérationnelles en Suisse.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne

TF 9C_272/2021 du 14 octobre 2021
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations des personnes n’exerçant pas durablement une activité à plein temps; art. 10 al. 1 LAVS; 28bis RAVS
En décembre 2019, la caisse de compensation du canton de Schwytz a appliqué l’art. 28bis RAVS et fixé les cotisations d’une personne pour l’année 2014 sur la base des règles pour les personnes sans activité lucrative, au motif qu’elle n’exerçait pas durablement une activité lucrative à plein temps et que les cotisations perçues sur le revenu de son travail d’indépendant n’atteignaient pas la moitié de la cotisation due selon le calcul de l’art. 28 RAVS pour les cotisations des personnes sans activité lucrative. La caisse a donc fixé les cotisations à CHF 2’520.-, compte tenu de la fortune de l’administré. Cette année 2014 était la première au cours de laquelle la personne retirait un gain de son activité d’indépendant (CHF 4’517.-), tandis que les années précédentes avaient été conclues par une perte et donné lieu à la perception de cotisations minimales (CHF 413.- par année) par la caisse.
Saisi du recours de l’administré, le tribunal cantonal a rappelé que n’est pas considéré comme exerçant durablement une activité lucrative à plein temps au sens de l’art. 28bis RAVS une personne qui n’exerce pas d’activité lucrative pendant au moins neuf fois dans l’année ou qui n’accomplit pas au moins la moitié du temps de travail usuel sur l’année (ATF 140 V 338). Dans ce cas de figure, il y a lieu de procéder à une comparaison de la cotisation due selon le calcul pour les indépendants et de celle due selon le calcul pour les personnes sans activité lucrative. Si la cotisation pour les indépendants n’atteint pas la moitié de la cotisation pour les personnes sans activité lucrative, c’est cette dernière qui est applicable, les cotisations payées sur la base de l’activité lucrative pouvant être déduites (art. 28bis al. 2 et 30 RAVS).
En l’espèce, le tribunal cantonal a admis que le recourant n’exerçait pas durablement une activité lucrative à plein temps. Tout en admettant que le calcul individuel de la caisse sur l’année 2014 n’était formellement pas faux, le tribunal lui a reproché d’avoir procédé au calcul comparatif selon l’art. 28bis RAVS en 2014, première année de gain dans l’activité indépendante, alors que les années précédentes avaient donné lieu à perception de la cotisation minimale, ce qui aboutissait à un résultat choquant et contradictoire. La situation professionnelle de l’assuré n’avait en effet pas changé entre ces deux périodes et la caisse devait procéder à une appréciation globale et fixer les cotisations en tant qu’indépendant.
Saisi du recours de la caisse, le TF casse le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de la caisse. Il confirme qu’avec à peine 400 heures facturées sur l’année, l’administré ne réalise pas la moitié d’une activité à plein temps, estimée à plus de 900 heures, ceci indépendamment des raisons pour lesquelles son revenu est aussi bas. Si une personne n’exerce pas durablement une activité à plein temps, il faut procéder à la comparaison des cotisations selon l’art. 28bis RAVS. Contrairement à ce que pense l’instance inférieure, il n’est pas possible de renoncer à cette comparaison et de procéder à une appréciation globale. Le fait que la cotisation pour l’année 2015 ait de nouveau été fixée en fonction du revenu de l’activité lucrative n’est pas pertinent car cette fixation résulte du calcul comparatif de l’art. 28bis RAVS et du fait que les cotisations prélevées sur le résultat de l’activité lucrative étaient supérieures à la moitié des cotisations calculées pour une personne sans activité lucrative. Enfin, le TF relève qu’il n’est pas exclu que la caisse aurait fixé les cotisations des années 2008 à 2013 de manière analogue si elle avait pu sauvegarder le délai de péremption de l’art. 16 LAVS.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

ATF 148 V 7, TF 8C_130/2021 du 13 octobre 2021
Assurance-invalidité; mesures médicales, traitement dentaire stationnaire, tarification; art. 13, 14, 26bis et 27 LAI
C’est à juste titre que les prestations d’un dentiste pour des soins dispensés lors du séjour stationnaire d’une personne assurée ayant droit aux mesures médicales conformément à l’art. 13 LAI ont été rémunérées sur la base du tarif SwissDRG, et non sur celle du tarif dentaire SSO.
Les tarifs conclus en application de l’art. 27 al. 1 LAI sont des contrats-cadres qui ne créent pas à eux seuls des relations contractuelles entre l’AI et le fournisseur de prestations. Le contrat de mandat (art. 394 ss CO) entre ces deux partenaires est conclu dans chaque cas concret, en principe par acte concluant, le fournisseur de prestations acceptant de fournir les prestations que la personne assurée s’est vu octroyer par communication de l’assurance sociale. Le mandat règle la question de la nature et de l’ampleur des mesures médicales, et le contrat-cadre complète ce contrat en réglant la question de la tarification et de la protection tarifaire (c. 3.4).
Le tarif SwissDRG, destiné à la facturation des traitements stationnaires en soins aigus, est entré en vigueur dans le domaine de la LAMal au 1er janvier 2012. Bien que la situation soit moins claire dans le domaine de l’AI en raison des difficultés intervenues dans les négociations entre partenaires tarifaires (cf. c. 3.8), SwissDRG s’applique en principe aussi pour la facturation des traitements stationnaires pris en charge par cette assurance sociale. En l’espèce, s’agissant de la clinique dans laquelle le traitement avait été dispensé à la personne assurée, l’application de SwissDRG avait été convenue à partir du 1er juillet 2013, soit avant le traitement litigieux, intervenu en juillet 2014.
Dès lors que le tarif dentaire SSO ne confère aucun droit aux membres de la SSO de se voir confier des traitements, l’AI est libre, dans les cas particuliers, de conclure des mandats avec les fournisseurs de prestations de son choix. En l’espèce, elle a confié le mandat à un établissement de soins (la clinique), et non à l’un ou l’autre de ses médecins agréés (c. 5.1.2). Le fournisseur de prestations est donc la clinique, et non le médecin. En conséquence, les prestations – stationnaires – devaient être facturées selon le tarif SwissDRG, et non selon le tarif SSO, qui n’a plus vocation qu’à s’appliquer aux prestations fournies de manière ambulatoire (c. 5.1.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_234/2021 du 9 octobre 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; procédure, question juridique de principe, faute grave; art. 59 al. 1 LCR; 74 al. 2 let. a LTF
B. et A., sa fille âgée de 5 ans, ont traversé une route principale en dehors d’un passage pour piétons. Il s’en est suivi une collision avec une moto conduite par C. et A. a notamment été gravement blessée des suites de cet accident.
Sur le plan procédural, la piétonne A. justifie son recours au TF, nonobstant le fait qu’il s’agisse d’une action partielle d’une valeur litigieuse inférieure à CHF 30’000.-, par le fait que la contestation soulèverait une question juridique de principe au sens de l’art. 74 al. 2 let. a LTF. Le TF rappelle qu’il convient de se montrer restrictif dans l’admission d’une dérogation à l’exigence de la valeur litigieuse minimale au sens de l’art. 74 al. 1 let. a et b LTF. Il faudrait donc que pour résoudre le cas d’espèce, il faille trancher une question juridique qui donne lieu à une incertitude caractérisée, laquelle appelle de manière pressante un éclaircissement de la part du TF en tant qu’autorité judiciaire suprême chargée de dégager une interprétation uniforme du droit fédéral. En l’occurrence, ces conditions ne sont pas réalisées, notamment parce que, de façon générale, les questions sur la notion de faute en matière de responsabilité civile se mesurent toujours en fonction des circonstances d’un cas particulier (c. 1.3).
Au surplus, le TF confirme néanmoins que l’admission par la dernière instance cantonale d’une faute grave de B. et d’une absence de faute de la part du motard C. n’avait rien d’arbitraire. En effet, pour rejoindre un arrêt de bus situé de l’autre côté de la route, B. a traversé ladite route en dehors d’un passage pour piétons en plein virage, avec sa fille de 5 ans et deux sacs de commissions. Il s’agissait par ailleurs d’une route cantonale dont la vitesse était limitée à 80 km/h sur laquelle les véhicules circulaient en nombre à grande vitesse, qui était de plus en légère pente, cela en fin de journée avec une visibilité limitée du fait de la position du soleil se trouvant à l’horizon. Cette manœuvre constituait à l’évidence une faute grave. De surcroît, lorsque B. s’est rendu compte de l’arrivée imminente de la moto, elle a quand même cherché à traverser la route, alors qu’il aurait été plus court et rapide de revenir sur ses pas. Quant au motard C., le fait qu’il n’ait pas réussi à s’arrêter à temps pour éviter la collision ne saurait en l’espèce être considéré comme une faute (c. 2.4.3 et 2.4.4).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge



TF 6B_981/2020 du 8 octobre 2021
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence, causalité adéquate, interruption, art. 117 CP
Un homicide par négligence a été retenu à l’encontre du surveillant d’un aérodrome ayant placé son véhicule de service au travers de la piste d’atterrissage pour empêcher deux motocyclistes de poursuivre leur course de vitesse. Selon l’état de fait retenu par la cour cantonale, le motocycliste ne disposait pas de la visibilité suffisante pour s’apercevoir à temps de la présence de l’obstacle. Il est entré en collision avec le véhicule, placé au centre de la piste sans aucun dispositif particulier permettant d’attirer l’attention des usagers. La cour cantonale a retenu que l’auteur avait violé les devoirs élémentaires de prudence qui s’imposaient à lui. Le respect des règles de sécurité ne l’autorisait pas à créer un état de fait dangereux à même de provoquer l’accident qui s’est produit. L’auteur devait s’attendre à ce que la victime qui avait emprunté la voie dans un sens, sans obstacle, ferait le chemin inverse. Pour interrompre le lien de causalité, le comportement de la victime doit constituer une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaissant si extraordinaire qu’il ne pouvait être prévu.
Le TF rappelle que le caractère imprévisible du fait concomitant n’est pas suffisant pour interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l'auteur. La théorie du risque consciemment assumé par la victime (« eigenverantwortliche Selbstgefährdung ») n’est pas applicable en l’espèce, le risque ayant été directement créé par l’auteur.
Selon le TF, la question de l’application des normes du droit de la circulation à la piste de l’aérodrome peut demeurer indécise dans le cas d’espèce, au vu de l’état de fait dangereux créé par l’auteur, lequel ne peut se prévaloir non plus du principe de la confiance dégagé de l’art. 26 LCR.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 4A_349/2021 du 7 octobre 2021
Responsabilité aquilienne; procédure, expertises, récusation de l’expert, recours contre une décision incidente; art. 92 LTF
En application de l’art. 92 LTF, le recours dirigé à l’encontre d’une décision incidente portant sur la récusation d’un expert est admissible pour prévenir l’exploitation de conclusions d’un expert partial. Cette disposition ne s’applique pas aux décisions portant sur la récusation demandée après la réalisation de l’expertise. La question qui se pose dans un tel cas est celle du caractère exploitable de la preuve (c. 2.1).
La procédure tendant à la récusation de l’expert après le dépôt des conclusions écrites, au sens de l’art. 187 al. 1 CPC, avant d’éventuelles questions complémentaires à ce dernier conformément à l’art. 187 al. 4 CPC, ne justifie pas davantage de reconnaître un recours séparé au TF se fondant sur l’art. 92 LTF.
Il en irait différemment si les motifs de récusation avaient été invoqués au moment de la nomination de l’expert ou à l’occasion d'une inspection effectuée par celui-ci, soit avant l'expertise (cf. c. 3c).
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel



TF 6B_388 et 392/2020 du 30 septembre 2021
Responsabilité aquilienne; faute, homicide par négligence, exploitant d’une piscine, maître-nageur, position de garant, devoir de diligence, causalité adéquate; art. 117 CP
Le gérant B. et le maître-nageur C. d’une piscine valaisanne ont été reconnus coupables d’homicide par négligence, et tenus pour responsables de la noyade et du décès d’une fillette de 9 ans, survenus le 18 août 2013. Comme ils avaient été acquittés en instance cantonale, un recours a été porté devant le TF tant par les parents de la fillette que par le Ministère public. Les oncle et tante de la victime, qui avaient été condamnés à la même peine pour avoir négligé de surveiller leur nièce, n’ont pas fait recours, de sorte que le jugement de première instance leur reste applicable.
La Cour pénale II du Tribunal cantonal valaisan avait relevé, de manière à lier le TF, qu’un nombre important d’éléments étaient demeurés incertains à l’issue de l’instruction. Ainsi, il n’avait pas été possible de déterminer ni précisément où la victime avait coulé, ni l’endroit exact où elle avait été retrouvée. Elle a en outre retenu que les actes de la cause ne permettaient pas non plus d’établir que la victime avait déjà sombré lorsque son oncle a demandé à C. s’il avait aperçu sa nièce, semble-t-il, juste après avoir été lui-même interpellé à ce sujet par une amie de sa fille aînée. Il ressort à cet égard du jugement entrepris que C. s’était alors rendu au bord de la piscine, avait vérifié le bassin et n’avait rien remarqué.
Le moment précis où la victime a sombré, tout comme le laps de temps durant lequel elle est restée inanimée dans l’eau étaient eux aussi restés indéterminés. Les actes de la cause ne permettaient pas d’établir les motifs pour lesquels cette dernière avait perdu le bas de son maillot de bain et avait déféqué. Les médecins légistes ne s’étaient pas exprimés sur ce point et n’étaient pas non plus parvenus à établir l’origine de la noyade. On ignorait en particulier si la victime avait sombré subitement et sans lutte contre l’eau à la suite d’un malaise. Enfin, l’instruction n’avait pas non plus permis d’établir quelle était l’activité exercée par C. au moment précis où la victime avait sombré, même s’il est établi que le prénommé encaissait une finance d’entrée lorsqu’une personne qui se trouvait dans l’eau, au sud du bassin, avait donné l’alerte. Avant le drame, il n’avait pas vu la victime, alors qu’elle se trouvait dans la partie profonde du bassin, plonger, émerger, remettre la tête sous l’eau et agiter les bras au-dessus de sa tête, mais avait toutefois constaté la présence de P., du frère de cette dernière et de Q. Il avait aperçu les échanges de ballon entre les frère et sœur et observé cette dernière pénétrer dans le bassin. Il était ainsi, selon la Cour cantonale, attentif aux baigneurs.
Le TF retient que le jugement attaqué met en évidence une impossibilité d’établir une chronologie globale et précise de l’ensemble des événements et des différentes actions des personnes présentes sur les lieux du drame. Il considère que c’est à juste titre que la cour cantonale s’est focalisée sur déposition de P., décrite comme étant très vraisemblablement la dernière personne à avoir observé la victime en vie, et dont la déposition permettait d’établir une continuité des événements, en l’occurrence circonscrite entre le moment où elle a aperçu la victime se rendre dans la partie profonde du bassin jusqu’à celui où elle a sombré, respectivement celui où la prénommée s’est aperçue qu’elle gisait au fond du bassin. S’agissant du grief de l’appréciation erronée des faits, les moyens appellatoires soulevés par les parents de la victime et par le Ministère public ont été écartés dans la mesure de leur recevabilité.
Le TF rappelle la jurisprudence portant sur les art. 12 al. 3 CP et 117 CP. Il développe la jurisprudence nourrie rendue s’agissant du devoir de diligence relatif à la sécurité et à la surveillance des installations de bains publics et rappelle le principe suivant : « Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de souligner, dans sa jurisprudence, qu’il appartient à l’exploitant d’une piscine publique de permettre à l’usager d’utiliser les installations mises à sa disposition sans qu’il en résulte un préjudice pour sa santé ou son intégrité corporelle. Il lui incombe de prendre toutes les mesures raisonnables et nécessaires commandées par les circonstances pour lui assurer la sécurité voulue. Outre de la sécurité des installations elles-mêmes (normes de construction, qualité de l’eau, etc.), les mesures de sécurité requises concernent également la surveillance des usagers, en particulier aux endroits les plus dangereux (bassins, plongeoirs, etc.). Celle-ci revêt un caractère essentiel et implique, de la part du gardien, une attention soutenue, depuis le bord ou à proximité de la piscine, à l’égard de tout acte ou événement insolite ou pouvant présenter un danger, pour autant qu’il soit perceptible. Le gardien doit ainsi être en mesure d’intervenir de façon immédiate dès qu’une anomalie ou un danger lui est signalé par toute personne l’ayant perçu. Il incombe à l’exploitant, respectivement au gardien, d’interdire les bousculades, de veiller à ce que les baigneurs ne se poussent pas à l’eau et de s’assurer que celui qui tombe dans un bassin sait bien nager. Le Tribunal fédéral a toutefois considéré que la diligence à observer dans la surveillance ne peut pas raisonnablement porter sur tous les actes des usagers, même lorsqu’ils se trouvent dans l’eau. Il n’appartient pas au gardien de vérifier que chaque baigneur reste en surface, ou s’il est sous l’eau, qu’il remonte à temps. Le risque lié à l’usage normal de l’eau, ou à son usage apparemment normal, doit être assumé par le nageur lui-même ou par ceux qui ont une autorité directe sur lui. L’exploitant, respectivement le gardien, n’est tenu d’intervenir que si le risque encouru se concrétise ».
Aux considérants 4.2, 4.3 et 4.5 de l’arrêt, le TF se penche sur le cas d’espèce. Il retient qu’il est constant que les intimés aient été mis en cause pour diverses omissions au niveau de l’organisation et de la mise en œuvre des mesures de surveillance de l’installation de bains. Dès lors que B. était le supérieur direct de C. et que sa tâche dans l’organisation interne était d’assurer la surveillance et l’ordre par des personnes qualifiées, le TF retient que la cour cantonale a considéré à juste titre que la position de garant du premier à l’égard des utilisateurs de la piscine ne souffrait aucun doute. Il en va de même en ce qui concerne le second, en sa qualité de maître-nageur affecté à la surveillance de l’installation. Sur cette base, la question litigieuse est celle de savoir s’il y a en l’occurrence matière à leur imputer des manquements au niveau de la surveillance, que ce soit en termes d’organisation ou en ce qui concerne sa mise en œuvre effective, et, dans l’affirmative, si les éventuels manquements constatés ont joué un rôle causal par rapport au décès de la victime (c. 4.2).
A cet égard, la cour cantonale a relevé, en substance, que B. avait mis à disposition des usagers une installation exempte de défaut, notamment en ce qui concerne la qualité de l’eau et l’hygiène. Il avait également voué l’attention nécessaire au choix du surveillant, à savoir C., qui disposait des qualifications et des compétences requises. Le premier avait attiré l’attention du second sur son « plus grand souci », soit le respect des normes. Tous deux avaient ainsi évoqué les dispositions en la matière. La cour cantonale en a conclu que B. s’était en ce sens conformé aux obligations de l’exploitant. S’agissant de la surveillance en tant que telle (cf. art. 10 ss VHF), la cour cantonale a considéré que la présence d’un seul gardien était en principe suffisante, compte tenu de la fréquentation relativement peu importante de l’installation et du fait qu’elle ne comportait qu’un seul bassin. Elle a également jugé que, depuis sa position de surveillance principale, C. disposait d’une vue d’ensemble du bassin, à l’exception de l’escalier d’accès situé au nord-ouest, dans sa partie peu profonde. Un pas de côté lui permettait également de couvrir cet endroit. Depuis la « loge de surveillance », il disposait également, suivant sa position, d’une vue sur la zone présentant un danger accru, soit en deçà de la ligne peinte en noir. En outre, le prénommé se déplaçait régulièrement et effectuait des tournées de contrôle qui lui permettaient de changer d’angle de vue et bénéficiait de surcroît, en sus du contact visuel, d’un contact acoustique qui lui avait en l’occurrence permis d’intervenir immédiatement lorsque l’alerte avait été donnée, en empruntant la porte qui, du local d’accueil, donnait sur le bassin, situé à moins de 2 m. La cour cantonale en a conclu que, sous cet angle, la surveillance était organisée conformément aux règles de l’art.
La cour cantonale a en revanche considéré que la tâche relative à l’accueil des usagers (y compris le contrôle des laissez-passer et l’encaissement des entrées) également assumée par le maître-nageur, bien que marginale, était de nature à détourner son attention, ponctuellement et pour une très courte durée, de la surveillance des baigneurs. Elle impliquait un court laps de temps durant lequel C. ne veillait pas à la sécurité des usagers. La cour cantonale a dès lors considéré qu’en l’absence de mesures destinées à pallier ces interruptions de la surveillance, les intimés avaient violé leur devoir de prudence (cf. art. 16 VHF) sur ce point particulier. Elle n’en a pas moins considéré que cette violation du devoir de prudence n’avait pas joué de rôle causal dans le déroulement du drame, eu égard, en particulier, au fait qu’aucun comportement insolite ou dangereux justifiant une attention soutenue du gardien à l’égard de la victime n’avait été constaté, mais aussi dans la mesure où il n’avait pas pu être établi que C. était occupé à cette tâche d’accueil au moment précis où la victime avait coulé. Au surplus, aucun manquement ne pouvait être imputé au gardien une fois l’alerte donnée, sachant qu’il est intervenu immédiatement, a ramené le corps de la victime à la surface et a pratiqué une assistance cardiaque et respiratoire jusqu’à l’arrivée des secours héliportés. La cour cantonale a enfin rappelé que l’origine de la noyade n’avait pas pu être déterminée, en ajoutant que l’on ignorait si la victime avait sombré subitement et sans lutte contre l’eau à la suite d’un malaise. Elle en a conclu que les intimés devaient être acquittés (c. 4.3).
Le TF rappelle que si la jurisprudence rendue a souligné l’importance de la surveillance des installations de bains et la rigueur qui devait y être associée, elle n’en a pas moins défini des limites claires, en premier lieu par rapport à la surveillance en tant que telle, en soulignant qu’elle ne pouvait raisonnablement porter sur tous les actes des usagers, et en second lieu par rapport au fait que le risque lié à l’usage normal de l’eau relève d’abord et avant tout de la responsabilité individuelle du nageur lui-même ou de ceux qui assument un devoir de garde ou de protection à son égard. Ces éléments sont du reste explicitement repris par les normes VHF, auxquelles la cour cantonale s’est référée, et qui font elles aussi figurer la responsabilité propre des usagers ou de ceux à qui en incombe la garde parmi les premières règles en la matière (cf. art. 3 à 5 VHF). Sur ce point, la cour cantonale n’a d’ailleurs pas manqué de relever que C. avait expressément attiré l’attention de l’oncle de la victime sur la nécessité d’avoir constamment les enfants à l’œil.
En ce qui concerne l’organisation de la surveillance, le TF retient que la cour cantonale a considéré à juste titre que la taille et la fréquentation somme toute modestes de l’installation permettaient d’admettre, en principe, que la présence d’un seul gardien était suffisante (cf. ATF 113 II 424 c. 1c [présence d’un gardien pour une piscine enregistrant quotidiennement une cinquantaine d’entrées] ; cf. aussi art. 14 VHF), puisqu’il est en l’occurrence question d’une installation ne comportant qu’un seul bassin de 18 m 60 par 10 m pour 2 m 80 de profondeur au maximum, fréquenté en moyenne quotidienne par une trentaine de personnes durant les six à sept heures d’exploitation. La motivation cantonale ne prête pas non plus le flanc à la critique s’agissant du lieu d’où la surveillance était exercée, sachant qu’il a été retenu de manière à lier le TF (art. 105 al. 1 LTF) que C. l’exerçait principalement depuis la porte de sa loge, qu’il était en mesure d’y observer le bassin dans sa presque totalité, qu’il avait vue sur la partie profonde du bassin depuis la loge elle-même, qu’il se déplaçait régulièrement et qu’en sus du contact visuel, le contact auditif était également assuré. On ne saurait davantage reprocher à la cour cantonale d’avoir retenu que le prénommé était attentif aux baigneurs. En l’absence de comportement insolite ou dangereux, elle était fondée à considérer que ce dernier n’avait pas à porter une attention accrue sur la victime. Au demeurant, face à un accident de ce type, on ne saurait déduire un manque d’attention du seul fait que le gardien n’a pas vu la victime avant qu’elle sombre, sauf à verser dans un raisonnement circulaire consistant à retenir un manque de diligence du fait même de la survenance d’un accident. Il n’est de surcroît pas établi que la victime serait, après avoir sombré sans que personne ne s’en aperçoive, demeurée immergée de longues minutes, ce qui aurait certes pu constituer une circonstance insolite. Toutefois, à défaut d’un tel constat, on ne peut donc rien reprocher à C. sous cet angle. Son comportement une fois l’alerte donnée n’est pas non plus en cause.
S’agissant enfin de la question de l’interruption de la surveillance liée à l’accueil des usagers (cf. art. 16 VHF), au contrôle des laissez-passer et à l’encaissement des entrées également assumés par C., le TF admet avec la cour cantonale que cette situation impliquait, de manière générale, un court laps de temps durant lequel le prénommé ne veillait pas à la sécurité des baigneurs. Il est constant également qu’aucune mesure spécifique n’a été prise, ni par C. ni par son supérieur B., pour pallier cette situation. La cour cantonale a donc retenu, en soi à juste titre, une violation par omission du devoir de prudence imputable à ces derniers. Mais au final, s’agissant de l’éventuelle causalité hypothétique entre le manquement retenu et le décès de la victime, le TF a retenu qu’il était certes établi que le maître-nageur encaissait une finance d’entrée au moment où l’alerte a été donnée, mais qu’il n’a pas été établi qu’il accomplissait une telle tâche lorsque la victime a sombré, sachant que le moment précis auquel cela s’est produit n’a pas pu être établi. Ainsi, il n’a pas pu être retenu la très grande vraisemblance exigée par la jurisprudence pour considérer un lien de causalité hypothétique entre l’omission concrètement imputée aux intimés, à savoir l’absence de mesures destinées à pallier les brèves interruptions de la surveillance, liées à l’accueil des usagers et le décès de la victime. Et le TF de préciser que la simple possibilité que des mesures idoines l’eussent empêché ne suffit pas. Il confirme donc l’acquittement de l’exploitant de la piscine et de son maître-nageur.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne


TF 4A_72/2021 du 28 septembre 2021
Assurances privées; assurance RC professionnelle, interprétation, étendue de la couverture d’assurance, clause insolite; art. 33 LCA; 2 et 8 CC
Le litige porte sur l’interprétation d’une clause contractuelle d’assurance entre une société financière (la recourante) et son assurance responsabilité professionnelle, qui a refusé d’entrer en matière sur la demande d’indemnisation de la recourante. La cour cantonale l’avait préalablement déboutée, faute pour celle-ci d’avoir été en mesure de démontrer la survenance d’un cas d’assurance (c. 6.1).
Le TF rappelle la règle d’interprétation des contrats selon le principe de la confiance. Il convient, en premier lieu, de procéder à une interprétation selon les termes convenus en fonction du contexte et des circonstances de la conclusion du contrat et non sur la base d’éléments isolés. Il est généralement présumé que les parties conviennent d’en faire une application raisonnable et appropriée (c. 6.3.1).
En droit de la responsabilité civile, il ne suffit pas d’inférer qu’une créance en responsabilité résulte de manière générale de l’activité commerciale assurée pour en déduire un droit de couverture assurantiel. Il faut également un lien de causalité entre la fourniture de service dans le cadre de l’activité commerciale définie et la responsabilité civile qui en découle. Dans le cas d'espèce, le TF retient que la clause litigieuse comporte trois conditions : (i) un dommage résultant de prétentions formulées par des tiers contre le preneur d’assurance, au titre de la responsabilité civile ; (ii) la responsabilité civile doit résulter des activités et services prévus dans le contrat d’assurance ; et (iii) ces activités doivent être en lien avec l’activité commerciale de l’assuré. Le TF considère que de telles conditions sont habituelles et claires (c. 6.3.2).
Dès lors que l’application des conditions discutées mènent à un résultat clair, qui ne fait subsister aucun doute, la recourante ne saurait se prévaloir de la clause de règle insolite (c. 6.3.4).
En matière de couverture et de limitation des risques, dans le cadre de contrats d’assurance, le TF procède à une dichotomie. La première est dite « limitation primaire » et dépend d’une description positive du risque. Dans ce cas, le fardeau de la preuve incombe au preneur d’assurance, qui doit prouver que le dommage allégué entre dans le champ d’application de la couverture d’assurance, mais il lui appartient également de démontrer le lien de causalité entre le service ou l’activité définie contractuellement et les prétentions en responsabilité civile formulées à son encontre, respectivement le dommage. La seconde limitation est dite « limitation secondaire » et consiste à énumérer de manière négative des événements ou des situations expressément exclus du contrat. Dans ce dernier cas de figure, c'est à l'assurance de prouver le cas d'exclusion (c. 6.4.1).
L’art. 33 LCA concrétise la règle de la clause insolite et ne trouve application qu’en cas de résultat d’interprétation ambigüe ou équivoque, ce que la recourante n’a pas été en mesure de démontrer (c. 6.4.2).
Il appartient au preneur d’assurance de faire valoir de manière suffisamment étayée le lien de causalité nécessaire entre les prestations fournies et le dommage allégué de responsabilité civile, sous peine de voir ses prétentions refusées (c. 7.1).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 6B_138/2021 du 23 septembre 2021
Responsabilité aquilienne; omission, faute, causalité; art. 125 et 219 CP
Un étudiant de 15 ans, interne dans un collège privé, est rentré dans l’établissement un vendredi soir vers 20h, dans un état laissant soupçonner une alcoolisation. L’éthylotest auquel l’avait soumis le maître de l’internat avait révélé une alcoolémie de 1.4 o/oo, de sorte qu’il avait averti l’étudiant qu’il en informerait sa famille. Le jeune homme avait alors regagné sa chambre où il devait préparer ses affaires pour le week-end. Un peu plus tard, un autre élève et le maître de l’internat, alerté par le premier qui avait constaté que la chambre était verrouillée, avaient découvert que l’étudiant alcoolisé s’était jeté par la fenêtre. Il y avait aussi du sang sur le balcon. L’étudiant avait déjà eu des épisodes d’alcoolisation aux dires de deux autres étudiants et était en conflit avec sa famille, particulièrement avec son père, ce qui expliquait son inquiétude que ce dernier fût mis au courant de son état. Le malheureux, tombé de 15 mètres, a présenté de graves séquelles.
Le lésé a recouru jusqu’au TF contre une ordonnance de non entrée en matière rendue par le MP, qui estimait qu’aucune infraction ne pouvait être reprochée au maître d’internat. Après avoir rappelé les conditions de l’art. 219 CP (supposant notamment une mise en danger concrète, mais non forcément une atteinte à l’intégrité corporelle), le TF a admis que le maître d’internat occupait une position de garant au sens de la disposition précitée, ainsi que de l’art. 125 CP, le lésé ayant été blessé. Le TF a aussi rappelé la notion de négligence découlant de l’art. 12 CP. Ainsi il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l’auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. Il faut que l’auteur ait, d’une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d’autre part, il n’ait pas déployé l’attention et les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir. Une des conditions essentielles pour l’existence d’une violation d’un devoir de prudence, et partant, d’une responsabilité pénale fondée sur la négligence, est la prévisibilité du résultat. Pour l’auteur, le déroulement des événements jusqu’au résultat doit être prévisible, au moins dans ses grandes lignes. C’est pourquoi il faut commencer par se demander si l’auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique la règle de la causalité adéquate. Le comportement incriminé doit être propre, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à produire ou à favoriser un résultat du type de celui qui est survenu. La causalité adéquate ne doit être niée que lorsque d’autres causes concomitantes, par exemple la faute d’un tiers, un défaut de matériel ou un vice de construction, constituent des circonstances si exceptionnelles qu’on ne pouvait s’y attendre, de telle sorte qu’elles apparaissent comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amender et notamment le comportement de l’auteur.
En l’occurrence, le TF a confirmé le bien-fondé de l’ordonnance de non entrée en matière. Vu les circonstances de fait (vidéosurveillance montrant le comportement auto-agressif de l’étudiant avant qu’il ne se jette dans le vide : va-et-vient de la chambre au balcon en prenant des repères, signes religieux, attente avant de sauter, couteau retrouvé avec du sang sur le balcon…), il était acquis qu’il ne s’agissait pas d’un accident mais d’un acte auto-agressif que rien ne laissait supposer. Ainsi, il n’y avait aucun indice par le passé lors des précédents états d’ivresse que l’étudiant agirait de cette manière. Il n’y avait eu aucune manifestation de colère ou de révolte ni encore de menace de se supprimer ou d’attenter à son intégrité corporelle si ses parents apprenaient sa consommation d’alcool. Son isolement prolongé dans sa chambre n’était pas de nature à susciter de crainte particulière pour sa sécurité, puisqu’il était censé regagner sa chambre pour préparer ses bagages pour le départ en week-end. Vu l’ensemble des circonstances, un défaut de surveillance ne pouvait être imputé au maître d’internat. Par ailleurs, l’intention auto-agressive du recourant, pour n’avoir pas été reconnaissable avant qu’il ne se rende dans sa chambre, aurait de toute manière rompu le lien de causalité entre cette éventuelle carence et le saut par-delà le balcon : comme le maître d’internat ne pouvait pas anticiper un comportement auto-agressif jamais manifesté par le passé (absence du moindre indice), alors que l’étudiant avait en plus pu malgré son alcoolisation revenir au collège, s’entretenir avec le maître d’internat, se soumettre à l’éthylotest, se confier à des camarades et rejoindre sa chambre, le lien entre l’alcoolémie du recourant et un geste auto-agressif, commis dans cet état, n’allait pas de soi. La notion de causalité adéquate n’avait donc pas été violée par la cour cantonale, de sorte que la question de savoir si la cour cantonale pouvait également exclure toute violation des devoirs de prudence pouvait rester ouverte, l’application de l’art. 219, voire 125 CP étant déjà exclue dans cette mesure.
Enfin, en l’absence de toute autre perturbation dans le comportement de l’étudiant, l’établissement scolaire n’avait pas failli à ses devoirs de prendre des mesures de sécurité qui s’imposent face à un danger en ne lui offrant pas un soutien thérapeutique, même s’il avait déjà été alcoolisé par le passé. En effet, le collège avait prévenu ses parents et mis en place un suivi particulier du recourant, à fréquence hebdomadaire. L’établissement scolaire n’était donc pas resté passif par rapport à la problématique de l’alcoolisation du recourant, étant par ailleurs relevé que la consommation d’alcool en soirée ne constitue pas encore une situation absolument exceptionnelle chez un adolescent.
Note de la soussignée :
Selon moi, le TF mélange dans cet arrêt les notions de négligence et de causalité adéquate. L’on rappellera en effet que, selon la doctrine et la jurisprudence, pour savoir si un fait est la cause adéquate d’un préjudice, le juge procède à un pronostic rétrospectif objectif : se plaçant au terme de la chaîne des causes, il lui appartient de remonter du dommage dont la réparation est demandée au chef de responsabilité invoqué et de déterminer si, dans le cours normal des choses et selon l’expérience générale de la vie humaine, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles, le cas échéant aux yeux d’un expert. La jurisprudence a précisé que, pour qu’une cause soit généralement propre à avoir des effets du genre de ceux qui se sont produits, il n’est pas nécessaire qu’un tel résultat doive se produire régulièrement ou fréquemment. L’exigence du caractère adéquat ne doit pas conduire à ne prendre en considération que les conséquences d’un accident qui sont habituellement à prévoir d’après le déroulement de l’accident et ses effets sur le corps humain. Il convient bien plutôt de partir des conséquences effectives et de décider rétrospectivement si et dans quelle mesure l’accident apparaît encore comme leur cause essentielle. Si un événement est en soi propre à provoquer un effet du genre de celui qui s’est produit, même des conséquences singulières, c’est-à-dire extraordinaires, peuvent constituer des conséquences adéquates de l’accident. Ce n’est précisément pas la prévisibilité subjective mais la prévisibilité objective du résultat qui compte (arrêt du 31 octobre 2003 5C.125/2003 c. 4.1 et 4.2 et références citées dont ATF 119 Ib 334 c. 5b, 112 II 439 c. 1d, ATF 112 V 30 c. 4b. DESCHENAUX/STEINAUER, La responsabilité civile, Berne 1982, N 33 s.). Le juge n’a ainsi pas à se demander si l’auteur aurait pu ou dû prévoir l’effet constaté : la prévisibilité (ex ante) ne peut jouer de rôle qu’en relation avec la faute (WERRO, La responsabilité civile, Berne 2017, 3e éd., N 264).
Dans le cas jugé, je suis d’avis que le TF aurait objectivement dû retenir, en tout cas dans une première phase, l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’atteinte à l’intégrité corporelle et le défaut de surveillance d’un étudiant alcoolisé en conflit avec sa famille, même s’il ne s’agissait pas d’un accident mais d’un acte auto-agressif. En effet, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, une telle conséquence demeure dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles. En particulier, un acte d’auto-agression paraît de manière générale être favorisé par les effets désinhibiteurs de l’alcool couplés à un mal-être général (conflit avec la famille et le père, antécédents d’alcoolisation avec suivi de l’étudiant), de sorte qu’objectivement le défaut de surveillance/d’attention du maître de l’internat vis-vis de l’étudiant est en relation de causalité adéquate avec le résultat qui est survenu. Autre la question de savoir si, dans une deuxième phase, l’acte d’auto-agression, comme faute concomitante de l’étudiant, a rompu le lien de causalité adéquate entre l’omission du maître d’internat et le résultat qui est survenu. Le TF l’affirme en indiquant que la Cour cantonale n’a pas méconnu la notion de causalité adéquate (c. 4.3 i.f.), mais en confirmant une analyse se rapportant non pas à la notion de causalité adéquate (absence totale d’examen dans le cas particulier des conditions de la causalité adéquate, puis dans un second temps des conditions de la rupture du lien de causalité, à savoir faute grave et prépondérante de la victime reléguant à l’arrière-plan l’omission de l’auteur), mais en basant tout son raisonnement sur l’absence de possibilité de prévisibilité subjective et ex ante des faits par l’auteur (c. 4.2 et 4.3), et en concluant que l’on peut laisser la question de la violation des devoirs de prudence ouverte (c. 4.3 i.f.).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

ATF 147 V 470, TF 9C_612/2020 du 22 septembre 2021
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, liste des spécialités (LS), caractère économique; art. 65b et 65d OAMal
Dans le cadre de la comparaison du caractère économique avec d’autres médicaments selon l’art. 65b al. 2 let. b OAMal, le TF a précisé ce qu’il fallait entendre par la même « gamme » de médicaments (cf. TF 9C_710/2020 du 10 août 2021 destiné à publication et résumé dans la Newsletter du mois d’octobre 2021). Par « gamme », il faut entendre notamment les différents dosages et tailles d’emballage d'un même médicament (même principe actif, composition essentiellement identique, indications identiques et informations sur le médicament concordantes, notamment même recommandation de dosage). En vertu de l’art. 65d al. 3 OAMal, le TF a ainsi admis un recours et renvoyé le dossier à l’OFSP, en reconnaissant que rien ne permettait d’interdire la comparaison, dans leur plus petit emballage, entre des comprimés filmés (« Filmtabletten ») et des gélules (« Kapseln »), selon le chiffre 4.7 des Instructions concernant la Liste des spécialités.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_339/2021 du 21 septembre 2021
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières maladie; art. 9 LCA; 243 al. 2 let. f et 247 al. 2 let. a CPC
Le directeur d’une Sàrl s’était assuré en septembre 2010 en perte de gain maladie (collective) pour un salaire fixe de CHF 90’000.- par année. En juillet 2011, il a annoncé à son assurance une incapacité de travail de 100 % débutant le 4 mai 2011. Avec effet au 1er mai 2012, l’assuré a été licencié de la Sàrl pour des raisons « économiques et de santé ». L’assurance a nié tout droit de l’assuré à des indemnités journalières pour perte de gain, en raison à la fois de l’art. 9 LCA et d’une interruption de couverture. Le litige porte donc principalement sur la question de savoir si c’est à bon droit que l’assurance perte de gain maladie s’est prévalue de l’art. 9 LCA (nullité du contrat), en d’autres termes si le sinistre était déjà survenu avant la conclusion du contrat en raison d’une maladie chronique des intestins diagnostiquée précédemment (« Pancolitis Ulcerosa »).
Lorsqu’il s’agit d’une assurance maladie, il convient de considérer que la maladie constitue le risque pour lequel une telle assurance est conclue. L’apparition de symptômes d’une maladie préexistante, respectivement la rechute d’une telle maladie, n’est pas considérée par la jurisprudence du TF comme une maladie indépendante, mais comme la continuation d’une maladie préexistante déjà survenue, en d’autres termes comme un risque déjà survenu au sens de l’art. 9 LCA (cf. ATF 127 III 21). A la suite des critiques émanant de la doctrine, le TF a relativisé cette jurisprudence à l’ATF 142 III 671.
En l’espèce, l’instance cantonale a estimé que la cause de l’incapacité de travail résidait bien dans la Pancolitis Ulcerosa diagnostiquée déjà en 2009. Il s’agissait d’une maladie chronique, pour laquelle l’assuré avait déjà été, en 2009, hospitalisé et incapable de travailler. Cette maladie et le traitement n’avaient, cependant, pas été signalés dans le questionnaire de santé rempli en 2010 auprès de l’assurance perte de gain par l’assuré. L’assuré fait valoir qu’il n’y avait pas de comparaison entre les fortes poussées de cette maladie (Pancolitis Ulcerosa), réellement diagnostiquée selon lui en mai 2011 seulement, et les premiers symptômes apparus précédemment. Au moment de la poussée de mai 2011, l’assuré fait valoir qu’il travaillait à plein temps et de manière indépendante. L’assuré se prévaut également de la nouvelle jurisprudence du TF (ATF 142 III 671) et soutient, dès lors, que doit être assurée l’apparition d’une incapacité de travail, indépendamment de la véritable maladie sous-jacente. De plus, il se prévaut de troubles supplémentaires, débordant du tableau clinique initial.
De l’avis du TF, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a considéré que l’assuré avait déjà, avant la conclusion du contrat, souffert à plusieurs reprises de Pancolitis Ulcerosa et qu’il avait été hospitalisé pour cela, tout en admettant qu’une hospitalisation englobait forcément une incapacité de travail, à tout le moins pour un séjour stationnaire en hôpital, même si elle n’avait alors pas formellement été attestée. Au passage, le TF précise que l’instruction et la mise en œuvre des preuves ne servent pas à combler les défauts d’allégation ou l’absence de « substantification », mais qu’au contraire les preuves nécessitent au préalable une allégation suffisante. Qu’il s’agisse de la procédure simplifiée soumise à la maxime inquisitoire (sociale), par application des art. 243 al. 2 let. f et 247 al. 2 let. a CPC, n’y change rien, car le juge ne doit aider les parties qu’avec un questionnaire plus approprié, d’autant plus lorsque la partie en question est représentée par un avocat. De la même manière qu’en procédure civile ordinaire, ce sont les parties qui doivent « alimenter » le procès.
En l’espèce, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a admis une incapacité de travail, à tout le moins partielle, ayant débuté avant la conclusion du contrat, même si certains certificats médicaux du médecin traitant semblaient indiquer un début d’incapacité de travail postérieur. Par conséquent, c’est à bon droit que l’art. 9 LCA a été appliqué dans le cas d’espèce et la couverture refusée.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion

TF 9C_614 et 615/2020 du 15 septembre 2021
Assurance-vieillesse et survivants; arriérés de cotisations pour des chauffeurs de taxi; art. 12 LAVS; 41bis al. 1 RAVS
La Caisse de compensation du canton de Zurich a réclamé à l’entreprise A. le paiement des charges sociales pour les années 2013 à 2016, avec intérêts moratoires, en lien avec huit chauffeurs de taxi considérés comme ses employés et donc qualifiés de travailleurs dépendants. Le Tribunal cantonal des assurances sociales a confirmé la décision de la Caisse, après avoir invité les chauffeurs de taxi à participer à la procédure et avoir tenu une audience publique, à laquelle les chauffeurs n’ont toutefois pas participé.
Sur recours de A., le TF confirme la décision de la Caisse. Il rejette le grief de A. concernant l’absence des chauffeurs de taxi à l’audience publique. Ce grief d’ordre procédural aurait dû être invoqué par A. dès que possible, soit dès le jour de l’audience, pour être recevable conformément au principe de la bonne foi (c. 3). A. a également échoué à remettre en question le statut de travailleurs dépendants de certains chauffeurs (c. 5.1). Finalement, selon le TF, la méthode de fixation des cotisations sociales de la Caisse ne prête pas le flanc à la critique, compte tenu des informations dont celle-ci disposait. A n’a d’ailleurs pas plaidé que le montant de CHF 3’000.- par mois pris comme base de calcul pour la fixation des cotisations aurait été surévalué (c. 5.2).
Le recours parallèle interjeté par l’un des chauffeurs concernés a été rejeté pour les mêmes motifs.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

ATF 147 V 423, TF 9C_132/2021 du 15 septembre 2021
APG COVID; indemnités pour indépendants, cas de rigueur; art. 6 et 10a O 2 COVID-19; 2 al. 3 et 3bis O APG COVID-19
La réglementation prise par le Conseil fédéral pour indemniser les personnes de conditions indépendantes pour les conséquences économiques de la crise sanitaire de la COVID-19 est exhaustive. Elle distingue entre les personnes indépendantes directement touchées par la fermeture de leur entreprise ou l’interdiction des manifestations qu’elles organisent, et les personnes indépendantes indirectement touchées, dont l’activité pouvait certes se poursuivre mais dont le travail, et donc les revenus, étaient néanmoins affectés par la pandémie (cas de rigueur). Dans ce cas, le Conseil fédéral a décidé de limiter le droit à une indemnisation aux personnes dont les revenus, en 2019, s’étaient élevés à un montant compris entre CHF 10’000.- et CHF 90’000.-. Il n’y a donc pas de lacune, contrairement à ce dont se prévalait la recourante, médecin dont l’activité avait été limitée aux actes urgents (c. 4.2 et 4.3).
La différence de traitement opérée entre les personnes dont l’activité a été totalement empêchée et celles dont elle n’a été que partiellement réduite, même dans une proportion importante (90 % en l’espèce) est justifiée (c. 5.3.1-5.3.3). Les effets de seuil induits par des limites de revenus sont un mécanisme bien connu de l’administration de prestations, en particulier des assurances sociales ; les limites de revenu fixées par le Conseil fédéral ne sont donc pas arbitraires (c. 5.3.4). La différence de traitement avec un médecin salarié occupant une position assimilable à celle de l’employeur, qui a pu toucher une indemnité de CHF 3'320.- dans le cadre des RHT, est également justifiée dès lors que contrairement au médecin indépendant, le médecin salarié a cotisé à l’assurance-chômage (c. 5.3.5). La liberté économique n’est pas non plus touchée (c. 5.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


ATF 147 V 450, TF 9C_625/2020 du 10 septembre 2021
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, soins de longue durée, financement résiduel, part cantonale, économicité; art. 25a al. 5 LAMal
Dans le cadre du financement résiduel des soins, la corporation publique, déterminée selon les dispositions cantonales applicables, peut examiner le caractère économique des prestations fournies, conformément aux principes généraux applicables dans le domaine de l’assurance obligatoire des soins (art. 32 ss LAMal). En d’autres termes, il n’existe pas un droit absolu pour le fournisseur de prestations à la prise en charge de la totalité des coûts. Seuls doivent être couverts par la collectivité publique les coûts respectant le caractère économique des prestations.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_278/2021 du 8 septembre 2021
Assurance-vieillesse et survivants; calcul des cotisations, revenu après la retraite, franchise de cotisation, art. 8 ss LAVS; 6quaterRAVS
Un avocat à la retraite (B.) a été payé par une association (A.) dont il est l’unique membre de la direction. La caisse de compensation a qualifié le montant versé de salaire et a prélevé des cotisations sur ce dernier (sous déduction de la franchise de cotisation de CHF 16’800.- par an). A. et B. ont tous deux recouru contre cette décision ainsi que contre la décision du Tribunal des assurances sociales zurichois.
Le TF relève que la franchise de cotisation pour le revenu des personnes ayant atteint l’âge de la retraite au sens de l’art. 6quater RAVS doit être imputée séparément sur le revenu provenant d’une activité indépendante et sur le revenu provenant d’une activité dépendante si l’assuré(e) dispose de revenus qui proviennent de ces deux catégories (c. 2.1).
Par conséquent, le motif des versements de l’association au membre unique de sa direction doit nécessairement être examiné en l’espèce. Les relations contractuelles qui lient les parties constituent un indice mais elles ne peuvent toutefois pas être l’élément déterminant pour distinguer un revenu dépendant d’un revenu indépendant (c. 2.2). Selon le TF, il n’y a pas de raison de s’écarter de la distinction du droit fiscal. Même si les caisses de compensation ne sont pas tenues par les déclarations d’impôts, elles statuent généralement sur cette base et ne procèdent à une investigation que lorsque les déclarations d’impôts semblent raisonnablement erronées (c. 2.3).
En espèce, la caisse de compensation a accepté pendant des années que B. déclare le revenu qu’il percevait de l’association comme un revenu provenant d’une activité indépendante et qu’il paie des cotisations sociales comme indépendant. Partant, avant de rendre sa décision, la caisse de compensation aurait au moins dû consulter le dossier de B. pour contrôler si ce dernier avait déjà payé les cotisations (c. 4.2).
En outre, le TF relève qu’il est possible de distinguer salaire (revenu perçu comme organe de l’association) et honoraires (revenu provenant d’une activité indépendante, comme p. ex. honoraires d’avocat), mais constate que le dossier est lacunaire (c. 4.5).
L’affaire est renvoyée à la caisse de compensation pour une nouvelle décision.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

ATF 147 V 441, TF 9C_42/2021 du 1 septembre 2021
Prestations complémentaires; prestation complémentaire annuelle, calcul du droit, contributions d’entretien non fixées par le juge, légalité des DPC; art. 9 al. 2 et 10 al. 3 let. e LPC; 8 OPC-AVS/AI
Conformément à l’art. 9 al. 2 LPC, le calcul du droit à la PC prend notamment en compte les dépenses et les revenus des enfants qui ont droit à une rente pour enfant de l’AVS ou de l’AI. Lorsque, comme en l’espèce, le bénéficiaire ne touche pas de rente AI, mais uniquement une allocation pour impotent (API), cette disposition ne s’applique pas (silence qualifié du législateur ; c. 3.2).
Conformément à l’art. 10 al. 3 let. e LPC, les pensions alimentaires versées en vertu du droit de la famille sont prises en compte au titre des dépenses reconnues. Selon la jurisprudence constante, seules les pensions alimentaires fixées judiciairement ou contractuellement quant au principe et au montant, de surcroît effectivement versées, peuvent être prises en considération.
Les DPC ont été modifiées au 1er janvier 2017 pour tenir compte de l’entrée en vigueur du nouveau droit de l’entretien de l’enfant. Le chapitre 3.2.7.2 traite désormais des contributions d’entretien qui n’ont pas été approuvées ou fixées par une autorité ou par le juge. Les prestations d’entretien fondées sur le droit de la famille dues et effectivement versées aux enfants (et qui n’interviennent pas dans le calcul au sens du N 3124.07) sont également prises en compte comme dépenses si elles n’ont pas été approuvées ou fixées par une autorité ou par le juge (N 3272.01). Les PC versées sur la base d’une allocation pour impotent ou d’une indemnité journalière de l’AI doivent toujours, au chapitre des dépenses, comprendre une contribution d’entretien fondée sur le droit de la famille pour les enfants mineurs et pour les enfants majeurs jusqu’à 25 ans qui n’ont pas encore achevé leur formation. Si les enfants font ménage commun avec le bénéficiaire de PC, le montant de la contribution d’entretien correspond à la différence entre le montant effectif des PC et le montant des PC qui aurait été versé sur la base d’un calcul global des PC comprenant l’enfant (N 3272.04).
Interpellé sur la légalité des N 3272.01 et 3272.04 DPC, le TF procède à leur interprétation et conclut à leur conformité avec l’art. 10 al. 3 let. e LPC, essentiellement pour des motifs relevant de l’égalité de traitement (c. 4.3). En conséquence, il y a lieu, lorsque le bénéfice des PC est octroyé en raison d’une API, de tenir compte dans le calcul du droit d’une contribution d’entretien pour les enfants mineurs faisant ménage commun avec le bénéficiaire. Le montant de la contribution d’entretien correspond à la différence entre le montant de la PC versée et le montant de la PC qui résulterait d’un calcul global avec l’enfant selon l’art. 9 al. 2 LPC (c. 5).
Le recours est admis et l’affaire renvoyée à l’organe PC pour nouvelle décision.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_117/2021 du 31 août 2021
Assurances privées; assurance perte de gain en cas de maladie, appréciation des preuves; art. 8 CC; 39 LCA
L’assuré souffre d’atteintes de nature neurologique et remet en cause l’appréciation des preuves réalisée par l’instance cantonale qui a fait prévaloir l’expertise privée commandée par l’assurance sur les avis de ses médecins traitants exerçant dans une clinique universitaire.
Une preuve est tenue pour rapportée lorsque le juge a pu se convaincre de la vérité d’une allégation. Ces principes, qui sont également applicables dans le domaine du contrat d’assurance, impliquent qu’il incombe à l’ayant droit d’alléguer et de prouver notamment la survenance du sinistre. Il arrive toutefois qu’une preuve stricte du sinistre puisse difficilement être exigée de l’ayant droit. La jurisprudence admet alors un « état de nécessité en matière de preuve » (« Beweisnot »), qui autorise un allègement des exigences dans ce domaine. Il suffit ainsi à l’ayant droit de démontrer que l’événement assuré s’est produit avec une vraisemblance prépondérante.
Une telle exception n’entre cependant pas en considération s’agissant d’une prétendue incapacité de travail qui peut, sans autre, être attestée au moyen de certificats médicaux. Dans ce domaine, les règles ordinaires en matière de preuve s’appliquent.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 9C_303 et 305/2021 du 25 août 2021
Assurance-vieillesse et survivants; conjoint indépendant n’exerçant pas durablement une activité lucrative complète; révision ou reconsidération d’une décision; exonération de l’obligation de cotiser; art. 3 al. 3 let. a et 10 LAVS; 28 et 28bis RAVS; 53 LPGA
A. (née en 1962) et B. (né en 1952) sont mariés. A. a été affiliée à la caisse de compensation comme indépendante depuis 2005 et B. n’exerce plus d’activité lucrative depuis octobre 2014. Il a atteint l’âge légal AVS de 65 ans en 2017.
La caisse de compensation a rendu des décisions relatives aux cotisations dues par A en qualité d’indépendante en octobre 2017, en octobre 2018, en janvier 2019 et en février 2020. Le 25 février 2020, la caisse de compensation a reconsidéré ses décisions pour 2015 à 2017 (art. 53 LPGA), les revenus déclarés par A. correspondant en réalité à la situation d’une personne n’exerçant pas durablement une activité lucrative complète. A. était dès lors tenue de s’acquitter de cotisations en tant que personne sans activité lucrative pour la période de 2015 à 2017. Les cotisations versées par cette dernière catégorie de personnes sont plus élevées que celles payées par une personne exerçant une activité lucrative indépendante modeste, puisqu’elles sont prélevées sur la base de la moitié de la fortune conjugale et des revenus sous forme de rente (art. 28 al. 4 et 28bis RAVS). La caisse de compensation a donc reconsidéré les décisions précitées par une décision du 25 février 2020, confirmée sur opposition le 28 avril 2020.
En parallèle, la caisse de compensation a qualifié B. de personne sans activité lucrative pour les années restantes jusqu’à l’âge de la retraite, soit de 2015 à 2017, et ses cotisations ont été calculées sur la base de la moitié de la fortune conjugale et des revenus de rentes.
A. et B. ont recouru séparément au Tribunal cantonal de Bâle-Campagne qui a annulé les décisions des 25 février et 28 avril 2020 au motif que si A. devait effectivement être considérée comme une personne n’exerçant pas durablement une activité lucrative complète, les conditions de la reconsidération n’étaient pas réalisées (art. 53 al. 2 LPGA). En parallèle, le Tribunal cantonal a considéré que B. aurait dû être exonéré de l’obligation de payer des cotisations selon l’art. 3 al. 3 let. a LAVS, à mesure que son épouse A. payait des cotisations supérieures au double de la cotisation minimale.
La caisse de compensation a formé un recours en matière de droit public devant TF contre les deux arrêts cantonaux. Selon le TF, les revenus de A. étaient si faibles qu’il n’était pas possible de conclure qu’elle payait des cotisations supérieures à la moitié des cotisations dues en tant que personnes sans activité. Un simple calcul comparatif permettait d’exclure la fixation des cotisations par ce biais. Une telle erreur dans la fixation des cotisations (supérieure à CHF 20’000.- par année) autorisait la reconsidération de ses décisions par la caisse (TF 9C_303/2021 c. 3.3.). Ainsi, B. ne pouvait, de ce fait, se prévaloir de l’art. 3 al. 3 let. a LAVS. En effet, selon la jurisprudence, le champ d’application de cette disposition ne s’étend pas aux assurés qui, comme A., réalisent un modeste revenu et sont considérés comme personnes n’exerçant pas durablement une activité lucrative complète (TF 9C_305/2021 c. 2.2.). En niant l’obligation de B. de verser des cotisations et en considérant que les décisions du 25 février et du 28 avril 2020 devaient être annulées, sans reconsidération possible, le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne a violé le droit fédéral. Les recours de la caisse de compensation ont été admis et les jugements du Tribunal cantonal annulé.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 4A_25/2021 du 24 août 2021
Responsabilité du détenteur d’animal; causalité, faits libératoires, preuve; art. 56 al. 1 CO; 8 CC
Effrayé par un engin agricole situé sur le côté de la route, un cheval attelé à un véhicule de transport de bière est pris de panique et heurte la remorque d’un vélo dans laquelle se trouvait une enfant alors âgée de cinq mois. Blessée, la victime, représentée par ses parents, ouvre une action partielle contre la brasserie, détentrice du cheval, ainsi que contre le voiturier. Le tribunal de première instance a admis l’action dirigée contre la brasserie et a rejeté celle ouverte contre le charretier. La Cour suprême du canton de Berne a admis le recours de la brasserie et a rejeté l’action partielle ; le rejet de l’action ouverte contre le voiturier n’avait en revanche pas été contesté en deuxième instance. La victime porte l’affaire devant le TF.
Après avoir rappelé les règles régissant la responsabilité du détenteur d’animaux (c. 2.1), le TF examine longuement si la preuve de l’exonération a été rapportée (c. 2.2 ss). Les juges de première instance avaient rappelé que, pour se soustraire à la responsabilité de l’art. 56 al. 1 CO, il appartenait au détenteur du cheval de prouver que le voiturier, en sa qualité d’auxiliaire, n’avait violé aucun devoir de diligence. Si cette preuve échouait, il devait alors prouver que l’accident se serait produit même si le voiturier avait agi avec la prudence à tous égards. Or, dans le cas présent, l’expert judiciaire avait laissé ouverte la question de savoir si celui-ci avait réagi correctement ; l’expert avait même vu une erreur potentielle de la part du voiturier et avait considéré qu’une violation du devoir de diligence était possible. Pour ce motif, la responsabilité du détenteur du cheval avait été admise (c. 2.4.3).
A l’opposé, les juges cantonaux ont considéré que la preuve de l’exonération avait été rapportée, rejetant dès lors l’action partielle (c. 2.5). La victime considère que, ce faisant, les juges cantonaux ont fait peser sur elle la preuve d’un manquement au devoir de diligence, alors qu’il appartenait au détenteur de l’animal d’apporter la preuve de son exonération (c. 2.6). Le TF abonde dans son sens. La preuve de l’exonération, rappelle-t-il, est soumise à des exigences strictes. Ainsi, le détenteur de l’animal ne peut se borner à soutenir qu’il a usé de l’attention habituelle ; il doit au contraire prouver qu’il a pris toutes les mesures qui étaient objectivement nécessaires et exigées par les circonstances. Si un doute subsiste sur ces circonstances disculpatoires, la responsabilité du détenteur doit être admise. Les juges cantonaux ont imposé à tort à la victime la charge d’alléguer et de prouver que le voiturier avait agi de manière appropriée ; il aurait appartenu au détenteur de prouver un comportement irréprochable de son voiturier et, ainsi, d’apporter la preuve exonératoire. S’ajoute à cela que la juridiction inférieure n’explique pas pourquoi le risque d’erreur de la part du voiturier devrait être purement théorique ; au contraire, l’expert a soulevé explicitement la question de savoir comment la bride était tenue et le cheval, retenu. Enfin, le détenteur ne peut tirer argument de l’arrêt du TF 4A_372/2019 du 19 novembre 2019 dès lors que cet arrêt ne concerne pas une question de droit, mais une objection sur les faits (c. 2.7). Il s’ensuit que le recours de la victime est admis et que le détenteur doit être condamné à lui verser le montant qui faisait l’objet de l’action partielle.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 6B_735/2020 du 18 août 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute, lésions corporelles par négligence, principe de la confiance; art. 125 CP; 26 LCR
En matière de circulation routière, le degré de diligence devant être adopté pour éviter de porter atteinte à autrui se détermine selon les règles de la loi sur la circulation routière et de ses ordonnances (c. 3.2.2). Le principe de la confiance qui découle de l’art. 26 LCR permet à un usager de la route se comportant régulièrement d’attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l’en dissuader, qu’ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c’est-à-dire ne le gênent pas ni ne le mettent en danger (c. 3.2.3). Cela vaut notamment pour l’usager d’un giratoire, à l’égard de ceux qui ne s’y sont pas encore engagés (c. 3.4.2).
Même en présence d’un trafic élevé, l’usager d’un giratoire n’est pas censé s’attendre à ce qu’un autre usager s’engage dans celui-ci d’une manière propre à lui couper la priorité. Dans ces circonstances, les lésions subies par l’usager prioritaire, dans le cadre d’une chute résultant de son freinage d’urgence, sont en lien de causalité naturelle avec l’engagement de l’autre usager dans le giratoire, même si celui-ci a en définitive stoppé son trajet si bien qu’une collision ne se serait pas produite même en l’absence du freinage d’urgence. Ne pouvant pas être certain que l’autre usager freinerait après s’être engagé sur un mètre dans le giratoire, l’usager prioritaire était à la fois en droit et obligé de prendre les précautions propres à éviter une éventuelle collision (c. 3.3.1-3).
L’usager du giratoire qui roule derrière un véhicule volumineux le cachant des usagers susceptibles de s’engager sur cet ouvrage n’est pas tenu de prendre des précautions particulières. Il appartient au contraire à celui qui entend pénétrer dans le giratoire d’attendre d’avoir une visibilité correcte après le passage dudit véhicule volumineux (c. 3.4.2).
La façon avec laquelle l’usager non prioritaire s’est engagé dans le giratoire, qui a surpris l’usager prioritaire et a amené celui-ci à modifier brusquement la conduite de son véhicule, comporte le risque d'une manipulation erronée et d’une perte de contrôle, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie. Ce lien de causalité adéquate n’est pas interrompu par une faute concomitante de l’usager prioritaire, en relation avec l’art. 31 al. 1 LCR qui impose en principe de rester constamment maître de son véhicule (c. 3.6).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat, Lausanne et Aigle


TF 9C_710/2020 du 10 août 2021
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, Liste des spécialités; art. 65b OAMal; 34f OPAS
Dans le cadre de l’évaluation du caractère économique d’un médicament, la comparaison avec d’autres médicaments selon l’art. 65b al. 2 let. b OAMal doit se faire sur la base des préparations originales figurant sur la liste des spécialités au moment du réexamen et qui sont utilisées pour traiter la même maladie (art. 34f al. 1 OPAS). Le TF confirme que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) jouit d’une grande marge d’appréciation dans le choix des médicaments qui feront l’objet de la comparaison (cf. ATF 147 V 194), par exemple en se limitant à la même « gamme » de médicaments.
Auteur : Guy Longchamp

TF 8C_115/2021 du 10 août 2021
Assurance-invalidité; salaire d’invalide, abattement, salaire statistique; art. 16 LPGA
L’objet du recours est de savoir s’il est justifié, dans le cas d’espèces, de retenir un abattement de 10 %, sur le salaire d’invalide fixé sur la base des tables statistiques ESS (c. 3.1). Le TF rappelle les règles fondamentales relatives à la jurisprudence rendue à l’aune de l’ATF 126 V 75 (c. 3.2). Il examine ensuite si les éléments invoqués par le recourant, à savoir l’âge, les limitations fonctionnelles, le travail à temps partiel, l’absence de formation professionnelle, les connaissances rudimentaires de langue allemande ou le fait d’être titulaire d’un permis C peuvent justifier une telle réduction additionnelle (c. 4).
Le TF considère que c’est à juste titre que le recourant n’a pas contesté le fait que le critère de l’âge, à lui seul, n’impliquait pas une réduction de salaire. Le TF relève que de toute façon c’est une appréciation globale qui doit être réalisée (c. 4.2). Sur la base des rapports d’expertise au dossier, le TF considère ensuite que les limitations fonctionnelles psychiatriques, néphrologiques et rhumatologiques du recourant ne se recoupent qu’en partie. Le levage, le port et le transport réguliers de charges moyennes et lourdes ne sont ainsi plus exigibles. Des activités physiquement légères à modérées par intermittence peuvent cependant toujours être effectuées mais uniquement pendant cinq à six heures par jour, soit à l’heure, soit avec un besoin accru de pauses. Ces limitations entraînent ainsi une sélection dans les activités adaptées exigibles et représentent nécessairement un désavantage sur le marché du travail. Il convient d’en tenir compte dans le cadre de l’appréciation globale des facteurs justifiant un abattement additionnel sur le salaire statistique (c. 4.2.1). Il en va de même du critère du temps partiel (c. 4.2.2.) ainsi que de l’absence de formation professionnelle et des connaissances de langues insuffisantes (c. 4.2.3).
Le TF relève en sus qu’il est effectivement statistiquement démontré, au moyen du tableau TA12 ESS 2016, que les salaires des hommes sans fonction d’encadrement sont inférieurs d’environ 3 % à la moyenne globale s’il s'agit d’étrangers titulaires d’un titre de séjour permanent (catégorie C) (c. 4.2.4). Au terme de son analyse, le TF reconnaît donc le droit à un abattement de 10 % sur le salaire statistique lequel doit en outre, contrairement à ce que la Cour cantonale avait jugé, être déterminé sur les tabelles ESS 2016, et non 2014 (c. 4.3). Le recours est admis et le recourant mis au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité, en lieu et place d’un quart de rente (c. 4.4 et 4.5).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne

ATF 147 V 369, TF 9C_716/2020 du 20 juillet 2021
Prestations complémentaires; restitution de prestations versées en main d’un tiers; montant forfaitaire de l’assurance maladie; art. 25 LPGA; 21a LPC
Pendant plusieurs années, un assuré au bénéfice d’une rente d’invalidité a perçu des prestations complémentaires. Par ailleurs, le montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins (AOS) a été versé par la caisse de compensation directement en mains de la caisse-maladie, conformément à l’art. 21a LPC. Réalisant qu’elle avait mal calculé ses prestations, la caisse de compensation a corrigé à la hausse, avec effet rétroactif, le montant de sa rente d’invalidité. La caisse de compensation a donc réclamé et obtenu de la caisse-maladie le remboursement du montant forfaitaire annuel de l’AOS. La caisse-maladie a ensuite adressé à l’assuré une facture pour le montant ainsi remboursé, à hauteur de CHF 12’960.-. La caisse de compensation en charge des prestations complémentaires a refusé d’entrer en matière sur la demande de remise présentée par l’assuré. Cette décision a été confirmée par le Tribunal administratif du canton de Berne.
Selon la jurisprudence, l’entité qui a perçu indûment des prestations uniquement en qualité d’agent d’encaissement ne peut pas avoir d’obligation de restitution au sens de l’art. 25 LPGA (c. 2.2). Par ailleurs, la remise n’entre en considération que dans la mesure où il existe pour le requérant une obligation de restituer. Sous cet angle, le TF rejette le recours, considérant qu’une remise en faveur de l’assuré, à qui aucune demande de restitution n’avait été adressée par la Caisse de compensation, n’entre pas en ligne de compte (c. 4.1).
Le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle doit être considéré comme un simple agent d’encaissement celui qui n’a pas de droit ni d’obligation en lien avec le rapport de prestations sociales. Tout comme l’art. 65 al. 1 LAMal, l’art. 21a LPC, qui prévoit le paiement direct du montant forfaitaire annuel de l’assurance obligatoire de soins en mains de l’assureur-maladie, a pour seul objectif de s’assurer que cette prestation sociale atteint effectivement son but. Dans ce contexte, la seule obligation de l’assureur-maladie est de déduire les paiements reçus de la caisse de compensation de sa créance contre l’assuré et de verser à ce dernier un éventuel excédent. L’assureur-maladie n’a ainsi pas de droits et d’obligations propres en relation avec les prestations complémentaires. Il n’intervient qu’en qualité de simple agent d’encaissement et ne peut dès lors être tenu à restitution, l’art. 2 al. 1 let. b OPGA ne lui étant pas applicable. Dès lors, le chiffre 4660.02 de la Directive concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC) est contraire au droit fédéral (c. 4.3.2 et 4.3.3).
En conséquence, le TF considère que le remboursement des prestations effectué par la caisse maladie en faveur de la Caisse de compensation doit être annulé, et admet dans cette mesure le recours de l’assuré. Il ordonne ainsi à la Caisse de compensation de rembourser les CHF 12’960.- litigieux à la caisse maladie. Cette décision rendra alors caduque la facture adressée par la caisse maladie à l’assuré.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 6B_33/2021 du 12 juillet 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute; art. 12 al. 3 CP
Une des conditions essentielles pour l’existence d’une violation d’un devoir de prudence et, partant, d’une responsabilité pénale fondée sur la négligence, est la prévisibilité du résultat. Pour l’auteur, le déroulement des événements jusqu’au résultat doit être prévisible, au moins dans ses grandes lignes. C’est pourquoi, il faut commencer par se demander si l’auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique la règle de la causalité adéquate.
L’angle mort est un facteur inhérent au mode de construction d’un véhicule et il appartient, en principe, au conducteur d’un véhicule d’en tenir compte. Il n’est ainsi pas possible d’attribuer au hasard le fait qu’un usager de la route reste caché et de rejeter sur les autres le risque lié à l’angle mort. Au contraire, le conducteur doit se préoccuper d’éliminer tous les risques d’un tel facteur. Si la vue à l’avant est limitée, qu’aucun miroir ne permet au conducteur d’observer l’angle mort et que, en raison des circonstances, celui-ci a fort à craindre que des piétons passent immédiatement devant son véhicule dans l’angle mort, il doit alors se soulever un instant de son siège et se pencher pour se procurer une visibilité suffisante. Une telle précaution peut être imposée lorsqu’il y a fort à craindre que des piétons ne passent immédiatement devant son véhicule
Traverser en dehors d’un passage pour piétons constitue certes un comportement imprudent. Il s’agit toutefois de déterminer si un conducteur d’un véhicule pouvait prévoir un tel comportement. Dans la situation où un camion de 12 mètres empiète sur un passage pour piétons, il ne paraît pas extraordinaire qu’un piéton désireux de traverser la chaussée passe juste devant le véhicule plutôt que le contourne pour emprunter le passage pour piétons sécurisé à quelques mètres. Selon le TF, un tel enchaînement des faits ne peut donc pas être considéré comme extraordinaire et imprévisible, de sorte à exclure toute causalité adéquate entre l’éventuelle violation des devoirs de prudence de la part d’un chauffeur de poids lourd et la survenance d’un accident avec un piéton. Il convient ainsi, dans ces circonstances, d’examiner le comportement du chauffeur avant et lors de l’accident et de déterminer si on peut lui reprocher d’avoir violé son devoir de prudence.
Les questions liées aux éventuelles négligences commises par les parties impliquées dans un accident, en particulier l’appréciation juridiques des faits, doivent être examinées par le juge du fond, si la situation factuelle et juridique n’est pas claire, de sorte qu’il existe un doute sur l’issue de la procédure. Le principe « in dubio pro duriore » interdit par conséquent au ministère public, confronté à des preuves non claires, d’anticiper sur l’appréciation des preuves par le juge du fond.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel


ATF 147 V 417, TF 9C_321/2020 du 2 juillet 2021
Prestations complémentaires; prestations indues, restitution, prescription, délai de l’action pénale, application aux héritiers; art. 25 al. 2 LPGA; 97 al. 1 let. b CP
C.A. a, de mars 2003 jusqu’à sa mort en avril 2016, reçu des prestations complémentaires. Après son décès, l’Office cantonal des assurances sociales du canton de Zurich a appris que C.A. détenait un compte auprès de la banque X., d’un montant de plus de CHF 1,2 millions de francs. Aux deux fils de C.A., A.A. et B.A., qui sont ses seuls héritiers légaux, et qui n’ont pas répudié la succession de leur père, ledit Office a réclamé, par décisions des 21 décembre 2016, 11 janvier 2017 et 12 septembre 2017, le remboursement de prestations complémentaires à hauteur de CHF 132’838.- pour la période allant de mars 2003 à avril 2016 et, pour la même période, le remboursement de CHF 9’754.30 de frais payés pour la maladie et l’invalidité.
A.A. et B.A. font valoir que le délai de prescription plus long du droit pénal, qui est ici de 15 ans, ne leur est pas opposable, seul l’étant celui de 5 ans, prévu par l’art. 25 al. 2, 1ère phr., LPGA. Sans quoi ils devraient, plaident-ils, payer, pour une infraction dont ils ne sont pas les auteurs, l’équivalent d’une amende, à caractère strictement personnel.
A la question de savoir si le délai de prescription plus long prévu par le droit pénal, auquel renvoie l’art. 25 al. 2, 2ème phr., LPGA, s’applique également aux héritiers de celui ou celle qui a touché des prestations indues, le TF rappelle qu’au principe cardinal de l’art. 560 al. 1 CC, selon lequel les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession dès que celle-ci est ouverte, il n’y a d’exception que pour les droits et obligations qui sont de nature strictement personnelle, comme cela est le cas pour une sanction pénale.
Or l’application du délai de prescription plus long du droit pénal selon l’art. 25 al. 2, 2èmephr, LPGA ne saurait, dit le TF, être vue comme l’équivalent d’une sanction pénale ; en effet, l’art. 25 LPGA n’a, avec la restitution qu’il prévoit à l’assurance, de prestations qui n’étaient pas dues, pas d’autre but que celui de rétablir l’ordre légal, cela dans les limites des délais de prescription prévus par l’art. 25 al. 2 LPGA. En d’autres termes, étant donné qu’il s’agit, avec l’application du délai de prescription plus long de la 2ème phrase de l’art. 25 al. 2 LPGA, d’assurer simplement la mise en œuvre effective du principe dit de légalité, et non d’infliger une sanction à celui ou celle qui a touché des prestations indues, il ne saurait y avoir là aucune violation des art. 6 et 7 CEDH. La situation qui se présente ici étant différente de celle où la CourEDH avait, dans l’affaire E.L., R.L. et J.O.-L. contre Suisse, jugé que la Suisse avait, en voulant faire payer une amende fiscale aux héritiers de la personne condamnée à ladite amende, violé l’art. 6 par. 2 CEDH.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


ATF 147 V 297, TF 9C_763/2020 du 2 juillet 2021
Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuve ou de veuf, renaissance du droit, troisième remariage; art. 23 al. 5 LAVS; 46 al. 3 RAVS
L’assurée a été veuve une première fois, puis a encore divorcé deux fois. La question qui se pose est celle de savoir si la rente de veuve relative au premier mariage renaît, étant relevé qu’il n’est pas contesté qu’une rente de veuve renaîtrait en cas d’un second mariage dissous par le divorce, dans la mesure où les conditions temporelles de l’art. 46 al. 3 RAVS seraient réunies.
Selon l’art. 23 al. 5 LAVS, le droit à une rente de veuve ou de veuf renaît en cas d’annulation du mariage ou de divorce. Le Conseil fédéral règle les détails. Quant à l’art. 46 al. 3 RAVS, il dispose que le droit à la rente de veuve ou de veuf qui s’éteint lors du remariage de la veuve ou du veuf renaît au premier jour du mois qui suit la dissolution de son nouveau mariage par divorce ou annulation si cette dissolution est survenue moins de dix ans après la conclusion du mariage.
Le TF se livre à une interprétation de ces normes selon la méthode du pluralisme. Il arrive à la conclusion que ni l’interprétation grammaticale, ni l’interprétation systématique ne permettent de parvenir à un résultat probant. En revanche, d’un point de vue téléologique et historique, on arrive à la conclusion qu’une rente de veuve ou de veuf ne peut renaître qu’après la dissolution d’un second mariage après le veuvage, mais non à la suite d’un troisième ou quatrième mariage, ou davantage encore.
Ainsi, la décision de l’autorité cantonale, qui admettait une telle solution, est annulée, l’assurée n’ayant plus de droit à une rente de veuve AVS.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


ATF 147 V 377, TF 9C_293/2020 du 1 juillet 2021
Prévoyance professionnelle; encouragement à l’accession à la propriété; art. 30d LPP
La remise à bail d’un logement qui avait été financé par un versement anticipé de la prévoyance professionnelle n’aboutit pas nécessairement à une obligation de restitution à la caisse de pensions. En l’espèce, le TF a nié l’obligation de restituer dans le cas d’une propriétaire qui, après plusieurs années d’utilisation, a loué son logement pour une durée indéterminée avec un délai de résiliation de trois mois pour chaque partie. En effet, après avoir interprété l’art. 30d LPP, les juges fédéraux sont arrivés à la conclusion que la remise à bail d’un logement n’équivalait économiquement pas à une vente, lorsque le droit de propriété n’est ni aliéné ni restreint.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 147 V 278, TF 9C_53/2021 du 30 juin 2021
APG-COVID; Indépendante, limite de revenu, revenu à prendre en considération; art. 2 al. 3bis O APG; COVID-19; 11 al. 1 LAPG; 7 al. 1 RAPG
Une masseuse indépendante dépose le 6 avril 2020 une demande en prestations pour perte de gain en lien avec le COVID auprès de sa caisse de compensation AVS. Celle-ci refuse, au motif qu’elle n’est qu’indirectement concernée et que son revenu déterminant d’indépendante n’atteint pas la limite de CHF 10’000.- par année.
La cour cantonale et le TF ne sont pas de l’avis de la caisse de compensation. Il est indiscutable que c’est l’ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 du 20 mars 2020 qui est applicable et qui sert de base à l’indemnité réclamée. Même si les ordonnances de l’administration ne lient pas les tribunaux, ceux-ci ne s’en écartent pas sans motif pertinent. En outre, il convient de prendre en compte les circulaires de l’OFAS concernant, dans le cas particulier, les mesures destinées à lutter contre le coronavirus. Il faut, cependant, faire attention à ne prendre en considération que les versions en vigueur au moment déterminant.
Afin de déterminer si la masseuse peut être qualifiée d’ayant droit, au sens de l’art. 2 al. 3bis O APG COVID-19, le TF examine si celle-ci a réalisé, par renvoi de l’art. 5 al. 2 de cette même ordonnance à l’art. 11 de la loi sur les allocations pour perte de gain (LAPG), un revenu moyen suffisant, selon les règles prescrites à l’art. 7 al. 1 RAPG. C’est donc à tort que la caisse de compensation AVS n’a pas tenu compte du revenu ayant servi de base à la taxation AVS, même si aucune décision définitive n’avait alors été rendue et même s’il ne s’agissait que d’acomptes.
En l’espèce, le revenu de la masseuse, déterminant au moment de la décision de la caisse de compensation AVS, atteint bel et bien la limite de CHF 10’000.- par année.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion


ATF 147 V 402, TF 9C_490/2020 du 30 juin 2021
Assurance-maladie; coordination UE/AELE, affiliation, droit d’option, enfants caractère irrévocable, absence de nouveau fait générateur de droit; art. 3 al. 3 let. a LAMal et 1 al. 2 let. d et 2 al. 6 OAMal; 11 ch. 3 let. a, 32 et annexe XI ch. 3 let. a R (CE) n° 883/2004
L’exercice, par le père d’une famille domiciliée en France, au moment de prendre un emploi en Suisse, de son droit d’option pour conserver sa couverture en cas de maladie en France s’étend également à ses enfants mineurs, inclus dans la demande (c. 9.2.4). Ces derniers disposent d’un droit (d’option) dérivé de la situation de leur père.
Lorsque, par la suite, la mère prend à son tour un emploi en Suisse et n’exerce pas de droit d’option, de sorte qu’elle est affiliée à l’assurance obligatoire en Suisse (LAMal) en vertu des règles usuelles de coordination, cela ne représente pas un changement de circonstances qui permettrait de revenir sur l’exercice (dérivé) du droit d’option par les enfants, qui ne peuvent ainsi être affilié à l’assurance-maladie en Suisse.
Le TF admet que l’art. 32 R (CE) n° 883/2004 n’a pas vocation à s’appliquer au cas d’espèce, dans la mesure où il traite de la question de la collision entre un droit autonome et un droit dérivé. Il complète en se ralliant à la doctrine, qui préconise, en cas de collision de droits dérivés – qui, en l’espèce, peut conduire à une double affiliation, contraire au but des règles internationales de coordination – de privilégier l’Etat de résidence comme Etat compétent.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_344 et 342/2020 du 29 juin 2021
Responsabilité aquilienne; responsabilité de l’administrateur, causalité, art. 754 CO
D’après l’art. 754 al. 1 CO, les membres du conseil d’administration répondent à l’égard de la société, de même qu’envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu’ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. La responsabilité de l’administrateur est subordonnée à la réunion des quatre conditions générales suivante : la violation d’un devoir, une faute (intentionnelle ou par négligence), un dommage et l’existence d’un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation fautive du devoir et la survenance du dommage.
Seules des circonstances exceptionnelles pourraient conduire à la conclusion que l’administrateur qui a failli à ses devoirs est exempt de faute. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que la personne recherchée ait été, au moment des faits, en état d’incapacité de discernement, dans une situation de contrainte absolue ou dans celle d’erreur inévitable sur les faits provoquée notamment par la tromperie d’un tiers. Dans ces cas, l’absence de faute ne découle pas de la comparaison avec le comportement d’un administrateur raisonnable, mais d’un comportement subjectivement excusable de l’administrateur. Le fait que l’administrateur responsable doit suivre les instructions d’un tiers ou d’un organe auquel il est subordonné n’exclut pas sa faute. Il s’ensuit que l’administrateur fiduciaire engage en principe sa pleine responsabilité. Dès lors qu’une négligence légère suffit, le degré de la faute n’est pas déterminant pour décider si la responsabilité de l’administrateur est engagée, mais il peut jouer un rôle dans la réduction de l’indemnité lorsque le responsable n’encourt qu’une faute légère (art. 43 al. 1 CO).
En l’espèce, les deux administrateurs ont objectivement violé leurs devoirs en exécutant le paiement litigieux, puisqu’au vu des spécificités de leurs fonctions et du rôle qu’ils jouaient dans l’organisation de la société suisse et du groupe, ils auraient pu déceler la supercherie dont ils ont été victimes. Elle ajoute que, même en l’absence d’une escroquerie, les administrateurs auraient violé gravement leurs devoirs en exécutant un paiement pour éviter un contrôle fiscal inopiné, ce d’autant qu’il était dissimulé par une facture inexistante portant sur des biens et des services inexistants, ce qu’ils savaient. Il s’ensuit que le recours du recourant n° 1 doit être rejeté.
Le recourant n° 2 soulève trois griefs. Premièrement, il invoque la violation de son droit d’être entendu, en ce qui concerne sa prétendue connaissance du motif fiscal du virement litigieux et son absence de contestation de l’existence d’un dommage. Deuxièmement, il se plaint d’appréciation arbitraire des faits et des preuves. Troisièmement, il soulève la violation de l’art. 8 CC et des art. 754, 759, 717 et 719 al. 1 CO, contestant le dommage, la violation fautive de ses devoirs, ainsi que la causalité dès lors que l’ordre de transfert a été modifié après qu’il l’a validé.
Sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner si le recourant n° 2 a eu un comportement gravement fautif en donnant l’ordre de transfert initial, force est de constater que l’ordre qu’il a donné n’a pas eu de suite, puisqu’il n’a pas pu être exécuté. Puisqu’il n’a pas participé aux deux modifications du SWIFT qui ont, seules, entraîné l’exécution du transfert litigieux, le dommage n’est pas en relation de causalité naturelle avec son éventuel comportement fautif. Il s’ensuit que le recours du recourant n° 2 doit être admis et l’arrêt attaqué réformé.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 6B_656/2020 du 23 juin 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; principe de la confiance, distances de sécurité; art. 26 al. 1 et 34 al. 4 LCR
En droit de la circulation routière, la portée du devoir de prudence qui incombe aux conducteurs de véhicules automobiles s’apprécie au regard du principe de la confiance (art. 26 al. 1 LCR). Selon ce principe, il existe une confiance réciproque entre les différents usagers de la route à condition que ceux-ci se comportent conformément aux règles établies en matière de circulation routière. Toute entrave aux règles de la circulation crée une situation de confusion ou de danger que les autres usagers compensent par des comportements imprévisibles. Le principe de la confiance ne peut donc être invoqué par un usager qu’à condition de s’être comporté conformément aux règles, à moins qu’il ne soit question de vérifier si une violation des règles de la circulation routière a précisément été provoquée par une violation commise par un autre usager.
Parmi les règles applicables, l’art. 34 al. 4 LCR impose en termes généraux de respecter une distance de sécurité suffisante entre les différents usagers de la route. Cette règle se concrétise selon les circonstances particulières de chaque situation, en fonction notamment de la largeur de la route, de la visibilité, de la vitesse, du trafic et de l’âge et du comportement des piétons impliqués.
En particulier, une distance de 50 cm entre un véhicule et un piéton est insuffisante si le piéton ne peut pas s’attendre au passage d’un véhicule aussi proche.
Dans le cas d’espèce, le TF considère qu’un automobilise agit avec une imprudence fautive lorsqu’il interpelle un piéton par une remarque désobligeante tout en le dépassant à une distance de 50 cm et une vitesse de 30 km/h. En effet, le conducteur devait s’attendre à une réaction du piéton, alors que la distance entre le véhicule et le piéton était suffisamment restreinte pour qu’un seul mouvement de ce dernier puisse entraîner une collision. La vitesse de 30 km/h ne laissait en outre pas le temps de freiner à temps.
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne.

ATF 147 V 342, TF 8C_721/2020 du 15 juin 2021
Assurance-chômage; période de cotisation des assurés à la retraite anticipée, motifs du licenciement; art. 13 al. 3 LACI; 12 al. 1 et 2 OACI
L’assuré A., a été licencié par son employeur avec effet au 31 juillet 2019 et a pris une retraite anticipée dès le 1er août 2019. Parallèlement, il a fait valoir son droit aux prestations du chômage dès le 1er août 2019. Ce droit lui a été refusé par la caisse de chômage, suivie par le Tribunal cantonal zurichois, au motif qu’il ne disposait pas de douze mois de cotisations postérieurs à sa retraite anticipée (art. 12 al. 1 OACI) et que l’exception de l’art. 12 al. 2 OACI n’était pas remplie, A. n’ayant pas été licencié pour des motifs économiques (c. 4.1). A. recourt au TF.
Le TF rappelle que depuis 2010, les assurés licenciés entre l’âge où le règlement leur ouvre le droit à une retraite anticipée et l’âge réglementaire ordinaire de la retraite peuvent choisir de percevoir une prestation de sortie ou des prestations de retraite (art. 2 al. 1bis LFLP).
Ici, A. a délibérément choisi de percevoir des prestations de retraite plutôt qu’une prestation de sortie (c. 5.5.3). Ceci n’exclut toutefois pas d’emblée l’application de l’art. 12 al. 2 OACI. Il ne se justifie plus de privilégier les assurés mis à la retraite anticipée pour des motifs d’ordre économique par rapport aux assurés licenciés pour d’autres motifs ne leur étant pas imputables (changement de jurisprudence, cf. ATF 129 V 327) (c. 5.5.5.4.2).
Suivant la doctrine et les directives du SECO, le TF retient que l’art. 12 al. 2 OACI doit trouver application chaque fois que la résiliation des rapports de travail n’est pas imputable à l’assuré, même si les motifs du licenciement ne sont pas d’ordre économique (c. 5.5.2, 5.5.4 et 5.5.6). Il conviendra de définir, au cas par cas, si l’employé devait envisager et avait accepté l’éventualité que son comportement conduise son employeur à le licencier (dol éventuel) (c. 6.1). En l’espèce, le licenciement, motivé par la « dynamique d’équipe », n’était pas imputable à A., quand bien même des reproches avaient pu lui être faits, en tenant compte également de l’indemnité de départ octroyée par son employeur. A. peut donc se prévaloir de l’art. 12 al. 2 OACI et bénéficier des prestations du chômage malgré sa retraite anticipée, sans avoir à remplir les conditions de l’art. 12 al. 1 OACI.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


ATF 147 V 328, TF 9C_563/2020 du 7 juin 2021
Assurance-maladie; contrôle périodique du prix des médicaments, comparaison thérapeutique; art. 65b al. 6 OAMal
Les critères d’évaluation du caractère économique d’un médicament selon l’art. 65b OAMal s’appliquent également dans le cadre du réexamen périodique du prix selon l’art. 65d OAMal, tous les trois ans. Il en va ainsi de l’art. 65b al. 6 OAMal, selon lequel les coûts de recherche et de développement ne sont pris en compte dans le cadre de la comparaison thérapeutique (TQV) qu’en présence d’une préparation originale ou dans le cas d’une préparation qui succède à une autre inscrite dans la liste des spécialités en y apportant un progrès thérapeutique. L’application de cette disposition dans le cadre du réexamen du prix tous les trois ans est conforme à la norme supérieure de l’art. 32 al. 2 LAMal, selon laquelle l’économicité est réexaminée périodiquement. Elle répond par ailleurs au souci d’éviter que des améliorations très modestes d’une préparation originale permettent de maintenir un haut niveau de prix, alors que l’efficacité de la nouvelle préparation ne diffère que légèrement de la préparation précédente.
En l’espèce, le médicament B avait été inscrit pour la première fois dans la liste des spécialités (LS) alors qu’un médicament E était déjà inscrit avec le même principe actif et les mêmes indications. Lors d’un contrôle ultérieur du prix, l’OFSP a indiqué au producteur du médicament B qu’il considérait son médicament comme une préparation subséquente. Comme elle n’apportait pas de progrès thérapeutique par rapport à la préparation originale du médicament E, l’OFSP appliquait l’art. 65b al. 6 OAMal et ne retenait pas les coûts liés au brevet dans la comparaison. Au lieu de comparer le prix du médicament B avec le prix du médicament E, l’OFSP a procédé à la comparaison avec d’autres médicaments composés de la même substance active, inscrits à des prix inférieurs, car non protégés par un brevet. Le producteur conteste cette comparaison.
Selon le TF, le fait que les deux médicaments B et E aient été développés de manière indépendante, en parallèle, avec des inscriptions en même temps sur d’autres marchés, ne change rien à la qualification de préparation subséquente du médicament B. Comme cela ressort du texte de l’art. 65b al. 6 OAMal, l’élément déterminant est l’inscription dans la LS et non une autorisation du médicament sur un marché hors de Suisse. Or, le médicament E a été inscrit dans la LS avant le médicament B.
Le TF examine ensuite si le médicament B présente un progrès thérapeutique par rapport au médicament E. S’agissant de questions médicales et pharmaceutiques, le TF examine la question avec retenue. Même si la notion de progrès thérapeutique de l’art. 65b al. 6 OAMal est moins exigeante que celle de progrès thérapeutique important de l’al. 7 (prime à l’innovation), il ne suffit pas que la préparation diffère de manière non essentielle de la précédente pour admettre cette condition. Il faut au contraire qu’une étude prouve qu’un élément modifié protégé par brevet (indication, dosage, posologie, etc.) amène un avantage en termes d’efficacité, de sécurité ou de conformité de traitement (traduction libre de « Behandlungscompliance »). Après examen des études présentées, le TF arrive à la conclusion que l’OFSP et le TAF n’ont pas abusé de leur pouvoir d’examen en niant le progrès thérapeutique dans le cas présent, faute d’étude suffisamment probante. Dans ces conditions, l’art. 65b al. 6 2e phrase s’applique et c’est à raison que l’OFSP n’a pas comparé le prix du médicament B avec le prix du médicament E, mais avec des préparations ayant le même principe actif, qui ne sont plus protégées par des brevets.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


TF 9C_525/2020 du 29 mai 2021
Assurance-invalidité; désignation d’un expert, qualification d’auxiliaire, information aux parties, valeur probante d’une expertise; art. 44 LPGA
Une rente partielle est accordée à un assuré atteint de sclérose en plaques sur la base d’une expertise neuropsychologique. Il recourt contre cette décision, son recours est rejeté par le Tribunal administratif de Zoug. Il recourt au Tribunal fédéral qui admet son recours et renvoie l’affaire à l’OAI pour complément d’instruction (l’expertise est jugée formellement non probante). L’assuré invoque une violation de l’art. 44 LPGA, en ce sens que son droit de poser des questions à l’expert n’a pas été respecté. Il conteste en outre la qualification d’auxiliaire du tiers ayant assisté l’expert désigné, ainsi que la valeur probante de l’expertise sur laquelle l’Office AI de Zoug s’est fondée pour lui accorder un quart de rente (capacité résiduelle de 60 %).
L’expert mandaté pour une expertise est non seulement la personne chargée et responsable de l’évaluation, mais également la personne physique qui l’effectue. Il doit en outre réaliser personnellement les tâches de base pour lesquelles il a été mandaté, puisqu’il l’a précisément été en raison de son expertise, de ses compétences scientifiques particulières et de son indépendance. La substitution ou le transfert, même partiel, de la mission à un autre expert, sont soumis au consentement du mandant. En revanche, l’expert peut faire appel à un auxiliaire, celui-là agissant sous sa direction et sa surveillance, pour la réalisation de certains travaux subordonnés. Dans ce cas, le consentement du mandant n’est pas nécessaire, tant que la responsabilité de l’expertise demeure entre les mains de l’expert désigné.
Par ailleurs, lorsqu’un expert est mandaté pour réaliser une expertise, son nom doit être communiqué à l’avance afin que la personne assurée puisse faire valoir ses éventuels motifs de récusation. Le droit de l’assuré de connaître ce nom ne s’étend toutefois qu’à l’expert désigné, et non aux tiers qualifiés qui assistent celui-là dans l’exécution de ses travaux.
En l’espèce, une seule experte a été mandatée pour réaliser l’expertise neuropsychologique sur laquelle l’office AI s’est fondé pour accorder un quart de rente à l’assuré. Or, il ressort du rapport que l’experte tierce a été sérieusement impliquée dans la réalisation dudit rapport. Il s’ensuit que l’experte tierce n’a pas agi en qualité d’auxiliaire subordonnée, pour laquelle le consentement du mandant n’était pas nécessaire, mais en tant que co-experte, puisqu’elle a été impliquée dans la même mesure que l’experte principale. Ainsi, l’assuré aurait également dû être informé du nom de l’experte tierce, laquelle devait également cosigner le rapport d’expertise, sous peine de remettre en cause la validité formelle et la valeur probante de l’expertise.
Enfin, un ou une experte mandatée pour réaliser une expertise doit disposer des qualifications professionnelles énumérées dans la circulaire IV n° 367 de l’OFAS, ce que le dossier de la cause ne permet pas de vérifier pour l’experte tierce.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier (Milvignes)


ATF 147 V 312, TF 9C_215/2020 du 28 mai 2021
Prestations complémentaires; frais de garde; ancien droit;art. 14 aLPC; 10 al. 3 let. f LPC; 16e OPC
Le recours porte sur un état de fait antérieur à l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2021, des art. 10 al. 3 let. f LPC et 16e OPC, qui reconnaissent les dépenses liées à la prise en charge extrafamiliale d’enfants de moins de 11 ans si elles sont nécessaires et dûment établies. Le TF confirme la décision cantonale niant à la recourante, au bénéfice d‘une rente d’invalidité, le remboursement des frais de garde de son enfant.
La liste des frais de maladie et d’invalidité remboursés figurant à l’art. 14 al. 1 LPC est de nature exhaustive. Il ne subsiste aucune lacune à combler découlant d’un silence qualifié du législateur (ATF 129 V 378 c. 3.1, qui s’est prononcé sur l’art. 3d al. 1 LPC en vigueur au 31 décembre 2007). Le fait que l’assurance sociale ne couvre pas l’ensemble des prestations liées à un handicap ne constitue pas en soi une violation des droits fondamentaux. La loi viole le principe de l’égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente.
Le droit à une prestation complémentaire annuelle est calculé séparément si l’enfant du rentier AVS ou AI est placé dans une structure d’accueil permanente, selon l’art. 7 al. 1 let. c et al. 2 OPC-AVS/AI. Elle peut être allouée même si le parent rentier AVS ou AI ne peut prétendre à la prestation complémentaire. L’obligation des cantons de fixer la taxe journalière de la structure d’accueil permanente, comprise dans les dépenses, au sens de l’art. 10 al. 2 let. a LPC, de manière à ce que la personne n’émarge pas à l’aide sociale, ne vaut que pour les structures relevant de l’art. 39 al. 3 LAMal (c. 6.3.3.1). Pour les placements en famille d’accueil, ne relevant pas d’une structure médico-sociale, les dépenses sont fixées par l’art. 10 al. 1 let. a et b ainsi qu’al. 3 LPC, sans garantie d’une couverture du minimum vital des bénéficiaires.
Le TF retient qu’il n’y a donc pas d’inégalité de traitement, au sens de l’art. 8 Cst., pour les bénéficiaires vivant avec leurs enfants placés en structure d’accueil de jour. Aucune violation du droit au respect de la vie familiale protégé par l’art. 9 de la convention de protection de l’enfant, l'art. 8 CEDH et l’art. 13 al. 1 Cst. ne résulte de l’application de la LPC, en l’absence d’une ingérence de l’Etat dans la vie familiale de l’assuré.
L’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable (art. 53 al. 2 LPGA). Le TF reconnaît à la décision de première instance refusant des prestations des frais de crèche, accordés précédemment, le caractère d’une décision de reconsidération, au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA. Est reconnue en l’espèce l’exigence du caractère manifestement erroné de la décision initiale ayant accordé le droit aux prestations d’assurance en appliquant faussement l’art. 14 LPC.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


ATF 147 III 402, TF 4A_389 et 415/2020 du 18 mai 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule; dommage, perte de soutien; art. 45 al. 3 CO
Dans son arrêt, le TF traite de la question du calcul des prétentions récursoires des assureurs sociaux (AVS et institution de prévoyance professionnelle) en lien avec une perte de soutien subie par le mari et les enfants d’une assurée décédée d’un accident de la route.
Le TF aborde principalement trois questions. En premier lieu, il confirme la jurisprudence initiée dans l’ATF 84 II 292, selon laquelle, en cas de décès, le dommage de perte de soutien doit être calculé de manière abstraite au jour du décès (c. 5). En deuxième lieu, il traite l’imputabilité des revenus de la fortune du soutien dans le cas où ces revenus n’étaient pas utilisés durant la période de soutien. Il maintient ici aussi sa jurisprudence antérieure, aux termes de laquelle ces revenus doivent être déduits du montant de la perte de soutien que le responsable est appelé à réparer ; en revanche, le fait que la personne soutenue est en mesure de maintenir son niveau de vie grâce aux revenus réalisés sur sa propre fortune ne joue aucun rôle : l’élément déterminant n’est pas le niveau de vie de la personne soutenue, mais bien l’importance des prestations (devenues défaillantes) du soutien (c. 10.1 à 10.6). En troisième et dernier lieu, il aborde, pour la première fois, la question des rendements et des intérêts découlant d’une assurance sur la vie. Il donne raison à l’instance inférieure, qui les avait imputés du montant du dommage en retenant un taux de 3,5 % pour la rémunération du capital d’assurance (c. 10.7).
Le Tribunal fédéral traite également du taux d’épargne à retenir dans le calcul des quotes-parts de soutien (c. 6), de la détermination des coûts fixes (c. 7), de la répartition du dommage entre les différents bénéficiaires (c. 8) et, enfin, de la déduction pour les chances de remariages, resp. pour les risques de divorce (c. 9).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg



TF 9C_415/2020 du 17 mai 2021
Assurance-invalidité; procédure, reconsidération, domicile en Suisse, séjour de courte durée; art. 53 al. 2 LPGA
Un couple de Suédois a résidé pendant six mois en Suisse. Durant le séjour, le couple a eu un enfant. Dès sa naissance, l’enfant a eu besoin de soins médicaux qui ont été pris en charge par l’AI. Après le retour du couple en Suède, l’office AI compétent a transmis le cas à l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après : OAIE). Après analyse du cas, l’OAIE a décidé que l’AI n’aurait pas dû verser de prestations car les parents de l’enfant n’avaient jamais rempli les conditions pour être assurés auprès des assurances sociales suisses. Le traitement de l’enfant, qui n’était pas non plus assuré par l’AI, aurait dès lors dû être pris en charge par l’assurance-maladie de ce dernier. L’assurance-maladie forme recours au TF qui rejette le recours.
Selon le TF, la reconsidération au sens de l’art 53 al. 2 LPGA est possible lorsque – en plus de l’importance d’une rectification – la décision est manifestement erronée (c. 4.1). Le fait que l’autorité avait initialement la possibilité de prendre une décision conforme au droit sur la base des documents qui lui ont été fournis n’est pas pertinent (c. 4.3). Même lorsque l’erreur de la décision initiale n’est pas manifeste, la reconsidération selon l’art. 53 al. 2 LPGA n’est pas exclue. Selon le TF, la reconsidération est ainsi possible lorsque l’erreur n’est visible qu’après un examen plus approfondi (c. 4.4).
L’instance inférieure a rappelé que l’existence d’un domicile en Suisse pendant des courts séjours ne doit être admise qu’avec beaucoup de retenue. Une autorisation de séjour de courte durée UE/AELE n’est ainsi pas suffisante pour constituer un domicile en Suisse. Selon l’instance inférieure, dans le cas d’espèce, le fait que le séjour du couple était un séjour strictement lié à la formation et sans volonté de s’installer durablement en Suisse, que la mère utilisait toujours un numéro de téléphone et compte bancaire suédois auprès l’office AI et que le couple n’avait pas travaillé en Suisse, démontrait que le couple n’avait pas établi un domicile légal en Suisse (c. 4.6.2). Le TF s’est rattaché à l’avis de l’instance inférieure (c. 4.6.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 4A_635/2020 du 5 mai 2021
Responsabilité du fait des produits; application dans le temps, responsabilité de l’employeur, défaut; art. 55 al. 1 CO; 4 et 13 LRFP
B. travaillait comme nettoyeuse dans une banque lorsqu’elle s’est blessée au bras gauche en utilisant un ascenseur. En effet, elle a essayé d’empêcher la fermeture de la porte de l’ascenseur avec son bras qui se serait alors coincé dans ladite porte qui se refermait. Le cas a été considéré comme un accident par l’assureur LAA qui a finalement octroyé une rente d’invalidité réduite et une indemnité pour atteinte à l’intégrité. En outre, l’assurance responsabilité civile du propriétaire du bâtiment (art. 58 CO) lui a accordé une indemnisation de CHF 657’123.95. Par ailleurs, dans le cadre d’une procédure contre le fabricant de l’ascenseur pour l’obtention d’un tort moral de CHF 30’000.-, B. a eu gain de cause devant les instances cantonales.
Interpellé par le fabricant de l’ascenseur, le TF rappelle tout d’abord que la loi fédérale sur la responsabilité du fait des produits (LRFP) ne s’applique pas au cas d’espèce, car l’installation a été mise en fonction avant l’entrée en vigueur de ladite loi (01.01.1994) et qu’il convient donc de déterminer une éventuelle responsabilité sous l’angle de l’art. 55 CO (responsabilité de l’employeur) (c. 2.1 et 2.2).
Dans le contexte de l’application de l’art. 55 CO pour la responsabilité d’un producteur, le lésé supporte le fardeau de la preuve du défaut (c. 3.1) et, ce n’est qu’une fois cette preuve apportée qu’une éventuelle preuve libératoire du producteur doit être recherchée (c. 3.2). La question de savoir si la jurisprudence du TF développée pour l’art. 4 LRFP (cf. ATF 133 III 81) selon laquelle le lésé n’a pas à prouver la cause du défaut, mais doit uniquement démontrer que le produit ne remplissait pas les expectatives de sécurité légitimes du consommateur moyen serait à appliquer en lien avec l’art. 55 CO, peut rester ouverte. En effet, la défectuosité d’un produit présuppose que celui-ci crée un état de fait dangereux et qu’une conception plus sûre ait été raisonnablement possible au moment de sa mise en circulation. Cela découle du principe du risque qui est à la base de la responsabilité du producteur développée sur la base de l’art. 55 CO (c. 4.2).
En l’occurrence, le fait que l’ascenseur aurait joué un rôle dans la survenance du dommage ne suffit pas à démontrer un défaut. De même, le fait qu’il soit généralement facile de déterminer rétrospectivement quelles mesures dans la conception d’un produit auraient pu prévenir ledit dommage, ne permet pas en soi d’établir une quelconque responsabilité. En conclusion, le dommage ne prouve pas en soi un défaut (c. 4.4) et le TF a admis le recours du fabricant de l’ascenseur (c. 5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 4A_495/2020 du 3 mai 2021
Responsabilité du détenteur d’ouvrage; dommage évolutif, atteinte à la santé, invalidité, prescription, dies a quo; art. 42 al.2, 58 et 60 al. 1 CO; art. 227 al. 3 CPC
Le TF rappelle que le lésé connaît suffisamment le dommage lorsqu’il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice. Le lésé n’est pas admis à différer sa demande jusqu’au moment où il connait le montant absolument exact de son préjudice, car le dommage peut devoir être estimé selon l’art. 42 al. 2 CO. Ainsi, le dommage est suffisamment défini lorsque le lésé détient assez d’éléments pour qu’il soit en mesure de l’apprécier. Le lésé est par ailleurs en mesure de motiver sa demande lorsqu’il connaît le montant réel (maximal) de son dommage. Il lui est en effet toujours loisible de réduire en tout temps ses conclusions en cours d’instance (art. 227 al. 3 CPC).
Le délai de l’art. 60 al. 1 CO part du moment où le lésé a effectivement connaissance du dommage au sens indiqué ci-dessus, et non de celui où il aurait pu découvrir l’importance de sa créance en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances. Le lésé est en outre tenu d’avoir un comportement conforme à la bonne foi (art. 2 CC) ; s’il connaît les éléments essentiels du dommage, on peut attendre de lui qu’il se procure les informations nécessaires à l’ouverture d’une action.
Lorsque l’ampleur du préjudice dépend d’une situation qui évolue, le délai de prescription ne court pas avant le terme de cette évolution. Tel est le cas notamment du préjudice consécutif à une atteinte à la santé dont il n’est pas possible de prévoir d’emblée l’évolution avec suffisamment de certitude. En particulier, la connaissance du dommage résultant d’une invalidité permanente suppose que, selon un expert, l’état de santé du lésé soit stabilisé sur le plan médical et que son taux d’incapacité de travail soit fixé au moins approximativement ; le lésé doit en outre savoir, sur la base des rapports médicaux, quelle peut être l’évolution de son état.
En l’espèce, la situation du lésé, victime d’un accident sur un chantier, était certes encore évolutive, mais seulement s’agissant des thérapies envisageables et non de sa capacité de travail qui était nulle et non sujette à évolution. Le TF retient que c’est ce moment-ci, soit lorsque l’état de santé du lésé s’était stabilisé et que celui-ci savait qu’il était en incapacité de travail totale, qui constitue le dies a quo. Ayant sollicité l’intimée qu’elle renonce à se prévaloir de l’exception de prescription plus de douze mois après avoir eu suffisamment connaissance de son dommage, le lésé est débouté de ses conclusions.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève


ATF 147 V 268, TF 8C_538 et 564/2020 du 30 avril 2021
Assurance-accidents; notions de travailleur et d’employeur; art. 11 LPGA; 1a LAA
Le TF a dû se pencher sur le cas d’un joueur-entraîneur de hockey, victime d’une luxation traumatique de l’épaule gauche au cours d’un match, ayant entraîné une incapacité de travail de longue durée. Ce joueur était au bénéfice de plusieurs contrats de travail. Les juges fédéraux ont retenu qu’il devait être considéré comme un travailleur, au sens de l’art. 1a LAA, en qualité de joueur-entraîneur et que son accident devait être qualifié de professionnel. De plus, la Haute Cour a jugé que son employeur était la société chargée de gérer certaines tâches de l’association sportive, et non l’association elle-même.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_426/2020 du 29 avril 2021
Assurance-invalidité; capacité de travail résiduelle, mise en œuvre, exigibilité, home office; art. 7 et 8 LPGA
Une personne assurée souffrant de dépression et de troubles paniques se voit reconnaître, médicalement, une capacité de travail résiduelle de 50 % dans une activité adaptée aux atteintes à la santé. Le litige porte sur l’exigibilité de la mise en œuvre de cette capacité résiduelle. Le TF rappelle que cette question doit être examinée à la lumière de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce (c. 5.2). Lorsque la possibilité d’exercer effectivement l’activité compatible avec l’état de santé est à ce point restreinte qu’elle n’existe pas ou pratiquement pas sur le marché équilibré du travail ou que l’on ne peut s’attendre à ce qu’un employeur embauche la personne assurée, la mise en œuvre de la capacité de travail résiduelle ne peut être considérée comme exigible (c. 5.3).
Même si, en l’espèce, les médecins ont estimé que la personne assurée conservait une capacité de travail à 50 % dans des activités commerciales, l’on ne saurait considérer l’arrêt 9C_15/2020 comme un précédent valable. Dans cette affaire, le TF avais admis que la capacité de travail résiduelle pouvait être mise en œuvre dans un emploi exercé en home office. Il n’en va pas de même dans cette affaire, la personne assurée n’osant pas sortir de chez elle, ce qui l’empêche d’une part de se présenter à un entretien d’embauche, et, d’autre part, de se rendre au moins ponctuellement dans les locaux de l’employeur. Dans ces conditions, la mise en œuvre de la capacité de travail ne peut être considérée comme exigible.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_463/2020 du 28 avril 2021
Assurances privées; assurance de chose, application du droit étranger; art. 116 al. 1 LDIP; L113-2 2 et L113-8 du Code des assurances français
Le recourant a rempli et signé une proposition d’assurance par laquelle il attestait du parfait état de santé du cheval qu’il souhaitait assurer en taisant un rapport du vétérinaire, lequel avait relevé des « éléments de risques majeurs quant à l’achat dudit cheval comme cheval de sauts d’obstacles » et indiqué que « si le cheval devait être acheté, il serait raisonnable de voir avec le vendeur s’il était possible de mettre une garantie sur l’absence de boiterie du membre antérieur droit compte tenu de la présence d’une molette tendineuse d’un pronostic réservé à défavorable ». Lors d’une expertise mise en œuvre après que le cheval s’est mis à boiter, l’assureur a pris connaissance du rapport de visite d’achat précité. L’assureur a annulé le contrat pour fausse déclaration intentionnelle ou d’une omission de déclaration d’une circonstance de nature à aggraver le risque garanti ou à en créer de nouveaux. L’assuré agit contre l’assureur afin d’obtenir le paiement des indemnités d’assurance en contestant la nullité du contrat d’assurance. Les juges précédents ont rejeté ses prétentions.
Le TF constate dans un premier temps que les parties ont choisi de soumettre le contrat au droit français (art. 116 LDIP) de sorte que ce sont les art. L113-2 2° du Code des assurances français (obligation de répondre correctement aux questions posées) et L113-8 du Code des assurances français (nullité du contrat d’assurance en cas de réticence) qui trouvent application dans cette affaire, ce qui n’était pas contesté.
Devant le TF, le recourant soulève trois griefs. D’abord, il se plaint du refus du premier juge d’entendre l’expert vétérinaire de la compagnie d’assurance par voie de commission rogatoire. Ce grief est vain selon notre Haute Cour, dès lors que l’audition réclamée ne porte pas sur un fait crucial pour l’issue du litige. Dans un deuxième moyen, le recourant dénonce une violation des art. 222 al. 2, 2e phrase et 317 CPC, soutenant le caractère non authentique d’un courrier. Ce moyen doit être écarté selon le TF dès lors que cela ne change rien à l’issue du litige. Enfin, le recourant faisait grief à la Cour de justice d’avoir procédé à une mauvaise application du droit. Toutefois, le recours ne peut être formé pour application erronée du droit étranger, compte tenu du fait qu’il s’agit ici manifestement d’une affaire pécuniaire (art. 96 let. b LTF a contrario). Le TF n’examine pas si le droit étranger – désigné par le droit international privé suisse – a été ou non mal appliqué ; s’y ajoute que le recourant n’invoque pas l’interdiction de l’arbitraire garantie par l’art. 9 Cst., ce qui de toute manière eût été vain selon le TF, puisque l’arrêt attaqué apparaissant tout sauf indéfendable au regard du droit français. Le recours a ainsi été rejeté.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 8C_482/2020 du 23 avril 2021
Assurance chômage; indemnité de chômage, délai-cadre d’indemnisation, subrogation; art. 29 LACI
Le TF rappelle que le début du délai-cadre applicable à la période d’indemnisation reste fixé une fois pour toutes, sauf s’il s’avère par la suite, sous l’angle de la reconsidération ou de la révision procédurale, que les indemnités de chômage ont été indûment allouées et versées parce qu’une ou plusieurs conditions du droit n’étaient pas remplies.
Ainsi, lorsqu’une indemnité de chômage est allouée et effectivement perçue par un assuré conformément à l’art. 29 al. 1 LACI, il n’y a pas lieu de reporter le début du délai-cadre applicable à la période de l’indemnisation s’il est fait droit ultérieurement, en tout ou en partie, à des prétentions de salaire ou d’indemnisation contre l’ancien employeur.
L’assuré qui actionne son ancien employeur en justice et qui obtient les prétentions salariales réclamées ne peut donc pas ensuite remettre en cause le caractère définitif du délai-cadre. L’assuré, dans un tel cas de figure, n’est pas tenu à la restitution des prestations de chômage perçues. C’est en effet la caisse qui dispose d’une créance subrogatoire contre l’employeur.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

ATF 147 V 161, TF 8C_268/2020 du 19 avril 2021
Assurance-accidents; rente d’invalidité, motif de révision; art. 17 LPGA
Dans cet arrêt de principe, le TF a jugé que le seul fait que le lien de causalité naturelle ne soit plus reconnu, par exemple en raison de la survenance d’une maladie qui entraîne ou aurait entraîné la cessation de toute activité lucrative, ne constitue pas un motif de révision de la rente d’invalidité, selon l’art. 17 LPGA.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_45/2021 du 16 avril 2021
Assurance maladie; financement, liste des mauvais payeurs, prise en charge rétroactive; art. 64a al. 7 LAMal
Un assuré est inscrit sur la liste noire des mauvais payeurs, mise en place par certains cantons, dont la prise en charge au titre de la LAMal se limite à la médecine d’urgence. La faillite de l’assuré est prononcée et deux actes de défauts de bien sont émis en faveur de la caisse maladie. L’assuré demande le remboursement des prestations à sa charge jusqu’à la clôture de la faillite. Le refus de l’assurance est confirmé par l’instance cantonale.
Aux termes de l’art. 64a al. 7 LAMal, la suspension de la prise en charge des soins est annulée « lorsque les assurés ont acquitté leurs créances », condition jugée comme réalisée lorsque des actes de défaut de biens sont émis à la suite d’une procédure de faillite. L’assurance aurait donc dû reprendre la prise en charge des prestations couvertes avec effet rétroactif (Nachzahlungsanspruch) sans attendre la radiation formelle de l’assuré de la liste. Le recours est donc admis et la cause renvoyée à l’assurance.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

ATF 147 V 225, TF 8C_780/2020 du 15 avril 2021
RHT COVID; préavis de réduction de l’horaire de travail, employeur ayant son siège à l’étranger; art. 8 ALCP; 65 al. 1 R (CE) n° 883/2004; 31, 36 et 121 LACI; 119 OACI
En date du 27 mars 2020, la société X. Ltd, ayant son siège au Royaume-Uni, présente une déclaration préalable de réduction de l’horaire de travail du salarié A., employé en Suisse. La Caisse bernoise de chômage refuse cette annonce, au motif que la société n’a pas de siège en Suisse. Le Tribunal administratif du canton de Berne admet le recours interjeté par A. contre cette décision au motif que le droit interne n’exige pas que l’employeur ait son siège en Suisse, et renvoie la cause à la caisse. La caisse recourt au TF.
Le TF rappelle que, s’agissant d’une situation transfrontalière, le droit européen est applicable, via l’art. 121 al. 1 let. a LACI. Il cite le chiffre 2 de la décision U3 de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale du 12 juin 2009 relative au chômage partiel, selon lequel si une personne reste employée par une entreprise dans un Etat membre autre que celui sur le territoire duquel elle réside, mais que son activité est suspendue alors qu’elle reste candidate à réintégrer son poste à tout moment, elle est considérée comme étant en chômage partiel et les prestations afférentes sont servies par l’institution compétente de l’Etat membre d’emploi, conformément à l’art. 65, par. 1, R (CE) n° 883/2004 (c. 3.1).
Si l’Etat d’emploi n’est pas la Suisse, les employés ne peuvent pas prétendre aux indemnités de chômage partiel selon le droit suisse, quel que soit leur lieu de domicile. Selon le droit suisse, est considérée comme « en emploi » la personne qui est affiliée comme dépendante à l’AVS (c. 5.1). En l’espèce, l’employée travaillait en Suisse et était affiliée au système d’assurances sociales suisses (art. 13 al. 1 R [CE] n° 883/2004). Ceci ne suffit toutefois pas à lui ouvrir le droit aux prestations de chômage partiel selon le droit suisse. D’autres conditions doivent être remplies au niveau de l’entreprise. L’entreprise doit notamment démontrer une perte minimale d’heures de travail sur l’ensemble de l’entreprise ou dans l’un de ses départements pour que la Suisse soit considérée comme le pays d’emploi. A cet égard, une employée en Suisse ne représente pas à elle seule une structure opérationnelle permanente de l’entreprise en Suisse, si bien que la Suisse ne saurait être considérée comme le pays d’emploi (c. 5.2). De plus, l’art. 65 R (CE) n° 883/2004 constitue une lex specialis par rapport aux dispositions générales du règlement ancrées au titre II (art. 11 à 16). La Caisse bernoise de chômage n’est donc pas compétente pour faire droit à la demande de RHT.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 8C_244/2020 du 15 avril 2021
Responsabilité de l’Etat; harcèlement, tort moral, dommage évolutif, prescription, dies a quo; art. 20 al. 1 aLRCF; 60 al. 1 et 328 CO
L’affaire porte sur une action en responsabilité de la Confédération déposée le 26 septembre 2018, visant à la réparation du tort moral pour des actes constitutifs de harcèlement au travail qui se sont déroulés de 2010 à 2014, date de la fin des rapports de travail, ainsi qu’un acte en été 2016, dont la recourante n’a eu connaissance que le 29 septembre 2017. L’ancien art. 20 al. 1 LRCF prévoyait un délai de prescription relatif d’une année à compter du jour de la connaissance du dommage. Le TF applique l’art. 60 al. 1 CO sur le dies a quo.
La connaissance du dommage inclut aussi celle de son étendue. Le lésé doit être en mesure d’apprécier, au moins dans les grandes lignes, l’ampleur du dommage ; le processus qui le provoque doit être arrivé à son terme. Tant que dure l’évènement dommageable, le lésé ne peut pas connaître l’intégralité du dommage et le délai de prescription ne commence pas à courir. Lorsqu’il s’agit d’une « situation qui évolue », le délai de prescription ne cours pas avant le terme de l’évolution. Tel est le cas lorsqu’un préjudice est causé par des comportements dommageables répétés s’inscrivant dans la durée (c. 4.3).
Le TF retient que le harcèlement psychologique se définit comme un enchaînement de propos et/ou d’agissements hostiles, répétés fréquemment pendant une période assez longue, par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voir à exclure une personne sur son lieu de travail. Ainsi, les actes de mobbing allégués ont pris fin au plus tard à la fin des rapports de travail, de sorte qu’une éventuelle atteinte à la personnalité postérieure à cette date ne saurait constituer une unité temporelle avec les atteintes survenues pendant les rapports de travail (c. 6.1).
Concernant les faits survenus entre 2010 et 2014, la recourante avait une connaissance suffisante de son dommage en 2015, époque où elle avait réalisé que sa souffrance était une conséquence de son vécu dans le cadre de son emploi. Il importe peu qu’elle n’ait appris le diagnostic de stress post-traumatique qu’en janvier 2016 et que ce diagnostic n’ait disparu qu’en juillet 2017. En effet, même si les troubles psychiques ont évolué, comme le dommage invoqué n’est pas un préjudice matériel mais un tort moral, il suffit que la recourante ait reconnu que le harcèlement subit était à l’origine de sa souffrance psychique. Elle ne pouvait ainsi pas attendre la stabilisation ou la disparition de ses troubles pour ouvrir action. Il s’en suit que l’action est prescrite concernant des faits survenus entre 2010 et 2014 (c. 6.3).
S’agissant de l’acte de 2016, le TF retient qu’en l’absence de rapports de travail, si elle entendait obtenir réparation d’une violation de ses droits de la personnalité par le responsable incriminé, il appartenait à la recourante d’ouvrir une action en réparation du tort moral selon le droit civil, directement contre ce dernier (c. 7.2).
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève



ATF 147 V 194, TF 9C_537/2020 du 13 avril 2021
Assurance-maladie; médicaments, fixation du prix; art. 25 à 31 LAMal; 65b et 65d OAMal
L’objet du litige vise à savoir si l’OFSP a violé le droit fédéral en imposant une baisse de prix de 25.78 % d’un médicament X.
Le TF commence par rappeler les règles applicables, notamment celles relatives à l’évaluation du caractère économique (art. 65b OAMal) et celles relatives au réexamen des conditions d’admission tous les trois ans (art. 65d OAMal) (c. 3.2). Le recourant reprochait à l’OFSP de ne pas avoir tenu compte de trois médicaments, dans la formation des groupes de médicaments de référence pour déterminer le prix moyen (Therapeutischer Quervergleich [TQV], art. 65b al. 5 OAMal). Il lui reprochait également de ne pas avoir tenu compte du plus petit emballage du médicament, en violation de l’art. 65d al. 3 OAMal. Le TF a répondu que l’ancienne jurisprudence s’appliquait aux normes entrées en vigueur au 1er mars 2017 et que l’OFSP conservait un large pouvoir d’examen (Ermessenspielraum) dans le choix des produits de comparaison (c. 5.5). Il a ajouté que la constitution des groupes de produits comparables n’imposait pas de tenir compte de tous les produits ayant la « même indication » et le « même mode d’action », respectivement de tous ceux qui sont « utilisés pour traiter la même maladie » (c. 6.1 et 6.2). Pour savoir si l’autorité en question a abusé de son pouvoir d’appréciation, il fallait simplement déterminer si les produits retenus par l’autorité dans le cadre des groupes comparatifs remplissaient ces trois critères (c. 6.3). Dans le cas d’espèces, c’était le cas (c. 6.3.2 et 6.4).
Le TF a en outre confirmé que la composition du groupe de référence avec un seul élément de comparaison n’était pas arbitraire (c. 6.3.1). Le TF a rejeté ensuite le grief relatif à une éventuelle violation de l’art. 43 al. 6 LAMal (c. 6.5.1), de même que celui sur la violation de l’égalité de traitement entre partenaires commerciaux et concurrents directs (c. 6.5.2). Le TF a rejeté enfin le grief fondé sur l’art. 65d al. 3 OAMal en indiquant que cette disposition contenait des exceptions, notamment lorsque la comparaison avec le plus petit emballage ou le plus petit dosage ne permet pas un résultat adéquat, par exemple lorsque le dosage est différent au début de la thérapie ou que la taille des emballages est différente. In casu, le TF valide la comparaison effectuée entre le paquet de dix seringues préremplies d’un premier médicament et les dix ampoules d’un autre (c. 6.5.3 ss). Le recours est rejeté.
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne


TF 4D_7/2021 du 12 avril 2021
Assurances privées; assurance perte de gain maladie LCA, incapacité de travail selon les CGA, valeur probante d’un certificat médical; art. 9 Cst.
Un employé a été absent pour cause de maladie du 14 juin au 30 novembre 2019. L’assureur perte de gain maladie de son employeur a initialement pris le cas en charge, puis mis un terme au paiement des indemnités journalières à partir du 1er septembre 2019, considérant qu’à partir de cette date l’incapacité de travail était exclusivement liée à la place de travail. Le tribunal de première instance a condamné l’assureur à payer à l’assuré un montant de CHF 20’643.35 avec intérêts pour les mois de septembre à novembre 2019. Ce verdict a été confirmé par le tribunal cantonal.
Vu la valeur litigieuse inférieure à CHF 30’000.-, le TF n’est entré en matière que sur le recours constitutionnel subsidiaire. Il a considéré que l’appréciation des preuves faite par la juridiction inférieure n’était pas arbitraire. Selon le certificat médical du 31 octobre 2019 du médecin-traitant de l’assuré, ce dernier était traité pour une maladie depuis le 14 juin 2019 et l’incapacité de travail a duré jusqu’en novembre 2019. Ce libellé indiquait clairement qu’une atteinte à la santé était à l’origine de l’incapacité de travail. La note de l’entretien téléphonique de l’assureur avec le médecin-traitant de l’assuré, selon laquelle l’incapacité ne concernait que la place de travail, avait la valeur d’une simple allégation de partie et n’était au demeurant pas déterminante. En effet, selon les CGA applicables, l’assureur est tenu de fournir ses prestations pour toute incapacité de travail – même liée exclusivement à la place de travail – si une atteinte à la santé est à l’origine de cette incapacité. La juridiction inférieure pouvait donc se contenter d’examiner si l’incapacité de travail était causée par une atteinte à la santé. En soumettant à nouveau sa propre interprétation des CGA au TF, la recourante n’a fait que répéter l’argumentation juridique développée devant les instances précédentes, mais sans démontrer en quoi le tribunal cantonal aurait violé un droit constitutionnel. Par conséquent, le TF a rejeté le recours.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 4A_624/2021 du 8 avril 2021
Responsabilité délictuelle; contrat de mandat, responsabilité de l’avocat, motivation de l’appel, maxime des débats, preuve des honoraires d’avocat; art. 398 al. 1, 321e al. 1 CO
Victime d’un accident de la circulation, le recourant, qui dispose d’une assurance de protection juridique, fait grief à l’autorité inférieure de ne pas avoir retenu que son précédent conseil aurait manqué de faire valoir l’intégralité de ses droits découlant dudit accident, respectivement de les préserver. En premier lieu, il se plaint de ce que son précédent avocat aurait omis d’interrompre la prescription à l’égard de la compagnie chargée de prendre en charge le solde de ses honoraires. Il lui reproche ensuite de ne pas avoir agi en enrichissement illégitime contre l’assureur RC du responsable de l’accident, à la suite de la décision de l’AI de révoquer la rente complémentaire pour conjoint d’invalide. Finalement, il recourt contre le refus de lui allouer une indemnité afin de couvrir les frais de son nouvel avocat, avant procès.
Après avoir rappelé les principes en matière de responsabilité du mandataire (art. 398 al. 1 CO cum art. 321e al. 1 CO), en particulier s’agissant de l’omission fautive d’agir, tant au niveau du fardeau de la preuve que du rapport de causalité (cf. art. 97 CO), le TF examine les griefs soulevés par le recourant.
S’agissant de l’absence d’interruption de la prescription, le TF considère que le recourant n’a pas suffisamment démontré qu’il aurait été en droit d’obtenir une prise en charge plus importante des honoraires par la protection juridique si la prescription avait été interrompue. En effet, le TF estime que l’assureur a refusé la prise en charge des frais sur la base d’un autre motif imputable au recourant, qui ne paraît pas avoir été retenu arbitrairement par les précédents juges. Se limitant à opposer sa propre appréciation à celle des juges cantonaux, le recourant n’a pas su démontrer que les autorités cantonales auraient versé dans l’arbitraire. Par conséquent, le TF fait sien le raisonnement de l’instance inférieure, qui n’a pas retenu de lien de causalité entre le manquement reproché à l'avocat, soit l’absence d’acte interruptif de prescription, et le dommage que le recourant allègue avoir subi.
Quant au deuxième grief, soit l’absence d’avoir agi en enrichissement illégitime contre l’assurance RC du responsable de l’accident, le principe de la motivation de l’appel (art. 311 al. 1 CPC) est à nouveau rappelé au recourant, et donc à son nouvel avocat. L’appel doit en effet être motivé, ce qui implique qu’il faut démontrer que l’instance inférieure a erré, soit en retenant par erreur des faits infondés, soit en appliquant mal le droit. Le recourant ayant substitué son argumentaire au raisonnement suivi par les juges, et donc manqué de motiver son appel de façon suffisante, le TF considère que la deuxième instance a, à raison, rejeté l’appel. A ce titre, le TF rappelle que l’exigence d’une motivation « même minimale » de l’appel ne va pas à l’encontre de l’interdiction du formalisme excessif.
Enfin, s’agissant de l’indemnisation des frais du nouvel avocat avant procès, conformément à la maxime des débats, la partie qui y conclut doit alléguer et prouver que les honoraires étaient justifiés, nécessaires et adéquats. Le fardeau de la contestation et de la contre-preuve incombe au défendeur, étant rappelé que celui qui tire un droit des faits allégués (art. 8 CC) a un intérêt à se conformer à ses obligations procédurales. En ce qui concerne l’allégation d’une facture, l’accès aux informations doit être aisé et ne doit souffrir d’aucune marge d’interprétation. Ainsi, ne pouvant se satisfaire de produire la note d’honoraires de son avocat, le lésé doit non seulement montrer « clairement » quelle activité a été déployée par son conseil avant procès, mais également dans quel contexte elle s’inscrit et pour quels motifs l’adjonction des services d’un professionnel était nécessaire. En décrivant en termes génériques les postes du relevé d’activité, le recourant, soit pour lui son nouveau conseil, n’a pas permis aux juges de statuer sur leur caractère justifié, nécessaire et adéquat, ni de constater si les honoraires avaient déjà été indemnisés, du moins en partie, soit par la protection juridique, soit par l’assureur RC. Le recourant a donc également été débouté de ce grief et donc de son recours, les frais et dépens étant intégralement mis à sa charge.
Auteur : David F. Braun, avocat à Genève


TF 4A_19/2021 du 6 avril 2021
Assurances privées; indemnités journalières en cas de maladie (LCA), procédure, expertise maxime inquisitoire sociale, devoir d’allégation et de substantification, droit à la preuve; art. 152, 221 al. 1 let. d et e et 247 al. 2 let. a CPC
Une assurée a bénéficié d’indemnités journalières en cas de maladie directement après son congé maternité, après avoir annoncé un trouble obsessionnel-compulsif à son assureur. Celui-ci a versé des indemnités journalières, puis, à réception d’une expertise psychiatrique, a cessé de prester. L’assurée a déposé une demande en paiement pour la période postérieure auprès du Tribunal des assurances argovien, lequel a rejeté sa demande, considérant en substance qu’elle n’avait pas prouvé son incapacité de travail pour cause de maladie durant la période litigieuse.
La recourante argue, tout d’abord, que l’instance inférieure n’aurait pas examiné si sa situation correspondait aux troubles de la santé prévus par les CGA. Peu importe la terminologie, selon le TF, car l’instance inférieure n’a rien exigé d’autre que l’assurée démontre une incapacité de travail résultant d’une maladie ou d’un trouble de la santé.
Le TF rappelle ensuite la maxime inquisitoire sociale applicable dans un tel procès (art. 247 al. 2 let. a CPC). Celle-ci se rapporte à l’établissement des faits, qui incombe aux parties. Elles doivent renseigner le juge sur les faits et lui apporter les moyens de preuves propres à établir les faits. Ce n’est qu’en présence de motifs objectifs qui conduisent le juge à soupçonner que les allégations et les offres de preuves d’une partie sont lacunaires que le juge doit inviter la partie à compléter ses moyens de preuve.
Le TF rappelle également le but de l’art. 221 al. 1 let. d et e CPC, qui est de permettre au juge de déterminer sur quels faits le demandeur fonde ses prétentions et par quels moyens de preuve celui-ci entend démontrer lesdits faits. Cette disposition a également pour objectif de permettre à la partie adverse de se déterminer sur les faits allégués et, le cas échéant, d’offrir des contre-preuves, conformément à l’art. 222 CPC. Selon la jurisprudence du TF, le devoir d’allégation et de motivation doit en principe être rempli dans les actes juridiques. Un simple renvoi aux pièces jointes ne suffit généralement pas. En effet, il n’appartient ni au tribunal ni à la partie adverse de construire et de faire ressortir des pièces jointes et des documents présentés l’état de fait. Il ne leur appartient pas de passer en revue toutes les pièces jointes afin d’examiner s’ils peuvent en déduire un élément en faveur de la partie chargée de l’allégation. L’instance inférieure a considéré que l’assurée devait préciser concrètement, d’une part, de quelle maladie elle avait souffert durant la période litigieuse et, d’autre part, l’impact de cette maladie sur sa capacité de travail. Concernant l’impact sur sa capacité de travail, l’assurée s’était bornée à se référer aux différents rapports médicaux produits, sans n’apporter aucun commentaire sur leur contenu, et n’avait ainsi pas satisfait à son devoir d’allégation et de substantification. Un tel procédé ne permettait pas de retenir automatiquement une allégation de partie. Aux yeux du TF, le raisonnement de la cour cantonale doit être suivi ; l’art. 247 al. 2 let. a CPC n’a ainsi pas été violé par les premiers juges.
Le TF confirme ensuite que les rapports médicaux produits par la demanderesse n’ont pas de valeur probante suffisante, puisque tantôt le médecin s’est contenté de poser un diagnostic supposé sans se prononcer sur la durée de l’incapacité de travail, tantôt il ne s’agissait pas d’un spécialiste en psychiatrie, tantôt le médecin n’a même pas posé de diagnostic et examiné ses répercussions sur la capacité de travail. Ainsi, même en ne leur déniant pas forcément toute valeur probante, lesdits rapports n’établissaient ni une maladie, ni une incapacité de travail pendant la période litigieuse, à l’aune de la vraisemblance prépondérante. Le TF rappelle à cet égard que, du point de vue de la preuve, les certificats médicaux, les rapports médicaux de spécialistes ou autres documents présentés par une partie constituent de simples expertises privées, qui, selon la jurisprudence, doivent être considérées comme de simples allégations de partie et non pas comme de véritables preuves. Dans son arrêt, la juridiction inférieure a démontré, de manière convaincante, la raison pour laquelle elle n’avait attribué aucune ou qu’une faible valeur probante aux rapports médicaux produits par l’assurée. De plus l’assurée n’avait pas démontré le caractère arbitraire de la décision cantonale, alors qu’il lui incombait pourtant de le faire.
Le TF rappelle ensuite le droit à la preuve, consacré à l’art. 152 CPC, qui permet à la partie de démontrer la véracité des faits pertinents allégués, en administrant des moyens de preuve, requis en temps utile et en la forme prescrite dans la procédure cantonale. Toutefois, l’appréciation anticipée des preuves n’est pas exclue. Partant, une autorité peut s’abstenir d’administrer les preuves requises si elle a pu établir sa conviction sur la base des preuves déjà administrées et qu’elle peut supposer, sans arbitraire, que sa conviction ne serait pas modifiée avec de nouvelles preuves. Dans cette situation, le droit à la preuve n’est pas violé. En l’occurrence, l’assurée considère que l’instance inférieure a rejeté, à tort, la mise en place d’une expertise judiciaire. Toutefois, elle aurait dû présenter, aux yeux du TF, spécifiquement les allégations que l’expertise était censée prouver, ce qu’elle n’a pas fait, se contentant de requérir une expertise judiciaire afin de prouver qu’elle n’avait pas pu se détacher de son enfant en raison d’une anxiété pathologique. Ainsi, l’assurée aurait dû alléguer et prouver comment ses troubles de la santé se sont concrètement manifestés et répercutés sur sa capacité de travail. Le simple fait de présenter une requête de preuve par expertise n’est pas suffisant. En outre, étant donné que l’assurée était guérie au moment de la procédure cantonale, compte tenu du temps écoulé et de la perte d’acuité des souvenirs, c’est à bon droit que l’instance cantonale a renoncé à diligenter une expertise psychiatrique.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion


TF 9C_34/2021 du 30 mars 2021
CORONA-perte de gain; indépendants, limite de revenus, base de calcul pertinente, égalité de traitement; art. 5 al. 2 O COVID-19 PdG
Dans cette affaire concernant l’octroi d’APG-COVID à deux personnes de condition indépendante, ces dernières s’étaient vu refuser le droit aux prestations au motif que les revenus annoncés pour les acomptes de cotisations pour l’année 2019 excédaient la limite de CHF 90’000.-. Le refus a été confirmé par le tribunal cantonal (ZH), qui a néanmoins indiqué dans ses considérants que les recourants conservaient pas possibilité de demander la reconsidération des décisions une fois connues les taxations fiscales définitives pour 2019. Les juges cantonaux soutenaient en effet que contrairement au texte de l’ordonnance, le droit aux prestations ne pouvait pas dépendre du moment auquel l’autorité fiscale statuait, car cela créerait des inégalités de traitement injustifiées entre les personnes assurées.
Le TF refuse d’entrer en matière sur le recours interjeté par l’OFAS, au motif que ce dernier ne porte que sur les motifs du jugement, et non sur son dispositif, et que le jugement cantonal ne préjuge pas de l’issue de futures décisions.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : l’arrêt 9C_752/2020, résumé dans la newsletter du mois dernier, avait également été rendu dans le cadre d’une affaire zurichoise. Il semble donc que les juges de ce canton contestent l’interprétation faite par l’OFAS de l’art. 5 al. 2, 2e phrase, O COVID-19 PdG, qui consiste à ne retenir la taxation fiscale définitive pour 2019 comme référence pour l’examen du droit que si celle-ci existe avant le 20 septembre 2020, interprétation que nous critiquons également.

ATF 147 V 174, TF 9C_692/2020 du 29 mars 2021
Assurance-vieillesse et survivants; Uber, établissement stable, cotisations; art. 12 LAVS
Dans un arrêt relatif à une question de taxation d’une société suisse au titre d’établissement stable d’une société étrangère, le TF considère que l’art. 12 LAVS ne crée pas une pluralité de débiteurs, mais confirme que l’obligation de verser des cotisations incombe exclusivement à l’employeur. En conséquence, seul l’employeur peut être poursuivi par la caisse de compensation en cas d’absence de versement des cotisations et la filiale suisse Uber Switzerland GmbH ne doit pas payer l’AVS pour les chauffeurs UberPop.
Auteure : Sabrine Magoga Sabatier, MLaw, cand. Dr Iur


TF 9C_586/2020 du 23 mars 2021
Assurance-maladie; rentiers, affiliation à l’assurance-maladie suisse, entraide pour les prestations en nature; ALCP; art. 11 ch. 1 et 3, 13 ch. 1 let. a, 17, 23 et 31 R (CE) n° 883/2004; R (CE) n° 897/2009
Le litige porte sur la question de savoir si un couple de ressortissants allemands domiciliés en Suisse, au bénéfice d’une rente de vieillesse allemande et d’une rente de vieillesse suisse, assurés jusqu’en 2017 auprès d’un assureur-maladie allemand, doit en réalité être affilié à l’assurance-maladie suisse. L’assureur compétent pour l’entraide internationale avait en effet décidé que le couple, en tant que bénéficiaire de rentes de résidence de la Suisse, était soumis à l’assurance-maladie obligatoire suisse et n’avait donc plus droit, de ce chef, à cette entraide.
Le TF commence par rappeler la teneur de l’art. 17 R (CE) n° 883/2004, aux termes duquel « la personne assurée ou les membres de sa famille qui résident dans un Etat membre autre que l’Etat membre compétent bénéficient dans l’Etat membre de résidence des prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de résidence, selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’ils étaient assurés en vertu de cette législation ». Il en résulte que, si les prestations en nature sont servies – du point de vue de l’Etat contractant compétent – à l’étranger, au lieu de résidence ou de séjour de la personne assurée, le droit aux prestations en nature prévu aux art. 17 ss du règlement précité est supprimé.
Dans le domaine de l’assurance-maladie, l’Etat contractant compétent est déterminé par les art. 11 ss et les art. 23 ss R (CE) n° 883/2004 (c. 4.2). Après analyse des dispositions topiques (art. 11 ch. 1 et 3, 13 ch. 1 let. a, 17, 23 et 31 R [CE] n° 883/2004), le TF parvient à la conclusion que, en raison du défaut d’informations sur une éventuelle activité lucrative du couple en Allemagne, l’assureur compétent pour l’entraide internationale n’était pas en droit de supposer que ledit couple avait été ou aurait dû être assuré en Suisse depuis 2018. Cette question n’est cependant pas déterminante pour la résolution du litige (c. 4.4). L’entraide internationale pour les prestations en nature ne crée pas de règle de secours pour les cas où la compétence est contestée, mais réglemente l’entraide lorsque l’institution compétente est établie. Il s’agit d’un mécanisme destiné à faciliter la demande de prestations en nature dans un Etat contractant autre que celui qui est compétent. L’enregistrement de l’entraide en matière de prestations en nature présuppose ainsi la présentation d’une attestation établie valablement par l’institution compétente (art. 24 ch. 1 R [CE] n° 987/2009). L’application des dispositions relatives à l’application provisoire de la législation d’un Etat contractant et à l’octroi provisoire de prestations prévues à l’art. 6 R (CE) n° 987/2009 suppose une divergence d’opinion entre les institutions ou les autorités de deux ou plusieurs Etats contractants, ce qui n’est pas le cas ici. Le fait que les assurés aient un point de vue différent de celui de l’assureur compétent pour l’entraide internationale ne constitue en effet pas un conflit de compétence (positif ou négatif). Au contraire, l’assureur-maladie allemand a retiré son certificat d’assurance au sens de l’art. 24 ch 2 R (CE) n° 987/2009, ce en accord avec l’assureur compétent pour l’entraide internationale. Dès lors, ce dernier a, avec raison, refusé l’enregistrement de l’entraide internationale en nature. (c. 5.1. et 5.2). Enfin, le TF estime qu’une éventuelle exemption de l’obligation de contracter une assurance-maladie en Suisse n’entre pas en considération (c. 5.3).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 9C_168/2020 du 17 mars 2021
Assurance-invalidité; expertise, expertise établie par l’assureur perte de gain, valeur probante, doutes minimes, avis du médecin-traitant; art. 7, 8 43 et 44 LPGA; 4 LAI
Le TF rappelle qu’une expertise réalisée sur mandat de l’assureur perte de gain et versée au dossier AI n’est pas une expertise au sens de l’art. 44 LPGA, mais a la même valeur probante qu’un avis médical interne. Par conséquent, s’il existe le moindre doute (« auch nur geringe Zweifel ») quant à la fiabilité et la cohérence de cette expertise, il convient de l’écarter en mettant en œuvre une expertise au sens de l’art. 44 LPGA (c. 3.2).
Des doutes quant à la fiabilité et à la cohérence d’un avis médical interne peuvent être soulevés par la production d’avis médicaux, y compris ceux des médecins-traitants de la personne assurée. Si l’avis interne à l’assurance est mis en doute de manière intelligible par le médecin-traitant (cf. aussi c. 5.2.2), l’avis de ce dernier ne peut être écarté par la simple référence à son lien contractuel avec la personne assurée, ou au motif qu’il ne remplit par les exigences d’une expertise (c. 5.1).
En l’espèce, le rapport établi par le médecin-traitant critique de manière compréhensible les conclusions de l’expertise établie par l’assureur perte de gain (c. 5.3.1), raison pour laquelle il y avait lieu de renvoyer l’affaire à l’office AI pour qu’il mette en œuvre une expertise.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : cet arrêt recadre de manière agréablement étonnante l’appréciation des preuves médicales dans un dossier AI, et redore le blason de l’avis du médecin-traitant. Dans ce sens, il va dans le sens d’une meilleure égalité des armes dans l’instruction d’un dossier AI, et doit être salué.


TF 6B_63/2020 du 10 mars 2021
Responsabilité médicale; homicide par négligence, responsabilité médicale, causalité hypothétique; art. 117 CP
La patient D. a subi le 16 août 2010 une résection sigmoïdienne par voie laparoscopique effectuée par le chirurgien A. L’opération s’est déroulée en soi sans problème. Par contre, D. s’est plaint rapidement de douleurs abdominales, ce qui a amené A. à ordonner le 18 août 2010 un examen de laboratoire urgent, effectué à 9h35. Un CT-Scan a par ailleurs été effectué le même jour à 16h58. Le chirurgien A. et le radiologue F. sont arrivés tous deux à la conclusion qu’il n’existait aucun indice parlant pour un défaut de la suture intestinale. A. a ainsi informé son patient et ses proches lors d’une visite, qui a eu lieu vers 18h, que ces examens plaidaient pour des suites post-opératives normales et qu’il n’y avait alors aucune nécessité de procéder à une révision chirurgicale. Vers 21h, A. a été informé du fait que le patient se plaignait à nouveau de violentes douleurs en bas de l’abdomen. Grâce à l’administration d’importants anti-douleurs, D. a pu finalement s’endormir vers 24h. Son décès a été constaté le lendemain à 06h25.
S’agissant de la violation par le chirurgien A. des règles de l’art médical, le TF a considéré que le tribunal cantonal était en droit de retenir sans tomber dans l’arbitraire que la quantité d’air intrapéritonéal constatée 48 heures après une telle opération ne pouvait plus être expliquée dans le cadre des suites habituelles de ladite intervention et qu’elle constituait un indice indirect de la présence d’une insuffisance de l’anastomose, soit de la suture intestinale. On pouvait donc retenir que A. avait, conjointement avec F., mal interprété les images du CT-Scan et qu’il aurait dû immédiatement ordonner une nouvelle analyse de laboratoire et un suivi minutieux des données vitales du patient (pression sanguine, pouls et température) (c. 3.4.1).
Le TF a par ailleurs rappelé sa jurisprudence selon laquelle, lorsqu’un homicide par négligence est susceptible d’avoir été commis par omission, l’auteur présumé doit revêtir une position de garant (ce qui n’était pas contesté en l’espèce) et doit avoir été en mesure d’exécuter l’acte dont il s’est effectivement abstenu. Le lien de causalité hypothétique entre l’omission et le résultat doit être admis si l’on arrive à la conclusion que l’exécution du comportement omis aurait permis d’empêcher le résultat avec un degré élevé de vraisemblance (c. 3.3.4). En l’espèce, les différentes expertises mises en œuvre par le Ministère public étaient arrivées à la conclusion qu’aux environs de 18h le 18 août 2010, le patient avait encore des chances de survie de 80% s’il pouvait immédiatement bénéficier d’une nouvelle opération. Même si ladite opération n’avait débuté que vers 19h, les chances de survie auraient pu encore être qualifiées d’élevées. Selon le TF, un tel taux de vraisemblance permet de retenir que le critère du « degré élevé de vraisemblance » est rempli. Tel était également le cas si l’on admettait que la nouvelle opération aurait pu commencer qu’à 19h. Dans ce contexte, le TF laisse ouverte la question de savoir si les règles du droit civil en matière de vraisemblance sont applicables en droit pénal, tout en relevant que selon la doctrine de droit civil, le critère de la vraisemblance prépondérante (haut degré de vraisemblance) doit être considéré comme rempli dès qu’il existe un taux de probabilité d’au moins 75% (c. 3.4.2).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 9C_752/2020 du 9 mars 2021
CORONA-perte de gain; procédure, droit aux indemnités journalières, année fiscale de référence; art. 5 al. 2 O COVID-19 PdG
Cette affaire s’inscrit dans le débat concernant le revenu à prendre en considération pour décider de l’octroi d’indemnités journalières APG à une personne de condition indépendante. En l’espèce, la personne assurée s’était vu refuser ces prestations au motif que le revenu de l’activité lucrative pour l’année 2019 était nul. Le tribunal cantonal des assurances avait admis le recours de la personne assurée, retenant que la taxation fiscale définitive devait faire foi également après le 16 septembre 2020, et renvoyant la cause à la caisse de compensation pour nouvelle décision après l’établissement de cette taxation.
Devant connaître du recours interjeté par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), le TF a retenu qu’il était irrecevable, le jugement cantonal étant un jugement incident et l’OFAS ayant la possibilité d’en contester la teneur ultérieurement, avec le jugement final. Le fait que le jugement incident laisse entendre que la référence à la taxation définitive pour 2019 puisse servir de fondement à la décision sur l’octroi des APG COVID même si elle est établie après le 16 septembre 2020 (alors que les directives exposent clairement que l’on ne peut se baser sur une taxation définitive établie après le 16 septembre 2020 [cf. CCPG, N 1065], ndla) n’est pas de nature à causer un préjudice irréparable à l’administration, y compris en raison du surcroît de travail que causerait une révision des dossiers ayant déjà fait l’objet d’une décision définitive.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : cet arrêt est intéressant, car il laisse entrevoir la possibilité – ou à tout le moins il ne ferme porte – à une décision de principe portant sur la légalité du N 1065 CCPG, qui prévoit qu’il faut se fonder sur le revenu retenu pour le décompte des cotisations 2019, ou la taxation fiscale définitive si elle est déjà disponible, sans correction possible a posteriori si la taxation fiscale est établie après le 16 septembre 2020, chose plutôt singulière dans le régime des APG.


ATF 147 V 181, TF 9C_708/2020 du 8 mars 2021
Prévoyance professionnelle; invalidité; art. 26a LPP
Lorsqu’il est mis fin, dans l’assurance-invalidité (AI), à une rente d’invalidité (accordée à l’époque en raison de troubles somatoformes douloureux), sur la base des dispositions finales, let. a, de la modification du 18 mars 2011 de la LAI (révision 6A), l’institution de prévoyance peut, simultanément, mettre fin au droit à la rente d’invalidité, sur la base de la disposition finale de la modification du 18 mars 2011 prévue dans la LPP (réexamen des rentes octroyées en raison d’un syndrome sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique). L’art. 26a al. 1 LPP, relatif au maintien provisoire de l’assurance et du droit aux prestations en cas de réduction ou de suppression de la rente de l’assurance-invalidité, n’est pas applicable dans un tel cas.
Auteur : Guy Longchamp


TF 6B_1125/2020 du 4 mars 2021
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute, négligence, violation grave des règles de la CR; art. 117 CP; 26 et 90 al. 2 LCR
En matière de circulation routière, le degré de diligence devant être adopté pour éviter de porter atteinte à autrui se détermine selon les règles de la loi sur la circulation routière et de ses ordonnances, y compris le principe de confiance qui découle de l’art. 26 LCR. Cette disposition impose de conduire de manière assez précautionneuse pour éviter d’entrer en collision avec d’autres usagers qui se comportent conformément auxdites règles (c. 4.3).
L’automobiliste qui, en dépassant, provoque une collision avec une motocyclette roulant en sens inverse et tue le conducteur de celle-ci se rend coupable d’une violation grave des règles de la circulation routière, envers l’usager dépassé, en concours idéal avec l’infraction d’homicide par négligence (c. 5.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

ATF 147 V 187, TF 9C_388/2020 du 3 mars 2021
Assurance-maladie; infirmités congénitales, traitement dentaire; art. 27 LAMal; 19a al. 1 OPAS
Sur la base des art. 27 LAMal et 19a al. 1 OPAS, l’assureur-maladie peut être tenu de prendre en charge les coûts d’un suivi de traitement dentaire, même si la personne assurée a – pour des raisons non médicales – entrepris ledit traitement de l’infirmité congénitale (in casu : anodontie congénitale totale ou anodontie congénitale partielle par absence d’au moins deux dents permanentes juxtaposées ou de quatre dents permanentes par mâchoire à l’exclusion des dents de sagesse – cf. ch. 206 annexe OIC) seulement après avoir atteint l’âge de vingt ans révolus (cf. art. 13 ss LAI). Les critères de l’efficacité, de l’adéquation et du caractère économique du traitements doivent évidemment être réunies, ce qui était le cas, en l’espèce.
Auteur : Guy Longchamp


TF 2C_371/2018 du 19 février 2021
Responsabilité de l’Etat; péremption, abus de droit; art. 2 CC; LResp TI
L’action est dirigée contre le canton du Tessin, fondée sur la loi cantonale régissant la responsabilité civile des entités publiques et leur agents (LResp TI). Selon cette loi, le lésé doit présenter, sous peine de péremption, sa demande d’indemnisation au canton dans un délai d’une année à compter de la connaissance du dommage et, au plus tard, dans le délai de dix ans dès la survenance des faits.
Si la procédure préalable conduit au refus de toute indemnisation au lésé, l’action doit être introduite dans les six mois qui suivent la décision négative du canton. L’absence de réponse donnée dans les trois mois qui suivent la demande d’indemnisation est considérée comme un refus.
Le TF a admis, en vertu de l’art. 2 CC, l’abus de droit de l’Etat à se prévaloir de son silence durant les trois mois ayant suivi le dépôt de la demande d’indemnisation, au vu des excuses écrites ultérieures, répétées à maintes reprises, pour le retard pris dans l’examen de la demande, sachant qu’une décision de refus, non motivée, a été ensuite communiquée au lésé peu de temps avant l’échéance du délai de neuf mois à compter de la demande d’indemnisation.
Les délais de péremption ne peuvent être suspendus, interrompus ou prolongés. L’application de cette règle ne doit pas heurter le principe de la bonne foi. L’Etat ne peut ainsi adopter un comportement qui laisserait entendre que les demandes peuvent être présentées hors délais pour ensuite se prévaloir de la prescription ou de la péremption.
Le lésé ayant introduit son action dans le délai de neuf mois à compter de la demande d’indemnisation, a été laissée ouverte, la question de savoir si un nouveau délai de six mois avait commencé à courir à compter de la réponse négative du canton.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

ATF 147 III 159, TF 4A_619/2020 du 17 février 2021
Responsabilité aquilienne; procédure, théorie des faits de double pertinence, décision incidente, incompétence ratione loci; art. 92 et 93 LTF; 59 al. 2 let. b CPC
Une banque assigne une société russe en paiement d’une somme d’argent par-devant la Chambre patrimoniale cantonale vaudoise. La défenderesse dépose une requête visant à ce que le tribunal limite la procédure à la seule question de sa compétence à raison du lieu. A ce titre, elle argue que les prétentions de la demanderesse ne reposent pas sur un acte illicite mais sur la responsabilité fondée sur la confiance, ce dernier chef n’étant selon elle pas prévu par la LDIP. De ce fait, la partie défenderesse estime que les faits allégués par la demanderesse ne permettent pas de fonder la compétence de l’autorité saisie et qu’il n’existe, par conséquent, aucun for en Suisse. La Chambre patrimoniale cantonale vaudoise ainsi que la Chambre des recours civile du Tribunal du canton de Vaud considèrent qu’il s’agit d’un fait de double pertinence. Les juges cantonaux considèrent ainsi que cette question ne pourra être tranchée qu’après l’administration des preuves et rejettent dès lors le recours de la société russe. La partie défenderesse recourt au TF.
A titre préliminaires, les juges fédéraux relèvent plusieurs principes jurisprudentiels s’inscrivant dans le cadre de la théorie de la double pertinence. Le TF estime que le tribunal doit statuer d’entrée de cause sur sa compétence (art. 59 al. 2 let.b CPC) et déterminer s’il a affaire à des faits simples ou des faits doublement pertinents. Les faits sont dits simples s’ils sont déterminants uniquement pour la compétence (par ex. la localisation de l’acte illicite qui est sans pertinence pour le bien-fondé de la prétention au fond). De tels faits doivent être prouvés lorsque le défendeur conteste les allégués du demandeur et soulève ainsi l’exception déclinatoire.
Les faits sont dits de double pertinence lorsque ceux-ci sont à la fois pertinents pour trancher la question de la compétence du tribunal mais aussi du bien-fondé de l’action (par ex. lorsque le for a pour condition l’existence d’un acte illicite ou d’un contrat). Les faits de double pertinence n’ont pas à être prouvés mais sont censés être établis sur la seule base des écritures du demandeur : le juge examinera sa compétence uniquement sur la base des allégués, moyens et conclusions de la demande, sans tenir compte des objections de la partie défenderesse et sans procéder à aucune administration de preuve. Toutefois, bien que les faits doublement pertinents ne doivent pas être prouvés, le juge doit tout de même examiner s’ils sont concluants, c’est-à-dire s’ils permettent de déterminer le for invoqué par le demandeur (question de droit).
La théorie de la double pertinence, critiquée par une partie de la doctrine, autorise ainsi le juge saisi à admettre sa compétence sans en vérifier toutes les conditions, et peut ainsi se déclarer compétent alors même que l’existence d’un acte illicite n’est pas établie. Le TF considère que la théorie de la double pertinence est justifiée dans son résultat : dans le cas où, après l’administration des preuves, le juge rejette l’action au fond en raison de la constatation de l’absence de compétence en raison de l’inexistence du fait de double pertinence, le jugement sera revêtu de l’autorité de chose jugée et le demandeur qui a choisi d’introduire son action à un for spécial n’aura alors pas d’intérêt à pouvoir ensuite le porter au for ordinaire ou à un autre for spécial.
La recourante soutient que l’arrêt attaqué, confirmant la décision incidente de la Chambre patrimoniale cantonale, est susceptible d’un recours immédiat au TF en vertu de l’art. 92 al. 1 LTF. La Haute Cour rejette cette argumentation, relevant que les juges cantonaux n’ont pas rendu de décision visant à trancher effectivement et définitivement la question de sa compétence. Au surplus, la juridiction cantonale a souligné que l’administration des preuves sur les faits doublement pertinents se ferait lors de l’examen du bien-fondé de la prétention au fond. Dite décision cantonale doit ainsi être considérée comme un refus de statuer par une décision séparée sur la compétence : les juges fédéraux estiment que cette décision ne constitue pas une décision incidente sur la compétence au sens de l’art. 92 al. 1 LTF mais au sens de l’art. 93 LTF. Par ailleurs, le TF estime qu’il n’existe pas de préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, relevant au surplus que le justiciable ne dispose en principe pas d’un droit à obtenir une décision séparée sur la compétence.
Le recours est ainsi déclaré irrecevable.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève



TF 9C_488/2020 du 17 février 2021
Assurance-maladie; soins de longue durée, financement résiduel, conflit négatif de compétence, application du nouveau droit à un état de fait préexistant; art. 25a al. 5 LAMal
Le financement des soins de longue durée est réparti entre l’assurance-maladie, le canton, cas échéant la commune en cas de délégation, et la personne assurée. Conformément à l’art. 25a al. 5 LAMal, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2019, le canton compétent pour la prise en charge du financement résiduel est celui du dernier domicile de la personne avant son entrée en EMS. Le séjour en EMS lui-même ne fonde aucune nouvelle compétence. Le domicile au sens des art. 23 ss CC et le canton compétent pour le financement résiduel peuvent ainsi différer (c. 7.1.1). Cette dissociation n’existait pas sous l’ancien droit.
En l’espèce, la personne assurée séjournait en EMS depuis plusieurs années au moment de l’entrée en vigueur de la disposition légale précitée. En vertu de l’interdiction de l’application rétroactive des lois, et en l’absence de réglementation spécifique applicable aux situations qui ont débuté avant l’entrée en vigueur du nouveau droit et qui perdurent au moment de cette entrée en vigueur, il faut admettre que la personne assurée avait fondé son domicile au lieu de son séjour en EMS au moment où elle y était rentrée, et que le canton, respectivement la commune, dans laquelle se trouve cet établissement demeure compétent pour le financement résiduel des soins, même après l’entrée en vigueur du nouvel art. 25a al. 5 LAMal.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 147 V 114, TF 9C_809/2019 du 17 février 2021
Assurance-vieillesse et survivants; biens de la fortune commerciale et de la fortune privée, en droit fiscal et en droit de l’AVS; art. 9 al. 1 LAVS; 17 et 23 al. 4 RAVS; 18 al. 2 LIFD
Les frères et sœurs A., B., et C. créent une société simple, la société D., par contrat du 21 juillet 1988. Ils y apportent des immeubles provenant d’un avancement d’hoirie. Ladite société a pour but l’administration commune des biens immobiliers qui lui ont été apportés et, le cas échéant, l’aliénation de l’un ou de plusieurs des biens immobiliers en question. L’activité de la société vise l’investissement à long terme, et non pas des affaires de nature spéculative. Après le décès de B. en 1988, sa part de la société passe, par héritage et achat, aux membres restants de celle-ci, qui en continuent l’activité. D’un point de vue fiscal, les biens immobiliers de la société sont traités comme de la fortune privée jusqu’au 31 décembre 1995. En juin 2000, ceux-ci sont, sur la base d’un accord avec l’office cantonal des impôts de Zurich, transférés dans la fortune commerciale, avec effet rétroactif au 1er janvier 1996.
Par contrat du 29 juin 2012, A. vend à C. sa part dans la société D., respectivement sa part aux biens immobiliers de celle-ci. Se fondant sur le produit de cette vente, l’autorité fiscale annonce à la Caisse de compensation du canton de Zurich, sa taxation pour l’impôt fédéral direct, d’un revenu provenant d’une activité indépendante. Par la suite, la Caisse de compensation du canton de Zurich exige de A., pour un revenu soumis à cotisations de CHF 14'796’000.-, le paiement de cotisations à hauteur de CHF 1’441’670.40, majorées des intérêts moratoires.
La question qui se pose devant le TF est celle de savoir si la Caisse de compensation puis le Tribunal des assurances du canton de Zurich pouvaient, à bon droit, qualifier le revenu annoncé par l’autorité fiscale de revenu provenant d’une activité indépendante.
Le TF rappelle d’abord que la notion de « fortune commerciale » est, en droit de l’AVS, par le biais du renvoi de l’art. 17 RAVS à l’art. 18 al 2 LFID, celle du droit fiscal. Or, en matière de droit fiscal, le critère décisif pour la délimitation entre fortune privée et fortune commerciale consiste dans la volonté du contribuable de faire de son bien quelque chose qui servira à l’activité de son entreprise. Un élément de fortune qui est qualifié de « commercial » suppose donc toujours, au plan fiscal, une activité lucrative indépendante, ce qui signifie qu’en l’absence d’activité lucrative indépendante, il ne peut y avoir de fortune commerciale, respectivement d’attribution de biens à cette fortune.
Le TF examine ensuite la question de savoir dans quelle mesure la Caisse de compensation AVS compétente est, pour une opération telle que celle intervenue ici, liée par les données fournies par l’autorité fiscale. À ce sujet, le TF considère qu’il a toujours – s’agissant du rattachement, à la fortune commerciale ou privée, d’une opération d’aliénation de biens – estimé que c’est aux données fournies par l’autorité fiscale que la Caisse de compensation AVS compétente doit se fier, sauf si des doutes sérieux sont permis quant à ces données.
Aucun doute sérieux n’est cependant possible ici, étant donné que c’est en connaissance de tout ce qu’il fallait savoir des éléments économiques et des volontés en présence que l’autorité fiscale a décidé de faire, du produit de la vente réalisée par A., un élément de sa fortune commerciale, et non pas un élément de sa fortune privée.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 8C_701/2020 du 17 février 2021
Assurance-invalidité; dépendance, absence de traitement lege artis, absence de limitations dans les activités quotidiennes, pas d’invalidité; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI
Dans cette affaire, concernant une femme dépendante de longue date à l’alcool et à la marijuana, le TF confirme l’analyse des premiers juges qui, sur la base de l’expertise externe (art. 44 LPGA), avaient nié le caractère invalidant de la pathologie qu’elle présente.
Il n’y a ici pas de comorbidité, ni physique ni psychique. L’absence de traitement stationnaire, malgré les échecs répétés de traitements ambulatoires, ne permet pas de parler de traitement réalisé lege artis. Finalement, les experts n’avaient pas mis à jour de limitation fonctionnelle dans tous les domaines de la vie quotidienne.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 147 V 207, TF 8C_289/2020 du 17 février 2021
Assurance-accidents; accident de travail, troubles psychiques réactionnels, lien de causalité; art. 4 LPGA
Un maçon a été victime d’un accident de travail le 18 juin 2012 ayant pour conséquences des fractures aux deux jambes. Des complications ont nécessité plusieurs interventions et deux ans après l’accident, outre les diagnostics somatiques, celui de trouble de l’adaptation avec réaction anxieuse de type post-traumatique a été posé. En juin 2015, l’état de santé est stabilisé et une capacité de travail médico-théorique entière dans une activité adaptée a été constatée par le médecin d’arrondissement de la CNA. Le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité a été fixé à 15 %. La CNA a alloué à l’assuré une rente d’invalidé d’un taux de 23 % à compter du 1er août 2018. Elle a refusé de tenir compte d’une éventuelle incapacité de travail sur le plan psychique, faute d’un lien de causalité. Saisi du dossier, le tribunal cantonal a admis l’existence du lien de causalité adéquate entre l’accident et les troubles de nature psychiques. La CNA recourt au TF.
La CNA n’a procédé à aucune instruction médicale sur l’état de santé de l’assuré sur le plan psychique. Elle a qualifié l’accident de gravité moyenne, contrairement à la cour cantonale qui l’a qualifié de moyennement grave à la limite des cas graves. Dans un tel cas, un seul critère peut suffire à admettre l’existence d’un lien de causalité adéquate, par exemple la durée anormalement longue du traitement médical. Dans le cas présent, le traitement ayant entraîné une convalescence de près de deux ans doit également être qualifié d’anormalement longue et pénible, même si les hospitalisations ont été de courte durée.
Le TF a déjà eu l’occasion de dire qu’il n’est pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante (rappel de jurisprudence). Un tel procédé est contraire à la logique du système : la reconnaissance préalable d’un lien de causalité adéquate est un élément de nature à influencer, consciemment ou non, le médecin psychiatre dans son appréciation du cas, et donc le résultat d’une expertise psychiatrique réalisée après coup, qui s’en trouverait biaisé. Dès lors, le TF a partiellement admis le recours en ce sens que le dispositif du jugement cantonal en tant qu’il renvoie aux considérants sur la question de la causalité adéquate est annulé. La cause est renvoyée à la CNA afin qu’elle procède à une instruction complémentaire globale et sur cette base rendra une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’intimé.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate à Lausanne


TF 9C_57/2020 du 16 février 2021
Prestations complémentaires; procédure, notification irrégulière, nullité; art. 49 LPGA
Le jugement porte sur la question de savoir si la juridiction cantonale était en droit de retenir que les décisions de prestations complémentaires rendues par le SPC entre 2001 et 2015 avaient été notifiées valablement au recourant, à l’adresse de la fondation qui accueillait cet handicapé souffrant d’un retard mental.
Les juges cantonaux avaient considéré que la fondation était habilitée à percevoir directement les prestations complémentaires dues à celui-ci, en vertu des art. 20 al. 1 LPGA, 1 al. 2 OPGA et 22 al. 1 LPC, et à se voir notifier les décisions y relatives. Le vice de notification soulevé par l’assuré bénéficiaire de ces prestations a donc été écarté.
Le recourant se prévaut principalement d’une violation de l’art. 49 al. 3 LPGA, et reproche en substance aux premiers juges d’avoir confondu la question de la légitimation de la fondation à requérir les prestations complémentaires en son nom, et à recourir contre les décisions y relatives (art. 59 LPGA), avec la question de la représentation légale du bénéficiaire de prestations d’assurances. Dans la mesure où la fondation n’a à aucun moment été le représentant légal de l’assuré, celui-ci soutient que le service des prestations complémentaires devait notifier les décisions également à lui-même ou à son représentant légal.
Le TF a rappelé la teneur des chiffres 4120.01 et 4120.02 des directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC), qui prévoient que lorsque l’ayant droit aux prestations complémentaires ne se recoupe pas avec la personne ou l’autorité qui présente la demande, la décision doit également être adressée à l’ayant droit. Cette condition a en l’espèce été respectée, puisque les décisions ont bien été adressées au recourant, à son lieu de résidence à la fondation.
Le TF relève en revanche que le recourant était incapable de discernement et n’avait jamais pu s’occuper de ses affaires administratives, ce que le SPC ne conteste pas. Il ne disposait dès lors pas de l’exercice des droits civils et n’était pas en mesure de désigner un représentant volontaire. Le TF retient que si les premiers juges ont admis que les décisions avaient été valablement notifiées au recourant, à son adresse à la fondation, ils n’ont pas abordé la question de la représentation de l’assuré. Le fait que la fondation soit autorisée à requérir les prestations complémentaires au nom de l’assuré, à percevoir directement ces prestations et à se voir notifier les décisions y relatives, n’implique pas qu’elle soit également habilitée à représenter l’assuré en ce qui concerne les prestations complémentaires. La légitimation du tiers de contester les décisions de manière indépendante et en son propre nom n’entraîne pas un pouvoir de représentation.
Ainsi, les décisions entreprises ont été notifiées à une personne incapable de discernement qui était dépourvue de représentant légal. En conséquence, lesdites décisions ne sont pas parvenues valablement à l’assuré. En présence d’un vice de procédure particulièrement grave, les décisions sont entachées de nullité, nullité qui doit être levée d’office par toute autorité et qui est retenue par notre Haute Cour dans le cas d’espèce.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne


TF 4A_14/2021 du 15 février 2021
Assurances privées; assurance collective, indemnité journalière en cas de maladie, CGA, incapacité de travail après la fin des rapports de travail, annonce tardive, conséquence; art. 45 LCA
Le TF se penche essentiellement sur l’interprétation de différentes clauses portant sur les conséquences d’une annonce tardive d’une incapacité de travail, contenues dans les conditions générales d’assurance (CGA) de l’intimée, une assurance collective indemnité journalière en cas de maladie. Il rappelle qu’il s’agit d’une assurance complémentaire soumise à la LCA, que les litiges qui en découlent relèvent du droit privé (c. 1) et que le contenu et les buts des CGA s’interprètent selon les mêmes principes que les autres dispositions contractuelles (c. 5).
Dans le cas d’espèce, le recourant a avisé l’intimée de son incapacité de travail en date du 22 mai 2019. Le 7 octobre 2019, par convention conclue dans le cadre d’une procédure de conciliation, lui et son employeur ont rétroactivement résilié les rapports de travail au 31 mars 2018.
Le TF tranche tout d’abord la question de savoir si l’intimée peut se prévaloir de la date conventionnelle de la fin du contrat de travail du recourant. Examinant la volonté réelle des parties, le TF conclut qu’il n’y a aucune raison pour que la date du 31 mars 2018 ne soit pas également déterminante dans la relation entre les parties. Aux termes des CGA de cette dernière, la couverture d’assurance se termine à la fin du contrat de travail. Ainsi, lors de la survenance de l’événement assuré le 22 mai 2019, le recourant n’était plus assuré (c. 4).
Selon les CGA de l’intimée, toute incapacité de travail totale ou partielle doit lui être annoncée dans les 15 jours dès sa survenance. Après l’expiration de ce délai, le jour où elle a eu connaissance de l’incapacité est considéré comme le premier jour de l’incapacité. En cas de retard excusable de la déclaration, le paiement des indemnités journalières est limité à 180 jours précédant la date de l’avis.
Il s’agit de déterminer si la date de l’annonce tardive de l’incapacité correspond à la survenance de l’incapacité ou si les clauses précitées ne font que limiter l’étendue de l’obligation de verser des prestations, la faisant débuter qu’à la date de l’annonce tardive. Le TF confirme l’interprétation retenue par les instances cantonales. Le recourant considère qu’une telle interprétation peut mener à un résultat choquant, à savoir que même si l’incapacité survient durant une période de couverture, elle ne serait pas couverte si elle est annoncée avec du retard après la fin des rapports de travail. Le TF rejette cet argument, indiquant qu’une telle constellation n’est pas la règle et ne peut se produire que si l’assuré ne déclare pas son incapacité de travail à temps, sans que ce retard soit excusable (c. 6.2). Le TF estime enfin que ces clauses ne sont pas contraires à l’art. 45 LCA (c. 7.2) et ne sont ni insolites, ni inhabituelles (c. 8.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 9C_139/2020 du 10 février 2021
Assurance-vieillesse et survivants; coordination européenne, sous-traitance, rattachement, statut des travailleurs; art. 11 à 13 R (CE) n° 883/2004
Le litige concerne l’obligation, pour une entreprise helvétique du secteur de la construction, de payer en Suisse des cotisations sociales pour les employés d’une entreprise portugaise à laquelle elle avait confié des travaux en sous-traitance qui ont été effectués en Suisse.
L’absence d’attestation A1 délivrée par l’organisme portugais de sécurité sociale empêche de considérer que les travailleurs en question soient reconnus comme des travailleurs détachés au sens de l’art. 12 R (CE) n° 883/2004. L’entreprise recourante n’apporte par ailleurs pas la preuve que les travailleurs portugais auraient exercé des activités au Portugal également, concomitamment à leur activité en Suisse. L’art. 13 R (CE) n° 883/2004 ne s’applique ainsi pas non plus. En conséquence, la situation doit être résolue en appliquant le principe général de l’art. 11 par. 3 let. a R (CE) n° 883/2004, selon lequel la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat membre. Le droit suisse est donc applicable (c. 4.1).
Qualifier les travailleurs concernés de travailleurs dépendants ou indépendants doit se faire à la lumière du droit suisse. En l’espèce, ils sont qualifiés de travailleurs dépendants, faute d’éléments suffisants permettant de conclure à une situation d’indépendance (c. 4.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_196/2020 du 8 février 2021
Assurance-vieillesse et survivants; obligation de cotiser, appréciation anticipée des preuves, violation du droit d’être entendu, arbitraire, activité dépendante ou indépendante; art. 29 al. 2 Cst.
Le point de savoir si la rétribution versée par une société à l’un de ses administrateurs, en l’occurrence un avocat exerçant également comme indépendant, doit être qualifiée de salaire ou d’honoraires dépend de l’existence – ou non – d’un lien de dépendance envers la société.
L’autorité judicaire ne peut à cet égard refuser, sous peine de verser dans l’arbitraire et par conséquent violer le droit d’être entendu de la personne rémunérée, d’auditionner des témoins en mesure de s’exprimer sur la nature de ses rapports professionnels avec la société qui le rétribue.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne

ATF 147 V 167, TF 8C_145/2020 du 4 février 2021
LAA; assurance-accidents; art. 17, 53 al. 2 LPGA
Le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence (ATF 133 V 108 et 140 V 514) selon laquelle lorsqu’une rente d’invalidité est revue à la hausse ou à la baisse, la décision sur révision remplace la décision révisée. Il en va de même lorsque la rente attribuée est confirmée après un examen matériel du droit à une rente d’invalidité. Si, par la suite, la décision sur révision est à son tour révisée ou reconsidérée, la décision initiale ne renaît pas, sous réserve de la nullité de la décision sur révision. Par conséquent le droit à la rente doit être examiné librement pour le futur (« ex nunc et pro futuro »), même dans le cas où aucun titre de révocation n’existe en relation avec cette décision antérieure.
Auteur : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 9C_412/2020 du 1 février 2021
Prestations complémentaires; revenus déterminants, pension étrangère, taux de change; ALCP; R (CE) n° 883/2004 et 987/2009
L’assurée, au bénéfice d’une rente de vieillesse AVS depuis le 1er janvier 2003 et percevant également une pension de l’Istituto Nazionale Previdenza Sociale (INPS) de Rome, en raison de son statut de veuve d’un ressortissant italien, fait valoir son droit à des prestations complémentaires. Celles-ci lui sont refusées au motif que ses revenus déterminants couvrent ses dépenses reconnues. Le litige concerne le taux de conversion de la rente italienne et le nombre de mensualités : la juridiction cantonale a retenu que la rente était versée 12 fois par an, alors que la caisse de compensation avait retenu qu’il y avait 13 mensualités ; la juridiction cantonale a retenu le taux de change appliqué de facto par la Banque cantonale neuchâteloise au cours du jour du change, soit 1.1119 au 10 décembre 2018, alors que la caisse de compensation avait appliqué le taux de conversion publié par la Banque centrale européenne au cours du jour du change (1.1295). La caisse de compensation recourt au TF contre l’arrêt de la juridiction cantonale.
Selon le TF, vu que la décision a été rendue après l’entrée en vigueur au 1er juin 2002 de l’ALCP et concerne une prétention postérieure à cette date, les Règlements (CE) n° 883/2004 et 987/2009, auxquels l’ALCP renvoie (art. 8 et 15 ALCP ; art. 1 al. 1 et section A de l’annexe II), sont applicables. Les prestations complémentaires relèvent du champ d’application matériel du R (CE) n° 883/2004 ; en sa qualité de veuve d’un ressortissant italien l’assurée entre dans le champ d’application personnel du même règlement. S’agissant de la conversion des monnaies, l’art. 90 R (CE) n° 987/2009 prévoit que le taux de change de référence est celui publié par la Banque centrale européenne et la date est fixée par la commission administrative (cf. annexe II ALCP, section B, point 8 : renvoi à la décision H3 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale du 15 octobre 2009 relative à la date à prendre en compte pour établir les taux de change visée à l’art. 90 du règlement). Selon cette décision et sauf disposition contraire de celle-ci, le taux de change est celui publié le jour où l’institution exécute l’opération en question, en l’occurrence le jour où l’institution de sécurité sociale italienne a exécuté l’opération bancaire (DPC N 3452.01).
Selon la jurisprudence, lorsque les droits sont calculés sur le seul fondement des législations nationales (par ex. la conversion en euros d’une rente AVS calculée uniquement selon le droit suisse en francs suisses), ni l’art. 90 du règlement précité ni la décision H3 ne sont applicables et les taux de conversion demeurent déterminés par la législation interne. En revanche, dans les situations nécessitant une coordination, telles celles où une rente ou une pension versée par une institution de sécurité sociale d’un Etat membre de l’UE doit être prise en compte dans le cadre de l’examen du droit à des prestations complémentaires à l’AVS ou à l’AI, les dispositions sur la conversion des monnaies du R (CE) n° 987/2009 et de la décision H3 trouvent application.
C’est donc la caisse de compensation qui a eu gain de cause sur le taux de conversion et aussi sur le nombre de mensualités versées, la décision de l’INPS faisant référence aux 12 mensualités de la rente AVS suisse et non à celles de la pension italienne.
Auteur : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

ATF 147 V 146, TF 9C_52/2020 du 1 février 2021
Prévoyance professionnelle; calcul de surindemnisation; art. 34a al. 1 LPP et 24 al. 1 OPP2
Une disposition règlementaire d’une caisse de pensions prévoyant la prise en compte d’une rente AI « hypothétique » calculée selon l’échelle de rente 44 (au lieu, en l’espèce, de l’échelle de rente 28 appliquée par l’AI en raison d’une durée incomplète de cotisations) contrevenait à l’évaluation d’une éventuelle surindemnisation conformément aux art. 34a al. 1 LPP et 24 al. 1 OPP2, qui visent à empêcher un « avantage injustifié », ainsi qu’au principe de l’égalité de traitement, qui doit être respecté dans le cadre de la marge de manœuvre laissée aux institutions de prévoyance selon l’art. 49 al. 2 LPP.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_362/2020 du 22 janvier 2021
Responsabilité du propriétaire foncier; prescription, dies a quo, abus de droit; art. 60 al. 1 CO; art. 2 al. 2 et 679 CC
Le litige oppose N. B. et C. B. (ci-après : les intimés), propriétaires d’un bâtiment, et A. (ci-après : le recourant), propriétaire d’un bâtiment mitoyen. A la suite d’un sinistre dû à un dégât d’eau, l’architecte C., mandaté par les intimés, rend un rapport le 13 janvier 2014 aux termes duquel le dommage doit être assumé à 85 % par A., qui conteste le rapport. Les parties confient d’un commun accord un mandat d’expertise à D. Selon le rapport de ce dernier, du 26 février 2015, A. est exonéré de toute responsabilité. La contre-expertise, établie par l’architecte C., retient que le dommage doit être majoritairement assumé par A., le solde par N. B. et C. B. Cette expertise, assortie d’une mise en demeure, est communiquée le 21 mai 2015 par les intimés à A. Ils requièrent une poursuite le 15 juin 2015 et ouvrent action le 26 août 2016. L’exception de prescription est rejetée en première et en deuxième instance. Les juges cantonaux ont retenu l’abus de droit. Le fait, pour le recourant, de mandater un expert d’un commun accord avec les intimés constituait une démarche qui avait incité ces derniers à ne pas se préoccuper de l’interruption du délai de prescription. L’exception de prescription n’a donc pas été admise, motif du recours au TF.
Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 1er janvier 2020 (art. 49 al. 1 Tit. fin. CC), la prescription relative est d’un an à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne qui en est l’auteur (c. 3 ; c. 4.1.1).
En l’espèce, la Cour cantonale n’a pas méconnu ces principes en retenant que les intimés avaient eu une connaissance suffisante du dommage ainsi que de la personne responsable à réception du premier rapport de leur architecte, daté du 13 janvier 2014. A ce titre, le rapport de D. respectivement la contre-expertise de C. ne leur est d’aucun secours s’agissant du dies a quo du délai de prescription (c. 4.2).
Reste à examiner si le grief de l’abus de droit, retenu par la Cour cantonale, résiste à l’examen (c. 5 et 5.1). En l’espèce, les intimés devaient envisager que l’expert en cause exprime un avis divergeant et devaient soit obtenir une renonciation expresse à invoquer la prescription de la partie adverse, soit interrompre le cours de celle-ci, ce qu’ils ont fait ultérieurement – mais tardivement – en requérant une poursuite à son encontre. Leur retard à agir n’est objectivement pas compréhensible. Partant, il n’y a rien d’abusif pour le recourant à invoquer la prescription de la créance en dommages-intérêts. Contrairement à ce qu’avancent les intimés en invoquant l’équité, cette institution n’est pas ici détournée de son but. Le grief du recourant s’avère bien fondé (c. 5.2).
La prescription d’un an qui a débuté le 14 janvier 2014 est ainsi échue le 14 janvier 2015 sans avoir été interrompue. Elle fait ainsi échec à l’exigibilité de la créance invoquée par les intimés (c. 5.3).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud


TF 6B_484/2020 du 21 janvier 2021
Responsabilité aquilienne; tort moral; art. 47 CO
Aux termes de l’art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d’homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale. Les frères et sœurs comptent parmi les membres de la famille qui peuvent prétendre à une indemnité pour tort moral. Cependant, ce droit dépend des circonstances et la pratique en la matière est plutôt restrictive. Le fait de vivre sous le même toit est en particulier un indice important de l’intensité de la relation pouvant exister dans une fratrie, ce qui peut ainsi ouvrir le droit à une indemnisation. Si tel n’est pas le cas au moment du décès du frère ou de la sœur, l’allocation d’une indemnité pour tort moral n’est envisageable qu’en présence de contacts très étroits, seuls susceptibles d’occasionner des souffrances morales exceptionnelles.
Dans le cas d’espèce, l’allocation d’une indemnité pour tort moral en faveur de sœurs adultes âgées 60 à 70 ans n’entretenant avec la défunte que très peu de contacts depuis plusieurs années doit ainsi être refusée.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne


ATF 147 V 213, TF 8C_378/2020 du 21 janvier 2021
Assurance-accidents; rente d’invalide, révision, gain assuré; art. 24 al. 2 OLAA
L’art. 24 al. 2 OLAA ne trouve pas application en présence d’une révision de la rente d’invalidité (augmentation du degré d’invalidité). Le gain assuré déterminant à prendre en considération reste celui qui prévalait à la survenance du cas d’assurance et ne peut être revu dans le cadre d’une révision. Seule la procédure de l’opposition, lors de l’octroi initial de la rente d’invalidité, est ouverte pour contester la fixation du gain assuré déterminant (confirmation de la jurisprudence parue aux ATF 135 V 279).
Auteur : Guy Longchamp


ATF 147 V 65, TF 8C_525/2020 du 21 janvier 2021
Assurance-invalidité; procédure, complément d’expertise, facture postérieure au jugement, décision complémentaire, absence de base légale; art. 42 LTF; 45 LPGA; droit cantonal (SG)
Dans le cadre d’une procédure en révision d’une rente d’invalidité, le Tribunal cantonal des assurances a demandé un complément d’expertise psychiatrique. Sur la base de ce complément, il a statué et mis les frais à la charge de l’office AI. Après le jugement, l’hôpital au sein duquel le complément d’expertise psychiatrique a été effectué a transmis sa facture au Tribunal cantonal des assurances. Ce dernier a rendu une décision complémentaire mettant le montant de cette facture à la charge de l’office AI, qui recourt au TF.
La décision complémentaire viole l’obligation de motiver ainsi que le droit d’être entendu de l’office AI, dès lors qu’elle n’indique pas la base légale qui permettrait de rendre une décision complémentaire. Selon le TF, il n’existe pas de base légale qui permettrait de rendre une telle décision complémentaire.
Elle ne constitue en effet ni une interprétation, ni une rectification, dès lors qu’il ne s’agit pas de corriger une simple erreur de calcul mais de mettre à charge de l’office AI des frais supplémentaires qui n’ont nullement fait l’objet de la première décision (c. 4.2). Il ne peut pas non plus s’agir d’une reconsidération, étant donné que ni la LPGA, ni le droit cantonal ne prévoient la reconsidération de décisions rendues par le Tribunal cantonal des assurances (c. 4.3). Finalement, le TF expose qu’une révision n’entre pas non plus en ligne de compte dès lors que, selon le droit cantonal, une révision ne peut être effectuée que sur requête et qu’il n’y a pas de motif de révision, la facture de l’hôpital étant un fait postérieur à la décision du 11 décembre 2019. Le TF admet le recours.
Auteur : Me Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 4A_488/2020 du 19 janvier 2021
Assurances privées; assurance perte de gain en cas de maladie, rentes AI, rentes LPP, surindemnisation, art. 26 al. 2 LPP
Un employé reçoit des indemnités journalières en cas de maladie pour une incapacité de travail totale depuis le 10 novembre 2014. En juin 2016, l’AI lui accorde une rente entière à partir du 1er novembre 2015. L’assureur perte de gain réduit son indemnité compte tenu de la rente AI. En septembre 2016, la caisse de pension alloue une rente d’invalidité fondée sur une incapacité à 100 %, à hauteur de CHF 4’840.- par mois à partir du 1er novembre 2015. Le courrier de la caisse précise que la rente ne peut pas être reportée jusqu’à l’épuisement du droit aux indemnités journalières maladie. Sur la base de cette décision, l’assureur perte de gain réduit les indemnités journalières et demande à l’assuré le remboursement de CHF 48’400.- au titre de surindemnisation pour la période de novembre 2015 à août 2016 (10 mois à CHF 4’840.-). Il ouvre action contre l’assuré devant le Tribunal administratif du canton de Schwytz, qui lui donne raison. L’assuré recourt devant le TF.
Le TF confirme implicitement l’appréciation du tribunal cantonal sur l’existence d’une clause de surindemnisation dans les conditions d’assurance perte de gain maladie. Il examine ensuite l’application de l’art. 26 al. 2 LPP, associé à l’art. 26 al. 2 OPP2, selon lequel l’institution de prévoyance peut prévoir dans son règlement que le droit aux prestations est différé aussi longtemps que l’assuré reçoit un salaire entier ou des indemnités perte de gain correspondant à 80 % du salaire financées pour moitié au moins par l’employeur. En l’espèce, le TF relève que l’assuré n’établit pas en quoi les conditions d’un report étaient réalisées et que l’autorité cantonale n’a pas violé la maxime d’office (art. 247 al. 2 let. a CPC) ni l’application du droit d’office (art. 57 CPC). L’ATF 142 V 466, qui renverse la jurisprudence et admet que le droit au report de la rente LPP existe aussi lorsque l’assureur perte de gain compense en partie les indemnités journalières avec le rétroactif de la rente AI, n’est par ailleurs d’aucune aide à l’assuré, dès lors qu’il ne démontre pas que les conditions du report étaient réalisées.
Enfin, le fait que l’institution de prévoyance n’a versé réellement à l’assuré que CHF 22’000.- sur les CHF 48’400.- dus pour la période du 1er novembre 2015 au 31 août 2016, le solde ayant été compensé avec une avance faite à l’assuré, n’est pas relevant non plus, dès lors que l’assuré ne conteste pas que le droit à la rente pour la même période est bien de CHF 48’400.- en tout.
Par conséquent, le recours de l’assuré est rejeté.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 4A_536/2020 du 19 janvier 2021
Assurances privées; indemnités journalières, prétention frauduleuse; art. 39 et 40 LCA
Le TF confirme que l’assureur, en vertu de l’art. 40 LCA, est en droit de suspendre les indemnités journalières d’un assuré qui dissimule sciemment un voyage à l’étranger pendant son incapacité de travail.
Il est rappelé que d’un point de vue objectif, la dissimulation ou la déclaration inexacte d’un assuré doit porter sur des faits qui sont propres à remettre en cause l’obligation même de l’assureur ou à influer sur son étendue ; en d’autres termes, une communication correcte des faits conduirait l’assureur à verser une prestation moins importante, voire aucune. L’art. 40 LCA ne s’applique donc pas seulement en cas de violation de l’art. 39 LCA ; il a une portée plus large.
De plus, l’assuré doit, sur le plan subjectif, avoir l’intention de tromper. Il faut qu’il ait agi avec la conscience et la volonté d’induire l’assureur en erreur, afin d’obtenir une indemnisation plus élevée que celle à laquelle il a droit ; peu importe à cet égard qu’il soit parvenu à ses fins. L’assureur peut alors refuser toute prestation, même si la fraude se rapporte à une partie seulement du dommage.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

ATF 147 III 73, TF 4A_424/2020 du 19 janvier 2021
Assurances privées; assurance perte de gain maladie, incapacité de travail postérieure au licenciement, preuve de la perte de gain, indemnisation selon les prestations du chômage; art. 324a al. 4 CO; 8 CC
La personne sans emploi qui n’a pas droit aux indemnités de chômage doit prouver l’existence d’une perte de gain pour pouvoir prétendre à des indemnités journalières. Elle doit donc prouver, selon le principe de la vraisemblance prépondérante, qu’elle aurait exercé une activité lucrative si elle n’avait pas été malade. Ceci vaut pour la personne qui était déjà sans emploi lors de la survenance de la maladie. A l’inverse, la personne qui était encore en emploi lors de la survenance de la maladie bénéficie d'une présomption de fait en ce sens que sans la maladie qui l'affecte, elle exercerait encore une activité lucrative (c. 3.2) (confirmation de jurisprudence).
Le moment de la résiliation du contrat de travail est déterminant pour la présomption de fait : celle-ci s'applique donc uniquement si la personne assurée est devenue incapable de travailler pour cause de maladie avant la résiliation de son contrat (c. 3.2).
En l’espèce, le TF a considéré que l’assuré n’était pas parvenu à rendre hautement vraisemblable sa prise d’emploi auprès d’un nouvel employeur, malgré des pourparlers avancés en ce sens. L’assureur était donc en droit de réduire les indemnités journalières en fonction des prestations qui lui auraient été versées par le chômage s’il n’avait pas été incapable de travailler après le terme de son contrat (c. 4.3.2).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève



TF 9C_522/2020 du 15 janvier 2021
Prestations complémentaires; procédure, déni de justice, droit au PC pendant la procédure de révocation du permis de séjour; art. 29 al. 1 Cst.; 9 et 10 LPC; 33, 43, 61 et 62 LEI; 59 OSAM
Selon l’art. 33 al. 3 LEI, la durée de validité du permis de séjour est limitée, mais peut être prolongée s’il n’existe aucun motif de révocation au sens de l’art. 62 al. 1 LEI. En principe, il expire à la fin de sa période de validité (art. 61 al. 1, let. c LEI) ou – comme c’est le cas dans le présent litige – lors de sa révocation (art. 62 LEI). La personne étrangère peut toutefois rester en Suisse pendant la durée de la procédure de renouvellement, et donc aussi après l’expiration de l’autorisation, pour autant que l’autorité compétente ne prenne pas de décisions divergentes à ce sujet (art. 59 al. 2 OASA). Ainsi, et bien qu’il ne s’agisse que d’un droit de séjour procédural, les droits conférés par le permis (notamment en matière de séjour et d’activité professionnelle) peuvent continuer de s’appliquer après l’expiration de sa période de validité.
En général, le statut juridique accordé avec le permis prend fin avec une décision de révocation définitive et le prononcé d’une décision de renvoi de l’intéressé (art. 64 LEI). Dès lors qu’un délai de départ raisonnable doit être fixé pour le renvoi (art. 64d LEI), la révocation devient effective ex nunc. Dans le cas de décisions initialement erronées dont le destinataire de la décision est responsable, la modification prend normalement effet ex tunc.
En l’espèce, l’épouse étrangère d’un assuré sri lankais, rentier AI au bénéfice de PC, jouit d’un droit de séjour procédural pendant la procédure relative à la contestation de la révocation de son permis de séjour, ce qui signifie qu’elle continue à conserver les droits qu’elle a acquis avec son permis par regroupement familial. Etant donné que la révocation du permis de séjour ne lui est pas imputable, mais est due à la modification de la LEI entrée en vigueur le 1er janvier 2019, la révocation n’a pas d’effet ex tunc. En effet, depuis le 1er janvier 2019, la LEI prévoit que « [l]e conjoint étranger du titulaire d’une autorisation d’établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité [notamment si] la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires (LPC) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial ».
Il s’ensuit, comme l’affirment les époux, que l’issue de la procédure relative à la révocation du permis de séjour ne peut pas modifier la légalité du séjour de l’épouse en Suisse au cours de la procédure relative aux PC perçues par l’époux assuré. Etant donné qu’un lien direct entre les deux procédures est nié, la caisse de compensation n’était pas fondée à suspendre la procédure d’opposition relative aux PC du conjoint assuré sous prétexte qu’une procédure de révocation du permis de séjour de l’épouse était pendante et que celle-ci aurait pu influencer le montant de ses PC au sens des art. 9 et 10 LPC. Une telle suspension constitue en effet une violation du principe de célérité et un déni de justice (art. 29 al. 1 Cst.).
Le jugement querellé doit être annulé et l’affaire est renvoyée à la caisse de compensation pour la poursuite de la procédure d'opposition relative aux PC du conjoint assuré.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 9C_583/2020 du 11 janvier 2021
Assurance-invalidité; délimitation entre la formation professionnelle initiale et le reclassement; art. 4 al. 2, 16, 17 et 23 al. 1, 2 et 2bis LAI; 6 al. 1 RAI
L’assuré qui n’a pas encore eu d’activité lucrative et à qui sa formation professionnelle initiale occasionne, du fait de son invalidité, des frais beaucoup plus élevés qu’à un non-invalide a droit au remboursement de ses frais supplémentaires si la formation répond à ses aptitudes (art. 16 al. 1 LAI). Est en particulier assimilée à la formation professionnelle initiale la formation dans une nouvelle profession pour les assurés qui, postérieurement à la survenance de l’invalidité, ont entrepris de leur propre chef une activité professionnelle inadéquate qui ne saurait être raisonnablement poursuivie (art. 16 al. 2 let. b LAI). En revanche, l’assuré a droit au reclassement dans une nouvelle profession si son invalidité rend cette mesure nécessaire et que sa capacité de gain peut ainsi, selon toute vraisemblance, être maintenue ou améliorée (art. 17 al. 1 LAI). Sont considérées comme un reclassement les mesures de formation destinées à des assurés qui en ont besoin, en raison de leur invalidité, après achèvement d’une formation professionnelle initiale ou après le début de l’exercice d’une activité lucrative sans formation préalable, pour maintenir ou pour améliorer leur capacité de gain (art. 6 al. 1 RAI ; cf. c. 2.1.). C’est le fait que l'assuré exerçait ou non une activité lucrative qui permet de déterminer un droit aux prestations selon l'art. 17 ou 16 LAI et détermine le droit à une grande ou une petite indemnité journalière (art. 23 al. 1, respectivement art. 23 al. 2 et 2bis LAI), en fonction de la mesure professionnelle y relative ordonnée pour le cas assuré spécifique (art. 4 al. 2 LAI ; cf. c. 2.2).
Si l’assuré interrompt un apprentissage à cause d’une atteinte à la santé et qu’il exerce ensuite une activité qui n’est d'emblée pas exigible et qu’il doit interrompre à cause de son atteinte à la santé, on se trouve toujours dans le même cas d'assurance (c. 4.3.1). Autre serait la situation dans laquelle l’assuré terminerait sa formation, exercerait ensuite son métier en réalisant un revenu important durant une longue période, et ne pourrait ensuite plus l’exercer à cause d'une aggravation de son état de santé (c. 4.3.2).
En l’espèce, le TF estime que l’assuré se trouve dans la première situation, en ce sens qu’il n’a pas pu terminer une formation à cause de son état de santé (douleurs dorsales). Il a ensuite exercé plusieurs activités qui n’étaient d’emblée pas exigibles, à tout le moins sur la durée. Ainsi, c’est à mauvais droit que l’autorité cantonale est arrivée à la conclusion que l’on se serait trouvé dans un cas de reclassement. Le dossier est dès lors renvoyé à l'office AI concerné pour investiguer le droit de l’assuré à une formation professionnelle initiale.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

TF 9C_583/2020 du 11 janvier 2021
Assurance-invalidité; délimitation entre la formation professionnelle initiale et le reclassement; art. 4 al. 2, 16, 17 et 23 al. 1, 2 et 2bis LAI; 6 al. 1 RAI
L’assuré qui n’a pas encore eu d’activité lucrative et à qui sa formation professionnelle initiale occasionne, du fait de son invalidité, des frais beaucoup plus élevés qu’à un non-invalide a droit au remboursement de ses frais supplémentaires si la formation répond à ses aptitudes (art. 16 al. 1 LAI). Est en particulier assimilée à la formation professionnelle initiale la formation dans une nouvelle profession pour les assurés qui, postérieurement à la survenance de l’invalidité, ont entrepris de leur propre chef une activité professionnelle inadéquate qui ne saurait être raisonnablement poursuivie (art. 16 al. 2 let b LAI). En revanche, l’assuré a droit au reclassement dans une nouvelle profession si son invalidité rend cette mesure nécessaire et que sa capacité de gain peut ainsi, selon toute vraisemblance, être maintenue ou améliorée (art. 17 al. 1 LAI). Sont considérées comme un reclassement les mesures de formation destinées à des assurés qui en ont besoin, en raison de leur invalidité, après achèvement d’une formation professionnelle initiale ou après le début de l’exercice d’une activité lucrative sans formation préalable, pour maintenir ou pour améliorer leur capacité de gain (art. 6 al. 1 RAI ; cf. c. 2.1.). C’est le fait que l'assuré exerçait ou non une activité lucrative qui permet de déterminer un droit aux prestations selon l’art. 17 ou 16 LAI et détermine le droit à une grande ou une petite indemnité journalière (art. 23 al. 1, respectivement art. 23 al. 2 et 2bis LAI), en fonction de la mesure professionnelle y relative ordonnée pour le cas assuré spécifique (art. 4 al. 2 LAI ; cf. c. 2.2).
Si l’assuré interrompt un apprentissage à cause d’une atteinte à la santé et qu’il exerce ensuite une activité qui n’est d'emblée pas exigible et qu’il doit interrompre à cause de son atteinte à la santé, on se trouve toujours dans le même cas d'assurance (c. 4.3.1). Autre serait la situation dans laquelle l’assuré terminerait sa formation, exercerait ensuite son métier en réalisant un revenu important durant une longue période, et ne pourrait ensuite plus l’exercer à cause d'une aggravation de son état de santé (c. 4.3.2).
En l’espèce, le TF estime que l’assuré se trouve dans la première situation, en ce sens qu’il n’a pas pu terminer une formation à cause de son état de santé (douleurs dorsales). Il a ensuite exercé plusieurs activités qui n’étaient d’emblée pas exigibles, à tout le moins sur la durée. Ainsi, c’est à mauvais droit que l’autorité cantonale est arrivée à la conclusion que l’on se serait trouvé dans un cas de reclassement. Le dossier est dès lors renvoyé à l'office AI concerné pour investiguer le droit de l’assuré à une formation professionnelle initiale.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

ATF 147 V 10, TF 9C_63/2020 du 7 janvier 2021
Prévoyance professionnelle; droit au remboursement de la prestation préalable, taux d’intérêt; art. 26 al. 4 LPP
Le TF a jugé que l’institution de prévoyance ayant procédé au paiement en mains de l’assuré de la « prestation préalable » selon l’art. 26 al. 4 LPP était en droit, une fois l’institution tenue de verser la prestation effectivement connue, d’exiger le remboursement de la prestation préalable, plus le taux d’intérêt minimal LPP augmenté d’un pourcent, conformément aux art. 15 al. 2 LPP et 7 OLP. Le but de cette réglementation est de replacer l’institution de prévoyance qui a payé la prestation préalable dans la situation qui aurait été la sienne si elle n’avait presté préalablement. En revanche, la Haute Cour a confirmé qu’aucun intérêt moratoire n’était dû (ATF 145 V 18).
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_406/2020 du 4 janvier 2021
Responsabilité du propriétaire foncier; dommage matériel, tort moral, causalité, art. 679 et 684 CC
Le propriétaire d’une villa prétend à un dédommagement consécutif à des actes illicites d’une entreprise de construction, c’est-à-dire des émissions excessives au sens de l’art. 684 CC et des atteintes directes à sa propriété. Selon les conclusions que le propriétaire a adressées au TF, il s’agit de l’ensemble des montants articulés dans le cadre de sa demande en justice, exceptés ceux relatifs à la réfection de la partie terminale du chemin privé auxquels il ne prétend plus. En définitive, le litige s’articule désormais principalement autour d’un dommage matériel (Sachschaden), à savoir les fissures de sa villa et le dommage à sa clôture que le propriétaire reproche à l’entreprise d’avoir occasionné lors du chantier situé sur la parcelle voisine, et du tort moral qu’il prétend avoir subi en raison des bruits, de la poussière, des odeurs de ciment, de la fumée, de la boue et du positionnement de la grue sur ce même chantier.
S’agissant des fissures que présente la villa, la cour cantonale ne s’est pas déclarée convaincue par l’existence d’un lien de cause à effet avec le chantier. Il appartenait au propriétaire de démontrer cette condition de la responsabilité civile, ce qu’il ne conteste pas. Or, il n’était pas parvenu à prouver que sa villa était dépourvue de fissures avant les travaux entrepris par l’entreprise sur la parcelle voisine. Quant aux constats d’huissier, la cour cantonale s’est également exprimée à leur propos. Elle a relevé qu’ils avaient été diligentés hors la présence de l’entreprise, à l’initiative du propriétaire et de son épouse. Il s’agissait d’expertises privées qui ne constituaient pas un moyen de preuve au sens de l’art. 168 al. 1 CPC, mais une pure allégation de partie à démontrer si elle était contestée par la partie adverse.
Le propriétaire estime avoir subi un préjudice moral en raison des nuisances liées au chantier qu’il fonde sur l’art. 67 ss CC, en particulier sur l’art. 679a CC. La cour cantonale a toutefois considéré qu’il n’y avait pas d’émissions excessives au sens de l’art. 684 CC. La cour cantonale a estimé que les angoisses et inquiétudes du propriétaire liées au chantier n’étaient pas fondées. Un être humain raisonnable et moyennement sensible n’aurait pas dû être atteint psychiquement sachant que les travaux de désamiantage avaient été effectués conformément aux règles en vigueur et que le propriétaire en avait été informé par divers courriers de la municipalité.
La plupart des autres frais auxquels prétend le propriétaire – hormis les frais de procédure et ceux de justice – sont liés au constat de dommages qui ne sont pas avérés et de nuisances qui, pour autant qu’elles existent, ne sont pas excessives de sorte qu’ils en partagent le sort.
Le TF a rejeté ainsi le recours du propriétaire de la villa.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle

ATF 147 III 172, TF 4A_529/2020 du 22 décembre 2020
Responsabilité aquilienne; procédure civile, action partielle, procédure simplifiée, demande reconventionnelle; art. 224 al. 1 CPC
En procédure simplifiée, une demande reconventionnelle ne peut en principe être recevable que si elle répond elle-même aux conditions d’application de la procédure simplifiée. En présence d’une demande principale partielle, une demande reconventionnelle en constatation de l’inexistence de la créance au sens de l’art. 88 CPC est néanmoins recevable même si sa valeur litigieuse excède le champ d’application de la procédure simplifiée (c. 2.1). Dans ce cas, tant la demande principale que la demande reconventionnelle sont soumises à la procédure ordinaire (ATF 143 III 506, c. 3 et 4). La qualification de l’action principale comme action partielle proprement dite ou improprement dite est sans pertinence à cet égard (c. 2.3 ; ATF 145 III 299), nonobstant ce qui semble ressortir du message du Conseil fédéral au sujet de la révision de l’art. 224 CPC (FF 2020 2607, 2667).
Le TF confirme ainsi la jurisprudence rendue aux ATF 143 III 506 et ATF 145 III 299 et réaffirme que ces principes s’appliquent pleinement au domaine des préjudices corporels (c. 2.2).
La question de savoir dans quelle mesure il existe pour le défendeur un intérêt à l’obtention d’une décision en constatation est toutefois laissée ouverte dans la mesure où elle excédait en l’espèce l’objet du litige (c. 2.2).
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne



TF 6B_1288/2019 du 21 décembre 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; procédure, preuves interdites ou obtenues illlgalement; art. 140 et 141 CPP
L’objet du litige a trait à la possibilité d’utiliser un enregistrement vidéo réalisé au moyen d’un système de vidéosurveillance installé à la synagogue de la Communauté juive de Bâle, qui enregistre l’intersection où la quasi-collision entre l’automobiliste recourant et une cycliste s’est produit.
Le TF rappelle que les preuves obtenues en violation de l’art. 140 CPP ne peuvent en aucun cas être exploitées (art. 141 al. 1 CPP) ; les preuves administrées d’une matière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (art. 141 al. 2 CPP). L’application de l’art. 141 al. 2 CPP suppose une pesée des intérêts : plus l’infraction à juger est grave, plus il est probable que l’intérêt public à établir la vérité l’emporte sur l’intérêt privé de l’accusé à ce que les preuves en question ne soient pas exploitées. Pour déterminer si une infraction grave a été commise au sens de l’art. 141 al. 2 CPP, est déterminante non pas la sanction abstraite encourue, mais la gravité de l’acte concret (c. 2.1).
La Communauté juive de Bâle est une collectivité publique ; à ce titre, elle est une autorité cantonale au sens des art. 194 al. 2 et 44 CPP et est donc tenue de fournir une assistance juridique. Toutefois, le ministère public ne peut se soustraire à l’obligation de recueillir légalement des preuves en faisant appel à l’assistance d’autres organes de l’Etat, étant rappelé que ceux-ci demeurent tenus par les principes de l’art. 5 Cst. et doivent respecter les droits fondamentaux (c. 2.2).
La vidéosurveillance touche le droit à la vie privée au sens de l’art. 13 Cst. Cette disposition protège les aspects les plus divers de la vie privée, avec ses formes spécifiques de menace. Elle comprend notamment, selon son alinéa 2, la protection contre l’utilisation abusive de données à caractère personnel. Ce droit à l’autodétermination en matière d’information garantit qu’en principe, indépendamment du degré de sensibilité réel des informations en question, toute personne doit pouvoir se déterminer, vis-à-vis d’un traitement des informations la concernant (qu’il soit étatique ou privé) si et dans quel but celles-ci seront traitées. Le TF a jugé à plusieurs reprises que la conservation et le traitement de données d’identification, qui comprennent également les enregistrements vidéo, portent atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’autodétermination en matière d’information. Comme d’autres droits fondamentaux, l’autodétermination en matière d’information peut être limitée sur la base et selon les critères définis à l’art. 36 Cst. (exigence d’une base légale, existence d’un intérêt public ou d’une protection des droits fondamentaux de tiers, respect de la proportionnalité). Afin de satisfaire aux garanties de l’art. 13 Cst., le TF exige que la collecte et la conservation systématiques des données soient assorties de garanties juridiques adéquates et efficaces pour prévenir les abus et l’arbitraire. A cet égard, la sauvegarde de l’ordre et de la sécurité publics ne saurait justifier une surveillance illimitée (c. 2.3).
Dans le cas d’espèce, l’enregistrement vidéo a été fait contrairement à la législation cantonale applicable et est, par conséquent, illégal (c. 2.5). Le recourant n’est accusé d’aucune infraction grave : avoir ignoré le marquage d’un passage pour piétons et ne pas avoir prêté garde à une cycliste par manque de prudence et d’attention (sans qu’il y ait eu collision et sans que les constatations médicales aient pu être mises en lien avec son comportement) ne constituent pas des infractions graves au sens de l’art. 141 al. 1 CPP. C’est donc à tort que la juridiction inférieure a considéré que l’enregistrement vidéo était utilisable. Le recours contre la condamnation de l’automobiliste recourant est donc admis.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 6B_181/2020 du 21 décembre 2020
Responsabilité aquilienne; tort moral, seuil de gravité, méthode des deux phases; art. 47 CO
L’octroi d’une indemnité au sens de l’art. 47 CO implique que des circonstances particulières soient réunies. Seules les lésions physiques, les douleurs et les limitations en résultant, leurs répercussions, notamment dans le temps, sur l’état psychique, ainsi que les modifications induites sur la vie professionnelle et personnelle du recourant, constituent des critères pertinents pour déterminer la quotité du tort moral. La question, purement juridique, de la qualification pénale de l’infraction commise par le tiers responsable, n’est quant à elle pas pertinente (c. 3.2).
Lorsque l’état antérieur de la victime n’est pas un simple facteur très secondaire dans l’évolution de son état à la suite de l’accident, une réduction de l’indemnité au motif de l’existence d’une prédisposition constitutionnelle n’est pas critiquable dans son principe, en particulier lorsque le responsable n’a commis qu’une faute légère (c. 3.3).
Pour fixer le montant de l’indemnité pour tort moral, le droit fédéral n’impose pas de doubler le montant de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité au sens de la LAA. La méthode des deux phases ne fournit qu’une valeur indicative. Dans le cas d’espèce, le montant arrêté par les premiers juge apparaît par ailleurs soutenable, même au regard de cette méthode, compte tenu des facteurs de réduction à prendre en compte (c. 3.5).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne



TF 8C_541/2020 du 21 décembre 2020
Assurance-chômage; indemnités de chômage, période de cotisation, travailleur irrégulier, total proche mais inférieur aux 12 mois nécessaires; art. 8 et 13 al. 1 LACI
Lorsqu’un travailleur est engagé par l’intermédiaire d’une entreprise de location de services, le contrat-cadre conclu avec cette dernière ne représente pas une activité lucrative soumise à cotisation. Seules les périodes d’emploi effectif auprès d’une entreprise bailleresse peuvent être comptabilisées (c. 4.1).
Le TF vérifie dans un premier temps le calcul de la période de cotisations selon les règles habituelles. Les mois entiers d’occupation sont comptabilisés comme tels, puis les fractions de mois sont prises en compte selon la formule « nombre de jours ouvrés x 1,4 / 30 » (c. 5.3.4). En l’espèce, l’opération conduisant à un résultat inférieur de très peu à la période de cotisation nécessaire (11, 993 mois), il convient de procéder à un nouveau calcul, selon une méthode plus précise.
Selon cette méthode, il faut tenir compte du nombre de jours de travail effectif et du nombre de jours ouvrés durant le mois en question. La formule de calcul est la suivante : jours travaillés x (30 : nombre de jours ouvrés dans le mois] : 30 (c. 5.3.5). Notons que dans cette affaire, le résultat du calcul est moins favorable au travailleur que la première opération.
Il n’est pas question d’arrondir la durée des cotisations, même quand celle-ci est de très peu inférieure aux douze mois nécessaires, en l’espèce de 11,887 mois (c. 5.3.6).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 8C_280/2020 du 21 décembre 2020
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, révision, changement de statut, méthode mixte; art. 17 al. 1 LPGA; 28a al. 3 LAI; 27bis RAI
La personne assurée était au bénéfice d’une rente d’invalidité (degré d’invalidité de 60 %) depuis de longues années lorsque l’office AI compétent a procédé à une révision. Dans le cadre de celle-ci, le statut de la personne assurée a notamment été modifié pour tenir compte de la naissance d’un enfant et le degré d’invalidité a été réduit à 40 %.
Confirmant sa récente jurisprudence (TF 9C_82/2020*), le TF considère qu’un changement de statut professionnel permet à lui seul de procéder à une révision de la rente d’invalidité. En effet, le nouveau calcul de l’invalidité selon la méthode mixte, valable à partir du 1er janvier 2018, est conforme aux exigences posées par la CEDH dans le cadre de son arrêt n° 7186/09, Di rizio c. Suisse (c. 3.5 à 3.5.4). Une autre façon de procéder conduirait de toute façon à une inégalité de traitement entre les personnes assurées qui solliciteraient une révision de la rente d’invalidité à la suite d’une augmentation du taux d’activité professionnelle et celles qui travailleraient à temps plein et cesseraient par la suite entièrement l’activité professionnelle et avec celles qui réduisent leur temps de travail pour des raisons familiales et accuseraient ensuite une baisse de leur revenu, voire pourraient devenir invalides par la suite (c. 3.5.5).
Dès lors qu’un changement de statut de la personne assurée peut à lui seul justifier une révision de la rente d’invalidité, il doit également être pris en compte dans le cadre d’une révision, lorsqu’il ne s’agit pas du seul motif justifiant ladite révision, comme dans le cas d’espèce (c. 3.5.6).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 8C_280/2020 du 21 décembre 2020
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, révision, changement de statut, méthode mixte; art. 17 al. 1 LPGA; 28a al. 3 LAI; 27bis RAI
La personne assurée était au bénéfice d’une rente d’invalidité (degré d’invalidité de 60 %) depuis de longues années lorsque l’office AI compétent a procédé à une révision. Dans le cadre de celle-ci, le statut de la personne assurée a notamment été modifié pour tenir compte de la naissance d’un enfant et le degré d’invalidité a été réduit à 40 %.
Confirmant sa récente jurisprudence (TF 9C_82/2020*), le TF considère qu’un changement de statut professionnel permet à lui seul de procéder à une révision de la rente d’invalidité. En effet, le nouveau calcul de l’invalidité selon la méthode mixte, valable à partir du 1er janvier 2018, est conforme aux exigences posées par la CEDH dans le cadre de son arrêt n° 7186/09, Di Trizio c. Suisse (c.3.5 à 3.5.4). Une autre façon de procéder conduirait de toute façon à une inégalité de traitement entre les personnes assurées qui solliciteraient une révision de la rente d’invalidité à la suite d’une augmentation du taux d’activité professionnelle et celles qui travailleraient à temps plein et cesseraient par la suite entièrement l’activité professionnelle et avec celles qui réduisent leur temps de travail pour des raisons familiales et accuseraient ensuite une baisse de leur revenu, voire pourraient devenir invalides par la suite (c. 3.5.5).
Dès lors qu’un changement de statut de la personne assurée peut à lui seul justifier une révision de la rente d’invalidité, il doit également être pris en compte dans le cadre d’une révision, lorsqu’il ne s’agit pas du seul motif justifiant ladite révision, comme dans le cas d’espèce (c. 3.5.6).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

ATF 147 V 70, TF 9C_531/2020 du 17 décembre 2020
Assurance-vieillesse et survivants; Rente de vieillesse, ajournement, délai péremptoire; art. 39 LAVS; 55quater RAVS
Un assuré, ayant atteint l’âge légal de la retraite en décembre 2015, sollicite l’octroi d’une rente AVS mais uniquement en septembre 2018. La caisse AVS refuse d’ajourner la rente, faute de demande écrite déposée dans le délai légal et octroie une rente vieillesse depuis janvier 2016 (c. A). Le TF confirme tout d’abord que le Conseil fédéral n’a pas excédé la délégation de compétence législative de l’art. 39 al. 3 LAVS en édictant l’art. 55quater al. 1, 2e phrase RAVS qui impose le respect de la forme écrite et du délai d’un an, dès le 1er jour du mois qui suit la survenance de l’âge légal de la retraite (c. 3.2). Il affirme ensuite qu’une telle lecture se justifie également en regard de la finalité des règles concernant l’ajournement de la rente qui ne pourrait être atteinte, si la possibilité d’un report restait ouverte durant plusieurs années permettant à l’assuré de réagir à l’évolution individuelle de son état de santé et de choisir rétrospectivement la solution la plus avantageuse, comme l’avait fait remarquer la juridiction cantonale. Pour le TF, cela ne se justifierait pas non plus en regard du fait que la contre-valeur actuarielle versée en cas de rente ajournée ne peut être calculée de manière fiable que si le choix de l’assuré est exclu à partir d’une certaine date (c. 3.2).
Le TF confirme donc que toute demande d’ajournement doit être faite absolument par écrit, dans le délai légal d’une année après le 1er jour du mois suivant la survenance de l’âge légal de la retraite, exigence qui n’est pas du formalisme excessif même si, comme dans le cas d’espèce, l’assuré a continué de cotiser et n’a pas fait de demande pour bénéficier d’une rente de vieillesse (c. 3.3). Le TF rejette enfin l’argumentation du recourant relatif à une violation de l’art. 27 LPGA (c. 3.4). Au final, il confirme la position de la caisse AVS (c. 3.3 et 3.4).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne


TF 2C_404/2020 du 16 décembre 2020
Assurance-maladie; assurance obligatoire des soins, libre choix de l’hôpital, déduction fiscale des frais provoqués par la maladie; art. 41 al. 3 LAMal; 7 ss LHID
Dans un arrêt relatif à une problématique d’ordre fiscal, le TF, contrairement au Tribunal administratif du canton d’Argovie, a considéré que les coûts consécutifs au choix d’un assuré ne bénéficiant pas d’une couverture d’assurance complémentaires selon la LCA de se faire soigner – pour des raisons médicales (art. 41 al. 3 LAMal) – dans une clinique privée extra-cantonale pouvaient être déduits fiscalement. Dans le cas d’espèce, seuls les frais médicaux ont toutefois été considérés comme déductibles, à l’exclusion des frais hôteliers.
Auteur : Guy Longchamp

TF 4A_197/2020 du 10 décembre 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage, moment du calcul, décision de renvoi, intérêts moratoires, répartition des frais; art. 42 al. 2 CO
Il s’agit en l’espèce d’une action en responsabilité civile régie par l’ancienne procédure civile cantonale, qui permet de condamner la partie défenderesse à supporter l’intégralité des frais de procédure lorsque les conclusions de la demande ne peuvent être chiffrées de manière précise. Le TF confirme que la pratique connaît ce principe aussi en application de l’art. 42 al. 2 CO (c. 4.3).
Le TF rappelle aussi les effets contraignants de la décision de renvoi pour l’autorité cantonale qui ne peut se saisir de novas que si le droit procédural le permet. Le renvoi par le TF de la cause à l’instance cantonale peut impliquer un calcul du dommage à une autre date. L’objet de la décision de renvoi ne peut cependant être ni étendu, ni se fonder sur une nouvelle base juridique. La partie qui a obtenu gain de cause en instance de recours ne peut donc, dans la nouvelle procédure cantonale, subir une aggravation de sa position juridique. Il ne s’agit pas d'une question d’autorité de chose jugée au sens strict, mais plutôt d’une question de caractère contraignant de la décision de renvoi.
En l’espèce, le dommage ménager ne pouvait être calculé, au jour du dernier jugement cantonal, sur de nouvelles bases de calcul, en l’absence de renvoi sur cet objet. De la même manière, l’intérêt moratoire court à la date du premier jugement cantonal pour les sommes non contestées ou confirmées par le TF.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel



TF 4A_200/2020 du 8 décembre 2020
Responsabilité aquilienne; dommage, dommage ménager, fixation du salaire horaire; art. 46 CO
Le point litigieux principal de cet arrêt porte sur la question de la fixation du salaire horaire en matière de calcul du préjudice ménager. Selon la jurisprudence constante du TF, il convient d’augmenter légèrement le taux horaire pour le calcul du dommage ménager afin de tenir compte des futures augmentations de salaire (cf. ATF 145 III 225, c. 4.1.2.2).
En l’espèce, la recourante, victime d’un accident de la route causé par un cycliste le 27 juin 2014, reproche à la cour cantonale d’avoir retenu un salaire horaire moyen de CHF 30.- pour le calcul de son préjudice ménager, sans tenir compte de l’augmentation salariale de 1 % par année comme l’autorise la jurisprudence fédérale. En outre et étant donné que le salaire horaire de CHF 30.- est admis par le TF depuis 1990, il se justifiait de retenir une augmentation annuelle de CHF 0.30 jusqu’à l’année de l’accident survenu en 2014, de sorte que le salaire horaire applicable pour cette année serait de CHF 34.50 (c. 3.1.1).
De son côté, la cour cantonale s’est fondée sur le salaire horaire minimum conformément au contrat-type de travail pour les employés de maison oscillant entre CHF 18.55 et CHF 22.40 pour la période comprise entre l’année de l’accident en 2014 et 2017 et entre CHF 18.90 et CHF 22.85 dès 2017. Afin de tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce ainsi que de l’évolution des salaires réels au cours des dernières années, la cour cantonale a retenu un salaire horaire moyen de CHF 30.- pour l’ensemble de la période en question, soit du 27 juin 2014 au 31 mars 2017 (c. 3.1.2).
Le TF n’émet aucune critique quant à la façon de procéder de la cour cantonale, dans la mesure où il est clairement établi que cette dernière a tenu compte de l’augmentation réelle des salaires pour la période concernée (c. 3.2.2). Faute pour la recourante d’avoir démontré de manière suffisamment motivée pour quel(s) motif(s), l’approche choisie par la cour cantonale serait contraire au droit fédéral, le TF a débouté la recourante dans ses considérants et confirmé l’application du salaire horaire de CHF 30.- retenu par la cour cantonale (c. 3.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 4A_247/2020 du 7 décembre 2020
Assurances privées, assurance d’indemnités journalières, procédure, moyens de preuve, expertise privée; art. 168 CPC
Le TF rappelle la jurisprudence énoncée à l’ATF 141 III 433, selon laquelle les rapports d’expertise privés produits par les parties, qu’il s’agisse de l’assureur privé ou de l’assuré, ne constituent pas des moyens de preuve, formellement, au sens de l’art. 168 CPC, mais de simples allégations de parties ; il s’agit, selon cette jurisprudence un peu surannée, tout au plus d’indices devant se conjuguer avec des preuves formelles.
Le TF reconnaît, cependant, que sa jurisprudence est critiquée par une partie de la doctrine et n’est pas satisfaisante, preuve en soit la modification de l’art. 168 CPC prévue par le législateur ; en outre, cette jurisprudence, appliquée à la lettre, peut conduire à des difficultés dans les litiges portant sur des indemnités journalières, où justement les positions des parties reposent sur des avis médicaux recueillis unilatéralement par les parties, qu’il s’agisse du médecin traitant de l’assuré ou du médecin conseil de l’assureur. En outre, tout particulièrement sur le plan psychiatrique, le recours à une expertise rétrospective, c’est-à-dire déconnectée au niveau temporel, est problématique.
Dans le cas d’espèce, puisque les deux parties se réfèrent toutefois à la jurisprudence précitée (ATF 141 III 433) sans la remettre en cause et puisqu’une réforme est en cours, le TF en reste aux principes découlant de celle-ci et juge que les certificats médicaux et l’avis médical produits en l’espèce par l’assuré ne constituaient que de simples allégations de parties et qu’il en allait de même de l’expertise privée de l’assureur.
L’instance cantonale, qui avait admis la demande de l’assuré, a donc violé les principes rappelés ci-dessus et l’art. 168 CPC. La cause doit être renvoyée à la Cour cantonale zurichoise, afin que celle-ci mette en œuvre une expertise psychiatrique judiciaire.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion



ATF 147 V 73, TF 9C_777/2019 du 24 novembre 2020
Assurance-invalidité; infirmité congénitale, allocation pour impotent, supplément pour soins intenses, contribution d’assistance, surveillance constante; art. 42ter al. 3 LAI; 39 RAI
La surveillance constante exercée auprès d’un enfant qui respire au moyen d’une canule trachéale dont l’obstruction par les sécrétions doit à tout prix être évitée entre dans la catégorie des traitements et soins de base visés à l’art. 39 al. 2 RAI, et non dans celle des mesures de simple surveillance au sens de l’art. 39 al. 3 RAI. Le supplément pour soins intenses doit être quantifié en conséquence, par comparaison avec la surveillance requise pour un enfant du même âge en bonne santé (c. 4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


ATF 147 V 133, TF 9C_179/2020 du 16 novembre 2020
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, révision, base de calcul; art. 29bis LAVS; 36 al. 2 LAI; 32bis RAI
Le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle, en cas de révision de la rente AI (17 LPGA), les bases de calcul pour le nouveau montant de la rente (échelle de rente et revenu annuel moyen déterminant) restent les mêmes que celles appliquées pour la rente allouée jusque-là. L’évolution ou la variation des éléments de calcul de la rente prévus par l’art. 29bis LAVS survenus postérieurement à la survenance du risque invalidité ne doit pas être prise en compte. Ainsi, le fait que le titulaire de la rente a été en mesure de réaliser subséquemment des revenus conséquents soumis à cotisations n’est pas pris en compte lors d’un nouveau calcul du montant de la rente, même si celle-ci a été initialement fixée après seulement six ans de cotisations sur la base de revenus d’assistant-étudiant (c. 5.1 et 5.2).
Le TF nie toute violation de l’interdiction de la discrimination indirecte au sens de l’art. 8 al. 2 Cst. en rappelant que l’art. 29bis LAVS s’applique en principe par analogie au calcul de la rente d’invalidité de chaque titulaire d’une rente, quelle que soit la cause de son invalidité et indépendamment du moment où survient l’invalidité dans son parcours de vie (c. 5.2.2).
Il ne peut pas être considéré que l’aggravation d’une perte de gain liée à l’invalidité serait assimilable à un nouveau risque, car l’augmentation du degré d’invalidité à la suite d’une aggravation de l’état de santé justifiant une rente plus élevée constitue un cas de révision et non un nouveau cas d’assurance susceptible de conduire à la reconnaissance d’une prestation fondée sur de nouvelles bases de calcul (c. 5.3).
Le TF rappelle encore que la situation des jeunes personnes ayant subi une invalidité au début de leur parcours professionnel a été prise en considération et fait l’objet d’une règlementation particulière (art. 36 al. 3 aLAI ; art. 37 al. 2 LAI) (c. 5.4.1).
Il appartient cas échéant au législateur de prévoir une disposition qui dérogerait à l’art. 29bis al. 1 LAVS pour permettre la prise en considération de l’évolution des revenus postérieure à la survenance de l’invalidité. Une telle dérogation ne ressort pas de l’art. 32bis RAI, lequel concerne la « renaissance de l’invalidité » et non pas la situation ou une demi-rente cède le pas à une rente entière (c. 5.4.2).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds


TF 9C_791/2019 du 9 novembre 2020
Allocations pour perte de gain; étudiant, service long, calcul de l’allocation journalière; art. 4 RAPG
Les personnes qui effectuent un service dans l’armée suisse ou dans le service de la Croix-Rouge ont droit à une allocation pour chaque jour de solde (art. 1a LAPG). A teneur de l’art. 9 al. 1 LAPG, durant le recrutement, l’école de recrues et l’instruction de base, les personnes qui accomplissent leur service sans interruption (personnes en service long) ont droit à une allocation journalière de base qui s’élève à 25 % du montant maximal de l’allocation totale. Après l’instruction de base, l’allocation pour les personnes en service long se détermine selon l’art. 10 al. 1 RAPG, soit à 80 % du revenu moyen acquis avant le service. Sont des personnes avec activité lucrative au sens de cette disposition les personnes qui ont exercé une telle activité pendant au moins quatre semaines au cours des douze mois précédant l’entrée en service (art. 1 al. 1 RAPG). Sont assimilés aux personnes exerçant une activité lucrative : les chômeurs, les personnes qui rendent vraisemblable qu’elles auraient entrepris une activité lucrative de longue durée si elles n’avaient pas dû entrer en service, les personnes qui ont terminé leur formation professionnelle immédiatement avant d’entrer en service ou qui l’auraient terminée pendant le service (art. 1 al. 2 RAPG).
Selon l’art. 4 al. 1 RAPG, l’allocation est calculée sur la base du dernier salaire déterminant acquis avant l’entrée en service. Pour les personnes qui rendent vraisemblable que, durant le service, elles auraient entrepris une activité salariée de longue durée ou gagné sensiblement plus qu’avant d’entrer en service (art. 1 al. 2 let. b RAPG), l’allocation est calculée d’après le revenu qu’elles ont perdu (art. 4 al. 2 RAPG).
Le cas d’espèce concernait un étudiant qui avait terminé sa maturité gymnasiale en juin 2018 avant de se lancer dans son école de recrue puis son service militaire long, du 27 octobre 2018 au 17 avril 2019. Il n’est plus litigieux qu’il ne peut pas être considéré comme ayant exercé une activité lucrative au sens de l’art. 1 al. 1 RAPG, ni comme une personne ayant terminé une formation professionnelle au sens de l’art. 1 al. 2 let c RAPG pour calculer le montant de l’allocation journalière durant le service long.
Demeure seule litigieuse la qualification au sens de l’art. 1 al. 1 let b RAPG pour pouvoir prétendre à des allocations journalières basées sur un salaire mensuel hypothétique. Le but de cette disposition est de ne pas défavoriser les personnes qui ne peuvent pas prendre un emploi en raison de leur service militaire et qui rendent vraisemblables qu’elles auraient exercé une activité durable sans le service militaire. La jurisprudence admet une activité de longue durée au sens de cette disposition en cas d’activité de durée indéterminée ou d’une durée minimale d’une année. Pour juger si l’étudiant entre dans les cas de l’art. 1 al. 2 let. b RAPG, on doit uniquement examiner s’il est vraisemblable qu’il aurait exercé une activité lucrative de longue durée s’il n’avait pas fait le service militaire. L’argument qu’il aurait obtenu une allocation plus élevée s’il avait fait son service à l’issue de ses études supérieures en 2024 n’est pas relevant.
L’attestation d’une entreprise, selon laquelle elle aurait employé l’étudiant durant dix mois entre juin 2018 et avril 2019 ne suffit pas à rendre vraisemblable une activité de longue durée au sens de l’art. 1 al. 2 let b RAPG, même si le tribunal devait retenir, comme le demande l’étudiant, une activité de 6 jours sur 7, qui correspondrait à un emploi de 5 jours sur 7 d’une année. L’étudiant n’établit pas non plus pourquoi il aurait dû interrompre ses études, s’il n’avait pas fait le service militaire, pour gagner temporairement de l’argent, alors qu’il n’a pas eu à le faire durant la période gymnasiale. Par conséquent, le recours de l’étudiant est rejeté.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 8C_256/2020 du 4 novembre 2020
Assurance-invalidité; obligation de collaborer, stupéfiants, délai de réflexion, sanction; art. 43 al. 3 LPGA
La personne assurée dont l’office AI a exigé qu’elle se soumette à un contrôle d’abstinence, qui ne se présente pas à deux rendez-vous fixés à cet effet, ne réagit pas au préavis et ne se manifeste qu’après que la décision lui refusant des mesures de réadaptation lui a été notifiée ne peut se prévaloir de ce qu’un délai de réflexion insuffisant lui aurait été aménagé (c. 7.2).
Exiger d’une personne assurée qui consomme régulièrement des produits à base de cannabis une période d’abstinence de trois mois avant de statuer sur le droit aux mesures de réadaptation n’est pas disproportionné (c. 7.3). Le fait qu’il s’agisse d’une consommation à des fins thérapeutiques ne semble pas pertinent pour le TF.
Le TF laisse ouverte la question de savoir si le fait d’avoir sanctionné la personne assurée en lui imposant de délai de six à neuf mois avant de pouvoir déposer une nouvelle demande de prestations est acceptable, dans la mesure où aucune décision de refus d’entrée en matière a été rendue et que le litige ne porte dès lors pas sur cette question. Il semble toutefois rendre l’office AI attentif qu’en cas de nouvelle demande, il lui incomberait d’examiner d’office si la situation avait changé, y compris sous l’angle de la disponibilité de la personne assurée à collaborer à l’instruction de son dossier (c. 8).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 147 V 79, TF 9C_174/2020 du 2 novembre 2020
Assurance-invalidité; procédure, expertise pluridisciplinaire, rapport de suivi; art. 72bis RAI
L’attribution d’un mandat d’expertise pluridisciplinaire selon le principe de désignation aléatoire prévu par la plateforme SuisseMED@P rend sans objet des craintes d’ordre général de dépendance et de partialité à l’égard du centre ainsi retenu. Il n’existe pas d’obstacle à ce qu’un rapport de suivi soit établi dans les trois ans suivant l’expertise initiale par le même centre d’expertise. Cela est d’autant plus vrai qu’un rapport de suivi ne sert pas à obtenir un second avis « second opinion ». L’art. 72bis RAI n’est donc pas violé si, dans le cadre de la même procédure d’instruction, un rapport de suivi est obtenu du même centre d’expertises pour autant que celui-ci ait été désigné, au départ, de manière aléatoire (c. 7.4.5).
Dans le cas d’espèce, le rapport initial du centre d’expertise a été commandé sur une base aléatoire. Le SMR a considéré que ce rapport avait une pleine valeur probante en dépit des objections de l’assuré. Néanmoins, pour tenir compte d’une éventuelle aggravation de son état de santé, le SMR a demandé au centre d’expertise un rapport de suivi. En raison du lien temporel étroit avec le rapport initial et compte tenu du fait qu’aucune crainte de dépendance ou de partialité ne pouvait être émise, l’obtention d’un tel rapport de suivi auprès du même centre d’expertise ne viole par le droit fédéral. Le fait que l’assuré n’était pas d’accord avec les conclusions du rapport initial n’y change rien. Ainsi, il n’y avait aucune raison d’obtenir un second avis auprès d’un autre centre d’expertise (c. 7.5).
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève


ATF 146 V 341, TF 9C_524/2019 du 30 octobre 2020
Prévoyance professionnelle; rondations du pilier 3a et fondations de libre passage, Directives CHS-PP; art. 51b LPP
Le TF rappelle que, s’agissant de l’organisation d’une fondation, notamment de la composition de ses organes, l’art. 83 CC accorde une grande liberté au fondateur. L’intervention du législateur dans cette liberté s’est concrétisée par l’adoption de règles particulières aux art. 48 ss LPP pour les institutions de prévoyance (constituées sous la forme d’une fondation) et, plus récemment, pour les fondations de placement (art. 53g ss LPP), mais non pour les fondations bancaires de libre passage et du pilier 3a. Compte tenu du rôle particulier des institutions de libre passage et des fondations du pilier 3a, qui ne sont pas organisées, financées et administrées conformément à la LPP (art. 48 al. 2, 2e phrase, LPP), on ne saurait les soumettre aux dispositions sur l’organisation des institutions de prévoyance (art. 48 ss LPP), singulièrement aux « règles de bonne gouvernance », dont l’art. 51b LPP. A cet égard, les ch. 1.2 al. 2 et 2.1 al. 2 des Directives D-04/2014 édictées par la Commission de haute surveillance (CHS-PP) sortent du cadre légal fixé par les art. 5 al. 3 OPP 3 et 19a al. 2 OLP.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_468/2020 du 27 octobre 2020
Assurance-chômage; refus d’un travail convenable et/ou violation de l’obligation de réduire son dommage, suspension du droit à l’indemnité; art. 30 al. 1 let. d LACI
Le TF expose les faits de la cause comme il suit. Par e-mail à l’assuré A., daté du 1er avril 2019, le collaborateur C., de l’entreprise privée de placement B. SA, a fait savoir à A. qu’il avait reçu de l’Office régional de placement de l’assurance-chômage (ORP) les données le concernant, qu’il était prêt à discuter avec lui de ses expériences professionnelles, et qu’il le priait donc, n’ayant pas réussi à le joindre par téléphone, de le rappeler. Parallèlement, par e-mail du même jour, C. a indiqué à l’ORP qu’il avait, depuis un certain temps déjà, cherché à contacter A., sans succès, et qu’il était toutefois prêt à placer A., et désireux que l’ORP enjoigne celui-ci de le contacter aussi rapidement que possible. De son côté, A. a, le 1er avril 2019 toujours, répondu à C. qu’il était prêt à lui envoyer un curriculum vitae avec un descriptif de ses capacités, mais que, compte tenu des mauvaises expériences qu’il avait faites dans la branche du jardinage-paysagisme, il recherchait plutôt une activité dans le domaine social. Là-dessus, C. a fait rapport à l’ORP, en lui disant que l’e-mail de A. du 1er avril 2019 l’avait quelque peu irrité, puisque l’emploi à trouver pour A. était, en principe, celui de jardinier-paysagiste. Ensuite de quoi, l’entreprise privée de placement B. SA a, par e-mail du 17 avril 2019, sommé A. de le rappeler. Enfin, par e-mail à B. SA du 19 avril 2019, A. s’est enquis du rendez-vous qui lui avait été promis et a demandé que lui soient communiqués les noms des entreprises intéressées par ses services, sachant qu’il n’avait pas reçu la moindre information de C. à ce sujet. Il a, dans ce même e-mail du 19 avril 2019, dit vouloir être informé à l’avenir du nom des entreprises auxquelles ses données étaient envoyées, ce tout en expliquant qu’il y avait des entreprises pour lesquelles il ne travaillerait « pour rien au monde » (« für kein Geld der Welt »). A. disait de plus vouloir obtenir de B. SA une prompte réponse à ses questions et la communication rapide d’une date de rendez-vous, date qu’il aurait à coordonner avec les sept autres entretiens d’embauche qu’il avait de prévus par ailleurs (c. 4.1).
Dans de telles circonstances, le Tribunal des assurances du canton de Bâle-Campagne pouvait-il, à bon droit, annuler purement et simplement la suspension pendant 32 jours du droit de A. à des indemnités journalières du chômage ?
Sur la question de savoir si l’assuré A. aurait refusé un travail convenable au sens de l’art. 30 al. 1 let. d LACI, le TF répond – après avoir rappelé comment le contrat de placement et le contrat individuel de travail s’insèrent, de par leur nature distincte, dans le système d’indemnisation de l’assurance-chômage (c. 5.3) – que l’on ne peut pas parler d’un tel refus lorsque c’est de contact entre l’assuré et une entreprise privée de placement qu’il s’agit, et cela sans qu’il y ait eu là de perspective concrète de placement. D’autant qu’une suspension du droit de 31 jours au moins, selon l’art. 45 al. 3 let. c et 4 let. b OACI, consiste toujours dans une sanction radicale (c. 5.4).
Quant à la question de savoir si l’assuré a eu un comportement susceptible de compromettre la prise par lui d’un emploi, comportement qui équivaudrait à une violation de l’obligation générale de réduire son dommage – que la jurisprudence du TF rattache par défaut à la règle énoncée par l’art. 30 al. 1 let. d LACI – le TF répond que, certes, le Tribunal cantonal aurait dû discuter les éléments qui figurent dans l’e-mail de l’assuré du 19 avril 2019, mais sans que cela ne porte à conséquence par-devant lui. En effet, les premiers juges n’ont pas procédé à une appréciation de l’ensemble des faits de la cause, qui soit manifestement erronée. Le TF explique à ce propos qu’en dépit de la rudesse de certaines tournures employées par A. dans ledit e-mail, il n’y avait là aucun désintéressement manifesté par A. à l’égard d’un placement par B. SA. Pas plus que dans l’e-mail envoyé le 1er avril 2019 par A., dans lequel ce dernier a dit sa préférence pour un emploi dans le domaine social, sans pour autant exclure une activité de jardinier-paysagiste ; activité de jardinier-paysagiste qui est, du reste, celle qu’il exerce à nouveau (c. 6.1 et 6.2). Pour le surplus, le TF n’expose pas ce qu’il aurait, si le Tribunal cantonal avait confirmé la suspension pendant 32 jours de l’indemnité de A., dit du caractère manifestement erroné ou non d’une telle décision.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

ATF 147 V 124, TF 9C_82/2020 du 27 octobre 2020
Assurance-invalidité; méthode mixte, suppression d’une rente entière après la naissance d’un enfant; art. 27bis RAI; 17 LPGA
Une assurée était au bénéfice d’une rente entière d’invalidité en raison de diverses malformations congénitales. En 2017, elle a accouché d’un fils et a indiqué à l’office AI que, sans atteinte à la santé, elle travaillerait à 20% et serait ménagère à 80%. Procédant à une révision selon l’art. 17 LPGA, l’office AI a appliqué la méthode mixte, retenu un taux d’invalidité de 20% et supprimé la rente entière de l’assurée. Le TC lucernois a annulé la décision de l’Office AI en se fondant sur l’arrêt Di Trizio de la CrEDH. Il a considéré que seule la naissance de l’enfant était à l’origine du changement de statut et que, par conséquent, la rente devait être maintenue.
Le TF a admis le recours déposé par l’office AI. Selon notre Haute Cour, les modifications de l’art. 27bis al. 2 à 4 RAI relatives à la méthode mixte sont conformes à la CEDH. En application de ces nouvelles dispositions, tant la part professionnelle que la part ménagère sont calculées comme si chacune était pratiquée à 100%. L’empêchement est ensuite établi pour chacune de ces parts et la pondération des deux permet d’obtenir le taux d’invalidité. Cette nouvelle méthode de calcul permet, selon le TF, de supprimer le fait que l’on tenait auparavant compte deux fois du fait que l’activité était exercée à temps partiel, à savoir dans la détermination du revenu sans invalidité, d’une part, et dans le cadre de la pondération proportionnelle des deux domaines, d’autre part. Le TF considère par ailleurs que les différences de traitement qui subsistent entre une personne exerçant une activité lucrative à plein temps et celle exerçant une activité lucrative à temps partiel – et consacrant le reste de son temps à l’accomplissement de ses travaux habituels – sont raisonnables et proportionnées.
Remarque : En réalité, les modifications de l’art. 27bis al. 2 à 4 RAI n’éliminent pas entièrement la discrimination envers les femmes. En définitive, seule la naissance de l’enfant a entraîné un changement de statut de l’assurée. Aussi, la CrEDH sera peut-être appelée à se prononcer sur la compatibilité des modifications précitées avec l’art. 14 CEDH en lien avec l’art. 8 CEDH.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 8C_483/2020 du 26 octobre 2020
Assurance-invalidité; expertise pluridisciplinaire, incapacité de travail, évaluation globale; Art. 7, 8 et 44 LPGA; 4 LAI
Lorsqu’une personne assurée présente des atteintes à la santé qui relèvent de plusieurs disciplines médicales différentes et qui, toutes, justifient des incapacités partielles de travail, l’on ne peut simplement procéder à l’addition des différents taux pour établir l’incapacité de travail totale. Savoir comment ces différentes incapacités s’articulent est une question médicale en soi, qui doit faire l’objet d’une discussion consensuelle entre les experts, et le tribunal ne peut en principe pas s’écarter de leurs conclusions (c. 4.1).
En l’espèce, les conclusions de l’expert psychiatre, qui distinguait entre limitation quantitative et limitation qualitative de la capacité de travail, sans se prononcer clairement sur le taux global de la capacité de travail résiduelle, n’étaient pas claire, et c’est à tort que les premiers juges ont « corrigé » son appréciation sans disposer d’informations suffisantes pour le faire (c. 4.2 et 4.3.1).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

CourEDH – B. c. Suisse (requête n° 78630/12) du 20 octobre 2020
Assurance-vieillesse et survivants; rente de veuf, discrimination; art. 8 et 14 CEDH; 24 al. 2 LAVS
L’art. 24 al. 2 LAVS, qui limite le droit à la rente d’un veuf au 18e anniversaire du cadet de ses enfants est discriminatoire, dans la mesure où il n’existe pas de limitation comparable pour la veuve qui, à moins de se remarier, bénéficie d’une rente viagère. Il viole ainsi les art. 8 et 14 CEDH.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_43/2020 du 13 octobre 2020
Assurance-invalidité; faute, prestations indues, obligation de restituer, remise, bonne foi; art. 25 al. 1 LPGA
Le litige porte sur le droit du recourant d’obtenir la remise de l’obligation de restituer la somme qui lui est réclamée par l’office AI. La Caisse publique de chômage du canton de Fribourg a versé, pour la même période, des indemnités journalières durant une période, pour laquelle l’assuré a obtenu rétroactivement une rente entière de l’assurance-invalidité. La caisse de compensation AVS a négligé de verser l’arriéré à la caisse de chômage, qui avait demandé le remboursement au titre de la compensation. La totalité de l’arriéré de rentes AI, dont la part qui revenait à la caisse de chômage, a été versée à l’assuré. L’office AI a ensuite rendu une décision, informant l’assuré que leur décision d’octroi de rente devait être reconsidérée et que la restitution de cette part lui était réclamée.
Le TF a nié la bonne foi dont se prévalait l’intéressé. Celui-ci contestait son obligation de vérifier la répartition du paiement rétroactif entre les assureurs et la prise en compte des rentes d’invalidité allouées pour ses enfants, le tout s’inscrivant dans une procédure complexe avec l’indemnisation de plusieurs assureurs.
Le TF a considéré que pour apprécier son comportement, il fallait tenir compte du fait que le recourant était assisté à l’époque et que ses précédents mandataires auraient dû s’apercevoir, à la lecture du dossier qui leur avait été communiqué à leur demande et du projet d’acceptation de rente qui leur avait été notifié, que la caisse de compensation allait verser à tort à leur client un montant qui devait revenir à la caisse de chômage.
Selon le TF, cette négligence grave exclut la bonne foi du recourant, les actes et omissions d’un avocat étant imputables à son client. La condition de la bonne foi faisant défaut, la demande de remise de l’obligation de restituer a été considérée comme infondée.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne


TF 9C_153/2020 du 9 octobre 2020
Assurance-invalidité; Revenu de valide, personne de condition indépendante, statistiques ESS; Art. 16 LPGA; 25 RAI
Le revenu sans invalidité est déterminé par ce que l’assuré aurait réellement pu obtenir, au degré de la vraisemblance prépondérante et au moment déterminant, s’il n’était pas devenu invalide. Il doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Pour les personnes de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait de compte individuel de l’AVS. En effet, l’art. 25 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité ; le parallèle n’a toutefois pas de valeur absolue. Le revenu réalisé avant l’atteinte à la santé ne pourra pas être considéré comme une donnée fiable, notamment lorsque l’activité antérieure était si courte qu’elle ne saurait constituer une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité. Le cas échéant, on pourra se baser sur le revenu moyen d’entreprises similaires ou sur les statistiques de l’ESS.
En l’espèce, la juridiction cantonale avait constaté un revenu de CHF 85'300.- inscrit sur le compte individuel de l’assuré comme personne de condition indépendante pour la période de juin à décembre 2014 (l’assuré était devenu plâtrier indépendant en juin 2014 et avait été en incapacité dès janvier 2015). Comme l’activité avait débuté à un rythme très soutenu, avec rémunération au double de celle de salarié, la juridiction cantonale avait estimé que le succès aurait perduré sans atteinte à la santé. Ce revenu avait donc été annualisé à CHF 170’749.- pour 2014 ouvrant le droit à trois quarts de rente (revenu d’invalide : CHF 65’699.-). Dans son recours, l’office AI a soutenu qu’il convenait de se référer à l’ESS vu que l’atteinte à la santé était survenue peu de temps après le début de l’activité indépendante. Ainsi, les résultats d’exploitation sur une durée de quelques mois étaient peu fiables ; le potentiel de développement du marché et de l’entreprise de l’assuré relevait de simples affirmations et ne reposait sur rien de concret, vu que les taxations fiscales, les cotisations personnelles, le compte individuel et la comptabilité de l’entreprise ne permettaient pas d’aboutir à de telles conclusions. En outre, la conversion mathématique du revenu à l’année était arbitraire car elle méconnaissait le fonctionnement d’une entreprise du bâtiment. Enfin, le calcul était erroné car le revenu réalisé ne l’avait pas été sur six mois, mais sur sept ou huit mois.
Le TF a donné raison à l’office AI. Les constatations de la juridiction cantonale relatives aux revenus inscrits au compte individuel étaient manifestement inexactes : vu l’extourne de CHF 49’643.-, le revenu de juin à décembre 2014 s’élevait à CHF 35’657.- (CHF 85’300.- - CHF 49’643.-). Même avec une extrapolation à l’année pour un revenu de CHF 61’126.- – éventuellement non admissible – le droit à la rente serait d’emblée exclu vu le revenu d’invalidité précité. Le TF a également relevé qu’aucune donnée fiable ne ressortait des comptes d’exploitation de l’entreprise, d’autant que l’assuré avait allégué dans son recours cantonal un revenu de CHF 14’229.- pour les mois de juin à décembre 2014, soit CHF 1’778.- par mois. Dans de telles circonstances et vu la brièveté de l’activité, celle-ci ne saurait constituer une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité, au contraire des données statistiques (CHF 73’744.-). Le droit à la rente a été nié vu le taux d’invalidité de 11 %.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 8C_118/2020 du 5 octobre 2020
Assurance militaire; moyen auxiliaire, acquisition d’un véhicule, changement de pratique; art. 21 et 39 al. 3 LAM
Un véhicule est utilisé par un assuré ayant subi un accident pendant son école de recrue en 1993, ce qui a entraîné une amputation de la cuisse et la mise en place d’une prothèse. La rétribution versée pour l’acquisition et l’emploi de sa voiture a été drastiquement diminuée.
Sous réserve de la remise de moyens auxiliaires (art. 21), l’assuré a droit au remboursement des frais supplémentaires dus à son invalidité, pour se rendre au travail et en revenir ou pour exercer sa profession (art. 39 al. 3 LAM). L’art. 21 al. 5 LAM dispose que l’assurance militaire alloue également des contributions pour les frais d’adaptation d’appareils et d’immeubles pour autant que l’affection assurée rende nécessaire cette adaptation en vue de développer l’autonomie personnelle de l’assuré ou de lui faciliter l’exercice de son activité professionnelle. Quant à l’al. 6 de cette disposition, il prévoit que si l’emploi, l’entraînement à l’utilisation, les réparations d’un moyen auxiliaire ou d’une installation, selon l’al. 5, occasionnent d’importantes dépenses à l’assuré, celles-ci sont alors prises en charge par l’assurance militaire. Contrairement à ce qu’expose la SUVA militaire, l’al. 6 vaut alternativement pour les moyens auxiliaires et les installations de l’al. 5 et non seulement pour ces dernières. En revanche, les frais de prise en charge demeurent limités par l’art. 21 al. 2 2e phrase LAM qui dispose que lorsqu’un moyen auxiliaire lui est remis en remplacement d’objets qui auraient dû être également acquis même sans l’affection dont il est atteint, l’assuré peut être tenu de participer aux frais (c. 5).
La SUVA militaire a changé sa pratique en relation avec la prise en charge des frais de véhicule, ce qui entraîne en l’espèce une diminution drastique de la prise en charge. Ce changement de pratique se fonde sur des motifs solides et sérieux, de sorte qu’il est admissible (c. 6).
Le TF estime encore que les déplacements à la salle de sport et à des séances de comité ne peuvent entrer que dans le cadre de l’art. 21 al. 1 let. e (déplacements) et g (contacts avec l’entourage) LAM. Ces frais ne sont pas indemnisés en sus de la prise en charge des frais d’adaptation de la voiture elle-même (c. 9).
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

TF 6B_976/2019 du 1 octobre 2020
Responsabilité aquilienne; faute, devoir de diligence, standards techniques de sécurité, in dubio pro duriore; art. 41 CO
Pour se déterminer sur l’existence d’un manquement à un devoir de diligence, l’autorité d’instruction pénale est tenue, en vertu du principe in dubio pro duriore, de se renseigner auprès de personnes disposant de connaissances approfondies en la matière visée, en l’occurrence le vol en parapente, sur les standards de sécurité faisant référence, en l’absence de normes bien arrêtées. Le ministère public tombe dans l’arbitraire s’il retient, en présence d’un article paru dans une publication d’une fédération nationale de parapente et traitant des techniques d’élan, que cet article ne reflète pas une opinion généralement partagée parmi les praticiens du parapente, sans avoir cherché à vérifier auprès de connaisseurs si tel est ou non le cas (c. 2.4.2).
S’agissant du choix d’une technique d’élan en tandem, le fait que le passager était un parapentiste expérimenté et ne s’est pas opposé au choix du pilote ne conduit pas nécessairement à la conclusion que le risque découlant de cette technique était conforme à ce qui est généralement tolérable dans la pratique du parapente. Dans cette affaire, il avait été convenu, dans le contexte de l’entraînement auquel se soumettait le pilote, que celui-ci prendrait seul ses décisions et que le passager se comporterait en béotien (c. 2.4.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

TF 6B_305 et 321/2020 du 1 octobre 2020
Responsabilité aquilienne; procédure, qualité pour recourir, jugement pénal entré en force, prétentions civiles; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF; 53 CO
La question de savoir si et dans quelle mesure le jugement pénal passé en force a une influence sur les prétentions civiles s’apprécie uniquement sur la base de l’art. 53 CO et n’est pas pertinente pour la qualité pour recourir au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF.
Indépendamment du manque de légitimation sur le fond, la partie plaignante est habilitée à se plaindre d’une violation de ses droits de partie lorsqu’une telle violation équivaut à un déni de justice formel. Toutefois, uniquement les griefs formels qui peuvent être séparés du fond sont recevables. Ne peuvent ainsi être invoqués des griefs qui, au bout du compte, mènent à une vérification matérielle de la décision attaquée.
Le grief de l’examen arbitraire des preuves n’est pas un grief formel mais vise la vérification matérielle de la décision attaquée.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


ATF 146 V 331, TF 9C_135/2020 du 30 septembre 2020
Prestations complémentaires; bénéficiaire AI, calcul du droit aux PC, avoir de libre passage, moment déterminant; art. 11 al. 1 let. c LPC; 16 al. 2 OLP
Le capital de libre passage fait partie de la fortune devant être prise en compte pour le calcul des prestations complémentaires au sens de l’art. 11 al. 1 let. c LPC dès qu’il peut être retiré, soit notamment dès que l’assuré perçoit une rente entière d’invalidité de l’AI en vertu de l’art. 16 al. 2 OLP (c. 3.1 et 4). En cas de décision d’octroi de rente AI rétroactive, ce n’est pas le moment de la naissance du droit à la rente AI qui est déterminant, mais bien celui de l’entrée en force de la décision d’octroi de rente AI. Selon le TF, le service des prestations complémentaires bernois n’était donc pas en droit d’intégrer le capital de libre passage dans la fortune de l’assuré rétroactivement dès la naissance du droit à la rente AI. En effet, l’assuré ne pouvait pas encore en disposer à ce moment-là (c. 5.4). Le cas est à distinguer de celui de l’assuré qui détient une part d’une succession en indivision, qui peut être prise en compte dès le décès du de cujus lorsque la part de l’assuré est suffisamment claire (arrêt 9C_447/2016).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 4A_366/2020 du 29 septembre 2020
Assurances privées; réticence; art. 6 al. 2 LCA
La connaissance de la réticence faisant démarrer le délai de péremption de quatre semaines dont dispose l’assureur pour résilier le contrat en vertu de l’art. 6 al. 2 LCA suppose que ledit assureur dispose d’informations fiables, permettant de retenir sans risque une violation du devoir de déclaration incombant au preneur. L’assureur doit être pleinement orienté sur tous les points relatifs à cette violation, c’est-à-dire qu’il doit en avoir acquis une connaissance certaine, sans aucun doute (c. 3.1). Tel n’est pas le cas d’un assureur couvrant les soins pour maladie, qui reçoit une facture révélant uniquement la réalisation de divers examens, sans mention d’un constat de l’existence d’une affection ni du traitement d’une plainte du patient (c. 3.4).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

TF 9C_378/2020 du 25 septembre 2020
Prestations complémentaires; droit aux prestations complémentaires lors d’une révocation du permis de séjour; art. 29 al. 1 Cst.; 9 et 10 LPC; 33, 43, 61 et 62 LEI; 93 LTF; 50 OSAM
Selon l’art. 33 al. 3 LEI, la durée de validité du permis de séjour est limitée, mais peut être prolongée s’il n’existe aucun motif de révocation au sens de l’art. 62 al. 1 LEI. En principe, il expire à la fin de sa période de validité (art. 61 al. 1, let. c LEI) ou – comme c’est le cas dans le présent litige – lors de sa révocation (art. 62 LEI). La personne étrangère peut toutefois rester en Suisse pendant la durée de la procédure de renouvellement et donc aussi après l’expiration de l’autorisation, pour autant que l’autorité compétente ne prenne pas de décisions divergentes à titre conservatoire (art. 59 al. 2 OASA). Ainsi, et bien qu’il ne s’agisse que d’un droit de séjour procédural, les droits conférés par le permis (notamment en matière de séjour et d’activité professionnelle) peuvent continuer de s’appliquer après l’expiration de sa période de validité.
En général, le statut juridique accordé avec le permis prend fin avec l’entrée en force d’une décision de révocation et de renvoi de l’intéressé (art. 64 LEI). Si, dans le cas d’une mesure de renvoi, un délai de départ approprié doit être fixé (art. 64d LEI), la révocation devient effective pro futuro. Dans le cas de décisions initialement erronées dont le destinataire de la décision est responsable, la modification prend normalement effet ex tunc.
En l’espèce, l’épouse étrangère d’un assuré turc, rentier AVS au bénéfice de PC, jouit d’un droit de séjour procédural pendant la procédure relative à la révocation de son permis de séjour, ce qui signifie qu’elle continue à conserver les droits qu’elle a acquis avec son permis par regroupement familial. Etant donné que la révocation du permis de séjour ne lui est pas imputable, mais est due à la modification de la LEI entrée en vigueur le 1er janvier 2019, la révocation n’pas d’effet ex tunc. En effet, depuis le 1er janvier 2019, la LEI prévoit que « [l]e conjoint étranger du titulaire d’une autorisation d’établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité [notamment si] la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires (LPC) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial ».
Il s’ensuit, comme l’affirment les époux, que l’issue de la procédure relative à la révocation du permis de séjour ne peut pas modifier la légalité du séjour de l’épouse en Suisse au cours de la procédure relative aux PC perçues par l’époux assuré. Une adaptation ultérieure des PC et un remboursement éventuel des prestations n’entrent donc pas en ligne de compte. Etant donné qu’un lien direct entre les deux procédures est nié, l’autorité de première instance n’était pas fondée à suspendre la procédure d’opposition relative aux PC du conjoint assuré sous prétexte qu’une procédure de révocation du permis de séjour de l’épouse était pendante et que celle-ci aurait pu influencer le montant de ses PC au sens des art. 9 et 10 LPC. Une telle suspension constitue en effet une violation du principe de célérité ou un déni de justice (art. 29 al. 1 Cst.).
Lorsqu’une partie conteste une décision de suspension de procédure, le TF renonce à l’exigence d’un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let a LTF si le principe de célérité est violé de manière flagrante ou lorsque la décision incidente retarde la procédure dans de telles proportions qu’elle s’apparente à un déni de justice (cf. art. 29 al. 1 Cst.).
La décision de l’autorité de première instance doit donc être annulée, et dite autorité est invitée à reprendre la procédure d’opposition relative aux PC du conjoint assuré.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 4A_2/2020 du 16 septembre 2020
Responsabilité contractuelle; responsabilité de l’avocat, faute, omission, causalité; art. 97 CO
Conformément aux règles générales régissant la responsabilité contractuelle, il doit exister un rapport de causalité entre la violation par un avocat de ses devoirs contractuels et le dommage subi par le client.
S’agissant d’une violation par omission du devoir de diligence, le lien de causalité à établir est hypothétique ; il s’agit de déterminer comment se serait déroulée la chaîne causale si le devoir de diligence avait été correctement rempli (c. 3.3.3). Ce procédé peut impliquer la nécessité d’estimer les chances de succès d’une procédure judiciaire qui aurait été ou aurait pu être ouverte, mais ne l’a pas été en raison de la violation du devoir de diligence. Dans une telle situation, les chances de succès de la procédure retenues par l’autorité de dernière instance cantonale ne sont revues par le TF qu’avec retenue (c. 3.3.4).
L’estimation des chances de succès concerne en l’espèce une action en responsabilité contre une institution de prévoyance ayant omis de vérifier l’authenticité de la signature du conjoint avant le retrait en espèces de la prestation de sortie. Dans ce type de procédure, il est déterminant de savoir si la délivrance de la prestation de sortie a eu lieu avant ou après le 22 juin 2000, date de parution du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 51 par lequel l’OFAS impose aux institutions de prévoyance de vérifier l’authenticité de la signature du conjoint (ATF 130 V 103 c. 3.4). Avant cette date, les institutions de prévoyance n’avaient aucune obligation de procéder à cette vérification.
Pour les versements effectués avant la publication du Bulletin n° 51, une éventuelle violation fautive de son devoir de diligence par l’institution de prévoyance doit s’examiner selon l’ensemble des circonstances du cas d’espèce (c. 3.4.3). Ainsi, un rapport de confiance particulier entre l’assuré et l’institution de prévoyance justifie d’appliquer une marge de tolérance accrue en faveur de l’assuré. En revanche, certaines circonstances doivent éveiller des doutes, en particulier une très courte durée entre l’entrée dans l’institution de prévoyance et le retrait du capital. N’est en revanche pas pertinent que l’institution de prévoyance se soit simplement fondée sur un extrait du Registre du commerce pour admettre l’installation en qualité d’indépendant ou que le versement du capital ait eu lieu au moyen d’un chèque au lieu d’un virement bancaire.
En l’espèce, le TF admet que de bonnes relations contractuelles passées entre l’assuré et l’institution de prévoyance suffisaient à tenir compte d’un rapport de confiance particulier. En outre, un délai de deux mois entre l’entrée dans l’institution de prévoyance et le retrait de la prestation de sortie n’est pas considéré comme propre à éveiller des doutes suffisants.
Auteure : Me Muriel Vautier Eigenmann, avocate à Lausanne

TF 9C_359/2020 du 14 septembre 2020
Assurance-vieillesse et survivants; coordination européenne, rente de vieillesse, calcul autonome, extrait de compte individuel, revenu annuel moyen, années de cotisations, art. 52 R (CE) n° 883/2004
En vertu de l’art. 52 al. 1 R (CE) n° 883/2004, l’institution compétente, en l’espèce la caisse de compensation AVS, doit en principe procéder au calcul de la rente selon deux méthodes différentes, soit un calcul indépendant en vertu des seules règles de droit national (let. a) et un calcul au prorata (let. b). Le montant le plus élevé est dû à la personne assurée (ch. 3). Cependant, lorsque le calcul indépendant a toujours pour résultat que la prestation autonome est égale ou supérieure à la prestation au prorata, la caisse de compensation peut, à certaines conditions, remplies en l’espèce, renoncer au calcul au prorata (ch. 4) (c 2).
En l’espèce, la caisse de compensation n’avait donc pas à tenir compte des périodes de cotisation effectuées à l’étranger. La base de calcul pour la rente de vieillesse est l’extrait de compte individuel (CI), et non le formulaire E 205 (c. 4.2).
Le fait que la personne assurée ait versé des cotisations sur le revenu d’une activité lucrative pendant une période de l’année seulement, le dispensant de cotiser comme personne sans activité lucrative pour le reste de l’année, ne change rien au fait qu’il faut tenir compte de l’année entière comme année de cotisation pour le calcul du revenu annuel moyen (RAM) (c. 4.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 8C_678/2019 du 14 septembre 2020
Assurance –accidents; soins à domicile, évaluation des besoins, coordination avec l’allocation pout impotent; art. 10 al. 3 LAA; 18 OLAA
Le TF rappelle que les prestations pour soins en cas d’accident, à savoir les soins médicaux et non médicaux à domicile au sens des art. 10 al. 3 LAA et 18 OLAA, sont des prestations en nature. Il convient de distinguer les soins médicaux à domicile prescrits par un médecin qui sont fournis par une personne ou une organisation autorisée (art. 18 al. 1 OLAA), les soins médicaux à domicile prescrits par un médecin qui sont dispensés par une personne non autorisée (art. 18 al. 2 let. a OLAA) et les soins non médicaux à domicile (art. 18 al. 2 let. b OLAA). De manière générale, l’assureur-accidents ne peut se fonder sans autres sur l’évaluation de la Fédération suisse de consultation en moyens auxiliaires (FSCMA). En effet, cette méthode présente un certain nombre de lacunes, en ce sens qu’elle ne permet pas d’évaluer l’entier des besoins en soins et de fixer le montant de la prise en charge, par l’assureur-accidents, des soins à domicile qui ne sont pas couverts par l’allocation pour impotent selon l’art. 26 LAA.
Auteur : Guy Longchamp

TF 8C_329/2020 du 10 septembre 2020
Assurance-chômage; indemnité de chômage, période de cotisation, motif de libération, divorce, tâches d’assistance, nécessité économique; art. 13 et 14 al. 2 LACI; 13 al. 1bis
La libération de l’obligation de cotiser au sens de l’art. 14 al. 2 LACI suppose qu’il existe un lien de causalité entre le motif invoqué et la nécessité de reprendre ou d’étendre une activité salariée. Cette condition doit également être remplie dans le cas où le motif invoqué est la fin de tâches d’assistance assumées envers une autre personne au sens de l’art. 13 al. 1bis OACI. Cela suppose donc nécessairement que ces tâches d’assistance aient fait l’objet d’une rémunération, ou alors, à tout le moins, qu’il en résulte des dépenses supplémentaires pour la personne assurée. En l’espèce, cette condition n’est pas remplie, de sorte que l’assurée ne peut bénéficier d’un motif de libération au sens de l’art. 14 al. 2 LACI (c. 6.2.3).
Il n’est pas possible de considérer ensemble plusieurs motifs invoqués au titre de motif de libération (en l’espèce le divorce et la fin des tâches d’assistance) lorsque l’un d’eux (en l’espèce le divorce) remonte à plus d’une année en arrière (c. 5.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_132/2020 du 8 septembre 2020
Responsabilité aquilienne; procédure civile, requête de preuve à futur; art. 158 al. 1 let. b CPC
Un enfant mineur souffre de plusieurs atteintes à sa santé qu’il impute à un antiépileptique, commercialisé en Suisse que sa mère avait pris durant sa grossesse sur prescription de son médecin. Il dépose une demande en paiement à l’encontre de la société qui commercialise le médicament et dénonce le litige au médecin (première procédure).
En juillet 2019, la Confédération suisse dépose une requête de preuve à future tendant à la mise en œuvre d’une expertise médicale à l’encontre de la société qui commercialise le médicament et du médecin (deuxième procédure). La Confédération suisse y allègue être subrogée aux droits de l’enfant pour les prestations AVS/AI qu’elle lui verse. L’enfant a formé une requête d’intervention accessoire dans cette deuxième procédure (deuxième procédure, objet du présent arrêt).
En août 2019, la Confédération suisse dépose une requête de conciliation et conclut à ce que la société qui commercialise le médicament et le médecin soient condamnés à lui verser CHF 1’533’760.- (troisième procédure). Ladite procédure est suspendue jusqu’à droit connu sur la requête de preuve à futur. La requête de preuve à futur déposée en juillet 2019 par la Confédération (deuxième procédure) est finalement rejetée.
Le TF rejette le recours déposé par la Confédération à l’encontre de cette décision. Le tribunal saisi de la requête de preuve à futur est devenu incompétent du fait de l’introduction du procès au fond quelques semaines plus tard ; point n’est dès lors besoin d’examiner les conditions de fond de ladite requête d’expertise hors procès, soit l’intérêt digne de protection à l’administration d’une expertise hors procès.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne



TF 1C_152/2020 du 8 septembre 2020
Responsabilité aquilienne; causalité; art. 19 LAVI
La jurisprudence rendue par le TF sous l’empire de l’ancienne LAVI, selon laquelle la causalité adéquate devait s’apprécier selon les critères propres au droit des assurances sociales, n’est plus d’actualité et n’est ainsi pas applicable à la version révisée de la LAVI, en vigueur depuis le 1er janvier 2009, laquelle fait expressément référence aux art. 45 et 46 CO : la causalité adéquate doit désormais être examinée à la lumière des principes applicables à la responsabilité civile. Cela est en outre conforme aux objectifs poursuivis par la LAVI, dont le rôle est d’offrir aux victimes une protection complémentaire par rapport à celle conférée par les assurances sociales.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 9C_341/2020 du 4 septembre 2020
Prestations complémentaires; art. 43 et 61 let. c LPGA; 4 et 12 LPC; 22 al. 1 OPC
Un assuré bénéficiaire d’une rente AI entière a déposé une demande de PC auprès de la caisse de compensation. Celle-ci lui a demandé des documents, avec menace comminatoire de ne pas entrer en matière si l’assuré n’y donnait pas suite. C’est ce qui se produisit, vu l’absence de réaction de celui-ci. La caisse de compensation prononça donc une décision de refus d’entrée en matière sur la demande de prestations complémentaires de l’assuré. Cette décision a été confirmée au niveau cantonal, puis entreprise au niveau fédéral.
Le TF rappelle les conditions d’octroi de prestations complémentaires à un bénéficiaire de rente AI, en particulier celles relatives à la durée du séjour en Suisse, lequel séjour ne saurait en aucun cas être inférieur à six mois par année de calendrier. Il rappelle également la portée du principe d’instruction d’office par l’administration, principe qui est cependant limité par le devoir de collaboration de l’assuré, en particulier pour des éléments de faits qu’il est censé mieux connaître que l’administration elle-même. Si de manière inexcusable celui-ci ne fournit pas les éléments demandés, l’autorité peut alors se prononcer sur la base des éléments en sa possession ou refuser l’entrée en matière sur la demande de prestations. Cette décision de non-entrée en matière ne doit cependant être utilisée qu’avec la plus grande retenue. En l’espèce, l’autorité administrative avait estimé qu’à défaut de quittance de paiement de loyer ou de carte d’assuré LAMal par exemple, elle ne disposait pas d’éléments suffisants pour entrer en matière et se prononcer sur le droit de l’assuré à des prestations ; en particulier, l’autorité estimait ne pas pouvoir se prononcer sur la durée et la fréquence des séjours de l’assuré en Turquie depuis mai 2013.
Le TF laisse ouverte la question de savoir si la caisse de compensation aurait dû nécessairement recueillir le dossier AI contenant de potentiels renseignements. Le TF relève que ni la caisse de compensation, ni le tribunal cantonal n’ont remis en question le domicile suisse de l’assuré. Le TF souligne également que des éléments probants ressortent du dossier du service social, en particulier à propos des rentrées et dépenses faites par l’assuré et de sa situation économique. C’est le cas notamment de ses comptes bancaires et de ses retraits par carte Maestro effectués dans le canton de Zoug. Une simple demande au service social aurait permis de clarifier ce point. En particulier, on constate qu’aucun retrait bancaire ou paiement Maestro n’a été effectué durant la période du 26 février 2014 au 31 août 2014. Sur cette base, une décision de refus provisoire de prestations aurait pu être prononcée, à charge de l’assuré d’en apporter la contre-preuve par la suite.
Sur un autre plan, les constatations de faits par l’autorité cantonale retenant un séjour insuffisant en Suisse, respectivement des séjours en Turquie, lient le TF. Les simples allégations de l’assuré à ce propos, lequel invoque des renseignements suffisants se trouvant selon lui dans le dossier AI, n’y changent rien. En outre, l’assuré ne remet pas en cause le fait qu’il a violé son devoir de collaboration. Cependant, au vu de la retenue invoquée précédemment en matière de non-entrée en matière, il ne se justifiait pas d’écarter ainsi la demande de prestations complémentaires de l’assuré sans l’examiner, de l’avis du TF. La cause est ainsi renvoyée à la caisse de compensation, à charge pour celle-ci de se prononcer matériellement sur le droit de l’assuré à des prestations.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne

TF 9C_336/2020 du 3 septembre 2020
Prestations complémentaires; adaptation pour l’année en cours d’une décision de PC, procédure, insubordination du tribunal cantonal; art. 3 al. 1 let. a LPC; 17 al. 2 LPGA; 66 al. 3 LTF
Dans le jugement attaqué, le Tribunal cantonal des assurances du canton de Saint-Gall a, en se référant à sa propre pratique, considéré que la décision de prestations complémentaires prise le 18 janvier 2017 était une pure décision de révision au sens de l’art. 17 al. 2 LPGA, si bien qu’elle ne pouvait tenir compte que des deux éléments affectés par un changement de circonstances dont dépendait l’octroi des prestations – soit en l’occurrence : de la hausse, au 1er janvier 2017, de la prime cantonale moyenne à l’assurance-maladie obligatoire, et de la réduction, à la même date, de l’avance sur pension alimentaire –, mais non pas s’exprimer sur le montant de la taxe journalière à prendre en compte pour le séjour dans une famille d’accueil, puisque le montant de CHF 33.- retenu à ce titre par la décision du 18 janvier 2017 était le même que celui qui avait déjà été retenu dans les décisions précédentes.
Le TF considère quant à lui que cette manière de voir les choses viole le droit fédéral, en ce qu’elle ignore la règle posée aux ATF 128 V 39 (c. 3b et c) et 141 V 255 (c. 1.3). Une règle selon laquelle une décision de prestations complémentaires ne peut déployer ses effets que pour l’année civile en cours, raison pour laquelle les éléments du calcul des prestations complémentaires peuvent être établis à nouveau d’année en année, sans égard aux facteurs pris en compte antérieurement, et indépendamment d’éventuels motifs de révision survenant durant la période de calcul. Et le TF de renvoyer l’affaire au tribunal cantonal, pour que celui-ci examine, matériellement, la question du montant de la taxe journalière à prendre en compte, pour le séjour en famille d’accueil.
D’autre part, le TF décide de mettre CHF 500.- de frais de justice à charge du canton de Saint-Gall, du fait, dit-il, que le Tribunal des assurances de ce canton ignore de manière systématique ce qu’est la pratique constante du TF en la matière (« missachtet systematisch die ständige Praxis des Bundesgerichts »).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

ATF 147 V 2, TF 9C_615/2019 du 3 septembre 2020
Prévoyance professionnelle; rente pour enfant d’invalide, versement en mains de l’enfant majeur; art. 25 LPP; 71ter al. 3 RAVS
Une institution de prévoyance ne peut être contrainte de payer une rente d’enfant d’invalide en mains d’un enfant majeur, sous réserve d’une décision judicaire. Contrairement à ce qui est prévu dans le domaine du premier pilier (art. 71ter al. 3 RAVS), il n’existe aucune base légale prévoyant un tel paiement en mains d’un tiers, la rente d’enfant d’invalide ayant clairement un caractère accessoire par rapport à la rente d’invalide selon l’art. 25 al. 1 LPP.
Auteur : Guy Longchamp


ATF 147 V 94, TF 8C_83/2020 du 2 septembre 2020
Assurance-accidents; coordination européenne, mesures d’ordre professionnel, compétence pour le remboursement (SUVA ou office AI), notions de bureau de liaison et d’institution compétente, portée du principe de l’égalité de traitement; art. 1 lit. q, 3, 35 et 36 R (CE) n° 883/2004; 62 à 69 R (CE) n° 987/2009; 115a LAA; 103a OLAA
Le litige porte sur la question de savoir si l’institution allemande qui s’est chargée d’effectuer les mesures d’ordre professionnel pour le compte d’une assurée au bénéfice d’une couverture d’assurance-accident auprès de la SUVA est en droit d’en réclamer le remboursement à cette dernière et ce, dans le cas particulier d’une assurée dénuée de couverture d’assurance-invalidité en raison d’une période de cotisations insuffisante (c. 2.1 et A.c.)
Le TF considère que cette question doit se régler à l’aune du Règlement (CE) n° 883/2004, dans sa version en vigueur au 1er avril 2012, en application de l’art. 115a LAA. Aux termes de l’art. 36 § 2 de ce règlement, la personne qui a eu un accident et qui réside ou séjourne dans un Etat membre autre que l’Etat compétent pour verser les prestations bénéficie des prestations en nature particulières du régime des accidents de l’institution de l’Etat compétent (in casu, la SUVA), lesquelles sont octroyées concrètement par l’institution du pays de résidence ou de séjour (in casu, la Berufgenossenschaft « Gastgewerbe und Nahrungsmittel ») conformément à la législation que cette dernière applique (in casu, le droit allemand), comme si la personne en question était assurée en vertu de cette législation (c. 3.1, 3.2.1, 3.2.2 et 3.2.2.1.1 ; substitut à l’exportation effective des prestations en nature).
Le TF rappelle qu’il n’y a d’égalité de traitement à cet endroit qu’avec les assurés de l’Etat de résidence ou de séjour et non avec ceux de l’Etat compétent. La législation de l’Etat de résidence ou de séjour ne s’applique en outre qu’aux conditions d’octroi des prestations (Leistungsvoraussetzungen) et non aux questions fondamentales de couverture d’assurance ou d’événement assuré. Sur ces derniers points, le droit de l’Etat compétent (in casu, le droit suisse) reste applicable (c. 3.2.2.1.1.). C’est pourquoi il est nécessaire que l’institution de l’Etat compétent indique à celle de l’Etat de résidence ou de séjour si l’assuré est éligible aux prestations en question sous l’égide de l’assurance-accidents. Concrètement, l’institution de l’Etat compétent utilise le formulaire DA1, anciennement E123. A défaut de droit reconnu, les prestations en nature sont réputées ressortir de l’assurance-maladie (c. 3.2.2.1.2).
L’art 35 R (CE) n° 883/2004 prévoit en sus que toutes les prestations en nature servies par l’institution de l’Etat de résidence ou de séjour pour le compte de l’Etat compétent donnent lieu à un remboursement intégral (§ 1). Ces remboursements sont déterminés et effectués selon le règlement d’application, soit sur la base des dépenses effectives, soit sur la base de forfait (§ 2). Ces dispositions, initialement applicables en cas de maladie, sont applicables également pour les prestations versées à la suite d’un accident (art. 41) (c. 3.2.2.2.1)
Les art. 62 à 69 R (CE) n° 987/2009, dans sa version en vigueur au 1er avril 2012, précisent les règles applicables en matière de remboursement (c. 3.2.2.2.2). Les demandes de remboursement des institutions des Etats de résidence ou de séjour sont traitées via le bureau de liaison (Verbindungstelle) (art. 66 § 2). Le TF rappelle que la doctrine définit le bureau de liaison comme « l’institution d’un État membre qui accepte les demandes de renseignements et les demandes d’aide provisoire d’autres États membres, leur répond pour le compte des institutions concernées, qu’elle représente, et s’occupe également du remboursement des frais entre les États membres » (c. 3.2.2.2.3). En Suisse, c’est la SUVA qui assume ce rôle. En application de l’art. 103a OLAA, elle prend ainsi en charge les 2/3 des frais occasionnés par l’entraide en matière de prestations, le solde revenant aux institutions d’assurance telles que définies par l’art. 68 LAA (c. 3.2.2.2.4).
Le TF rappelle qu’il faut bien distinguer deux notions : le bureau de liaison (Verbindungstelle) et l’institution de l’Etat compétent ou institution compétente (zuständiger Träger). C’est cette dernière qui est visée aux art. 19 et 35 R (CE) n° 883/2004. Elle est définie à l’art. 1 let. q. Elle peut revêtir concrètement 4 formes différentes (i à iv), que le TF résume ainsi : l’institution compétente est l’institution de l’Etat auprès duquel une assurance en vigueur est tenue de fournir des prestations (c. 3.2.2.3).
Le TF vérifie ensuite si les mesures d’ordre professionnel sont bien des prestations en nature (besonderen Sachleistungen) au sens de l’art. 36 § 2 R (CE) n° 883/2004. Après analyse du droit allemand, il arrive à la conclusion que tel est bien le cas (c. 3.2.3).
Le TF résume ensuite la position de l’autorité inférieure qui avait reconnu à l’institution allemande un droit à un remboursement auprès de la SUVA, fondé sur l’art. 36 § 2 (c. 4.1). Le TF examine un autre grief de la SUVA, à savoir que ce n’est pas à elle de prendre en charge les frais des mesures d’ordre professionnel mais à l’office AI. Selon la SUVA, cette charge incombe à l’office en question tant en regard du droit interne, qu’en regard du droit communautaire puisque, selon la recourante, l’office AI doit être reconnu comme une institution compétente (art. 1 let. q/ii), nonobstant l’absence de couverture d’assurance (c. 4.2). L’office AI conteste de son côté cette lecture, en précisant qu’il n’a pas à fournir de prestations en l’absence de couverture d’assurance et en rappelant que la SUVA a accepté de s’inscrire comme institution compétente pour les prestations en nature et de réadaptation en cas d’accident du travail, dans le registre public européen des institutions de Sécurité sociale (öffentliches Verzeichnis der europäischen Institutionen der Sozialen Sicherheit) (c. 4.3).
Au final, TF confirme en premier lieu que la SUVA est bien le bureau de liaison (c. 5.1). Il confirme également que la SUVA et l’office AI peuvent être considérés, tous les deux, comme des « institutions compétentes » au sens de l’art. 1 let. q (c. 5.2 et 5.3.1). Pour ce qui est de l’office AI, le TF se fonde sur l’annexe XI R (CE) n° 883/2004 et rappelle qu'un salarié ou un travailleur indépendant qui n'est plus soumis à la législation suisse en matière d’assurance-invalidité parce qu'il a dû renoncer à son travail de subsistance en Suisse à la suite d'un accident ou d'une maladie est considéré comme assuré dans cette assurance pour l'acquisition du droit aux mesures de réinsertion, à condition qu'il n'exerce aucune autre activité lucrative à l'étranger. Ainsi, si l’assuré en question résidait en Suisse, il serait en droit de faire valoir des prétentions à l’égard de l’office AI, qui pourrait être considéré alors comme une « institution compétente » (c. 5.3.2). Pour ce qui est de la SUVA, le TF rappelle qu’elle est effectivement tenue de verser des prestations, à la suite de l’accident et qu’elle n’aurait pas été en droit de refuser, à titre d’exemple, la prise en charge d’un traitement thérapeutique réalisé en Allemagne, laquelle est également une prestation en nature (c. 5.3.3.). Le TF confirme enfin la position de l’autorité inférieure en ce sens que le sinistre est avant tout un cas d’assurance-accidents et non d’invalidité (art. 3 § 1 let. f R (CE) n° 883/2004), ce qui parle pour une prise en charge par la SUVA, de même que l’art. 88 § 1 et 4 R (CE) n° 987/2009 qui ne mentionne que l’assurance-accidents (c. 5.4.1). Le TF rappelle ensuite que ce qui compte pour déterminer le droit aux prestations en Allemagne consiste dans le fait de savoir s’il y a bien eu un accident et non de savoir si l’office AI est tenu de prester (c. 5.4.2). Il rejette pour terminer le dernier argument fondé sur les primes d’assurances (c. 5.4.3). En résumé, le TF confirme l’obligation de remboursement de la SUVA, dans le cas d’espèce.
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne


TF 6B_217/2020 du 31 août 2020
Responsabilité délictuelle; traitement ostéopathique, lésions corporelles graves par négligence, omission de prêter secours; art. 125 et 128 CP
Un ostéopathe a pratiqué des manipulations et mouvements rotatifs, rapides et brusques sur une patiente dans la région du cou, de l’épaule et de la tête. Ce traitement a causé presque immédiatement un AVC, accompagné des symptômes habituels (vertiges, nausées, troubles de la sensibilité au visage, troubles de la parole). Le Tribunal supérieur de Zurich a confirmé la condamnation de l’ostéopathe pour lésions corporelles graves par négligence et omission de prêter secours.
Le TF confirme que l’accusé a commis une faute dans l’acceptation même du mandat (Übernahmeverschulden). Il a été en effet établi que, même s’il disposait d’un certificat belge d’ostéopathe, il avait échoué à trois reprises à l’examen intercantonal d’ostéopathie, faisant preuve à ces occasions d’importantes lacunes, que ce soit dans l’anamnèse, les tests cliniques, ou dans la présentation de la procédure thérapeutique. Le TF considère dès lors que l’accusé aurait dû se poser sérieusement la question de savoir s’il disposait des compétences nécessaires pour manipuler la colonne cervicale de sa patiente. En tous les cas, il n’a pas été capable de reconnaître la gravité de la situation et de se rendre compte qu’il convenait de s’abstenir de tout traitement ostéopathique, et de référer la patiente à un médecin (c. 4.3.3).
Le délit d’omission de prêter secours prévu à l’art. 128 CP est réalisé dès que l’auteur ne prête pas secours à la personne en danger, indépendamment du fait de savoir si cette aide aurait pu être utile. Ce n’est que s’il apparaît clairement qu’aucune aide n’était nécessaire que le juge peut alors considérer que l’infraction n’est pas réalisée. Il s’agit là d’une infraction intentionnelle, ce qui implique que l’auteur devait avoir connaissance de son obligation d’agir ainsi que du danger de mort imminent (c. 6.2). En l’espèce, l’ostéopathe n’a pas réagi immédiatement et s’est contenté finalement d’informer le mari de sa patiente, alors même qu’il était clair pour lui que celle-ci avait un besoin urgent de soins médicaux, compte tenu des symptômes qu’elle présentait, à commencer par une paralysie du visage et des troubles de la parole. L’accusé avait donc l’obligation d’appeler immédiatement une ambulance, et cela même si, comme il le prétend, sa patiente lui avait interdit d’agir ainsi. Le TF retient en effet que la victime n’était à l’évidence pas en état d’évaluer elle-même correctement la gravité de la situation (c. 6.4).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 4A_555/2019 du 28 août 2020
Assurances privées; contrat d’assurance, assurance-maladie complémentaire, réticence, délai de quatre semaines, dies a quo et dies a quem, application de la date d’expédition (question laissée ouverte), théorie de la réception absolue; art 4 et 6 al. 1 et 2 LCA; 8 CC; art. 72 al. 1 ch. 2 CO
Réticence au sens de la LCA. Le TF rappelle les principes légaux et jurisprudentiels en relation avec les articles 4 al. 1, 2 et 3 ainsi que 6 al. 1 LCA, en particulier les conditions objectives et subjectives et le critère du fait important pour l’appréciation du risque par l’assureur (c. 2). Le TF a déjà reconnu qu’une question – en l’espèce contenue dans le formulaire de déclaration de santé – semblable à celle en cause était floue et évasive (arrêts 4A_94/2019 et 4A_134/2013 sur le caractère très large et imprécis de la notion de trouble ou d’atteinte à la santé (c. 3.2).
Cela étant, force est d’admettre, avec la cour cantonale, que la proposante ne pouvait pas, de bonne foi, occulter l’existence de fibromes utérins qui l’affectaient. Ces derniers constituaient manifestement un fait important pour l’appréciation du risque en l’occurrence ; même bénins et sans autre symptôme que des ballonnements, ils ne sauraient, quoiqu’en pense la recourante, être assimilés à « des petits rhumes, grippes ou ongles incarnés » (c. 3.2). Ainsi, lorsqu’elle a répondu à la question n° 2 de la déclaration de santé, relative, en particulier, à un éventuel « trouble de la santé », la recourante savait donc que les fibromes utérins devraient peut-être être retirés chirurgicalement si elle souhaitait tomber enceinte, ce qui était précisément l’hypothèse qui l’amenait à vouloir conclure une assurance complémentaire. C’est dire qu’elle devait nécessairement se rendre compte que la présence desdits fibromes n’était pas anodine et constituait un élément important susceptible d’influer sur l’appréciation du risque par l’assureur. En passant ce fait sous silence, la recourante a méconnu son devoir de renseigner et ne saurait invoquer le caractère vague de la notion de « trouble de la santé » pour justifier cette omission. Au bénéfice de ce qui précède, l’assureur était en droit de résilier le contrat d’assurance en raison de la réticence et le grief tiré d’une violation de l’art. 6 al. 1 LCA ne peut qu’être écarté (c. 3.2).
Validité de la résiliation. Il s’agit d’examiner le respect du délai de quatre semaines prévu par l’art. 6 al. 2 LCA. Le TF rappelle les principes légaux et jurisprudentiels en relation avec la preuve – qui incombe à l’assureur – du respect du délai de péremption prévu par l’art. 6 al. 2 LCA (c. 4.1). Le délai de quatre semaines se calcule conformément à l’art. 77 al. 1 ch. 2 CO, c’est-à-dire qu’il expire le jour qui correspond par son nom, au jour du point de départ. Le Tribunal n’a jamais eu à trancher expressément la question de savoir si, pour intervenir en temps utile, la déclaration de résiliation doit parvenir au preneur d’assurance ou être seulement expédiée dans le délai de péremption (question laissée ouverte). Dans le cas présent, la cour cantonale a jugé que résiliation était intervenue en temps utiles en appliquant la théorie de la réception, moins favorable à l’assureur (c. 4.1).
Le dies a quo ne pose pas de difficulté, la cour cantonale ayant retenu l’hypothèse la plus favorable à l’assurée, à savoir le lendemain de l’envoi du rapport médical par le médecin à l’assureur (c. 4.2). S’agissant du dies a quem, le calcul effectué par la cour cantonale est conforme à la théorie de la réception dite absolue, à laquelle est soumise la communication d’une manifestation de volonté dans le cadre de la computation d’un délai régi par le droit des obligations. Selon la jurisprudence, un envoi postal recommandé est en effet censé reçu le lendemain du jour où l’agent postal a déposé l’invitation à retirer ledit envoi dans la boîte aux lettres ou la case postale du destinataire, lorsqu’il ne peut être attendu que ce dernier – ce qui est généralement le cas – qu’il le retire le jour même à l’office de poste. Il s’ensuit que, dans l’hypothèse la moins favorable à l’assureur, la résiliation du contrat d’assurance a été notifiée le dernier jour du délai péremptoire de quatre semaines. La cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en jugeant que la résiliation, intervenue en temps utiles, était valable (cf. c. 4.2).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud

ATF 146 V 313, TF 9C_829/2019 du 26 août 2020
Assurance-vieillesse et survivants; calcul du revenu annuel moyen, revenus acquis avant l’âge de la retraite mais perçus après; art. 30ter LAVS
Le TF examine la règle de l’art. 30ter al. 3 LAVS concernant l’affectation des revenus au compte individuel lorsque des revenus relatifs à une activité déployée avant l’âge de la retraite sont versés après celui-ci. Il rappelle tout d’abord que cette disposition a été introduite dans deux projets de révision qui n’ont pas abouti, avant d’être finalement acceptée par le Parlement en 2011. Lors de la première tentative d’introduction, dans le cadre de la 11e révision de l’AVS, la disposition avait déjà la teneur connue actuellement. Les revenus sont inscrits sous l’année durant laquelle ils ont été versés (Auszahlungsjahrprinzip), sauf si : a) le travailleur ne travaille plus pour l’employeur lorsque le salaire lui est versé et que b) les cotisations versées durant l’année de l’accomplissement de l’activité sont inférieures à la cotisation minimale (risque de lacune). Dans ce cas, il convient d’inscrire le revenu sur l’année au cours de laquelle l’activité a été exercée (Erwerbsjahrprinzip). Pour justifier cette disposition, le Conseil fédéral expliquait, dans son message de 2005, que la pratique se basait sur la jurisprudence du TF (ATF 111 V 161) et qu’il fallait créer une base légale.
Pourtant, l’ATF 111 V 161 partait du précepte inverse, à savoir qu’il faut en principe retenir l’année au cours de laquelle l’activité a été exercée. Le principe de l’année de versement ne peut être retenu que s’il n’a pas d’impact sur la situation de l’assuré, en particulier en raison d’une lacune de cotisation ou parce que les cotisations ne seraient alors plus déterminantes pour le droit à la rente (passage à l’âge de la retraite). Dans son message de 2011 ayant abouti à l’entrée en vigueur de la norme, le Conseil fédéral a conservé la même teneur législative, mais n’a plus fait référence à la jurisprudence.
Le TF arrive à la conclusion que sa jurisprudence doit désormais être nuancée par le texte légal, qui montre clairement la volonté du législateur et qu’il doit respecter (art. 190 Cst.). Il convient donc d’appliquer le principe de l’année du versement et d’admettre le principe de l’année de l’activité qu’aux conditions restrictives de l’art. 30ter al. 3 LAVS.
En l’espèce, la cour inférieure avait refusé de prendre en compte des revenus payés après l’âge de la retraite mais relatifs à une activité préalable, au motif que le paiement était intervenu après l’âge de la retraite. Le TF corrige la motivation et examine si les conditions de l’art. 30ter al. 3 LAVS sont réunies. Il constate que l’assurée a versé des cotisations supérieures à la cotisation minimale durant les années d’activité en question, de sorte qu’il n’y a pas de place pour l’application de l’exception. La décision de ne pas prendre en compte ces revenus dans le revenu annuel moyen est donc confirmée.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


ATF 147 V 55, TF 8C_72/2020 du 26 août 2020
Assurance-accidents; rente complémentaire, obligation de collaborer, révision, reconsidération; art. 53 LPGA; 51 al. 2 OLAA
La question qui se pose dans cet arrêt est de savoir si la Suva était en mesure, après avoir octroyé une rente fondée sur un taux d’invalidité de 100%, de réviser sa décision initiale, pour n’octroyer finalement qu’une rente complémentaire LAA à un assuré à qui l’office AI avait initialement nié tout droit à une rente AI, car il avait refusé de s’annoncer auprès de lui.
Le TF a retenu que l’obligation de réclamer des prestations à une autre assurance sociale découlant de l’art. 51 al. 2 OLAA n’est pas satisfaite par la simple annonce du cas, mais nécessite une obligation de collaborer de l’assuré afin de déterminer si ce dernier a une réelle prétention à faire valoir (c. 5.6.2). Selon le TF, cette obligation peut être exigée par l’assureur-accidents avant l’octroi initial de prestations, mais également ultérieurement (c. 5.7).
La Suva était donc en droit d’obliger l’assuré à s’annoncer auprès de l’assurance-invalidité. Elle a correctement appliqué la procédure de mise en demeure et de notification d’un délai de réflexion, de sorte qu’elle était autorisée à appliquer les conséquences juridiques dont elle avait menacé l’assuré, soit l’octroi d’une rente LAA complémentaire (c. 5.8).
Le TF a laissé ouverte la question de savoir si le fait d’avoir violé l’art. 51 al. 2 OLAA constitue un motif de reconsidération en vertu de l’art. 53 al. 2 LPGA, car il considère qu’un motif de reconsidération découlait en l’espèce d’autres circonstances. En l’occurrence et contrairement à l’appréciation de la juridiction cantonale, le TF a considéré que l’absence d’examen du caractère adéquat du lien de causalité entre un accident et l’apparition de troubles psychiques constituait un motif de reconsidération. La cause a été renvoyée à la cour cantonale pour examen des critères de l’ATF 115 V 133 au sujet du caractère adéquat du lien de causalité entre l’accident et l’apparition des troubles psychiques.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne



TF 4A_52/2020 du 19 août 2020
Responsabilité aquilienne; prescription, dies a quo, atteinte durable, dommages distincts; art. 60 al. 1 CO
Dans la présente affaire, dont la procédure a été limitée à la seule question de la prescription d’éventuelles prétentions, le recourant fait valoir différents postes de dommages prétendument causés par la diffusion d’informations dérobées auprès d’une banque, en l’occurrence des frais d’avocat survenus en lien avec des procédures intentées contre différents médias ainsi qu’à sa défense dans le cadre d’une procédure fiscale subséquente dirigée à son encontre.
Le délai de l’art. 60 al. 1 CO part du moment où le lésé a effectivement et suffisamment connaissance du dommage lorsqu’il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice, et non de celui où il aurait pu découvrir l’importance de sa créance en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances. En ce sens, le lésé n’est pas admis à différer sa demande jusqu’au moment où il connaît le montant absolument exact de son préjudice, car le dommage peut devoir être estimé selon l’art. 42 al. 2 CO.
Lorsque l’ampleur du préjudice résulte d’une « situation qui évolue », le délai de prescription ne court pas avant le terme de l’évolution. Si la publication d’articles de presse et des différends avec une autorité, fondés tous deux sur des données volées, constitue bien une telle situation, l’acte générateur de responsabilité ne s’inscrit en revanche pas dans le cadre de comportements dommageables répétés ou dans la durée. Il est en outre susceptible d’occasionner – de manière médiate – des dommages sur une période de temps dont la durée ne saurait être pronostiquée.
Sous l’angle du délai relatif de prescription en matière délictuelle, les divers chefs de préjudice issus d’un même acte illicite ne constituent en principe pas des dommages distincts mais les éléments d’un seul dommage. Toutefois, le principe de l’unité du dommage ne peut trouver application si le préjudice a trait à des situations distinctes (bien qu’ayant pour cause le même comportement répréhensible et correspondant à un même poste de dommage). Ainsi, le délai relatif de prescription court séparément pour chacun des dommages distincts occasionnés par l’utilisation de données litigieuses par des tiers.
Dans le cas particulier, il convenait donc de distinguer entre l’hypothétique dommage lié à la campagne de presse, d’une part, et celui consécutif à la procédure fiscale, d’autre part. Doit ainsi être considérée comme prescrite la créance du lésé qui se prévaut, en dépit du court délai relatif de l’art. 60 al. 1 CO, de la survenance d’un dommage des années après la publication d’articles litigieux afin de demander la réparation du préjudice prétendument subi en lien avec celle-ci. A l’inverse, le TF a retenu que celui contre qui une procédure est dirigée ne peut pas avoir – selon les circonstances – connaissance du dommage dans les grandes lignes au moment de l’ouverture de celle-ci, en particulier si et dans quelle mesure une partie des frais liés à sa défense seront indemnisés.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat, Neuchâtel


TF 9C_763/2019 du 18 août 2020
Assurance-invalidité; allocation pour impotent, accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, notion de home, distinction d’avec un logement accompagné; art. 42 al. 3 LAI ;35ter et 38 RAI
Dans le cas d’espèce, l’assuré bénéficie d’une rente AI en raison de troubles de la personnalité et du comportement consécutifs à une longue période de consommation de stupéfiants. Il dispose d’un logement accompagné « BEWO » (begleitete Wohnung) que la Ville de Zurich destine aux personnes toxicomanes ou atteintes de limitations psychiques. L’offre inclut le logement dans une chambre meublée et des conseils prodigués, de jour, par le personnel spécialisé, à raison d’une demi-heure par semaine. La mère de l’assuré fournit une aide pour la prise des repas, l’entretien du linge, les achats et les activités administratives.
Selon la pratique et la jurisprudence du TF, l’assuré est considéré comme étant atteint d’une impotence faible, au sens de l’art. 42 al. 3 et 38 RAI, s’il a besoin d’un accompagnement régulier d’au moins deux heures en moyenne par semaine, sur une période de trois mois, pour faire face aux nécessités de la vie (c. 6.1). En dehors du séjour dans un home, le lieu où vit l’assuré n’est pas déterminant. Il importe peu que l’assuré vive seul, avec son partenaire, avec des membres de sa famille ou dans l’une des nouvelles formes de logement très répandues aujourd’hui. L’élément décisif est le besoin d’accompagnement et de conseils et non le point de savoir qui fournit l’aide (c. 2.3).
Dans le cas d’espèce, le conseil du personnel spécialisé dans le cadre de l’offre de logement « BEWO », limité à une demi-heure par semaine, ne constitue pas un accompagnement suffisant pour cet assuré qui doit pouvoir bénéficier d’autres aides fournies, ici, par la mère, pour faire face aux nécessités de la vie.
Le logement occupé par l’assuré se distingue donc du home qui, au sens de l’art. 35ter al. 1 RAI, correspond à une forme de logement collectif. Conformément aux explications de l’OFAS, la notion de home désigne une communauté d’habitation placée généralement sous la responsabilité d’un support juridique ayant une direction et des employés. Les résidents ne disposent pas seulement d’un espace loué, mais aussi, contre paiement, d’autres offres et services (nourriture, conseil, encadrement, soins, occupation ou réinsertion, notamment dont ils ne disposeraient pas – ou pas de cette nature et dans cette mesure – s’ils vivaient dans leur propre logement ou que, dans ce cas, ils devraient organiser eux-mêmes (c. 2.3).
L’assuré est ainsi en droit de percevoir l’allocation pour impotence.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 6B_1319/2019 du 18 août 2020
Responsabilité aquilienne; emploi de gaz toxiques par négligence, frais de procédure à la charge du prévenu, indemnités en cas d’acquittement; art. 224 et 225 CP; 426 al. 2, 429 et 430 al. 1 let. a CPP; 32 al. 1 Cst.; 6 § 2 CEDH; 41 CO
Après avoir procédé aux interprétations littérales, historiques, téléologiques et systématiques des art. 224 et 225 CP, le TF conclut que le monoxyde de carbone, émis en l’espèce par la combustion des brûleurs d’un grill, ne répond pas à la notion de gaz toxique au sens du CP. Il confirme l’acquittement des prévenus.
Le TF rappelle ensuite qu’à la lumière des art. 426 al. 2 CPP, 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH, une condamnation aux frais n’est admissible que si le prévenu a provoqué l’ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s’il en a entravé le cours. Seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en considération. Dans ce contexte, le juge peut tenir compte de toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l’ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d’une application par analogie des principes découlant de l’art. 41 CO. Une condamnation aux frais est en tout cas exclue lorsque l’autorité est intervenue par excès de zèle, à la suite d’une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d’acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l’exception. L’art. 426 al. 2 CPP prévoit une « Kann-Vorschrift », en ce sens que le juge n’a pas l’obligation de faire supporter tout ou partie des frais au prévenu libéré des fins de la poursuite pénale, même si les conditions d’une imputation sont données. L’autorité pénale dispose à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation.
Quant à l’art. 430 al. 1 let. a CPP, qui permet au juge de réduire ou refuser l’indemnité prévue par l’art. 429 CPP, lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l’ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci, il est le pendant de l’art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l’indemnisation.
En l’espèce, il n’a pas été démontré en quoi la cour cantonale aurait excédé le large pouvoir d’appréciation dont elle dispose dans l’application de l’art. 426 al. 2 CPP, respectivement de l’art. 430 al. 1 let. a CPP.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève



TF 5A_16/2020 du 18 août 2020
Responsabilité du propriétaire foncier; causalité adéquat, interruption, dommages-intérêts, qualité pour défendre; art. 679 et 684 ss CC
Le TF est appelé à se prononcer dans un litige opposant une commune venderesse de parcelles au propriétaire voisin, dont le fonds a subi un dommage causé par les travaux entrepris par l’acheteur du bien fonds communal. Les travaux à l’origine du dommage ont été effectué avec l’autorisation de la commune et sans attendre la signature de l’acte de vente. La commune s’oppose à la demande en dommages-intérêts et fait valoir deux griefs à l’appui de son recours : son absence de légitimation passive et la rupture du lien de causalité adéquat.
L’art. 679 al. 1 CC prévoit la responsabilité du propriétaire d’immeuble pour les dommages causés à ses voisins à la suite d’une violation des art. 684 ss CC. Il s’agit d’une responsabilité objective du propriétaire et suppose la réalisation de trois conditions matérielles : un excès dans l’utilisation du fonds, soit un dépassement des limites assignées à la propriété foncière par le droit de voisinage, une atteinte aux droits du voisin ainsi qu’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l’excès et l’atteinte.
Le propriétaire foncier a qualité pour défendre à une action fondée sur l’art. 679 CC non seulement lorsqu’il cause lui-même le dommage, mais également quand celui-ci est le fait d’une tierce personne qui utilise directement l’immeuble et qui y est autorisée en vertu du droit privé ou public. Le propriétaire peut ainsi être recherché par exemple pour le fait de l’entrepreneur qui accomplit des travaux sur son immeuble.
Le TF considère que la conception large de la qualité pour défendre doit assurer une meilleure protection du demandeur, et non nuire à celui-ci. C’est pourquoi la responsabilité d’un titulaire de droit réel limité ou de droit personnel ne devrait exclure celle du propriétaire du fonds que si le but pour lequel ce droit a été accordé n’était pas porteur de risques pour le voisinage. En l’espèce, le maître de l’ouvrage ne peut être considéré comme disposant seul de la maîtrise de fait sur le bien-fonds lors de la survenance du sinistre. La recourante, qui était en mesure de faire cesser les travaux et avait valablement la qualité de propriétaire du bien-fonds lors de l’apparition du dommage disposait dès lors bien de la légitimation passive.
Vu la nature objective de la responsabilité instaurée par l’art. 679 CC qui vise à assurer une protection accrue des voisins et du propre rôle de la commune dans la réalisation des travaux, c’est à juste titre que l’autorité cantonale a considéré que le fait de cette dernière restait en causalité adéquate avec le dommage causé à l’intimé. En effet, la causalité adéquate ne peut être interrompue que par un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s’attendre et qui revêt une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l’arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer – y compris le fait imputable à la partie recherchée. Une interruption ne peut manifestement pas entrer en considération dans le cas d’espèce, comme l’a justement retenu l’autorité cantonale. Le TF a dès lors rejeté le recours.
Auteur : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate

TF 8C_38/2019 du 12 août 2020
Assurance-accidents; affiliation obligatoire à la LAA, notion d’activité salariée ou indépendante, statut d’un chauffeur de taxi, dépendance économique; art. 1a al. 1 LAA; 11 et 13 aLTaxi-GE
Les chauffeurs de taxi de service public ayant conclu un contrat d’abonnement avec une centrale de taxi doivent être qualifiés d’indépendants. Certes, ceux-ci ont l’interdiction d’être affiliés à une autre centrale d’appel ou à tout autre système de diffusion des courses, ce qui est évocateur de l’obligation de fidélité du travailleur. Dans l’ensemble toutefois, les éléments montrant que ces chauffeurs sont indépendants économiquement et du point de vue de l’organisation de leur travail vis-à-vis de la centrale sont prédominants (aucune instruction quant au lieu et au temps de travail, absence d’intervention dans l’organisation du travail, perception directe des recettes, investissements non négligeables assumés par les intéressés, etc.).
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 9C_825/2019 du 10 août 2020
Prévoyance professionnelle; obligation d’assurance; art. 1j al. 1 let. d OPP2
Le TF a jugé que la différence de traitement introduite par l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2 trouve sa justification dans le fait que pour les personnes visées par cette disposition, le risque invalidité est déjà entièrement survenu. Elle ne contrevient dès lors pas à l’art. 8 al. 1 Cst., même dans l’hypothèse où la personne invalide à 70 % ou plus ne perçoit pas de rente de la prévoyance professionnelle.
Auteur : Guy Longchamp

TF 4A_166/2020 du 23 juillet 2020
Assurances privées; conditions générales d’assurance, clauses ambiguës, interpretatio contra stipulatorem; art. 18 CO
Les conditions générales d’assurance (CGA) s’interprètent fondamentalement selon les mêmes principes que ceux valant pour les dispositions contractuelles. C’est donc la volonté commune des parties qui importe en premier lieu. Si les conditions se révèlent peu claires, on appliquera alors la règle des clauses ambiguës. L’interprétation se fera dès lors en défaveur du rédacteur des CGA (interpretatio contra stipulatorem).
En l’espèce, les règles de l’assureur sont peu claires par rapport à la prise en charge d’un traitement médical en division demi-privée. Celles-ci doivent donc être interprétées en faveur de l’assuré. Le TF arrive ainsi à la conclusion qu’un assuré peut comprendre qu’une telle prise en charge est possible lorsque l’assureur a conclu une prise en charge tarifaire uniquement privée avec l’hôpital, non seulement si l’hôpital ne dispose pas effectivement d’un secteur demi-privé, mais également s’il n’y a pas d’accord tarifaire spécifique pour la division demi-privée, alors que l’hôpital concerné dispose d’une telle division. Dans les deux cas, la participation de l’assurance s’élèvera à 75% des frais d’une hospitalisation en secteur privé.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

ATF 146 V 290, TF 9C_557/2019 du 13 juillet 2020
Assurance-maladie; affiliation à l’assurance-maladie, coordination européenne; art. 2 al. 1 let. e OAMal; 11 et 24 R (CE) n° 883/2004
Une ressortissante portugaise domiciliée en Suisse, titulaire de rentes de vieillesse versées par des institutions allemandes, se voit refuser la possibilité de s’assurer à l’assurance-maladie suisse, sur la base de l’art. 24 R (CE) n° 883/2004.
Lorsqu’un titulaire d’une pension versée par un autre Etat membre n’a pas de droit originaire à des prestations en nature en cas de maladie dans l’Etat de résidence, et qu’une seule rente est perçue, la charge des prestations en cas de maladie incombe à l’institution compétente de l’Etat qui alloue la rente. Le rentier a alors un droit à l’entraide visant à faciliter l’accès aux soins et aux prestations en nature à l’encontre de l’institution de l’Etat de résidence et une obligation de s’assurer à l’assurance-maladie avec obligation de cotiser dans l’Etat qui verse la rente.
Les prestations fournies à titre d’entraide le sont en vertu de la législation de l’Etat de résidence, comme si la personne y était assurée pour le risque maladie. Cela suppose toutefois l’existence d’un rapport d’assurance entre la personne concernée et l’Etat qui sert la rente, avec pour corollaire l’obligation pour celui-ci de prendre définitivement en charge les prestations ainsi que le droit de percevoir des cotisations.
Sur cette base, les personnes résidant en Suisse et affiliées au système d’assurance-maladie légal au sein d’un Etat UE/AELE ont droit aux soins médicaux en cas de maladie, d’accident non professionnel ou de maternité lorsqu’elles résident en Suisse.
La recourante se plaint d’une lacune de couverture d’assurance inadmissible, en raison du fait qu’elle ne peut pas être affiliée à une caisse-maladie publique allemande à défaut de période d’assurance suffisante mais seulement à une caisse privée ne prenant en charge que de façon limitée les coûts médicaux en Suisse.
L’Allemagne a fait usage de la possibilité prévue par le droit communautaire permettant à l’assurance-maladie privée de se substituer à la couverture « maladie » fournie par le régime légal de sécurité sociale. L’assurance maladie privée n’est alors pas coordonnée par les règlements n° 883/2004 et 987/2009, mais prise en considération pour le rattachement du point de vue de la règle de conflit. Les personnes concernées n’ont pas de droit dans le cadre de l’entraide en matière de prestations selon le règlement n° 883/2004, mais uniquement un droit au remboursement des coûts du traitement médical de la part de l’assurance privée. Les autorités allemandes ne font ainsi pas de différence entre l’assurance-maladie légale et l’assurance-maladie privée en ce qui concerne le rattachement du point de vue de la règle de conflit, mais bien en ce qui concerne la coordination effective des prestations en nature au sens de l’art. 24 R (CE) n° 883/2004, au motif que l’assurance-maladie privée allemande ne prévoirait pas de prestations en nature. Le TF estime qu’une telle conception paraît contraire au système de coordination prévu par l’art. 24 R (CE) n° 883/2004 (c 6.3.2.1).
La situation de la recourante, qui ne peut pas bénéficier des prestations de l’assurance-maladie suisse comme si elle y était assurée pour le risque maladie, mais est tenue de payer directement ses traitements aux fournisseurs de prestations, à charge pour elle de se faire rembourser auprès de sa caisse-maladie privée allemande selon les conditions de son contrat, est reconnue par le TF comme étant insatisfaisante pour elle. Néanmoins, le TF nie toute violation, par les autorités suisses, des normes de coordination européenne et du droit suisse (c. 6.3.4).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds


TF 4A_547/2019 du 9 juillet 2020
Responsabilité médicale; consentement éclairé du patient, faits nouveaux; art. 59 al. 1 CC; 41 CO; 317 al. 1 CPC; 4 LRECA-VD
Un patient souffre d’épilepsie avec crises invalidantes. A la suite d’une opération chirurgicale correctrice au cerveau intervenue le 2 octobre 1998, des troubles aboutissent à une incapacité totale de travail. Se pose ainsi la problématique du consentement éclairé du patient. Le recourant réclame à l’Etat de Vaud la réparation du dommage consécutif à l’opération. La cour cantonale rejette l’action.
Les recourants reprochent à la cour cantonale une violation de l’art. 317 CPC pour avoir écarté leur requête en introduction de nova. Selon le TF, aux termes de l’art. 317 al., 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s’ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s’ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s’en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let.b). S’agissant des pseudo nova, soit les faits et moyens de preuve qui existaient déjà au début des délibérations de première instance, leur admissibilité est largement limitée en appel : ils sont irrecevables lorsque le plaideur aurait déjà pu les introduire dans la procédure de première instance s’il avait été diligent. Le CPC part du principe que le procès doit se conduire entièrement devant les juges de première instance. A ce stade, chaque partie doit exposer l’état de fait de manière soigneuse et complète et amener tous les éléments propres à établir les faits jugés importants. Le critère de la diligence est objectif, la connaissance personnelle (ou subjective) effective du plaideur n’est en soi pas déterminante.
La responsabilité des collectivités publiques cantonales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons à l’égard des particuliers pour le dommage qu’ils causent dans l’exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO, mais les cantons sont libres de la soumettre au droit public cantonal en vertu des art. 59 al. 1 CC et 61 al. 1 CO. Le canton de Vaud a fait usage de l’application du CO à titre de droit cantonal supplétif en édictant la LRECA. Cette loi règle la réparation du dommage causé illicitement ou en violation des devoirs de service dans l’exercice de la fonction publique. A la différence du droit privé qui subordonne la responsabilité aquilienne à une faute (art. 41 CO), le texte de l’art. 4 LRECA-VD n’exige, pour engager la responsabilité de l’État, qu’un acte objectivement illicite, un dommage et un lien de causalité entre l’un et l’autre.
En matière de responsabilité médicale, l’illicéité peut reposer sur deux sources distinctes : la violation des règles de l’art, d’une part, et la violation du devoir de recueillir le consentement éclairé du patient d’autre part. Ainsi, le médecin qui fait une opération sans informer son patient ni en obtenir l’accord commet un acte contraire au droit et répond du dommage causé, que l’on voit dans son attitude la violation de ses obligations de mandataire ou une atteinte à des droits absolus et, partant, un délit civil. L’illicéité d’un tel comportement affecte l’ensemble de l’intervention et rejaillit de la sorte sur chacun des gestes qu’elle comporte, même s’ils ont été exécutés conformément aux règles de l’art.
Une atteinte à l’intégrité corporelle, à l’exemple d’une intervention chirurgicale, est illicite à moins qu’il n’existe un fait justificatif. Dans le domaine médical, la justification de l’atteinte réside le plus souvent dans le consentement du patient ; pour être efficace, le consentement doit être éclairé, ce qui suppose de la part du praticien de renseigner suffisamment le malade pour que celui-ci donne son accord en connaissance de cause. Le devoir d’information du médecin résulte également de ses obligations contractuelles, comme le confirment la doctrine et une jurisprudence constante. C’est au médecin qu’il appartient d’établir qu’il a suffisamment renseigné le patient et obtenu le consentement éclairé de ce dernier préalablement à l’intervention.
Le TF constate qu’à la fin des années 1990, le milieu médical n’avait pas encore les connaissances pour fournir au patient une information plus précise sur les risques spécifiques d’atteintes neuropsychologiques consécutives à l’intervention effectuée. Ainsi, l’absence d’acte illicite scelle le sort du recours, cette condition étant niée. Le recours est rejeté, sans qu’il soit nécessaire d’analyser plus avant les autres conditions.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

ATF 146 III 362, TF 4A_397/2019 du 1 juillet 2020
Responsabilité aquilienne; privilège de recours, concours de responsabilité, solidarité imparfaite, ordre des recours; art. 72 et 75 LPGA; 51 al. 1 CO
Le TF confirme la jurisprudence rendue dans son arrêt 143 III 79, selon laquelle le responsable civil non privilégié n’est tenu envers l’assureur social qui exerce contre lui un recours que pour le montant dont il serait redevable dans le règlement interne entre codébiteurs solidaires en l’absence de privilège de recours au sens de l’art. 75 LPGA.
Dans ce même arrêt, le TF a rappelé que l’ordre des recours de l’art. 51 al. 2 CO demeure la règle. Le juge ne peut s’en écarter que si son application stricte ne permet pas de tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce. Il précise en outre que la solution précédemment retenue dans son arrêt 144 III 319 (cas de la canalisation de gaz qui explose) constitue un cas d’exception. On ne pouvait dès lors pas déduire de cet arrêt un changement de jurisprudence opéré par le TF en lien avec l’art. 51 al. 2 CO.
Auteurs : Alexis Overney et Vincent Perritaz, avocats à Fribourg



ATF 146 V 306, TF 9C_688/2019 du 30 juin 2020
Prestations complémentaires; dessaisissement de la fortune, mode de vie; art. 11 al. 1 let. g LPC
L’instance cantonale n’était pas fondée à s’écarter de la jurisprudence selon laquelle il n’appartient pas aux organes d’exécution des prestations complémentaires de procéder à un contrôle du mode de vie des assurés. Selon la jurisprudence constante du TF, « l’indigence auto-infligée » peut également donner droit à des prestations complémentaires. Le fait que les prestations complémentaires soient financées par le contribuable et non par des cotisations ne modifie pas la nature de ces prestations qui sont liées à la perception d’une rente de vieillesse, de survivant ou d’invalidité, soit à un risque assuré. Les deux exigences d’une obligation légale et d’une contre-prestation adéquate s’appliquent également dans l’hypothèse où un assuré a vécu au-dessus de ses moyens avant de présenter sa demande.
Ce principe est certes de plus en plus fréquemment remis en question, ce qui a notamment été le cas à l’occasion de la récente réforme de la LPC, il n’en demeure pas moins que l’instance précédente n’était pas fondée à anticiper l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, singulièrement de l’art. 11a LPC (nota bene : qui entrera en vigueur le 1er janvier 2021).
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève


TF 4A_237/2020 du 25 juin 2020
Assurances privées; assurance perte de gain en cas de maladie, couverture, droit aux prestations interprétation du contrat; art. 18 al. 1 CO
A. était sous contrat avec l’entreprise de placement C. et travaillait de façon temporaire. A la suite d’un accident survenu dans le cadre d’une de ses missions qui devait durer jusqu’au 3 novembre 2015, A. a été mis au bénéfice d’indemnités journalières de la Suva entre le 12 août 2015 et le 31 août 2016. Dès le 1er septembre 2016, A. a demandé le versement d’indemnités journalières maladie auprès de B., assurance collective de perte de gain en cas de maladie de C. Cette dernière a refusé le versement des prestations au motif que A. n’était pas couvert par le contrat d’assurance, ce que l’instance cantonale a confirmé suite à la demande en paiement de A.
Quand bien même un contrat d’assurance (ou même la LCA) ne détermine pas exactement la notion d’évènement assuré, le TF rappelle que dans le cadre d’une assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, celui-ci survient lorsqu’un assuré présente une incapacité de travail à la suite d’une maladie (c. 4).
Dans le cas d’espèce, le contrat d’assurance couvre les assurés seulement pendant la durée d’une mission temporaire et pas déjà lorsqu’ils sont sous contrat avec l’entreprise de placement (c. 5.3). Dès lors que l’incapacité de travail pour cause de maladie a débuté le 1er septembre 2016, soit après la fin du droit aux indemnités journalières LAA, et que la dernière mission temporaire se serait terminée le 3 novembre 2015, A. ne bénéficie d’aucune couverture d’assurance. Le fait que A. aurait déjà souffert de troubles de la santé pour cause de maladie pendant le versement des prestations LAA et que l’employeur ait encaissé les indemnités journalières LAA jusqu’au 31 août 2016 pour les reverser sous forme de salaire, n’y change rien (c. 6.3 et 7.3).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 4A_494/2019 du 25 juin 2020
Assurances privées; responsabilité du mandataire, contrat de réassurance, règlement de prévoyance professionnelle, congruence; art. 52 et 52a al. 2 let. I LPP
L’institution de prévoyance, si elle décide de ne pas assumer elle-même la totalité des risques décès et invalidité, peut opter pour une réassurance complète ou partielle. La première stratégie implique une congruence totale entre les risques couverts par le règlement de prévoyance et ceux couverts par le contrat de réassurance. Dans la seconde stratégie, la congruence n’est que partielle, en fonction des choix de la caisse de pensions ; même si la loi ne l’impose pas, la pratique uniforme des fondations de prévoyance consiste alors à constituer des réserves financières appropriées pour les risques non couverts par le contrat de réassurance.
Le mandataire, lié avec la caisse de pensions par un contrat portant sur la négociation de contrats de réassurance, doit faire preuve de diligence. Il doit ainsi respecter la stratégie de l’institution de prévoyance en matière de réassurance. Si le mandataire chargé de la négociation avec le réassureur ne vérifie pas la congruence complète entre le contrat de réassurance et le règlement de prévoyance, pour une caisse qui a opté pour la première stratégie, il viole son devoir de diligence.
Il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre la violation de cette obligation, si elle entraîne une absence de couverture par le réassureur de prestations que la caisse de pensions doit verser à un de ses affiliés, et le dommage subi. La violation subséquente, par une experte en prévoyance professionnelle, de ses obligations, n’est pas susceptible d’interrompre ce lien de causalité. Une éventuelle défaillance dans le contrôle de l’experte ne saurait manifestement constituer un comportement grave, imprévisible et déraisonnable au point que le manquement du mandataire ne puisse plus être considéré comme une cause adéquate du dommage. Peu importe que, le cas échéant, la responsabilité de l’experte soit engagée sur la base de l’art. 52 LPP.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

ATF 146 V 378, TF 9C_737/2019 du 22 juin 2020
Congé maternité; perte de gain, allocation d’exploitation, art. 8 al. 1 et 16e al. 2 LAPG; 8 et 14 CEDH; 8 Cst.
La LAPG régit les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité. Les personnes qui effectuent un service civil ou militaire et les femmes en congé maternité sont en effet indemnisés pour leur perte de revenu durant ces périodes. Il existe toutefois des différences d’indemnisation, en particulier s’agissant des indépendants. En sus de l’indemnité de base, les personnes qui effectuent un service civil ou militaire – en général des hommes – touchent une allocation d’exploitation pour les aider à couvrir les frais de fonctionnement de leur activité indépendante (art. 8 al. 1 LAPG). En revanche, la LAPG ne prévoit aucune allocation d’exploitation pour les femmes indépendantes en congé maternité.
En l’espèce, une avocate indépendante, mère d’une petite fille, a demandé une allocation d’exploitation à la Caisse de compensation du canton de Zurich, qui la lui a refusée. Dans son recours adressé au TF, cette justiciable a notamment invoqué une inégalité de traitement au sens de l’art. 8 al. 3 Cst. ainsi qu’une violation de l’interdiction de discrimination prévue à l’art. 14 CEDH.
Rejetant le recours, le TF a confirmé que l’art. 16e al. 2 LAPG ne donne pas droit à une allocation d’exploitation en cas de maternité. Cela correspond à l’intention claire du législateur, qui souhaitait éviter des coûts supplémentaires. S’en écarter dépasserait le cadre d’une interprétation conforme à la Constitution. Il n’y a pas de violation de l’interdiction de discrimination (art. 14 CEDH, en lien avec l’art. 8 CEDH), dans la mesure où les états de fait ne sont pas comparables : l’assurance-maternité est liée à la maternité biologique et non à la parentalité sociale et à la tâche de soins qui y est associée. Elle assure un « risque » qui ne peut être réalisé spécifiquement que chez les femmes. La discrimination sexuelle est donc hors de question. Par ailleurs, les tribunaux ne peuvent pas se prononcer sur la compatibilité de la réglementation litigieuse avec l’art. 8 al. 3 Cst., en raison de la force dérogatoire du droit fédéral (art. 190 Cst.). Il appartient au législateur de régler cette question.
Remarque : Deux motions ont été déposées l’automne dernier à ce sujet à l’attention du Conseil fédéral (n° 19.4110 et n° 19.4270). Celui-ci est chargé de créer la base légale permettant aux indépendantes de bénéficier d’une allocation d’exploitation en cas de maternité. Cela permettra de mettre fin à une inégalité de traitement injustifiée. En effet, les indépendantes en congé-maternité doivent supporter des coûts fixes (p. ex. : loyer des locaux commerciaux, dépenses courantes) au même titre que les indépendants effectuant un service civil au militaire.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 9C_631/2019 du 19 juin 2020
Assurance-vieillesse et survivants; rente d’orphelin, notion de formation professionnelle, préparation à un examen d’entrée; art. 25 al. 5 LAVS; 49bis et 49ter RAVS
Un assuré perçoit une rente vieillesse ordinaire ainsi qu’une rente pour son fils, qui est violoniste et fréquente l’école B. depuis août 2016. Le 26 septembre 2017, il abandonne ses études auprès de l’école B. afin de se préparer aux examens d’admission du Pre-College à l’école C. Par la suite, la caisse de compensation du canton de Lucerne nie le droit de l’assuré à une rente pour enfant pour la période du 1er octobre 2017 au 31 juillet 2018 en indiquant que ce dernier ne suivait pas de formation pendant cette période.
Le TF rappelle que la notion de formation doit être interprétée de façon large (ATF 143 V 305, c. 3.3). Aux termes de l’art. 25 al. 5, 2ème phrase, LAVS et des art. 49bis et 49ter RAVS, doivent être considérés comme formation un apprentissage ainsi que les activités permettant d’obtenir les connaissances nécessaires pour effectuer un apprentissage mais également la fréquentation d’une école ou de cours lorsqu’ils servent de préparation à une formation ou une future activité professionnelle. La nature de l’école ou des cours fréquentés et l’objectif de la formation sont sans importance tant ceux-ci permettent une préparation systématique à une formation régulière reconnue de facto ou de jure. Ne peut ainsi qu’être considéré comme formation ce qui est en rapport de connexité avec l’objectif professionnel visé (c. 2.1.).
Selon le TF, la fréquentation de divers cours de musique par semaine ainsi que 4 à 6 heures de travail personnel par jour afin de se préparer à des examens d’admission pour une école de musique doivent être considérées comme préparation systématique à un objectif professionnel. Le rapport de connexité entre une telle préparation à un examen d’admission et l’objectif professionnel visé est sans autre donné (c. 4.2.). Il est sans importance qu’il se soit agi d’un programme individuel spécialement mis en place pour le fils de l’assuré et donc pas accessible au public. Ce qui importe est que le but de devenir musicien professionnel ait été poursuivi de manière conséquente par ce dernier et que le programme de préparation ait été encadré par son professeur de violon ainsi que par la directrice de l’école de musique qu’il souhaitait intégrer (c. 4.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

ATF 146 V 233, TF 9C_712/2019 du 16 juin 2020
Assurance-invalidité; moyens auxiliaires, obligation de diminuer le dommage; art. 8 et 21 LAI, 14 RAI
Le litige porte sur la prise en charge par l’AI, au titre des moyens auxiliaires, de coûts liés à l’adaptation d’un nouveau logement acquis sur plans, pour une personne tétraplégique.
Le TF rappelle que lorsqu’il s’agit d’examiner la mesure dans laquelle l’obligation de diminuer le dommage, qui s’applique aux aspects de la vie les plus variés, intervient concrètement, une pesée des intérêts est souvent nécessaire en relation avec le maintien ou le déplacement du domicile de la personne qui sollicite des prestations de l’assurance sociale (c. 4.1).
En outre, selon le TF, le chiffre 2162 CMAI constitue une directive qui ne reprend que de manière imparfaite la jurisprudence concernant le chiffre 14.04 OMAI et qui n’est donc pas conforme au droit, de sorte que la juridiction cantonale s’en est écartée à juste titre. Selon la jurisprudence du TF, au contraire de ce qui est prévu par cette circulaire, il convient dans chaque cas particulier d’examiner si la prestation requise fait partie des aménagements figurant au chiffre 14.04 OMAI. Lorsque c’est le cas, il faut alors se poser la question de savoir si les aménagements en cause pouvaient d’emblée être inclus dans la planification du logement à construire et être réalisés sans coûts supplémentaires (c. 4.2.2).
Dans le cas d’espèce, l’assuré obtient les moyens auxiliaires requis car, même s’il avait pris les dispositions nécessaires en amont des travaux de construction, les aménagements adaptés au handicap entraînent un surcoût (« plus-value liée au handicap ») résultant par exemple de la différence entre les coûts d’une porte standard et ceux d’une porte coulissante adaptée (c. 4.2.3).
S’agissant de la procédure, l’argumentation de l’office AI, consistant à opposer simplement son avis à l’appréciation de la juridiction cantonale est de nature appellatoire et n’établit pas le caractère manifestement inexact ou arbitraire des faits constatés par l’autorité précédente, dont le TF n’a pas à s’écarter (c. 4.2.3 in fine).
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève


ATF 146 V 224, TF 9C_590/2019 du 15 juin 2020
Assurance vieillesse et survivants; personnes sans activités lucrative, cotisations, revenus acquis à l’étranger, notion de revenu acquis sous forme de rente; art 10 al. 3 LAVS; 6ter et 28 RAVS
Selon le chiffre 1038.1 des Directives sur l’assujettissement aux assurances AVS et AI (DAA), « les exploitants ou associés d’une entreprise ou d’un établissement stable sis dans un état avec lequel la Suisse n’a pas conclu de convention de sécurité sociale qui sont domiciliés en Suisse ainsi que les organes de personne morale sises dans un état avec lequel la Suisse n’a pas conclu de convention de sécurité sociale qui sont domiciliés en Suisse ne doivent pas, selon le droit interne, s’acquitter de cotisations sur les revenus acquis à l’étranger (art. 6ter let. a et b RAVS). Ils sont alors considérés comme des personnes sans activité lucrative lorsqu’ils n’exercent aucune activité lucrative en Suisse. Les revenus acquis à l’étranger doivent toutefois être pris en compte comme revenu déterminant acquis sous forme de rente pour le calcul des cotisations ». Dans cette logique, de tels revenus doivent donc être convertis au capital, en étant multipliés par 20 au sens de l’art. 28 al. 1 RAVS.
Selon le TF, ce chiffre 1038.1 DAA est contraire au droit fédéral. Il rejette donc le recours de l’OFAS dirigé contre une décision zurichoise qui allait dans le même sens. Selon notre Haute Cour, la directive de l’OFAS a pour effet dans de telles circonstances de tenir compte deux fois de l’entreprise située à l’étranger et se trouvant à l’origine du revenu perçu sous forme de rente. D’une part, il serait pris en compte comme fortune existant réellement dans le patrimoine de la personne assurée, et d’autre part comme capital fictif découlant de la multiplication par 20 du revenu qui en découle. A cet égard, la comparaison avec la situation des personnes acquittant l’impôt calculé sur la dépense au sens de l’art. 14 LIFD n’est pas pertinente. En effet, cette catégorie de contribuable doit certes payer des cotisations AVS sur le montant estimatif des dépenses retenues pour la fixation de l’impôt, qui est assimilé à un revenu acquis sous forme de rente en vertu de l’art. 29 RAVS ; mais ils ne doivent pas payer en plus des cotisations calculées sur un revenu capitalisé (c. 4.6.4).
Le TF rappelle par ailleurs sa jurisprudence selon laquelle la notion de revenu acquis sous forme de rente doit être comprise dans un sens large. Ce qui est déterminant n’est pas de savoir si les prestations considérées présentent véritablement les caractéristiques d’une rente au sens courant du terme, mais davantage si elles contribuent à l’entretien de la personne assurée, dans ce sens où elles constituent un élément de revenu influençant sur la condition sociale de la personne sans activité lucrative (c. 4.2)
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


AT 146 V 322, TF 9C_763/2019 du 15 juin 2020
Assurance-maladie; infirmité congénitale, hippothérapie, coordination avec l’assurance-invalidité; art. 27 et 52 al. 2 LAMal; 35 OAMal; OIC
L’assurée, née le 28 avril 1998, présentait une infirmité congénitale (paralysies cérébrales congénitales, ch. 390 OIC), pour laquelle l’assurance-invalidité a versé jusqu’à ses 20 ans révolus des prestations d’hippothérapie. L’art. 5 al. 1 lit. b ch. 8 OPAS ne prévoyant qu’une prise en charge des frais, au titre de physiothérapie, de l’hippothérapie en cas de sclérose en plaques, l’assureur-maladie a refusé tout remboursement. Le TF a confirmé la décision de refus de l’assurance-maladie, au motif que cette mesure ne constituait pas, dans le cas d’espèce et nonobstant la jurisprudence parue aux ATF 142 V 425, une mesure thérapeutique au sens des exceptions prévues aux art. 52 al. 2 LAMal et 35 OAMal.
Auteur : Guy Longchamp


TF 6B_71/2020 du 12 juin 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence; art. 117 CP; 31 al. 1 LCR; 3 al. 1 OCR
Un automobiliste circulait le 1er janvier 2017 vers 3h45 à une vitesse comprise entre 70 km/h et 75 km/h après un panneau de fin de limitation de vitesse à 60 km/h sur la route principale Lausanne-Bulle, feux de croisement enclenchés sur un tronçon rectiligne et humide dépourvu d’éclairage public. Bien qu’il y ait eu des nappes de brouillard par intermittence, la visibilité était bonne et il n’y avait pas de brouillard à l’endroit où l’accident s’est produit. L’automobiliste a aperçu tardivement un piéton qui portait des vêtements sombres et qui se trouvait debout sur la partie gauche de sa voie de circulation (au milieu de la route principale). Bien qu’ayant freiné, il l’a heurté quasiment simultanément. Ce dernier a chuté sur le véhicule et a été emporté sur une distance de 27 mètres avant d’être projeté au sol. Sa mort cérébrale a été constatée le lendemain au CHUV.
Le TF a rappelé la notion de négligence, à savoir une violation du devoir général de diligence d’une manière fautive. S’agissant d’un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière, en l’occurrence aux art. 31 al 1 LCR et 3 al. 1 OCR (maîtrise du véhicule impliquant d’être en tout temps en mesure de réagir utilement aux circonstances et attention vouée à la route et à la circulation). Le degré d’attention s’apprécie au regard des circonstances d’espèce, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l’heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles. Le TF a retenu que le recourant avait fait preuve d’une inattention de plusieurs secondes, contraire aux dispositions légales précitées, sans quoi il aurait pu voir suffisamment tôt la victime qui se trouvait debout sur sa voie de circulation, ce qui lui aurait permis de freiner et de dévier sa trajectoire pour tenter d’éviter le choc. Le témoin automobiliste arrivé deux minutes après l’accident avait en effet pu opérer une manœuvre d’évitement subite après avoir eu son attention retenue par une masse sombre étendue au sol.
Le TF a également rappelé les notions de causalité naturelle et adéquate et à quelles conditions cette dernière était interrompue. Il a rappelé qu’en matière de LCR, la présence inattendue d’un piéton traversant une autoroute n’était pas plus imprévisible que celle d’animaux errants ou blessés, de victimes d’accidents, d’objets tombés sur la chaussée ou de véhicules immobilisés, de tels obstacles n’étant pas considérés si rares qu’on puisse en faire abstraction sur une autoroute. La présence d’un piéton cheminant sur une route cantonale vers 22h30 n’a pas été considérée comme exceptionnelle au point d’interrompre le lien de causalité entre le comportement fautif du conducteur et le décès de la victime. Dans le cas présent, il a été jugé que la présence d’un piéton debout au milieu d’une route principale en pleine nuit était inhabituelle, mais non extraordinaire, le soir du réveillon, connu comme étant un évènement festif impliquant notamment de la consommation d’alcool et des comportements inattendus sur les routes, notamment au moment du retour au domicile. Par ailleurs, le comportement de la victime même habillée de vêtements sombres et se tenant debout au milieu de la chaussée était certes dangereux, mais n’apparaissait pas insolite au point de reléguer à l’arrière-plan le comportement fautif du conducteur (contrairement à d’autres cas où la victime s’était élancée sur la chaussée au moment du passage du véhicule ou couchée sans raison sur les voies d’une autoroute). La faute concomitante de la victime n’a pas été retenue, puisqu’il n’y a pas de compensation des fautes en matière pénale.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

ATF 146 V 195, TF 8C_114/2020 du 3 juin 2020
Assurance-accidents; indemnité pour changement d’occupation, fin des rapports de travail avant la décision d’inaptitude, assureur compétent; art. 84 al. 2 LAA; 76 al. 1 et 86 al. 1 OPA
L’assuré travaillait comme aide-cuisinier et était assuré en LAA auprès de Sympany jusqu’au jour où il a fait une réaction anaphylactique liée aux poussières de céréales. Peu avant la résiliation de son contrat de travail, l’employeur a annoncé un sinistre à Sympany. Ensuite, l’assuré a perçu des prestations du chômage et était, par ce biais, assuré LAA auprès de la Suva. La Suva a rapidement prononcé une décision d’inaptitude à travailler en présence de farines de céréales, à la suite de quoi l’assuré a fait valoir son droit à percevoir des indemnités pour changement d’occupation selon l’art. 86 OPA. La Suva a rejeté la demande pour des raisons de compétence et a renvoyé l’assuré à se tourner vers Sympany. Celle-ci a jugé la demande tardive, l’assuré étant déjà sans emploi lors de la décision d’inaptitude prononcée par la Suva. La cour cantonale a condamné Sympany à prester. Celle-ci recourt au TF.
Le TF indique que la Suva n’était pas compétente pour statuer sur cette demande. En effet, en tant qu’assurance du chômage, elle se limite à couvrir les accidents non-professionnels, à l’exclusion des maladies professionnelles ou des prestations liées à la prévention des accidents et maladies professionnels (c. 6).
Les indemnités pour changement d’occupation ne sont pas des prestations d’assurance au sens étroit, mais servent à la prévention des accidents et des maladies professionnels. Elles visent à faciliter la réorientation professionnelle. Elles ne supposent ni incapacité de travail, ni invalidité. Il s’agit d’une compensation financière pour le préjudice causé à l’assuré par une décision d’inaptitude. Ces prestations se rapprochent donc de celles de l’assurance-chômage (c. 7.1.5).
En l’espèce, il incombe à Sympany de prester en sa qualité d’assureur du dernier employeur de l’assuré, quand bien même la décision d’inaptitude a été rendue environ trois mois après la fin des rapports de travail (c. 7.2.1 à 7.2.4).
Le TF laisse la question ouverte de savoir ce qu’il serait advenu si l’assuré avait commencé un nouvel emploi après l’emploi qui mettait sa santé en danger, de même que celle d’une application par analogie de l’art. 77 al. 1 LAA (c. 7.2.5).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


ATF 146 V 240, TF 9C_805/2019 du 2 juin 2020
Assurance-maladie; thérapie combinée, fixation du prix, économicité; art. 71a OAMal
En cas de thérapie faisant appel à plusieurs médicaments autorisés par Swissmedic, le fait que chacun de ces médicaments figure sur la Liste des spécialités pour une prescription individuelle ne dispense pas d’examiner le caractère économique, au sens des art. 65 al. 3 et 65b OAMal, du traitement médicamenteux combiné (c. 9.3 principalement). Cela signifie en particulier que dans les cas où les conditions de l’art. 71a al. 1 OAMal sont remplies, l’assureur doit dans un premier temps fixer un prix après consultation du titulaire de l’autorisation, en application de l’art. 71a al. 2 OAMal. Le rapport effet thérapeutique/coût d’une thérapie combinée ne correspond en effet pas nécessairement à la somme des prix arrêtés pour les monothérapies (c. 9.3.1).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


ATF 146 V 271, TF 8C_508/2019 du 27 mai 2020
Assurance-invalidité; mesures d’ordre professionnel, indemnités journalières, personnes sans activité lucrative; art. 22 al.1 et 23 LAI ;20sexies al. 1 et 21 al. 3 RAI
L’interprétation de l’art. 22 LAI conduit à admettre que le droit à l’indemnité journalière est réservé aux personnes assurées qui exerçaient une activité lucrative avant l’atteinte à la santé. La base de calcul de l’indemnité est ainsi le dernier revenu effectivement perçu avant la survenance des limitations. Le refus des indemnités journalières pour les personnes sans activité lucrative ressort clairement de la volonté du législateur (c. 6.2.1).
La notion d’indemnité minimale pour les personnes sans activité lucrative a été supprimée lors de l’entrée en vigueur de la cinquième révision de l’AI. Dès lors, faute de base légale correspondante, l’application conjointe des art. 20sexies al. 1 let. b et 21 al. 3 RAI, en tant qu’elle permettrait de conclure à l’existence d’un droit pour ces personnes-là également, n’est pas conforme au droit (c. 6.3.2). A compter de l’entrée en vigueur de la cinquième révision, au 1er janvier 2008, ces dispositions sont donc contraire au droit supérieur, car elles ne reposent pas sur une délégation législative valable (c. 5.2)
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_490/2019 du 26 mai 2020
Assurances privées; assurance responsabilité civile de l’entreprise et des organes; art. 38 al. 2 LCA
La holding A. a conclu pour elle-même et ses sociétés affiliées des polices d’assurance en responsabilité civile pour l’entreprise et ses organes d’une durée d’une année chacune auprès de plusieurs assureurs dont B. A la suite d’une plainte émise en 2009 aux Etats-Unis contre une des sociétés affiliées de la holding A., deux accords transactionnels portant sur plusieurs millions de dollars US ont été conclus en 2013. Le 29 juillet 2013, B., ayant eu connaissance d’une lettre de 2009 en lien avec le litige, invoque une réticence au sens de l’art. 6 LCA et résilie avec effet rétroactif le contrat d’assurance, notamment la police d’assurance valable en 2009. Le 1er juin 2015, la holding A. a réclamé à B. le paiement de US$ 7'056’200.-, 6'000’000.- et 134’782. .
A la suite du rejet de ses demandes par les deux instances cantonales, la holding A. recourt au TF. En effet, dans son jugement du 28 août 2019, la cour cantonale rejette la demande au motif que celle-ci concernait la police d’assurance de B. de 2008, que la déclaration de sinistre devait être considérée comme tardive et que le droit aux prestations était touché par la péremption du fait de la déclaration tardive.
En lien avec le chapitre n° 6 de la police d’assurance de 2008, le TF a estimé que cette disposition contenait le principe « claims-made ». A ce titre, la haute cour a par ailleurs conclu que ladite disposition ne traitait pas explicitement d’une péremption du droit en cas d’annonce tardive d’un cas de sinistre.
On rappelle qu’en cas de sinistre, l’ayant droit doit, aussitôt qu’il a eu connaissance du sinistre et du droit qui découle en sa faveur de l’assurance, en donner avis à l’assureur. Le contrat peut prévoir que cet avis sera donné par écrit (art. 38 al. 1 LCA). Si par sa faute, l’ayant droit contrevient à cette obligation, l’assureur a le droit de réduire l’indemnité à la somme qu’elle comporterait si la déclaration avait été faite à temps (art. 38 al. 2 LCA). Dans le cas contraire (notamment en lien avec l’art. 45 al. 1 LCA), il n’y a pas de conséquence sur l’indemnisation. En l’espèce, un délai de 60 jours était prévu dans la police d’assurance.
Le TF estime que l’assureur supporte le fardeau de la preuve que la prestation d’assurance aurait été inférieure, si la déclaration de sinistre avait été effectuée à temps. Cependant, l’assuré doit participer à l’administration de la preuve (c. 5.10.2 ss).
Dans le cas d’espèce, la cause est renvoyée à l’instance inférieure afin de déterminer si l’assureur a véritablement apporté la preuve que la déclaration tardive avait influencé le montant des prestations d’assurances et devra décider si les prestations peuvent être réduites conformément à l’art. 38 al. 2 LCA. Il conviendra également de déterminer dans quelle mesure la teneur de la police d’assurance de 2008 concluait à une péremption des droits en cas de déclaration tardive.
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 4A_529 et 531/2019 du 25 mai 2020
Responsabilité du détenteur d’aéronef; aolidarité imparfaite, ordre des recours internes; art. 51 CO; 64 LA
Un ouvrier a été gravement blessé à la suite de la chute d’une bûche d’un sac transporté par un hélicoptère, au moment de son envol. L’ouvrier, devenu invalide, réclame réparation de son préjudice auprès de (1) la société exploitant l’hélicoptère et (2) l’entreprise auprès de laquelle il avait été détaché. Donnant partiellement raison à l’ouvrier, qui avait commis une faute concomitante, les juges cantonaux ont retenu que les sociétés défenderesses devaient répondre solidairement du dommage, chacune devant assumer, sur le plan interne, la moitié du préjudice.
Saisi du recours de l’ouvrier et de l’entreprise auprès de laquelle il avait été détaché, le TF confirme le jugement cantonal. L’entreprise de construction répondait de n’avoir pas veillé à ce que ses ouvriers portent bel et bien le matériel de protection fourni ; le transporteur devait répondre d’avoir accepté de continuer les travaux en dépit de l’absence de port de casque, étant précisé que le risque inhérent à l’emploi d’un hélicoptère n’avait joué qu’un rôle modeste. Le TF confirme que c’est à juste titre que la société exploitant l’hélicoptère répondait selon la loi fédérale du 21 décembre 1948 sur l’aviation (LA) dans la mesure où une pièce de bois chutant d’un sac suspendu par une élingue à un hélicoptère doit être considérée comme provenant d’un aéronef au sens de l’art. 64 LA.
S’agissant de la détermination du degré de la faute dans un cas concret, le TF rappelle qu’elle relève du jugement de valeur et repose largement sur l’appréciation du juge cantonal, de sorte que le TF ne réexamine la question qu’avec retenue. Il n’intervient que si le juge a abusé de son pouvoir d’appréciation, en se référant à des critères dénués de pertinence ou ne tenant pas compte d’éléments essentiels, ou lorsque la décision, dans son résultat, heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité.
Enfin, au niveau des recours internes, le TF accepte l’appréciation des juges cantonaux qui ont refusé de faire une application mécanique de l’art. 51 al. 2 CO compte tenu des fautes en présence : la faute de l’entreprise exploitant l’hélicoptère paraissant plus grave, il est juste qu’elle ne réponde pas en dernière ligne seulement en vertu de sa responsabilité objective fondée sur la LA.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

TF 8C_767/2019 du 19 mai 2020
Assurance-invalidité; expertise pluridisciplinaire, expert, médecin étranger; art. 44 LPGA
Le fait que des médecins d’origine étrangère aient participé en qualité d’experts à la réalisation d’une expertise pluridisciplinaire ne remet pas en cause la validité de cette dernière. En effet, la médecine est une science internationale, et la pratique de l’expertise ne suppose pas d’avoir effectué une formation particulière.
Il est cependant indispensable que les experts connaissent, en droit suisse, la signification des notions juridiques et des règles de procédure auxquelles renvoient les questions qui leur sont posées. Des références aux principes applicables dans leurs ordres juridiques de provenance ne seraient pas pertinentes.
L’acquisition d’une expérience clinique en Suisse n’est pas non plus nécessaire pour l’exercice de la fonction d’expert.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 146 V 217, TF 9C_625/2019 du 18 mai 2020
Assurance-invalidité; restitution de prestations indues, point de départ du délai de péremption; art. 25 al. 2 LPGA
L’assuré, au bénéfice d’une rente entière de l’AI depuis octobre 2001, a vu, sur révision, sa rente être supprimée, par décision de l’office AI du 12 février 2013, cela avec effet à fin mars 2013. La décision de suppression de rente a été confirmée par le Tribunal cantonal des assurances le 5 mai 2015, et par le TF le 22 septembre 2015 (TF 9C_423/2015). Pourtant, la Caisse suisse de compensation (CSC) a continué, après fin mars 2013, et malgré la décision de suppression de rente du 12 février 2013, de verser à l’assuré une rente entière d’invalidité. Ce n’est que le 2 juin 2017 que l’office AI et la CSC ont réalisé que la décision de suppression de rente du 12 février 2013 n’avait jamais été communiquée à la CSC. Le versement de la rente a alors été suspendu, et la CSC a, par préavis du 17 octobre 2017, exigé de l’assuré la restitution des prestations indûment touchée, à hauteur de plus de CHF 190’000.-, puis l’office AI a, le 30 janvier 2018, rendu une décision allant dans le même sens. Par jugement du 27 août 2019, le Tribunal des assurances a admis partiellement le recours de l’assuré en prononçant que le droit de l’assurance-invalidité d’obtenir la restitution des rentes versées à tort était – sous réserve de celles qui concernent la période allant de février à mai 2017 – périmé, et en réduisant de ce fait le montant à restituer à CHF 15’372.-.
Le TF commence par rappeler sa jurisprudence selon laquelle, lorsque le versement de prestations indues est imputable à une erreur de l’administration, le délai de péremption de l’art. 25 al. 2, première phrase, LPGA ne commence pas à courir dès le moment où la faute a été commise, mais bien à partir du moment où l’administration aurait dû, dans un deuxième temps – par exemple à l’occasion d’un contrôle comptable ou sur la base d’un indice supplémentaire – se rendre compte de son erreur en faisant preuve de l’attention requise (c. 2.2).
Le TF considère ensuite que le point de vue du Tribunal cantonal, selon lequel c’est au plus tard à la mi-avril 2013 que l’office AI aurait dû, en consultant le Registre des rentes de la Centrale de compensation (CdC), se rendre compte de sa faute initiale s’agissant de l’absence de communication de sa décision du 12 février 2013 à la Caisse suisse de compensation, est douteux. Ni la Circulaire de l’OFAS sur la procédure dans l’AI (CPAI), ni les Directives concernant les rentes de l’AVS/AI (DR) ne prévoient en effet une obligation à charge des offices AI de vérifier que leurs décisions de suppression ou diminution de rente sont bien exécutées par les caisses de compensation (c. 3.1 et 3.2).
La question de savoir si une telle obligation de vérification (« "Quittierungs"-, Kontroll- und Überwachungspflicht ») existe à charge des offices AI peut cependant, selon le TF, rester ouverte. En l’espèce, l’office AI aurait dû, conformément à l’obligation qui est la sienne en vertu du chiffre 2048 de la Circulaire de l’OFAS sur le contentieux dans l’AI, l’AVS, les APG et les PC (CCONT), porter « immédiatement à la connaissance » de la CSC, tant le recours interjeté au Tribunal cantonal par l’assuré que le jugement qui a suivi, du 5 mai 2015 (c. 3.3).
C’est par conséquent en mai 2015 au plus tard qu’a commencé de courir le délai de prescription d’une année de l’art. 25 al. 2, première phrase, LPGA. Ledit délai était donc, que ce soit au moment du préavis de la CSC (qu’elle n’avait au demeurant pas la compétence de rendre) du 17 octobre 2017, ou au moment de la décision de l’Office AI du 30 janvier 2018, d’ores et déjà expiré depuis longtemps. Aucun acte interruptif de la prescription émanant de l’administration n’est dès lors intervenu à l’intérieur du délai pertinent (consid. 3.4).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


ATF 146 V 265, TF 9C_444/2019 du 14 mai 2020
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, contribution d’entretien, mesures protectrices de l’union conjugale, avis au débiteur; art. 20 al. 1 LPGA; 177 et 291 CC
Dans le cadre d’une procédure de divorce, des mesures protectrices ont été prononcées par le juge civil, ordonnant que pour l’entretien de l’enfant, un montant mensuel de CHF 432.- soit déduit de la rente AI du mari et versé directement à son épouse par la Caisse de compensation. Devant la Cour des assurances sociales, est litigieuse la question de savoir si l’AI, respectivement la Caisse de compensation compétente, est obligée, du fait de l’avis au débiteur au sens des art. 291 et 177 CC, de se plier à cette décision et de verser le montant de CHF 432.- par mois directement à l’épouse.
Selon l’AI, laquelle se fonde sur la jurisprudence rendue pour l’art. 20 al. 1 LPGA, les conditions ne seraient pas remplies, faute d’obligation de soutien d’un tiers (l’épouse in casu) envers le bénéficiaire de la rente AI ou de base légale. Selon le TF, la jurisprudence relative à l’art. 20 al. 1 LPGA n’est pas applicable, car il s’agit du cas de figure non pas d’un assuré bénéficiaire d’un soutien, mais débiteur d’un tel soutien.
L’avis aux débiteurs, au sens de l’art. 291 CC, est également valable à l’égard d’un assureur social ; c’est pour cela que la faculté de faire valoir en justice, en son propre nom, le droit d’un tiers (« Prozessstandschaft ») déploie également ses effets dans la procédure administrative du droit des assurances sociales. Les art. 177 et 291 CC sont de nature générale et s’appliquent également dans le cas d’espèce. L’AI n’ayant pas démontré que la décision civile présentait de graves vices ou manquements, celle-ci se trouve donc liée par cette décision et doit l’appliquer.
Auteur : Didier Elsig, avocat


ATF 146 V 129, TF 9C_529 et 530/2019 du 11 mai 2020
Assurance-invalidité; coordination avec l’assurance-accidents et l’assurance-maladie, prise en charge provisoire des prestations, moyens auxiliaires; art. 70 al. 2 LPGA
L’art. 70 al. 2 LPGA ne contient pas une liste exhaustive des cas dans lesquels un assureur doit prendre en charge provisoirement des prestations en cas de doute sur le débiteur de cette prestation. En procédant à une interprétation téléologique et historique de la disposition, le TF arrive à la conclusion que le législateur a voulu un système global d’avance de prestations, qui permette d’éviter à un assuré les désagréments liés à un doute sur l’assureur qui doit prester.
En ce sens, l’AI doit prendre en charge provisoirement un moyen auxiliaire (ici, la motorisation d’un fauteuil roulant) si la compétence de l’assureur-accidents est discutée, notamment pour une question de causalité, même si ce cas de figure ne figure pas dans la liste de l’art. 70 al. 2 LPGA.
En revanche, le TF rappelle que la prise en charge provisoire n’a lieu que si l’assureur en question devrait intervenir de manière définitive pour la prestation en question (ATF 143 V 312). Dans le cas d’espèce, comme la LAMal et ses dispositions d’application (LiMa en particulier) ne prévoient pas de prise en charge d’un fauteuil roulant, l’assureur-maladie ne peut être tenu de prendre en charge provisoirement la prestation, le temps que l’assureur-accidents instruise le dossier sur la causalité.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


ATF 146 V 169, TF 9C_409/2019 du 5 mai 2020
Prévoyance professionnelle; résiliation du contrat d’affiliation, droit de participation des travailleurs; art. 11 LPP
Dans cet arrêt le TF a précisé que les travailleurs disposent d’un réel droit de participation en cas de changement par l’employeur de l’institution de prévoyance professionnelle. La résiliation par l’employeur du contrat d’affiliation de la caisse de pensions en vigueur nécessite l’accord préalable du personnel, selon l’art. 11 al. 3bis 1re phrase LPP.
Auteur : Guy Longchamp



TF 9C_388 et 389/2019 du 21 avril 2020
Assurance-maladie; exception à l’obligation d’assurance, requérant d’asile; art. 3 al. 2 LAMal; 2 al. 1 lit. b OAMal; 82 et 82a LAsi
Dans une affaire concernant un couple d’origine russe ayant déposé une demande d’asile fondée sur des motifs de santé (traitement médical), le TF a jugé en particulier que l’art. 2 al. 1 lit. b OAMal avait été édicté sur la base d’une délégation de compétence valable (art. 3 al. 2 LAMal). Aussi l’assureur-maladie était-il en droit, sur la base d’un examen préjudiciel de la demande d’asile, d’annuler l’affiliation à l’assurance obligatoire des soins avec effet rétroactif.
Auteur : Guy Longchamp


TF 6B_1445/2019 du 17 avril 2020
Responsabilité civile; faute, violation grave des règles de circulation; excès de vitesse à l’intérieur d’une localité; art. 90 al. 2 LCR; 4a OCR; 16 et 22 OSR
Le TF rappelle la jurisprudence constante selon laquelle l’élément objectif et subjectif du cas grave au sens de l’art. 90 al. 2 LCR est en principe réalisé, sans égard aux circonstances concrètes, en présence d’un dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l’intérieur des localités.
Selon la jurisprudence, la notion de zone bâtie de façon compacte au sein de laquelle prévaut la limite de vitesse générale de 50 km/h, notion commune aux art. 4a al. 2 OCR, 16 al. 2 et 22 al. 3 OSR, n’exige pas des constructions contiguës ; il faut par ailleurs prendre en considération la zone entière et non pas seulement un court tronçon.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 9C_95/2020 du 16 avril 2020
Assurance-invalidité; mesures médicales, infirmité congénitale, soins pédiatriques de longue durée (Kinderspitex), séjour dans une institution; art. 13 LAI; ch. 183, 251 et 390 Annexe OIC
Amené à statuer sur la prise en charge par l’AI des coûts de soins de longue durée prodigués à un enfant atteint d’infirmités congénitales lors d’un séjour dans une institution, le TF rappelle que depuis l’ATF 136 V 209, il est établi que les soins qui ne nécessitent pas de qualification professionnelle particulière ne sont pas des mesures médicales au sens de l’art. 13 LAI. Les lettres-circulaires de l’OFAS n° 297 et 308, qui avaient pour vocation de dresser la liste des soins pédiatriques de longue durée qui sont des mesures médicales au sens de l’art. 13 LAI et le temps maximum qui peut leur être consacré, ont été invalidées (TF 9C_46/2017) et remplacées par la lettre-circulaire n° 362 (c. 3).
Les séjours en institution, dans le cadre d’un service de relève, d’un enfant qui n’a pas besoin, à domicile, de soins prodigués par des personnes possédant des qualifications professionnelles particulières ne sont pas des mesures médicales au sens de l’art. 13 LAI. Ils doivent être financés via l’allocation pour impotent et, cas échéant, par le supplément pour soins intenses (c. 4).
Le fait que l’allocation pour impotent et le supplément pour soins intenses soient supprimés pendant la durée du séjour de l’enfant en institution n’est d’aucun secours, dès lors que des voies de droit séparées existent contre une décision qui statuerait dans ce sens. Il s’agirait donc d’une autre procédure (c. 5.2.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_1/2020 du 16 avril 2020
Assurances privées; obligation de réduire le dommage; art. 61 al. 1 LCA
Un salarié reçoit le 30 mai 2017 son congé pour le 31 octobre de la même année. Dès le 21 août 2017, l’employé tombe malade et perçoit alors des indemnités journalières de l’assureur perte de gain maladie. Le litige portait sur la question de savoir si cette incapacité de travail avait perduré au-delà du 31 décembre 2017. Fondé sur deux expertises, l’assureur a maintenu sa position selon laquelle le demandeur avait récupéré dès le 1er janvier 2018 sa pleine capacité de travail dans sa profession, même s’il était effectivement difficile d’un point de vue médical pour l’assuré de reprendre son ancien poste.
En application du devoir de réduire le dommage prévu à l’art. 61 al. 1 1ère phrase LCA, l’assuré peut être requis de reprendre une activité professionnelle. Selon la jurisprudence, conformément au principe de la bonne foi, l’assureur doit au préalable annoncer à l’assuré qu’il entend mettre fin aux indemnités journalières et lui accorder un certain délai pour reprendre concrètement une telle activité. Cette jurisprudence concerne en premier lieu la problématique du changement de profession et a pour but de procurer à l’assuré le temps nécessaire de s’adapter et de trouver un nouveau poste (c. 4.1).
En l’espèce, il appartenait au demandeur d’établir pourquoi dans les circonstances concrètes de sa situation, il était contraire au principe de la bonne foi d’attendre de sa part qu’il reprenne un emploi dans sa profession au 1er janvier 2018. Le TF a constaté qu’il avait échoué dans cette preuve, tout en relevant qu’en l’espèce la question d’un changement de profession ne se posait pas (c. 4.3).
Ainsi, le TF a considéré qu’il n’était pas arbitraire de la part du tribunal cantonal d’admettre que l’assureur n’avait pas violé le principe de la bonne foi en n’informant l’assuré de son intention de mettre fin aux prestations au 31 décembre que par courrier du 18 décembre 2017. A tout le moins au niveau cantonal, les juges ont tenu compte du fait que l’assuré avait été licencié le 30 mai 2017 pour le 31 octobre 2017 et qu’il savait déjà depuis un certain temps avant de tomber malade qu’il devrait changer d’emploi.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 8C_654/2019 du 14 avril 2020
Assurance-chômage; aptitude au placement, autorisation de séjour et de travail; art. 8 al. 1 let. f et 15 al. 1 LACI; 21 al. 3 LEI (aLEtr); 42, 82ss, 90 et 100 LTF
Un ressortissant étranger titulaire d’un doctorat en sciences s’est vu notifier une décision d’inaptitude au placement par la division juridique du Service de l’emploi du canton de Vaud (SDE) – et par voie de conséquence un refus d’indemnité de chômage – en raison du caractère pendant de sa demande de renouvellement de permis de séjour. Saisie d’un recours, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud réforme la décision précitée et conclut à l’aptitude de l’assuré au placement. Le SDE forme un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral.
Selon l’art. 8 al. 1 let. f LACI, une indemnité au chômage ne peut être versée à un assuré que si celui-ci est apte au placement au sens de l’art. 15 al. 1 LACI, c’est-à-dire s’il est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration, tout en étant en mesure et en droit de le faire. La jurisprudence du TF précise à cet effet qu’une aptitude au placement suppose ainsi que l’intéressé puisse effectivement accepter l’offre d’un éventuel employeur avec comme corollaire qu’il soit au bénéfice d’une autorisation de travailler. A défaut d’une telle autorisation, il convient de déterminer si le ressortissant étranger pouvait compter sur cette autorisation de travail, en se basant de manière prospective sur les faits s’étant déroulés jusqu’au moment de la décision sur opposition. Le fait qu’un dossier soit en cours de traitement par le Service cantonal de la population ne suffit pas à fonder son appréciation sur une perspective positive ou négative de décision.
Aux termes de l’art. 21 al. 3 LEI, le ressortissant étranger titulaire d’un diplôme délivré par une haute école suisse peut se voir admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative si celle-ci revêt un intérêt scientifique ou économique prédominant. Selon le TF, les juges cantonaux ont faussement considéré que le fait de remplir les conditions nécessaires à l’admission provisoire susmentionnée engendrait inévitablement l’aptitude au placement de l’intimé, spécialiste en neurosciences : bien que l’intimé puisse remplir les conditions à l’admission provisoire dès la fin de son activité postdoctorale en vue de rechercher un emploi au sens de l’art. 21 al. 3 LEI, cela ne permet toutefois pas de conclure au fait que celui-ci puisse compter sur la délivrance d’une autorisation de travailler pendant la période litigieuse.
En effet, il ne ressort pas des constatations de la juridiction cantonale que la question de la prise d’un emploi hautement qualifié se soit posée au moment de l’inscription de l’intimé au chômage jusqu’à la décision d’opposition. En outre, bien que l’intimé ait fait l’objet d’une proposition d’engagement, celle-ci était postérieure à la décision sur opposition. Partant, rien ne permettait de retenir que pendant la période litigieuse, l’intimé pouvait compter sur l’obtention d’une autorisation de travail pour un emploi hautement qualifié.
Les juges cantonaux ont ainsi reconnu à tort l’aptitude au placement de l’intimé, au vu de l’absence de circonstance permettant de compter sur la délivrance d’une autorisation de travailler. Partant, le recours est admis.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

TF 6B_1364/2019 du 14 avril 2020
Responsabilité aquilienne; faute, lésions corporelles graves par négligence, mise en danger par négligence en violation des règles de l’art de construire; art. 229 CP; 11 OPA; 41 CO
L’infraction visée à l’art. 229 CP consiste en l’inobservation des règles reconnues du droit de la construction. L’art. 229 CP crée une position de garant pour l’auteur : il oblige les personnes qui créent des dangers lors de l’exécution de travaux à respecter les règles de sécurité de leur domaine de compétences. Il s’agit d’un délit propre pur (echtes Sonderdelikt). Il faut donc préciser dans chaque cas individuel à quelles règles de responsabilité est tenu l’auteur relativement à son domaine de compétence à l’aide des dispositions légales, contractuelles, des circonstances d’espèce et des règles de l’art du domaine en question (c. 3.2.2).
S’agissant des grutiers, ils sont notamment soumis à l’art. 11 de l’ordonnance sur la prévention des accidents (OPA), selon lequel l’employé est tenu d’observer les règles de sécurité généralement reconnues, ainsi qu’aux dispositions de l’ordonnance sur les conditions de sécurité régissant l’utilisation des grues, notamment l’art. 4 al. 4 selon lequel des mesures de protection doivent être prises pour éviter les collisions lorsque des obstacles limitent le domaine d’action des grues (c. 3.3). Le grutier qui, en déplaçant des panneaux de coffrage en béton, heurte avec le crochet de la grue une échelle sur laquelle se trouvait un ouvrier qui tombe de 6 mètres remplit l’état de fait de l’art. 229 CP.
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne.


TF 9C_685/2019 du 8 avril 2020
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, rente dégressive, travailleur âgé, reclassement par soi-même, preuve de l’inexigibilité, procédure; art. 7 et 8 LPGA
Si une personne assurée reçoit, rétroactivement, une rente AI dégressive (rente entière puis quart de rente), le pallier intervenant après qu’elle a atteint l’âge de 55 ans ou a perçu une rente pendant plus de 15 ans, il appartient à l’office AI de prouver que le reclassement par soi-même, c’est-à-dire sans mesures préalables de réadaptation, est concrètement exigible, au-delà de la simple possibilité médico-théorique.
En l’espèce, aucun élément au dossier ne permet de l’établir. Le TF, considérant que près de 10 ans se sont écoulés depuis le moment où il aurait fallu clarifier cette question, et qu’on ne peut pas raisonnablement attendre de nouvelles mesures d’instruction qu’elles apportent d’autres informations, l’absence de preuve doit être supportée par l’office AI et le droit à une rente entière doit être maintenu.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 146 V 121, TF 8C_641/2019 du 8 avril 2020
Assurance militaire; procédure, qualité pour recourir devant le TF de la CNA/SUVA; art. 89 al. 1 et 2 LTF; 62 al. 1 et 1bis LPGA; 67 LAA; 81 al. 2 et 82 al. 1 et 2 LAM; 35a OAM
L’art. 89 al. 1 LTF définit la qualité pour recourir au TF en matière de droit public. Bien que cette disposition s'adresse en premier lieu aux particuliers, une collectivité publique peut également recourir au TF à condition qu’elle ne poursuive pas seulement un intérêt public dans la bonne application du droit fédéral, mais qu’elle poursuive, comme un particulier, un intérêt financier spécifique qui lui est propre ou qu’elle soit affectée dans ses propres intérêts dignes de protection.
Le litige porte en l’espèce sur la qualité de la CNA pour recourir en matière d’assurance-militaire.
La qualité pour recourir fondée sur l’art. 89 al. 1 LTF a été admise, et continuera de l’être, pour les assureurs actifs dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire en ce qui concerne les litiges relatifs aux prestations d’assurance, pour autant que les exigences des lettres a à c de cette disposition soient remplies. Ainsi, dans les litiges relatifs aux prestations de l’assurance-accidents obligatoire, la CNA peut se prévaloir de la qualité pour recourir au sens de l’art. 89 al. 1 LTF.
Depuis le 1er juillet 2005, la CNA est également compétente pour la gestion de l’assurance militaire. La CNA doit gérer l’assurance militaire comme une assurance sociale à part entière avec une comptabilité distincte. Alors que la CNA couvre ses dépenses relevant de l’assurance-accidents par les primes des assurés et de leurs employeurs (art. 91 ss LAA), la Confédération prend en charge la majeure partie des coûts de l’assurance militaire (art. 82 al. 1 LAM). Elle doit rembourser à la CNA les prestations d’assurance et les frais administratifs qui ne sont pas couverts par les primes des assurés (art. 82 al. 2 LAM). Ainsi, dans la mesure où la CNA peut, dans les litiges relevant de l’assurance militaire, reporter sur la Confédération l’obligation qui lui est imposée par une décision de justice cantonale de verser des prestations ou une indemnité de dépens à une personne assurée, le risque de souscription reste à la charge de la Confédération. Elle ne peut pas faire valoir son propre intérêt financier pour légitimer un intérêt digne de protection, et sa qualité pour recourir au TF ne peut se fonder sur l’art. 89 al. 1 LTF.
S’agissant de la qualité pour recourir au sens de l’art. 89 al. 2 LTF, elle est reconnue aux personnes, organisations et autorités auxquelles une autre loi fédérale accorde un droit de recours (let. d). A teneur de l’art. 62 al. 1bis LPGA, le CF règle la qualité pour recourir devant le TF des organes d’exécution des assurances sociales. Or la qualité pour recourir de la CNA, qui peut être désignée de manière informelle comme un organe d’exécution de l’assurance militaire au sens de l’art. 62 al. 1bis LPGA, ne ressort ni de la LAM, ni de son ordonnance d’application. Il existe une lacune proprement dite lorsqu’une loi s’avère incomplète parce qu’elle n’apporte aucune réponse à une question juridique qui se pose et qui aurait dû être réglée par le législateur. C’est le cas en l’espèce car le législateur n’a pas sciemment renoncé à régler la qualité pour recourir de la CNA lorsqu’elle agit en qualité d’assureur militaire (silence qualifié), et l’on n’est pas non plus dans le cas de figure où la loi apporte certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante (lacune improprement dite).
En présence d’une lacune proprement dite, celle-ci doit être comblée en prenant comme référence les buts et les valeurs sur lesquels la loi elle-même repose. A l’origine, les décisions des tribunaux cantonaux en matière d’assurance militaire pouvaient faire l’objet d’un recours auprès du TFA (art. 107 aLAM), et l’Office fédéral de l’assurance militaire, chargé de l’exécution de cette assurance (art. 81 al. 1 aLAM), avait le droit de recourir au TFA sur la base de l’art. 103 let. b aOJ. Avec l’introduction de la LPGA et de la LTF, l’art. 107 aLAM s’est avéré superflu et a été abrogé. Lors des débats parlementaires sur le transfert de la gestion de l’assurance militaire à la CNA, la question de sa qualité pour recourir au TF n’a pas été abordée. Dans son rapport sur la mise en œuvre de l’intégration de l’assurance militaire à la CNA, le CF a néanmoins précisé que l’une des tâches qui lui incomberait serait de mener le contentieux. Du côté des tribunaux, la qualité pour recourir de la CNA, en sa qualité d’assureur militaire, contre les décisions des tribunaux cantonaux des assurances qui l’obligent à verser des prestations à un assuré n’a jamais été explicitement examinée à ce jour, mais a toujours été tacitement admise. Des considérations qui précèdent, il ressort que le législateur n’a pas eu l’intention de supprimer la qualité pour recourir de l’organe en charge de l’exécution de l’assurance militaire telle qu’elle existait à l’origine. Il faut plutôt partir du principe que l’adaptation de la LAM, ou de l’OAM, a omis de reprendre le régime précédent. Ainsi, lorsque la CNA agit en qualité d’assureur militaire, sa qualité pour recourir au sens de l’art. 89 al. 2 let. d LTF doit être admise.
Sur le fond, le recours est admis car la violation relative du principe de l’instruction d’office par la CNA n’était pas suffisamment grave pour justifier la mise à sa charge des dépens en faveur de l’assuré qui a succombé devant l’instance cantonale.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier



TF 8C_589/2019 du 3 avril 2020
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations à l’assurance-chômage; art. 5 al. 1 et 2 LAVS; 3 al. 1 et 2 LACI
Un employé dont le contrat de travail a été résilié a pris une retraite anticipée le 1er janvier 2018. Au mois de février 2018, son ancien employeur lui a versé un arriéré de salaire de Fr. 43’807.15 pour l’année 2017. Dans sa décision du 26 février 2018, la Caisse de compensation a prélevé des cotisations d’assurance-chômage au taux de 2.2% sur le montant en question, en plus des cotisations AVS/AI/APG.
Le litige porte sur la question de savoir les cotisations AC se montent à 2,2% ou à 1% du salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS. L’employeur est d’avis que le taux de 1% doit être appliqué, car l’employé avait déjà atteint pour l’année 2017 le montant maximal du gain assuré LAA de Fr. 148’200.- (cf. art. 3 al. 2 LACI, en relation avec l’art. 22 al. 1 OLAA). Or, au-delà de ce montant, une surtaxe de 1% dite de solidarité est appliquée (cf. art. 90c al. 1 LACI). La Caisse de compensation avance pour sa part que le montant de Fr. 43’807.15 a été perçu en 2018 et que, par conséquent, le taux de 2.2% doit être appliqué.
Selon le n° 2034 des Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG (DP), pour déterminer si des versements de salaires arriérés sont ou non soumis à cotisations, il y a lieu de se fonder sur le droit en vigueur à la période à laquelle le salaire arriéré se rapporte (principe retenant l’année pour laquelle le salaire est dû). En revanche, aux termes du no 2035 DP, pour le versement de salaire arriéré soumis à cotisations en vertu du no 2034, le décompte des cotisations s’effectue, en règle générale, en application du principe de réalisation, selon lequel le droit en vigueur au moment du paiement est déterminant. Cela vaut notamment pour le taux de cotisation : il faut appliquer celui valable au moment du versement ou de la mise en compte de salaire arriéré. Le n° 2035.1 DP précise que si des cotisations AC sont dues sur des versements de salaires arriérés selon le no 2034, elles sont prélevées selon le principe de réalisation. Autrement dit, les taux de cotisation (no 2035) et les limites maximales du salaire déterminant, valables l’année de réalisation sont applicables. Selon l’exemple donné au no 2035.2 DP, variante b), il faut également appliquer le principe de réalisation au prélèvement de cotisations lorsque les rapports de travail ne subsistent plus chez le même employeur durant l’année de réalisation ou que l’obligation d’assurance tombe (c. 5.1 et 5.2). Ces directives administratives étant dépourvues d’ambiguïté, il s’agirait donc d’appliquer le taux de 2.2% de cotisations AC au montant de Fr. 43’807.15 versé en 2018.
Le TF rappelle toutefois que les directives administratives sont adressées aux organismes d’exécution et ne sont pas contraignantes pour les tribunaux (c. 7.1). En l’espèce, la question litigieuse se situe davantage au niveau de l’obligation de payer des cotisations qu’à celui de la simple perception du paiement. Il y a également lieu de tenir compte du fait qu’au moment du paiement, l’assuré n’exerçait plus d’activité professionnelle lucrative, si bien qu’il n’est plus possible de créditer les cotisations AVS/AI/APG dues sur son compte individuel pour l’année de réalisation (c. 7.2). Dans la mesure où il fixe le taux de cotisations pour les revenus perçus au cours d’une année après la fin de l’obligation d’assurance, indépendamment des revenus réalisés au cours de l’année d’acquisition, le n° 2035.2 DP, variante b), est contraire au droit fédéral (c. 7.4). Le TF confirme ainsi qu’il y a lieu d’appliquer le taux de 1% de cotisations AC à l’arriéré de salaire de Fr. 43’807.15.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


ATF 146 V 95, TF 9C_391/2019 du 23 mars 2020
Prévoyance professionnelle; divorce, renvoi au juge des assurances sociales, risque d’une invalidité antérieure à la procédure de divorce; art. 73 LPP; 124 CC
Dans cet arrêt, pour lequel les IIe Cours de droit social et de droit civil ont mis en œuvre une procédure de concertation selon l’art. 23 LTF, le TF a considéré, selon l’art. 73 LPP, que dans le cadre d’une procédure de divorce renvoyant à un tribunal la tâche de procéder au calcul des prestations de sortie à partager, la possible survenance d’une invalidité à une date antérieure au début de la procédure de divorce doit conduire ledit tribunal à suspendre la procédure, jusqu’à droit connu sur la question de la survenance du cas de prévoyance (droit à la rente d’invalidité).
S’agissant des problèmes pratiques que pourrait entraîner ce type de suspensions, la Haute Cour a considéré que les « mesures provisionnelles » prévues par les dispositions cantonales de procédure devraient permettre de les éviter.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_618/2019 du 16 mars 2020
Assurance-invalidité; dépendance, procédure probatoire structurée, résistance au traitement; art. 7, 8 et 21 al. 4 LPGA; 4 et 7a LAI
Dans cette affaire, concernant un homme né en 1978 présentant plusieurs diagnostics psychiatriques, dont un syndrome de dépendance à la cocaïne et à d’autres substances psychotropes, le TF a apporté quelques précisions importantes sur l’analyse, dans ce genre de cas, des indicateurs de la procédure probatoire structurée (ATF 141 V 281) :
- un syndrome de dépendance ne comprend pas en tant que tel un critère de gravité inhérent au diagnostic. Son degré de gravité, en tant qu’élément déterminant sur le plan juridique, dépend des répercussions fonctionnelles concrètes qu’il entraîne (c. 8.1.2.1) ;
- le fait que cet homme ait pu, avant l’apparition de ses difficultés, exercer une activité professionnelle durant 14 années sans problème majeur ne permet pas d’exclure la gravité de l’atteinte à la santé. En l’espèce, l’aggravation de l’état de santé est clairement documentée, de même que les interactions entre les affections diagnostiquées ainsi que les conséquences de ces interactions sur la capacité de l’assuré à exploiter ses ressources personnelles (c. 8.1.2.2) ;
- s’agissant du déroulement et de l’issue d’un traitement médical, le résultat de l’appréciation dépend toutefois de l’ensemble des circonstances individuelles du cas d’espèce. En l’espèce, il existe des options thérapeutiques sérieuses permettant d’envisager une reprise de l’activité lucrative. Cependant, les comorbidités ont joué un rôle non négligeable dans l’entrave du bon déroulement et du succès des traitements, influençant de manière significative la volonté de l’assuré. En conséquence, le refus de l’assuré de se soumettre au traitement ne saurait ici être considéré comme un indice de peu de gravité (c. 8.2.1.3) ;
- s’agissant de l’indicateur « contexte social », le fait d’avoir des loisirs festifs au sein d’un large cercle d’amis, favorisant vraisemblablement la consommation de cocaïne, ne représente pas un soutien dont le recourant bénéficierait de manière positive. Le fait que l’assuré doive faire contrôler son abstinence à la cocaïne s’il entend exercer le droit de visite sur ses enfants met au contraire en évidence les répercussions négatives de son atteinte à la santé sur le plan privé. Malgré la présence d’une nouvelle compagne, on ne peut pas considérer qu’il dispose de ressources mobilisables de manière décisive (c. 8.2.3) ;
- compte tenu des comorbidités psychiques et de leur impact sur la compliance thérapeutique d’une part, et du fait que les loisirs festifs s’inscrivent dans le cadre de la consommation de stupéfiants d’autre part, on doit admettre la cohérence de plaintes (c. 8.3).
L’invalidité étant ici admise, mais un traitement paraissant raisonnablement exigible, l’affaire est retournée à l’office AI pour qu’il statue sur le droit à la rente et procède à une mise en demeure conforme à l’art. 21 al. 4 LPGA afin que l’assuré se conforme à son obligation de diminuer le dommage (art. 7a LAI).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : cet arrêt apporte des précisions bienvenues, en particulier s’agissant de l’articulation entre l’obligation de diminuer le dommage en se soumettant à un traitement médical et l’analyse de compliance thérapeutique dans le cadre des indicateurs (à ce sujet, cf. Dupont Anne-Sylvie, La dépendance, une maladie psychique comme les autres. Analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_724/2018, Newsletter rcassurances.ch septembre 2019, disponible ici). L’on voit en outre que le raisonnement du TF s’écarte de la perspective « tout ou rien » qui lui est souvent reprochée : dans cette affaire, la personne assurée se voit reconnaître, en quelque sorte, une forme de droit de guérir, perspective qui est naturellement dans son intérêt, mais également dans cette de l’ensemble du système de protection sociale.

ATF 146 V 112, TF 8C_778/2019 du 11 mars 2020
Assurance-chômage; travail sur appel, perte de travail à prendre en considération; art. 8 al. 1 let. a et b, 10 al. 2 let. b et 11 al. 1 LACI
Saisi d’un recours formé par la caisse de chômage, le TF précise sa jurisprudence en matière de travail sur appel et de perte de travail à prendre en considération, notamment l’ATF 139 V 259, ainsi que la pratique du SECO (cf. Bulletin LACI, B100). Il affirme ainsi qu’il n’est plus décisif de savoir si le travail sur appel a débuté avant ou pendant le premier délai-cadre d’indemnisation pour qu’il puisse être considéré comme réalisé en vue de réduire le dommage. Il perd cette qualité du fait de l’écoulement du temps. En vertu du principe d’égalité de traitement et de la systématique de la loi, il convient de limiter en outre cette pratique au premier délai-cadre d’indemnisation (c. 5.5). Le recours de la caisse est admis.
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne


TF 8C_202/2019 du 9 mars 2020
Assurance-accidents; délimitation entre activité lucrative dépendante et indépendante, gérant de Sàrl, art. 1a LAA et 1 OLAA
Le TF confirme le caractère infondé de la décision de la CNA de soumettre à cotisations sociales obligatoires les revenus d’un gérant de Sàrl.
Le gérant d’une Sàrl est considéré comme un travailleur indépendant du point de vue des assurances sociales s’il est détenteur de l’entier du capital social et prend, comme unique associé gérant de la Sàrl, avec signature individuelle, toutes les décisions relatives à la marche de l’entreprise. Compte tenu de ce statut d’indépendant, la CNA ne pouvait pas l’assurer à titre obligatoire.
Auteur : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 9C_764/2019 du 6 mars 2020
Assurance-invalidité; mesures de réadaptation, mesures médicales, infirmité congénitale, retard psychomoteur, autisme, ergothérapie; art. 3 al. 2 LPGA; 13 LAI; ch. 405 annexe I OIC
Une enfant atteinte d’une pathologie entraînant un tableau clinique complexe comprenant, notamment, un important retard du développement psychomoteur, des troubles autistiques et épileptiques, n’a pas droit à la prise en charge par l’AI d’un traitement d’ergothérapie si ce traitement se concentre sur le traitement du retard du développement, qui n’est pas une infirmité congénitale répertoriée dans l’annexe I à l’OIC. Le fait que ce traitement, indirectement, améliore également les conséquences du trouble autistique n’y change rien.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_589/2019 du 2 mars 2020
Assurance-vieillesse et survivants; délimitation entre activité dépendante et activité indépendante; art. 5 al. 1 et 2, 8, 9 et 13 LAVS
En présence d’une relation tripartite dans laquelle une société place un conseiller en entreprise auprès de clients, le TF juge que le rapport entre le conseiller et la société placeuse ne peut pas être qualifié d’activité dépendante, contrairement à ce que l’instance cantonale, respectivement la caisse de compensation, avaient retenu.
Pour déterminer le statut de l’intéressé du point de vue des assurances sociales, il convient de déterminer dans quelle relation contractuelle s’inscrit la prestation caractéristique. Dans le cas présent, il s’agit de la relation entre le conseiller en entreprise et le client. Il n’y a pas de rapport subordination de fait ou de nature administrative avec la société placeuse dont la tâche se limite essentiellement à l’acquisition de contrats au profit du conseiller en placement (c. 4.3 et 4.3.1).
Le fait que la rémunération soit versée à la société placeuse qui retient une commission de 30 % avant de rétrocéder une indemnité « Entschädigung » au conseiller en entreprise n’est pas un élément qui permet de retenir un rapport hiérarchique. Si le conseiller doit remettre périodiquement des rapports sur son activité et respecter des « standards » édictés par la société placeuse, cela ne signifie pas pour autant que celle-ci exerce un contrôle. Plaide également à l’encontre d’un statut de salarié, le fait que le conseiller n’est rémunéré qu’après le paiement de la prestation par le client. Enfin, il convient de relever que le contrat-cadre conclut entre la société placeuse et le conseiller contient expressément les qualificatifs de « independent Contractor » et de « Associate partner » et que le conseiller doit s’acquitter d’une contribution mensuelle de CHF 250.- plus TVA à ladite société (c. 4.2.2).
Le recours de la société placeuse est ainsi admis sous suite de frais et dépens.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 9C_440/2019 du 2 mars 2020
Assurance vieillesse et survivants; art. 21 Convention AELE; 52 R (CE) n° 883/2004
Un ressortissant suisse a travaillé dans la Principauté du Lichtenstein du 20 février 1998 au 31 janvier 2014. En août 2016, il s’est annoncé auprès de la Caisse de compensation du canton de St-Gall pour la perception d’une rente AVS. Par décision du 9 septembre 2016, la Caisse de compensation l’a informé qu’elle lui accordait une rente partielle de CHF 1’801.- et qu’elle avait fait parvenir sa demande pour la perception d’une rente étrangère à la Caisse suisse de compensation CSC, organisme responsable de transmettre sa demande à l’assurance sociale étrangère. L’assuré a fait opposition contre cette décision en faisant valoir qu’il avait droit à une rente AVS complète de CHF 2’331.-. La Caisse de compensation a maintenu sa décision et le Tribunal des assurances sociales du canton de St-Gall a rejeté son recours contre la décision sur opposition.
Selon le TF, il est incontesté que le calcul de la rente due par la Caisse de compensation doit se faire en application de l’art. 52 R (CE) n° 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. Contrairement à l’avis du recourant, c’est à juste titre que l’instance précédente a calculé une prestation indépendante sur la base de l’art. 52 al. 1 R (CE) n° 883/2004 et non une prestation prorata au sens de l’al. 2 de cette disposition (c. 3).
Le recourant fait valoir que le calcul de la prestation indépendante ne devrait pas se faire sur la base du droit national uniquement. Selon le recourant, il y aurait lieu de prendre en compte l’art. 21 let. c de l’AELE comme droit national directement applicable. Cette disposition imposerait le cumul des périodes d’assurance obligatoire (c. 3.2). Selon l’art. 21 let. c Convention AELE, en vue d’assurer la libre circulation des personnes, les Etats membres règlent la coordination des systèmes de sécurité sociale dans le but de garantir notamment la totalisation, pour l’ouverture et le maintien du droit aux prestations ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales (c. 3.3).
A l’ATF 130 V 51, le TF avait établi que les périodes d’assurances accumulées dans un autre état membre de l’ALCP ne devaient pas être prises en compte lors du calcul de la rente AVS suisse. Aucune disposition, tant au niveau national qu’international, ne garantit une rente complète malgré une diminution du temps de cotisation auprès de l’assurance nationale en raison d’une absence du pays. Il fait justement partie de la conception du R (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la communauté de faire perdurer des systèmes d’assurances sociales indépendants et que, par conséquent, les temps d’assurances accumulés dans d’autres états membres ne soient pas pris en compte par l’institution national lors du calcul de la rente (c. 3.4).
Le TF retient que l’art. 52 R (CE) n° 883/2004 a remplacé l’art. 46 al. 1 let. a ch. i R (CEE) n° 1408/71. Dès lors, la jurisprudence établie à l’ATF 130 V 51 en lien avec le R (CEE) n° 1408/71 reste également applicable sous l’empire du nouveau droit (c. 3.5). Selon le TF, on ne saurait reconnaître en l’espèce un motif qui justifierait un changement de cette jurisprudence. Dès lors, contrairement à l’avis du recourant, on ne saurait déduire de l’art. 21 Convention AELE un droit direct à une rente de vieillesse suisse par la prise en compte des périodes d’assurance cumulées à l’étranger. L’art. 21 Convention AELE constitue que la base pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, base qui est ensuite concrétisée dans le R (CE) n° 883/2004 (c. 3.6).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 4A_22/2020 du 28 février 2020
Responsabilité aquilienne; relation avec le droit pénal, causalité naturelle et adéquate, honoraires de l’administrateur de la succession; art. 41 et 53 CO; 546 al. 1 à 3 CC; 59 al. 2 let. e CPC
L’auteur de l’assassinat de sa sœur, dont il a fait disparaître le corps, doit assumer les honoraires de l’administrateur de la succession, qui est aussi intervenu comme curateur de la personne disparue.
Ces honoraires constituent en effet un dommage subi par la succession, dont la cause naturelle et adéquate se trouve dans le comportement de l’intéressé consistant à assassiner sa sœur et faire disparaître le corps.
En procédure administrative, l’autorité appliquant le droit fédéral n’est pas autorisée à s’écarter des constatations de fait déjà opérées par le juge pénal, sinon en présence de circonstance spécifiques ; cette règle, qui découle du principe de l’unité de l’ordre juridique et de l’intérêt général à prévenir des décisions divergentes, doit être transposée au cas particulier car le recourant a déjà contesté sans succès, par les voies qu’offre le droit de procédure pénale, l’homicide de sa sœur et la dissimulation de son corps.
Il convient enfin d’admettre qu’en l’absence de circonstances spéciales (héritier unique et particulièrement aisé, ou succession de faible importance), une succession soumise à l’art. 546 CC est d’ordinaire placée et maintenue sous administration d’office. Cette mesure conservatoire et les frais qui en résultent sont alors une conséquence normale et prévisible du comportement visant à tuer une personne et à faire disparaître son corps. Il s’ensuit que le recourant n’est pas fondé à contester le lien de causalité adéquate entre les faits constatés par le Tribunal criminel et la rétribution des prestations de l’administrateur de la succession, qui est aussi intervenu comme curateur de la personne disparue.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne


TF 6B_1276/2019 du 27 février 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; causalité, procédure, classement, compétence du ministère public et du juge du fond; art. 319 CPP; 117 CP
Conformément au principe « in dubio pro duriore », un classement ou une non entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu’il apparaît clairement, respectivement indubitablement, que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions de la poursuite pénale ne sont pas remplies. En cas de doute quant à la situation factuelle ou juridique, en particulier en présence d’une infraction grave, il appartient au juge matériellement compétent d’établir l’état de fait et de se prononcer sur la culpabilité du prévenu.
Ainsi, viole le droit fédéral l’autorité de recours cantonale qui, au stade de la confirmation d’un classement, tranche les questions liées à la causalité adéquate et justifie le classement de la procédure pénale sur la base d’un pronostic fondé sur une situation où les faits ne sont pas clairs, respectivement d’hypothèses énoncées sur le comportement adopté par les protagonistes. Il en va de même de l’autorité de recours contre un classement qui se focalise sur le comportement de la victime et retient une rupture du lien de causalité, sans procéder tout d’abord à l’examen nécessaire du rapport entre le comportement concrètement imputé à l’auteur et le résultat dommageable.
Dans de telles situations, en présence de doutes concernant les constatations de fait et la situation juridique, l’analyse de la causalité adéquate relève de la compétence d’un juge du fond.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel



TF 4A_481/2019 du 27 février 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage, préjudice ménager; art. 46 al. 1 CO
Le TF rappelle d’abord sa jurisprudence antérieure relative à la notion de préjudice ménager (c. 4.1.1) et à la manière de le calculer (c. 4.1.2). C’est sur l’utilisation des tables ESPA que le TF va d’abord orienter ses réflexions. Si la partie lésée s’appuie sur des valeurs statistiques, elle doit décrire son ménage et le rôle qu’elle y jouerait si elle n’était pas victime d’un accident. Elle doit le faire aussi précisément que possible afin qu’on puisse déterminer si les statistiques sont fondées sur des enquêtes auprès de ménages qui, selon les données de base retenues, correspondent à la situation du lésé, ou dans quelle mesure ces statistiques permettent de tirer des conclusions sur la situation du lésé (c. 4.1.3).
Dans le cas d’espèce, la recourante n’a pas indiqué, dans son recours, qu’elle aurait décrit, auprès des juridictions inférieures, son ménage et le rôle qu’elle y jouait. En l’absence d’indications concrètes, la juridiction inférieure n’a pas été en mesure de vérifier si le ménage spécifique correspondait au ménage de référence selon les tables ESPA ; elle n’a pas été en mesure non plus de vérifier si un ajustement devait être fait par rapport à ces valeurs statistiques. A cela s’ajoutait que, s’agissant de la troisième phase de calcul du dommage ménager, l’hypothèse d’un ménage commun de la lésée et de sa fille adulte n’est pas couverte par les tables ESPA ; or, si les statistiques ne sont pas appropriées pour le calcul du temps consacré au ménage (« Stundenaufwand »), un calcul sur la base de la méthode abstraite est exclu et doit être fait sur la base de la méthode concrète (c. 4.4.2).
La recourante avait objecté qu’elle n’avait pas à donner des explications spécifiques sur son ménage et sur les tâches qu’elle exerçait dès lors qu’une évaluation interdisciplinaire avait été faite, dans laquelle figurait la liste des tâches domestiques exercées ; les médecins évaluaient à 40 % le temps supplémentaire pour effectuer ces tâches (cf. 4.5). Pour justifier le dommage ménager, rappelle le TF, des observations concrètes sont nécessaires concernant le ménage dans lequel vit le lésé, les tâches assumées et la mesure dans laquelle l’accident les affecte effectivement (c. 4.5.2). S’il est de la responsabilité du médecin d’évaluer les effets d’un événement dommageable sur l’état de santé et de décrire les activités qui ne sont plus possibles ou seulement dans une mesure limitée, la question du pourcentage de cette perte appartient à la responsabilité du juge, qui doit évaluer les constatations médicales sous l’aspect du caractère raisonnable (« Zumutbarkeit »). La recourante n’était ainsi pas dispensée de présenter des allégués motivés concernant son ménage et les tâches à accomplir. Elle ne peut tirer profit de l’arrêt 4A_98/2008 dans lequel le TF avait jugé, de manière restrictive, qu’il n’était pas nécessaire d’établir une liste systématique des travaux effectués par le lésé dans le ménage et d’indiquer, pour chaque activité, l’étendue exacte de la déficience (c. 4.5.3).
Enfin, le TF rejoint la juridiction inférieure, qui a relevé que les différentes tâches peuvent être réparties dans un même ménage et que le lésé a l’obligation de réduire son dommage. Des mesures organisationnelles raisonnables dans le contexte de l’atténuation du dommage comprennent une division appropriée du travail et l’achat d’équipements et d’appareils ménagers appropriés. L’autorité précédente avait en effet relevé, à titre introductif, que l’obligation de diminuer le dommage s’appliquait également, en vertu de l’art. 44 al. 1 CO, dans le domaine du préjudice ménager. Il en résultait, selon eux, qu’il appartiendrait au lésé, mais aussi à ses proches qui sont touchés par un dommage réfléchi, de s’organiser, après un accident (dans une mesure raisonnable) pour que les limitations dues à l’état de santé n’aient aucune conséquence. Il était ainsi raisonnable que l’ensemble de la famille réorganise les tâches ménagères de telle sorte que les membres de celle-ci qui sont en bonne santé (dans la mesure toutefois où ils auraient effectué des travaux ménagers même sans l’événement dommageable), reprennent les tâches exercées par la personne qu’elle ne peut plus fournir en raison de l’accident, à charge de celle-ci de compenser cette aide par la prise en charge des tâches plus légères que son état de santé lui permet d’assumer, de sorte que l’effort global de l’entretien ménager reste le même (c. 4.2.2). Pour le TF, sans indications sur le ménage, la question de la réduction du dommage ne peut être évaluée. Le fait qu’une expertise ait été faite n’y change rien (c. 4.5).
Auteur: Alexis Overney, avocat, Fribourg


TF 6B_1376/2019 du 26 février 2020
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence, faute, causalité; art. 11, 12 et 125 CP; 3 et 6 OPA; 3 OTConst
Le TF rappelle que plusieurs conditions doivent être remplies pour que la prévention de lésions corporelles graves par négligence puisse être imputée à un prévenu. Une négligence coupable est retenue quand l'auteur viole les règles de la prudence. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence. La violation du devoir de prudence doit par ailleurs être fautive. Il faut finalement qu’il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et le dommage survenu.
L’auteur peut se voir reprocher un comportement passif. Tel est le cas lorsqu’il s’est trouvé dans une situation qui l’obligeait à protéger un bien déterminé contre des dangers indéterminés, ou à empêcher la réalisation de risques connus auxquels des biens indéterminés étaient exposés.
L’ordonnance sur la prévention des accidents impose à l’employeur des obligations strictes pour assurer la sécurité au travail. Elle prescrit en particulier un devoir d’information et une instruction sur les risques auxquels sont exposés les travailleurs. L’ordonnance sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction exige de l’employeur que les mesures nécessaires pour assurer la sécurité au travail et la protection de la santé soient prises avant et lors de l’exécution de ses travaux. L’employeur qui donne pour consigne à un ouvrier sans expérience de procéder seul à une opération devant être accomplie à deux, viole son devoir de prudence.
Une omission fautive ne peut par contre être retenue lorsqu’une norme de comportement n’a pas été enfreinte ou qu’il ne peut être fait état d’un usage généralisé dans une profession qui aurait été transgressé. Il ne suffit pas qu’un expert ou un spécialiste de la SUVA estime qu’une mesure de sécurité aurait été nécessaire dans un cas déterminé pour qu’une omission fautive puisse être retenue.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont



ATF 146 V 185, TF 9C_584/2019 du 26 février 2020
Assurance-maladie; taitement à l’étranger, urgence; art. 34 LAMal; 36 OAMal
Une assurée âgée de 80 ans, gravement atteinte dans sa santé en raison de plusieurs troubles dont un cancer du poumon, s’est rendue aux Etats-Unis avec son époux, alors qu’elle était l’attente d’une analyse pour le choix du traitement à venir. Elle débute alors son traitement en Floride (prise du médicament Keytruda), dès le 23 décembre 2016. Elle décède finalement le 3 février 2017, après différents traitements ambulatoires et avoir séjourné durant quelques jours dans un hôpital.
Dans cet arrêt, le TF confirme qu’en l’absence d’urgence, le remboursement dudit médicament n’est pas à la charge de l’assurance obligatoire des soins. En revanche, les juges fédéraux renvoient l’affaire à l’assureur-maladie pour qu’il détermine si l’atteinte à la santé serait également survenue même si l’assurée n’avait pas suivi le traitement au Keytruda, auquel cas une partie des prestations ayant précédé son décès pourra être prise en charge, selon la LAMal.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_749/2019 du 21 février 2020
Assurance-maladie; procédure, recours de l’OFSP, intérêt au recours, interruption non punissable de grossesse, participation aux coûts; art. 89 al. 2 let. a LTF; 27 OAMal; 29 et 64 al. 7 let. b LAMal
Une femme ayant subi une interruption non punissable de grossesses après le début de la 13e semaine de grossesse s’est vu mettre à charge sa franchise et une quote-part pour les soins reçus à cette occasion. Le tribunal cantonal des assurances, saisi d’un recours de cette femme, a confirmé la position de la caisse-maladie.
Après que l’assurée a recouru au TF, la caisse-maladie a accepté de lui rembourser les montants qu’elle lui avait facturés, rendant ainsi sans objet son recours, qui a été retiré.
L’OFSP avait également recouru contre l’arrêt cantonal, se fondant sur la compétence qui lui est attribuée par les art. 89 al. 2 let. a LTF et 27 OAMal. Il a maintenu son recours, estimant que la question juridique qui était posée au TF dans le cadre de cette affaire méritait notamment d’être clarifiée en raison d’une pratique notoirement divergente entre les caisses-maladie, à l’origine notamment d’inégalités de traitement entre les femmes concernées par une interruption non punissable de grossesse pratiquée entre la 13e et la 23e semaine
Le TF a refusé d’entrer en matière, faute d’intérêt actuel à voir la question tranchée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 6B_1467/2009 du 20 février 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute, violation grave des règles de la circulation, signalisation; art 90 al. 2 LCR; 103 OSR; 4a OCR
Selon la jurisprudence constante, l’art. 27 al. 1 LCR impose aux usagers de la route de se conformer aux signes et aux marques. Par ailleurs, dans l’intérêt de la sécurité du trafic, ce devoir s’étend également aux signaux et aux marques qui n’ont pas été apposés de manière régulière, lorsque ceux-ci créent une apparence digne de protection pour d’autres usagers, un tel devoir découlant du principe de la confiance. La nullité absolue d’un signal routier ne peut être admise que lorsqu’il est entaché de vices particulièrement graves et manifestes, ou à tout le moins facilement reconnaissables. Selon l’art. 103 OSR, les signaux seront placés sur le bord droit de la route. Ils pourront être répétés sur le côté gauche, suspendus au-dessus de la chaussée, installés sur des îlots ou, en cas de nécessité absolue, placés uniquement à gauche. Ils seront installés de telle manière qu’ils puissent être aperçus à temps et ne soient pas masqués par des obstacles.
En l’espèce le recourant avait été condamné pour un grave excès de vitesse, commis malgré la présence d’un signal « Vitesse maximale 50, Limite générale » placé uniquement à gauche de la route. Même s’il n’existait manifestement aucune circonstance particulière qui exigeait que le signal soit placé à gauche, le TF a confirmé qu’en l’espèce, le signal en question devait être respecté. En effet, la rue dans laquelle il se trouvait était si étroite qu’elle ne pouvait être empruntée que dans un sens. Il était par ailleurs facile de voir le signal et de le remarquer à temps. Enfin, compte tenu de la configuration des lieux, le recourant devait reconnaître qu’il se trouvait à l’intérieur d’une localité au sens de l’art. 4a al. 2 OCR.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


ATF 146 V 152, TF 9C_265/2019 du 18 février 2020
Assurance-maladie; champ d’application territorial du Règlement CE 883/2004 lorsque l’assuré a bénéficié d’un traitement médical dans un Etat tiers; art. 24 R (CE) 883/2004; 2 al. 1 let. e et 36 al. 2 OAMal
Dans le règlement CE n° 883/2004 relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale, les règles de conflit de lois découlant des titres II et III déterminent la loi applicable. Son art. 24 traite de l’hypothèse où le titulaire d’une pension d’un Etat membre n’a pas droit aux prestations en nature dans l’Etat membre de résidence. Le règlement lui donne le droit de recevoir ces prestations médicales pour autant que la loi de l’Etat membre responsable du versement de la pension lui y donne droit s’il résidait dans cet Etat. Les règles de conflit de lois émanant du R (CE) 883/2004 sont obligatoires pour les Etats membres, privant le législateur national de pouvoir déterminer le champ d’application et les conditions d’application de sa législation nationale pour ce qui est des personnes auxquelles elles doivent s’appliquer et le territoire sur lequel elles doivent produire leurs effets.
L’assurance-maladie est en principe obligatoire en Suisse. Conformément à l’art. 3 al. 2 LAMal, des exceptions sont prévues. Ainsi, les personnes résidant en Suisse qui perçoivent une rente étrangère sont exemptées de l’obligation (et de la possibilité) de s’assurer (art. 2 al. 1 let. e OAMal).
Le R (CE) 883/2004 ne contient aucune disposition explicite concernant son champ d’application territorial. La question se pose lorsque les personnes concernées souhaitent invoquer le règlement mais que les événements se produisent en dehors du territoire des Etats membres de l’UE. Le critère décisif pour l’applicabilité du règlement est le lien entre la personne assurée et un régime de sécurité sociale d’un Etat membre. Ainsi, il y a extension du champ d’application territorial à des zones situées en dehors des Etats membres, puisque ce n’est pas le lieu où l’individu se trouve qui est déterminant, mais l’appartenance à un système de droit social particulier. Toute personne assurée dans un Etat membre a donc le droit de faire un usage extraterritorial des prestations d’assurance-maladie du système de l’Etat membre dans lequel elle réside.
En l’espèce, une recourante néerlandaise, vivant en Suisse et étant affiliée au régime d’assurance-maladie des Pays-Bas en vertu de sa pension néerlandaise, ayant reçu un traitement médical à Dubaï est couverte par le R (CE) 883/2004, quand bien-même les Emirats arabes unis ne sont pas partie à l’ALCP. La recourante a le droit d’être traitée comme si elle était soumise à la LAMal suisse en ce qui concerne son examen médical du genou à Dubaï et les frais qui en découlent (CHF 100.-).
Par renvoi de l’art. 34 al. 2 LAMal, l’art. 36 al. 2 OAMal couvre les coûts des traitements d’urgence à l’étranger. En l’occurrence, pour autant que la notion d’urgence soit reconnue, l’Institution commune LAMal à Olten devra prendre en charge les coûts du traitement engagés à Dubaï en application de l’art. 36 al. 2 et 5 OAMal, la cause étant renvoyée à l’institution commune LAMal pour examen du caractère urgent du traitement, puis nouvelle décision.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 4A_65/2019 du 18 février 2020
Responsabilité médicale; contrat de mandat, causalité naturelle, hypothétique et adéquate, vraisemblance prépondérante, pouvoir d’examen du TF; art 321e, 394 al. 1 et 398 al. 1 CO; 105 al. 1 LTF
La responsabilité d’une permanence médicale, dans le cas d’un patient qui a chargé un médecin œuvrant au sein de cette permanence d’examiner son état et de prendre les mesures thérapeutiques adéquates, doit être examinée sous l’angle du contrat de mandat au sens de l’art. 394 al. 1 CO, et la responsabilité de la permanence s’analyse sous l’angle de l’art. 398 al. 1 CO, lequel renvoie aux règles régissant la responsabilité du travailleur dans les rapports de travail au sens de l’art. 321e CO (c. 3).
En l’espèce, la Cour de justice a jugé que la permanence avait violé son obligation de diligence en s’abstenant de procéder à un examen clinique correct et en posant un faux diagnostic : elle aurait dû constater une fracture de type « Garden I » du col fémoral gauche, alors qu’elle avait décelé uniquement une « contusion à la hanche gauche ». Pour tout traitement, elle avait prescrit une piqûre antalgique et des médicaments anti-inflammatoires, alors qu’elle aurait dû immédiatement diriger le patient vers un chirurgien (…) En raison du retard de la prise en charge du patient, la tête fémorale gauche s’était nécrosée, ce qui avait ultérieurement nécessité une nouvelle intervention chirurgicale destinée à la pose d’une prothèse de la hanche. L’atteinte au nerf sciatique s’était produite durant cette opération. Celle-ci avait été effectuée dans les règles de l’art, mais ce risque était inhérent. Il y avait un lien de causalité tant naturelle qu’adéquate entre ce délai et l’atteinte en question. La permanence était dès lors responsable du dommage subi par le patient ensuite de son incapacité de travail et de l’atteinte portée à son avenir économique (c. 3).
La permanence soutient que le lien de causalité naturelle entre le diagnostic erroné et le dommage a été constaté à tort, dans le sens que la nécrose de la tête fémorale n’est pas consécutive au retard de la prise en charge, mais au type de fracture en cause. Elle explique que cette nécrose serait également survenue si la fracture avait été immédiatement diagnostiquée et opérée. En d’autres termes, elle soutient que, si elle avait adopté un comportement conforme au droit, le résultat eût été le même. Le TF précise que la prise en charge et le diagnostic incorrects imputables à la permanence s’analysent comme une omission. Le lien de causalité est dès lors hypothétique puisqu’il s’agit de savoir si la tête fémorale se serait pareillement nécrosée si la permanence avait formulé un diagnostic correct. Ainsi le TF souligne que la permanence ne fait rien d’autre que de contester l’existence d’un lien de causalité hypothétique (c. 4).
En matière de causalité hypothétique, la jurisprudence se satisfait du degré de la vraisemblance prépondérante qui suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération. Or, on peut inférer des explications de l’expert judiciaire qu’il n’existait certes pas d’absolue certitude, mais bel et bien une vraisemblance prépondérante selon laquelle la tête fémorale ne se serait pas nécrosée si l’intervention chirurgicale avait eu lieu sans tarder. L’appréciation des preuves n’est ainsi pas arbitraire et le grief est rejeté (c. 4.3).
Le TF est lié, au sens de l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations concernant la causalité hypothétique lorsqu’elles reposent sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves ; en revanche, si la causalité hypothétique est déduite exclusivement de l’expérience de la vie, il revoit librement cette question de droit. En l’espèce, l’appréciation des juges cantonaux s’est fondée sur une expertise judiciaire définissant les standards de diligence que l’on pouvait attendre et les conséquences des manquements constatés. Il se justifie ainsi de restreindre à l’arbitraire le pouvoir d’examen de l’autorité de céans (c. 4.3).
La permanence soutient que le lien de causalité adéquate entre l’erreur de diagnostic et le dommage a été constaté à tort. Le grief, scindé en trois parties, ne résiste pas à l’examen et est rejeté par le TF pour les raisons suivantes :
Premièrement, avant d’apprécier, sous l’angle de la causalité adéquate, l’importance que revêt une cause concomitante, il faut avoir déjà constaté en fait l’existence d’un tel élément ayant concouru à la survenance du dommage. Tel n’est pas le cas ici (c. 5.1).
Deuxièmement, le caractère adéquat d’une cause ne suppose pas que l’effet considéré se produise généralement, ni même qu’il soit courant. Il suffit qu’il s’inscrive dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles. Tel est le cas ici (c. 5.1).
Troisièmement, une interruption de la causalité adéquate peut se concevoir en présence d’un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s’attendre qui revêt une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l’arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer – y compris le fait imputable à la partie recherchée. Tel n’est pas le cas ici (c. 5.2).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Rolle

TF 4A_376/2019 du 18 février 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; délai de prescription, dies a quo, reconduction conventionnelle; art. 83 aLCR
L’action est introduite après l’échéance du délai fixé par renonciation du débiteur à se prévaloir de la prescription. La réparation du tort moral est niée au motif que le délai de prescription de deux ans est échu.
Le TF rappelle sa jurisprudence sur le point de départ du délai de prescription (cf. jurisprudence citée au c. 3.1) : « Le créancier connaît suffisamment le dommage lorsqu’il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder ou à motiver une demande en justice; si l’ampleur du préjudice résulte d’une situation qui évolue, la prescription ne court pas avant le terme de cette évolution ; tel est notamment le cas du préjudice consécutif à une atteinte à la santé de la victime dont il n’est pas possible de mesurer d’emblée l’évolution avec suffisamment de sécurité ».
Il a été établi, dans le cas d’espèce, que le lésé connaissait suffisamment son dommage pour fonder son action à la date où le taux de sa capacité de travail est fixé par expertise privée à 40-50 %. Cette date coïncide avec la conclusion du contrat de travail par le lésé à plus de 50 %. Le taux d’occupation ultérieur, bien que fluctuant, est resté en moyenne supérieur au taux initial.
La connaissance du dommage ne dépend pas de la force probante de l’expertise qui peut, sans être une expertise judiciaire, renseigner le lésé suffisamment sur l’évolution future de son état santé.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 9C_603/2019 du 17 février 2020
Assurance-vieillesse et survivants; coordination européenne, conflit de lois, pluriactivité, qualification de l’activité lucrative, travail dépendant ou indépendant; art. 8 ALCP; 11 ch. 1, 13 ch. 3 et 16 R (CE) 883/2004
Lorsqu’un travailleur domicilié dans un pays de l’UE est actif à la fois dans ce pays et en Suisse, l’Etat de rattachement pour la sécurité sociale dépend en premier lieu de la qualification de l’activité. Cette qualification doit s’opérer selon les règles du droit interne, en l’espèce selon les règles du droit suisse.
En l’espèce, le dentiste concerné n’avait reçu dans le canton de Zurich qu’une autorisation de pratiquer de manière dépendante. En outre, le fait qu’il n’existait pas de règles pour son défraiement, qu’il puisse s’organiser de manière assez libre et qu’il n’était pas soumis à des directives ne plaide pas particulièrement en faveur d’une situation d’indépendant. En revanche, le fait qu’il n’avait pas investi financièrement dans la structure qui l’emploie, qu’il n’assumait pas de tâches d’organisation, qu’il n’avait pas engagé de personnel directement et qu’il ne devait pas supporter de dépenses pour la publicité ou le marketing sont autant d’indice d’une relation de salariat. L’activité exercée en Allemagne étant qualifiée qu’indépendante, le rattachement au droit suisse de la sécurité sociale doit être confirmé.
Les exceptions prévues par l’art. 16 R (CE) 883/2004 ne peuvent être accordées par les caisses AVS individuellement. Leur octroi relève de la compétence de l’OFAS.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 146 V 210, TF 8C_435/2019 du 11 février 2020
Assurance-chômage; aptitude au placement, grossesse, art. 15 al. 1 LACI; 3 al. 1 et 2 LEg
Selon la jurisprudence, il y a lieu de considérer que la personne assurée qui prend des engagements à partir d’une date déterminée et qui, de ce fait, n’est plus disponible sur le marché de l’emploi que pour une courte période, est inapte au placement.
Or une telle règle n’a pas vocation à s’appliquer au cas d’une femme qui doit accoucher dans sept semaines et demi et qui, par ailleurs, a fait montre de la volonté de trouver un emploi de durée indéterminée. Admettre, comme l’a fait le Service de l’industrie, du commerce et du travail de Sion (SICT), qu’une assurée qui va accoucher dans un délai de sept semaines et demi n’a presque aucune chance d’être engagée par un employeur, revient à présumer que l’employeur ne respectera pas l’interdiction de discrimination à l’embauche consacrée par l’art. 3 al. 1 et 2 LEg, et prêterait main forte, indirectement du moins, aux employeurs qui agiraient contrairement à la loi.
Le TF affirme ainsi sans détour (c. 5.2 in initio) que la grossesse et l’accouchement ne peuvent être vus comme ce que sa jurisprudence appelle des engagements que l’assuré(e) a pris à partir d’une date déterminée : « Schwangerschaft und Geburt können […] nicht als anderweitige Disposition auf einen bestimmten Termin […] betrachtet werden ». La date d’une naissance, en tant que partie du droit fondamental à la vie familiale tel que protégé par les art. 13 et 14 Cst., et 8 par. 1 CEDH, n’a rien à voir avec la date d’un événement du type que ceux qui le SECO mentionne dans son Bulletin LACI IC/B227, comme « un voyage à l’étranger, un retour définitif au pays pour un étranger, le service militaire, une formation ou le début d’une activité indépendante ».
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 8C_750/2019 du 10 février 2020
Assurance-chômage; suspension du droit à l’indemnité; art. 30 al. 1 let. c et d LACI
Le tribunal cantonal des assurances ne peut pas, à la fois, admettre que le fait pour un potentiel nouvel employeur de réclamer une fiche de salaire du précédent emploi est discutable d’un point de vue civil et retenir que l’assuré a violé l’art. 30 al. 1 let. d LACI en refusant de livrer ces données. La suspension de 31 jours infligée pour ce motif n’est pas correcte. Il en va de même du motif tiré du fait que l’assuré a donné deux raisons contradictoires pour justifier son refus, d’une part que son ancien employeur ne délivrait pas de fiche de salaire et, d’autre part, que ces données tombaient sous le coup de la protection des données.
Le TF examine cependant si un autre motif ne justifie pas la suspension. Il rappelle que, dans le cadre d’une postulation, un assuré doit activement faire savoir qu’il se satisferait d’un salaire plus bas que celui qu’il touchait auparavant (8C_337/2008).
En l’espèce, l’assuré et le potentiel employeur admettent que l’entretien d’embauche a essentiellement porté sur la question du salaire et il y a des indices au dossier que l’embauche aurait finalement échoué en raison de la prétention salariale de l’assuré. L’assuré a cependant, dès la procédure d’opposition, fait valoir qu’il avait communiqué être très intéressé par le poste, même à un salaire plus bas. L’autorité cantonale n’ayant pas pris de constatation de fait à ce sujet, le TF renvoie la cause au tribunal cantonal afin qu’il détermine si l’assuré a eu un comportement fautif susceptible de justifier une suspension.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 4A_567/2019 du 10 février 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; procédure, maxime des débats, preuves; art. 28 LCR, 99, 105 al. 2 LTF; 55, 152, 157 CPC
Le litige porte sur le dédommagement dû par l’assureur (recourant) d’une personne responsable d’un double accident de la circulation. Le recourant estime que les juges cantonaux ont violé son droit d’être entendu, le principe de la maxime des débats et le droit à la preuve, respectivement de son appréciation.
Le TF rappelle qu’il ne procède à une appréciation des preuves qu’en cas d’appréciation manifestement arbitraire par les instances inférieures (c. 2.2), ce qui doit être explicite et détaillé de manière exhaustive par le recourant, étant précisé qu’il ne suffit pas d’énoncer des interprétations divergentes des moyens de preuves de la décision contestée, mais de démontrer, par des références précises au dossier, les appréciations juridiquement incorrectes (c. 2.3).
Il ne suffit pas non plus pour le recourant invoquant le grief de la violation du droit d’être entendu d’indiquer en quoi son opinion diverge de celle retenue par les juges cantonaux, il lui est nécessaire de démontrer concrètement quels arguments n’auraient pas été retenus ou ignorés à tort (c. 3.5.1 et 3.5.2).
Les juges cantonaux sont libres d’apprécier les preuves et ne violent pas le principe de la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC) en retenant un fait non allégué par les parties, tant qu’il émane de l’administration des preuves. En l’espèce, les juges cantonaux avaient retenu un diagnostic de « distorsion cervicale » ce que le recourant n’avait ni affirmé explicitement, ni exclu (c. 4.4.1 et 4.4.2).
Le droit à la preuve (art. 29 al. 2 Cst, 8 CC et art. 152 CPC) n’est pas violé lorsque le tribunal apprécie de manière anticipée des preuves et refuse d’administrer une expertise supplémentaire. Il appartient au recourant de démontrer dans quelle mesure l’expertise en question est indispensable (c. 5.2).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


ATF 146 I 1, TF 8C_444/2019 du 6 février 2020
Aide sociale, conditions minimales d’existence, avance de prestations, action en partage; art. 12 Cst.; 604 CC; 8, 9 al. 1 et 3, et 12 LIASI-GE
Quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine (art. 12 Cst.).
L’aide sociale est de la compétence des cantons. Selon l’art. 8 al. 1 LIASI-GE, ont droit à des prestations d’aide financière les personnes majeures qui ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien ou à celui des membres de la famille dont ils ont la charge. Ces prestations ne sont pas remboursables, sous réserve des art. 12 al. 2 et 36 à 41 LIASI (art. 8 al. 2 LIASI). Selon l’art. 9 al. 1 LIASI, les prestations d’aide financière versées en vertu de la loi sont subsidiaires à toute autre source de revenu. L’art. 9 al. 3 LIASI dispose qu’exceptionnellement, les prestations d’aide financière peuvent être accordées à titre d’avance sur prestations sociales ou d’assurances sociales, dans l’attente notamment de la liquidation d’une succession.
Pour apprécier si une personne est dans le besoin, il faut tenir compte des ressources qui sont immédiatement disponibles ou qui sont réalisables à court terme.
En l’espèce, la recourante, au bénéfice d’une rente invalidité, est propriétaire en main commune avec ses deux sœurs d’un bien immobilier, et dépasse ainsi les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d’aide financière. Ledit bien immobilier ne lui sert pas de demeure permanente et comprend de surcroît un logement inoccupé. Cet immeuble détenu en communauté héréditaire, qui fait l’objet d’une action en partage, ne constitue pas une ressource immédiatement disponible ou disponible à court terme et ne peut donc pas être prise en compte pour apprécier si une personne est dans le besoin. L’autorité compétente en matière d’aide sociale doit lui fixer un délai approprié afin d’ouvrir l’action en partage (art. 604 CC). Jusqu’à ce que le partage intervienne et que la demanderesse d’aide dispose ainsi de moyens propres pouvant être affectés à son entretien, l’Etat doit lui accorder une aide transitoire, sous forme d’avances remboursables. A défaut, l’autorité violerait l’art. 12 Cst.
En l’espèce, le TF a en effet constaté que rien ne justifiait de conditionner le versement de l’aide transitoire en question à la possibilité d’être qualifié de bénéficiaire des prestations financières de la LIASI. Si une personne remplit les conditions pour bénéficier des prestations financières de la LIASI, elle n’aurait a priori aucun intérêt à demander une avance sur la base de l’art. 9 al. 3 LIASI, étant rappelé qu’aux dires mêmes de l’autorité cantonale, les avances visées par cette disposition ne se différencient pas de l’aide financière générale. Autrement dit, le raisonnement des premiers juges vide de toute portée l’art. 9 al. 3 let. b LIASI et n’est pas soutenable. Le TF admet ainsi le grief d’application arbitraire du droit cantonal.
Dès lors, la requérante peut prétendre à des prestations sociales ordinaires sur la base de LIASI, qui sont dues à titre d’avance et qui devront être remboursées dès qu’elle disposera de sa part de succession. Le TF admet par conséquent partiellement le recours et renvoie la cause à l’autorité genevoise compétente pour le calcul de l’étendue des prestations financières à accorder à la requérante, compte tenu de ses besoins et de la réglementation cantonale.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 6B_1280/2019 du 5 février 2020
Responsabilité aquilienne; faute concomitante; Art. 44 CO
Dans le cadre d’un accident de la circulation, le TF examine le rôle de la faute concomitante d’un piéton, décédé à la suite de l’accident, qui s’était élancé sur un passage pour piétons juste avant que le signal passe en phase verte, la tête en bas, en regardant ses pieds, et sans se préoccuper de l’éventuelle présence de cyclistes. Quant au cycliste fautif, renvoyé pour homicide par négligence, il s’était approché du carrefour à une vitesse inadaptée en ignorant la signalisation.
Dans ce contexte, les juges fédéraux rappellent que la possibilité de réduire une indemnité pour tenir compte d’une faute concomitante existe également dans le cas d’une indemnité pour tort moral. Il y a faute concomitante lorsque le lésé omet de prendre des mesures que l’on pouvait attendre de lui et qui étaient propres à éviter la survenance ou l’aggravation du dommage ; autrement dit, si le lésé n’a pas pris les mesures qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, aurait pu et dû prendre dans son propre intérêt. La faute concomitante suppose que l’on puisse reprocher au lésé un comportement blâmable, en particulier un manque d’attention ou une attitude dangereuse, alors qu’il n’a pas déployé les efforts d’intelligence ou de volonté que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer aux règles de prudence.
Le TF, après avoir rappelé le large pouvoir d’appréciation du juge en la matière, confirme le jugement cantonal qui avait retenu à juste titre une faute concomitante du piéton, conduisant à une réduction de 25% des indemnités allouées à titre de réparation du tort moral.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne


TF 9C_292/2019 du 29 janvier 2020
Prévoyance professionnelle; procédure, autorité de chose jugée; art. 23 LPP
Dans cet arrêt du 29 janvier 2020 concernant un recours formé contre une décision cantonale du 12 mars 2019 de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève, le TF a considéré que vu la décision antérieure, du 20 septembre 2016, de ladite Chambre des assurances sociales dans une procédure opposant les mêmes parties et condamnant l’institution de prévoyance à payer à l’assuré des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle, la question de l’affiliation de cet assuré au moment de la survenance de son incapacité de travail avait déjà été tranchée de manière définitive et ne pouvait plus faire l’objet d’une nouvelle appréciation. La Haute Cour a dès lors admis le recours pour violation de l’autorité de force jugée.
Auteur : Guy Longchamp

TF 6B_1048/2019 du 28 janvier 2020
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; lésions corporelles simples par négligence, faute, procédure, plainte pénale; art. 30 et 125 CP; 118 et 304 CPP; 118 CPP
Dans un formulaire intitulé « Infractions poursuivies sur plainte », le fait d’omettre de cocher la case de la rubrique B « Je dépose plainte et participe à la procédure en tant que partie civile », tout en ayant complété cette rubrique avec la date, le lieu et sa signature ainsi qu’en ayant coché la case : « Je demande satisfaction » de la sous-rubrique, constitue malgré tout une plainte valable au sens de l’art. 304 CPP. Est décisif le fait que la victime ait rempli la rubrique B qui concerne la plainte pénale avec constitution de partie civile. Il serait absurde de considérer que la volonté de la victime ait été de renoncer à la plainte pénale, comme le prétendait le recourant, tout en voulant obtenir satisfaction dans le cadre d’une procédure pénale (c. 1.5).
La renonciation à porter plainte doit respecter les mêmes conditions formelles qu’une plainte pénale (art. 304 al. 2 CP). Elle doit être adressée, par écrit, à l’autorité compétente ou être enregistrée oralement. Le fait que la victime ait rempli la rubrique C « Je renonce à déposer une plainte », puis ait biffé les informations inscrites dans ladite rubrique, ne saurait être considéré comme une renonciation valable à porter plainte (c. 1.6).
Au sens de l’art. 47 al. 2 OCR, les piétons n’ont pas le droit de priorité lorsque le véhicule est déjà si près du passage qu’il ne lui serait plus possible de s’arrêter à temps. Dans ce contexte, lorsque le conducteur d’une voiture remarque un piéton à 15-20m du passage piéton, qu’il ralentit plusieurs mètres avant le passage et que la collision avec la victime a lieu au milieu du passage, il ne saurait être reconnu comme ayant le droit de priorité. Dès lors, le conducteur a violé les devoirs qui lui incombaient (c. 2.2).
Auteure : Me Muriel Vautier Eigenmann, avocate à Lausanne



TF 4A_427 et 435/2019 du 28 janvier 2020
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières LCA, assurance de somme, surindemnistation; art. 96 LCA
Le contrat d’assurance qui prévoit le versement d’indemnités journalières en faveur de l’assuré, en l’espèce un indépendant, même lorsque celui-ci ne subit aucune perte effective sur le plan économique, doit être considéré comme une assurance de somme. Le montant de l’indemnité journalière varie donc exclusivement en fonction du degré d’incapacité de travail de l’assuré.
Le TF rappelle que dans la mesure où la compagnie d’assurance ne somme pas formellement l’assuré de reprendre une activité adaptée dans un délai approprié, la compagnie ne peut pas interrompre le versement des indemnités journalières.
Il précise encore que dès lors qu’il s’agit d’une assurance de sommes et que l’assuré présente une incapacité totale d’exercer son activité habituelle, l’assuré peut prétendre à des indemnités journalières entières.
L’assuré peut par ailleurs cumuler les prétentions en versement des indemnités journalières prévues par le contrat d’assurance avec d’autres prétentions en raison du même événement dommageable ; la prestation de l’assureur de somme est due indépendamment du point de savoir si l’ayant droit reçoit des prestations de la part d’autres assureurs ou d’un tiers responsable. Il n’en demeure pas moins que la surindemnisation de l’ayant droit est possible et, conformément à l’art. 96 LCA, les droits que l’ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l’assureur. Les prestations versées par un assureur social ne peuvent pas être imputées sur les allocations journalières dues par l’assureur privé à moins, bien entendu, que les CGA ne prévoient une telle imputation.
En l’espèce, les CGA permettent certes à l’assureur d’exiger le remboursement des indemnités journalières versées à l’assuré lorsque celui-ci a aussi perçu des prestations d’un assureur social, in casu l’AI. Cependant, à teneur de ladite clause, le « remboursement porte sur un montant correspondant à la rente due au cours de la même période ». Il appert que la compagnie d’assurance n’a jamais déclaré compenser les montants dus avec la prétention en remboursement des demi-rentes d’invalidité perçues par l’assuré pendant une période donnée, ni a fortiori chiffré sa créance compensante. Dans ces conditions, les rentes d’invalidité relatives à la période en question ne peuvent pas être imputées aux indemnités journalières perçues par l’assuré.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

TF 9C_560/2019 du 21 janvier 2020
Assurance-invalidité; expertise pluridisciplinaire, assistance judiciaire; art. 17 et 61 let. c et f LPGA; 29 al. 3 Cst.
Après une expertise pluridisciplinaire effectuée dans le cadre d’une révision auprès du Centre d’expertise ZIMB de Schwytz, la rente d’invalidité entière d’une assurée est supprimée par l’AI. La recourante invoque, tant au niveau cantonal que fédéral, une violation de la procédure probatoire dite des indicateurs (ATF 141 V 281).
Selon le TF, le fait qu’au rang des ressources ait été compté l’un des deux enfants de l’assurée pourtant lui-même en situation de handicap, ne saurait invalider l’expertise du ZIMB, ce d’autant que les experts se sont exprimés à ce sujet au chapitre des comorbidités. Partant, c’est à bon droit, selon le TF, que l’AI et les juges cantonaux ont retenu que l’assurée ne présentait plus de troubles dépressifs et que sa capacité de travail dans son métier de base, légèrement adapté sur le plan somatique pour ménager sa nuque et ses cervicales, pouvait être considérée comme entière.
Par ailleurs, sur le plan de l’assistance judiciaire gratuite, le TF rappelle que c’est à l’assuré(e) d’exposer complètement sa situation financière, ce que n’a pas fait en l’espèce l’assurée, laquelle a omis de mentionner une copropriété immobilière à l’étranger. Cependant, si l’autorité ou l’instance a des doutes, il lui appartient alors d’éclaircir ce point en interpellant l’assuré(e), conformément à l’art. 61 let. c LPGA, ce que n’a pas fait la cour cantonale en l’espèce.
Compte tenu du devoir de collaboration respecté par la production, devant le TF, de nouveaux moyens de preuve (preuve de la transmission de la propriété à sa fille), l’assurée obtient gain de cause en ce qui concerne l’assistance judiciaire gratuite.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion

ATF 146 V 87, TF 9C_460/2018 du 21 janvier 2020
Assurance-invalidité; rentes pour enfants, réfugié, enfants domiciliés à l’étranger; art. 6 et 35 LAI; 18 al. 2 LAVS; 58 et 59 LAsi; 24 al. 1 let. b CR; 1 al. 1 ARéf
Au bénéfice d’un statut de réfugié depuis 1994, un ressortissant tchadien s’est vu octroyer une rente AI en 2005. Dans un deuxième temps, il sollicite en plus le versement de deux rentes pour enfant pour ses filles nées hors mariage en 2006 et 2012 et qui vivent en France.
L’office AI refuse l’octroi de ces rentes notamment aux motifs que l’assuré n’est pas de nationalité suisse et ne vient pas d’un Etat lié par une convention de sécurité sociale avec la Suisse ; selon le texte clair de l’art. 1 al. 1, 2e phrase ARéf (arrêté fédéral concernant le statut des réfugiés et des apatrides dans l’assurance-vieillesse et survivants et dans l’assurance-invalidité), toute personne pour laquelle une rente est octroyée doit personnellement satisfaire à l’exigence du domicile et de la résidence habituelle en Suisse. Etant domiciliées en France, les filles de A. ne remplissent donc pas cette exigence. Au surplus, les enfants en question ne possèdent ni la nationalité suisse, ni celle d’un pays de l’UE/AELE.
Appelé a tranché le recours de l’office AI, le TF confirme l’interprétation de l’instance cantonale selon laquelle l’art. 1 al. 1, 2e phrase ARéf contrevient aux dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés (CR) ratifiée par la Suisse, notamment à son art. 24 al. 1 let. b qui consacre une égalité de traitement entre les résidents nationaux et les réfugiés (c. 8.2.1).
Ce qui est cependant décisif dans le cas d’espèce, c’est qu’il n’est pas démontré que le législateur suisse ait spécifiquement souhaité déroger au principe de l’égalité de traitement consacré par la Convention relative au statut des réfugiés (CR) en subordonnant les réfugiés à la réalisation de conditions plus restrictives que les ressortissants suisses en ce qui concerne les cas où l’AVS ou l’AI seraient appelées à verser des rentes pour des enfants qui résident à l’étranger (c. 8.3.4).
En conclusion, A. a le droit de bénéficier de rentes pour enfants pour ses filles de nationalité étrangère et domiciliées en France.
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge


TF 8C_864/2018 du 21 janvier 2020
LAssurance-chômage; droit cantonal genevois, allocation de retour à l’emploi, restitution; art. 30 al. 1 LMC GE; 32 al. 2 aLMC GE
L’octroi d’allocations de retour à l’emploi n’a pas pour but de subventionner l’engagement de salariés par les entreprises, mais vise la réinsertion de personnes au chômage. Par conséquent, la demande de restitution en cas d’échec de la réinsertion ne constitue pas une sanction administrative mais une mesure destinée à éviter le recours abusif à de telles allocations. Sous l’angle restreint de l’arbitraire, le TF confirme l’absence d’application de la lex mitior, entrée en vigueur après l’admission de la demande et après le licenciement intervenu ensuite (c. 4).
En l’absence de circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, auraient permis à l’employeur de mettre fin au contrat avec effet immédiat (justes motifs de l’art. 337 CO), le TF confirme la décision de restitution des allocations perçues. Le TF renonce à examiner si le fait d’exiger que l’employeur ait de surcroit formellement procédé à un licenciement avec effet immédiat a pour effet de restreindre la liberté économique de façon contraire au principe de la proportionnalité (c. 5.3).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds
Note : la notion de « justes motifs au sens de l’art. 337 CO » de l’art. 32 aLMC a été remplacée par celle de « cas de résiliation pour des motifs sérieux et justifiés » de l’art. 36B al. 2 LMC avec effet au 1er octobre 2017.

ATF 146 V 74, TF 8C_523/2019 du 21 janvier 2020
Assurance-accidents; surindemnisation, diminutions de revenu subies par les proches; art. 69 al. 2 LPGA
Un assuré est victime d’un grave accident de travail et devient invalide avec de multiples séquelles. Son épouse développe un choc post-traumatique qui la rend incapable de travailler. L’assuré demande à la Suva de tenir compte de la diminution de revenu de son épouse lors du calcul de surindemnisation (art. 69 al. 2 LPGA). La Suva refuse. L’instance cantonale rejette le recours de l’assuré au motif que les conditions du « Schockschaden » ne sont pas remplies du point de vue du droit civil ni, fortiori, du point de vue du droit des assurances sociales (c. 4.1).
Le TF se livre à une interprétation approfondie de l’art. 69 al. 2 LPGA et parvient à la conclusion que seules les diminutions de revenu des proches causées par un besoin de soins et d’assistance à la personne assurée peuvent être prises en compte dans le calcul de surindemnisation, à l’exclusion d’une perte économique due à une atteinte à la santé psychique du proche, malgré la formulation a priori ouverte de l’art. 69 al. 2 LPGA. La question de savoir si le choc post-traumatique répond aux conditions du « Schockschaden » n’est pas déterminante à cet égard (c. 5.2 à 5.4).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


ATF 146 V 28, TF 9C_249/2019 du 20 janvier 2020
Prévoyance professionnelle; liquidation partielle, transfert des réserves de fluctuation de valeurs; art. 27h aOPP2
Le TF confirme que dans le cadre d’une liquidation partielle, l’effectif sortant a droit, même en application de l’ancien art. 27h OPP2, à une partie de la réserve de fluctuation de valeurs (RFV). Pour arriver à cette conclusion, les juges fédéraux ont rappelé que le contrat d’affiliation constitue un élément important à prendre en considération lors de l’examen du droit à des réserves. En l’espèce, quand bien même l’art. 10 du contrat d’affiliation ne fait pas expressément référence à la RFV, il prévoit néanmoins qu’en cas de sortie collective consécutive à la résiliation dudit contrat, l’ancienne institution de prévoyance doit transférer, en sus notamment des prestations de sortie, une part proportionnelle « du reste de la fortune de la fondation » (« verhältnismässigen Anteil am übrigen Vermögen der Stiftung ») à la nouvelle institution de prévoyance. Pour la Haute Cour, et contrairement à l’avis du TAF, la RFV fait partie de la fortune qui doit suivre l’effectif sortant et ce, dans le cas d’espèce, indépendamment du fait de savoir sous quel mode (en espèces par exemple) les autres réserves ont été transférées.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_461/2019 du 14 janvier 2020
Assurance-chômage; droit cantonal vaudois, indemnités de chômage, perte de gain maladie; art. 19a et 19e LEmp VD; 28 LACI; 9 et 29 al.1 Cst.
Le litige concerne le droit aux prestations prévues par le droit cantonal vaudois en cas d’incapacité de travail à caractère provisoire d’une personne au chômage (APGM). L’intéressé se voit supprimer son droit aux prestations APGM au 1er juin 2018, au motif que son incapacité de travail ne peut plus être considérée comme provisoire. Il forme ainsi un recours en matière de droit public au TF.
L’APGM est une assurance de droit cantonal (art. 19a à 19s LEmp) visant le versement de prestations complémentaires aux chômeurs se trouvant en incapacité provisoire de travail – totale ou partielle – en raison de maladie ou de grossesse et ayant épuisé leur droit aux indemnités de chômage selon le droit fédéral (art. 28 LACI).
La notion d’incapacité provisoire de travail a été considérée par la juridiction cantonale comme synonyme de celle d’incapacité passagère, consacrée à l’art. 28 LACI. Toutefois, il ne peut être pris en compte seulement la durée de l’incapacité : il convient ainsi d’apprécier les circonstances du cas d’espèce afin de conclure à une incapacité provisoire, durable ou encore définitive. Dans le cas d’espèce, les juges cantonaux ont considéré qu’il s’agissait d’une incapacité de travail de longue durée, tout en réservant le caractère définitif de celle-ci, cette question pouvant restée indécise.
L’intéressé fait valoir la violation de son droit d’être entendu au vu du refus de la mise en œuvre d’une expertise ayant pour but d’établir le caractère provisoire de son incapacité de travail. Le TF considère ce premier grief comme mal-fondé, estimant que l’autorité compétente peut clore l’instruction lorsque qu’elle considère que les preuves administrées jusque-là lui suffisent à se « forger une conviction », procédant de la sorte à une appréciation anticipée et non arbitraire des preuves, qu’elle estime ne plus pouvoir lui faire changer d’opinion.
Le recourant considère ensuite que l’autorité précédente a versé dans l’arbitraire dans son interprétation et dans son application du droit cantonal. Il estime en effet que les juges cantonaux ont dénié le caractère provisoire de son incapacité de travail en ne tenant pas compte des circonstances du cas d’espèce. Le TF considère que ce faisant, le recourant fait valoir un grief à l’encontre de l’établissement des faits et de l’appréciation des preuves et non contre l’interprétation du droit cantonal. Les juges fédéraux estiment que la juridiction précédente n’a pas apprécié les avis médicaux « de façon insoutenable » et n’a pas non plus appliqué le droit cantonal de manière arbitraire.
Le recours est ainsi rejeté.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

ATF 146 V 1, TF 8C_402/2019 du 14 janvier 2020
Assurance-accidents; principes généraux, exécution d’une créance en remboursement, péremption; art. 24 al. 1 LPGA; 16 al. 1 et 2 LAVS
Il s’agit dans cette affaire de distinguer entre le point de départ du délai de péremption pour la fixation d’une prestation due par l’assureur et le point de départ du délai de péremption pour le versement de cette créance.
L’art. 24 al. 1 LPGA règle le point de départ du délai de péremption pour la fixation d’une créance en remboursement. Cette disposition ne règle toutefois pas le point de départ de la péremption de l’exécution d’une créance déjà fixée. Pourtant, le droit actuel a clairement établi une distinction entre la fixation et l’exécution d’une créance fixée (art. 16 al. 1 et 2 LAVS). Il y a donc une lacune dans la loi à combler (c. 8.1).
Selon la jurisprudence antérieure, un délai de péremption pour recouvrer des prestations allouées par une décision entrée en force est de dix ans (ATF 127 V 209). Le TF estime qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de cette jurisprudence. Au lieu de l’art. 67 CO, il peut être fait référence au délai ordinaire de l’art. 127 CO par analogie. Il n’est en effet pas nécessaire de fixer un bref délai pour des motifs de sécurité juridique, dans la mesure où la prestation fixée et le montant dû sont claires (c. 8.2.2).
Le délai d’exécution est donc de dix ans pour une rente qui a été définitivement fixée (c. 8.3). Ce délai court depuis la date de la décision définitive et exécutoire rendue par l’assureur social.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 4A_58/2019 du 13 janvier 2020
Assurances privées; assurance perte de gain, point de départ des intérêts moratoires; art. 39 et 41 LCA; 102 CO
Un assureur interrompt le versement des indemnités journalières maladie après trois mois de paiement, au motif que l’expertise médicale qu’il a diligentée aboutit à une pleine capacité de travail de l’assurée. L’assurée dépose une demande en paiement contre l’assureur. Dans le cadre de la procédure, une expertise judiciaire est ordonnée. Celle-ci confirme l’incapacité totale de travailler de l’assurée, qui a entretemps été mise au bénéfice d’une rente entière de l’AI. La Cour cantonale condamne l’assureur à verser ses prestations avec intérêts à 5 % l’an dès le 6 novembre 2018, soit quatre semaines après la prise de connaissance de l’expertise judiciaire par l’assureur.
Le TF casse ce jugement en ce qui concerne le dies a quo des intérêts moratoires. Celui-ci doit être fixé en tout cas au lendemain de la notification à l’assureur de la demande en justice, le 19 novembre 2016, comme réclamé par l’assurée, voire plus tôt. En effet, l’assurée a pleinement satisfait à son devoir de collaborer et a étayé ses prétentions. Les prétentions étaient donc exigibles lors de l’introduction de la demande en justice et cette dernière valait interpellation.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 4A_350/2019 du 9 janvier 2020
Responsabilité aquilienne; responsabilité de l’avocat, causalité; art. 398 al. 2 CO
Un avocat se voit reprocher de ne pas avoir soumis au juge du divorce un avenant à la convention de divorce portant sur des immeubles situés en Italie, empêchant ainsi l’ex-épouse d’obtenir en justice le versement de montants qui devaient lui revenir. Elle reproche à l’avocat de ne pas l'avoir renseignée sur les risques présentés par un avenant non contraignant.
Le TF opère une distinction selon que l’acte reproché est une action ou une omission :
- lorsque le manquement reproché au défendeur est lié à une action, le rapport de causalité naturelle existe dès que l'acte commis a entraîné le dommage. Si le demandeur parvient à établir ce lien, le défendeur peut soulever l’objection fondée sur le « comportement de substitution licite ». Il lui appartient d’alléguer et de prouver que le dommage aurait été causé même s’il avait agi conformément au droit. S’il y parvient, la causalité est dite dépassée et sa responsabilité n’est pas engagée ;
- en revanche, lorsque le manquement reproché au mandataire est une omission, le rapport de causalité est nécessairement hypothétique (une inaction ne pouvant pas modifier le cours extérieur des événements), de sorte qu’à ce stade déjà, il faut se demander si le dommage aurait été empêché dans l’hypothèse où l’acte omis aurait été accompli. Dans l’affirmative, il convient d’admettre l’existence d’un rapport de causalité entre l’omission et le dommage.
Partant, le TF considère que juger de la causalité naturelle dans le cas d’une omission règle le sort de l’objection fondée sur le comportement de substitution licite, puisque cette objection présuppose une interrogation fondée sur la même hypothèse (le dommage aurait-il été empêché dans l’hypothèse où l’avocat aurait agi conformément au droit ?).
Le TF se penche ensuite sur la question de savoir si c’est à bon droit que la Cour de justice a reconnu l’existence d’un lien de causalité naturelle. Il explique en effet que lorsque le rapport de causalité est hypothétique (comme c’est le cas en l’espèce), le juge doit fonder son analyse sur l’expérience générale de la vie et doit ainsi émettre un jugement de valeur.
Le TF rappelle également que lorsque le lien de causalité (naturelle) hypothétique entre l’omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité.
Le TF a considéré alors que l’omission de l’avocat d’informer sa cliente que l’avenant signé n’avait pas d’effet contraignant ne suffisait pas à elle seule pour admettre la causalité naturelle avec le dommage. Pour établir ce rapport de causalité, l’épouse aurait encore dû alléguer et prouver par exemple que son époux aurait confirmé son accord avec cet avenant après le délai de réflexion de deux mois et que le juge l’aurait homologué dans le cadre de la procédure sur requête commune. Le rapport de causalité naturelle n’étant pas démontré, le recours de l’avocat a été admis.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 9C_601/2019 du 7 janvier 2020
Assurance-invalidité; invalidité, atteinte à la santé, retard mental; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI
Le TF rappelle qu’en cas de retard mental, un QI de 70 et plus conduit à l’exclusion d’une atteinte à la santé invalidante. A l’inverse, lorsque le QI est inférieur à 70, une diminution de la capacité de travail est en principe admise. Cela dit, il convient là aussi d’examiner toutes les limitations fonctionnelles, le score au test de QI ne permettant pas à lui seul de tirer des conclusions quant à l’incapacité de travail.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 8C_541/2019 du 23 décembre 2019
Assurance-invalidité; troubles psychiques, coup du lapin, changement de jurisprudence, nouvelle demande, absence d’aggravation; art. 4 LAI; 87 al. 2 et 3 RAI
La nouvelle jurisprudence sur le caractère invalidant des troubles psychiques (ATF 143 V 409 et 418) n’est pas un motif en soi suffisant pour justifier une nouvelle demande de prestations au sens de l’art. 87 al. 2 et 3 RAI. Il faut en effet que la personne assurée rende vraisemblable une modification des circonstances depuis que la décision précédente est entrée en force, de manière à influer sur le taux d’invalidité.
Le TF rappelle que dans cette mesure, le devoir d’instruire d’office ne s’applique pas lorsqu’il s’agit d’établir le bien fondé de l’entrée en matière sur la nouvelle demande de prestations.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_567/2019 du 23 décembre 2019
Assurance-invalidité; impotence, évaluation, aide à la toilette, surveillance personnelle, besoin d’accompagnement; art. 9 LPGA; 42 LAI; 37 RAI
Un assuré souffrant d’une sclérose en plaques a obtenu une allocation pour impotent de degré faible au motif qu’il ne peut pas effectuer seul deux actes de la vie courante, soit manger (couper les aliments) et faire sa toilette. Il contexte le degré de l’impotence.
Il plaide d’abord son besoin d’une surveillance personnelle permanente, en raison du risque accru de chutes à l’entrée ou à la sortie de la baignoire et en raison du risque accru de chutes lié à l’augmentation de la fatigue au cours de la journée. Selon le TF, comme le besoin d’aide pour l’acte de « faire sa toilette » a déjà été admis, il ne peut être retenu un besoin de surveillance permanente pour les risques de chutes liés à l’entrée et à la sortie de la baignoire. S’agissant des risques liés à la fatigue, le TF a retenu que les constatations médicales y relatives étaient postérieures à la décision administrative, de sorte qu’elles ne pouvaient pas être prises en compte dans le présent litige, mais pourraient justifier une demande de révision. De plus, comme le risque accru de chute est, en l’espèce, lié à l’augmentation de la fatigue durant la journée et survient dans des situations prévisibles, il peut être diminué par l’utilisation de moyens auxiliaires.
Il allègue ensuite avoir besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie et que cet accompagnement ne saurait être exigé de la part de son ex-épouse, vivant sous le même toit.
Le besoin d’accompagnement doit être apprécié en deux temps, soit, dans un premier temps, par une analyse objective de l’état de santé de la personne concernée et, dans un second temps, par une appréciation de l’exigibilité d’une assistance de la part des membres de la famille, celle-ci ne devant pas devenir excessive ou disproportionnée. Un membre de la famille ne saurait ainsi assumer toutes les tâches ménagères de l’assuré, si cela ne correspondait pas à la situation antérieure à l’impotence.
En l’espèce, le fait que l’ex-épouse de l’assuré continue d’habiter sous le même toit que lui justifie que son aide soit prise en considération. Cependant, pour déterminer dans quelle mesure son aide est exigible, il convient de connaître quelle était la répartition des tâches ménagères dans le couple avant l’impotence de l’assuré. Le TF a ainsi admis partiellement le recours et renvoyé la cause à l’office intimé pour compléments.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 4A_107/2020 du 23 décembre 2019
Assurances privées; contrat d’assurance indemnités journalières en cas de maladie, notion de rechute, suspension, clause d’exclusion; art. 20 al. 3 et 33 LCA
Une esthéticienne indépendante, au bénéfice d’une couverture d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, réclame des prestations pour une période d’incapacité de travail subie du 17 février au 30 juin 2016, puis pour la période du 10 août 2016 au 31 août 2018. Ces deux périodes d’incapacité de travail sont la conséquence de la même maladie. L’assureur a refusé ses prestations, au motif qu’au début de l’incapacité de travail, l’assurée était en demeure de payer la prime convenue et n’avait pas donné suite à la sommation qui lui avait été notifiée (art. 20 LCA). L’assureur invoque la suspension de la couverture, conformément à l’art. 20 al. 3 LCA. La compagnie d’assurances a également refusé la couverture pour la deuxième période d’incapacité de travail, invoquant qu’elle résultait de la même maladie et qu’elle était atteinte par la suspension de la couverture. Le litige porté devant le TF ne porte que sur les prestations réclamées en rapport avec la deuxième période d’incapacité de travail.
A teneur de l’art. 33 LCA, l’assureur répond de tous les événements qui présentent le caractère du risque, contre les conséquences duquel l’assurance a été conclue, à moins que le contrat n’exclue certains événements d’une manière précise et non équivoque. Le TF a adhéré au raisonnement des premiers juges, selon lesquels la clause des conditions générales intitulée « rechute », invoquée par l’assureur, avait pour but d’éviter à cette compagnie d’assurances d’avoir à fournir des prestations plus d’une fois par année en rapport avec la même maladie. Il en déduit que selon la définition énoncée dans ces conditions générales, la rechute supposait que l’assureur ait auparavant versé des prestations. Il s’agit d’une condition indépendante, qui n’a aucun rapport avec la maladie à l’origine d’un événement effectivement – ou prétendument – assuré.
Faute de prestations versées pour la première période d’incapacité de travail, la deuxième période d’incapacité de travail ne peut être considérée comme une rechute, selon cette définition. Le TF rappelle qu’au stade de la rédaction des conditions générales, l’assureur peut y prévoir à son gré toutes les exclusions qu’il trouve nécessaires ou opportunes ; il lui incombe toutefois de les spécifier de manière « précise et non équivoque » selon les termes de l’art. 33 LCA. A défaut, l’interprétation selon le principe de la confiance ne lui permet pas de corriger une clause d’exclusion après qu’un événement lui a été annoncé. L’assureur n’est pas autorisé à élargir la définition de la rechute dans le cas d’espèce.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

ATF 146 V 16, TF 8C_378/2019 du 18 décembre 2019
Assurance-invalidité; taux d’invalidité, abattement, parallélisme des revenus; art. 8 al. 1 et 16 LPGA; 28 LAI
La question de savoir si un abattement par rapport aux salaires de l’ESS est admissible est une question de droit que le TF peut examiner librement. La quotité de l’abattement constitue en revanche une question d’appréciation, qui n’est contestable qu’en cas de violation du pouvoir d’appréciation (c. 4.2).
Le statut de frontalier peut justifier un abattement. On peut aussi en tenir compte au niveau du parallélisme des revenus. On ne peut toutefois tenir compte de ce facteur à deux reprises (c. 6.2.1). Les conditions de la déduction résultant du parallélisme des revenus à comparer et de l’abattement pour circonstances personnelles et professionnelles sont dans une relation d’interdépendance, dans la mesure où les mêmes facteurs qui ont une influence sur le revenu ne peuvent pas justifier à la fois une déduction en raison du parallélisme des revenus à comparer et un abattement pour circonstances personnelles et professionnelles. En l’espèce, le TF ne retient pas le statut de frontalier : la différence de revenu est inférieure aux 5 % admis pour un parallélisme, si bien que l’on ne peut retenir quoi que soit au niveau de l’abattement.
L’âge peut également justifier un abattement. Encore faut-il qu’il y ait une implication concrète (c. 7). Etant donné le niveau de formation de l’assuré, il n’y a pas lieu de tenir compte de l’âge, qui pourrait même avoir un effet positif sur le revenu.
Etant donné que le TF rejette les facteurs « statut de frontalier » et « âge », le taux d’abattement passe de 15 % à 10 %. L’assuré a droit à un quart de rente basé sur un taux d’invalidité de 47 % et non à une demi-rente.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 6B_1159/2019 du 11 décembre 2019
Responsabilité de l’Etat; procédure, qualité pour recourir en matière pénale, conclusions civiles, prétentions de droit public; art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF
Selon l’art. 81 al. 1 let. b ch. 4 et 5 LTF, la partie plaignante a qualité pour former un recours en matière pénale si la décision attaquée peut avoir des effets sur ses prétentions civiles. Des prétentions de droit public – ce qui englobe également les prétentions émanant de la responsabilité de l’Etat – ne sont pas des prétentions civiles au sens de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF. Celles-ci ne peuvent dès lors pas être revendiquées par voie d’adhésion dans le cadre d’une procédure pénale.
En l’espèce, le dommage qui aurait été causé par des prétendus manquements d’un juge civil, de deux procureurs et de l’ensemble de la section pénale du Tribunal cantonal de Bâle-Campagne devrait être pris en charge par le canton, conformément à la loi cantonale sur la responsabilité du canton et des communes. Le plaignant peut ainsi, cas échéant, faire valoir des prétentions en responsabilité de l’Etat. Toutefois, il ne peut faire valoir aucune prétention en responsabilité civile à l’encontre des collaborateurs. Par conséquent, le plaignant n’a pas la légitimation active pour former un recours en matière pénale.
Indépendamment du manque de légitimation sur le fond, la partie plaignante est habilitée à se plaindre d’une violation de ses droits de partie équivalent à un déni de justice sans toutefois pouvoir faire valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent être séparés du fond. Ne peuvent ainsi être invoqués des griefs qui, au bout du compte, mènent à une vérification matérielle de la décision attaquée.
En l’espèce, le plaignant ne démontre pas de quelle manière ses droits procéduraux auraient été violés de telle sorte que cela représenterait un déni de justice. De toute façon, les griefs du plaignant visent la légalité de la décision de non-entrée en matière et ainsi une vérification matérielle de cette dernière. Ils sont par conséquent irrecevables.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 4A_430/2019 du 9 décembre 2019
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; préjudice ménager, non pondération des données statistiques; art. 46 al. 1 CO
Le fait qu’une lésée consacrait à son activité professionnelle plus de temps que la moyenne des personnes actives à plein temps ne permet pas de retenir, en l’absence d’autres indications factuelles, qu’elle était moins active que la moyenne au sein de son ménage. Dans le cadre de la prise en considération des statistiques pour définir le préjudice ménager, il n’y a dès lors pas lieu d’adapter à la baisse les données statistiques usuelles en fonction de cet élément. De la même manière, l’approche normative de ce préjudice exclut d’adapter à la hausse ces données, en présence d’un appartement particulièrement grand, de la prise en charge de trois chats, d’une activité culinaire intensive ou encore d’un travail très soutenu de soins aux vêtements en raison de la profession de tenancière de bar de la lésée (c. 2.5).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


ATF 146 V 9, TF 9C_413/2019 du 4 décembre 2019
Assurance-invalidité; expertise, expert mandaté, auxiliaire, droit d’être entendu, récusation; 44 LPGA
Selon l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. Par expert au sens de de l’art. 44 LPGA, il faut comprendre le sujet mandaté en sa qualité de personne physique qui effectue l’expertise et en porte la responsabilité. La communication du nom de l’expert – notamment en cas d’expertise auprès d’un centre d’observation médicale (COMAI) – doit permettre à l’assuré de savoir s’il a un motif de récusation à son encontre ; la communication doit avoir lieu suffisamment tôt pour que l’AI puisse, cas échéant, se prononcer avant le début de l’expertise sur les objections de l’assuré.
En qualité de mandant, l’assureur a droit à ce que l’expertise soit effectuée par la personne mandatée, la substitution ou le transfert, même partiels, du mandat à un autre spécialiste supposant en principe l’autorisation du mandant. Cela découle également des droits de participation de l’assuré en lien avec l’art. 44 LPGA. L’obligation d’exécuter personnellement l’expertise n’exclut cependant pas que l’expert recoure à l’assistance d’un auxiliaire agissant selon ses instructions et sous sa surveillance pour effectuer certaines tâches secondaires, comme p.ex. des tâches techniques (analyses), ou des travaux de recherche, de rédaction, de copie ou de contrôle. Une telle assistance n’équivaut pas à une substitution de mandataire soumise à l’accord de l’assureur à condition que la responsabilité de l’expertise médicale, en particulier la motivation et les conclusions de celle-ci ainsi que la réponse aux questions d’expertise restent en mains de l’expert mandaté. Il est en effet essentiel que l’expert mandaté accomplisse personnellement les tâches fondamentales d’une expertise médicale en droit des assurances, ayant précisément été mandaté en raison de son savoir, de ses connaissances scientifiques spécifiques et de son indépendance. Font ainsi partie des tâches fondamentales d’expertise qui ne peuvent pas être déléguées, la prise de connaissance du dossier dans son ensemble et son analyse critique, l’examen de la personne soumise à l’expertise ou le travail intellectuel de réflexion portant sur l’appréciation du cas et les conclusions, dans un cadre éventuellement interdisciplinaire. L’obligation de communication du nom de l’expert chargé de l’expertise ne s’étend pas au tiers qui assiste l’expert pour des activités annexes ne faisant pas partie des tâches fondamentales d’expertise.
Ne peut être considéré comme un simple auxiliaire accomplissant une tâche secondaire le médecin qui est chargé par l’expert d’établir l’anamnèse de base de la personne, d’analyser et de résumer le dossier médical ou de relire le rapport pour vérifier la pertinence des conclusions. Dans ces situations, l’activité intellectuelle du médecin peut en effet avoir une influence sur le résultat de l’expertise (p.ex. résumer le dossier médical implique déjà une analyse avec marge d’appréciation dans la sélection des données). Le nom de la personne chargée de ces tâches doit être communiqué au préalable à l’assuré.
En l’occurrence, dans le cadre d’une expertise diligentée par des médecins du CEMed, le dossier avait été analysé et résumé par un médecin tiers ne participant pas aux examens ; le même médecin ou un autre médecin n’ayant pas examiné l’expertisé avait également été chargé de relire l’expertise pour juger de la clarté du texte et de la pertinence des conclusions. Le nom des médecins en cause ne figurait pas dans l’expertise et n’avait pas été communiqué au recourant au préalable. Les tâches de ces médecins agissant comme auxiliaires des experts ne pouvaient pas être considérées comme secondaires puisqu’elles avaient contribué au résultat de l’expertise. Le nom de ces médecins aurait dû être communiqué au préalable au recourant conformément à l’art. 44 LPGA. Le non-respect de cette exigence constituait une violation des droits de participation de l’assuré et d’être entendu.
En revanche, le défaut formel dont était entachée la procédure d’expertise n’a pas conduit à écarter d’emblée le rapport du CEMed, contrairement aux conclusions prises par le recourant. Étant donné que celui-ci avait eu connaissance au préalable du nom des experts ayant procédé aux tâches fondamentales d’expertise, le fait qu’il n’ait pas eu connaissance du nom des médecins auxiliaires étant intervenus de manière ponctuelle ne constituait pas une violation du droit d’être entendu si grave qu’elle ne serait pas susceptible de réparation. A cette fin, le recourant a été replacé dans la situation dans laquelle il pouvait reconnaître s’il entendait ou non soulever un motif de récusation à l’encontre du ou des médecins auxiliaires impliqués. La cause a donc été renvoyée à l’office AI pour qu’il communique le nom des médecins en cause au recourant et que celui-ci puisse se prononcer sur un éventuel motif de récusation, l’office AI devant ensuite rendre une nouvelle décision sur le droit du recourant à une rente d’invalidité.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 8C_510/2019 du 3 décembre 2019
Assurance-invalidité; mesures professionnelles; art. 16 al. 2 let. c et 17 al. 1 LAI; 5bis RAI
Victime d’une infirmité congénitale, A. a bénéficié de mesures professionnelles de l’assurance-invalidité pour effectuer une formation initiale d’employée de commerce et un brevet fédéral en assurances sociales. Par ailleurs, A. a été mise au bénéfice d’une demi-rente.
Dans le contexte d’une demande de prise en charge d’une nouvelle formation complète en tant que travailleuse sociale, le TF rappelle qu’un perfectionnement professionnel est également possible dans un autre domaine que celui exercé jusqu’alors (art. 16 al. 2 let. c LAI). L’objectif de celui-ci n’est pas seulement le maintien et l’amélioration de la capacité de gain d’une personne assurée, mais peut également être motivé par le souhait d’exercer une activité professionnelle plus variée et plus intéressante (c. 5.3 et 5.4).
Indépendamment du fait que l’assurance-invalidité fédérale a déjà offert à A. une formation professionnelle initiale et qu’elle serait à ce stade suffisamment réadaptée, une prise en charge des frais supplémentaires liés à un perfectionnement professionnel au sens de l’art. 5bis RAI est possible lorsque lesdits frais supplémentaires excèdent de CHF 400.- par année pour la personne invalide en comparaison de ceux qu’une personne non atteinte dans sa santé devrait probablement assumer pour la même formation (c. 5.2 et 5.4).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

ATF 145 V 361, TF 9C_808/2018 du 2 décembre 2019
Assurance-invalidité; troubles psychiques, procédure probatoire structurée, distinction entre fait et droit; art. 43 et 44 LPGA
Dans cette affaire concernant l’évaluation de l’incapacité de gain d’une personne atteinte de troubles psychiques au moyen de la procédure probatoire structurée (ATF 141 V 281), le TF tente de tracer une distinction entre ce qui relève du fait et ce qui relève du droit ou, en d’autres termes, des compétences des médecins, respectivement des experts, et des compétences des juges.
Insistant sur le fait qu’une évaluation parallèle par les magistrats (« Paralellüberprüfung » (c. 3.2.2), détachée de l’appréciation médicale, n’est pas autorisée, le TF indique en substance que la tâche du juge est de contrôler si et dans quelle mesure les médecins ont respecté le cadre normatif du catalogue d’indicateurs correspondant aux questions qui leur sont posées (c. 3). Ce contrôle est nécessaire parce que l’évaluation médicale, et en particulier la démarche adoptée en psychiatrie, permet une certaine marge d’appréciation, qui doit être respectée du moment que le médecin a travaillé conformément aux règles de son art.
Se référant à des exemples tirés de sa propre jurisprudence, le TF dit que si l’expertise livre toutes les indications nécessaires et permet de se prononcer sur tous les indicateurs, il n’y a pas lieu de s’écarter de ses conclusions. En revanche, dans le cas contraire, le juge peut corriger l’appréciation du médecin, en se fondant sur les éléments à disposition. Si ces éléments sont insuffisants, il convient de poursuivre l’instruction (c. 4.2 et 4.3).
En l’espèce, les conclusions de l’expert – en faveur de la personne assurée – n’étaient pas plausibles parce que les limitations cognitives annoncées par la personne assurée n’avaient pas été vérifiées dans le cadre de l’examen psychiatrique ou à l’aide de test neuropsychologiques (c. 4.4).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : cette tentative de clarification est louable, mais il est difficile de croire à l’absence de « Parallelüberprüfung » depuis l’ATF 144 V 50 et l’affirmation que l’être humain doit être présumé en bonne santé (« der Mensch ist gesund ») et – donc – capable de travailler. Il est difficile de comprendre pourquoi il y a lieu, objectivement, de se méfier davantage de la marge d’appréciation (« Ermessenspielraum ») des médecins que de celle des juges. Tout autant que les premiers, les seconds, en particulier lorsqu’ils sont fédéraux, ont les coudées plutôt franches lorsqu’il s’agit de trouver ou non une expertise suffisante, en fonction de la sympathie que leur inspire le cas.


TF 4A_238/2019 du 2 décembre 2019
Assurances privées; assurance d’indemnités journalières; art. 18 CO
La propriétaire d’une entreprise individuelle de taxi a conclu une assurance d’indemnités journalières. En incapacité de travail depuis le 23 septembre 2016, elle perçoit les prestations jusqu’au 28 février 2017. L’assureur apprend en avril 2017 que l’assurée avait vendu son entreprise. Il réclame le remboursement des indemnités versées depuis le 1er janvier 2017 ; l’assurée prétend quant à elle au versement des prestations pour mars à octobre 2017. Les juges cantonaux lui ont donné raison ; l’assureur recourt au TF.
La question à trancher consistait à savoir si une clause des conditions générales d’assurance (CGA) revêtait un caractère inhabituel. Selon les CGA, la couverture d’assurance prend fin en cas de cessation ou d’interruption de l’activité déterminante pour l’appréciation du risque lors de la souscription de l’assurance. Une prétention à l’octroi de prestations pendante lors de la fin de la couverture prend également fin du même coup, selon les CGA. Celles-ci prévoient cependant une exception lorsque la couverture d’assurance prend fin en raison de la fin des rapports de travail ou de l’expiration du contrat : dans ces cas l’assureur verse les indemnités journalières aussi longtemps que d’autres causes de cessation de couverture telles que la cessation ou interruption d’activité n’apparaissent pas (c. 3.1). La juridiction inférieure avait jugé qu’une telle réglementation était inhabituelle, dès lors qu’elle constituait une ingérence considérable dans le statut juridique de l’assurée, qui avait abandonné son activité afin de trouver un travail dans une activité adaptée et de réduire les coûts fixes que le maintien de son entreprise aurait généré (c. 3.2). Le TF prend le contrepied de cette argumentation. En particulier, la question de savoir si l’assurée avait vendu ou dû vendre son entreprise de taxi en raison de l’atteinte à sa santé est indépendante de la question à juger (c. 3.5). Il s’ensuit que la réglementation prévue par les CGA n’est pas inhabituelle et le recours de l’assureur, fondé.
Auteur : Alexis Overney, avocat, Fribourg

TF 6B_707/2019 du 29 novembre 2019
Responsabilité médicale; lésions corporelles graves, prétentions civiles, prescription; art. 81 a.1 let. a et b ch. 5 LTF; 41 CO; 97 al 1 CP
Selon l’art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au TF si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Constituent des prétentions civiles celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s’agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO.
Dans tous les cas, il incombe à la partie plaignante d’expliquer dans son mémoire au TF quelles prétentions civiles elle entend faire valoir contre l’intimé. Comme il n’appartient pas à la partie plaignante de se substituer au ministère public ou d’assouvir une soif de vengeance, la jurisprudence entend se montrer restrictive et stricte, de sorte que le TF n’entre en matière que s’il ressort de façon suffisamment précise de la motivation du recours que les conditions précitées sont réalisées, à moins que l’on puisse le déduire directement et sans ambiguïté compte tenu notamment de la nature de l’infraction alléguée. Si la partie plaignante se plaint d’infractions distinctes, elle doit mentionner, par rapport à chacune d’elles, en quoi consiste son dommage.
S’agissant du délai de prescription, son point de départ est régi par l’art. 98 CP, lequel est identique à l’art. 71 aCP. La prescription court du jour où l’auteur a exercé son activité coupable (let. a), du jour où le dernier acte a été commis, si cette activité s’est exercée à plusieurs reprises (let. b) ou du jour où les agissements coupables ont cessé, s’ils ont eu une certaine durée (let. c).
L’action pénale relative à cette infraction se prescrivait par sept ans selon le droit applicable du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2013 (art. 97 al. 1 let. c aCP). Aux termes de l’art. 97 al. 1 CP, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2014, l’action pénale se prescrit par dix ans si la peine maximale encourue est une peine privative de liberté de trois ans (let. c) et par sept ans si la peine maximale encourue est une autre peine (let. d).
En l’espèce, les injections litigieuses ont eu lieu les 15 juin et 20 juillet 2012, dates du début de la prescription pénale. Elle est au vu de ce qui précède atteinte à ce jour, étant précisé que la prescription de l’action pénale n’a pas été interrompue par l’ordonnance de classement du 15 juin 2018 qui n’est pas un « jugement de première instance » au sens de l’art. 97 al. 3 CP. Ainsi, en cas de renvoi de la cause à l’instance précédente, celle-ci ne pourrait que constater que la prescription est acquise.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 9C_846/2018 du 29 novembre 2019
Assurance-invalidité; révision, mesures de réadaptation, examen de l’aptitude subjective à la réadaptation; art.17 al. 1 LPGA et 8 LAI
Le TF examine la réalisation des conditions matérielles du droit à des mesures de réadaptation d’ordre professionnel pour une personne qui bénéficiait d’une rente suisse depuis près de 15 ans et qui s’est établie dans un Etat membre de l’UE et dont la rente est supprimée par voie de révision.
Le droit à une mesure de réadaptation déterminée par l’assurance-invalidité suppose qu’elle soit appropriée au but de la réadaptation poursuivi par l’assurance-invalidité, et cela tant objectivement en ce qui concerne la mesure que subjectivement en rapport avec la personne de l’assuré. En effet, une mesure de réadaptation ne peut être efficace que si la personne à laquelle elle est destinée est susceptible, au moins partiellement, d’être réadaptée. Partant, si l’aptitude subjective de réadaptation de l’assuré fait défaut, l’administration peut refuser de mettre en œuvre une mesure ou y mettre fin et ce, sans même examiner la possibilité ou non d’accorder une telle mesure après que la personne concernée a quitté la Suisse pour s’établir dans un pays de l’UE.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 9C_461/2019 du 22 novembre 2019
Assurance-invalidité; expertise, incapacité de travail, baisse de rendement, évaluation globale; art. 44 LPGA
Le TF prend position sur la pratique des experts consistant à ne pas livrer d’appréciation globale de l’incapacité de travail, mais à distinguer entre l’incapacité de travail et la baisse de rendement, pratique source de nombreux conflits.
Le TF indique clairement que le but d’une expertise médicale est d’avoir une appréciation globale de la situation de la personne assurée et de sa capacité de travail. Dans ce contexte, il n’appartient pas au juge, mais bien au médecin, de dire comment s’articulent les incapacités partielles constatées dans les différentes disciplines médicales constatées, c’est-à-dire si elles se cumulent, ont un effet exponentiel, ou au contraire s’il s’agit d’une perte de rendement englobant toutes les limitations constatées.
En l’espèce, l’expertise pluridisciplinaire mentionnait, dans le consilium, une perte de rendement de 20 % pour des motifs neurologiques et de 30 % pour des motifs psychiatriques, sans qu’il soit possible de comprendre si ces taux se cumulaient. Il s’agit donc de renvoyer l’affaire à l’office AI pour complément d’instruction. Se référer à la règle d’expérience selon laquelle il n’y a « souvent » (« häufig ») pas lieu de cumuler les taux de différentes limitations est insuffisant.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_232/2019 du 18 novembre 2019
Assurances privées; assurance complémentaire à la LAMal, interprétation des CGA, clause insolite, mesure d’internement; art. 18 CO; 59 CP; 426 ss CC
L’assuré, au cours de son séjour en clinique psychiatrique, a porté atteinte à la vie d’autrui en raison de sa maladie psychique. Il se trouve alors être en incapacité de travail de manière non fautive au sens de l’art. 324a CO. Sur la base des CGA, l’assureur nie le droit aux indemnités journalières à l’assuré qui est condamné à une mesure d’internement, au sens de l’art. 59 CP, à titre de mesures thérapeutiques institutionnelles ou de traitement des troubles mentaux.
Les dispositions contractuelles et les conditions générales d’assurance expressément incorporées au contrat doivent être interprétées selon les mêmes principes juridiques. Lorsque la volonté réelle et commune des parties ne peut être établie (art. 18 CO), le juge interprétera les déclarations et les comportements selon la théorie de la confiance ; il recherchera ainsi comment une déclaration ou une attitude pouvait et devait être comprise de bonne foi en fonction de l’ensemble des circonstances.
La clause d’exclusion des conditions générales d’assurance, dans le cas d’espèce, vise les cas de détention préventive, d’exécution d’une peine privative de liberté ou d’internement y compris à des fins d’assistance. Le TF retient que la clause d’exclusion de l’assureur dans le cas d’espèce concerne également le placement à des fins d’assistance au sens des art. 426 ss CC, qui ne suppose pas de faute à charge de l‘assuré.
La clause contractuelle est claire et il n’y a pas lieu de l’interpréter en vertu de la règle in dubio contra stipulatorem qui s’applique lorsque le principe de la confiance ne permet pas de dégager le sens d’une clause ambigüe. Une clause contractuelle plus restrictive que celle rencontrée dans la branche n’est pas insolite si elle n’a pas pour effet de réduire drastiquement la couverture d’assurance de telle sorte que les risques les plus fréquents ne sont plus couverts. Une clause peut être taxée d’insolite même si elle est intégrée dans les conditions d’assurance d’autres assureurs.
L’absence de faute commise par l’assuré interné en raison de sa maladie n’est pas déterminante pour qualifier d’insolite la clause d’exclusion. Le TF retient que la détention préventive prolongée prive aussi l’assuré des prestations indépendamment des charges retenues à l’issue de la procédure pénale. La clause d’exclusion dans le cas d’espèce n’entraîne donc pas une modification substantielle du caractère contractuel et n’est pas insolite en conséquence.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

ATF 146 IV 76, TF 6B_307/2019 du 13 novembre 2019
Responsabilité aquilienne; procédure, qualité pour recourir des parents de la personne mineure décédée, double motivation; prétentions civiles, prétentions fondées sur le droit public; art. 104 al. 1 let. b, 105, 110, 115 al. 1, 116 al. 2, 117 al. 3, 118 al. 1, 119 al. 2, 121, 122 al. 1, 319, al. 1 let b, 322 al. 2 et 382 al. 1 et 3 CPP; 81 al.1 let. a et b ch.5 LTF; 2 et 3 CEDH, 10, al. 3 et 8 al. 1 Cst; 41 CO; 457 al. 1 et 458 al. 1 CC; 110 al. 1 et 117 CP
L’arrêt cantonal entrepris repose sur une double motivation : l’irrecevabilité du recours faute de qualité pour recourir et, subsidiairement, le rejet du recours sur le fond. Dans une telle configuration, lorsque la décision attaquée comporte des motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires, toutes suffisantes pour sceller le sort de la cause, il appartient au recourant, sous peine d’irrecevabilité, de démontrer que chacune d’elles est contraire au droit (rappel de la jurisprudence ; c. 1.).
Les recourants, en qualité de père et mère de la personne mineure décédée, sont des proches au sens de l’art. 121 al. 1 CPP, respectivement de l’art. 110 al. 1 CP. D’autre part, en l’absence de descendants, ils sont les héritiers légaux les plus proches de leur fille. Ainsi, conformément à la règle de l’art. 121 al. 1 CPP, les recourants étaient légitimés à se constituer parties plaignantes durant la procédure préliminaire et étaient fondés à demander la poursuite et la condamnation des personnes pénalement responsables de l’infraction dénoncée. Dans cette mesure, les recourants pouvaient justifier, au regard de l’art. 382 CPP, d’un intérêt juridiquement protégé à l’annulation de l’ordonnance de classement qu’ils se sont vu notifier. Dès lors que, par l’effet de l’art. 121 al. 1 CPP, les recourants font valoir les droits de procédure de leur fille décédée, qui a été directement lésée par l’infraction dénoncée, il n’est pas nécessaire qu’ils puissent se prévaloir d’avoir eux-mêmes été personnellement lésés par cette infraction. Le grief est bien-fondé sur ce point, mais il y a toutefois lieu d’examiner la question de la recevabilité du recours en matière pénale au TF (c. 2.3, 2.4 et 3).
Selon l’art. 81 al. 1 let. A et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au TF si la décision attaquée peut avoir des effets sur ses prétentions civiles. Constituent de telles prétentions celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s’agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO. En revanche, n’appartiennent pas à cette catégorie les prétentions fondées sur le droit public. De jurisprudence constante en effet, la partie plaignante n’a pas de prétention civile si, pour les actes reprochés au prévenu, une collectivité publique assume une responsabilité de droit public exclusive de toute action directe contre l’auteur. En l’espèce, les HUG forment un établissement de droit public doté de la personnalité juridique et responsable des actes commis par ses employés dans l’exercice de leurs activités. L’Etat de Genève répond donc seul d’un éventuel dommage, le lésé ne disposant d’aucune action directe contre le personnel soignant ou le personnel médical de cet établissement. Il s’ensuit que les recourants n’ont pas qualité pour recourir en application de l’art. 81 LTF, à défaut de pouvoir élever des prétentions civiles contre les employés des HUG (c. 3.1). Nonobstant les critiques de certains auteurs à cet égard, il n’apparaît pas que la notion de « prétentions civiles » contenue à l’art. 81 al. 1 let b ch. 5 LTF devrait être comprise dans une acceptation plus large que celle actuellement consacrée dans la pratique. Dans ces circonstances, il n’y a pas matière à modifier la jurisprudence (c. 3.2.3).
Ainsi, dès lors qu’en l’état actuel de la législation, l’art. 81 al. 1 let b ch. 5 LTF persiste à viser les effets du jugement sur les prétentions civiles de la partie plaignante, il y a lieu de s’en tenir à la jurisprudence constante selon laquelle cette dernière n’a pas de prétention civile si, pour les actes reprochés au prévenu, une collectivité publique assume une responsabilité de droit public exclusive de toute action directe contre l’auteur. Une telle situation est suffisamment spécifique pour justifier un traitement particulier. Le grief tire d’une violation du principe d’égalité de traitement au sens de l’art. 8 al. 1 Cst doit par conséquent être rejeté (c. 3.2.4).
In fine, le TF rejette également les griefs tirés de la violation des art. 2 et 3 CEDH et 10 al. 3 Cst. (c. 4, 4.1 et 4.2).
En définitive, les recourants, qui ne disposent pas de la qualité pour recourir sur le fond, ne sont pas légitimés à contester le classement de la procédure au Tribunal fédéral et il s’ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable (c. 4.3 et 5).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud



ATF 145 V 370, TF 8C_445/2019 du 12 novembre 2019
Assurance-invalidité; invalidité, évaluation, nouvelle méthode mixte, salaire d’invalide, nouvelles dispositions réglementaires; art. 27bis al. 3 RAI
Saisi d’un recours formé par l’office AI, le TF a donné son avis quant à l’application des nouvelles dispositions règlementaires, dans le cas de travailleurs à temps partiel (méthode mixte), pour déterminer le salaire d’invalide. Le TF a confirmé la pratique de l’office AI dans le cas d’un assuré travaillant à 75 %.
Pour calculer le taux d’invalidité dans l’activité lucrative, l’office AI avait d’abord pris un salaire de valide pour un poste à 100 % (CHF 99'047.-). Il avait ensuite retenu un salaire d’invalide correspondant à la moitié du salaire de valide (CHF 49'053.50), tenant compte d’un fait incontesté, à savoir une incapacité de travail dans toute activité de 50 % (c. 3.1). Le TF a refusé de suivre le raisonnement de la cour cantonale qui avait pris le même salaire de valide mais avait par contre tenu compte d’un salaire d’invalide fixé sur le salaire de valide à 75 % (CHF 37'143.-) (c. 3.2).
Le TF a considéré que la pratique de l’office AI était conforme à la volonté du législateur, à savoir éviter le double poids de l’activité lucrative à temps partiel dans la détermination du taux d’invalidité (c. 4.3). Il a rejeté les explications fondées sur les exemples mentionnés dans la CIIAI (N 3101, notamment le n° 2) en expliquant que, dans le cas d’espèce, il n’y avait pas de baisse de rendement qui s’ajoutait à l’incapacité de travail attestée médicalement (c. 4.4 et 4.5). Le TF a confirmé que le droit à la demi-rente devait être nié et que le quart de rente devait être maintenu (c. 5).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne


ATF 146 V 38, TF 9C_474/2019 du 6 novembre 2019
Assurance-maladie; procédure, évaluation des prestations par l’OFSP, intérêt digne de protection; art. 5, 25, 25a et 26 PA; 64 ss OAMal
L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a engagé un processus de réévaluation des prestations de l’assurance obligatoire de soins dénommé « Evaluation des Technologies de la Santé (ETS) / Health Techonology Assessment (HTA) » avec notamment pour objectif de réduire le nombre de prestations inefficaces. Ce processus comprend la consultation des parties prenantes, notamment de l’industrie.
La société A. SA est détentrice d’une autorisation de mise sur le marché, délivrée par Swissmedic, d’un médicament figurant sur la liste des spécialités (art. 64 ss OAMal). Elle a demandé à l’OFSP d’interrompre immédiatement le processus ETS, à défaut de lui notifier une décision formelle lui reconnaissant sa qualité de partie à ce processus (art. 25 PA) ainsi que son droit de consulter les pièces du dossier (art. 26 PA). L’Office a refusé d’entrer en matière considérant que A. SA n’avait pas d’intérêt digne de protection pour prétendre à la notification d’une décision au sens de l’art. 5 PA.
Le recours interjeté par A. SA au TAF ayant été rejetée, l’affaire est portée devant le TF. Ce dernier juge que ni l’ouverture d’un processus de réévaluation ETS par l’office, ni les différentes étapes qu’il comporte ne déploient d’effet juridique direct pour les tiers impliqués. Il n’existe pas de droit à obtenir qu’un tel processus d’instruction préliminaire soit engagé, respectivement qu’il soit interrompu. Un tel processus qui prépare la motivation d’une éventuelle décision de réexamen des conditions d’admission (art. 64 ss OAMal) exclut l’application des art. 25 et 25a PA.
Le TF confirme ainsi que la société recourante n’a pas d’intérêt digne de protection pour être considéré comme partie à la procédure au sens de la PA dans le processus ETS engagé par l’OFSP.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève



ATF 146 III 25, TF 4A_554/2013 du 6 novembre 2019
Responsabilité aquilienne; dommages différés, prescription; art. 6 CEDH; 41, 60 et 128 CO
Il n’est pas disproportionné de considérer comme prescrite (de façon absolue) une prétention que le demandeur ne fait valoir que 37 ans après le dernier acte dommageable possible, et ceci même en tenant compte de l’appréciation critique que la Cour européenne des droits de l’homme a faite du droit suisse de la prescription dans son arrêt Howald Moor de 2014.
Auteur : Christoph Müller



TF 9C_522/2019 du 30 octobre 2019
Assurance-vieillesse et survivants; moyens auxiliaires octroyés par l’AI; garantie des droits acquis; art. 21 al. 1 LAI; 2 al. 2 OMAI; 4 OMAV
Le litige porte sur la question de savoir si l’AVS doit prendre en charge les frais de réparation d’une monte-rampes d’escalier qui a été remis à l’assuré par l’AI en 1997.
En vertu de l’art. 4 OMAV, concernant la garantie des droit acquis, les bénéficiaires d’une rente de vieillesse domiciliés en Suisse qui bénéficient de moyens auxiliaires ou de contributions aux frais au sens des art. 21 et 21bis LAI au moment où ils peuvent prétendre à une rente AVS, continuent en principe d’avoir droit à ces prestations dans la même mesure, tant que les conditions qui présidaient à leur octroi sont remplies.
A cet égard, l’art. 21 al. 1 LAI prévoit que l’assuré a droit aux moyens auxiliaires dont il a besoin pour exercer une activité lucrative ou accomplir ses travaux habituels, pour maintenir ou améliorer sa capacité de gain, pour étudier, apprendre un métier ou suivre une formation continue, ou à des fins d’accoutumance fonctionnelle. Les moyens auxiliaires auxquels il a droit sont listés dans l’annexe de l’OMAI, avec un astérisque (*) (art. 2 al. 2 OMAI). Le point 13.05 de ladite annexe mentionne à ce titre l’« installation de plates-formes élévatrices et de monte-rampes d’escalier […] si ces mesures permettent à l’assuré de se rendre au travail, à l’école ou à son lieu de formation, ou d’accomplir ses travaux habituels ».
Selon le TF, l’activité dans les travaux habituels au sens de l’art. 2 al. 2 OMAI doit avoir une importance considérable (beachtlichen Umfang) pour justifier le droit aux moyens auxiliaires. La loi ne dit pas ce qu’il faut entendre par « travaux habituels ». Après une interprétation systématique et un examen de la jurisprudence, le TF arrive à la conclusion que la tenue de son propre ménage constitue un travail habituel au sens du droit des moyens auxiliaires.
La cause est renvoyée à la Caisse de compensation du canton de Zurich, qui devra notamment déterminer si l’activité dans le domaine ménager est d’une importance considérable et rendre une nouvelle décision.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

ATF 145 V 399, TF 8C_357/2019 du 24 octobre 2019
Assurance-chômage; coordination avec l’assurance-invalidité, terme du devoir d’avancer les prestations, adaptation du gain assuré; art. 8, 15 et 23 LACI; 5, 15 et 40b OACI; 70 al. 2 LPGA
Selon le TF, dès que le degré de l’incapacité de gain est fixé par projet de décision ou décision de l’autre assureur social, le devoir d’avancer les prestations de l’assurance-chômage prend fin et le gain assuré doit être adapté avec effet rétroactif au moment de la réduction de la capacité de gain (art. 23 al. 1 LACI cum 40b OACI) (c. 4.1).
Si aucune objection n’est soulevée à l’encontre du projet de décision ou que la décision n’est pas contestée, la période d’incertitude prend fin, puisque le degré d’incapacité de gain est fixé (c. 4.1.2).
Il peut par ailleurs arriver que la fin de la période d’incertitude et le moment de l’adaptation du gain assuré ne concordent pas. Dans un tel cas, l’adaptation du gain assuré ne peut toutefois survenir à l’avance que si l’assuré et la caisse de chômage se sont déjà mis d’accord sur un certain degré d’invalidité. En d’autres termes, ce n’est en principe que la décision de l’AI ou de l’autre assureur social qui constitue une base suffisante pour adapter le gain assuré en fonction du degré d’incapacité de gain reconnu, ou du moins du pourcentage non contesté de l’invalidité (ATF 142 V 380) (c. 4.1.3).
En l’espèce, seule la décision de l’office AI du 7 septembre 2018 constitue une base suffisante pour adapter le gain assuré selon l’art. 40b OACI, et non pas la communication préalable de cette décision à la caisse de chômage.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève



ATF 145 V 326, TF 9C_329/2019 du 17 octobre 2019
Assurance-vieillesse et survivants (LAVS); statut d’indépendant, nullité de la décision de la caisse de compensation AVS; art. 23 al.4 RAVS; 130 al. 2 LFID
Les caisses de compensation AVS doivent déterminer elles-mêmes de manière autonome, sans reprendre simplement les qualifications énoncées le cas échéant par l’autorité fiscale, si un revenu a été réalisé en tant qu’indépendant ou en tant que salarié. L’art. 23 al. 4 RAVS comporte une obligation de s’en tenir aux données fiscales cantonales seulement une fois que le statut d’indépendant est établi (c. 4.1-2).
Les principes développés par la jurisprudence en application de l’art. 130 al. 2 LIFD visant les taxations fiscales d’office valent par analogie en matière de fixation des cotisations AVS à l’endroit d’un assuré qui nie toute activité indépendante. De telles décisions sont nulles si elles tombent dans l’arbitraire crasse. En particulier, les suppositions ou présomptions fondant la décision doivent être plausibles (c. 4.2 et 6.2).
En présence d’un assuré qui affirme n’avoir déployé aucune activité indépendante depuis plusieurs années et envers lequel il s’est avéré impossible de recouvrer des cotisations facturées à ce titre pour les six derniers exercices, est nulle la décision de la caisse de compensation AVS qui retient sans plus ample instruction un revenu d’indépendant de Fr. 150’000.- taxé par l’autorité fiscale et s’éloigne ainsi, consciemment et de manière criante, de l’état de fait allégué par l’intéressé (c. 6.3.1-2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


ATF 145 V 333, TF 9C_521/2019 du 16 octobre 2019
Assurance-invalidité; infirmités congénitales, mesures médicales, traitement hospitalier, tarif, compétences du tribunal arbitral; art. 13, 14, 27 et 27bis LA
De la même manière que dans l’assurance-maladie, la législation en matière d’assurance-invalidité prévoit que la structure tarifaire pour déterminer la rémunération des séjours hospitaliers effectués dans le cadre des art. 13 et 14 LAI (traitement d’une infirmité congénitale) doit en premier lieu être définie par accord des partenaires tarifaires. En l’absence d’accord, c’est au Gouvernement d’agir par voie d’ordonnance. La compétence du tribunal arbitral est limitée aux litiges qui surviennent ensuite dans l’application de ce tarif (c. 6).
S’agissant de la rémunération des séjours hospitaliers financés par l’assurance-invalidité, ni la loi, ni l’ordonnance ne prévoit les principes généraux et abstraits sur lesquels pourrait se fonder une décision individuelle. Si les parties ne peuvent les déterminer conventionnellement, il n’appartient pas au tribunal arbitral de faire œuvre de législateur. C’est à l’autorité d’exécution qu’il appartient d’établir ces principes, dans la loi ou dans l’ordonnance (c. 7, qui résume TAF C-529/2012)
Cela vaut également lorsque les parties s’accordent, comme en l’espèce, pour utiliser la structure tarifaire SwissDRG, mais ne parviennent pas à s’entendre sur le montant du baserate. C’est donc à juste titre que le tribunal arbitral du canton de Zurich a refusé d’entrer en matière sur la demande en paiement dirigée par le Kinderspital zurichois contre les 27 offices AI.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_574/2019 du 16 octobre 2019
Assurance-invalidité; capacité résiduelle de travail, mise en œuvre, exigibilité, travailleuse âgée; art. 7 al. 1, 8 et 16 LPGA; 4 LAI
Une femme sans formation a exercé plusieurs activités (serveuse, aide de cuisine, vendeuse) puis, durant 20 ans, l’activité de magasinière. En avril 2013, alors qu’elle a 56 ans, elle subit un accident avec lésion au pied droit. En mars 2019, l’office AI lui accorde une rente AI entière d’avril 2014 à juillet 2018. Dès le mois d’août 2018, l’assurée est jugée apte à exercer une activité adaptée à 100 % (avec certaines restrictions physiques).
Saisi du recours de l’assurée contre le jugement cantonal qui confirme l’arrêt de la rente, le TF juge qu’au vu des circonstances, l’office AI n’a pas violé le droit en retenant que l’assurée, âgée de 60 ans et ¾ au moment de l’arrêt de la rente, pouvait exploiter sa capacité résiduelle de travail sur le marché, compte tenu de sa disponibilité, de sa capacité médicale, non contestée, et des diverses activités exercées par le passé.
En revanche, le TF estime qu’il faut appliquer la jurisprudence selon laquelle un assuré de 55 ans ou plus ou ayant bénéficié d’une rente depuis au moins 15 ans qui voit sa rente réduite ou supprimée doit pouvoir bénéficier de mesures de réadaptation (ATF 145 V 209). Il appartient à l’office AI d’établir les circonstances particulières qui permettent de renoncer aux mesures de réadaptation. La question du moment auquel l’âge de 55 ans doit être atteint (moment de la décision, de la fin de la rente ou moment où l’activité est médicalement exigible) peut rester ouverte ici, car l’assurée avait dépassé les 55 ans à chacun de ces moments.
L’office AI a implicitement admis que l’assurée était dans le cas exceptionnel où on pouvait exiger d’elle une réadaptation personnelle sans l’aide de l’AI. Compte tenu de la longue inactivité due à l’invalidité et du parcours professionnel de l’assurée, le TF estime que l’Office AI ne pouvait pas se dispenser de l’examen des mesures de réadaptation. La décision de l’AI est donc levée en ce qui concerne la fin de la rente et la cause est renvoyée à l’office AI.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 8C_337/2019 du 13 octobre 2019
Assurance-chômage; conditions du droit aux indemnités journalières, aptitude au placement, courte période de chômage; art.8 al. 1 let. f et 15 al. 1 LACI
L’emploi de durée déterminée de A. prend fin le 30 juin 2018. Elle perçoit des indemnités chômage dès le 2 juillet 2018. Le 5 juillet 2018, l’assurée communique à l’ORP qu’elle a trouvé un emploi qui débutera le 1er septembre 2018. Le 23 juillet 2018, elle l’avise par ailleurs qu’elle participera à un évènement sportif à B. du 1er au 24 août 2018. La caisse de chômage l’informe alors qu’elle n’est pas apte au placement pour la période durant laquelle elle se trouve à B. et qu’elle n’a pas droit aux prestations de chômage pour cette période.
Selon l’art. 8 al. 1 let. f en relation avec l’art. 15 al. 1 LACI, l’assuré a droit à des indemnités chômage s’il est apte au placement. L’aptitude au placement ne se définit pas seulement objectivement par la capacité de travail de l’assuré mais également subjectivement par la disponibilité de l’assuré à fournir son travail pendant les heures habituelles (c. 3.1).
Le TF rappelle sa jurisprudence selon laquelle un assuré qui prend des engagements à partir d’une date déterminée et de ce fait n’est que disponible pour une courte période n’est en principe pas apte au placement. Il rappelle également la jurisprudence TFA selon laquelle les principes jurisprudentiels concernant l’aptitude au placement ne doivent pas conduire à pénaliser le chômeur qui trouve et accepte une place appropriée mais non libre immédiatement. Dans de telles conditions une éventuelle inaptitude au placement en raison du nouvel emploi de l’assuré qui débutera prochainement ne doit plus être examinée. Sont réservés cependant les cas, dans lesquels un assuré devient inapte au placement pour d’autres raisons personnelles (p. ex. maladie) pendant la période entre la fin de son ancien emploi et le début du nouveau (c. 3.3.).
Le TF précise la jurisprudence selon laquelle on ne saurait punir un assuré qui trouve et accepte une place appropriée mais non libre immédiatement en ce sens qu’on ne saurait non plus le privilégier face aux autres assurés qui n’ont pas rapidement retrouvé une place de travail. Pour être en droit de percevoir des indemnités de chômage, les conditions de l’art. 8 al. 1 let. f en relation avec l’art. 15 al. 1 LACI doivent en principe être remplies jusqu’au dernier jour de la période de chômage. Par conséquent, l’assuré doit également être disponible au placement jusqu’à la fin de cette période et ce même si les probabilités de trouver un emploi approprié pour cette courte période sont très faibles (c. 4.3).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 8C_185/2019 du 11 octobre 2019
Assurance militaire; affection préexistante au service, séquelles tardives, causalité adéquate, présomption, responsabilité partielle; art.5 al. 2 et 3 et 64 LAM
Le lien de causalité adéquat entre l’atteinte à la santé survenue pendant le service et ses effets est présumé. Par conséquent, la responsabilité de l’assurance militaire ne peut être exclue que par la preuve certaine du contraire. Il y a preuve contraire certaine, s’il est établi que selon l’expérience médicale, l’influence des circonstances aggravantes pendant le service est pratiquement exclue (art. 5 LAM).
Les exigences de responsabilité de l’art. 5 LAM (affection constatée pendant le service) varient de celles de l’art. 6 LAM (affection constatée après le service). Selon l’art. 6 LAM, si l’affection est constatée après le service ou si des séquelles tardives sont invoquées, l’assurance militaire n’en répond que s’il est établi au degré de vraisemblance prépondérante que l’affection a été causée ou aggravée durant le service.
Contrairement au principe du « tout ou rien » prévu par la LAA, la LAM permet, par le biais de son art. 64, une réduction légale des prestations en cas de responsabilité partielle, notamment pour les assurés prédisposés. Ainsi, si l’assurance militaire n’apporte pas avec certitude la preuve contraire, elle peut réduire ses prestations selon l’art. 64 LAM si elle prouve que le dommage à la santé ou l’aggravation de l’état de santé n’est que partiellement causé pendant le service. L’art. 64 LAM vient donc compléter les art. 5 ss LAM (en particulier art. 5 al. 3 LAM et art. 6 LAM). La prestation est réduite si l’on peut supposer, de manière adéquate, que les causes de l’événement assuré n’ont pas provoqué à elles seules l’ensemble du dommage survenu.
Contrairement à la LAA (ATF 130 V 380), l’art. 5 LAM exclut que l’assureur mette fin avec effet ex nunc et pro futuro à son obligation de prester. En effet, la volonté du législateur est que la personne assurée bénéficie de l’éventuel doute au sujet de la preuve contraire à apporter par l’assurance militaire.
En l’espèce, il s’agit d’un mécanicien sur poids lourd engagé pendant six mois au Kosovo dans la Swisscoy en 2003 qui souffre de troubles de la personnalité graves avec aggravation dès la fin de son engagement. Une rente entière de l’AI lui est accordée dès le mois de novembre 2004. Des prestations médicales et financières sont accordées par l’assurance militaire d’octobre 2003 à novembre 2013. Les prestations sont ensuite réduites puis supprimées malgré une expertise médicale concluant à une causalité partielle (50 %).
En l’occurrence, l’assurance militaire n’a pas apporté la preuve certaine permettant de renverser la présomption au sens de l’art. 5 al. 2 let. b LAM. Elle a donc, tout comme le Tribunal cantonal d’Appenzell Rhodes-Extérieures qui a confirmé sa position, violé le droit fédéral.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 6B_804/2019 du 9 octobre 2019
Responsabilité aquilienne; incendie par négligence, infraction par omission improprement dite (commission par omission), causalité hypothétique; art. 222 al. 1 CP
Un incendie s’est déclaré dans une grange du complexe agricole dont le recourant était propriétaire et dans laquelle il avait entreposé du fourrage. Le recourant conteste sa condamnation pour incendie par négligence.
Le fait de ne pas avoir procédé à tous les sondages requis par la directive de l’Association des Etablissements cantonaux d’assurance incendie constitue, selon le TF, une infraction par omission improprement dite (commission par omission).
L’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée (causalité hypothétique). En effet, si le recourant avait dûment procédé aux sondages, il aurait selon toute vraisemblance constaté une augmentation dangereuse de la température du fourrage entreposé dans sa grange, ce qui lui aurait permis de prendre des mesures, notamment celles préconisées par la directive, propres à éviter l’incendie. Ainsi, l’accomplissement de l’acte dont l’omission est imputée au recourant aurait très vraisemblablement permis d’éviter l’incendie.
Le TF confirme en conséquence la condamnation du recourant pour incendie par négligence.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne


ATF 145 V 380, TF 9C_221/2019 du 7 octobre 2019
Assurance-maladie; soins de longue durée, conformité de la méthode d’évaluation des besoins en soins; art. 25a et 32 LAMal; 7 ss OPAS
Le TF confirme que la méthode d’évaluation des besoins en soins « Resident Assessment Instrument/Resource Utilization Groups » (RAI/RUG) est conforme au système légal en vigueur. Les adaptations futures prévues de l’OPAS continueront de laisser aux cantons un choix du système, seul un standard minimum sera exigé. De plus, les juges fédéraux rappellent que l’arrêté du Conseil d’Etat du canton de Soleure du 27 juin 2016 fixant les tarifs maximum dans le domaine des soins prodigués dans les milieux hospitalier et semi-hospitalier, dont les données sont appelées à varier régulièrement, est une décision d’abord politique et qui n’a nullement besoin de figurer dans une loi au sens formel. Dans ce cadre, les assureurs-maladie ne sauraient enfin invoquer valablement un droit d’être entendu ou de participer au processus décisionnel. Au surplus, dans la mesure où cet arrêté n’a pas pour objectif de faire supporter des charges supplémentaires aux assureurs-maladie et qu’il ne viole pas le principe de l’économicité inscrit à l’art. 32 LAMal, il respecte le cadre légal en place.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_193/2019 du 1 octobre 2019
Assurance-accidents; réduction des prestations, participation à une rixe, légitime défense, zone de danger, interruption du lien de causalité; art. 49 al. 2 OLAA; 926 al. 1 et 2 CC; 133 CP
Le fait d’arracher au voleur la veste que ce dernier a dérobée ne peut être qualifié d’acte de participation à une bagarre ou à une rixe, laquelle est une notion autonome qui ne doit pas empêcher les assurés d’exercer les prérogatives légales qui pourraient être reconnues sur la base du droit pénal – comme la légitime défense – ou du droit civil, lequel autorise notamment le possesseur à repousser par la force tout d’acte d’usurpation ou de troubles (art. 921 al. 1 et 2 CC).
Le trouble mental de l’agresseur, diagnostiqué par les experts, relègue par ailleurs à l’arrière-plan le rôle causal joué par l’assuré, par son attitude ou ses propos, dans le contexte de l’altercation.
La décision de réduction des prestations LAA est annulée, l’assuré ayant droit à de pleines et entières prestations.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 2C_1098/2018 du 27 septembre 2019
Responsabilité de l’Etat; prescription de l’action en dommages-intérêts; art. 9 Cst; 8 LRCPA-VS
A la suite d’une intempérie, une commune a déposé du gravier et des troncs arrachés sur le terrain des recourants, propriétaires du terrain. Ces derniers l’ayant interpellée par courrier du 19 juin 2012, la commune s’est engagée dans un courrier du 6 juillet 2012 à remettre le terrain dans son état initial, ce qui n’a pas été fait. L’action en dommage-intérêts des propriétaires contre la commune a été intentée le 10 juillet 2015 et rejetée par le tribunal cantonal au motif que l’action serait prescrite depuis juillet 2013, le dommage ayant été connu au plus tard le 19 juin 2012.
Les recourants font valoir que la municipalité aurait invoqué la prescription de manière abusive et contraire à la bonne foi puisque, par courrier du 6 juillet 2012, elle s’était engagée à réparer le dommage (c. 2.6).
Le TF rappelle quelles sont les conditions qui doivent être remplies afin qu’un administré puisse se prévaloir de la protection de sa bonne foi selon l’art. 9 Cst. Ce dernier doit avoir reçu des assurances particulières et expresses de l’administration qui doit être intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées. L’administration doit en outre avoir agi ou être censée avoir agi dans les limites de ses compétences. Quant à l’administré, il ne doit pas s’être rendu compte ou ne devait pas pouvoir se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore que qu’il se soit effectivement fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée (c. 2.6.2).
En l’espèce, la question à examiner est de savoir s’il existe une relation de confiance entre la municipalité et les recourants. En s’engageant par courrier du 6 juillet 2012 à réparer le dommage, la municipalité s’est comportée de telle façon que les recourants étaient légitimés à croire qu’ils n’avaient pas à agir dans le délai de prescription d’un an. La confiance donnée par l’autorité est comparable à une reconnaissance de dette au sens de l’art. 137 al. 2 CO (c. 2.6.3).
Les autres conditions susmentionnées nécessaires pour que la bonne foi de l’administré soit protégée étant remplies, c’est à tort que les instances inférieures ont considéré que la créance était prescrite.
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne.

TF 4A_599/2018 du 26 septembre 2019
Responsabilité aquilienne; revenu hypothétique du lésé, calcul du dommage, tort moral; art. 42 al. 2 CO; 3 § 1 CDE
Le TF rappelle que pour calculer le revenu hypothétique du lésé, il convient de prendre comme référence le revenu qu’il réalisait au moment de l’accident. Etant précisé que l’élément déterminant repose encore davantage sur ce que le lésé aurait gagné dans le futur, il lui incombe de rendre vraisemblables (degré de la vraisemblance prépondérante) les circonstances de fait – à l’instar des augmentations futures probables du revenu durant la période considérée pour établir le revenu qui aurait été réalisé sans l’accident.
Dire s’il y a eu dommage et quelle en est la quotité (partant, également la détermination du revenu hypothétique) est une question de fait qui lie le TF. Il en va de même lorsque le juge doit déterminer en équité le montant du dommage (art. 42 al. 2 CO).
Seules constituent des questions de droit le point de savoir quel degré de vraisemblance le revenu hypothétique allégué doit atteindre pour justifier l’application de l’art. 42 al. 2 CO et si les faits allégués, en la forme prescrite et en temps utile, permettent de statuer sur l’indemnisation réclamée en justice.
En l’espèce, le lésé (recourant) qui avait 17 ans lors de l’accident, considère que les seuls éléments de fait retenus par les juges cantonaux ne permettent pas de trancher la question de son revenu hypothétique. Selon lui, les juges auraient dû tenir compte de son statut d’enfant (au moment de l’accident) et reconnaître qu’il aurait perçu un revenu supérieur à celui qui a été fixé. Dans ce contexte, il est d’avis que les instances inférieures ont omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en violation de l’art. 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) qui prévoit que, pour les Etats signataires, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Or, l’art. 3 § 1 CDE ne fonde aucune prétention directe qui permettrait au lésé de bénéficier d’un avantage lors du calcul du revenu hypothétique.
Le lésé reproche ensuite aux juges cantonaux d’avoir, pour compenser le renchérissement futur, d’avoir écarté le taux de capitalisation de 2 % au profit de celui de 3,5 %. Le TF rappelle que la question du taux de capitalisation doit être résolue en fonction des circonstances économiques déterminantes. Il appert que devant les instances inférieures, le demandeur n’a présenté aucune allégation à cet égard. Ainsi, le TF n’entre pas en matière sur cette critique
Evoquant à nouveau l’art. 3 § 1 CDE, le recourant affirme que le « jeune âge du lésé » est « un élément primordial » qui doit être pris en compte lors du calcul du tort moral. La CDE n’énonce aucun principe nouveau qui n’aurait pas été pris en compte par les juges précédents au moment de calculer l’indemnité correspondant au tort moral. L’argument invoqué par le recourant est donc rejeté.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève



TF 4A_137/2019 du 26 septembre 2019
Responsabilité aquilienne; rixation du dommage; art. 42 CO
Une entreprise obtient la condamnation de son ancien responsable de production pour gestion déloyale. Il lui était reproché de ne pas avoir traité certaines demandes de clients, d’avoir transféré des commandes sur sa propre société ou facturé au nom de cette même société des livraisons effectuées en réalité par la demanderesse. Les plaignants ont été renvoyés à faire valoir leurs prétentions en dommages-intérêts devant le juge civil.
Selon l’art 42 al. 1 CO, le dommage doit être prouvé de la façon la plus concrète possible. L’allègement du fardeau de la preuve prévu par l’art. 42 al. 2 CO ne peut s’appliquer que si le demandeur a allégué tous les éléments de fait possibles et raisonnablement exigibles, permettant d’établir l’existence et l’ampleur du dommage. (c. 5.1).
En l’espèce la cour cantonale et le TF ont considéré que la société demanderesse aurait dû notamment établir que les marchandises facturées par la société du défendeur avaient bien été produites par elle. Elle aurait dû également apporter la preuve qu’elle était en mesure d’exécuter les commandes détournées par le défendeur, tout en exposant pourquoi les clients avaient résilié leurs contrats chez elle et signé de nouveaux engagements auprès du défendeur. Il aurait fallu également exposer en quoi la marge nette de 17 % à la base de ses prétentions était valable pour tous les clients et tous les produits. La demanderesse n’avait enfin pas démontré en quoi il était vraisemblable que ses clients auraient encore pendant six ans passé le même volume de commandes (c. 5.2 et 5.3).
Les juges cantonaux avaient encore rappelé à juste titre qu’une offre de preuve, telle qu’une expertise, ne remplace pas une allégation en bonne et due forme (c. 5.4).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 9C_218/2019 du 25 septembre 2019
Assurance-invalidité; moyens auxiliaires, transition entre l’AI et l’AVS, protection des droits acquis; art. 43quater al. 1 LAVS; 66ter RAVS; 2 et 4 OMAV; 21 s. LAI; annexe à l’OMAI
La personne assurée qui, dans le régime de l’assurance-invalidité, bénéficie d’un moyen auxiliaire utile pour exploiter sa capacité de gain résiduelle, mais dont il n’est pas établi qu’il était également utile pour améliorer son aptitude à accomplir ses travaux habituels ne bénéficie pas d’un droit à conserver ce moyen auxiliaire lorsqu’il atteint l’âge légal de la vieillesse et passe ainsi dans la compétence de l’assurance-invalidité.
En l’espèce, la personne assurée, souffrant d’une tétraplégie incomplète, avait pu, durant de nombreuses années, exploiter sa capacité de travail résiduelle comme juriste grâce à un élévateur électrique pour son fauteuil roulant, qui lui permettait notamment d’accéder aux ouvrages placés dans les étages supérieurs des bibliothèques. Après avoir atteint l’âge AVS (65 ans), il avait demandé le remplacement de ce moyen auxiliaire. Le TF a confirmé le rejet de cette demande, au motif qu’au moment où il avait été octroyé et depuis, il n’était pas établi que la personne assurée accomplissait des travaux habituels dans son ménage et que le moyen auxiliaire aurait permis d’améliorer son aptitude à le faire.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

ATF 146 V 51, TF 8C_22/2019 du 24 septembre 2019
Assurance-accidents; lésions corporelles assimilées à un accident, nouveau droit; art. 4 LPGA; 6 al. 2 LAA
Le TF rappelle l’historique de la prise en charge des lésions corporelles assimilées à un accident jusqu’au 31 décembre 2016 (c. 7). Avec la première révision de la LAA, la couverture des lésions corporelles précitées est désormais prévue au niveau de la loi, ce qui a pour conséquence une certaine indépendance d’avec la notion même d’accident (c. 8.2.1 et 8.5).
En présence d’une lésion corporelle selon la liste de l’art. 6 al. 2 LAA, il convient tout d’abord de déterminer si les critères d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA sont réalisés. Si tel est le cas, l’assureur LAA doit prendre en charge les conséquences de cet accident jusqu’à que celles-ci résultent exclusivement de causes étrangères à l’accident, soit jusqu’à ce que le statu quo ante vel sine soit atteint (c. 5.1, 8.5 et 9.1). Si l’assureur LAA parvient à se libérer de son obligation de servir des prestations à la suite d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA, il n’aura pas besoin d’examiner si une prise en charge au sens de l’art 6 al. 2 LAA serait subsidiairement possible, car les conditions de libération de l’obligation de servir les prestations LAA sont plus contraignantes à la suite d’un accident selon l’art. 4 LPGA que d’une lésion corporelle selon l’art. 6 al. 2 LAA (c. 8.5 et 9.2).
Par contre, si les conditions pour l’admission d’un accident selon la loi ne sont pas réalisées, l’assureur LAA doit examiner une prise en charge sous l’angle de l’art. 6 al. 2 LAA. D’emblée, une présomption de la responsabilité de l’assurance LAA pour les suites d’une de ces lésions est acquise à moins qu’il ne démontre que celle-ci soit due de manière prépondérante, donc à plus de 50 % (c. 8.2.2.1 & 8.6), à l’usure ou à une maladie (c. 8.2.2.2 concernant les notions d’usure et de maladie ; c. 9.1). A ce titre, l’exigence d’un évènement déclenchant (cf. art. 9 al. 2 OLAA valable jusqu’au 31 décembre 2016) n’est certes plus strictement nécessaire, mais son absence conduirait l’assureur LAA à se libérer de son obligation de servir des prestations, malgré la présence d’une lésion corporelle au sens de l’art. 6 al. 2 LAA (c. 8.2.3 et 8.6). En effet, l’évènement déclenchant permet notamment d’avoir un point de rattachement temporel à des fins pratiques pour la détermination de la couverture d’assurance, de l’assureur compétent, du calcul du gain assuré, etc. (c. 8. 6) ; son absence (ou le fait que l’évènement soit non vulnérant) peut être prise en compte dans l’appréciation médicale pour contribuer à la preuve qu’il y a une influence prépondérante de la maladie et de l’usure (c. 8.6).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge


TF 4A_6/2019 du 19 septembre 2019
Responsabilité aquilienne; fixation du dommage, degré de la preuve, évaluation de la perte de gain, tort moral; art. 42 al. 2 et 47 CO
Le TF rappelle les règles en matière de degré et d’allégement de la preuve dans le cadre fixation du dommage selon l’art. 42 al. 2 CO. Une estimation du dommage est possible, conformément à cette disposition, uniquement si la partie supportant le fardeau de la preuve parvient à établir de manière concrète, à savoir avec une vraisemblance prépondérante, l’existence et l’étendue du dommage (c. 4.2 et 4.3).
En l’espèce, le point litigieux principal de cet arrêt porte sur la fixation du dommage relatif aux soins et à l’assistance médicale d’une personne devenue paraplégique (ci-après : l’intimée) à la suite d’un accident de la circulation. L’instance précédente avait pris en compte dans l’estimation de ce dommage, à tort selon le TF, que selon l’expérience générale, les besoins de soins de longue durée chez les personnes paraplégiques augmentent avec l’âge, de sorte que les frais de soins et d’hospitalisation de l’intimée augmenteraient de manière certaine dans le futur (c. 4.4).
Le TF a partiellement admis le recours de la compagnie d’assurance et a retenu que la prise en compte de cette seule expérience générale, qui au demeurant peut également être retenue à l’égard de personnes ne souffrant d’aucun handicap, ne permet pas d’estimer de manière concrète le montant du dommage et le moment de sa survenance au sens de l’art. 42 al. 2 CO. En particulier, le TF a jugé qu’en raison de l’absence de valeurs empiriques permettant de déterminer l’âge auquel les personnes paraplégiques ont besoin de soin, et de l’impossibilité à effectuer un pronostic personnel de l’intimée quant à ses besoins de soins futurs, ni la survenance du dommage, ni son étendue ne peuvent être déterminées en l’espèce. Le recours a été admis sur ce point (c. 4.4 et 4.5).
En outre, le TF rappelle que dans la fixation du dommage consécutif à la perte de gain, seul doit être tenu compte d’une augmentation réelle et individuelle du salaire de 1 % par année jusqu’à l’âge probable de la retraite. N’est pas applicable à la perte de gain, la jurisprudence connue en matière de fixation du dommage ménager, selon laquelle une augmentation générale de 1 % du salaire par année doit être prise en compte dans l’estimation de ce dommage (c. 5.2.2).
Quant au tort moral alloué par l’instance inférieure à la lésée, soit CHF 265’000.00, le TF estime que l’instance inférieure a outrepassé son pouvoir d’appréciation en accordant un montant sensiblement plus élevé que celui alloué dans des cas similaires par le passé (c. 6.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 6B_120/2019 du 17 septembre 2019
Responsabilité aquilienne; commission par omission, violation des règles de l’art de construire, prescriptions concernant les garde-corps et balustrades; art. 8 et 16 OTConst
Engagé sur un chantier, A. s’est blessé en tombant dans une excavation de cinq mètres de profondeur environ. Reconnus coupables de violation des règles de l’art de construire par négligence ainsi que de lésions corporelles simples par négligence, X. et Y. recourent au TF en concluant à leur libération.
Pour qu’il y ait délit de commission par omission, il faut que la loi contienne à tout le moins expressément la menace d’une peine pour le cas où le résultat serait provoqué par un acte, que le prévenu ait effectivement pu prévenir le résultat en agissant et qu’il ait en outre eu l’obligation de le faire de par sa position de garant, de sorte que son omission équivaut au fait de provoquer le résultat par un comportement actif (ATF 141 IV 249). Il faut encore regarder si le résultat aurait pu être évité. Dans ce contexte, on analyse un déroulement causal hypothétique et on examine si, dans l’hypothèse où l’auteur aurait agi conformément à son devoir de diligence, le résultat ne se serait pas produit. Pour que le résultat soit imputé à l’auteur, il suffit que le comportement de ce dernier ait, selon toute vraisemblance, été la cause du résultat (ATF 140 II 7) (c. 4.3).
La condition essentielle pour qu’il y ait une violation du devoir de prudence et par là responsabilité par négligence est la prévisibilité du résultat. Les phases du déroulement menant au résultat doivent pour l’essentiel être prévisibles pour l’auteur. Dans un premier temps, il faut se demander si l’auteur pouvait prévoir ou aurait pu ou dû prévoir la mise en danger de biens juridiquement protégés d’autrui. Pour répondre à cette question, il faut examiner le rapport de causalité qui doit être adéquat. Il n’y aura rupture du lien de causalité adéquate que si des circonstances extraordinaires imprévisibles, comme la faute concomitante de la victime ou d’un tiers ou un défaut matériel ou de construction surviennent. Ces circonstances doivent en outre être si graves qu’elles apparaissent comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à les amener et notamment le comportement de l’auteur (c. 4.4).
L’Ordonnance sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction (OTConst) fixe les mesures qui doivent être prises pour assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction. Les postes de travail doivent offrir toute la sécurité voulue et pouvoir être atteints par des passages sûrs (art. 8 al. 1 OT Const). Aux fins d’assurer la sécurité des postes de travail et des passages, il faut en particulier que des protections contre les chutes au sens des art. 15 à 19 soient installées (art. 8 al. 2 let. a OTConst). L’art. 16 OTConst détaille les exigences relatives aux protections latérales (balustrades) ; en particulier, l’arête supérieure du garde-corps doit se situer entre 95 et 105 cm au-dessus de la surface praticable, celle de la filière intermédiaire entre 50 et 60 cm au-dessus de cette surface (al. 2) (c. 5.2).
En l’espèce, une balustrade d’au minimum 95 cm de hauteur aurait dû être posée aux abords de l’excavation d’environ 5 mètres de profondeur, dans la mesure où il s’agissait d’un passage vers les postes de travail (c. 5.3). Or, le bord supérieur de la barrière mise en place avait une hauteur maximale de 80 cm, ne satisfaisant pas aux exigences de l’art. 16 al. 2 OTConst. Vu que le respect des prescriptions de sécurité s’impose à tout employeur de personnes visiblement exposées à un danger (c. 7.2) et que le résultat prévisible aurait pu être évité (c. 8.2 et 8.3), c’est à juste titre que X. et Y ont été condamnés. Le TF a ainsi rejeté les recours respectifs de X. et Y.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


ATF 145 V 320, TF 9C_494/2019 du 16 septembre 2019
Assurance-vieillesse et survivants; salaire soumis à cotisations, indemnité de formation, changement de pratique; art. 49 al. 2 LPGA; 5 al. 2 LAVS; 6 al. 2 let. g RAVS
Le TF confirme sa jurisprudence concernant les conditions d’un changement de pratique (ATF 142 V 87 c. 5.1), qui sont remplies en l’espèce. Le TF a reconnu que la décision en constatation de la Caisse de compensation zurichoise qui avait décidé de soumettre l’indemnité versée durant la formation d’un stagiaire de l’Eglise évangélique réformée à l’obligation de cotiser, revenant sur son ancienne pratique, ne violait pas le droit fédéral (c. 6). Le TF a considéré que la situation juridique de ces stagiaires n’était pas différente de celles d’autres stagiaires (par ex. avocat, médecin, architecte). Le TF a tout d’abord relevé que l’activité exercée par le stagiaire, soit notamment 70 heures de cours, un culte par mois et la conduite d’entretiens spirituels, avait une valeur économique et produisait un résultat pour la Paroisse. Le TF a examiné ensuite en détails les conditions de cette indemnisation. Il a considéré qu’il existait un lien entre l’activité déployée par le stagiaire et l’indemnisation, puisque si le stagiaire ne travaillait qu’à temps partiel, l’indemnité était réduite proportionnellement. Il a également relevé qu’en sus de cette indemnité, les stagiaires étaient mis au bénéfice d’un AG demi-tarif, d’un montant de CHF 500.- pour acheter des livres, d’un remboursement des frais d’hébergement dans les établissements d’enseignement durant les périodes de cours et d’une contribution forfaitaire pour les repas pris à l’extérieur. Le TF a enfin confirmé qu’il voyait un lien économique effectif entre le travail effectué et la rémunération versée au stagiaire. Pour toutes ces raisons, l’indemnité de base de CHF 3'500.- ne devait plus être considérée comme des frais de formation mais comme un salaire soumis à cotisation (c. 5.5.2 et 5.5.3).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne


TF 4A_253/2019 du 5 septembre 2019
Assurances privées; indemnités journalières maladie LCA, incapacité de travail, appréciation (anticipée ou pas) des preuves de l’existence ou non d’une incapacité de travail, possibilités de discuter cette appréciation par-devant le TF; art. 97 al. 1, 105 et 106 LTF
Dans son recours en matière civile, l’assuré soutient premièrement que c’est à tort que le tribunal cantonal a retenu qu’il ne présentait pas, en avril 2017, et pour cause de coxa saltans (ressauts de hanche), une incapacité le travail d’au moins 25 %. Il se plaint deuxièmement, lui qui avait demandé la mise en œuvre de deux expertises, d’une violation, par le tribunal cantonal, de son droit à la preuve. Troisièmement, il fait valoir que le délai de trois mois qui lui a été accordé pour changer de métier est, dans les circonstances de son cas, trop court.
Sur la question de l’existence très vraisemblable d’une incapacité de travail d’au moins 25 % avant le 30 avril 2017, date à laquelle ont pris fin tant la couverture d’assurance que les rapports de travail, le TF estime que le tribunal cantonal s’est, pour nier l’existence d’une telle incapacité, fondé principalement sur la lettre par laquelle l’assurance de protection juridique du recourant avait, le 6 février 2018, fait savoir à l’assurance que la coxa saltans de l’assuré n’était, pour la première fois, devenue symptomatique qu’en mi-2017. Or le recourant n’a pas, explique le TF, démontré en quoi cette manière de voir les choses était manifestement erronée. De sorte que, selon le TF, le tribunal cantonal n’a pas, en retenant que l’assuré n’avait pas, au degré de la vraisemblance prépondérante, prouvé la survenance d’une incapacité de travail de 25 % au moins avant le 31 avril 2017, fait preuve d’arbitraire (c. 3.2).
Sur la question de la violation du droit à la preuve, le TF admet que le tribunal cantonal ne s’est pas exprimé sur les demandes d’expertises formulées par l’assuré, mais il estime que cela n’est pas déterminant. Puisque le tribunal cantonal pouvait, aux conditions qui sont énoncées par la jurisprudence (l’autorité peut renoncer à la mise en œuvre des mesures d’instruction demandées par le justiciable lorsque les preuves déjà administrées lui ont permis de forger sa conviction et qu’elle a acquis la certitude que la mesure qui lui est proposée par le justiciable ne pourrait pas l’amener à modifier son opinion et/ou lorsqu’elle estime que la mesure probatoire qui lui est proposée par le justiciable est, très largement, inapte à établir le fait à prouver), procéder à une appréciation anticipée des preuves. Or le TF ne revoit une telle appréciation (anticipée des preuves), du moins quand elle ne vise qu’à l’établissement concret de tel ou tel fait, que sous l’angle restreint de l’arbitraire (c. 3.4.1).
Enfin, sur la question du délai d’adaptation accordé à l’assuré pour changer d’activité, le TF admet que les conséquences de la coxa saltans, même non assurée, auraient pu jouer un rôle dans l’appréciation de ce qu’aurait dû être le délai à accorder à l’assuré pour changer d’activité, mais que cela n’avait pas d’incidence ici, puisque le tribunal cantonal n’a pas, en considérant que l’assuré avait très rapidement, après le traitement qu’il a suivi auprès d’un chiropraticien, été en mesure de reprendre une activité nouvelle, abusé de son pouvoir d’appréciation (c. 4.2 et 4.3).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 6B_1178/2018 du 4 septembre 2019
Responsabilité du détenteur de véhicule à moteur; notion de domicile; art. 31 al. 1 et 90 LCR; 3 al. 1 OCR
Pendant qu’il conduisait sa voiture, X. a tendu une bouteille à son petit-fils qui se trouvait sur le siège passager. Lors de cette manœuvre, son véhicule a dévié sur la voie de circulation opposée sur une distance d’une vingtaine de mètres, obligeant la voiture venant en sens inverse – une voiture de police banalisée – à freiner et à monter sur le trottoir pour éviter une collision frontale.
Le TF confirme que ce comportement constitue une violation grave au sens de l’art. 90 al. 2 LCR d’une règle de la circulation routière (en l’occurrence celle l’art. 31 al. 1 LCR en lien avec l’art. 3 al. 1 OCR) (c. 2.4).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge


TF 4A_228/2019 du 2 septembre 2019
Assurances privées; contrat d’assurance; indemnités journalières en cas de maladie; art. 2 al. 2 LSAMal; 61 LCA; 28 al. 2 LACI
En raison d’une micro-déchirure du ménisque droit, puis de divers symptômes attribués par son médecin traitant à une maladie de Lyme, l’intimé se trouvait en arrêt de travail à 100% et ne pouvait plus exercer sa profession de chauffeur poids lourds. En revanche, selon l’expertise médicale pluridisciplinaire qui a été réalisée, il jouissait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à diverses limitations fonctionnelles. Se basant sur dite expertise, l’assureur avait mis fin au versement des indemnités journalières maladie et n’avait pas imparti de délai à son assuré afin qu’il puisse réduire le dommage en s’adaptant aux nouvelles conditions et de retrouver un emploi adapté à ses limitations. Ce dernier avait ensuite perçu des indemnités de l’assurance chômage.
L’art. 61 LCA prévoit que lors du sinistre, l’ayant droit est obligé de faire tout ce qui est possible pour restreindre le dommage. S’il n’y a pas péril en la demeure, il doit requérir les instructions de l’assureur sur les mesures à prendre et s’y conformer (al. 1). Si l’ayant droit contrevient à cette obligation d’une manière inexcusable, l’assureur peut réduire l’indemnité au montant auquel elle serait ramenée si l’obligation avait été remplie (al. 2). Le TF a considéré que l’art. 61 LCA était l’expression d’un principe général dont il peut être déduit, en matière d’assurance d’indemnités journalières soumise au droit des assurances sociales, l’obligation de l’assuré de diminuer le dommage par un changement de profession lorsqu’un tel changement peut raisonnablement être exigé de lui, pour autant que l’assureur l’ait averti à ce propos et lui ait donné un délai approprié. Selon la jurisprudence, lorsque l’assuré doit envisager un changement de profession en regard de l’obligation de diminuer le dommage, la caisse doit l’avertir à ce propos et lui accorder un délai adéquat – pendant lequel l’indemnité journalière versée jusqu’à présent est due – pour s’adapter aux nouvelles conditions ainsi que pour trouver un emploi; dans la pratique, un délai de trois à cinq mois imparti dès l’avertissement de la caisse doit en règle générale être considéré comme adéquat.
Selon l’art. 28 al. 2 LACI, les indemnités journalières de l’assurance-maladie ou de l’assurance-accidents qui représentent une compensation de la perte de gain sont déduites de l’indemnité de chômage.
Vu les conclusions de l’expertise médicale pluridisciplinaire, l’assureur qui entendait mettre fin au versement des indemnités journalières perte de gain maladie était dans l’obligation de rendre attentif son assuré au changement de profession qui pouvait raisonnablement être attendu de lui, lui accorder un délai raisonnable pour s’adapter à ces nouvelles conditions et poursuivre le versement des indemnités journalières pendant cette période. L’assureur privé couvrant la perte de gain due à la maladie ne pouvait ainsi cesser le versement des indemnités journalières au motif que l’assurance-chômage indemnisait l’assuré pour la même période. N’ayant pas respecté les principes de l’art. 61 LCA et 28 al. 2 LACI et la jurisprudence associée, l’assureur ne pouvait pas interrompre le versement des indemnités journalières comme il l’a fait. Le recours de l’assureur a dès lors été rejeté par le TF.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 4A_225/2019 du 2 septembre 2019
Responsabilité du détenteur d’ouvrage; notion de bâtiment et autre ouvrage, armoire murale; art. 58 CO
Une femme de ménage se blesse en nettoyant l’armoire d’un hôpital public bâlois ; plus précisément, elle reçoit sur la tête un tablard mal monté ou même pas monté du tout, ce qui lui occasionne un coup-du-lapin ainsi qu’une commotion cérébrale.
Répond à la notion d’ouvrage, au sens de l’art. 58 CO, uniquement l’équipement ou l’aménagement stable d’un bâtiment ; c’est le cas d’une armoire murale incorporée au bâtiment. La question de savoir si un tablard, qui aurait dû être monté, car faisant partie de l’armoire, mais qui n’a pas été monté, constitue un ouvrage, au sens de l’art. 58 CO, est laissée ouverte par le TF.
Par contre, un tablard de taille différente que ceux montés dans l’armoire, et qui est simplement posé sur un autre tablard, ne constitue pas un ouvrage.
Le TF se réfère également au rapport de la SUVA, laquelle n’a pas constaté de défaut aux armoires en tant que telles.
La demanderesse n’ayant pas pu prouver, respectivement n’ayant pas suffisamment substantifié que le tablard avait été mal monté, il n’y a donc en l’espèce pas de responsabilité de l’hôpital propriétaire du bâtiment.
Auteur : Didier Elsig, avocat

ATF 145 III 409, TF 4A_396/2018 du 29 août 2019
Responsabilité du voyagiste; action partielle, voyage à forfait, fardeau de la preuve; art. 86 CPC; 14 et 15 LVF
Une action partielle est limitée à une partie du tort moral invoquée par un consommateur à l’encontre d’un organisateur de voyage avec lequel il a conclu un voyage à forfait, comprenant un transfert en voiture avec chauffeur, confié à un prestataire local. Durant ce transfert, qui a lieu en Inde, survient un accident de la circulation qui provoque le décès de l’épouse du demandeur, ainsi que d’importantes lésions corporelles à ce dernier.
Le TF examine en premier lieu la recevabilité de l’action partielle. Il rappelle que selon la jurisprudence, l’exigence d’indiquer l’ordre d’examen et/ou l’étendue de chaque prétention est désormais révolue, et qu’il suffit que le demandeur allègue et motive de manière suffisante qu’une ou plusieurs de ces prétentions excède le montant réclamé (c. 4.1). Il rappelle que la possibilité d’intenter une action partielle est reconnue par l’art. 86 CPC, mais susceptible de constituer un abus de droit. Il n’y a pas de tel abus lorsque l’action partielle est utilisée pour servir de « procès pilote » dans une affaire posant des problèmes juridiques délicats engendrant un risque procédural. Le défendeur jouit par ailleurs de la possibilité d’intenter reconventionnellement une action négatoire régie par la procédure ordinaire, faculté réservée par la jurisprudence malgré l’art. 242 al. 1 CPC, qui exige que les actions principale et reconventionnelle relèvent de la même procédure (c. 4.2).
Le TF examine ensuite le fondement de l’action en responsabilité prévue par les art. 14 et 15 LVF. Il parvient à la conclusion que la LVF ne visait pas à imposer une responsabilité spéciale de l’organisateur, engagée dès la réalisation du risque inhérent au moyen de transport, dispensant l’ayant droit d’établir d’autres violations contractuelles. Dès lors, il appartient au consommateur d’établir l’existence d’une violation contractuelle, commise soit par l’organisateur de voyages, soit par ses prestataires de services (c. 5.8.1). Compte tenu du fait que le voyage à forfait est composé des prestations diverses susceptibles de comporter des traits de la vente, du mandat et du contrat d’entreprise, cette particularité rejaillit sur la responsabilité contractuelle, laquelle doit s’apprécier à l’aune de la prestation mise en cause. Lorsqu’il a été convenu, par exemple, d’un séjour dans un hôtel 5 étoiles ou d’une chambre avec vue mer, ou du fait qu’un transfert doit s’effectuer dans une limousine, il ne s’agit pas d’exercer l’activité avec diligence, mais de garantir un résultat, dont l’absence entraîne la responsabilité du voyagiste (c. 5.8.2). Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’une prestation de transport de personnes, laquelle est généralement qualifiée de contrat de mandat, dans le cadre duquel le mandataire assume une obligation de diligence, soit une obligation de moyen et non de résultat. Il incombe au mandant de prouver que le mandataire a violé son devoir de diligence. S’inspirant de ce qui précède, le TF considère qu’au vu des aléas de la circulation routière, la seule survenance d’un accident ne permettait pas de retenir l’existence d’une violation contractuelle. Comme on ignore le comportement du chauffeur/prestataire de services, le demandeur a échoué à prouver que ce dernier aurait commis un manquement constitutif d’une violation du devoir de diligence, dont l’organisateur de voyages devait répondre.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève


ATF 145 V 304, TF 9C_540/2018 du 29 août 2019
Assurance-maladie; traitement hospitalier extracantonal, libre choix de l’hôpital, planification intercantonale, financement des séjours hospitaliers; art. 39, 41 et 49a LAMal
Cet arrêt du 29 août 2019 concerne le recours formé par une clinique privée du canton de Thurgovie contre une décision du Conseil d’Etat du canton de Zurich relative à une limitation des cas pris en charge par ledit canton en cas de séjour hospitalier hors-canton de patients zurichois. Dans cette décision, le TF a confirmé sa jurisprudence selon laquelle, lorsqu’un canton planifie les besoins en prestations hospitalières stationnaires de sa population résidente en prenant en compte les données relatives au nombre des patients résidant dans le canton uniquement, l’hospitalisation extracantonale volontaire d’un patient n’est pas régie ni limitée par la planification hospitalière du canton du siège de l’hôpital.
En l’occurrence, le gouvernement du canton de Zurich ne peut pas valablement se fonder sur la planification hospitalière du canton de Thurgovie concernant la clinique recourante pour refuser de payer sa participation aux coûts de l’hospitalisation volontaire extracantonale de patients zurichois dans ladite clinique.
Auteur : Guy Longchamp



TF 4A_328/2018 du 27 août 2019
Assurances privées; assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, arbitraire, violation du droit à la preuve; art. 72 al. 1, 90, 93 et 95 LTF; 3 al. 1 et 4 LPGA; 152 CPC; 29 al. 2 Cst
Une personne atteinte d’une arthrose à la cheville droite demande le versement d’indemnités journalières pour cause de maladie à la suite d’une incapacité de travail. Le litige porte ainsi sur une obligation de prestation résultant d’une assurance complémentaire à l’assurance maladie. Selon l’art. 2 al.2 LSAMal, ces assurances complémentaires sont régies par la LCA, qui ressortit du droit privé. Les conflits relatifs à ce type d’assurance relèvent donc de la matière civile au sens de l’art. 72 al. 1 LTF.
La notion de maladie est prévue à l’art. 3 al. 1 LPGA. Les conditions générales de l’assurance opposent la notion de maladie à celle d’accident, faisant coïncider cette dernière avec la définition énoncée à l’art. 4 LPGA. La question est de savoir si l’arthrose à la cheville droite du requérant résulte d’un cas de maladie ou provient d’une fracture survenue à l’âge de 19 ans, et donc de cause accidentelle.
Déterminer si l’accident en cause, survenu il y a des nombreuses années, est une condition sine qua non de l’atteinte à la santé entraînant une incapacité de travail relève de la causalité naturelle. Constater l’existence de celle-ci entre deux évènements est une question de fait que le juge doit trancher selon le degré de la vraisemblance prépondérante.
En revanche, la question de la causalité adéquate ressortit au droit, si bien que le TF l’examine librement. Constitue la causalité adéquate d’un certain résultat tout fait qui, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, était en soit propre à provoquer un effet du genre de celui qui s’est produit, de sorte que la survenance de ce résultat paraît de façon générale favorisée par le fait en question. Le caractère adéquat d’une cause ne suppose pas que l’effet considéré se produise généralement, ni même qu’il soit courant. Il suffit qu’il s’inscrive dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles.
La définition légale de la maladie englobe toutes les atteintes à la santé qui ne sont pas dues à un accident (art. 3 al. 1 LPGA). L’assureur-maladie doit prouver que l’atteinte est accidentelle pour ne pas fournir ses prestations. L’assureur-accidents couvre les rechutes et les séquelles tardives qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec l’évènement assuré. Plus le temps écoulé entre l’accident et la manifestation de l’affection est long, plus les exigences quant à la preuve du rapport de causalité naturelle, selon le degré de la vraisemblance prépondérante, doivent être sévères.
Cependant il appartient à l’assuré d’établir son droit à la prestation en cas de maladie. Le TF rappelle la spécificité de l’arthrose de la cheville comme étant fréquemment d’origine post-traumatique (contrairement à une arthrose de la hanche ou encore du genou). Ainsi, le facteur temporel relevé par le requérant – soit une latence de 45 ans entre sa facture et le cas d’arthrose – ne peut être pris en considération, des décennies pouvant s’écouler entre une blessure et cette affection.
Le droit à la preuve est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst ; il se trouve déduit également de l’art. 8 CC et se concrétise à l’art. 152 CPC. Il est notamment violé lorsqu’un tribunal ne dispose pas des connaissances techniques nécessaires pour trancher une certaine question et qu’il refuse de désigner un expert malgré une réquisition procédurale valable. En l’espèce les rapports médicaux versés à la procédure ont été considérés suffisants par la cour cantonale pour trancher.
Au vu de ce qui précède, l’instance cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire dans établissement des faits pertinents. Le recours est ainsi rejeté.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

TF 8C_9/2019 du 22 août 2019
Assurance-invalidité; contribution d’assistance pour les mineurs; légalité du règlement; art. 42quater LAI; 39a RAI
Selon l’art. 42quater al. 3 LAI, le Conseil fédéral fixe les conditions auxquelles les mineurs ont droit à une contribution d’assistance. Ce dernier a fait usage de la délégation législative en adoptant l’art. 39a RAI, qui prévoit trois occurrences. La troisième, analysée en l’espèce, prévoit un droit à une contribution d’assistance pour les mineurs percevant un supplément pour soins intenses à raison d’au moins six heures par jour (art. 39a let. c RAI).
Dans son jugement, le Tribunal cantonal st-gallois rejette la demande de contribution d’assistance de l’assuré au motif que le Conseil fédéral aurait outrepassé les compétences qui lui étaient déléguées.
En se basant sur le but principal de la contribution d’assistance – renforcer l’autonomie des assurés, les juges cantonaux ont considéré que le mandat législatif contenu à l’art. 42quater al. 3 LAI devait être exécuté en tenant compte de la capacité d’agir des destinataires. Ainsi, en adoptant l’art. 39a let. c RAI, qui fait dépendre la contribution d’assistance d’un certain degré d’incapacité – 6 heures de soins intenses par jour – et non de capacité, le Conseil fédéral n’aurait pas respecté les cautèles de la délégation et, de ce fait, outrepassé le cadre législatif.
Sur la base des débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi et selon une interprétation littérale et systématique, le TF conclut que l’auteur de la disposition règlementaire fondée sur l’art.42quater al.3 LAI dispose d’un très large pouvoir d’appréciation pour régler le droit à la contribution d’assistance des assurés mineurs. Dès lors, c’est à tort que le tribunal cantonal considère que le Conseil fédéral a outrepassé le cadre législatif en fixant les conditions alternatives de l’art. 39a RAI et notamment celle de la lettre c.
L’art. 42quater al. 3 LAI ne prévoit aucune cautèle en relation avec la capacité de jugement ni avec une autonomie minimale. On ne peut donc pas faire état d’une absence de base légale formelle ni d’une violation des principes constitutionnels (égalité de traitement et arbitraire) concernant la disposition réglementaire litigieuse. Comme le recourant a droit à un supplément pour soins intenses (soins et surveillance) d’au moins 6 heures par jour, selon le Tribunal cantonal, il a également droit à une contribution d’assistance. Le recours est admis et l’art. 39a let. c RAI jugé conforme à la LAI.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 2C_560/2019 du 22 août 2019
Responsabilité aquilienne; responsabilité du propriétaire de forêt; art. 41 et 58 CO; 641, 684 et 700 CC
Deux arbres (apparemment en décomposition) d’une parcelle forestière propriété des recourants tombent sur une route. Les pompiers sont mobilisés afin de dégager la route et la commune envoie une facture de CHF 680.-. Déboutés par le Tribunal administratif du canton de St-Gall, les propriétaires recourent au TF.
Le TF relève d’abord que les arbres ne sont pas des ouvrages au sens de l’art. 58 CO : sont des ouvrages, au sens de cette disposition, les bâtiments ou les autres installations stables, construites artificiellement, structurelles ou techniques, liées directement ou indirectement au sol (ATF 130 III 736, c. 1.1). Tel n’est pas le cas des arbres (c. 3.2.1). Ensuite, le TF écarte l’argumentation des recourants, qui plaidaient que la route communale était un ouvrage au sens de l’art. 58 CO, raison pour laquelle la commune devait payer le montant litigieux. Ils auraient dû, ce qu’ils se sont abstenus de faire, indiquer en quoi la route avait été mal entretenue (c. 3.2.2). Les recourants, poursuit le TF, ne peuvent tirer profit des droits de voisinage : en raison de l’art. 684 CC, doivent être supprimées les immissions excessives sur la propriété des voisins. Si un arbre tombe sur le fonds voisin, le propriétaire du fonds concerné peut (art. 700 al. 1 CC) et doit (art. 641 al. 2 CC) enlever l’arbre à ses frais (c. 3.2.3). Le TF fait également un sort à l’argument selon lequel, en vertu de l’art. 100 al. 1er et 2 let. b de la loi sur les routes de St-Gall, la commune aurait dû attendre que les recourants enlèvent les arbres ; la sécurité publique imposait une intervention immédiate (c. 3.2.4). Le TF examine aussi si l’autorité précédente est tombée dans l’arbitraire en appliquant des lois cantonales particulières, ce qui n’est pas le cas (c. 3.2.5 et 3.2.6). Enfin, le TF ne suit pas les recourants qui affirmaient qu’un propriétaire forestier n’est pas tenu d’entretenir sa forêt, de sorte qu’un « blosse[s] Belassen eines Naturstandes » n’entraînerait pour eux aucune responsabilité. L’art. 20 al. 1 de la loi fédérale sur les forêts prévoit que celles-ci doivent être gérées de manière que leurs fonctions soient pleinement et durablement garanties. Cela n’interdit pas qu’un bien fonds soit temporairement géré de manière extensive. Toutefois, l’absence de gestion ne peut mettre en danger les « Polizeigüter[…] » de tiers, soit l’intégrité corporelle, la santé ou la sécurité, cela indépendamment de savoir si la pourriture du tronc était ou non reconnaissable (c. 3.2.7).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 9C_160/2019 du 20 août 2019
Assurance-maladie; défaut de paiement des primes, rachat de l’acte de défaut de biens; art. 64a LAMal
Un assuré a accumulé des arriérés de primes, qui ont conduit l’assureur-maladie à engager des poursuites. Des actes de défaut de biens ont été délivrés. Par la suite, l’assuré a soumis à Mutuel Assurance un plan de désendettement selon lequel il lui proposait de rembourser ses dettes à hauteur de 47,40 % de leur valeur (soit un montant de CHF 4’841.50, sur un total dû de CHF 10’214.-). Par décision du 7 juin 2016, confirmée sur opposition le 5 octobre 2017, Mutuel Assurance a refusé la proposition de l’assuré de racheter, à un montant inférieur à leur valeur, les actes de défaut de biens relatifs aux créances arriérées postérieures au 1er janvier 2012.
Dans sa décision du 20 août 2019, le Tribunal fédéral a conclu que le paiement intégral des dettes d’une personne assurée se rapporte au montant total de la créance constatée par un acte de défaut de biens, même lorsque le canton a pris en charge la part de 85 % selon l’art. 64a al. 3 et 4 LAMal. En d’autres termes, la dette de l’assuré à l’égard de son assureur-maladie au sens de l’art. 64a al. 5 LAMal n’est pas diminuée par la prise en charge par le canton de 85 % des créances. En l’espèce, l’assureur-maladie pouvait donc valablement refuser la proposition de l’assuré.
Auteur : Guy Longchamp

TF 8C_629/2018 du 19 août 2019
Assurance-invalidité; frais de l’instruction à charge de l’assuré; conditions; art. 45 al. 3 LPGA
L’Office AI du canton de Zoug refuse d’entrer en matière sur une demande de prestations pour défaut de collaboration de l’assuré et met les frais d’instruction à hauteur de CHF 2’403.- à charge de l’assuré sur la base de l’art. 45 al. 3 LPGA.
Le TF admet le recours de l’assuré. La mise des frais à la charge de l’assuré ne saurait être justifiée par le simple fait que le devoir de collaboration n’a pas été respecté. Seuls les coûts des actes entravés par le comportement fautif de l’assuré peuvent être mis à la charge de celui-ci. La mise des frais à la charge de l’assuré, qui constitue l’exception, est uniquement admissible lorsque le comportement répréhensible de l’assuré est lié aux frais encourus (c. 5.3.2).
En l’espèce, l’assuré avait prévenu l’Office AI qu’il ne se présenterait pas à l’expertise si les résultats d’une observation secrète n’étaient pas écartés du dossier. L’Office AI aurait donc pu d’emblée annuler la mission d’expertise et éviter les frais.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

TF 8C_791/2018 du 19 août 2019
Assurance-accidents; notion d’accident; facteur extraordinaire; mouvement non coordonné; art. 4 LPGA
A. a déclaré l’accident qu’il a subi le 24 juillet 2017 auprès de la CNA en ces termes : « En sortant la prise d’alimentation d’un container, le bras gauche tendu vers le haut, il y a eu une brève résistance ; la prise est venue d’un coup provoquant un coup violent dans le bras et une douleur instantanée. Depuis, je n’arrive plus à lever le bras ! ». La CNA a considéré que les troubles de l’assuré n’étaient pas liés à un accident ou une lésion assimilée à un accident.
Matériellement, le litige porte sur le point de savoir si l’événement du 24 juillet 2017 est constitutif d’un accident, au sens de l’art. 4 LPGA. Le TF rappelle les cinq éléments constitutifs de la notion d’accident.
S’agissant du caractère extraordinaire de l’atteinte, celui-ci ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède, dans le cas particulier, le cadre des événements et des situations que l’on peut, objectivement, qualifier de quotidiens ou d’habituels (c. 3.2.). Dans le cas d’espèce, le TF retient que A. a ressenti une vive douleur au moment du mouvement brusque du bras, soit après que la résistance a cédé, et non lorsqu’il a fourni un effort pour retirer le câble. Le point de vue de la CNA selon lequel les lésions de A. seraient en réalité dues à l’effort déployé n’est pas étayé sur le plan médical. Cela étant, les habitudes professionnelles ne sont en l’espèce pas un critère pertinent pour nier ou admettre l’existence d’un accident (c. 5.1.).
Le TF précise que, pour les mouvements du corps, l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire est en principe admise en cas de « mouvement non coordonné », à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l’environnement extérieur. En l’occurrence, on se trouve en présence d’un mouvement non maîtrisable d’un point de vue physiologique, soit un empêchement non programmé et lié à l’environnement extérieur (l’effet de résistance) entravant le déroulement naturel du mouvement corporel. Dans ce cas, l’existence d’un facteur extraordinaire doit être admise (c. 5.2).
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 6B_470/2019 du 9 août 2019
Responsabilité aquilienne; tort moral, actes de procédure pénale, tiers; art. 434 CPP; 49 CO
En vertu de l’art. 434 al. 1 CPP, les tiers qui, par le fait d’actes de procédure ou du fait de l’aide apportée aux autorités pénales, subissent un dommage ont droit à une juste compensation si le dommage n’est pas couvert d’une autre manière, ainsi qu’à une réparation du tort moral. Matériellement, la demande en indemnisation du tort moral doit être évaluée dans ce contexte en référence aux art. 28a al. 3 CC et 49 CO. C’est dire que dans ce cadre également, il n’existe un droit à réparation du tort moral que si la personne concernée a subi une atteinte particulièrement grave à sa personnalité (c. 4.4.2). L’art. 434 CPP prévoit une responsabilité causale, si bien que l’indemnité pour tort moral peut également être allouée suite à des actes de procédure parfaitement licites (c. 4.5).
En l’espèce, le TF a considéré qu’une indemnité de CHF 200.- allouée à l’épouse et au fils d’une personne prévenue d’escroquerie, de vol et d’abus de confiance ne violait pas le droit fédéral. La requérante fondait sa demande sur une perquisition qui avait duré trois heures et qui avait été conduite de manière relativement discrète par quatre policiers. Il n’a notamment pas été pris en considération pour fixer le montant de l’indemnité le fait que lors de cette perquisition, une clef USB contenant des documents relatifs à sa grossesse avait été séquestrée (c. 4.4.3).
Note : La pratique des autorités pénales et du TF en matière de tort moral dans le cadre de la nouvelle procédure pénale fédérale ne manque pas d’interpeller les juristes actifs en matière de dommages corporels. En effet, si les indemnités pour tort moral allouées en application de l’art. 429 al. 1 let c ou de l’art. 434 al. 1 CPP doivent matériellement être évaluées selon les critères généraux de l’art. 49 CO, et si par conséquence le critère de l’atteinte d’une certaine gravité s’applique également en procédure pénale, force est de constater que la jurisprudence fédérale fait une application peu cohérente de cette même notion selon qu’elle traite de lésions corporelles ou d’atteinte à la personnalité dans le cadre d’une enquête pénale. On comprend mal en effet, alors que les mêmes critères sont supposés s’appliquer, que l’on peut d’un côté allouer une indemnité, fût-elle très modeste, suite à une perquisition de trois heures alors qu’on la refusera en principe au lésé qui n’est pas en mesure d’établir une atteinte à long terme à sa santé, ou à tout le moins une atteinte passagère grave accompagnée d’un risque de mort, d’une longue hospitalisation ou de douleurs particulièrement intenses ou durables (voir par exemple l’arrêt 4A_227/2007, c. 3.7.2). A notre sens, les indemnités pour tort moral allouées dans le cadre du code de procédure pénale doivent nécessairement amener le TF à revoir sa jurisprudence en matière de lésions corporelles et admettre de façon généralisée l’indemnisation du « petit tort moral » que certains auteurs romands appellent de leurs vœux (voir notamment Franz WERRO, La responsabilité civile, 3ème éd., Berne 2007, N 203 ss).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 8C_62/2019 du 9 août 2019
Assurance-accidents; procédure, expertise, récusation d’un expert; art. 36 al. 1 LPGA
Les critères permettant de récuser un expert (art. 36 al. 1 LPGA) sont fondamentalement identiques à ceux permettant de récuser un juge. L’apparence de la partialité suffit déjà à exiger une récusation. Au surplus, l’expertise ayant un rôle cardinal en matière d’assurances sociales, on doit se montrer très rigoureux avec la notion d’impartialité (c 5.2).
En l’espèce, le TF se pose la question de savoir si un coup de téléphone donné à l’expert est susceptible de donner l’impression de la partialité. Le dossier est renvoyé à l’autorité précédente, car il faut déterminer si le coup de téléphone a simplement concerné une communication rapide au secrétariat de l’expert, ce qui conduirait certainement à admettre l’impartialité de celui-ci ou s’il a été adressé directement à l’expert avec une discussion approfondie du cas, ce qui imposerait d’admettre la récusation, car on aurait au moins l’impression d’une partialité.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 6B_514/2019 du 8 août 2019
Responsabilité aquilienne; causalité, expertise, lésions corporelles graves, arbitraire; art. 41 CO; 122 et 122 al. 3 CPP
Le recourant reproche à la cour cantonale d’avoir arbitrairement retenu une connexité temporelle et locale entre le coup qu’il a porté à B. et les douleurs dont souffrait celle-ci. Il explique qu’un syndrome myofascial est causé par des lésions musculaires dans le dos, causé par exemple et la plupart du temps par des accidents d’ordre sportif ou des mauvaises postures répétées, qui créent des points de tensions musculaires aussi appelées « noeuds de contractions », lesquels créent des douleurs chroniques du fait que les fibres musculaires ne peuvent pas se décontracter.
A la question de savoir si le syndrome myofascial de B. était en relation avec le coup porté à la mâchoire par le recourant, la cour cantonale a exposé que B. avait expliqué qu’elle souffrait de douleurs persistantes et permanentes dans la mâchoire depuis les faits et qu’elle n’avait jamais souffert de telles douleurs avant les faits. Elle a considéré que les déclarations de B. étaient crédibles, dans la mesure où celle-ci avait été extrêmement soucieuse, tout au long de la procédure, de ne pas porter préjudice à tort au recourant, en affirmant par exemple, que le coup pouvait très bien être accidentel.
Elle a aussi relevé que B. travaillait au moment des faits et qu’elle n’avait plus été en mesure de travailler par la suite. Comme les douleurs éprouvées par B. n’étaient apparues qu’après le coup porté par le recourant et qu’elles étaient localisées à la mâchoire, la cour cantonale a retenu une connexité temporelle et locale entre les deux.
Pour retenir que le coup porté par le recourant à B. avait entraîné un syndrome myofascial, la cour cantonale s’est fondée sur les seules déclarations de B. Pour déterminer les lésions exactes subies par la victime, elle aurait dû recourir à une expertise ou, à tout le moins, se fonder sur un certificat médical. Les certificats produits par cette dernière (qui figurent au dossier mais qui ne sont pas cités par la cour cantonale) ne permettent pas de retenir une telle connexité.
Il convient donc d’admettre que la cour cantonale a versé dans l’arbitraire en retenant, sur la base des seules déclarations de B., que le coup porté par le recourant avait entraîné un syndrome myofascial et d’annuler le jugement attaqué sur ce point.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle



TF 8C_808/2018 du 8 août 2019
Assurance-accidents; compétence du tribunal cantonal des assurances; art. 58 al. 1 LPGA
L’art. 58 al. 1 LPGA selon lequel est en premier lieu compétent le tribunal des assurances du canton de domicile de l’assuré vaut, en particulier en matière d’assurance-accidents LAA faute de base légale contraire, non seulement à l’égard des causes concernant les prestations, mais aussi à l’égard des causes concernant les cotisations. Même dans les cas où l’employeur a son siège à l’étranger ou dans ceux où la qualité d’assuré est litigieuse, il n’y a pas d’exception en faveur du siège de l’organe d’exécution.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle

TF 9C_106/2019 du 6 août 2019
Assurance-invalidité; avis médicaux, valeur probante, doutes quant au diagnostic, procédure probatoire structurée; art. 7 et 8 LPGA; 4 et 28 al. 1 LAI
Le TF rappelle que les rapports médicaux pertinents pour évaluer l’invalidité de la personne assurée sont en principe ceux qui ont été établis avant la date de la décision litigieuse. Cependant, si un rapport médical postérieur permet d’éclairer la situation médicale existant à ce moment-là, il doit être pris en considération. En l’espèce, c’est à tort que le tribunal cantonal des assurances a écarté l’avis d’un spécialiste produit par la recourante en procédure de recours cantonale. En effet, ce rapport reprenait et discutait les conclusions de rapports médicaux précédents et offrait ainsi un éclairage sur la situation médicale existant au moment de la décision (c. 2.3.1).
Un doute quant au diagnostic exact qu’il convient de poser dans un cas donné doit conduire à la mise en œuvre d’une expertise lorsque, comme en l’espèce, l’une des possibilités est un diagnostic organiquement objectivable (sclérose en plaques) ou, au contraire, non objectivable (syndrome de fatigue chronique). En effet, dans cette seconde hypothèse, il convient d’établir ou d’exclure l’invalidité de la personne assurée au moyen de la procédure probatoire structurée (ATF 141 V 281) ; dans la première hypothèse, un tel procédé n’est pas autorisé (« unzulässig ») (c. 2.3.3-2.3.5).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_73/2019 du 29 juillet 2019
Assurances privées; indemnités journalières maladie LCA, incapacité de travail, obligation de sauvetage, changement d’activité, délai; art. 2 al. 2 LSAMal; 74 al. 2 let. b et 75 al. 2 let. a LTF; 21 al. 4 LPGA; 61 LCA
Sur la question litigieuse qui est celle de savoir ce que doit être, dans le cadre d’une assurance d’indemnités journalières en cas de maladie régie par la LCA, la durée pendant laquelle les indemnités doivent être accordées à celui ou celle dont on est en droit d’attendre qu’il ou qu’elle change de profession pour reprendre une activité adaptée à ses problèmes de santé, le TF rappelle la règle selon laquelle c’est, comme dans le cadre de l’assurance-maladie dite sociale, une période de trois à cinq mois qui paraît appropriée à un tel changement.
Quant à la question de savoir si l’assuré(e) a achevé ou non un reclassement, élément de fait que le Tribunal cantonal semble avoir, dit le TF, retenu comme étant implicite, elle peut, dit encore le TF, rester ouverte, puisque le délai d’adaptation de trois à cinq mois à accorder à celui ou celle qui doit changer de métier ou d’activité, ne sert pas seulement à un reclassement mais, de manière toute générale, à l’adaptation et à la recherche d’un nouvel emploi (c. 3.3.3).
Le TF considère d’autre part que, comme l’assurance-chômage est, selon l’art. 28 al. 2 LACI, subsidiaire par rapport à une assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, il ne peut être dit que le délai d’adaptation de trois mois et demi, tel que l’a fixé le Tribunal des assurances du canton de Zurich, se trouverait être en contradiction avec l’obligation qu’a l’assuré(e) de diminuer son dommage. Si bien que la recourante n’a pas, dit encore le TF, réussi à démontrer que son assuré aurait, d’une manière ou d’une autre, torpillé (« torpediert ») la reprise par lui, après changement professionnel, d’une activité lucrative adaptée (c. 3.3.4.) ; l’on ne peut ainsi pas dire que le Tribunal des assurances du canton de Zurich ait abusé du pouvoir d’appréciation qu’il faut, selon la formule consacrée (cf. arrêt 4A_111/2010 du 10 juillet 2010, c. 3.2), lui reconnaître conformément l’art. 4 CC.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 9C_110/2019 du 22 juillet 2019
Prestations complémentaires à l’AVS/AI; prestation d’assurance indue; restitution; prise en compte des allocations pour impotent; art. 11 al. 3 let. d LPC; 25a LAMal; 7 al. 2 OPAS; 25 al. 1 LPGA
Les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (art. 3 al. 1 let. a LPC) correspondent à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 LPC). Les allocations pour impotent des assurances sociales ne sont pas prises en compte (art. 11 al. 3 let. d LPC). Toutefois, si la taxe journalière d’un home ou d’un hôpital comprend les frais de soins en faveur d’une personne impotente, l’allocation pour impotent de l’AVS, de l’AI, de l’assurance militaire ou de l’assurance-accidents sera prise en compte comme revenus.
Tel est le cas pour une personne qui séjourne dans un home (au sens de la LPC) et bénéficie d’une allocation pour impotent, lorsque les coûts des prestations du home en raison de l’impotence surviennent de manière régulière et lui sont facturées – en tant que composante de la taxe journalière – de manière forfaitaire. La situation ne se présente toutefois pas toujours de cette manière.
Pour les autres cas, le TF rappelle en premier lieu que les assureurs-maladie prennent en charge une partie des coûts des prestations de soins fournis par les EMS à hauteur d’un forfait déterminé en fonction du besoin en soins du résident (art. 25a al. 1 et 3 LAMal). Conformément à l’art. 25a al. 5 LAMal (dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018), au maximum 20 % de ce montant peuvent être facturés aux résidents au titre des soins définis à l’art. 7 al. 2 OPAS ; il incombe aux cantons de régler le financement résiduel des soins.
Selon la jurisprudence, même si l’allocation pour impotent de l’AVS/AI et les prestations de soins de l’assurance-maladie obligatoire prévues à l’art. 7 al. 2 OPAS sont de nature foncièrement différente, les prestations comprenant les soins de base de l’art. 7 al. 2 let. c OPAS se recoupent avec celles qui sont couvertes par l’allocation pour impotent.
Toutefois, sous l’angle des prestations complémentaires, l’assistance couverte par l’allocation pour impotent ne se recoupe que partiellement avec les prestations de soins au sens de l’art. 7 OPAS, de sorte qu’on ne saurait admettre, de manière générale, que la participation au coût des soins à charge de la personne assurée au sens de l’art. 25a LAMal correspond aux prestations fournies par le personnel de l’EMS en raison de l’impotence.
Lorsque la législation cantonale, en l’occurrence celle du Canton de Neuchâtel, ne fait pas de distinction entre la taxe liée aux prestations d’hôtellerie et la taxe relative à l’assistance, mais fixe un tarif de séjour global, les frais de l’assistance due à l’impotence sont compris de manière forfaitaire dans la taxe journalière et sont, de ce fait, pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires en tant que dépenses reconnues. Aussi, dans un tel cas de figure, l’allocation pour impotent doit être considérée exceptionnellement comme un revenu.
L’obligation de restituer des prestations complémentaires en cas de versement ultérieur d’une prestation considérée comme un revenu n’est pas liée à une violation de l’obligation de renseigner. Cette question joue en revanche un rôle pour la remise de l’obligation de restituer au sens de l’art. 25 al. 1, 2e phrase, LPGA, qui doit faire l’objet d’une procédure séparée.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

ATF 145 V 396, TF 9C_209/2019 du 22 juillet 2019
Assurance-maladie; financement résiduel des soins; art. 25a al. 5 LAMal; 9 al. 5 PfG/ZH
La loi cantonale zurichoise (PfG), qui prévoit, à son art. 9 al. 5, que le financement résiduel des soins en cas de séjour en home incombe à la commune dans laquelle la personne était domiciliée avant son entrée en home, n’est pas arbitraire et ne contrevient pas au principe d’égalité.
A l’ATF 140 V 563, le TF avait procédé à l’analyse de la question au niveau intercantonal, en présence d’une disposition fédérale lacunaire (art. 25a al. 5 LAMal dans sa version antérieure au 1er janvier 2019), et avait relevé que la compétence du canton de provenance de l’assuré se justifiait pour des raisons d’équivalence fiscale (l’assuré y a payé ses impôts avant d’entrer en home) et de concordance avec les règles en matière de prestations complémentaires, et permettait également d’éviter de lourdes charges aux cantons qui sont mieux dotés que d’autres en homes.
Ces réflexions, qui ont été confirmées par une précision législative de l’art. 25a al. 5 LAMal entrée en vigueur le 1er janvier 2019, peuvent être transposées en matière de répartition intercommunale.
En l’espèce, le fait que l’assuré en question n’ait pas eu besoin de soins au début de son séjour en home n’est pas déterminant. L’interprétation du tribunal cantonal, selon laquelle seule l’entrée dans le home est déterminante, n’est pas arbitraire et ne contrevient pas au principe d’égalité.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


ATF 145 V 266, TF 9C_760/2018 du 17 juillet 2019
Assurance-invalidité; mesures de nouvelle réadaptation; interdiction de la discrimination; disp. fin. 6A LAI let. a al. 2; 8a et 9 LAI; 2 ALCP
La question est d’abord celle de savoir si le défendeur, qui réside au Portugal et qui n’exerce aucune activité lucrative en Suisse, a droit à des mesures de nouvelle réadaptation ainsi qu’à une rente accessoire au sens de la let. a al. 2 et 3 Disp. fin. 6A LAI en relation avec l’art. 8a LAI à la suite de la suppression de sa rente AI (c. 3.1).
Le TF relève que la personne assurée qui entre dans le champ d’application de le let. a al. 2 Disp. fin. 6A LAI a droit à des mesures de nouvelle réadaptation uniquement si ces mesures sont sensées et utiles (c. 4.1). Selon l’art. 9 LAI, des mesures de réadaptation peuvent exceptionnellement être appliquées à l’étranger. Le droit aux mesures de réadaptation prend naissance au plus tôt au moment de l’assujettissement à l’assurance obligatoire ou facultative et s’éteint au plus tard à la fin de cet assujettissement (c. 4.2.).
Dans le cas d’espèce, le défendeur réside au Portugal et n’exerce pas d’activité lucrative en Suisse, raison pour laquelle il ne remplit plus les conditions d’assujettissement au sens de l’art. 1b LAI en relation avec l’art. 1a LAVS. Il ne peut ainsi pas faire valoir de droit à des mesures de nouvelle réadaptation (c. 5).
La question est ensuite celle de savoir si la règle selon laquelle une personne qui n’a pas de domicile ni d’activité lucrative en Suisse et à laquelle la rente a été supprimée sur la base de let. a al. 1 Disp. fin. 6A LAI n’a pas de droit à des mesures de nouvelle réadaptation viole l’interdiction de discrimination prévue par l’art. 2 ALCP et plus précisément par l’art. 4 du R (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. Selon l’art. 2 ALCP, les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas, dans l’application de cet accord conformément à ses annexes, discriminés en raison de leur nationalité (c. 6.1-6.1.2).
D’abord, le TF relève que le but de la reprise du droit communautaire dans le domaine de la sécurité sociale n’était pas d’unifier le droit mais de l’harmoniser. Par conséquent, les Etats membres peuvent toujours définir de leur propre chef les conditions d’assujettissement à une certaine assurance ou prestation (c. 6.3.1). Ensuite, le TF relève que la règle générale de collision de l’art. 11 de la directive n° 883/2004 applicable en l’espèce prévoit que les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre (art. 11 al. 1) et que les personnes n’exerçant pas d’activité lucrative sont soumises à la législation de l’Etat de leur résidence (art. 11 al. 3 let. e). Ainsi, c’est en principe le Portugal qui est compétent pour accorder une rente ou d’autres prestations à l’intimé (c. 6.3.2).
Finalement, le TF relève que cette règle est justifiée par des raisons objectives et indépendantes de la nationalité et qu’elle est proportionnée au but poursuivi par cette règle. L’exécution des mesures de réadaptation à l’étranger s’avèreraient souvent très difficile, voire même impossible. C’est pour cette raison que le législateur a prévu que des mesures de réadaptation peuvent être appliquées à l’étranger qu’à titre exceptionnel et à des conditions restrictives (cf. art. 23bis et 23ter LAI). Il ne serait ni sensé ni utile d’essayer de réintégrer une personne à l’étranger après une longue période de perception d’une rente dans le marché du travail suisse. Une telle mesure ne peut avoir de sens que dans l’état de domicile (c. 6.3.3).
Le TF admet le recours de l’office AI.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 9C_724/2018 - ATF 145 V 215 du 11 juillet 2019
Assurance-invalidité; invalidité; atteinte à la santé; syndrome de dépendance; procédure probatoire structurée; obligation de diminuer le dommage; art. 7, 8 et 21 al. 4 LPGA; 4 et 7 al. 2 let. d LAI
Le caractère invalidant d’un syndrome de dépendance, en l’espèce aux benzodiazépines et aux opiacés, doit désormais être évalué dans le cadre de la procédure probatoire structurée mise en place à l’ATF 141 V 281.
La distinction entre dépendance primaire et dépendance secondaire n’est plus pertinente dans ce contexte. En revanche, l’obligation de diminuer son dommage, en particulier de se soumettre aux mesures médicales raisonnablement exigibles, conserve toute sa pertinence.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont



TF 4A_196/2019 du 10 juillet 2019
Assurances privées; contrat d’assurance, clause de déchéance, absence de clause insolite, renonciation à la prescription par l’assureur, absence d’effet sur la péremption; art. 41 al. 2, 45 al. 3 et 46 LCA
Le TF a confirmé un arrêt du Tribunal de commerce du canton d’Argovie qui retenait le caractère non insolite d’une clause de déchéance de la prétention de l’assuré si celui-ci ne la faisait pas valoir judiciairement dans un délai de deux ans dès l’événement dommageable et qui niait que l’assureur se soit comporté de manière contraire à la bonne foi en se prévalant de la péremption alors qu’il avait renoncé à faire valoir la prescription légale et qu’il avait poursuivi les pourparlers autour de la prétention de l’assuré.
Il a relevé que la possibilité de prévoir une clause de déchéance dans le cadre du contrat d’assurance était expressément prévue à l’art. 46 al. 2 LCA. Il a ensuite retenu que, conformément à l’art. 45 al. 3 LCA, l’assuré qui se trouverait empêché de faire valoir une prétention dans un délai légal ou contractuel, par exemple en raison d’une procédure pénale en cours, a la possibilité de le faire aussitôt que l’empêchement a cessé, soit dans l’exemple précité, dès qu’un classement ou un acquittement est prononcé. Enfin, le TF a opéré une distinction entre péremption légale et péremption conventionnelle, avec dans le deuxième cas, la possibilité de revenir en tout temps sur la clause convenue pour éviter que l’assuré soit déchu de son droit.
Auteur : Matthias Stacchetti, chargé d’enseignement


TF 8C_273/2019 du 4 juillet 2019
Assurance-chômage; responsabilité d’une caisse de chômage; respect du délai de péremption; art. 78 LPGA; 20 al. 1 LRCF
La SUVA verse des prestations de l’assurance-accidents à un chômeur accidenté, sur la foi d’une déclaration de la caisse de chômage selon laquelle la personne assurée remplissait les critères d’admissibilité aux prestations de chômage au moment de l’accident. Or, il s’est révélé que tel n’était pas le cas, la personne accidentée touchant en réalité les indemnités journalières de l’assurance-maladie (et donc plus les allocations de chômage) depuis plusieurs mois avant l’accident. La SUVA a renoncé à demander le remboursement des prestations indûment versées à l’assuré, en raison de la bonne foi de celui-ci et du fait qu’il s’agirait d’un cas d'extrême rigueur pour lui. Elle demande réparation du dommage subi à la caisse de chômage, pour un montant de plus de 117’000.- francs. Le Tribunal cantonal lucernois a fait droit à ses prétentions ; la caisse recourt au TF.
La responsabilité de la caisse de chômage est fondée sur l’art. 78 LPGA, aux termes duquel les assureurs répondent, en leur qualité de garants de l’activité des organes d’exécution des assurances sociales, des dommages causés illicitement à un assuré ou à des tiers par leurs organes d’exécution ou par leur personnel. Si une assurance sociale éprouve un dommage du fait d’un autre assureur, elle est considérée comme un tiers lésé au sens de l’art. 78 LPGA. Tel est le cas de la SUVA en l’espèce. Le lésé doit présenter sa demande de dommages-intérêts ou de réparation morale dans le délai d’un an à compter de la connaissance du dommage et, dans tous les cas dans les dix ans à compter de l’acte dommageable (art. 20 al. 1 LRCF applicable en vertu du renvoi de l’art. 78 al. 4 LPGA). Il s’agit d’un délai de péremption. Dans le cas d’espèce, la question se posait de savoir si une note téléphonique du 2 février 2015 suffisait à la SUVA pour avoir connaissance de son dommage, étant admis qu’elle avait présenté ses prétentions à la caisse de chômage le 15 février 2016 seulement. Tel n’était pas le cas aux yeux du Tribunal cantonal, ce que confirme le TF. Les indications fournies lors de cet appel téléphonique ne lui permettaient en effet pas d’avoir connaissance du préjudice subi : la date à laquelle l’assuré avait touché la dernière indemnité journalière de chômage n’était alors pas confirmée. La constatation du Tribunal cantonal, selon laquelle la SUVA n’avait su que le 27 mars 2015 qu’elle avait versé indûment les prestations résiste à l’examen du TF (consid. 5.3.1). Par ailleurs, le TF considère que la juridiction cantonale n’a pas admis arbitrairement que les démarches de la SUVA auprès de l’assuré (pour lequel elle jugeait que les conditions d’une remise étaient remplies) et de l’assureur maladie (qui ne devait verser que les frais de traitement) avaient été infructueuses. En outre, le TF ne voit pas en quoi l’art. 12 LRCF, selon lequel la légalité des décisions et des jugements ne peut en effet être revue dans une procédure en responsabilité, aurait été violé. Au demeurant, le fait que la demande de remboursement du dommage ait échoué tant auprès de l’assuré que de l’assureur maladie n’exclut pas l’application de l’art. 78 LPGA, mais rend au contraire manifeste le préjudice subi par la SUVA (consid. 5.3.2). Le recours de la caisse de chômage a dès lors été rejeté.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 4A_186/2018 du 4 juillet 2019
Assurances privées; indemnités journalières maladie LCA; interprétation des CGA; règle « in dubio contra stipulatorem »; art. 18 CO; 8 LCD
La question litigieuse concerne la durée des prestations dues à l’assuré lié par un contrat soumis à la LCA lorsque, durant l’incapacité de travailler due à la maladie, l’assuré perçoit des indemnités journalières de l’AI, réduisant ainsi provisoirement à néant son droit aux prestations découlant du contrat LCA.
Le TF rappelle que la LCA ne comporte pas de dispositions spécifiques à l’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie, ce qui signifie que le droit aux prestations se détermine d’après la convention liant les parties et notamment les conditions générales d’assurance (ci-après CGA). Il revient dès lors au TF d’interpréter la clause litigieuse des CGA suivante : « pour le calcul de la durée des prestations, les jours où les prestations sont réduites en raison de prestations de tiers comptent comme jours pleins ».
Le TF estime que cette clause peut être interprétée de deux manières (c. 4) :
D’une part, il est possible d’en déduire, comme l’a fait l’assureur en l’espèce, que les jours où l’assureur est fondé à supprimer ses prestations en raison de prestations d’assureurs tiers (comme l’AI) doivent être assimilés aux jours où ces prestations sont réduites pour d’autres motifs. Ces jours sont ainsi pris en compte dans le calcul des 720 indemnités journalières.
D’autre part, cette thèse heurte la logique qui veut qu’une prétention doit exister pour être réduite. Or, si les prestations versées par le tiers compensent entièrement la perte de gain de l’assuré, celui-ci ne touchera aucune indemnité journalière LCA. Les jours pendant lesquels l’assuré touche des prestations d’un tiers ne doivent dès lors pas être pris en compte dans le calcul des 720 indemnités journalières. Lorsque le tiers cesse de verser les prestations et que l’assureur LCA reprend l’indemnisation, celle-ci perdure alors jusqu’à ce qu’il ait effectivement versé 720 indemnités journalières.
En vertu de la règle in dubio contra stipulatorem, lorsqu’une clause des CGA peut être qualifiée de clause ambigüe, elle doit être interprétée en faveur de l’assuré. En l’espèce, la clause litigieuse est qualifiée d’ambigüe par le TF, qui admet dès lors le recours de l’assuré et lui accorde 62 indemnités journalières additionnelles.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 6B_1220/2018 du 27 juin 2019
Responsabilité aquilienne; entrave à la circulation publique; mise en danger; négligence; art. 12 al. 3 et 237 CP
Savoir si la vie ou l’intégrité corporelle de personnes a été concrètement mise en danger dans une certaine situation est une question de droit (c. 2.2). L’aiguilleur du ciel qui, par des communications imprécises, amène deux avions de ligne à voler à une distance l’un de l’autre largement inférieure aux normes de sécurité suscite une mise en danger concrète, quand bien même une modification ultérieure du parcours de ces aéronefs n’a pas été nécessaire pour éviter une collision. Ces prescriptions de distances minimales résultant de l’expérience ont en effet pour but de créer une marge de sécurité, en raison de la possible survenance d’éléments imprévisibles qui conduiraient un avion à dévier sa trajectoire en direction de l’autre. La forte réduction de cette marge de sécurité représente ainsi une mise en danger concrète de la vie et de l’intégrité corporelle des passagers et des équipages de ces avions (c. 2.4 et 2.5).
En matière de négligence, les mesures de précaution que les circonstances commandent de prendre aux termes de l’art. 12 al. 3 2e phr. CP sont définies en premier lieu par les prescriptions de sécurité et de prévention des accidents, lorsque de telles prescriptions imposent un comportement donné (c. 3.2, rappel de jurisprudence). Dans le domaine du trafic aérien, l’ordonnance sur le service de la navigation aérienne (OSNA) et la convention relative à l’aviation civile internationale, directement applicable, contiennent des normes de ce type, concernant la manière de communiquer entre un aiguilleur du ciel et l’équipage d’un avion, en particulier les clarifications à demander sur les messages reçus, d’une part, et les accusés de réception à obtenir sur les messages envoyés, d’autre part (c. 3.2, 3.4 et 3.5).
La personne qui manque à son propre devoir de diligence ne peut s’exculper en invoquant le principe de confiance selon lequel elle était partie de l’idée que les autres intervenants respectaient les obligations qui leur incombaient (c. 3.7).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


TF 9C_295/2019 du 18 juin 2019
Assurance-vieillesse et survivants; notions de domicile; art. 13 LPGA; 23 al. 1 et 24 al. 2 CC; 20 al. 1 let. a LDIP
Dans le contexte d’une demande d’affiliation à l’AVS avec effet rétroactif, le TF rappelle sa jurisprudence concernant la détermination du domicile au sens des art. 23 à 26 CC applicables par renvoi de l’art. 13 al. 1 LPGA.
Au sens de l’art. 23 al. 1 CC, deux éléments doivent être réalisés pour la constitution du domicile volontaire : le premier, la résidence, soit un séjour effectif d’une certaine durée en un endroit déterminé, est objectif et externe, tandis que le second, soit la volonté de rester dans un endroit de façon durable, est subjectif et interne. Pour cet élément, ce n’est cependant pas la volonté interne de la personne concernée qui importe, mais les circonstances reconnaissables pour des tiers, qui permettent de déduire qu’elle a cette volonté (c. 2.2.1).
La question de savoir quand une personne a quitté son domicile à l’étranger selon l’art. 24 al. 2 CC se détermine en regard de l’art. 20 al. 1 let. a LDIP. Tel est le cas lorsque qu’une personne a abandonné le lieu du centre de ses intérêts, indépendamment du fait qu’un domicile à l’étranger persiste selon le droit étranger concerné. Le transfert d’un domicile en Suisse dans un contexte international est plus simple que sur le plan interne, puisqu’il est déjà acquis lorsqu’une personne dispose certes d’un domicile légal à l’étranger, mais que les relations effectives avec ce pays se sont fortement assouplies (c. 2.2.2).
Dans le cas d’espèce, il a été constaté que la recourante était née en Russie et qu’elle avait épousé un ressortissant allemand avec lequel elle a vécu en Allemagne à partir de 2008. Au début de l’année 2013, elle s’est séparée de son mari et est venue s’établir à Zurich pour étudier. La caisse cantonale de compensation n’a accepté d’assurer le recourante à l’AVS qu’à partir de 2016, car entre 2013 et 2015, elle avait déclaré n’être en Suisse que pour ses études. Le TF a cependant considéré que le domicile effectif de la recourante était en Suisse à partir de février 2013 déjà et que ses liens avec l’Allemagne, respectivement avec la Russie, étaient fortement assouplis à partir de ce moment-là.
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 9C_295/2019 du 18 juin 2019
Assurance-vieillesse et survivants; notions de domicile; art. 13 LPGA; 23 al. 1 et 24 al. 2 CC; 20 al. 1 let. a LDIP
Dans le contexte d’une demande d’affiliation à l’AVS avec effet rétroactif, le TF rappelle sa jurisprudence concernant la détermination du domicile au sens des art. 23 à 26 CC applicables par renvoi de l’art. 13 al. 1 LPGA.
Au sens de l’art. 23 al. 1 CC, deux éléments doivent être réalisés pour la constitution du domicile volontaire : le premier, la résidence, soit un séjour effectif d’une certaine durée en un endroit déterminé, est objectif et externe, tandis que le second, soit la volonté de rester dans un endroit de façon durable, est subjectif et interne. Pour cet élément, ce n’est cependant pas la volonté interne de la personne concernée qui importe, mais les circonstances reconnaissables pour des tiers, qui permettent de déduire qu’elle a cette volonté (c. 2.2.1).
La question de savoir quand une personne a quitté son domicile à l’étranger selon l’art. 24 al. 2 CC se détermine en regard de l’art. 20 al. 1 let. a LDIP. Tel est le cas lorsque qu’une personne a abandonné le lieu du centre de ses intérêts, indépendamment du fait qu’un domicile à l’étranger persiste selon le droit étranger concerné. Le transfert d’un domicile en Suisse dans un contexte international est plus simple que sur le plan interne, puisqu’il est déjà acquis lorsqu’une personne dispose certes d’un domicile légal à l’étranger, mais que les relations effectives avec ce pays se sont fortement assouplies (c. 2.2.2).
Dans le cas d’espèce, il a été constaté que la recourante était née en Russie et qu’elle avait épousé un ressortissant allemand avec lequel elle a vécu en Allemagne à partir de 2008. Au début de l’année 2013, elle s’est séparée de son mari et est venue s’établir à Zurich pour étudier. La caisse cantonale de compensation n’a accepté d’assurer le recourante à l’AVS qu’à partir de 2016, car entre 2013 et 2015, elle avait déclaré n’être en Suisse que pour ses études. Le TF a cependant considéré que le domicile effectif de la recourante était en Suisse à partir de février 2013 déjà et que ses liens avec l’Allemagne, respectivement avec la Russie, étaient fortement assouplis à partir de ce moment-là.
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 9C_123/2019 du 13 juin 2019
Assurance-invalidité; procédure; qualité pour recourir au TF des offices AI; art. 89 al. 1 et 2 let. d LTF; 62 al. 1bis LPGA; 41 al. 1 let. i et 89 RAI; 201 al. 1 RAVS
Le TF examine la qualité pour recourir d’un office AI contre un arrêt du TAF, d’abord sous l’angle de l’art. 89 al. 2 let. d LTF puis sous celui de l’art. 89 al. 1 LTF.
La qualité pour recourir des collectivités publiques est en effet visée en premier lieu par l’art. 89 al. 2 LTF. Selon l’art. 201 RAVS, les offices AI disposent du droit de recourir contre les jugements des tribunaux cantonaux des assurances mais pas contre ceux du TAF. Demeure réservée la qualité pour recourir de l’OAIE en relation avec ses propres décisions.
Les collectivités publiques peuvent se prévaloir de l’art. 89 al. 1 LTF, mais à certaines conditions qui doivent être interprétées restrictivement. Une collectivité publique peut recourir lorsqu’elle est atteinte de la même manière qu’un particulier dans sa situation juridique ou matérielle, notamment lorsqu’il s’agit de sauvegarder son patrimoine administratif ou financier, ou lorsqu’elle est touchée dans ses prérogatives de puissance publique et dispose d’un intérêt propre digne de protection à l’annulation ou à la modification de l’acte attaqué. Il faut cependant que des intérêts publics essentiels soient touchés, le seul intérêt général à une correcte application du droit n’étant pas suffisant.
En l’espèce, la qualité pour recourir de l’office a été niée tant sous l’angle de l’art. 89 al. 2 let. d que sous celui de l’art. 89 al. 1 LTF.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 9C_125/2019 du 11 juin 2019
Prestations complémentaires à l’AVS/AI; proches aidants; frais de maladie et d’invalidité; remboursement des frais d’aide, de soins et d’assistance; perte de revenu des proches; art. 14 al. 1 let. b LPC
Le recourant est au bénéfice d’une rente AI entière, de prestations complémentaires, d’une allocation pour impotence grave ainsi que d’une contribution d’assistance. Il conteste une décision de la Caisse de compensation du canton de Glaris qui a rejeté sa demande d’indemnisation pour la perte de salaire de CHF 100’000.- de sa mère pour l’année 2016, en raison des soins donnés par cette dernière.
Aux termes de l’art. 14 al. 1 let. b LPC, les cantons remboursent aux bénéficiaires d’une prestation complémentaire annuelle les frais d’aide, de soins et d’assistance à domicile ou dans d’autres structures ambulatoires, s’ils sont dûment établis. L’art. 14 de la loi glaronnaise d’application de la LPC prévoit que les bénéficiaires vivant à domicile avec une allocation pour impotence grave ou moyenne ne sont indemnisés que pour la part des soins et aides qui ne peut être fournie par un organisme Spitex agréé au sens de l’art. 51 OAMal (al. 1). Si les membres de la famille fournissent de tels services de soins et de soutien, ils ne sont indemnisés que s’ils ne sont pas inclus dans le décompte PC et subissent une perte de revenu substantielle sur une longue période en raison des soins et du soutien (al. 1a let. a et b). Le droit à une contribution d’assistance AI prime sur le droit prévu au présent article (al. 3).
La loi ne décrit pas précisément ce qu’il faut comprendre par « frais d’aide, de soins et d’assistance à domicile ou dans d’autres structures ambulatoires » selon l’art. 14 al. 1 let. b LPC. Rien ne permet d’affirmer qu’une identité de couverture (Deckungsgleichheit) devrait exister avec les prestations déterminantes pour la fixation de la contribution d’assistance. Le législateur entendait éviter une péjoration de la situation de l’assuré ; les cantons ne sont toutefois pas tenus par une obligation de couverture plus étendue que celle prévue par l’ancien droit (c. 4.1).
La question de savoir si et dans quelle mesure − sans aide, soins et assistance au sens de l’art. 14 al. 1 let. b LPC − un membre de la famille exercerait une activité lucrative, respectivement dans quelle mesure il subirait ainsi une perte de revenus substantielle et durable, doit être examinée au regard des circonstances personnelles, familiales, économiques et sociales. En raison des difficultés de preuve inhérentes aux questions hypothétiques, les faits justifiant la demande de remboursement doivent être établis avec un soin particulier (c. 4.3).
En l’espèce, aucune prestation d’aide, de soins ou d’assistance des parents n’était requise pendant dix heures en moyenne durant la journée. Par ailleurs, les services de soins et d’assistance de huit heures par jour pouvaient être fournis par du personnel assistant rémunéré, également le week-end. De plus, le besoin d’aide pendant la nuit était limité, puisque le recourant ne se réveillait qu’une ou deux fois par semaine, voire tout au plus deux ou trois fois par semaine. Enfin, la mère du recourant n’a pas fait valoir qu’il lui aurait été impossible de trouver un poste à 50 % en tant que médecin. Dans ces circonstances, il n’est pas arbitraire de considérer que la mère du recourant aurait pu travailler comme médecin à 50 %, même en tenant compte d’heures de travail éventuellement irrégulières (c. 4.3.2).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

ATF 145 V 209, TF 8C_494/2018 du 6 juin 2019
Assurance-invalidité; rente d’invalidité limitée dans le temps; assuré âgé de 55 ans; obligation de se réadapter par soi-même; exigibilité; art. 7 et 8 LPGA; 28 LAI
Un plâtrier peintre, sans formation, s’est blessé à l’épaule en 2013. Il est établi qu’il ne peut plus exercer dans sa profession habituelle. Par contre, une pleine capacité de travail est reconnue dans une activité adaptée. L’office AI considère que des mesures d’ordre professionnel ne sont pas possibles, que la capacité de travail dans une activité adaptée est exploitable à compter du 1er août 2015 et qu’il se justifie d’octroyer une rente entière d’invalidité limitée dans le temps, soit du 1er décembre 2014 au 31 juillet 2015 (c. A).
Le TF rappelle la jurisprudence concernant les règles applicables en matière d’exigibilité pour des assurés de plus de 55 ans, principalement du fait que le fardeau de la preuve d’une « réintégration par soi-même » (Selbsteingliederung) est à charge de l’office AI (c. 5.1). Le TF se pose ensuite la question de savoir si cette jurisprudence doit être appliquée également dans le cas des rentes limitées dans le temps (c. 5.2.1). Après un rappel de jurisprudence (c. 5.2.2. ss), il confirme que tel est le cas (c. 5.4). Dans les deux cas, l’Office AI doit s’assurer qu’après 55 ans la personne est effectivement en mesure de s’auto-adapter. En l’occurrence, comme cet examen n’a pas été fait, le recours est admis et la cause renvoyée pour complément d’instruction (c. 6).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne


TF 9C_129/2019 du 5 juin 2019
Assurance-invalidité; invalidité; statut professionnel; fardeau de la preuve; vraisemblance prépondérante; art. 7, 8, 16 et 61 LPGA; 28 LAI; 8 CC
Se pose avec acuité la question du « statut » de l’assurée dans le cas d’espèce.
Selon le TF, la question de savoir si l’assurée avait ou non l’intention, en cas de bonne santé, de rester sans enfant, est sans importance. Peu importe que l’accident de cheval de 2006 et la nouvelle orientation privée et professionnelle en résultant pour l’assurée aient pu favoriser ses projets de fonder une famille. En effet, selon l’expérience générale et le cours ordinaire des choses, rien ne permet de retenir qu’en cas de bonne santé, une assurée ne serait pas devenue mère, privilégiant ainsi sa carrière professionnelle.
Le fardeau de la preuve pour la détermination du revenu sans invalidité repose sur l’AI, lorsque cet assureur veut se distancier au détriment de l’assurée du revenu réalisé par celle-ci en dernier lieu. En cela, il faut considérer que le simple fait de fonder une famille ne constitue pas à lui seul un motif de révision, mais éventuellement un motif d’instruction complémentaire, dans les cas où la preuve d’un revenu hypothétique sans invalidité plus bas n’a pas pu être apportée (par l’AI). Dans le cas d’espèce et contrairement à l’avis de l’autorité cantonale, une telle preuve n’a pas été apportée. Le simple point de vue abstrait qu’une mère de famille ne pourrait pas – tout en élevant un enfant – occuper un poste professionnellement exigeant est infondé.
Les suites de ce manque de preuves sont à supporter par l’AI, raison pour laquelle l’assurée, pour qui on ne peut pas partir du principe qu’elle aurait changé d’activité à la suite de la naissance de son enfant, doit bénéficier d’un statut professionnel (hypothétique) inchangé. Une comparaison distincte des revenus pour la période concernée n’a donc pas lieu d’être et l’assurée doit bénéficier d’une rente d’invalidité inchangée.
Le jugement comprend également un intéressant considérant (4) sur la problématique de la reformatio in pejus (art. 61 let. d LPGA).
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne et à Sion


TF 6B_476/2019 du 29 mai 2019
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles par négligence; action pénale; prescription; art. 11 al. 2 et 98a CP
Le TF confirme sa jurisprudence au sujet du point de départ de la prescription pénale en cas d’infraction par omission.
Le début de la prescription coïncide, en matière de lésions corporelles par négligence, avec le moment où l’auteur a agi contrairement à ses devoirs de prudence ou, en cas de délit d’omission improprement dit, à partir du moment où le garant aurait dû agir ; si ce devoir est durable, la prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où les obligations du garant prennent fin.
Le technicien chargé par son employeur de la mise en service d’une chaudière n’adopte pas une position de garant d’une obligation durable, même s’il devait répondre d’une omission fautive pour ne pas avoir procédé à des vérifications commandées par les devoirs de prudence. La conception selon laquelle l’intéressé répondrait depuis le jour où le produit de l’activité coupable s’est manifesté reviendrait à abandonner les principes établis par la jurisprudence en matière d’infractions commises par omission et à s’écarter de la lettre de l’art. 98 let. a CP.
Aucune omission ne peut être reprochée selon l’art. 11 al. 2 CP au technicien intervenu ultérieurement, en qualité de voisin, ou à son employeur, qui méconnaissait le défaut d’installation, pour création d’un risque inhérent selon art. 11 al. 2 let. d CP, faute de risque permanent pour autrui dans le cas d’espèce.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


ATF 145 V 289, TF 9C_324/2018 du 29 mai 2019
Assurance-maladie; liste des spécialités; fixation du prix des médicaments; génériques; art. 65 ss OAMal et 38a OPAS (dans leur version en vigueur au 1er décembre 2015)
L’échéance de protection du médicament X., destiné au traitement de douleurs neuropathiques, de l’épilepsie et de troubles de l’anxiété, est arrivé à échéance pour les deux derniers troubles au 20 avril 2015, alors qu’elle courait encore jusqu’au 16 juillet 2017 pour la première affection. L’entreprise titulaire de l’autorisation pour ledit médicament a sollicité une baisse de prix, par courrier du 22 octobre 2015. L’OFSP a réduit le prix comme demandé, tout en fixant la quote-part du médicament à 20 % des coûts dépassant la franchise, alors que le titulaire de l’autorisation estimait qu’elle devait être de 10 %.
Dans cet arrêt du 29 mai 2019, le TF a jugé que lorsque l’échéance de protection d’un médicament, pour une ou plusieurs affections, échoit alors que cette protection reste valable pour un ou plusieurs autres traitements, la règle générale de la fixation du prix des génériques demeure applicable, selon les art. 65c al. 2 OAMal et 38a OPAS (dans leur teneur au 1er décembre 2015), en se fondant sur le volume de marché en Suisse de la préparation originale et de son médicament en co-marketing. En clair, soit il existe un générique, soit il n’en existe pas. Dans le premier cas, les règles relatives à l’économicité et à la fixation des prix pour les génériques doivent être appliquées, et ce indépendamment du fait de savoir si lesdits génériques sont valables pour toutes les indications de la préparation originale et s’ils sont listés. Une baisse selon l’art. 38a al. 4 OPAS, de manière « différenciée » ou pour chaque « indication médicale », n’est pas envisageable.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_602/2018 du 28 mai 2019
Responsabilité des chemins de fer; causalité objective aggravée, motifs d’exonération, faute d’un tiers, réduction des dommages-intérêts; art. 40c LCdF; 43 CO
Un voyageur se fait pousser sous un train qui entre en gare par un toxicomane alors dénué de tout discernement. Il est grièvement blessé par le train, exploité par les CFF.
Il n’était pas contesté en l’espèce que l’accident avait été causé parce que le risque caractéristique inhérent à l’exploitation du chemin de fer s’était réalisé. En pareil cas s’applique fondamentalement l’art. 40b LCdF, qui instaure une responsabilité causale aggravée à la charge de l’entreprise ferroviaire (c. 2.2 et 2.3).
L’art. 40c LCdF, en vigueur depuis le 1er janvier 2010, vise, à en croire les travaux préparatoires, à admettre comme motif d’exonération le suicide commis par une personne incapable de discernement, raison pour laquelle l’al. 1 de cette disposition est rédigé de façon relativement large. Le TF relève cependant que, dans son message de 2007, le Conseil fédéral avait indiqué que la nouvelle disposition n’avait pas pour but de modifier la jurisprudence concernant les motifs de décharge. On peut donc en déduire qu’une extension générale des possibilités d’exonération au-delà du suicide commis par une personne incapable de discernement ne peut pas être déduite du message du Conseil fédéral. En réalité, selon le TF, l’art. 40c LCdF reprend les principes généralement reconnus concernant l’interruption de la causalité adéquate. Comme cause d’exonération peut également intervenir le comportement d’un tiers dénué de discernement, si ce comportement a joué un rôle à tel point important qu’il éclipse les autres causes de l’accident et que la réalisation du risque caractéristique de l’exploitation du chemin de fer revêt une importance à ce point secondaire qu’elle n’apparaît que comme une cause aléatoire et insignifiante (c. 3.3.3.1 à 3.3.3.3).
Le sens de la nouvelle norme de l’art. 40c LCdF n’est pas de rompre avec les principes généraux connus en matière de causalité objective aggravée. En réalité, cette nouvelle disposition a uniquement pour effet de limiter au comportement objectif du tiers l’examen de l’éventuelle rupture du lien de causalité adéquate, indépendamment de la capacité de discernement du tiers en question (c. 3.3.4.).
En l’espèce, le TF a considéré que les blessures de la victime avaient été considérablement aggravées par la dangerosité propre aux chemins de fer. Il a estimé également qu’il n’était pas à ce point extraordinaire que l’un des passagers attendant le train sur le quai se fasse pousser sur les voies par d’autres personnes. Un tel événement ne s’écarte pas suffisamment du cours ordinaire des choses pour qu’on le considère comme parfaitement imprévisible (c. 3.4.1).
L’application de l’art. 40c al. 1 LCdF implique nécessairement un jugement de valeur de la part du juge, jugement qui n’est pas nécessairement le même selon que l’on parle de faute concomitante du lésé ou de la faute d’un tiers. Lorsqu’il s’agit d’estimer l’intensité objective respective des différentes causes partielles de l’accident, le fait que l’une de ces causes relève ou non de la sphère d’influence du lésé joue un rôle. Le comportement de celui qui se jette seul sous un train peut n’être objectivement imputé qu’à lui-même, alors que celui qui pousse sans discernement un passager sur les voies réalise un comportement qui se rapproche davantage de la bousculade involontaire que du suicide. Le TF relève enfin que la victime était parfaitement en droit de se trouver sur le quai à l’arrivée du train et retient finalement que l’accident était bien une concrétisation du risque caractéristique de l’exploitation d’un chemin de fer et que le lien de causalité adéquate n’avait pas été interrompu par le comportement du tiers sans discernement (c. 3.4.2 et 3.4.3).
Le TF considère par ailleurs que, contrairement à ce que réclamaient les CFF, l’indemnité due au lésé ne peut pas être réduite en application de l’art. 44 ou de l’art. 43 CO. Selon cette dernière disposition, une réduction de l’indemnité n’est pas possible en raison du fait qu’une autre personne doit également répondre du dommage ; il s’agit-là d’une circonstance qui peut certes jouer un rôle dans l’action récursoire du responsable contre le tiers en question, mais pas dans la relation envers le lésé (c. 4).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 6B_1145/2018 du 28 mai 2019
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; décès; tort moral; art. 47 CO
Un accident de circulation a causé la mort d’un motocycliste de 26 ans, vivant toujours chez son père malgré le fait qu’il avait terminé sa formation. Le responsable a été condamné pour meurtre par dol éventuel par le Tribunal du district de Baden, puis sur appel uniquement pour homicide par négligence. Le Tribunal supérieur d’Argovie a ramené l’indemnité pour tort moral allouée au père de la victime de CHF 30'000.- à CHF 15'000.-.
L’indemnité pour tort moral doit être fixée sans tenir compte de critères schématiques, mais en fonction de chaque cas d’espèce. Cela n’exclut ni la référence à des affaires précédentes, ni le recours à une estimation du dommage immatériel en deux phases, soit en fixant dans un premier temps un montant de base objectif à titre de référence générale, puis en adaptant ce montant dans une deuxième phase en tenant compte des circonstances concrètes du cas d’espèce (c. 3.1).
Le montant du tort moral doit être fixé en fonction de l’équité, et le juge dispose à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation. Des règles déterminées ou un tarif fixe ne peuvent donc s’appliquer, ce qui n’empêche pas une certaine évolution. Néanmoins, il n’est pas compatible avec la nature du tort moral à titre de compensation d’un dommage immatériel d’adapter schématiquement les montants alloués à l’évolution des prix à la consommation. Par contre, il convient de tenir compte de l’évolution de la représentation que se fait la société de la gravité de l’atteinte immatérielle et du montant avec lequel il convient de l’indemniser. Dans cette mesure une comparaison avec l’évolution de l’atteinte à l’intégrité de la LAA n’apparaît en l’espèce pas spécialement justifiée (c. 3.2).
Le TF arrive à la conclusion que les juges argoviens n’ont pas violé leur pouvoir d’appréciation en tenant compte notamment, à la baisse, du fait que la victime avait déjà 26 ans et n’était plus en formation (c. 3.3).
Commentaire :
Indépendamment du montant alloué en l’espèce, on peut regretter que le TF ne se soit pas davantage posé la question de savoir si l’évolution des montants alloués à titre d’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) dans le cadre de la LAA ne reflète pas précisément une certaine évolution des mentalités au sein de la société quant à la « valeur » subjective de telle ou telle lésion corporelle.
Il convient cependant de souligner que notre Haute Cour n’exclut pas de façon absolue la référence à l’IPAI en matière dans le cadre de l’application de l’art. 47 CO. En effet, il s’agissait-là d’un cas de décès, et non pas de lésions corporelles, ce dernier cas de figure étant le seul expressément concerné par cette prestation de la LAA.
Le TF aurait sans doute également dû selon nous se poser la question de savoir si une indemnité de CHF 15'000.- en faveur d’un père qui a perdu son fils de 26 ans est encore en phase avec les valeurs actuelles de la société suisse. A tout le moins implicitement, le TF admet dans ce jugement qu’il est équitable d’allouer à un père pour la perte de son fils une indemnité pour tort moral qui n’atteint même pas ce qu’il aurait obtenu d’un assureur accidents en cas de perte de l’odorat, du goût ou de l’ouïe d’un côté (IPAI de 15%). Face à un tel résultat, force est de constater que notre Haute Cour semble précisément être enfermée dans un mécanisme de pensée quelque peu schématique, qui ne tient plus compte de l’évolution des mentalités et des sensibilités de la société.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_602/2018 du 28 mai 2019
Responsabilité des chemins de fer fédéraux; responsabilité causale du détenteur d’une entreprise ferroviaire; pas d’exonération pour faute grave d’un tiers; causalité; art. 40b et 40c LCdF
Les CFF recourent contre le jugement du Tribunal de commerce de Zurich les condamnant à payer un tort moral à la victime poussée sous un train par une tierce personne reconnue pénalement irresponsable pour des raisons psychiatriques. Les CFF invoquent à cet effet la clause d’exonération de l’art. 40c LCdF pour faute grave d’un tiers.
Le TF interprète l’art. 40c LCdF de façon littérale, historique, systématique et téléologique, et rappelle qu’il ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le véritable sens de la norme (c. 3.3). Il relève que selon les travaux préparatoires relatifs à la révision de la LCdF, le législateur visait à l’art. 40c LCdF les personnes suicidaires en état d’incapacité de discernement comme motif d’exonération des entreprises de chemins de fer. Selon le message du CF, l’introduction de la nouvelle disposition ne devrait pas modifier la jurisprudence antérieure sur les motifs d’exonération. Par ailleurs, le TF considère qu’il n’est pas possible de déduire clairement du message du CF l’extension des motifs d’exonération au-delà des cas de suicides de personnes incapables de discernement (c. 3.3.2).
L’interprétation de l’art. 40c LCdF permet également de retenir que les principes généralement admis pour retenir une interruption du lien de causalité adéquate sont applicables. Ainsi, pour admettre une interruption du lien de causalité adéquate, il faut que le fait non imputable au responsable causal ait contribué à l’accident de telle manière qu’il en devienne la cause principale (c. 3.3.3.1). A cet égard, le TF indique que parmi les éléments permettant d’apprécier l’interruption du lien de causalité adéquate, le législateur a voulu limiter l’influence des facteurs subjectifs, tels que la faute de tierces personnes pour lesquelles les CFF ne sont pas responsables (c. 3.3.4).
En l’espèce, le TF considère que la gravité des blessures de la victime est due au fait qu’elle a été trainée sur plusieurs mètres par le convoi et que le risque d’être poussé sur un quai de gare n’est pas si extraordinaire. Ce risque est donc bel et bien inhérent aux chemins de fer (c. 3.4.1). En conclusion, le cas d’espèce doit être distingué des cas de suicide pour lesquels la cause du dommage doit être imputée à la victime (c. 3.4.2).
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne


TF 2C_1043/2018 du 27 mai 2019
Responsabilité de l’Etat; avance de frais; défaut de paiement; irrecevabilité; déni de justice; art. 29 al. 1, 29a et 127 al. 1 Cst.
Deux sociétés en liquidation et leur administrateur ont déposé auprès de la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel une demande en réparation d’un dommage et d’un tort moral à l’encontre de la République et canton de Neuchâtel. Une avance de frais a été requise en mains desdites sociétés, lesquelles n’ont pas pu verser le montant requis dans le délai imparti par le Tribunal cantonal, qui a déclaré irrecevable dite demande.
Les deux sociétés en liquidations interjettent recours au TF en invoquant l’absence de base légale (art. 127 Cst.). Pour sa part, l’administrateur de ces sociétés dépose également recours au TF pour déni de justice (art. 29 et 29a Cst.).
Selon le TF, il n’existe pas de base légale dans la loi sur la procédure judiciaire administrative neuchâteloise (LPJA ; RS/NE 152.130) permettant de demander une avance de frais en cas d’action de droit administratif. Par conséquent, le tribunal cantonal ne pouvait pas exiger une telle avance, ni déclarer la demande de réparation irrecevable faute de paiement de celle-ci. Il a admis le recours de ces deux sociétés.
Au surplus, le caractère peu clair de la qualité de demandeur de l’administrateur (aux côtés des deux sociétés en liquidation) ne dispensait pas l’autorité précédente de statuer sur sa demande, ce qu’elle n’a pas fait. Le recours a ainsi été admis, l’arrêt entrepris annulé et la cause renvoyée à l’instance précédente.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne


TF 9C_853/2018 du 27 mai 2019
Assurance-invalidité; condition de recevabilité; intérêt digne de protection; revenu sans invalidité; principe d’équivalence; prévoyance professionnelle obligatoire; surindemnisation; art. 89 al. 1 let. c LTF; 34a al. 1 LPP; 24 al. 1 let. d OPP 2
Lorsque le montant du revenu sans invalidité arrêté par l’assurance-invalidité n’a pas de répercussion sur le taux d’invalidité, l’assuré ne dispose pas d’un intérêt digne de protection à le contester.
Ce revenu ne lie pas les organes compétents en matière de prévoyance professionnelle obligatoire pour tout ce qui concerne la détermination du gain dont on peut présumer que l’assuré est privé. En effet, ces organes sont tenus d’examiner, en collaboration avec l’assuré, s’il existe des circonstances justifiant de ne pas admettre l’équivalence, qui n’est que présumée, entre d’une part le revenu sans invalidité et le revenu dont on peut présumer que l’assuré est privé et d’autre part le revenu d’invalide et le revenu que l’intéressé pourrait encore raisonnablement réaliser.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne


TF 4A_394/2018 - ATF 145 III 225 du 20 mai 2019
Responsabilité aquilienne; preuve et calcul du dommage; notion de « dépréciation mercantile »; art. 41 et 42 CO
Après l’exécution d’un contrat d’entreprise portant sur la construction de trois maisons, ces dernières sont inondées pour cause de fortes pluies. A la suite d’une réparation totale des dommages par une société tierce, les propriétaires des trois biens actionnent l’entrepreneur X Sàrl et demandent notamment une indemnité pour dépréciation mercantile.
Après une exposition de la notion de dépréciation mercantile et de ses diverses spécificités, le TF précise que dans le cas de biens immobiliers, une telle dépréciation n’est indemnisable que si le demandeur peut en apporter la preuve concrète, en particulier lors de la vente d’un tel bien si le prix obtenu est moins élevé que celui qui aurait été obtenu sans l’événement dommageable. Or, dans le cas d’espèce, une telle preuve n’est pas apportée dans la mesure où le prix obtenu à la suite de la vente d’une des maisons est plus élevé que la valeur hypothétique de celle-ci sans l’événement dommageable.
Auteure : Estelle Vuilleumier




TF 8C_56/2019 du 16 mai 2019
Assurance-chômage; aptitude au placement; art. 8 al. 1 let. f LACI
Un pilote de ligne perd son emploi après 25 ans d’activité. Il est considéré comme inapte au placement en raison du temps consacré à une formation pratique de naturopathe d’une durée de 2,5 ans.
L’aptitude au placement peut être admise pour les chômeurs fréquentant une formation à plein temps (qui n’est pas une mesure relative au marché du travail au sens de l’art. 59 LACI) s’il ne fait aucun doute que l’assuré est disposé et en mesure d’interrompre sa formation en tout temps pour accepter une place de travail. La situation doit être examinée sur la base des critères objectifs. Une déclaration de volonté de l’assuré ne suffit pas. Des exigences élevées relatives à sa disponibilité et sa flexibilité sont exigées. Il doit s’efforcer de procéder à des recherches de travail respectant les critères de qualité et quantité et être en mesure d’interrompre sa formation sans délai. L’aptitude au placement s’apprécie de manière prospective et en fonction des circonstances concrètes. Elle ne peut être ni graduelle, ni partielle.
En l’espèce, l’assuré avait réduit son activité dès le mois de janvier 2017 à 75% afin de commencer sa formation de naturopathe. Son engagement comme pilote a pris fin le 31 octobre 2017. Il était notoire que la compagnie pour laquelle il travaillait n’allait pas bien sur le plan économique et que des licenciements étaient probables. Un réengagement comme commandant de bord dans une autre compagnie d’aviation était aléatoire compte tenu de son âge (48 ans), de sa position et des conditions prévues par la convention collective. Il avait examiné la possibilité de retrouver un poste de pilote dans une autre compagnie et suivi une évaluation dans ce but. Parallèlement, la reprise de son métier d’origine d’électronicien n’était plus envisageable après 25 ans consacrés au pilotage. Enfin, il avait des charges de famille. C’est pourquoi, depuis un certain temps, il s’était décidé à refaire une formation approfondie lui permettant d’exercer une activité avec un statut d’indépendant et couvrant ses charges financières.
Le TF a confirmé l’analyse prospective de l’aptitude au placement de l’assuré effectuée par le tribunal cantonal et les organes d’application de l’assurance-chômage.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 4A_66/2018 du 15 mai 2019
Assurances privées; indemnités journalières LCA; procédure probatoire; appréciation anticipée des preuves; expertise judiciaire; expertise privée; pas d’application de la jurisprudence en matière d’assurances sociales; art. 152 CPC
Le juge peut procéder à une appréciation anticipée des preuves et renoncer à ordonner une expertise judiciaire lorsque le contenu d’une expertise privée est propre à éveiller suffisamment de doutes quant à la réalité de la prétendue incapacité de travail qui ne pourraient pas être dissipés par une telle mesure d’instruction (c. 2.4).
Cependant, la jurisprudence qui prévoit que la durée d’examen est généralement indifférente pour apprécier la valeur probante d’un avis médical ne signifie pas pour autant qu’une expertise isolée, fondée sur un court examen, puisse dans tous les cas être jugée équivalente à une observation sur une plus longue durée de la part du médecin traitant. Cette observation peut notamment être privilégiée lorsque l’état du patient fluctue dans le temps (c. 2.5.1).
La question de savoir si un bref examen peut fournir des renseignements probants pour apprécier le bien-fondé des limitations retenues par le médecin traitant est une question médicale et non pas juridique (c. 2.5.2).
Dans le contexte de litiges soumis à la procédure civile, le juge ne peut pas procéder à une appréciation anticipée des preuves en se fondant sur les principes jurisprudentiels développés dans le contexte des assurances-sociales en relation avec la valeur probante des rapports du médecin-traitant (c. 2.6.2).
Des rapports médicaux du médecin-traitant qui n’ont pas ou peu de valeur probante peuvent néanmoins contenir des éléments permettant à un expert judiciaire de porter une appréciation rétroactive sur la capacité de travail notamment lorsque ces rapports font état d’observations et d’examens crédibles (c. 2.6.2.1).
Dans le cas d’espèce, l’instance cantonale n’a pas examiné de manière appropriée les points déterminants pour procéder à une appréciation anticipée des preuves. Le fait que les rapports du médecin-traitant ne paraissent pas suffisamment convaincants du point de vue des diagnostics et des conclusions retenus ne jouent aucun rôle car c’est à l’expert judiciaire d’apprécier la situation. Ce qui est déterminant c’est de savoir si ces rapports contiennent des observations crédibles et contemporaines à l’incapacité de travail qui permettent à l’expert de répondre aux questions qui lui sont posées (c. 2.6.2.3).
La cause est renvoyée à l’instance cantonale pour nouvelle décision.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 9C_716/2018 du 14 mai 2019
Assurance-maladie; participation aux coûts; ordre des différentes participations; contribution aux frais de séjour hospitalier; art. 64 al. 2 et 5 LAMal; 104 OAMal
Assuré auprès de la caisse-maladie Assura avec une franchise de CHF 2’500.-, A. a séjourné à l’hôpital B. pendant deux jours, les 27 et 28 août 2016 ; deux jours d’hospitalisation pour lesquels l’hôpital B. a, le 27 septembre 2016, établi une facture pour un montant de CHF 1’696.30. Assura a réclamé à son assuré le paiement non seulement de CHF 1’696.30, mais aussi de CHF 30.- de contributions journalières aux frais du séjour hospitalier (soit CHF 15.- par jour conformément à l’art. 104 OAMal). Le Tribunal des assurances du canton de Zurich a prononcé que A. n’avait pas à payer à Assura ce dernier montant. Contre ce jugement, Assura a introduit un recours en matière de droit public auprès du TF.
Le TF a donné tort à Assura, pour la raison que, comme l’avait dit le Tribunal des assurances du canton de Zurich, la contribution journalière aux frais de séjour hospitalier de l’art. 64 al. 5 LAMal ne peut être réclamée à l’assuré que lorsque l’assureur a, à travers la facture de l’hôpital, effectivement pris en charge des frais d’hébergement et de nourriture, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. D’autre part, pour ce qui est de l’ordre dans lequel doivent être pris en compte les trois éléments de participation aux coûts que sont la franchise, le 10 % des coûts qui dépassent la franchise (la quote-part) et la contribution journalière aux frais de séjour hospitalier, le TF estime que, sous l’angle d’une interprétation nécessairement téléologique de l’art. 64 al. 5 LAMal (il s’agit, avec l’art. 64 al. 5 LAMal, de faire en sorte que l’assuré participe à des frais d’entretien et de nourriture qu’il devrait, s’il n’était pas à l’hôpital, assumer lui-même mais qu’il économise en étant à l’hôpital), c’est le système préconisé par l’assuré lui-même qui doit prévaloir : à savoir qu’il s’agit de décompter, dans l’ordre, d’abord la contribution journalière au traitement hospitalier de l’art. 64 al. 5 LAMal, et ensuite seulement la franchise et le 10 % des coûts qui dépassent la franchise. Le système préconisé par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et par le Tribunal cantonal, qui consiste à prendre en compte, dans l’ordre, la franchise, le 10 % des coûts qui dépassent la franchise et, seulement à la fin, la contribution journalière aux frais de séjour hospitalier, ne pouvant qu’aboutir, dit le TF, à une participation de l’assuré aux frais qui est double, double en ce sens que la quotité de 10 % de l’art. 64 al. 2 let. b LAMal porterait alors non seulement sur le 10 % des frais dépassant la franchise, mais également sur la contribution journalière au frais d’hospitalisation de l’art. 64 al. 5 LAMal (ce qui obligerait alors l’assuré à payer à sa caisse-maladie, pour chacune des journées d’hospitalisation effectuées, encore 10 % de CHF 15.-) ; une double participation aux frais dont rien n’indique qu’elle ait été voulue par le législateur.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 2C_856/2017 du 13 mai 2019
Responsabilité de l’Etat; responsabilité d’un établissement autonome de droit public; illicéité; tort moral; LRCF; art. 28 ss CC
Dans le cadre de son pouvoir de surveillance, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) rend une décision constatant que la directrice générale d’une compagnie d’assurance n’offrait pas la garantie d’une activité irréprochable. Cette décision est annulée par le TAF. Dans le cadre de l’arrêt résumé, le TF doit se pencher sur la demande d’indemnité à titre de réparation morale formée par la directrice générale qui faisait grief à la FINMA d’avoir retenu à tort qu’elle n’offrait pas la garantie d’une activité irréprochable en la rendant responsable de faits et d’erreurs imputables à son prédécesseur, depuis lors condamné pénalement.
Les juges fédéraux rappellent que les art. 28 ss CC, en tant qu’ils aménagent un droit de faire constater, par un juge, l’illicéité d’une atteinte à la personnalité et de demander la publication et la communication de rectificatif et de jugement, ne s’appliquent pas en cas d’atteinte à la personnalité imputable à l’Etat.
En tant qu’établissement autonome de droit public, la FINMA est soumise au régime de responsabilité institué par la loi fédérale sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires (LRCF).
Au sens de cette loi, lorsque l’illicéité reprochée procède d’un acte juridique, une décision en particulier, seule la violation d’une prescription importante des devoirs de fonction par l’autorité est susceptible d’engager la responsabilité de la Confédération. Le fait de rendre une décision qui serait par la suite inexacte, contraire au droit ou même arbitraire ne suffit pas. Le comportement d’un magistrat ou d’un agent n’est illicite que lorsque celui-ci viole un devoir essentiel à l’exercice de sa fonction ou commet une erreur grave et manifeste qui n’aurait pas échappée à un homologue consciencieux. Ainsi, la FINMA ne peut être rendue responsable en raison d’un acte illicite commis par l’un de ses agents que si l’on peut lui reprocher une violation d’un devoir essentiel de fonction.
Ces conditions n’étant pas réunies en l’espèce, aucun acte illicite ne peut être reproché à la FINMA. L’arrêt est donc rejeté.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne



TF 4A_337/2018 du 9 mai 2019
Responsabilité aquilienne; responsabilité du notaire; devoir d’information et de conseil; illicéité; causalité; art. 41 CO; 11 LNot/GE
Commet un acte illicite et fautif, le notaire qui n’a pas informé complètement son mandant du caractère incertain de la vente du bien immobilier qu’il s’était engagé à acquérir (promesse de vente), au motif qu’elle était conditionnée à l’obtention d’une autorisation d’aliéner, et donc du risque qu’il y avait à réaliser des travaux à ses frais, en renonçant à toute indemnité pour la plus-value en découlant.
Un tel acte ne cause toutefois pas un dommage direct au client lorsque celui-ci peut, selon les circonstances particulières (en l’occurrence l’invalidation du contrat), récupérer directement auprès du propriétaire la plus-value des travaux qu’il a lui-même entrepris dans l’immeuble qu’il entendait acquérir. Il subit uniquement un dommage indirect du fait de l’information incomplète du notaire. Ce dernier ne saurait en outre répondre, comme débiteur solidaire, d’un « dommage » de plus-value pour des travaux réalisés dans l’immeuble du propriétaire, car seule la part du dommage qu’il aurait lui-même causée – soit la différence de plus-value non récupérable – peut lui être imputée.
Tout rapport de causalité sur ce poste de dommage doit dès lors être nié.
En revanche, se trouve en relation de causalité directe avec le dommage constitué par les honoraires acquittés par son mandant, la violation fautive du devoir d’information et de conseil incombant au notaire envers celui-ci. En particulier, en n’incluant pas, dans son acte, une clause sur le sort des travaux à plus-value à réaliser, pour le cas où l’autorisation d’aliéner ne serait pas délivrée, le notaire a engagé sa responsabilité.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel


TF 9C_264/2018 - ATF 145 V 170 du 8 mai 2019
Assurance-maladie; prestations de soins fournies à l’étranger; dysphorie de genre; art. 34 al. 2 LAMal
Né en 1988, l’assuré A. souffrait d’une dysphorie de genre, dans le sens d’une transsexualité femme-homme. Après avoir subi en 2015 une intervention chirurgicale entièrement prise en charge par l’assureur-maladie Swica selon la LAMal, consistant en une hystérectomie (ablation de l’utérus) et une annexectomie (ablation des trompes de Fallope et des ovaires). Par décision du 21 mars 2017, confirmée par décision sur opposition du 4 juillet 2017, ledit assureur-maladie a refusé la prise en charge des coûts de (re)construction d’un pénis (phalloplastie), en invoquant principalement le fait que l’intervention avait été effectuée dans une clinique spécialisée en Allemagne et non en Suisse.
Saisi d’un recours formé par Swica contre la décision du Tribunal administratif du canton de Schwyz du 20 février 2018 ordonnant la prise en charge selon la LAMal de cette intervention, le Tribunal fédéral a admis le recours et renvoyé l’affaire pour complément d’instruction. A l’appui de leur décision, les juges fédéraux ont rappelé qu’il ne devait être dérogé au principe de la territorialité selon l’art. 34 al. 2 LAMal que dans des circonstances particulières, une interprétation restrictive devant s’imposer. Le fait que seul un nombre limité d’interventions soient pratiquées en Suisse peut être un motif justifiant une exception au principe de territorialité, dès lors que cela engendre un risque pour la santé de l’assuré que l’on ne peut raisonnablement exiger. Pour ce faire, une documentation détaillée doit toutefois être fournie ce qui, en l’espèce, fait (pour l’heure) défaut.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_660/2018 - ATF 145 V 231 du 7 mai 2019
Assurance-invalidité; droit à la rente; ressortissant étranger; frontalier; art. 13 LPGA; 6 al. 2 LAI; 8 ALCP; 2 al. 1 R (CE) n° 883/2004
L’épouse, de nationalité indienne et domiciliée en Allemagne, d’un ressortissant suisse qui exerce son droit à la libre circulation en exerçant une activité indépendante dans plusieurs Etats, peut se prévaloir de l’application du Règlement (CE) n° 883/2004 en tant que « membre de la famille » au sens de son art. 2 al. 1.
A ce titre, elle peut invoquer le principe de l’interdiction de discrimination consacré par l’art. 4 R (CE) n° 883/2004, de même que la levée des clauses de résidence prévue par son art. 7. Dans ce contexte, le fait qu’il s’agisse de statuer sur des droits propres aux prestations sociales ou sur des droits dérivés est indifférent. Le TF confirme à ce sujet une jurisprudence constante, rappelée dans l’arrêt résumé (c. 8.3).
En conséquence, s’agissant de l’octroi d’une rente AI, la condition de domicile imposée aux personnes de nationalité étrangère par l’art. 6 al. 2 LAI ne peut lui être opposée, de sorte que son droit doit être reconnu.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_750/2018 - ATF 145 V 247 du 6 mai 2019
Assurance-accidents; conflit de compétences négatif; art. 58 al. 2 LPGA
Dans cet arrêt du 6 mai 2019, le TF a dû se pencher sur un conflit de compétences négatif. La veuve d’un travailleur, tous deux de nationalité française et domiciliés en France, a saisi le Tribunal des assurances du canton d’Argovie d’une demande de prestations de la part de la CNA, à la suite du décès subi de son époux, en invoquant une maladie professionnelle. Ledit tribunal a décliné sa compétence et transmis la cause au Tribunal cantonal du canton de Lucerne, en invoquant notamment l’Arrangement administratif conclu le 3 décembre 1976 concernant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale conclue entre la Confédération suisse et la République française le 3 juillet 1975. De son côté, le Tribunal cantonal du canton de Lucerne a considéré qu’il n’était pas compétent, en application de l’art. 58 al. 1 et 2 LPGA.
Saisi d’un recours interjeté par la veuve, le TF a jugé que le fait qu’il existât une convention internationale, respectivement un arrangement administratif ne changeant rien au principe selon lequel le droit matériel interne restait applicable. Dans le cas d’espèce, l’accord international en vigueur avait essentiellement pour but d’éviter qu’un assuré soit désavantagé en raison d’un domicile en France ou en Suisse. En faisant usage de l’art. 58 al. 2 1re phrase LPGA, il ne faisait aucun doute que le Tribunal des assurances du canton d’Argovie était compétent, au vu du dernier domicile de l’employeur, les droits de la veuve étant entièrement préservés. Aussi, la compétence à titre subsidiaire prévue à l’art. 58 al. 2 2e phrase LPGA du tribunal des assurances du canton où la CNA a son siège n’était pas donnée.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_796/2018 - ATF 145 V 154 du 2 mai 2019
Assurance-invalidité; rente pour enfant; parents séparés; prise en compte d’une contribution d’entretien; art. 35 al. 4 LAI; 71ter al. 2 RAVS; 276 al. 2 et 285a al. 3 CC
En principe, le montant versé rétroactivement par l’assurance-invalidité à titre de rente pour enfant revient à l’enfant (art. 285a al. 3 CC). Pour pouvoir se prévaloir de l’art. 71ter al. 2 2ème phrase RAVS et exiger le paiement rétroactif de la rente pour enfant jusqu’à concurrence des contributions mensuelles qu’il a fournies, le parent titulaire de la rente principale doit avoir versé sa contribution d’entretien sur la base d’une décision de justice ou d’un contrat. Il ne suffit pas qu’il se soit acquitté, à bien plaire, de contributions mensuelles en faveur de son enfant (c. 4.2 et 4.3).
En l’espèce, c’est de son propre gré que le père a payé des contributions d’entretien pour ses deux enfants à hauteur de CHF 40'706,20 sur une période de cinq ans, alors qu’aucune contribution n’avait été fixée par le juge en raison de son manque de ressources. Il n’a donc pas droit au versement rétroactif de la rente pour enfant à concurrence des contributions versées.
Note : Le parent non gardien sera donc bien inspiré de demander la révision de la décision de justice fixant sa contribution d’entretien s’il souhaite augmenter sa contribution, plutôt que de verser des contributions à bien plaire, afin de préserver ses droits sur la rente pour enfant en cas d’octroi ultérieur d’une rente d’invalidité.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 9C_76/2019 du 1 mai 2019
Assurance-invalidité; allocation pour impotent; art. 90 et 93 LTF; 9 et 17 al. 2 LPGA; 42 al. 3 LAI; 37 al. 3 RAI
Une personne atteinte d’une malformation veineuse congénitale dépose une demande d’allocation pour impotent pour adulte. Le litige porte sur son droit à une allocation pour impotence de degré léger.
Le jugement attaqué expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables à la notion d’impotence (art. 9 LPGA, 42 al. 3 LAI et 37 al. 3 RAI) et aux six actes ordinaires de la vie, déterminants pour évaluer celle-ci (se vêtir/se dévêtir, se lever/s’asseoir/se coucher, manger, faire sa toilette, aller aux toilettes, se déplacer à l’intérieur/à l’extérieur). L’impotence est faible si l’assuré, même avec des moyens auxiliaires, a notamment besoin de façon régulière et importante de l’aide d’autrui pour accomplir au moins deux actes ordinaires de la vie.
Le jugement attaqué repose sur une erreur de droit manifeste. En effet, en instance cantonal, l’objet de la contestation portait sur le droit de l’intimée à une allocation pour impotent dans le cadre d’une demande déposée à la suite de son 18ème anniversaire, alors qu’elle bénéficiait déjà de cette prestation antérieurement. Il s’agit d’une situation de révision au sens de l’article 17 al. 2 LPGA ; l’accession à l’âge de la majorité ne doit en effet pas être considérée comme la survenance d’un nouveau cas d’assurance. La juridiction cantonale n’était dès lors pas en droit d’examiner librement le degré d’impotence de l’intimée, comme si elle était saisie d’une demande initiale de prestation, mais devait déterminer, conformément à l’art. 17 al. 2 LPGA, s’il y’avait eu un changement notable de circonstances depuis le prononcé du 4 décembre 2018.
Le jugement attaqué ne contient aucune constatation de fait relative à la situation médicale de l’intimée, qui prévalait avant son accession à la majorité et justifiait l’octroi d’une allocation pour impotence de faible degré en raison de trois actes ordinaires de la vie (se vêtir/se dévêtir, se baigner/se doucher, se déplacer à l’extérieur). On ignore dès lors si la révision repose sur une nouvelle appréciation d’une situation médicale inchangée ou si les circonstances dont dépendait l’octroi initial d’une allocation pour impotence de degré faible ont notablement changé depuis le 4 décembre 2008.
Compte tenu de son pouvoir d’examen restreint, il n’appartient pas au TF de compléter d’office les constatations cantonales (art. 105 al. 2 LTF) et de procéder à une substitution de motifs. La cause doit être envoyée au premier juge pour instruction afin d’établir les faits. De plus, même à supposer qu’un changement notable de circonstances soit établi au sens de l’art. 17 al. 2 LPGA, les constatations cantonales sont en l’état incomplètes et ne permettraient pas de se prononcer sur le besoin de l’intimée du recours à l’aide directe ou indirecte d’un tiers de façon régulière et importante pour l’acte ordinaire de la vie « se vêtir/se dévêtir ».
Le recours est ainsi admis.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

TF 8C_427/2018 - ATF 145 V 188 du 30 avril 2019
Assurance-chômage; perte de travail; prestations volontaires de l’employeur; art. 8 al. 1 let. b, 11 al. 1 et 3 et 11a LACI; 10h OACI
Le TF analyse différents éléments d’une indemnité de départ afin de déterminer la perte de travail à prendre en considération au sens des art. 11 et 11a LACI.
Un bonus accordé sur la base d’un plan incitatif (Incentive Plan) n’imposant aucune obligation à l’employeur et ne conférant aucun droit à l’employé, qui peut en outre être modifié ou supprimé à tout moment, représente une gratification. Le fait que le plan prévoie que le bonus dépend des résultats individuels et de ceux de l’employeur n’est pas suffisant pour considérer qu’il s’agit d’un salaire, si la part de l’employé aux résultats de la société qui l’emploie n’est pas fixée et que l’appréciation des objectifs individuels demeure subjective. Le critère de l’accessoriété, qui permet de requalifier une gratification en salaire variable, n’est pas applicable au vu du très haut niveau de rémunération (c. 5.2.5).
La participation à un plan d’intéressement sous forme de stocks options et restricted stock options est considérée, au vu des règlements applicables et des documents remis au travailleur, comme une gratification discrétionnaire et non une rémunération de base (c. 5.3.2).
Dès lors, le TF confirme que les montants reçus à titre de bonus et sur la base du plan d’intéressement constituent des prestations volontaires de l’employeur couvrant la perte de revenus qui repoussent dans le temps le délai-cadre d’indemnisation, ouvrant une période de carence.
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds


TF 9C_187/2019 - ATF 145 V 161 du 18 avril 2019
Assurance-maladie; prestations de soins fournies par un proche; art. 7 et 7a OPAS
Une femme paraplégique depuis décembre 2015 a été en partie soignée par son époux à domicile. Depuis le 1er janvier 2017, l’époux a été engagé par un fournisseur de soins à domicile reconnu par le canton, qui a facturé à l’assureur-maladie les soins prodigués par ce dernier.
Le TF confirme que les soins de base selon l’art. 7 al. 2 let. c OPAS peuvent être mis à la charge de l’assurance obligatoire des soins dès lors qu’ils n’exigent pas des connaissances médicales approfondies. En revanche, le remboursement des examens et traitements prévus à l’art. 7 al. 2 let. b OPAS ne peut pas être exigé de l’assureur-maladie, dès lors qu’ils supposent une formation minimale dans le domaine des soins (« Pflegeausbildung »). Les juges fédéraux ont considéré qu’il y a lieu d’être prudent lorsque des soins sont fournis par un proche, afin d’éviter le risque d’abus et d’atteinte à la santé. De plus, la distinction prévue à l’art. 7 al. 2 let. b et à l’art. 7 al. 2 let. c OPAS, notamment quant à la hauteur de la rémunération (cf. art. 7a al. 1 let. a et b OPAS), justifie que seuls les « soins de base » puissent être mis à la charge de l’assurance obligatoire des soins, lorsqu’ils sont fournis par des proches, et ce même si les prestations fournies par l’époux selon l’art. 7 al. 2 let. b OPAS sont de qualité.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_508/2018 du 17 avril 2019
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; procédure civile; for; consorité; art. 15 al. 1, 71 al 1 CPC
La victime de deux accidents de circulation survenus en 2005 et en 2008 ouvre action en réparation du dommage contre les assureurs responsabilité civile des détenteurs concernés devant la même juridiction. Elle fait valoir qu’il existe une consorité passive simple entre eux. L’un d’eux soulève une exception d’incompétence ratione loci, laquelle est admise par les tribunaux ayant eu à connaître de l’affaire.
Le TF relève que la première partie de l’art. 15 CPC correspond à l’art. 7 LFors ; toutefois, en raison de la définition de la consorité simple donnée à l’art. 71 al. 1 CPC, la jurisprudence rendue à propos de l’art. 7 al. 1 LFors n’est pas applicable (c. 4.1.2). Pour que plusieurs personnes puissent agir ou être actionnées conjointement, l’art. 71 al. 1 CPC exige que leurs droits et devoirs résultent de faits ou de fondements juridiques semblables (c. 4.2). Le for la consorité passive simple sert l’économie, respectivement la simplification de la procédure : il a pour but de garantir une décision adéquate et d’éviter des jugements contradictoires (c. 4.2.2). Pour admettre la connexité des faits selon l’art. 71 al. 1 CPC, il importe qu’on ait affaire à une similitude des faits (Gleichartigkeit der Tatsachen) qui ont conduit à l’émergence des droits et des obligations contestés ; tel n’est pas le cas de deux accidents indépendants l’un de l’autre, qui se sont déroulés à des moments et des lieux différents. Des mesures d’instruction distinctes devront être ordonnées et on ne voit pas quelle simplification pourrait apporter la concentration de l’administration des preuves en une seule procédure (c. 4.3.1).
La connexité juridique au sens de l’art. 71 al. 1 CPC suppose une similitude des fondements juridiques. Une consorité passive entre des responsables solidaires peut servir l’économie de la procédure et éviter des jugements contradictoires. Par un jugement unique sur la demande principale du lésé, le règlement interne entre les responsables peut en être facilité. Si des faits font l’objet d’une appréciation juridique uniforme, on peut s’assurer de la comptabilité des résultats de la procédure (c. 4.3.2.1). Dans le cas d’espèce, toutefois, la juridiction précédente a nié la solidarité des défendeurs et, par conséquent, la connexité juridique des deux actions ; en particulier, l’art. 60 LCR n’est pas applicable en cas d’accidents multiples (c. 4.3.3). Elle a également nié que la solidarité puisse être construite sur la base des principes généraux (c. 4.3.4). Dans le cas d’une solidarité imparfaite, il appartenait à la lésée de démontrer les avantages qu’une procédure unique pourrait avoir, ce qu’elle n’a pas fait.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg



TF 8C_684/2018 du 17 avril 2019
Assurance-chômage; obligation de restituer; remise; bonne foi; art. 25 al. 1 LPGA
Le litige porte sur la question de la remise de l’obligation de restitution des indemnités de l’assurance chômage et en particulier sur le point de savoir si l’intimé remplit la condition de la bonne foi. Celui-ci a été licencié de l’une des deux activités professionnelles à temps partiel qu’il exerçait et s’est inscrit à l’ORP. Un gestionnaire de la caisse de chômage lui a fait parvenir un formulaire de confirmation d'inscription avec un taux d’activité englobant les deux activités professionnelles et l’intimé a perçu des indemnités journalières calculées sur les deux activités. A la suite d’un contrôle, la caisse de chômage a demandé la restitution des prestations versées en trop. L’intimé se prévaut de la bonne foi.
Selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile. Ces deux conditions matérielles sont cumulatives et leur réalisation est nécessaire pour que la remise de l’obligation de restituer soit accordée.
Selon la jurisprudence, l’ignorance, par le bénéficiaire des prestations, du fait qu’il n’avait pas droit aux prestations ne suffit pas pour admettre sa bonne foi. Il faut bien plutôt que le requérant ne se soit rendu coupable, non seulement d’aucune intention malicieuse, mais aussi d’aucune négligence grave. Le bénéficiaire peut invoquer sa bonne foi lorsque l’acte ou l’omission fautifs ne constituent qu’une violation légère de l’obligation d’annoncer ou de renseigner.
En l’espèce, l’intimé a omis d’inscrire son activité accessoire dans les formulaires IPA et a ainsi commis une violation légère de l’obligation d’annoncer ou de renseigner puisqu’il a annoncé tant à l’ORP qu’à la caisse de chômage qu’il exerçait toujours une activité accessoire à 25%. Partant, si l’intimé était certes tenu d’indiquer cette activité dans les formulaires IPA, la caisse disposait néanmoins de toutes les indications nécessaires au dossier concernant la poursuite de l’emploi accessoire pour déterminer correctement le droit à l’indemnisation. L’intimé a raisonnablement pu penser que l’emploi qu’il exerçait déjà à 25 % avant son inscription au chômage était considéré comme un gain accessoire et n’était pas pris en considération dans l’indemnisation. Un indice sérieux dans ce sens réside dans le fait qu’il a dûment indiqué chaque mois tous les autres emplois réalisés à titre de gains intermédiaires. Au demeurant, le fait que la caisse a demandé à l’assuré deux mois après son inscription à 50 % d’augmenter le taux d’activité recherché à 75 % a pu créer une confusion chez ce dernier. Vu ce qui précède, la cour cantonale a retenu à juste titre que l’omission de l’intimé ne constituait pas une négligence grave de nature à exclure sa bonne foi. Par conséquent, le jugement attaqué n’est pas critiquable et le recours se révèle mal fondé. Le recours est dès lors rejeté.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 9C_624/2018 du 15 avril 2019
Prestations complémentaires; assuré de nationalité étrangère; délai de carence; art. 2 par. 1, 3 par. 3, 4, 70 par. 2 let. c et par. 4, annexe X Suisse let. a R (CE) n° 883/2004
Selon l’art. 5 al. 1 LPC, les étrangers n’ont droit à des prestations complémentaires que s’ils séjournent de manière légale en Suisse ; ils doivent y avoir résidé de manière ininterrompue pendant les dix années précédant immédiatement la date à laquelle ils demandent la prestation complémentaire. L’art. 32 al. 1 LPC, en lien avec l’ALCP, renvoie notamment au R (CE) n° 883/2004 pour les personnes qui sont ou ont été soumises à la législation sur la sécurité sociale suisse ou d’un Etat de l’UE, pour les réfugiés et les apatrides qui résident en Suisse ou dans un Etat de l’UE, ainsi que pour les membres de la famille et les survivants de ces personnes. Selon l’art. 4 du règlement précité, les personnes auxquelles le règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout Etat membre, que les ressortissants de celui-ci (principe de non-discrimination notamment fondé sur la nationalité).
L’épouse d’un ressortissant de l’UE (Portugal), domiciliée en Suisse, elle-même ressortissante d’un Etat tiers non-membre de l’Union européenne (Bolivie), qui ne remplit pas les conditions du droit interne suisse (délai de carence de dix ans précité), peut se prévaloir de l’art. 2 par. 1 du règlement susmentionné (champ d’application personnel) en sa qualité de membre de la famille d’un ressortissant d’un Etat de l’UE (conjoint survivant), indépendant de sa nationalité. Par ailleurs, les prestations complémentaires selon la LPC entrent dans le champ d’application matériel du règlement en cause (prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au sens des art. 3 par. 3 et 70 par. 2 let. c du règlement et de son annexe X). Ces prestations sont octroyées exclusivement dans l’Etat de résidence de l’intéressé conformément à sa législation (art. 70 par. 4 du règlement, qui constitue une règle de conflit déterminant la législation applicable, laquelle détermine les conditions de fond de l’existence du droit aux prestations). Les conditions du droit interne doivent être conformes au R (CE) n° 883/2004, singulièrement au principe de non-discrimination fondé sur la nationalité (art. 4). Les membres de la famille ou survivants d’un ressortissant d’un Etat de l’Union européenne ont un droit originaire ou propre (soit ne dépendant pas de sa qualité de membre de la famille d’un travailleur migrant) à un traitement égal aux Suisses pour les prestations qui ne sont pas dues par leur nature exclusivement aux travailleurs, comme les prestations de chômage. Le TF renvoie à l’arrêt 139 V 393 c. 5.2.1 pour la notion de droits propres et dérivés.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 6B_244/2019 du 10 avril 2019
Responsabilité aquilienne; causalité; interruption; art. 29 al. 2 Cst.; 343, 389 et 405 CPP
Selon la jurisprudence, il y a rupture du lien de causalité adéquate, l’enchaînement des faits perdant sa portée juridique, lorsqu’une autre cause concomitante – par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou celui d’un tiers – propre au cas d’espèce constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l’acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l’auteur.
En cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée. Pour l’analyse des conséquences de l’acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et de la causalité adéquate.
L’existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance ; autrement dit, elle n’est réalisée que lorsque l’acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat. La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’eût empêché.
Se fondant sur les observations des experts, la cour cantonale a retenu que l’étayage de la fouille était absolument indispensable à partir de la profondeur de 1,50 m et qu’il était évident que si cette mesure de sécurité avait été prise, le décès de la victime ne se serait pas produit. La cour cantonale a également retenu que la distance entre le bord de la fouille et la camionnette n’était pas suffisante.
Sur la base des faits établis, la formation des employés et la surveillance des mesures de sécurité de la fouille (étayage et distance minimale) auraient selon toute vraisemblance empêché l’ensevelissement de la victime. Si le recourant avait correctement formé ses employés et s’était assuré que les moyens adéquats étaient disponibles et mis en œuvre pour sécuriser la fouille, l’accident aurait, avec une vraisemblance confinant à la certitude, pu être évité. Aussi, c’est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale a admis la causalité adéquate.
Par ailleurs, le recourant semble invoquer la faute concomitante de ses employés. Le TF rappelle que l’existence de causes concomitantes ne suffit pas à interrompre le lien de causalité entre les omissions du recourant et le décès de la victime, étant précisé qu’il n’existe pas de compensation des fautes en droit pénal. Aussi, les fautes des autres travailleurs invoquées par le recourant ne l’exonèrent pas de ses propres manquements.
Le TF a rejeté ainsi le recours étant donné que c’est à bon droit que la cour cantonale a écarté toute rupture du lien de causalité.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 9C_441/2018 du 10 avril 2019
Prestations complémentaires; compétence locale; art. 58 al. 1 LPGA
Bien que certains aspects des PC relèvent d’un ancrage cantonal, il n’y a aucune raison de déroger au for du domicile de l’assuré de l’art. 58 al. 1 LPGA. Le fait que la LPC ne déroge pas à cette disposition ne constitue dès lors par une lacune improprement dite. On ne saurait modifier la jurisprudence des ATF 139 V 170 et 143 V 363.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 9C_659/2018 du 9 avril 2019
Prévoyance professionnelle; exception à l’obligation d’assurance; art. 2 al. 4 LPP; 1j OPP2
Le TF rappelle que l’art. 2 al. 4 LPP est la base légale sur laquelle le Conseil fédéral s’est fondé pour édicter certaines exceptions au principe de l’obligation d’assurance des salariés, à des conditions strictes.
Ainsi, l’art. 1j al. 1 let. c OPP2 doit être interprété en ce sens que les salariés, indépendamment de leurs ressources financières, restent soumis à l’assurance obligatoire pour leur activité accessoire, même s’ils exercent une activité principale à l’étranger pour laquelle ils bénéficient d’une couverture obligatoire d’assurance pour la prévoyance (« Vorsorgeversicherung »).
De plus, les juges fédéraux ont précisé que l’institution de prévoyance ne fait pas preuve d’un excès de formalisme en exigeant de la part de l’assuré une demande en bonne et due forme d’exemption de l’assurance obligatoire selon l’art. 1j al. 2 OPP2. A défaut d’une telle demande, l’assuré reste soumis à l’assurance obligatoire, respectivement entraîne l’obligation pour l’employeur d’affilier les salariés concernés.
Auteur : Guy Longchamp

TF 9C_715/2018 du 5 avril 2019
Assurance-invalidité; infirmité congénitale; autisme; maladie génétique rare; ergothérapie; art. 13 LAI; ch. 405 annexe OIC
Une enfant présentant depuis la naissance des troubles du spectre autistique (OIC 495) ainsi qu’une épilepsie (OIC 387) s’était vu accorder par l’AI la prise en charge d’un traitement d’ergothérapie pendant quatre ans au total. Une cinquième année a été refusée par l’office AI, refus confirmé par les juges cantonaux, au motif que l’épilepsie était désormais asymptomatique grâce au traitement médicamenteux, et que les troubles du spectre autistique étaient causés par une mutation génétique rare dont l’enfant était affectée (syndrome de microduplication 15q11.2), affection qui ne figure pas dans l’annexe à l’OIC.
Le TF a considéré que la conclusion radicale des premiers juges ne pouvait être tirée des rapports médicaux figurant au dossier, beaucoup plus nuancés, et n’affirmant au demeurant pas que la présence d’une mutation génétique excluait en soi un trouble du spectre autistique. Il a renvoyé l’affaire à l’office AI pour instruction complémentaire et nouvelle décision.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : cet arrêt est intéressant parce que le TF, reprenant l’idée qu’il avait déjà amorcée dans un arrêt 9C_341/2016 (cf. c. 5.2 in fine), semble admettre que si un diagnostic répertorié dans l’annexe à l’OIC est posé et nécessite un traitement, en l’espèce un trouble du spectre autistique, l’office AI ne peut refuser la prise en charge au motif que ce diagnostic serait la conséquence d’une autre pathologie, en l’espèce une maladie rare impliquant une mutation génétique.

TF 6B_1309/2018, 6B_1315/2018 du 28 mars 2019
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles par négligence; arbitraire; art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF; 9 Cst.
Lors du montage d’un échafaudage dans une cage d’escalier d’un immeuble, un ouvrier et son contremaître ont laissé comme soutien, malgré le mauvais éclairage, une barre transversale au niveau de la dernière marche de l’escalier menant au premier étage, barre placée à une dizaine de centimètres audessus de la marche, empêchant ainsi un cheminement sûr dans ladite cage d’escaliers. En outre, la présence de cette barre, de la même couleur que le sol, n’a pas été indiquée. Un des locataires de l’immeuble, alors qu’il montait les escaliers menant au premier étage, a perdu l’équilibre en voulant enjamber ou en heurtant ladite barre et a chuté en arrière. Cette chute lui provoqua de graves lésions corporelles.
Les deux prévenus ont été condamnés pour lésions corporelles graves par négligence par le tribunal de police. Le tribunal cantonal pénal a rejeté les appels des deux prévenus qui ont formé recours au TF. Les deux causes ont été jointes.
Les recourants soutiennent en substance qu’en l’absence d’expertise, la cour cantonale serait tombée dans l’arbitraire en retenant que la construction de l’échafaudage en forme de « H » constituait une violation des règles de l’art de construire, alors que cette forme de « H » était nécessaire pour la tenue de l’échafaudage et donc pour la sécurité des ouvriers. La cour cantonale ne s’est référée que sur les déclarations de l’inspecteur des chantiers qui n’avait pas précisé comment il aurait fallu installer l’échafaudage.
La cour cantonale a écarté sans motivation l’avis exprimé par les personnes intervenues sur le chantier, qui ont affirmé que la pose de la barre transversale était nécessaire pour assurer la stabilité de l’échafaudage pour la sécurité des ouvriers et que les autres systèmes pour stabiliser l’échafaudage n’entraient pas en ligne de compte en l’espèce. En ignorant ces déclarations et en se fondant sur la seule opinion de l’inspecteur des chantiers, au demeurant peu précise, les juges cantonaux ont versé dans l’arbitraire.
Par ailleurs, la cour cantonale a versé également dans l’arbitraire en écartant sans aucune motivation les témoignages sur le fait que le recourant n’avait pas été informé que l’immeuble était habité puisqu’il ne s’agissait que d’une rénovation partielle. Cet élément était déterminant pour l’issue du litige dans la mesure où les règles de sécurité varient selon que le chantier est fermé ou ouvert au public.
En dernier lieu, la cour cantonale a retenu que l’un des recourants avait la qualité de chef d’équipe des monteurs et qu’il était chargé de diriger les autres employés avec lesquels il a installé l’échafaudage. A ce titre, il lui incombait d’effectuer ce travail conformément aux normes de sécurité reconnues dans la branche. Selon la jurisprudence, la responsabilité pénale d’un participant à la construction se détermine sur la base des prescriptions légales, des accords contractuels ou des fonctions exercées, ainsi que des circonstances concrètes. A défaut d’élément de fait plus précis, il n’est pas possible de déterminer si le recourant se trouvait dans une position de garant.
Le TF a ainsi admis les recours, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu’elle détermine, au besoin en ordonnant une expertise, si l’échafaudage a été installé conformément aux règles de l’art de construire compte tenu des circonstances de l’espèce (sécurité des ouvriers, configuration des lieux, chantier ouvert ou fermé, etc.).
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle

TF 4D_2/2019 du 27 mars 2019
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; prescription; reconnaissance de dette; art. 74 al. 2 let. a LTF; 137 al. 2 CO
Lorsque la valeur litigieuse n’est pas atteinte dans le cadre d’un recours en matière civile, le recours est recevable lorsque la contestation soulève une question juridique de principe (art. 74 al. 2 let. a LTF). Dans ce cas, il faut expliquer en quoi l’affaire remplit cette condition (art. 42 al. 2 LTF). Le cas d’espèce porte sur un accident de la route intervenu le 19 mai 2001. Le recourant a déposé une action partielle le 9 février 2015 tendant au paiement par l’assureur du responsable de l’accident de la somme de CHF 25’000.00 à titre de tort moral, avec intérêts à 5%.
En l’espèce, le point controversé devant l’instance précédente concernait une offre de transaction, datée du 18 octobre 2010, dans laquelle une compensation pour le dommage causé avait été formulée. Le recourant estimait que cette offre de transaction pouvait être considérée comme une reconnaissance de dette au sens de l’art. 137 al. 2 CO. Toutefois, l’offre de transaction n’était pas signée, de sorte que l’exigence formelle n’était pas respectée. Tout au plus un nouveau départ pour le délai de prescription de deux ans aurait pu courir, à l’exclusion de celui de dix ans. La demande en justice déposée le 9 février 2015 ne pouvait qu’être considérée comme prescrite à tout point de vue.
Partant, le recourant n’a pas su démontrer en quoi la question de la prescription pouvait constituer une question juridique de principe. Ainsi, le recours en matière civile n’est pas recevable (c. 1). Le recours constitutionnel subsidiaire n’est pas non plus ouvert dans la mesure où le recourant n’a pas su démontrer en quoi l’état de fait établi par l’autorité précédente était arbitraire (c. 2). Enfin, la violation du droit d’être entendu invoqué par le recourant n’est pas fondée (c. 3).
Le recours a été rejeté par le TF, dans la mesure où il était recevable.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 4A_511/2018 du 21 mars 2019
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; constatation du droit étranger; principes de procédure; respect des règles de la bonne foi.; art. 16 al. 1 LDIP; 52 CPC
Selon l’art. 16 al. 1 LDIP, le juge doit établir d’office le contenu du droit étranger.
Dans ce cadre, les parties doivent – préalablement au jugement – avoir l’occasion de prendre position sur le principe de l’application d’un droit étranger, puis d’être renseignées et de prendre position sur le contenu de droit étranger tel qu’il résulte de l’ensemble des investigations accomplies. Les parties doivent être informée en temps utile du résultat de ces investigations, afin de se déterminer à leur égard et de parer à toute inexactitude.
La partie qui présente, pour la première fois en procédure d’appel, des questions qu’elle tient pour pertinentes à l’établissement des règles topiques du droit étranger auquel la contestation est soumise, alors que des possibilités suffisantes lui avaient été données d’en énoncer devant le tribunal de première instance, constitue un comportement négligent ou attentiste qui n’est pas conforme aux exigences de la bonne foi en procédure (consacrées par l’art. 52 CPC). Ni la LDIP ni une garantie constitutionnelle n’obligent le tribunal à anticiper l’inaction d’un conseil professionnel et à l’inviter spécialement à présenter ses questions.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat, Neuchâtel


TF 9C_318/2018 du 21 mars 2019
Assurance-invalidité; mots-clés ? art. 22 LPGA; 85bis al. 1 et 2 RAI
L’avance de prestations versées par la caisse de pensions dans l’attente de la décision AI sur la base de son règlement constitue une avance faite en application de l’art. 85bis al. 2 let. b RAI (et non une avance librement consentie selon l’art. 85 al. 2bis let. a RAI).
Pour le remboursement de l’avance à la caisse de prévoyance, dans l’éventualité de l’art. 85bis al. 2 let. b RAI, le consentement de l’assuré n’est pas nécessaire ; il suffit que le droit au remboursement « sans équivoque » découle expressément d’une norme légale ou contractuelle.
L’ancien TFA a confirmé le versement en mains de tiers – nonobstant l’absence d’une norme légale – au motif que l’octroi de prestations n’avait été prévu que sous la réserve expresse d’une compensation ultérieure avec des rentes de l’assurance-invalidité accordées rétroactivement pour la même période (c. 3.3)
Dans le cas d’espèce, l’assuré a donné son accord par écrit à la cession des droits futurs envers l’assurance-invalidité. Le TF retient ainsi que l’avance des prestations par la caisse de pension a été accordée sous la réserve non équivoque d’une compensation ultérieure avec des rentes de l’assurance-invalidité accordées rétroactivement pour la même période. Les conditions du remboursement de l’art. 85bis let. b RAI sont données sans besoin d’un nouveau consentement de l’assuré qui ne peut ainsi se prévaloir de la révocation ultérieure de son accord au remboursement.
Le consentement écrit de l’assuré suffit également si le règlement de la caisse de pension prévoit, comme en l’espèce, le remboursement des avances. Le TF a également admis que le consentement écrit de l’assuré pour le versement direct aux tiers ayant versé des avances peut suffire lorsque les conditions générales d’assurances prévoient un devoir de remboursement de l’assuré (c. 3.3).
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 8C_621/2018 - ATF 145 V 200 du 20 mars 2019
Assurance-chômage; droit à l’indemnité; position dirigeante; société à risque limité de droit allemand; art. 8 et 31 al. 3 let. c LACI
L’associé d’une Sàrl de droit allemand recourt contre une décision de refus d’octroi de prestations de chômage par la caisse cantonale de chômage. La question d’une éventuelle application de l’art. 31 al. 3 let. c LACI doit être déterminée selon le droit suisse, plus particulièrement selon les art. 804 ss CO (c. 4.3).
Le TF considère qu’il existe un risque d’abus de prestations de l’assurance-chômage par l’associé d’une Sàrl en raison des pouvoirs conférés à l’assemblée des associés (art. 804 CO) et du caractère personnel d’une Sàrl. Cette argumentation vaut indépendamment des parts sociales détenues par l’associé concerné (en l’espèce 12% de parts de la société allemande). Selon le TF, il ne se justifie pas d’opérer une distinction en fonction des parts sociales détenues par un associé (c. 4.5.3).
Le TF examine encore si l’exclusion de toutes prestations pour un associé d’une Sàrl suisse s’applique aussi à l’associé d’une Sàrl de droit allemand. Il constate que, comme en droit suisse, les associés d’une Sàrl de droit allemand peuvent faire valoir leurs droits lors des assemblées des associés et qu’ils jouissent d’un statut personnel plus fort que celui d’un actionnaire d’une société anonyme. En outre, la Sàrl de droit allemand, tout comme celle de droit suisse, compte un nombre relativement faible d’employés, ce qui implique couramment des obligations supplémentaires à charge des actionnaires (notamment la gestion des activités, les devoirs de loyauté et l’interdiction de faire concurrence). Partant, la position de l’associé d’une Sàrl en droit suisse ne diffère pas, voire très peu, de celle de l’actionnaire d’une Sàrl de droit allemand, ce qui implique l’exclusion de toute prestation chômage en sa faveur en application de l’art. 31 al. 3 let. c LACI.
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne


TF 8C_253/2018 - ATF 145 V 141 du 19 mars 2019
Assurance-accidents; avis obligatoire de salaire; révision; restitution; art. 17, 25 et 31 LPGA; 5 al. 3 et art. 9 Cst
Dans le cadre d’une révision de rente opérée en application de l’art. 17 al. 1 LPGA, un revenu d’invalide (ou revenu avec invalidité) ayant augmenté peut constituer un motif de révision de la rente de l’assuré.
Les griefs de l’assuré relatifs à ses plans de carrière d’avant l’accident et à l’augmentation hypothétique de son revenu de valide (ou revenu sans invalidité) doivent répondre à des exigences strictes et reposer sur des points d’ancrages concrets, à trancher à l’aune de la vraisemblance prépondérante. In casu, en raison d’un taux d’invalidité de seulement 4% résultant désormais de la comparaison des revenus avec et sans invalidité, le droit de l’assuré à percevoir une rente d’invalidité LAA doit lui être dénié à partir du 1er janvier 2014.
Ayant violé son devoir d’annoncer son salaire effectivement réalisé, salaire désormais plus élevé (obligation prévue à l’art. 31 al. 1 LPGA), l’assuré s’est vu réclamer par la SUVA la restitution des prestations (rentes) versées en trop (CHF 11'069.-), ce en application de l’art. 25 al. 1 LPGA.
En cas de violation du devoir d’annoncer un salaire plus élevé, la rente d’invalidité peut, selon le TF, être supprimée (ou réduite) avec effet rétroactif, contrairement à ce qui se passe normalement en cas de révision de rente usuelle (art. 17 al. 1 LPGA), car le devoir d’annoncer est une concrétisation du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 et art. 9 Cst).
Le devoir de collaboration de l’assuré en matière d’assurances sociales est un élément cardinal pour le TF, dont la violation justifie une sanction. C’est donc à partir du moment où l’élément dissimulé a déployé ses effets (hausse de salaire), que se justifie le correctif de la révision et de la demande de restitution.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne


TF 6B_1287/2018 du 11 mars 2019
Responsabilité aquilienne; responsabilité du médecin; administration erronée d’un médicament; homicide par négligence; lien de causalité; exposition; indemnité; art. 117 et 127 CP
Homicide par négligence : le TF rappelle les conditions et principes afférents à l’art. 117 CP dans le contexte de la responsabilité médicale (c. 1.1).
En tant qu’il lui était demandé, en sa qualité de médecin référant de son patient, de contrôler sa fiche de traitement médicamenteux, ce médecin, également médecin-traitant, généraliste dudit patient, avait une position de garant vis-à-vis de lui. Dans la mesure où il a manqué de relever l’erreur de posologie qu’elle contenait, n’étant du reste pas contesté que cette erreur était perceptible sur la base de ses connaissances et capacités, le médecin a commis une violation de son devoir de prudence (c. 1.2).
L’aspect fautif dudit devoir de prudence est confirmé. En effet, dans la mesure où l’intervention d’un médecin, avec les connaissances et compétences qui lui sont associées, était nécessaire, il ne pouvait pas simplement partir de l’idée – fausse en l’occurrence – que la fiche qui lui était soumise par le personnel du home ne contenait aucune erreur et, partant, renoncer à tout contrôle du document qu’il signait. Son inattention doit donc être considérée comme blâmable (c. 1.3).
Sous l’angle du lien de causalité (rappel des principes, c. 1.4.1), il n’est pas contesté que le décès du patient a essentiellement été causé par le surdosage de Méthotrexate (c. 1.4.2). Est toutefois seule pertinente en l’espèce la question de savoir si l’identification de l’erreur de dosage et l’interruption de la prise de médicament du 9 octobre 2016 auraient permis, avec une très grande vraisemblance, d’éviter l’issue fatale. C’est sans arbitraire que la cour cantonale a déduit de l’expertise qu’il existait « une certaine probabilité » d’éviter l’issue fatale au 9 octobre 2016. Cependant, par ces termes, l’autorité précédente retient une vraisemblance en deçà de celle exigée par la jurisprudence. Pour mémoire, l’existence de la causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance et non une simple possibilité ou probabilité. En retenant que le lien de causalité était néanmoins satisfait en l’espèce, la cour cantonale a violé le droit fédéral en ce sens qu’elle a méconnu le degré d’exigence applicable à la causalité hypothétique dans le cadre de l’art. 117 CP. La réalisation de la condition du lien causal entre l’omission et le résultat n’est donc pas établie en l’espèce et le recourant devra être libéré de l’infraction d’homicide par négligence (c. 1.4.3).
Exposition : rappel des conditions et principes afférents à l’art. 127 CP (c. 2.1).
En l’espèce, l’interruption du traitement pendant deux semaines constituait bien une mesure prise par le médecin incriminé. La question de savoir si elle était adaptée aux circonstances est autre. En effet, même si le choix du recourant n’était en définitive pas le bon, rien ne permet pas d’affirmer qu’il ne s’agit pas simplement d’une mauvaise appréciation de la situation – étant rappelé qu’il n’est pas rhumatologue, qu’il ne prescrit pas de Méthotrexate et n’est donc pas particulièrement familier de ce médicament – plutôt qu’une décision délibérée prise à l’encontre du bien juridique protégé par l’art. 127 CP. En d’autres termes, c’est de manière arbitraire, respectivement en violation du droit fédéral, que la cour cantonale a conclu que le recourant avait voulu, à tout le moins par dol éventuel, exposer ou abandonner son patient à un danger de mort. Le recours est également admis sur ce point (c. 2.4).
Il en résulte que les conclusions civiles des plaignantes sont rejetées (c. 3)
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud


TF 8C_474/2018 - ATF 145 V 97 du 11 mars 2019
Assurance-invalidité; mesures médicales; maladie orpheline; preuve de l’efficacité; mesure nécessaire, simple et adéquate; art. 61 let. c LPGA; OIC (Annexe I, ch. 383 et 453)
La recourante a incontestablement droit à un traitement médical pour ses anomalies congénitales. La question est de savoir si l’instance précédente a confirmé à juste titre la décision de l’office AI refusant la prise en charge des coûts de la greffe allogénique 12/12 MUD du 16 janvier 2014 (c. 3).
Le TF relève que dans le cas des maladies ultra-orphelines, il est reconnu que la preuve d’un bénéfice thérapeutique ne peut être fournie que dans une faible mesure (c. 6.2). L’OFAS n’indique pas quelle autre méthode pourrait être décisive pour les maladies rares et les études y relatives sont manquantes. La preuve scientifique apportée par le médecin pour l’approbation de la greffe de cellules souches doit être ici jugée satisfaisante (c. 6.2).
Il reste à déterminer si cette greffe concernant le traitement des malformations congénitales reconnues selon l’Annexe 1, ch. 383 et 453 OIC est une mesure nécessaire, simple et adéquate (c. 7). Dans le cas d’espèce, plusieurs questions demeurent ouvertes et devaient être résolues par une expertise médicale d’un point de vue hématologique et immunologique en prenant en compte les données médico-scientifiques internationales, ce qui n’a pas été fait. Le TF relève qu’il n’est pas clair non plus, si – et si oui lesquelles, des alternatives de traitement étaient disponibles le 16 janvier 2014. En s’abstenant de clarifier les questions de fait médicalement pertinentes, l’autorité précédente a violé le principe de l’instruction selon l’art. 61 let. c LPGA (c. 8.5). Il s’en suit qu’un expert médical spécialisé devrait répondre aux questions restées en suspens en sur la base du dossier (c. 8.6).
Le TF admet partiellement le recours et renvoie la cause à l’autorité précédente pour une nouvelle décision.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 9C_842/2018 du 7 mars 2019
Assurance-invalidité; taux d’invalidité; revenu d’invalide; abattement; art. 7, 8 et 16 LPGA; 4 LAI
L’abattement consenti à la personne assurée qui ne pouvait plus travailler qu’à temps partiel et était resté longtemps éloigné du marché du travail – en l’espèce 15 % - doit être opéré sur la part du salaire statistique qu’elle est toujours susceptible de réaliser, le résultat obtenu devant ensuite être déduit de ladite part salariale. Compte tenu d’une capacité de travail résiduelle de 50 %, le calcul est ainsi : 1) 15 % de 50 % = 7,5 % ; 2) 50 % - 7,5 % = 42,5 %. La différence obtenue, soit 57,5 % (100 % - 42,5 %), correspond à la perte de gain effective.
Le raisonnement des premiers juges, qui avaient additionné le taux d’abattement (15 %) et le taux de l’incapacité de travail (50 %) pour aboutir à un taux d’invalidité de 65 % est contraire à la jurisprudence constante (c. 5.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_881/2018 du 6 mars 2019
Assurance invalidité; méthode mixte; application inter-temporelle; application immédiate du nouveau droit; art. 28a al. 3 LAI; 27bis RAI
A la suite de l’arrêt de la CourEDH Di Trizio, le Conseil fédéral a adopté le nouvel art. 27bis al. 2 à 4 RAI, pour évaluer l’invalidité selon la méthode mixte.
Le TF a jugé que cette nouvelle disposition ne s’applique pas lorsque la décision administrative litigieuse a été rendue avant l’entrée en vigueur de la nouvelle règlementation. Ainsi, pour le Tribunal fédéral, lors de l’examen du droit à la rente de l’assurance-invalidité, la date de la décision administrative circonscrit l’état de fait déterminant pouvant être soumis à l’examen du juge.
Celui-ci applique les règles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits, étant précisé qu’il n’a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l’état de fait postérieurs à la date déterminante de la décision litigieuse. Les autorités judiciaires n’ont donc pas à tenir compte de la modification réglementaire relative à l’évaluation de l’invalidité des assurés exerçant une activité lucrative à temps partiel, si la décision administrative a été rendue antérieurement à l’entrée en vigueur de la réglementation précitée.
En droit des assurances sociales, la jurisprudence sur les situations exceptionnelles dans lesquelles une application immédiate du nouveau droit par l’instance de recours est possible ne s’applique pas.
Le droit à des prestations périodiques de l’assurance-invalidité ne relève en effet pas d’une situation impliquant des circonstances exceptionnelles dans lesquelles un intérêt public majeur justifierait une intervention immédiate pour empêcher la survenance d’effets irréversibles.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 6B_52/2019 - ATF 145 IV 154 du 5 mars 2019
Responsabilité aquilienne; accident de sport; lésions corporelles par négligence; faute; acte illicite; art. 50 CO
Le TF précise sa jurisprudence en ce qui concerne la détermination de la gravité de la faute commise dans le cadre d’une compétition sportive en relation avec le risque accepté par le participant victime d’une blessure. Ainsi, l’on ne saurait calquer les limites déterminantes pour le droit pénal sur le système de sanctions et d’avertissements découlant des règles du jeu. En effet, un parallèle systématique quant à la notion de faute grossière entre les règles du jeu et le droit pénal reviendrait à exclure, contrairement aux exigences jurisprudentielles en la matière, le principe général « neminem laedere » de la réflexion juridique.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne




TF 9C_277/2018 - ATF 145 V 106 du 4 mars 2019
Prévoyance professionnelle; fonds de garantie; art. 56 LPP; 24ss OFG
Dans cet arrêt du 4 mars 2019, le TF a effectué un certain nombre de distinctions entre les « sanctions » envisageables contre un assuré ayant entraîné un dommage à une caisse de pensions, selon l’art. 56 al. 5 LPP ou sur la base de l‘art. 56a al. 1 LPP.
Il a laissé la question ouverte de savoir si le Fonds de garantie pouvait valablement refuser de garantir des prestations à une personne, assurée au sein d’une fondation commune, ayant enfreint ses obligations, sur la base de l’art. 56 al. 5 LPP. Les juges fédéraux ont précisé qu’il n’était en tous les cas pas possible de limiter le droit aux prestations d’un assuré sur la base de cette dernière disposition si la violation provenait de tierces personnes. Aussi et dans tous les cas, le Fonds de garantie ne peut invoquer l’art. 56 al. 5 LPP pour refuser une garantie de prestations à des survivants d’un assuré ayant (éventuellement) causé un dommage à l’institution de prévoyance ou commis un abus, les droits pour survivants de la prévoyance professionnelle étant indépendants du droit des successions.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_36/2019 du 21 février 2019
Responsabilité du détenteur d’animal; diligence; danger prévisible; devoir d’attention; art. 56 al. 1 CO
Les mesures de précaution que les circonstances commandent de prendre aux termes de l’art. 56 al. 1 CO gouvernant la responsabilité du détenteur d’animal sont définies en premier lieu par les prescriptions de sécurité et de prévention des accidents, légales, réglementaires ou issues de règles analogues édictées par des associations privées. En l’absence de telles prescriptions, ces mesures sont déterminées en fonction de l’ensemble des circonstances concrètes (c. 5.1, rappel de jurisprudence).
L’art. 56 al. 1 CO n’exige pas que le détenteur de l’animal mette en œuvre toutes les mesures possibles propres à éviter un quelconque préjudice. Il suppose de prendre les mesures appropriées pour prévenir les dangers concrets et objectivement prévisibles (c. 5.3.2).
Le degré de précaution exigible à l’égard d’un chien est moins élevé sur une aire de dressage clôturée, justement destinée à permettre l’apprentissage par l’animal de règles d’obéissance que le maître doit faire respecter dans l’espace public. Sans qu’on puisse parler de consentement du lésé au sens de l’art. 44 CO, le fait que la responsable du cours victime de l’accident n’avait précédemment jamais demandé que ce chien soit attaché ou gardé à l’arrêt après les exercices de dressage plaide en faveur du caractère non exigible d’une telle mesure dans ces circonstances concrètes.
Pour déterminer à quel point un danger était prévisible et un devoir d’attention correspondant était exigible, on peut se référer en outre au comportement de l’animal avant l’accident. En l’occurrence, sachant que le chien a participé à une vingtaine de leçons dans le même contexte et avec une liberté de mouvement identique, sans qu’il se soit heurté à une personne et l’ai blessée, une prudence particulière ne paraissait pas d’emblée s’imposer sur cette aire de dressage.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle

TF 9C_799/2018 du 21 février 2019
Assurance vieillesse et survivants; violation de l’obligation de renseigner et de conseiller; responsabilité de la caisse AVS; art. 27 et 78 LPGA
Un assuré dépose une demande de rente de vieillesse de l’AVS, dont il requiert l’ajournement pour une durée de 5 ans. L’assuré reproche à la caisse AVS d’avoir violé son obligation de renseigner et de conseiller (art. 27 LPGA) en ne l’informant pas sur le fait que l’ajournement de la rente de vieillesse avait pour effet d’ajourner simultanément les rentes d’enfant. Il ouvre action en réparation de son dommage sur la base de l’art. 78 LPGA. Le rejet de la demande est confirmé par le TF. L’on ne saurait en effet reprocher à la caisse AVS de n’avoir pas interpellé l’assuré alors même que le formulaire de « demande de rente AVS » est clair, que le memento sur la flexibilisation de la retraite a été envoyé et que l’assuré n’a fourni aucun élément qui aurait permis de penser que ses enfants pouvaient prétendre à des rentes.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 9C_623/2018 du 21 février 2019
Assurance-invalidité; procédure; restitution d’une rente pour enfant; bonne foi et conséquence juridique à attacher au contenu d’une lettre que l’ayant droit dit n’avoir pas reçue; art. 25 al. 1 LPGA; 49bis al. 3 RAVS
A une bénéficiaire d’une rente pour enfant, l’AI réclame la restitution, pour les mois de février à septembre 2016, de rentes par Fr. 3'408.- (soit 8 x Fr. 426.-). Le Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich arrive à la conclusion que la lettre que l’AI dit avoir envoyée à la bénéficiaire de la rente pour enfant en février 2016 – et que la bénéficiaire en question dit, depuis le début, n’avoir jamais reçue – n’était pas de nature à lui donner à penser que la réalisation, pendant ses études, d’un revenu dépassant un certain niveau, pouvait selon l’art. 49bis al. 3 RAVS, conduire à l’exclusion de son droit à la rente (cette dernière disposition, qui, d’après l’ATF 142 V 226 c. 7.2.2, respecte la délégation législative consacrée à l’art. 25 al. 5 LAVS, prévoit que « l’enfant n’est pas considéré en formation si son revenu d’activité lucrative mensuel moyen est supérieur à la rente de vieillesse complète maximale de l’AVS »).
Le TF rappelle que la question en droit qu’il avait à examiner ici était celle de savoir si, pour invoquer sa bonne foi selon l’art. 25 al. 1 LPGA, la bénéficiaire de la rente pour enfant avait, pour la période allant de février à septembre 2016, fait preuve de l’attention exigible de la part d’une personne ayant droit à une rente pour enfant. Or, étant donné que le TF voit que le seul élément qui parlerait en faveur d’un défaut d’attention de la bénéficiaire de la rente proviendrait de la lettre que l’AI dit lui avoir envoyée, le 2 février 2006, il considère qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de cet élément, puisque l’AI n’a pas, au degré de la vraisemblance prépondérante requis, réussi à prouver que la bénéficiaire de la rente avait bel et bien reçu sa lettre non recommandée du 2 février 2016 ; la règle étant, dans ce genre de cas (ATF 136 V 295 consid. 5.9 ; ATF 129 I 8 consid. 2.2), que la personne visée est réputée n’avoir, effectivement, pas reçu la lettre qu’elle a dit n’avoir pas reçue.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 9C_343/2018 - ATF 145 V 57 du 20 février 2019
Assurance-invalidité; mesures médicales; traitement stationnaire; part cantonale; art. 14bis et 26bis al. 1 LAI; 39 et 41 LAMal
L’art. 14bis LAI règle la prise en charge des traitements stationnaires hospitaliers par l’AI et le canton dans le cadre des mesures médicales prévues aux art. 12 et 13 LAI. Il prévoit que les frais des traitements entrepris de manière stationnaire au sens de l’art. 14 al. 1 et 2, dans un hôpital admis en vertu de l’art. 39 LAMal, sont pris en charge à hauteur de 80% par l’assurance-invalidité et de 20% par le canton de résidence de l’assuré.
En l’espèce, le canton de Zurich refuse de participer à hauteur de 20% pour les frais occasionnés par un séjour dans un hôpital pour un traitement orthodontique dans le cadre du traitement d’une infirmité congénitale au motif que la clinique ne figure pas sur sa liste hospitalière. Le Tribunal commence par préciser que c’est bien le Tribunal cantonal des assurances qui était compétent pour connaître du litige, dans la mesure où il relève du domaine des assurances sociales et que la procédure applicable est celle prévue par la LPGA. Cela exclut donc la compétence du Tribunal administratif et des autorités civiles. Le Tribunal arbitral au sens de l’art. 27bis al. 1 LAI n’est pas non plus compétent, puisqu’il ne s’agit pas d’un litige entre assureur et prestataire de soin.
Le TF précise que la notion d’« hôpital admis en vertu de l’art. 39 LAMal » est la même que celle prévue à l’art. 39 al. 1 let. e LAMal et qu’ainsi le canton ne doit prendre en charge 20% des frais des mesures médicales dispensées sous forme de traitement hospitalier stationnaire que si le traitement a été dispensé par un hôpital figurant sur la liste cantonale et que ce dernier a obtenu un mandat de prestation pour le traitement concerné.
Il a en revanche laissé la question ouverte de savoir s’il doit s’agir d’un hôpital répertorié par le canton de résidence de l’assuré et auquel un mandat a été attribué pour le traitement dispensé, ou s’il suffit que l’hôpital figure sur la liste hospitalière d’un canton en Suisse pour le mandat de soins concerné. Ceci dans la mesure où l’hôpital en question n’avait de toute façon jamais reçu de mandat de prestation pour un traitement orthodontique de la part d’aucun canton indiquant dite clinique sur sa liste.
Ce renvoi à l’art. 39 al. 1 let. e LAMal ne viole par l’art. 26bis al. 1 LAI qui prévoit le libre choix du prestataire de soin. En effet, cet article a la même portée que l’art. 41 al. 1bis LAMal (liberté du choix du prestataire dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins). En outre, il permet d’assurer la qualité des soins dispensés.
Le recours du canton de Zurich qui s’opposait à la prise en charge des frais du traitement orthodontique à hauteur de 20% a été admis et la décision sur opposition du canton de refuser de verser le montant confirmée.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 8C_166/2018 du 18 février 2019
Assurance-chômage; durée de la prise en charge provisoire de l’assurance-chômage; art. 15 al. 2 LACI; 15 al. 3 OACI; 70 al. 2 let. b LPGA
L’assurance-chômage est tenue, en raison de l’art. 70 al. 2 let. b LPGA, de verser des prestations à titre provisoire, mais uniquement durant le délai-cadre qui est ouvert. Elle n’est pas tenue de verser au-delà de l’échéance du premier délai-cadre, sauf si l’assuré est en droit de justifier l’ouverture d’un nouveau délai cadre sous l’angle des règles de l’assurance-chômage (c. 6.4). En l’occurrence, l’assuré en question ne peut justifier l’ouverture d’un nouveau délai-cadre ni sous l’angle de l’art. 13 LACI (c. 6.2), ni sous l’angle de l’art. 14 al. 1 let. b LACI (c. 6.3), de sorte que le droit à l’indemnisation provisoire de l’assurance-chômage a effectivement pris fin avec l’échéance du premier délai-cadre (c. 6.4).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne

TF 9C_435/2018 du 14 février 2019
Assurance-maladie; planification hospitalière; contrôle abstrait d’un arrêté cantonal; art. 39 al. 1 lit. e LAMal
Dans cet arrêt concernant le canton de Neuchâtel, le TF a confirmé qu’une législation cantonale, selon laquelle le canton inclut dans sa planification une limitation du volume des prestations en octroyant des mandats de prestations fixant un nombre maximum de cas par année (quotas) pour l’établissement hospitalier concerné, ne contrevient pas au droit fédéral.
En revanche, les juges fédéraux ont jugé que, pour pouvoir limiter valablement le volume de certaines prestations dispensées à des patients neuchâtelois par des hôpitaux extra-cantonaux qui ne figurent pas sur la liste hospitalière neuchâteloise, le canton de Neuchâtel aurait dû, au préalable, admettre lesdits établissements sur sa liste. Ce n’est que dans ce cadre qu’il lui aurait été possible de fixer des limitations de quantités de cas d’hospitalisations par l’octroi de mandats de prestations au sens de l’art. 39 al. 1 lit. e LAMal.
Auteur : Guy Longchamp

TF 6B_768/2018 du 13 février 2019
Responsabilité aquilienne; tort moral; atteinte à la personnalité; troubles de stress post-traumatique; notion de préjudice psychique important; responsabilité des personnes incapables de discernement; dépens; art. 47, 49 et 54 CO; 433 al. 1 CPP
La réparation du tort moral au sens des art. 47 CO et 54 CO se fonde sur l’existence d’un préjudice psychique important qu’il appartient au lésé de démontrer (suivi psychiatrique ou psychologique, incapacité de travail, etc.).
Même en présence d’un trouble de stress post-traumatique dûment constaté par un spécialiste – ce qui n’est d’ailleurs pas le cas en l’occurrence – l’intéressé n’a pas encore droit à une réparation de son tort moral, lorsqu’il n’est pas établi que ce trouble a entraîné une modification durable et significative de sa personnalité.
S’agissant de la juste indemnité de l’art. 433 CPP, il y a lieu de distinguer entre les dépenses occasionnées par les conclusions civiles et celles qui sont occasionnées par la procédure pénale. Dans le cas particulier, l’absence de dépens accordés en lien avec la procédure pénale n’a pas été contestée, seul l’étant les dépens alloués en rapport avec l’action civile. Or, dans la mesure les prétentions civiles formées par les lésés ont été rejetées, ces derniers n’ont pas droit à des dépens.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne


TF 8C_630/2018 du 12 février 2019
Assurance-accidents; rente complémentaire; surindemnisation; rente pour enfant de l’AI; art. 20 al. LAA; 31-33 OLAA
Un assuré invalide à 100 %, au bénéfice d’une rente AI entière, doit voir pris en compte, dans le calcul de sa rente complémentaire LAA, la rente pour enfant versée par l’AI directement à son enfant majeur qui débute une seconde formation, ceci quand bien même l’obligation d’entretien au sens du droit civil n’existe plus.
A teneur de l’art. 20 al. 2 LAA, le principe de congruence ne s’applique pas en matière de prise en compte des rentes AI/AVS dans le cadre du calcul de la rente complémentaire LAA, hormis dans les cas d’exceptions réglés à l’art. 32 OLAA. Les rentes pour enfant de l’AI répondent à des conditions propres, différentes de celles du droit civil. Par conséquent, il n’est pas possible, au regard de l’art. 20 al. 2 LAA, de ne tenir compte des rentes pour enfant que s’il existe également un devoir d’entretien au sens du droit civil. Même si la rente pour enfant est versée à l’enfant majeur, il ne s’agit pas d’un droit propre de l’enfant mais bien d’un supplément de rente lié à un enfant. Le cas particulier résulte d’une lacune de la loi improprement dite, que le tribunal ne peut corriger, même si cela aboutit à une solution insatisfaisante.
Auteure : Pauline Duboux, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 8C_239/2018 - ATF 145 V 90 du 12 février 2019
Assurance-chômage; recherches d’emploi; preuve d’un envoi par voie électronique; art. 17 al. 1 LACI; 26 al. 2 OACI; 39 al. 1 LPGA
Dans le contexte d’une demande de prestations de l’assurance-chômage, un demandeur a envoyé la preuve de ses recherches d’emploi par voie électronique le soir du dernier jour prévu pour ce faire. Le Service de l’emploi du canton de Vaud a considéré qu’il n’avait pas rempli son obligation à temps et a suspendu le droit à l’indemnité de chômage pour 16 jours.
Le TF rappelle que la LPGA ne prévoit pas directement que les écrits puissent être transmis à l’autorité par voie électronique, si bien que les actes de procédure, tels que les oppositions ou les recours, ne sont pas admis sous cette forme (c. 6.2.1). Cependant, le formulaire des preuves de recherches d’emploi ne constituant pas un acte de procédure, mais un justificatif permettant d’établir les faits pour faire valoir un droit, sa transmission à l’administration n’est soumise à aucune forme particulière. Dès lors, il peut être remis par voie électronique, mais l’expéditeur doit requérir de la part du destinataire une confirmation de réception de son envoi afin disposer d’une preuve de la transmission (c. 6.2.2). Dans le cas d’espèce, cette preuve est notamment nécessaire pour justifier la remise à l’administration en temps opportun des recherches d’emploi (c. 3.2).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge


TF 6B_896/2018 du 7 février 2019
Responsabilité aquilienne; faute, homicide par négligence; art. 117 et 238 CPP; 34 OCF; 5 al. 2 et 43 al. 1 LCR; 101 al. 3OSR
Une automobiliste s’engageant sur une rampe d’accès au quai d’une gare sans remarquer la présence d’une voie ferrée, sa voiture se retrouve suspendue dans le vide et elle est happée par un train arrivant à très vive allure occasionnant le décès du conducteur. Les concepteurs de l’ouvrage sont condamnés par le tribunal cantonal aux motifs que les aménagements n’assuraient pas suffisamment la sécurité des utilisateurs.
Une condamnation pour homicide par négligence au sens de l’art. 117 CP suppose la réalisation de trois éléments constitutifs, à savoir le décès d’une personne, une négligence, ainsi qu’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre les deux premiers éléments.
Deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait négligence. En premier lieu, il faut que l’auteur viole les règles de la prudence, c’est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d’autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s’il apparaît qu’au moment des faits son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d’autrui. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d’associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence. En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable.
Le point 4 DE-OCF ad art. 34 OCF ne permet pas de conclure que la rampe, telle que transformée par les recourants en 2010, aurait nécessairement dû être accompagnée d’une barrière ou d’un autre équipement de sécurité. On ne peut considérer que la rampe aménagée par les recourants aurait été – en soi – contraire à cette disposition.
L’installation d’une signalisation routière, telle que le panneau posé en octobre 2011, était-elle nécessaire ou indispensable selon l’art. 5 al. 2 LCR et 101 al. 3 OSR, compte tenu de la configuration des lieux. Cela revient à se demander si, en l’absence de toute signalisation – en particulier un signal indiquant une interdiction de circuler, la rampe litigieuse créait un danger pour les usagers de la route ou si, au contraire, il était manifeste que celle-ci n’était pas destinée à la circulation (cf. art. 43 al. 3 LCR) et était réservée à des fins spéciales (cf. art. 5 al. 2 LCR). Cette question se recoupe donc avec celle de savoir si les recourants ont, en aménageant la rampe litigieuse, créé une situation dont ils auraient dû se rendre compte qu’elle pouvait mettre en danger autrui.
Dès lors que les recourants n’ont pas violé les règles de la prudence ni créé un état de fait dangereux et que l’accident survenu le 10 octobre 2011 n’a pas été causé par une négligence de leur part, ceux-ci n’ont aucunement empêché, troublé ou mis en danger le service des chemins de fer ni mis en danger la vie ou l’intégrité corporelle des personnes ou la propriété d’autrui, au sens de l’art. 238 CP.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève


TF 9C_97/2018 du 5 février 2019
Assurance-maladie; soins de longue durée; évaluation du besoin en soins; méthode PLAISIR; art. 25a LAMal; 7 al. 1 let. c, 7a al. 3 et 8 OPAS
Cet arrêt fait suite à l’ATF 142 V 203, dans lequel le TF a jugé que les actions CSB (communication au sujet du bénéficiaire) selon la méthode PLAISIR (Planification Informatisée des Soins Infirmiers Requis) sont à la charge de l’assurance obligatoire des soins et a renvoyé la cause au tribunal arbitral pour qu’il examine la durée et le montant des prestations CFB définies par la méthode PLAISIR pour l’année 2011.
La Confédération n’a pas épuisé sa compétence visant à réglementer la procédure d’évaluation des soins requis en EMS, de sorte que les cantons signataires de la convention intercantonale restent en droit de maintenir leur reconnaissance de la méthode PLAISIR comme instrument de référence sur leur territoire (c. 6.2).
La caisse maladie recourante n’établit pas que l’imputation proportionnelle au niveau de soin requis violerait le droit fédéral, et l’on peut partir du principe que le montant induit par les CSB est d’autant plus élevé que le niveau de soins requis est lourd (c. 7.1). Une facturation à l’acte engendrerait un travail disproportionné pour les EMS et les caisses-maladie. La plupart des résidents d’un EMS bénéficient toutefois des CSB avec une certaine régularité, en fonction du niveau de soins requis, de sorte que l’on peut les quantifier au moyen d’un outil statistique (c. 7.2). La caisse recourante n’établit pas que le tribunal arbitral aurait omis de constater que la structure des coûts de l’EMS concerné ne correspondait pas à la moyenne de ceux pris en compte dans l’instrument PLAISIR (c. 7.3). La question de savoir si l’art. 59c al. 1 let. c OAMal est applicable par analogie peut rester ouverte. Le principe de la neutralité des coûts ne saurait s’opposer à la prise en charge par l’assurance obligatoire des prestations définies exhaustivement à l’art. 7 al. 2 OPAS (c. 7.4).
En conclusion, la recourante n’établit pas en quoi la durée et le montant des actions de la catégorie CSB, tels que définis concrètement par l’instrument PLAISIR, éluderaient des prescriptions de droit fédéral ou en contrediraient le sens ou l’esprit (c. 7.5).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

TF 9C_108/2018 - ATF 145 V 18 du 30 janvier 2019
Prévoyance professionnelle; prestation préalable; art. 26 al. 4 LPP
Dans cet arrêt, le TF a jugé que l’institution de prévoyance, ayant versé une prestation préalable selon l’art. 26 al. 4 LPP, ne pouvait pas réclamer des intérêts moratoires à la caisse de pensions finalement appelée à payer une rente d’invalidité.
Les juges ont motivé cette décision en invoquant notamment le fait qu’il n’existait pas de relation contractuelle entre les deux institutions de prévoyance. De plus, le législateur n’a pas souhaité introduire une telle obligation à la charge de l’institution de prévoyance débitrice des prestations d’invalidité définitives.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_774/2018 du 30 janvier 2019
Assurance-invalidité; procédure; mise en œuvre d’une expertise; droits de participation; garanties de procédure; retrait de l’effet suspensif; recevabilité du recours au TF; art. 93 et 98 LTF
Le TF admet la recevabilité d’un recours dirigé contre une décision incidente refusant la restitution de l’effet suspensif demandée par le recourant devant le tribunal cantonal des assurances dans le cadre d’un recours contre une décision rendue par l’office AI lui ordonnant de se soumettre à une expertise. Le TF considère que le fait que l’office AI puisse contraindre l’assuré, en application de l’art. 43 al. 3 LPGA, à se soumettre à une expertise médicale sans qu’un tribunal ait statué, matériellement, sur le bien-fondé de l’expertise ou sur le respect des droits de participation, représente un préjudice difficile à réparer (c. 2).
Le TF corrige ensuite la pondération des intérêts effectuée par le tribunal cantonal, et admet qu’en l’espèce, l’intérêt de l’assuré à faire usage de ses droits de participation et autres garanties de procédure l’emportait sur celui de l’assureur social, d’autant plus que ce dernier pouvait de toute manière suspendre le droit aux prestations dans l’intervalle, de sorte que ses intérêts financiers étaient sauvegardés (c. 3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_539/2018 du 29 janvier 2019
Assurance-vieillesse et survivants; coordination européenne; pluriactivité; établissement des faits; procédure de coordination; art. 8 ALCP; 13 à 17a R(CE) n° 1408/71; 11 à 16 R (CE) n° 883/2004; 16 R (CE) n° 987/2009
Lorsqu’une rémunération est versée par une entreprise suisse à des personnes domiciliées dans un pays de l’UE (en l’espèce en Allemagne), l’affiliation à la sécurité sociale en Suisse et, par conséquent, l’obligation de payer des cotisations à l’AVS, dépend de savoir si ces personnes ont, par ailleurs, une activité dans leur Etat de résidence, cas échéant de quelle nature (salariée ou indépendante).
En l’espèce, la caisse de compensation aurait dû mettre en œuvre la procédure prévue conventionnellement pour déterminer le droit applicable, conformément à l’art. 16 R (CE) n° 987/2009, dans le contexte de l’art. 13 R (CE) n° 883/2004 qui traite de la détermination du droit applicable en cas de pluriactivité.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 6B_261/2018 du 28 janvier 2019
Responsabilité aquilienne; course cycliste; faute; devoir de prudence; règles de l’art; exclusion de l’application de la LCR; art. 1 al. 2, 35 al. 3 et 52 al. 2 LCR
Lorsqu’une course de vélo est autorisée en vertu de l’art. 52 al. 2 LCR et qu’elle se déroule sur circuit fermé, la LCR ne trouve pas application selon l’art. 1 al 2 LCR.
En matière de courses de cyclisme, il n’y a pas non plus d’application par analogie des règles de la LCR qui soit possible afin d’évaluer le comportement d’un cycliste selon les règles de sécurité en raison de l’esprit de compétition qui prévaut lors de ce type d’évènement. Les manœuvres de dépassement qui ont lieu lors d’une course ne sont pas comparables à celles qui ont lieu dans le trafic routier usuel. Par conséquent, les exigences quant aux règles de prudence ne sont pas les mêmes et c’est avec raison que le tribunal de première instance a refusé d’appliquer l’art. 35 al. 3 LCR par analogie.
Finalement, le TF se réfère au règlement de l’Association suisse de cyclisme Swiss Cycling et au règlement de l’Union Cycliste Internationale (UCI) et constate qu’ils ne contiennent pas de prescription sur les manœuvres de dépassement.
Afin d’apprécier si la manœuvre de dépassement a été faite dans les règles de l’art, il faut notamment tenir compte de l’esprit de compétition qui règne dans une course. En l’espèce, le cycliste n’a pas outrepassé les limites du risque admis selon les règles de l’art du cyclisme.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne.


TF 8C_163/2018 - ATF 145 V 2 du 28 janvier 2019
Assurance-invalidité; devoir de participer à des mesures de nouvelle réadaptation pour les bénéficiaires de rentes; absence de motif de révision; sanction en cas d’abandon des mesures; art. 7 al. 2 let. e, 7b al. 1 et 8a al. 1 LAI; 17 al. 1 et 21 al. 4 LPGA
Les bénéficiaires de rentes AI avec un potentiel de réadaptation ont non seulement un droit, mais également un devoir de participer activement à des mesures raisonnables de réadaptation, sous la forme d’un entraînement à l’endurance, même en l’absence de motif de révision, soit notamment lorsque l’état de santé de l’assuré demeure inchangé. Pour le TF, c’est à juste titre que l’office AI du canton d’Uri a supprimé le droit à la rente entière d’une assurée après que celle-ci a interrompu une mesure de réadaptation, sous la forme d’un entraînement à l’endurance, et qu’elle ne l’a pas repris, malgré une mise en demeure avec délai de réflexion (art. 21 al. 4 LPGA).
Pour parvenir à cette conclusion, le TF se livre à une interprétation détaillée des art. 7 al. 2 let. e et 8a LAI, tous deux entrés en vigueur avec la 6ème révision de l’AI, en rappelant la finalité de cette révision, à savoir la réduction du nombre de rentes existantes (c. 4.2.2 à 4.3.2). L’examen de la proportionnalité de la mesure demeure sous l’angle de l’art. 8 al. 1 LAI (c. 4.3.3 à 5).
La jurisprudence établie en matière d’exigibilité des mesures de réadaptation, en cas notamment d’âge avancé de l’assuré, est jugée transposable à la présente situation (c. 5.3.1). Le fardeau de la preuve de l’inexigibilité de la mesure est à la charge de l’assuré (c. 5.3.1). En l’espèce, ni l’âge avancé (57 ans au moment de l’expertise ayant conclu à une capacité résiduelle de travail de 80%), ni la durée de la perception de la rente (presque 20 ans) n’ont été jugés suffisants pour rendre inexigible la mesure de réadaptation. Le TF laisse finalement ouverte la question de savoir si le droit à la rente devrait être rétabli dans le cas où l’assurée accepterait ultérieurement de se soumettre aux mesures préconisées (c. 5.3.3).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève



TF 9C_4/2018, 9C_18/2018 - ATF 145 V 50 du 24 janvier 2019
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations; salaire déterminant; part du dividende à prendre en compte; art. 4 et 5 LAVS
Selon les art. 4 et 5 LAVS, le revenu déterminant pour calculer les cotisations des assurés est le revenu provenant de l’activité lucrative et non les revenus provenant du capital. Afin de délimiter le revenu du capital du salaire déterminant, il faut se fonder sur la nature et la fonction de l’avantage concédé. Si la rémunération en cause n’est pas justifiée par le rapport de travail, elle ne constitue pas une part du revenu déterminant. La qualification juridique, économique ou fiscale de la rémunération litigieuse constitue un indice mais n’est pas déterminante.
La délimitation entre salaire déterminant et dividende n’est pas toujours évidente. Elle peut être remise en cause par les autorités s’il existe cumulativement une disproportion, d’une part, entre prestation de travail et revenu et, d’autre part, entre le capital et le dividende. Pour déterminer si une disproportion entre la prestation de travail et le revenu existe, il convient d’effectuer une comparaison avec le revenu d’autres salariés (Drittvergleich) de la même branche en prenant en compte tous les éléments objectifs et subjectifs influençant le salaire (responsabilité, formation, expérience, etc.), ainsi qu’avec les salariés de l’entreprise exerçant une activité similaire, avec un même niveau de responsabilité, mais n’ayant pas droit à des participations.
Concernant la disproportion entre capital et dividende, les directives sur le salaire déterminant (DSD) posent la présomption qu’un dividende de 10% ou plus est disproportionné. Il est toutefois précisé qu’une application schématique de ce taux ne convient pas. Il faut tenir compte des circonstances du cas d’espèce.
Un changement de jurisprudence qui consisterait, d’une part, à tenir compte uniquement de la disproportion entre capital et dividende et, d’autre part, à considérer de façon stricte qu’un dividende excédent les 10% doit être considéré comme salaire déterminant ne correspond pas à la volonté du législateur et doit donc être écarté.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 9C_615/2018 du 24 janvier 2019
Assurance vieillesse-survivants; cotisations; statut d’une assurée exerçant ou non une activité lucrative à plein temps; art. 10 LAVS; 6 al. 2 let. b, 10 et 28bis RAVS
Dans le cas d’espèce, la recourante était liée par un contrat de travail à plein temps. De janvier 2015 à juillet 2015, elle a perçu des indemnités journalières pour à titre de maladie perte de gain à 100%, puis à 70% de juillet 2015 jusqu’à fin 2015. Dès juillet 2015, la recourante a ainsi perçu un revenu correspondant à une activité dépendante à un taux de 30%.
L’enjeu porte sur la fixation du statut de la recourante, à savoir si elle doit être considérée comme exerçant ou non une activité lucrative au sens des dispositions de la LAVS.
La LAVS fait la distinction entre personnes exerçant une activité lucrative et personnes sans activité lucrative. Sont considérées comme sans activité lucrative les personnes qui n’ont pas de revenu professionnel ou dont le revenu est minime, notamment les assurés qui n’exercent pas durablement d’activité lucrative à plein temps et dont les cotisations provenant d’une activité lucrative (part de l’employeur comprise) sont inférieures à la moitié des cotisations qu’ils devraient payer en tant que personnes sans activité lucrative. Sont considérées comme telles les personnes qui exercent une activité lucrative durant moins de neuf mois par an ou durant moins de 50 % du temps usuellement consacré au travail.
En l’occurrence, il appert que la recourante n’exerçait qu’une modeste activité lucrative au cours de l’année 2015. Au cours de la période durant laquelle elle a été indemnisée au moyen d’indemnités journalières en cas d’incapacité totale de travail, elle n’a pas perçu de revenu au sens de l’art. 6 RAVS. L’on peut dès lors considérer que la recourante a réalisé un revenu provenant d’une activité lucrative uniquement durant la période à laquelle elle travaillait à 30%. Etant donné que cette période s’est étendue sur six mois, on ne peut pas considérer qu’il s’agit d’un emploi permanent au sens de la LAVS. En dernier lieu, notre Haute Cour a rappelé que quand bien même la recourante avait exercé une activité lucrative, celle-ci ne correspondait pas à un taux d’activité à plein temps.
Le recours a été rejeté par le TF, dans la mesure où il était recevable.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 8C_405/2018 - ATF 145 V 84 du 22 janvier 2019
Assurance-chômage; période de cotisation; activité en détention; art. 2 al. 1 let. a, 8 al. 1 let. e, 9 al. 3, 13 al. 1, 14 al. 1 let. c LACI; 10 LPGA; 81 et 83 CP
Selon l’art. 8 al. 1 let. e LACI, l’assuré a droit à l’indemnité de chômage s’il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré (art. 13 et 14 LACI). Aux termes de l’art. 13 al. 1 LACI, celui qui dans les limites du délai-cadre prévu (art. 9 al. 3 LACI) a exercé durant douze mois au moins une activité soumise à cotisation remplit les conditions relatives à la période de cotisation. Selon l’art. 14 al. 1 let. c LACI, sont libérées des conditions relatives à la période de cotisation les personnes qui, dans les limites du délai-cadre et pendant plus de douze mois au total, n’étaient pas parties à un rapport de travail et partant n’ont pu remplir les conditions relatives à la période de cotisation, notamment en raison d’un séjour dans un établissement suisse de détention ou d’éducation au travail ou dans une institution suisse de même nature.
Les activités exercées par un détenu au sein d’une prison durant le délai-cadre déterminant ne constituent pas des activités soumises à cotisation au sens de l’art 13 al. 1 LACI. En effet, le statut de travailleur salarié est défini à l’art. 2 al. 1 let. a LACI comme le travailleur (art. 10 LPGA) obligatoirement assuré selon la LAVS et devant payer des cotisations sur le revenu d’une activité dépendante en vertu de cette loi. Ainsi la notion de travailleur salarié dans l’assurance-chômage est étroitement liée à l’exercice d’une activité dépendante au sens de la LAVS. Or sous réserve de cas particuliers relevant des régimes en partie ouverts, comme la semi-détention, les personnes en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, purgeant une peine privative de liberté ou en exécution d’une mesure prévue par le code pénal sont considérées comme des personnes sans activité lucrative selon la LAVS : l’obligation du détenu de travailler en vertu de l’art. 81 al. 1 CP ne relève pas de l’exercice d’une activité lucrative ; la rémunération versée aux détenus sur la base de l’art. 83 CP ne constitue pas un revenu provenant d’une activité dépendante. L’impossibilité d’être partie à un rapport de travail sur le marché ordinaire de l’emploi découle d’ailleurs de l’art. 14 LACI qui conçoit la privation de liberté comme un motif de libération des conditions relatives à la période de cotisation (cf. également le ch. 2013 des directives de l’OFAS sur les cotisations des travailleurs indépendants et des personnes sans activité lucrative dans l’AVS, l’AI et APG (DIN) interprétant les dispositions légales précitées).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 8C_228/2018 - ATF 145 I 26 du 22 janvier 2019
Assurance-maladie; subsides; notion d’assuré à « bas et moyens revenus »; barème cantonal (LU); art. 65 al. 1bis LAMal
Dans cet arrêt du 22 janvier, le TF a été appelé à statuer sur un élément politiquement exposé dans le domaine de l’assurance-maladie obligatoire, à savoir la réduction des primes pour les personnes ayant des « bas et moyens » revenus, au sens de l’art. 65 al. 1bis LAMal.
Les juges fédéraux ont considéré que la décision du gouvernement cantonal lucernois de réduire, à l’art. 2a de l’ordonnance cantonale relative à la réduction des primes dans le domaine de l’assurance-maladie, le revenu maximum de CHF 54'000.- par année, en lieu et place de CHF 75'000.-, pour ouvrir droit à des réductions de primes de l’assurance obligatoire des soins, n’était pas conforme au droit fédéral.
Auteur : Guy Longchamp



TF 4A_534/2018 du 17 janvier 2019
Assurances privées; assurance perte de gain maladie; prétention frauduleuse; art. 40 LCA
Le TF rappelle les principes juridiques applicables à l’invocation d’une prétention frauduleuse selon l’art. 40 LCA, en particulier en matière d’assurance perte de gain en cas de maladie.
D’un point de vue objectif, la dissimulation ou la déclaration inexacte doit porter sur des faits qui sont propres à remettre en cause l’obligation même de l’assureur ou à influer sur son étendue. Il faut, en d’autres termes, constater que, sur la base d’une communication correcte des faits, l’assureur aurait versé une prestation moins importante, voire aucune. Ainsi en est-il lorsque l’ayant droit déclare un dommage plus étendu qu’en réalité, par exemple lorsque l’atteinte à la santé n’est pas aussi grave qu’annoncée. En plus, l’ayant droit doit, sur le plan subjectif, avoir l’intention de tromper. Il faut qu’il ait agi avec la conscience et la volonté d’induire l’assureur en erreur, afin d’obtenir une indemnisation plus élevée que celle à laquelle il a droit ; peu importe à cet égard qu’il soit parvenu à ses fins. Il s’agit là de deux conditions cumulatives.
S’agissant d’un moyen libératoire, il incombe à l’assureur de prouver les faits permettant l’application de l’art. 40 LCA, au moins au degré de la vraisemblance prépondérante.
Lorsque les conditions de l’art. 40 LCA sont réunies, l’assureur peut non seulement refuser ses prestations, mais aussi se départir du contrat et répéter celles qu’il a déjà versées. La résolution du contrat, laquelle produit des effets ex tunc, n’étend ses effets que jusqu’au jour de la fraude et non au jour de la conclusion du contrat.
Il résulte des faits constatés par l’autorité cantonale que si l’assuré, associé-gérant et salarié d’une fiduciaire, a effectivement exercé, durant la période pendant laquelle il réclamait des indemnités journalières entières, certaines activités typiques de sa profession, il l’a fait en raison d’une pression externe, sans aucune rémunération et surtout avec une très faible intensité, tant sur le plan quantitatif (moins d’une heure par semaine) que sur le sur plan qualitatif (troubles de la mémoire, erreurs dans le travail de vérification). Par ailleurs, même à supposer que les activités accessoires reprochées à l’assuré aient été pertinentes sur le plan objectif pour fixer le montant des indemnités journalières, la condition subjective de la prétention frauduleuse n’aurait pas été réalisée en l’espèce, car si l’assuré a certes exercé certaines activités pour le compte de la fiduciaire, il n’a pas été démontré qu’il ait, consciemment et volontairement, cherché à induire en erreur la compagnie d’assurance afin d’obtenir une prétention indue. L’assuré pouvait de bonne foi penser que l’activité litigieuse – exercée sporadiquement – n’influerait pas sur les prestations de l’assureur.
Aucune prétention frauduleuse n’a donc été retenue en l’espèce.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

TF 6B_1161/2018 du 17 janvier 2019
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; violation grave des règles de la circulation; courses officielles urgentes; art.90 al. 2, 3 et 4 let. b; 100 ch. 4 LCR
Un policier en mission circulait de nuit dans une zone d’habitation à une vitesse de 92 km/h sans faire usage de la sirène mais uniquement des feux bleus. La notice du DETEC du 6 juin 2005 définit les conditions pour autoriser les courses urgentes. Les prescriptions contenues dans l’Ordre du Ministère public genevois à la police n’ont qu’une valeur indicative et doivent être lues en relation avec l’art. 100 ch. 4 in fine LCR.
Il a été retenu, à juste titre, que le policier n’avait pas utilisé la sirène pour des raisons légitimes ; l’utilisation des signaux sonores aurait en effet compromis l’accomplissement de la tâche légale au sens de l’art. 100 ch. 4 2e phrase in fine LCR. Il reste à examiner s’il a observé la prudence qu’imposaient les circonstances et respecté le principe de la proportionnalité. Il faut ainsi mettre en balance le degré d’urgence de la course avec la gravité de la violation des règles de la circulation.
L’infraction est considérée comme grave, au sens de l’art.90 al. 2 LCR, lorsque le dépassement de vitesse est d’au moins 25 km/h. Il constitue une violation fondamentale de la circulation routière, au sens de l’art. 90 al. 3 LCR, lorsqu’il atteint 50 km/h au-dessus de la limitation de 50 km/h (art. 90 al. 4 let. b LCR).
Le TF a ainsi considéré que la cour cantonale pouvait retenir qu’en circulant dans une zone d’habitation à une vitesse de 92 km/h sans faire usage de la sirène mais uniquement des feux bleus, le policier a créé un danger abstrait accru pour les autres usagers de la route, aucun intérêt vital ou intérêt supérieur à la sécurité des usagers de la route n’étant engagé, peu importe ses qualités personnelles de conducteur ou sa capacité de s’arrêter sur la distance de visibilité.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 9C_335/2018 du 16 janvier 2019
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations; qualification de l’activité (dépendante ou indépendante); art. 5 al. 2 et 9 al. 1 LAVS
Le TF doit qualifier, comme rémunération d’une activité dépendante ou indépendante, les frais et honoraires que l’exploitant d’une entreprise en raison individuelle a facturés à une Sàrl, dans le cadre d’un contrat conclu avec lui-même en qualité de gérant de cette société dont il est (indirectement) aussi le propriétaire, par l’intermédiaire d’une autre société (holding).
Dans une telle constellation, ni le critère du risque économique (c. 6.2.1), ni celui de la subordination ne sont pertinents. Il faut procéder comme si les rapports juridiques étaient complètement indépendants les uns des autres, à condition que l’exploitant ait les droits de vote nécessaires, dans l’assemblée générale de la holding (art. 698 et 703 CO), pour prendre toutes les décisions essentielles à la gestion de la Sàrl (c. 6.2.2).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 8C_573/2018 du 8 janvier 2019
Assurance-invalidité; impotence grave; supplément pour soins intenses; rapport d’enquête; art. 42ter LAI; 39 al. 3 et 69 al. 2 RAI
Une enfant née en 2011, souffrant du syndrome de Rett, a été mise au bénéfice d’une allocation pour impotence grave augmentée d’un supplément pour soins intenses correspondant à un surcroît d’aide de quatre heures et trois minutes par jour, à partir du 1er juin 2017. Agissant par sa mère, la recourante réclame un supplément pour soins intenses correspondant à un surcroît d’aide d’au moins six heures par jour. Elle se prévaut de l’art. 39 al. 3 RAI, aux termes duquel « [l]orsque qu'un mineur, en raison d’une atteinte à la santé, a besoin en plus d’une surveillance permanente, celle-ci correspond à un surcroît d’aide de deux heures. Une surveillance particulièrement intense liée à l’atteinte à la santé est équivalente à quatre heures ».
Selon le TF, il n’existe pas de droit à un supplément pour soins intenses au sens de l’art. 39 al. 3 RAI si l’enfant n’a besoin de soins que pendant quelques heures par jour. Ce supplément vise à compenser une surveillance 24 heures sur 24, extrêmement stressante pour les parents (c. 3.1.2). Un besoin de surveillance permanente peut être admis si, sans surveillance, la personne assurée est susceptible de mettre sa vie ou celle d’autres personnes en danger (c. 3.1.3).
Un rapport d’enquête peut être ordonné par l’office AI sur la base de l’art. 69 al. 2 RAI. Le rapporteur doit être une personne qualifiée connaissant les conditions locales et spatiales, les déficiences ainsi que les besoins résultant des diagnostics établis par le corps médical. Selon les circonstances, le rapporteur est tenu de consulter les professionnels de la santé. Par ailleurs, les informations données par les personnes qui fournissent l’assistance doivent être prises en compte, les opinions divergentes des parties concernées devant être signalées dans le rapport. Le rapport doit en outre être plausible, motivé et détaillé en ce qui concerne les différentes activités de la vie quotidienne et les exigences factuelles des soins de longue durée, la surveillance personnelle et l’accompagnement pratique. Si ces conditions sont respectées, le tribunal ne peut remettre en cause l’appréciation du rapporteur que s’il existe des erreurs de jugement clairement établies (c. 3.2).
En l’espèce, le rapport d’enquête remplit les réquisits jurisprudentiels. L’enquête a notamment démontré que les premières déclarations de la mère de la recourante selon lesquelles cette dernière pouvait ramper rapidement et, par conséquent, se cogner à la tête, n’étaient pas plausibles (c. 4.3). De plus, même si la recourante pouvait mordre, frapper ou pincer si quelque chose ne lui convenait pas, le rapporteur a considéré avec raison que ces comportements n’impliquaient pas qu’elle risquait également d’être blessée par les autres, au point qu’une surveillance permanente serait nécessaire (c. 4.4). Le recours a ainsi été rejeté.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 4A_119/218 du 7 janvier 2019
Responsabilité aquilienne; faute; art. 97 al. 1 CO
Une cliente française dépose son argent auprès d’une banque suisse en confiant à une société tierce la gestion de sa fortune. N’ayant plus de nouvelles de son gérant de fortune, la cliente se rend auprès de sa banque et réalise que son compte a été vidé et clôturé à son insu. La cliente avait opté pour une clause de banque restante, si bien qu’elle n’avait jamais vu les ordres de virement litigieux en faveur d’une société contrôlée par le gérant de fortune. La cliente ouvre action à l’encontre de la banque en réclamant la contre-valeur des montants détournés par le gérant de fortune.
Dans le cadre de ses relations avec la banque, le client dispose d’une action en restitution de l’avoir se trouvant sur son compte, qui est une action en exécution du contrat. Tel est aussi le cas lorsqu’un paiement a été effectué sur un ordre d’un représentant non autorisé ou qui a excédé ses pouvoirs, autrement dit sur un ordre exécuté sans mandat du client. Toutefois, les conditions générales des banques peuvent déroger à ce système légal. En vertu d’une clause de transfert de risque, le dommage résultant de défaut de légitimation ou de faux non décelés est à la charge du client, sauf en cas de faute grave de la banque.
Dans un premier arrêt, les juges fédéraux avaient retenus que la banque avait commis une faute grave en exécutant des ordres qui étaient insolites, si bien qu’elle ne pouvait pas se prévaloir de la clause de transfert du risque. Sur le principe, l’action en restitution des avoirs était donc fondée. La cause a été renvoyée à la cour cantonale s’agissant des prétentions de la banque contre sa cliente.
Saisi à nouveau, le TF se penche uniquement sur l’action reconventionnelle de la banque qui réclame des dommages-intérêts à sa cliente pour avoir fautivement contribué à aggraver le dommage, découlant de l’acte illicite du gérant, en ne relevant pas sa banque restante. Dans ce cadre, le TF analyse la faute de la cliente. Il considère tout d’abord que la clause de banque restante a pour effet que le client est censé avoir reçu immédiatement les avis qui lui sont adressés (fiction de la réception). L’option banque restante n’est pas utilisée dans l’intérêt de la banque mais bien dans celui du client qui, pour des raisons de discrétion n’entend pas recevoir les communications que la banque doit lui adresser. Le client qui choisit l’option banque restante prend donc un risque dont il doit supporter les conséquences s’il se réalise.
Par ailleurs, les conditions contractuelles prévoyaient aussi une clause de réclamation selon laquelle les décomptes, relevés et autres avis de la banque qui n’ont pas fait l’objet de réclamation écrite du client dans un délai d’un mois qui suit le renvoi sont considérés comme reconnus et approuvés. La clause de réclamation – et sa fiction de ratification – est applicable au client auquel les communications sont faites en banque restante. Toutefois, les fictions de réception et de ratification ne sont opposables au client que pour autant que la banque ne commette pas un abus de droit.
Le client a une obligation de diligence, découlant des règles de la bonne foi, qui lui impose de relever le courrier qui lui est adressé en banque restante pour pouvoir, cas échéant, contester les opérations qui lui paraissent irrégulières ou infondées, et empêcher ainsi l’aggravation du dommage. En l’espèce, la cliente a violé son devoir de diligence en ne relevant pas sa banque restante durant quatre ans, de 2007 à 2011.
Finalement, la question de savoir si la cliente aurait pu empêcher l’aggravation du dommage en relevant son courrier auprès de la banque pour peut-être découvrir la supercherie est laissée ouverte, la cour cantonale étant invitée à statuer (à nouveau) sur ce point. Selon les résultats de l’instruction complémentaire, la cour cantonale devra encore peser les fautes respectives de la cliente, de n’avoir pas relevé son courrier, et de la banque, de n’avoir pas vérifié auprès de sa cliente des ordres inhabituels (faute concomitante).
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne


TF 6B_987/2018 du 27 décembre 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; causalité adéquate; art. 41 CO
Un automobiliste a coupé la route à un cycliste qui venait en sens inverse. Pour éviter le choc, le cycliste a effectué un léger écart sur sa gauche, et a ainsi heurté un motocycliste, qui suivait de très près la voiture, selon la même trajectoire que celle-ci et qui s’apprêtait ainsi à couper également la route au cycliste.
Annulant un arrêt de la Cour de justice de Genève, le TF a considéré comme déterminant le fait que l’écart sur sa gauche que l’automobiliste avait obligé de faire au cycliste n’avait pas eu pour conséquence de forcer ce dernier à franchir la ligne médiane de la route, si bien que le choc avec la moto avait eu lieu sur la voie de circulation du cycliste.
Dans ces circonstances, selon le TF, le comportement de l’automobiliste n’était pas propre à entraîner, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, un choc frontal entre le cycliste qu’il a forcé à se détourner un peu son chemin et un autre utilisateur (la moto) le suivant directement, autre utilisateur qui avait lui-même violé le droit de priorité du cycliste. Notamment, la faible distance entre l’automobiliste et le motocycliste était imputable uniquement à ce dernier. Il n’y a donc pas en l’espèce de lien de causalité entre la faute de l’automobiliste et l’accident effectivement survenu entre le cycliste et le motocycliste.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 9C_552/2018 du 21 décembre 2018
Assurance-maladie; chirurgie esthétique; troubles psychiques; prise en charge par l’AOS; art. 3 LPGA; 1a al. 2 let. a et 25 LAMal
A moins de circonstances particulières, les effets secondaires d’un amaigrissement rapide après régime intensif ou chirurgie, l’élimination chirurgicale des replis abdominaux adipeux, l’affaissement des cuisses ou une ptôse mammaire n’ouvrent pas le droit à des prestations de l’assurance-maladie obligatoire. Ainsi, des phobies sociales, qui ne constituent pas une altération franche de l’adaptation sociale, ne permettent pas d’obtenir la prise en charge des frais d’une pexie mammaire bilatérale et d’une résection cutanée en excès au niveau des cuisses. Il ne saurait y en aller autrement même si un psychiatre estime que ce traitement serait le seul à même de prévenir la survenance d’un état dépressif sévère, hypothèse jugée in casu comme revêtant un caractère incertain marqué.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 8C_191/2018 du 21 décembre 2018
Assurance-accidents; accident dentaire; caractère extraordinaire; art. 4 LPGA; 6 al. 1 LAA
L’assurance-accidents prend en charge le traitement dentaire, soit des prestations en nature, lorsque l’atteinte est causée par un accident. Est réputé accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA).
Les lésions dentaires survenant lors de la mastication d’aliments revêtent le caractère d’accident lorsque les aliments contiennent un corps étranger dont la présence est extraordinaire. C’est notamment le cas de la présence d’un fragment de coquille de noix ou de noisette dans un pain aux noix, un gâteau aux noix, un croissant fourré ou un chocolat aux noisettes, même si l’on ne peut totalement exclure la présence d’un fragment de coquille dans ces aliments. C’est également le cas lorsqu’une personne se brise une dent sur un caillou en consommant une préparation de riz, même dans un pays en voie de développement, ou lorsqu’une personne se casse une dent sur un noyau d’olive en mangeant un pain aux olives qu’elle avait confectionné avec des olives provenant d’un sachet indiquant que les olives étaient dénoyautées. Ce n’est en revanche pas le cas lorsqu’une personne achète une pizza garnie d’olives sans précision quant au fait qu’elles soient dénoyautées ou non, ou lorsque l’accident provient d’un noyau de cerise en mangeant une tarte aux cerises non dénoyautées de sa propre confection, dès lors que l’assuré peut alors s’attendre à trouver des noyaux dans sa préparation. Il a également déjà été jugé que la présence d’une noix ou d’une olive non dénoyautée dans une salade ne peut être considérée comme extraordinaire (c. 3.2).
Dans le cas d’espèce, se fondant sur les photographies de l’emballage de la salade qui contenait les olives, le Tribunal cantonal des assurances et à sa suite le TF retiennent que l’on ne pouvait déterminer si les olives présentes dans la salade étaient dénoyautées ou non. Un consommateur même attentif ne pouvait présumer, à la simple vue de l’emballage, que le produit ne contenait que des olives dénoyautées, de sorte que l’incident ne pouvait être qualifié d’accident, faute de cause extérieure de caractère extraordinaire (c. 5.2.2).
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 9C_396/2018 du 20 décembre 2018
Prestations complémentaires à l’AVS/AI; prestations complémentaires; art. 4 al. 1 let. a, 9 al. 1 LPC, 10 al. 3 let. e LPC
Bénéficiaire d’une rente de vieillesse de l’AVS, le recourant a déposé une demande de prestations complémentaires. Par décision, la caisse a astreint l’assuré à introduire, dans un délai de trois mois, une action en justice afin d’obtenir la révision du montant des pensions alimentaires dues à ses filles majeures en formation en précisant, qu’à défaut, une décision serait prise sur la base du dossier. Par décision confirmée sur opposition, la caisse a fixé le montant de la prestation complémentaire à l’AVS mais en déduisant la pension pour sa fille, dès lors que l’assuré n’avait pas demandé la modification du jugement de divorce dans le délai imparti. Après rejet de son recours devant l’instance cantonale, le recourant porte l’affaire au TF, qui rejette son recours.
Le TF rappelle que les organes des prestations complémentaires sont liés par les décisions que le juge civil a rendues en matière de contributions d’entretien. Toutefois, si l’administration parvient, après un examen approprié, à la conclusion que le bénéficiaire de prestations complémentaires doit payer des contributions trop élevées par rapport à ses possibilités financières, elle doit lui fixer un délai approprié pour introduire une demande en modification du jugement civil. La personne qui augmente ses contributions d’entretien afin de les faire supporter par les prestations complémentaires commet un abus de droit au sens de l’art. 2 al. 2 CC.
Dans le cas d’espèce, le TF retient que dès lors que le recourant était au bénéfice d’une rente de vieillesse de l’AVS et de prestations complémentaires à l’AVS, il est douteux qu’on puisse exiger de sa part la poursuite de l’entretien d’enfants majeurs en formation fixée par convention de divorce ratifiée par jugement de divorce. Comme le recourant n’a pas entrepris les démarches requises et exigibles dans le délai raisonnable qui lui avait été imparti par la caisse à cet effet, il n’y a pas lieu de tenir compte des contributions d’entretien pour ses filles majeures à titre de dépenses dans le calcul des prestations complémentaires. Le TF confirme donc la décision de la caisse et rejette le recours.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 2C_218/2018 du 18 décembre 2018
Responsabilité de l’Etat; demande d’asile; déni de justice; dommages et intérêts (perte de salaire); acte illicite; lien de causalité; principe de la bonne foi; art. 3 et 4 LRCF; 29 et 5 Cst.; 44 CO
Le retard ou le refus injustifié à statuer constitue un acte illicite susceptible d’engager la responsabilité de la collectivité publique concernée, si les autres conditions de la responsabilité sont satisfaites. Il faut notamment qu’il y ait une relation de causalité adéquate entre l’acte illicite et le dommage. Cependant, le comportement du lésé peut avoir pour effet de rompre le caractère adéquat du lien de causalité. La faute propre du lésé– par exemple la violation de réduire son dommage – peut interrompre le lien de causalité adéquate entre l’acte illicite et le dommage si cette faute constitue une circonstance exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait si attendre. Pour satisfaire à son devoir de réduire le dommage, le lésé doit notamment user de toutes les possibilités que la loi lui offre, pour remettre en cause les décisions et mesures illégales, ainsi que les omissions et retards injustifiés (c.4.1).
Ainsi, lorsqu’il est à craindre qu’un dommage résulte de la durée excessive d’une procédure, il est exigé de la partie concernée qu’elle en informe l’autorité afin que celle-ci accélère la procédure pendante devant elle ; cette exigence découle du principe de la bonne foi. Si cette information ne produit aucun effet, et qu’il n’existe aucune autre solution permettant de clore la procédure dans un délai raisonnable, la partie doit encore déposer un recours pour déni de justice devant l’autorité compétente. Le comportement du justiciable s’apprécie avec moins de rigueur en procédure pénale et administrative que dans un procès civil. Ce n’est que si ces démarches n’aboutissement pas que la partie peut réclamer des dommages et intérêts. La procédure pour responsabilité de l’Etat tendant au versement de dommages et intérêts présente donc un caractère subsidiaire, si bien qu’elle ne doit en principe être introduite qu’après avoir utilisé les moyens précités. Lorsque la partie n’essaie pas de faire avancer la procédure par le biais de ces mesures, une faute propre du lésé, au sens de l’art. 4 LRCF, peut être retenue à son encontre dans un procès en responsabilité (c.4.1).
En l’espèce, le recourant n’est pas resté inactif, mais, ses interventions n’ayant eu aucun effet, il était attendu qu’il dépose un recours pour déni de justice, ou active la procédure. Même si le recourant n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour faire cesser un éventuel dommage, on ne saurait pour autant considérer que cette omission constitue une faute concomitante propre à rompre le lien de causalité adéquat. Ce d’autant plus que la procédure cause relevait du droit administratif (cf. c. 4.1 et c. 4.2).
En définitive, le recourant a entrepris de nombreuses actions tendant à faire accélérer la procédure et sa réticence à déposer un recours peut se comprendre au regard de sa situation de requérant d’asile. Ainsi, si l’absence d’un recours pour retard à statuer constitue une faute propre de l’intéressé, au regard du cas de figure en cause, celle-ci n’est pas suffisamment grave pour interrompre le lien de causalité adéquat entre l’éventuel acte illicite et le prétendu dommage supporté du fait de la longueur de la procédure ; cette faute devra donc uniquement être prise en considération, le cas échéant, dans la fixation du montant de l’indemnité (c.4.2).
Le recours est ainsi admis et l’arrêt attaqué annulé.
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud

TF 9C_714/2018 du 18 décembre 2018
Assurance-maladie; changement d’assureur-maladie; non-paiement des primes; art. 64a LAMal
Dans cet arrêt du 18 décembre, le TF a précisé qu’un assuré en retard dans le paiement des primes ne peut pas changer d’assureur-maladie tant qu’il n’a pas payé intégralement les primes et les participations aux coûts arriérés ainsi que les intérêts moratoires et les frais de poursuite (art. 64a al. 6 LAMal).
Il faut comprendre par avoir payé « intégralement » les primes et les participations aux coûts la totalité du montant indiqué dans l’acte de défaut de biens, selon l’art. 64a al. 3 LAMal. Le fait que le canton ait pris en charge 85% de la créance ayant fait l’objet d’un tel acte de poursuite n’est pas déterminant.
Auteur : Guy Longchamp

CourEDH requête n° 65550/13 du 11 décembre 2018
Assurance-invalidité; rente extraordinaire; allocation pour impotent; exportation; domicile et résidence habituelle en Suisse; respect de la vie privée et familiale; interdiction de la discrimination; art. 8 et CEDH; 23 et 26 CC; 13 LPGA; 39 et 42 LAI; 42 LAVS
Il n’est pas contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) de faire dépendre l’octroi de prestations à caractère contributif de la condition du domicile et de la résidence effective en Suisse.
Procédant à la pondération des intérêts en présence, la Cour estime que dans la mesure où les prestations à caractère non contributif – en l’espèce une rente extraordinaire et une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité – ne sont pas financées par des cotisations des personnes assurées, l’intérêt public à la réalisation de la solidarité dans les assurances sociales l’emporte sur l’intérêt de la requérante à pouvoir toucher des prestations aux mêmes conditions que les personnes ayant cotisé.
Le fait que la requérante n’ait pas pu cotiser pour des motifs indépendants de sa volonté, soit en raison d’un grave handicap l’affectant depuis sa naissance, ne change rien à cette analyse.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 1B_401/2018 - ATF 144 IV 377 du 10 décembre 2018
Responsabilité aquilienne; Procédure; partie plaignante; avocat d’office; procédure préliminaire; investigations de la police; demande d’assistance judicaire; autorités pénales; art. 12 let. a, 127 al. 1, 136, 299 al. 1, 306 et 309 CPP
Le droit de la partie plaignante à l’assistance d’un avocat d’office au cours de la procédure préliminaire existe non seulement durant l’instruction conduite par le Ministère public mais également lors de la phase – antérieure – des investigations de la police.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne



TF 4A_499/2018 du 10 décembre 2018
Assurances privées; conditions générales d’assurance; clause insolite; art. 33 LCA
La partie la plus faible ou la moins expérimentée en affaires peut invoquer la règle de la clause insolite. Toutefois, la partie qui invoque cette règle ne doit pas forcément être faible ou inexpérimentée. Certes, la position et l’expérience de la personne en cause ne sont pas insignifiantes : elles jouent un rôle pour déterminer si la clause est subjectivement insolite (consid. 3.3.2).
Le caractère insolite d’une clause se détermine d’après la perception de celui qui l’accepte au moment de la conclusion du contrat. En sus de la condition subjective du défaut d’expérience dans le domaine concerné, la clause doit avoir objectivement un contenu qui déroge à la nature de l’affaire (consid. 3.3.3).
Dans le cas d’espèce, le recourant, qui avait consenti à la clause contenue dans les conditions générales était président du conseil d’administration d’une compagnie d’assurance et connaissait bien la branche. Si cette circonstance n’exclut pas à elle seule la possibilité d’une clause insolite, le TF considère que la clause n’était, au vu de la longue expérience du recourant, subjectivement pas insolite (consid. 3.3.3 et 3.4). Le recourant n’a pas suffisamment motivé les raisons pour lesquelles cette clause devrait, contrairement à ce que l’autorité précédente a retenu, être considérée comme subjectivement insolite, ce qui a conduit au rejet du recours (consid. 3.5).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 6B_1148/2018 du 6 décembre 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence; causalité; art. 117 CP
Il faut qu’il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et le décès de la victime. La recourante affirme que le comportement qui lui est reproché relève d'une omission d’agir – ne pas avoir regardé dans le rétroviseur intérieur central – et que, dans la mesure où elle n’était pas garante de la sécurité du motard, aucune négligence au sens de l’art. 117 al. 1 CP ne peut lui être imputée.
Dans les cas limites, il faut s’inspirer du principe de subsidiarité et retenir un délit de commission dès que l’on peut imputer à l’auteur un comportement actif. Le manque de diligence est un élément constitutif de la négligence et non une omission au sens d’un délit d’omission improprement dit.
En l’espèce, le comportement reproché à la recourante consiste à avoir entrepris une manoeuvre de dépassement et ainsi coupé la route au motocycliste, alors que si elle avait satisfait à tous ses devoirs de prudence, en particulier si elle avait vérifié son rétroviseur central, elle se serait aperçue de la présence du motard et aurait renoncé au dépassement. Ainsi, il y a lieu d’imputer à la recourante un comportement actif, d’où il en résulte un délit de commission.
La recourante ne conteste pas que sa manoeuvre de dépassement entreprise sans contrôle du rétroviseur central soit en lien de causalité naturelle avec le décès du motard. Il sied d’examiner si, ainsi qu’elle le prétend, le comportement de la victime a rompu le lien de causalité adéquate entre la négligence qui lui est imputée et la survenance de l’événement dommageable.
Le comportement de la victime ne pourrait apparaître comme interruptif du rapport de causalité que dans la mesure où il serait établi que le motocycliste, invisible jusque-là pour la recourante même si elle avait fait preuve de toute l’attention nécessaire, serait apparu brusquement dans son champ de vision au moment où elle n’aurait plus été en mesure de réagir efficacement afin d’éviter l’accident. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle

TF 9C_912/2017 du 6 décembre 2018
Assurance-maladie; soins à domicile; caractère efficace, adéquat et économique; art. 32 LAMal ; 7ss OPAS
Dans cet arrêt du 6 décembre 2018, le TF a examiné le caractère efficace, adéquat et économique de soins à domicile prodigués par une organisation de soins à domicile (Spitex) pour une période s’étendant du 1er octobre 2014 au 3 juillet 2015, date de décès de l’assuré. Celui-ci, né en 1929, souffrait depuis 2011 de syndromes démentiels toujours plus importants nécessitant des soins que son épouse ne pouvait plus apporter seule. L’assureur-maladie a, par décision 19 février 2015 confirmée par décision sur opposition, réduit ses prestations, rétroactivement dès le 1er octobre 2014, à 80 heures de soins par mois puis, dès le 1er mai 2015, limité son remboursement à une indemnité journalière de 81.- par jour.
Comme le tribunal cantonal, le TF a considéré que, dans le cas particulier de cet assuré, la décision de l’assureur-maladie n’était pas conforme aux principes fixés dans la LAMal. Il a notamment rappelé qu’un simple examen du caractère économique n’est pas possible, lorsque les prestations de soins à domicile, comparées à celles qui seraient prodiguées dans un établissement médico-social (EMS), sont légèrement plus efficaces et adéquates. A cet égard, l’estimation du médecin-conseil selon l’art. 8a al. 3 OPAS n’a pas une valeur plus grande que celle du médecin-traitant, qui connaît parfaitement les besoins en soins de son patient. L’assureur-maladie doit prendre en charge la totalité des coûts facturés par Spitex s’ils demeurent dans une mesure raisonnable. En l’espèce, il a été admis qu’un coût de 2,3 à 3,04 fois supérieur à celui de soins fournis en EMS était certes un « cas limite », mais qu’une telle différence pouvait être mise à la charge de l’assurance obligatoire des soins.
Auteur : Guy Longchamp

TF 6B_1266/2018 5 du 4 décembre 2018
Responsabilité aquilienne; faute concomitante; alcool; THC; tort moral; art. 44 et 49 CO
La victime d’une altercation obtient une indemnité pour tort moral à hauteur de CHF 12'000.- dans le cadre du jugement pénal rendu en seconde instance à l’encontre de l’auteur. Ce dernier invoque la faute concomitante au vu de la présence de THC et d’alcool dans l’organisme de la victime.
Il y a faute concomitante lorsque le lésé omet de prendre des mesures que l’on pouvait attendre d’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, et qui étaient propres à éviter la survenance ou l’aggravation du dommage. La faute concomitante suppose un comportement blâmable du lésé, soit un manque d’attention ou une attitude dangereuse, alors qu’il n’a pas déployé les efforts que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer aux règles de la prudence. Le comportement reproché doit être en lien de causalité naturelle et adéquate avec la survenance du préjudice (c. 5.2.1.).
Selon le TF, il ne peut pas être retenu, sur la base d’une pièce attestant de la présence de THC, mais n’indiquant rien quant à son importance et quant à l’effet que cette substance a pu avoir sur la victime au moment des faits, qu’il existe un rapport de causalité naturel entre le comportement blâmable de la victime, c’est-à-dire la prise de THC, et le préjudice subi (c. 5.2.2.).
De plus, il ne peut être reproché à la victime un comportement blâmable du fait qu’à cause de son état d’ébriété, il n’a pas réussi à rester debout malgré le coup porté par l’auteur en plein visage et sans préambule. Il s’agirait d’un renversement des responsabilités (c. 5.2.3.).
La prise de THC et l’alcoolémie de la victime ne sauraient en l’espèce permettre de réduire l’indemnité pour tort moral.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne



TF 8C_324/2018 - ATF 144 V 411 du 4 décembre 2018
Assurance-accidents; placement à l’essai LAI; couverture LAA; notion de travailleur; art. 18a LAI; 1a LAA
L’OAI a accordé à son assuré une mesure d’orientation professionnelle de trois mois sous la forme d’un stage d’aide-magasinier auprès de l’entreprise X. A l’issue de ce stage, une convention pour un placement à l’essai de l’assuré dans cette société a été conclue pour une période de trois mois, placement qui a été prolongé d’une deuxième période de trois mois. Durant la dernière période, l’assuré, alors qu’il était à son travail, est tombé d’une échelle d’une hauteur d’environ trois mètres et s’est fracturé la vertèbre dorsale 11. L’assurance-invalidité a interrompu le versement des indemnités journalières versées dans le cadre du placement à l’essai. L’assureur-accidents de l’entreprise X a refusé de prendre en charge ce cas, considérant que l’assuré n’était ni salarié ni en stage auprès de cette entreprise.
Le TF rappelle que la notion de travailleur au sens de l’art. 1a LAA est plus large que celle que l’on rencontre en droit du travail, rappelant sa jurisprudence en la matière. Il retient qu’il n’y a pas de raison de traiter différemment, sous l’angle de l’assujettissement à l’assurance-accidents obligatoire, une mesure de placement à l’essai d’un stage ou d’un volontariat. L’assuré n’exerçait pas, durant l’exécution de la mesure de placement, une simple activité de complaisance. L’activité qu’il déployait constituait un véritable engagement pour lequel l’entreprise y trouvait un intérêt économique. Il participait au processus d’exploitation de cette société et était, de ce fait, soumis – preuve en est l’accident dont il a été victime – aux mêmes risques professionnels que les autres travailleurs de l’entreprise. Le TF a dès lors admis que celui-ci était obligatoirement assuré contre les accidents auprès de la CNA, écartant les arguments de l’assureur. Celui-ci invoquait le Message du CF relatif à la révision 6A de la LAI, qui prévoyait d’insérer, à l’art. 1a OLAA, une disposition spécifique s’agissant du placement d’essai. Le TF considère qu’on ne peut pas déduire de ces textes que le législateur entendait exclure de l’assurance les personnes au bénéfice d’un placement à l’essai, la problématique réservée portant en premier lieu sur la question de la prise en charge des primes par l’assurance-invalidité. Le TF n’a pas davantage retenu la Recommandation n° 01/2007 du 12 mars 2007 de la Commission ad hoc des sinistres LAA, qui exceptait la couverture LAA pour les essais de travail selon l’art. 18a LAI, rappelant que de telles recommandations n’avaient pas valeur d’ordonnances administratives ni de directives d’une autorité de surveillance aux autorités d’exécution de la loi. Il s’agit de simples recommandations qui ne lient pas le juge.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne



TF 9C_428/2018 du 3 décembre 2018
Congé maternité; calcul de l’indemnité; revenu déterminant; revenus irréguliers; art. 5 et 31 RAPG
L’application de l’art. 5 al. 2 let b RAPG à l’allocation en cas de maternité (par renvoi de l’art. 31 al.1 RAPG) suppose le versement d’un revenu régulier, ce qui est admis pour les salariées percevant un salaire mensuel en rétribution des heures d’enseignement dispensées au cours de l’année scolaire.
Le TF retient donc que le salaire mensuel versé avant l’accouchement est ainsi déterminant pour calculer l’indemnité journalière. Il importe peu que le salaire mensuel ne corresponde pas à la rétribution des heures réalisées dans le courant du mois ou que des fluctuations de salaire peu importantes aient pu avoir lieu dans le courant de l’année (confirmation de l’arrêt TF 9C_824/2009).
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 8C_299/2018 - ATF 144 V 361 du 29 novembre 2018
Assurance-invalidité; allocation pour impotent; naissance du droit; délai d’attente; art. 42 al. 4 et 28 al. 1 let. b LAI
Le TF se prononce ici sur la question qu’il avait laissée ouverte à l’ATF 137 V 351 c. 5.1, question qui est celle de savoir si l’octroi d’une allocation pour impotent peut intervenir avant que ne soit écoulé un délai d’attente d’une année. A cette question, le TF répond qu’il ne partage pas l’avis de Meyer/Reichmuth, suivant lequel l’allocation pour impotent peut, comme avant, continuer d’être versée avant l’écoulement d’un délai d’un an, ce lorsque l’on a affaire à une impotence durable et définitive au sens de l’art. 29 al. 1. lit. a LAI, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2007.
En effet, le TF considère qu’il s’agit, dans le sillage de l’ATF 125 V 256, de poursuivre le parallélisme auquel il convient de procéder s’agissant de la date du début du droit, entre rente d’invalidité d’une part et allocation pour impotent d’autre part ; la lecture combinée des art. 9 LPGA et 43 al. 1 et 3 LAI ne plaidant pas de manière franche en faveur du maintien de l’application de « la variante 1 » de l’ancien art. 29 al. 1 LAI. Le TF relève encore qu’à l’exception de Meyer/Reichmuth, la doctrine ne parle, comme condition mise à l’octroi d’une allocation pour impotent, que d’un délai d’attente d’une année, sans jamais évoquer la possibilité de la naissance de ladite allocation, avant l’échéance de ce délai d’une année. Enfin, le TF se réfère au fait qu’il n’a jamais, depuis son ATF 137 V 351, reconnu le droit à une allocation pour impotent, autrement qu’à l’échéance d’un délai d’attente d’une année, le chiffre 8092 de la Circulaire de l’Office fédéral des assurances sociales sur l’invalidité et l’impotence dans l’AI (CIIAI) se situant sur la même ligne, chiffre selon lequel il n’y a en principe pas d’octroi de l’allocation pour impotent possible avant l’échéance du délai d’attente d’une année prévu par l’art. 28 al. 1 lit. b LAI.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 9C_294/2018 du 28 novembre 2018
Assurance-invalidité; observation; soupçons justifiant la surveillance; art. 7, 8 et 43 LPGA
Un assuré au bénéfice d’une demi-rente de l’assurance-invalidité a fait l’objet d’une observation. Il conteste (uniquement) l’existence de soupçons (« Anfangsverdacht ») ayant justifié la mise en œuvre de cette surveillance, ce qui aurait interdit à l’office AI d’en exploiter le résultat pour mettre un terme à son droit aux prestations.
Pour le TF, le fait que, dans le cadre de l’instruction de la demande initiale de prestations, les médecins aient décrit une exagération des plaintes médicalement non explicable suffit à fonder un soupçon justifiant la surveillance, même si l’office AI a, au terme de l’instruction, octroyé une demi-rente en ayant connaissance de cette exagération (c. 3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : cet arrêt est particulièrement choquant. Il faut savoir que la personne assurée s’était vu reconnaître le droit à une demi-rente en janvier 2014. La surveillance a été mise en place à partir de septembre 2014. Dès lors qu’au moment de statuer, l’office AI avait connaissance de l’exagération des plaintes, mais a malgré tout octroyé une rente, on a le sentiment, à la lecture de l’arrêt, qu’il n’a pu s’agir que d’une manœuvre de l’assureur social pour tromper la confiance de la personne assurée et « la coincer » par le biais d’une surveillance, faute de pouvoir démontrer l’exagération autrement. L’arrêt ne traitant pas de la conformité du comportement de l’assureur social au principe de la bonne foi, il est vraisemblable que cet argument n’a pas été soulevé. Quoi qu’il en soit, cet arrêt permet d’anticiper une application décomplexée du nouvel art. 43a LPGA.

TF 1C_705/2017 - ATF 144 II 406 du 26 novembre 2018
Responsabilité aquilienne; indemnisation et réparation morale LAVI; victime d’abus sexuels; appréciation arbitraire des preuves; art. 1, 2, 29 et 48 LAVI; 95, 97 et 105 LTF
Une personne de sexe féminin née en 1981, victime d’abus sexuel dans l’enfance et son adolescence, dépose en mai 2016 une demande d’indemnisation et de réparation morale, en raison d’abus sexuels commis à son encontre entre 1985 et 2010. Sa demande est rejetée par le tribunal cantonal au motif que la requérante n’a pas prouvé au degré de la vraisemblance prépondérante sa qualité de victime.
Selon l’art. 48 LAVI, l’ancien droit demeure applicable aux faits qui se sont déroulés avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. En l’espèce, les infractions dont la recourante allègue avoir été victime auraient été commises essentiellement avant le 1er novembre 2009, mais aussi partiellement après cette date. C’est dès lors à juste titre que l’instance précédente a appliqué tantôt l’ancien droit, tantôt le droit positif, selon les faits considérés.
Selon la jurisprudence, l’échec de la procédure pénale n’exclut pas nécessairement le droit à l’aide aux victimes telles que la définit l’art. 2 LAVI ; L’art. 1 al. 3 LVAI précise que ce droit existe, que l’auteur de l’infraction ait ou non été découvert (let. a.), qu’il ait eu un comportement fautif ou non (let. b.) ou qu’il ait agi intentionnellement ou par négligence (let. c.). D’un point de vue général, en matière civile et dans le domaine des assurances sociales notamment, lorsque par la nature même de l’affaire, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, le degré de preuve requis se limite à la vraisemblance prépondérante. Dans le domaine de l’aide aux victimes LAVI, c’est également l’occurrence qui doit être établie au degré de la vraisemblance prépondérante.
Le TF statue en principe sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l’art. 105 al. 2 LTF. La partie recourante ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c’est-à-dire arbitraire, et si la correction du vice est susceptible d’influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). En matière d’appréciation des preuves et d’établissement des faits, il n’y a arbitraire que lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison séreuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Le TF constate que l’instance cantonale a ignoré sans aucune forme de motivation des moyens de preuves figurant au dossier.
Enfin il faut souligner que dans le domaine de la LAVI, l’autorité établit les faits d’office (art. 16 al. 2 a LAVI et art. 29 al. 2 LAVI) ; cela n’exclut cependant pas un devoir de collaboration de l’intéressé, qui n’a pas été niée en l’état.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève



TF 2C_245/2018 du 21 novembre 2018
Responsabilité de l’Etat; demande en réparation contre la Confédération; manquement de l’OFAS dans la surveillance d’une fondation; péremption; examen d’office en droit public; art. 20 LRCF
La prétention en responsabilité contre la Confédération pour le dommage causé par un fonctionnaire dans l’exercice de sa fonction (art. 3 LRCF) se périme par un an dès la connaissance du dommage et dans tous les cas par dix ans à compter de l’acte dommageable (art. 20 al. 1 LRCF). Comme pour l’art. 60 CO, la connaissance du dommage est établie lorsque le dommage au sens strict est connu et que les autres conditions permettant de mettre en cause la responsabilité de la Confédération le sont également.
La question porte sur la péremption d’une demande en réparation d’une fondation active dans la prévoyance professionnelle à l’encontre de la Confédération pour la violation du devoir de diligence de l’OFAS dans son rôle d’autorité de surveillance. Revenant sur sa jurisprudence, le TAF a relevé d’office que la prétention de la fondation était périmée (précédemment, lorsque le débiteur était une collectivité, la péremption devait être soulevée par le défendeur). Le TF relève que l’instance précédente a justifié de manière détaillée et approfondie le changement de sa pratique en s’alignant sur celle du TF, à savoir qu’en droit public la péremption est généralement relevée d’office (sous réserve de l’abus de droit commis par la collectivité publique ou lorsque la collectivité renonce à se prévaloir de la péremption, comme cela peut être le cas dans le domaine de l’expropriation). Appelé à déterminer si le moment de la connaissance du dommage causé par C. et F. (condamnés pour abus de confiance) devait être imputé à la fondation (c. 6), le TF rappelle qu’en général, la commission d’un acte délictueux par un organe doit être imputée à la personne morale (art. 55 al. 2 CC).
Seuls des actes qui sortent du but de la personne morale, de même que ceux qui le contredisent ne peuvent être imputés à celle-ci. Les conflits d’intérêts entre la société et ses organes sont proscrits et il peut en résulter une action en responsabilité au sens de l’art. 754 CO. La question doit être transposée à la relation entre la société et l’Etat. Dans le domaine bancaire, une autorité de surveillance étatique est mise en place pour protéger les créanciers et les investisseurs et non la banque elle-même de ses propres organes. Les actes de l’organe de la banque doivent donc lui être imputés, ce qui exclut une responsabilité de l’Etat en cas de dommage causé à la banque par ceux-ci. En revanche, dans le cas d’une fondation, la surveillance exercée sert à protéger la fondation elle-même. Les actes de l’organe ne rompent donc pas dans tous les cas le lien de causalité entre un manquement de l’autorité de surveillance et le dommage causé à la fondation par un de ses organes. En l’espèce, une part substantielle du patrimoine de la fondation a été détourné à des fins d’enrichissement personnel ou de tiers. Les actes délictueux commis à l’encontre de la fondation n’entrent pas dans la poursuite de son but statutaire et ne peuvent être imputés à cette dernière. La connaissance du dommage acquise par C. et F. condamnés pénalement ne peut être imputée à la Fondation. En outre, l’instance précédente n’a pas démontré que les autres membres du conseil de fondation avaient acquis une connaissance du dommage suffisante selon la jurisprudence, bien que ceux-ci aient fait preuve de passivité et aient manqué à leur devoir de diligence (c. 7). L’action en réparation n’est donc pas périmée. Le recours est admis et l’affaire renvoyée au Tribunal administratif fédéral afin qu’il examine les autres conditions de la responsabilité de la Confédération.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 9C_903/2017 du 21 novembre 2018
Assurance-maladie; financement de l’assurance; correction des primes; art. 60 aLAMal
Un litige oppose Sanagate AG, CSS Assurance-maladie AG et Arcosana AG à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) au sujet du financement des primes d’assurance-maladie de base et du déséquilibre des coûts entre les cantons pour la période allant du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2013 (c. A.a). Selon les recourantes, la société-mère, en vertu de la politique de groupe, peut décider librement de faire circuler des flux financiers vers ses sociétés-filles d’assurance-maladie LAMal (c. 4.2).
Le TF rappelle que c’est le principe de la légalité, et non le principe l’autonomie des assureurs, qui s’applique dans le régime de la LAMal (c. 4.1). L’art. 60 aLAMal ne laisse pas d’autre possibilité de financement que celles prévues dans la loi. Partant, les assureurs doivent s’en tenir aux dispositions spéciales de la LAMal quant aux moyens de financement (c. 5.5). Ainsi, la constitution de réserves des assureurs par le biais de subventions de la société-mère, qui fait également circuler des ressources financières provenant de l’assurance privée, n’est pas prévue par la LAMal et est, de ce fait, interdite (c. 5.6.1).
La contribution à la correction des primes selon l’art. 60 al. 3 aLAMal, étant un devoir des assureurs, doit être réglée par leurs propres ressources. Le financement à l’aide de fonds provenant d’un tiers ou de réserves créées par des tiers n’est pas autonome, mais résulte de l’aboutissement d’une subvention croisée illicite (c. 7.2.2). En l’espèce, les transferts de flux entre société-mère et sociétés-filles, engendre une violation de l’art. 60 al. 2 aLAMal, raison pour laquelle les montants correspondants ne peuvent servir au financement des contributions au fond selon l’art. 106 al. 1 aLAMal (c. 7.2.2). Le recours des assureurs est rejeté.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 8C_248/2018 du 19 novembre 2018
Assurance-chômage; frontalier; chômage partiel; droit à l’indemnité de chômage; art. 8 al. 1 et 10 al. 2 let. b LACI; 65 § 1 R. (CE) 883/2004
Dans le cas d’espèce, A., de nationalité italienne et domiciliée en Italie, travaille essentiellement dans la restauration. Arrivant en fin de contrat de travail de durée déterminée (du 1er mars au 31 octobre 2016), elle s’annonce le 21 octobre 2016 à l’office régional de placement en vue de la recherche d’un emploi à temps plein. La caisse de chômage ouvre un délai-cadre à partir du 1er novembre 2016, mais le département du travail du Canton du Tessin nie le droit à l’indemnité de chômage. Dès le 2 novembre 2016, A. travaille à nouveau pour le même employeur que précédemment, mais à temps partiel seulement (50 %).
Après le rejet de l’opposition de A. et de son recours par l’instance cantonale, le SECO porte lui-même l’affaire au Tribunal fédéral. Il estime que A. doit être considérée comme une personne au chômage partiel au sens de l’article 65 § 1 du Règlement (CE) 883/2004 et donc bénéficier des indemnités de chômage de l’Etat membre compétent (la Suisse dans le cas d’espèce) (c. 2.3.4).
Au sens de la jurisprudence de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) et la décision U3 de la CACSSS (Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale) du 12 juin 2009, la disposition précitée s’applique lorsqu’un rapport de travail existe encore ou est maintenu. Dans le cas où le contrat de travail est de durée déterminée ou s’est déjà terminé, la personne sera considérée comme étant en situation de chômage complet au sens du § 2 de l’article 65 du Règlement (CE) 883/2004 et c’est alors à l’Etat membre de résidence de servir l’indemnité de chômage (c. 2.4.3 & 2.5.1).
Le fait que les contrats de travail de durées déterminées de A. se succèdent sans interruptions n’y change rien. D’ailleurs, au moment de s’annoncer au chômage (21 octobre 2016), A. recherchait un emploi à temps plein. L’indemnité de chômage doit donc être servie par l’Etat membre de résidence (l’Italie dans le cas d’espèce).
Auteur : Walter Huber, Juriste à Puplinge

TF 4A_175/2018 du 19 novembre 2018
Responsabilité aquilienne; responsabilité de l’avocat; faute; violation de l’obligation de diligence et de fidélité; allégation et preuve du dommage; art. 8 CC; 42, 99 al. 3, 254, 257d, 398 et 321e al. 1 CO
Dans le cadre d’un litige relatif au transfert d’un bail, la sous-locataire attaque en responsabilité son avocat pour la perte correspondant au pas-de-porte qu’elle aurait pu obtenir d’un repreneur si son contrat de sous-location n’avait pas été résilié, ce dont elle fait grief à l’avocat en invoquant le fait qu’il a omis de consigner les loyers, ce qui a permis à la locataire de résilier le contrat de sous-location. La sous-locataire a ouvert action contre l’avocat concluant notamment qu’il soit condamné à payer des dommages-intérêts.
En vertu de l’art. 398 al. 1 CO, qui renvoie à l’art. 321e al. 1 CO, l’avocat mandataire répond du dommage qu’il cause au mandant intentionnellement ou par négligence. Sa responsabilité est donc subordonnée à quatre conditions dont celle du dommage, conformément au régime général de l’art. 97 CO. S’agissant de la condition du dommage, il appartient au mandant de le prouver (art. 42 al. 1 CO), par renvoi de l’art. 99 al. 3 CO. Toutefois, lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée (art. 42 al. 2 CO). En vertu de l’art. 42 al. 1 CO, le demandeur doit donc en principe prouver non seulement l’existence du dommage, mais aussi son montant.
L’art. 42 al. 2 CO instaure une preuve facilitée en faveur du demandeur lorsque le dommage est d’une nature telle qu’une preuve certaine est objectivement impossible à rapporter ou ne peut pas être raisonnablement exigée, au point que le demandeur se trouve dans un état de nécessité quant à la preuve (Beweisnot). Lorsque tel est le cas, l’existence (ou la survenance) du dommage doit être établie avec une vraisemblance prépondérante. Lorsque l’art. 42 al. 2 CO est applicable, il ne libère toutefois pas le demandeur de la charge de fournir au juge, dans la mesure où cela est possible et où l’on peut l’attendre de lui, tous les éléments de fait qui constituent des indices de l’existence du dommage et qui permettent ou facilitent son estimation ; il n’accorde pas au lésé la faculté de formuler sans indications plus précises des prétentions en dommages-intérêts de n’importe quelle ampleur. Par conséquent, si le lésé ne satisfait pas entièrement à son devoir de fournir des éléments utiles à l’estimation, il est alors déchu du bénéfice de cette disposition ; la preuve du dommage n’est pas rapportée et, en conséquence, conformément au principe de l’art. 8 CC, le juge doit refuser la réparation.
Pour alléguer son dommage, en le motivant suffisamment, et le prouver, la sous-locataire (recourante) devait alléguer et prouver qu’elle était au bénéfice d’une sous-location d’une certaine durée, qu’elle aurait trouvé un repreneur acceptant une simple sous-location, qu’elle aurait obtenu l’accord de la locataire, voire de la bailleresse et que le repreneur était prêt à payer un montant donné pour le pas-de-porte. Dans le cas d’espèce, la sous-locataire n’a pas exposé dans son recours où elle aurait allégué ce fait. Il découle en revanche de l’arrêt attaqué que le bureau d’experts a indiqué qu’il aurait été possible à la demanderesse de « sous-louer » les locaux, mais qu’il ne pouvait déterminer s’il aurait été possible de trouver un sous-locataire à cette époque. Il n’est toutefois pas possible d’admettre, sur cette seule et unique base, la vraisemblance prépondérante de l’existence d’un repreneur potentiel avec lequel un contrat aurait pu être passé. La sous-locataire n’a pas non plus apporté la preuve du consentement de la bailleresse au transfert du bail de sous-location à un tiers, au degré de vraisemblance prépondérante. Enfin, la preuve au degré de la vraisemblance prépondérante de l’existence du dommage allégué (montant du pas-de-porte) n’est pas apportée puisque on ignore quel montant la demanderesse réclamait au titre du pas-de-porte et au titre de la reprise du commerce.
Le recours a été rejeté par le TF.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate à Lausanne


TF 6B_735/2018 du 15 novembre 2018
Responsabilité du chef de famille; lésions corporelles graves par négligence; faute; violation du devoir de prudence; art. 12 al. 3 et 125 CP
Qui se voit confier la responsabilité d’enfants, assure généralement une position de garant, lui imposant un certain devoir de prudence, lequel s’apprécie selon les circonstances particulières du cas d’espèce.
Dès lors qu’elle accompagne des enfants et en assure la surveillance, la personne à laquelle ceux-ci sont confiés doit veiller – eu égard à leur jeune âge et au manque de discernement en découlant – à ce qu’ils traversent une chaussée en faisant preuve de prudence et de circonspection (conformément aux art. 49 al. 2 LCR et 47 al. 1 OCR). La responsabilité lui incombe par conséquent d’assurer leur sécurité et de leur imposer un comportement approprié à la situation, à plus forte raison quand une vigilance accrue s’impose eu égard aux circonstances concrètes (configuration des lieux, visibilité obstruée, état d’excitation, etc.).
En l’espèce, le TF considère que la recourante a violé son devoir de prudence, en laissant des enfants confiés – âgés de 7 ans – s'engager sur un passage pour piétons à une allure rapide et sans montrer d’égard particulier en dépassant la hauteur du bus qui masquait la chaussée, tout en demeurant à une distance lui interdisant toute prise sur eux. Cette violation est en outre fautive, car elle a fait preuve d’une inattention blâmable en ne donnant aucune consigne ou en ne prêtant aucune attention spécifique à la situation après sa descente du bus. Une attitude diligente aurait au contraire permis d’éviter la survenance de l’accident puisque, en se trouvant aux côtés des enfants, la recourante aurait pu s’assurer – au moment de dépasser la hauteur du bus – qu’aucun véhicule ne s’apprêtait à franchir le passage pour piétons.
A relever par ailleurs l’absence de rupture du lien de causalité en raison du comportement également fautif de l’automobiliste impliqué dans l’accident. Selon le TF, il n’est en effet nullement imprévisible qu’un véhicule, circulant à une vitesse ne lui permettant pas de s’arrêter à temps en cas de surgissement d’un piéton, puisse approcher sur la chaussée masquée par la présence d’un bus.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel


TF 4A_228/2018 du 5 novembre 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; lésions corporelles; procédure; quittance pour solde de tous comptes; art. 87 al. 2 LCR; 56 CPC
Une quittance pour solde de tous comptes en matière d’indemnisation de lésions corporelles, avec la seule réserve d’une imputation sur les montants versés d’éventuelles et futures prestations AI et/ou LAA concordantes, pourrait être interprétée, selon le principe de la confiance, soit en ce sens que toutes nouvelles prétentions sont exclues, soit en ce sens que seules peuvent être élevées de nouvelles prétentions imprévisibles au moment de la conclusion de la convention. Dans la deuxième hypothèse, d’éventuelles suites négatives qui ne correspondaient pas au pronostic prévalant au moment de la conclusion de la convention ne seront pas nécessairement considérées comme imprévisibles. Seules le seront les éventuelles suites négatives que les parties pouvaient raisonnablement exclure à cette époque (c. 3).
Le caractère manifestement insuffisant d’une indemnité, permettant l’annulation de la convention y-relative dans un délai d’un an en application de l’art. 87 al. 2 LCR, s’examine en fonction des circonstances de l’époque de la conclusion de cette convention et non en fonction de développements négatifs ultérieurs. La preuve en incombe au lésé. Il n’appartient pas au juge d’interpeler la victime en application de l’art. 56 CPC sur lesdites circonstances, lorsque celle-ci se réfère à tort aux développements ultérieurs pour tenter d’établir l’insuffisance de l’indemnité (c. 4).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


TF 6B_704/2018 du 2 novembre 2018
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence; violation des règles de prudence; faute; arbitraire; art. 117 CP; 2 let. b, 3 al. 1 et 28 OTConst
Lors de travaux de rénovation sur un toit, un ouvrier est victime d’une chute mortelle d’une hauteur de plus ou moins 3 mètres, selon la manière dont est mesurée la hauteur de chute. Le TF estime que la Cour cantonale a mal interprété l’art. 2 let. b OTConst. Selon le TF, cette disposition doit être interprétée au regard de l’art. 3 al. 1 OTConst dans le but manifeste d’éviter autant que possible les accidents. Cela signifie donc que l’art. 2 let. b OTConst ne saurait être compris comme impliquant systématiquement la prise en compte du bord du toit le plus proche du sol, mais plutôt de la zone présentant un risque de chute. Le TF s’écarte ainsi du raisonnement de la Cour cantonale.
Cependant, ce point ne permet pas encore de considérer que l’architecte ou l’entrepreneur soient coupables d’homicide par négligence, au sens de l’art. 117 CP, car il faut encore que cette violation des règles de prudence soit fautive, ce qui n’est pas démontré selon les juges de Lausanne. Le TF relève ainsi que le conseiller en sécurité de la SUVA n’a pas été très clair sur ce point et qu’on peut se demander s’il n’y avait tout de même pas une pratique courante ou admise, qui était de considérer la casquette d’un avant-toit comme faisant partie du toit et comme déterminante pour la mesure de la hauteur de chute au sens de l’art. 28 OTConst. Le TF ne peut donc pas se déterminer sur la question de savoir si la mesure effectuée par l’architecte et l’entrepreneur était blâmable ou, à l’inverse, si une telle mesure ou attitude, certes contraire à l’art. 28 OTConst, ne s’expliquait néanmoins pas par une pratique ou un usage correspondant à ce qui s’effectuait couramment dans le domaine de la construction au moment des faits. Afin de pouvoir se déterminer, le TF renvoie donc la cause à la Cour cantonale, dans le but que soit diligentée une expertise auprès d’un architecte.
Le TF ajoute, au consid. 5, que si l’expertise devait démontrer qu’il y a eu bel et bien faute, la Cour cantonale devrait tout de même envisager une éventuelle application des art. 13 ou 21 du Code pénal, ce sur la base de l’ensemble des faits retenus (et non seulement de l’expertise).
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne


TF 4A_9/2018 du 31 octobre 2018
Responsabilité aquilienne; procédure civile; action récursoire; fardeau de l’allégation et de la contestation; valeur probante de rapports médicaux; art. 150, 152 et 168 CPC
Des assureurs sociaux exercent une action récursoire contre l’assureur RC du responsable. Leur action est rejetée par la Cour cantonale au motif qu’ils n’ont pas satisfait à leur devoir de substantifier l’incapacité de travail du lésé et que les preuves offertes n’étaient pas suffisantes.
Le TF rappelle les principes ancrés à l’ATF 127 III 365 quant aux faits devant être allégués et les principes ancrés à l’ATF 141 III 433 s’agissant de l’étendue du fardeau de la contestation du défendeur, en fonction de la précision des faits allégués par le demandeur (c. 2).
En cas d’allégation d’une incapacité de travail à 100%, le défendeur peut choisir de contester l’atteinte à la santé elle-même, le lien de causalité avec l’accident et/ou l’impact de l’atteinte sur la capacité de travail (c. 3.1). L’étendue du devoir de substantifier le dommage du demandeur varie en fonction de la nature de la contestation du défendeur (c. 3.2). En l’espèce, le défendeur n’a pas contesté l’impact de l’atteinte à la santé sur la capacité de travail. Les demandeurs n’avaient donc pas à apporter de moyens de preuve à ce sujet. La Cour cantonale a donné une portée trop large au devoir de substantifier le dommage (c. 4.2.2 et 4.3). Elle a aussi violé le droit fédéral en concluant à un manque de preuve sans mettre en œuvre l’expertise sollicitée par les demandeurs (c. 4.5).
Le TF rappelle les principes ancrés à l’ATF 141 III 433 quant à la valeur probante des rapports médicaux produits par les parties, qui sont assimilés à de simples allégations de partie (c. 5.1 et 5.2). L’expert, contrairement aux témoins, est remplaçable, raison pour laquelle il est nommé par le tribunal (c. 5.1). Seuls les passages du rapport médical qui ne répondent pas à des questions susceptibles d’être posées à l’expert échappent à la jurisprudence relative aux expertises privées et peuvent être admis comme moyens de preuve (telles que les passages consacrés au traitement prodigué au lésé) (c. 5.3). Les rapports médicaux des médecins d’arrondissement de la SUVA ne sont pas assimilables à des expertises diligentées dans le cadre d’une autre procédure (« Fremdgutachten ») et ne constituent pas des moyens de preuve (c. 5.2.1 et 5.4).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 6B_195/2018 du 24 octobre 2018
Responsabilité aquilienne; raute; incendie par négligence; art. 222 CP
Viole un devoir de diligence la personne qui, en fonction des circonstances, ainsi que de ses connaissances et de ses capacités, aurait pu et dû se rendre compte de la mise en danger du bien juridique de la victime et qui a franchi la limite du risque acceptable. La mesure de la diligence à observer dans un cas donné se jauge, lorsque des règles de prévention des accidents et de sécurité exigent un certain comportement, en premier lieu d’après ces règles. Si de telles règles font défaut, on peut se référer à des normes analogues d’associations de droit privé ou d’économie mixte, pour autant que ces normes soient généralement reconnues. Cela n’exclut pas que le reproche de négligence puisse également être fondé sur des principes généraux du droit comme le devoir de prudence face à une situation dangereuse (c. 2.3).
L’entrepreneur chargé en sous-traitance de travaux d’isolation thermique est tenu, de par la législation cantonale saint-galloise, de prendre, au même titre que tous les autres intervenants dans des travaux de construction, les mesures appropriées en vue de prévenir des dangers de feu et d’explosion. La notice d’utilisation du matériau inflammable Isofloc© utilisé en l’espèce précise que les lampes encastrées doivent être étanchéifiées dans des boîtes fournies par leurs fabricants. En ne s’assurant pas auprès des autres intervenants que tel est le cas avant d’injecter ce matériau, cet entrepreneur manque à son devoir de diligence. La personne qui manque à son propre devoir de diligence ne peut s’exculper en invoquant le principe de confiance selon lequel elle était partie de l’idée que les autres intervenants respectaient leurs propres obligations (c. 2.4).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


TF 9C_102/2018 - ATF 144 V 369 du 23 octobre 2018
Prévoyance professionnelle; liquidation partielle; adaptation; art. 27g et 27h OPP2
Le TF a examiné les conséquences d’une amélioration de la situation financière d’une caisse de pensions (publique – in casu, la caisse de pensions du canton de Zurich) entre la date de référence pour l’établissement du bilan de liquidation partielle et le transfert des prestations à la nouvelle institution de prévoyance de l’employeur sortant, en l’occurrence une commune.
Le TF a rappelé qu’un employeur a le droit de contester le plan de répartition, conformément à l’art. 53d al. 6 LPP. En revanche, dans le cas particulier et contrairement à l’avis du TAF, il a nié le droit de la commune de réclamer une adaptation des fonds libres, provisions et réserves de fluctuation de valeurs à transférer. Premièrement aucun intérêt moratoire n’est dû sur ces montants entre la date de référence pour l’établissement du bilan de liquidation partielle et le paiement effectif à la nouvelle institution de prévoyance. Deuxièmement, si en principe une modification du degré de couverture entraîne une adaptation des montants à transférer, cela ne pouvait être admis dans le cas d’espèce, dès lors que les prestations de sortie avaient été versées à 100% aux assurés sortants, compte tenu de l’engagement conventionnel pris par la commune sortante.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_207/2018 du 22 octobre 2018
Assurances privées; prescription; renonciation tacite; art. 46 al. 1 LCA et 135 ch. 1 CO
D’une manière qui n’est plus contestée en instance fédérale, l’autorité cantonale a retenu que la prescription des prétentions d’assurance était acquise au 22 mars 2007, soit deux ans après que l’état de santé de l’assuré ait été stabilisé avec certitude. Le 28 avril 2008, l’assureur a présenté une proposition de règlement.
Le TF rappelle que le débiteur qui reconnaît une obligation qui n’est pas encore prescrite interrompt la prescription et fait courir un nouveau délai par l’effet de l’art. 135 ch. 1 CO. Lorsque la prescription est déjà acquise, le débiteur peut renoncer à s’en prévaloir. Il peut aussi reconnaître la dette, mais sans renoncer explicitement ou tacitement à la prescription, conservant le droit de soulever ce moyen, la reconnaissance de la dette ne vaut pas à elle seule renonciation à se prévaloir de la prescription acquise, à défaut de convention spécifique sur ce point.
En l’espèce, il a été retenu que la proposition de règlement, formulée par l’assurance, ne constituait pas une reconnaissance de la dette, mais une offre de conclure un nouveau contrat, soit une transaction extra-judiciaire. L’assurance n’avait pas non plus déclaré renoncer à se prévaloir de la prescription acquise et rien dans son comportement ne dénotait que, dans l’éventualité où la transaction proposée ne viendrait pas à chef et que l’assuré ouvre action, l’assurance ne soulèverait pas tous les moyens de défense disponibles, y compris la prescription. Il n’y avait donc pas de renonciation, même tacite, à invoquer la prescription acquise. En particulier, le fait que le 2 mars 2009, la défenderesse se soit encore dite disposée à poursuivre les pourparlers n’emportait pas une telle renonciation.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 9C_117/2018 du 19 octobre 2018
Assurance-invalidité; révision; absence de modification; art. 17 LPGA
Dans le contexte d’une révision d’une rente-invalidité au sens de l’art. 17 LPGA, le juge doit vérifier l’existence d’un changement important de circonstances propre à justifier l’augmentation, la réduction ou la suppression de la rente. Un tel examen ne peut intervenir qu’à la faveur d’une comparaison entre deux états de fait successifs. Cela implique que le point de départ temporel pour l’examen de la révision soit déterminé ; ce point de départ correspond au dernier examen matériel de la situation de l’assuré.
Une expertise psychiatrique qui ne présente – comme dans le cas d’espèce – qu’une appréciation clinique différente d’une situation médicale demeurée inchangée ne constitue pas un changement de circonstances justifiant une révision.
Lors du dernier examen matériel de la situation de l’assuré, l’office AI avait déjà connaissance du fait que l’assuré disposait de ressources, physiques et psychiques, susceptibles de lui permettre – à tout le moins pour des périodes de temps limitées – d’exercer des activités plus étendues que son activité professionnelle habituelle à mi-temps.
Aussi, le fait que l’assuré ait été capable, dans le cas d’espèce, en plus de son activité habituelle à 50 % et durant un temps limité (2 mois), d’exercer de telles activités plus étendues que son activité habituelle à 50 %, ne constitue pas un fait nouveau, constituant un motif de révision, même si ces activités étaient en l’occurrence blâmables (infractions pénales).
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 4A_452/2017 - ATF 144 III 526 du 19 octobre 2018
Responsabilité aquilienne; procédure; appel en cause; conciliation; art.81 et 82 CPC
Dans le cadre d’une affaire de responsabilité civile, une demande d’appel en cause déposée en procédure de conciliation est rejetée. En effet, la question de savoir si l’appel en cause est possible au stade de la conciliation ne dépend pas des raisons (en l’état, le risque que les prétentions récursoires soient périmées) pour lesquelles l’appelant en cause souhaite déposer sa demande au stade de la conciliation.
Le TF, en procédant à une interprétation littérale des art. 81 et 82 CPC, arrive à la conclusion que leur texte est clair, l’appel en cause ne pouvant être formé que dans la procédure au fond ouverte par le dépôt de la demande principale devant le juge de première instance. Selon le TF, l’interprétation littérale est confortée par les interprétations systématique et historique.
Le TF examine ensuite si le CPC exclut de déposer une demande d’appel en cause dans la procédure de conciliation. Il arrive à la conclusion que ni dans ses étapes, ni dans sa fonction la procédure de conciliation n’apparaît conçue pour appeler en cause un tiers.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève



TF 9C_641/2017 et 9C_642/2017 du 16 octobre 2018
Assurance-vieillesse et survivants; salaire déterminant; jetons de présence des parlementaires zurichois; art. 5 al. 1 et 2 LAVS; 9 RAVS
Dans le canton de Zurich, chaque parlementaire perçoit annuellement une indemnité forfaitaire de CHF 4’000.-, plus une indemnité de frais forfaitaires de CHF 2’800.- ainsi qu’un abonnement pour les transports publics d’une valeur de CHF 2’000.-. Deux parlementaires se sont plaints du fait que la rémunération de leur travail sous forme de jetons de présence (Sitzunggeldern) était insuffisante, compte tenu des nombreuses heures à siéger dans différentes commissions. Ils critiquaient par ailleurs le fait que, selon la pratique administrative, ces indemnités n’étaient pas soumises aux cotisations AVS, ce qui péjorait leur situation de retraite.
Appelée à se prononcer sur cette dernière question, la Caisse de compensation du canton de Zurich a rendu plusieurs décisions de paiement des arriérés, pour les années 2009 à 2013, par lesquelles elle a qualifié de salaire déterminant – au sens de l’art. 5 al. 1 et 2 LAVS – une partie des indemnités auparavant traitées comme une compensation de frais et exigé le versement des cotisations de sécurité sociale correspondantes par l’« employeur », à savoir le canton de Zurich.
En dernière instance, le TF a donné raison à la Caisse de compensation recourante. Les juges fédéraux ont considéré que la pratique administrative répandue par le passé, en vertu de laquelle les jetons de présence des parlementaires n’étaient pas considérés comme des revenus professionnels au sens de l’AVS, ne repose pas sur une base légale suffisante. Dans son arrêt H 274/03 du 2 août 2004, le TF avait déjà affirmé clairement et sans équivoque le principe de l’obligation, pour une ville, de payer des cotisations sur les jetons de présence des membres du conseil municipal. Ces indemnités ne peuvent être considérées comme des frais généraux non compris dans le salaire déterminant, au sens de l’art. 9 RAVS. En effet, selon une jurisprudence constante, l’application de cette disposition suppose que l’employeur ou l’employé prouve, ou du moins fournisse une preuve prima facie, que les dépenses alléguées ont effectivement été engagées. La reconnaissance des frais par l’administration fiscale n’est en principe pas contraignante pour les caisses de compensation (c. 8.2).
Remarque : au vu de cette jurisprudence, tout parlementaire zurichois pourrait désormais exiger du canton le paiement rétroactif de cotisations AVS pour une période de cinq ans. Une motion pourrait être déposée prochainement dans ce canton afin de régler les obligations des parlementaires en matière d’AVS et de LPP (cf. NZZ no 252 du 30.10.2018, p. 18).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 2C_132/2017 du 16 octobre 2018
Responsabilité de l’Etat; contrat de droit administratif; déni de justice; principe de la confiance; art. 4 LRECA-VD; 29 al. 1 Cst
Le recourant, un exploitant hôtelier, soutient avoir conclu avec une commune (intimée) un contrat de droit administratif dans lequel celle-ci se serait engagée à garantir un accès à son établissement, en prévoyant la construction d’un carrefour, aux véhicules venant depuis une commune voisine. Le retard de 12 ans pris par la commune pour aménager le carrefour engagerait ainsi sa responsabilité contractuelle. Le TF rappelle qu’un contrat de droit administratif suppose un acte bilatéral ou multilatéral. Etant donné qu’en l’espèce, seule la commune était obligée, le TF écarte sa responsabilité contractuelle au motif qu’aucun contrat de droit administratif entre les parties ne pouvait être considéré comme conclu.
Le recourant considère ensuite qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité d’exploiter l’hôtel en raison du retard pris par la commune constitutif d’un déni de justice, car il ne pouvait demander la délivrance d’un permis d’habiter, condition sine qua non à l’exploitation de l’établissement, pour des questions de sécurité d’accès, tant que l’aménagement du carrefour n’était pas réalisé. La responsabilité de la collectivité serait donc engagée en application de la loi cantonale sur la responsabilité de l’Etat (art. 4 LRECA-VD).
Pour déterminer s’il y a eu acte illicite selon le droit cantonal, le TF rappelle qu’il convient d’examiner s’il y a eu violation du droit fédéral ou de se demander si une norme de droit public fédéral a pour but de protéger le bien juridique en cause (Schutznorm). Et de préciser qu’en l’absence de disposition spécifique de droit cantonal explicitant les notions de dommage, d’acte illicite et d’un lien de causalité entre celui-ci et le dommage, il convient de se fonder sur la jurisprudence fédérale pour en déterminer la portée.
En tant que tel, un retard à statuer constitutif d’un déni de justice au sens de l’art. 29 al. 1 Cst. peut, selon la nature de l’acte qui devait être accompli (par exemple une décision), constituer un acte illicite susceptible d’entraîner la responsabilité d’une collectivité publique ; il faut toutefois que les autres conditions de la responsabilité étatique soient réalisées. Les faits retenus en l’espèce excluent l’existence d’un lien de causalité naturelle entre le comportement illicite invoqué (retard dans l’aménagement du carrefour constitutif d’un déni de justice) et le dommage allégué, en lien avec la non-réouverture de l’hôtel.
En dernier lieu, le recourant invoque une responsabilité fondée sur la violation du principe de la confiance. Le recourant soutient en substance que la commune lui aurait initialement laissé croire que la création du carrefour était une simple formalité. Selon les faits constatés, le recourant ne pouvait ignorer que l’intimée n’avait pas seule la maîtrise de l’aménagement et que sa réalisation ne relevait pas d’une simple formalité, eu égard notamment au fait que l’accord d’autres communes était aussi requis. Il n’y a donc pas de violation de l’application du principe de la confiance.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

TF 4A_290/2018 du 11 octobre 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute concomitante; tort moral; art. 59 al. 2 LCR; 47 CO
Au guidon d’un véhicule de location, un motocycliste amateur perd la vie après s’être trop déporté à droite dans un virage à gauche. Le Handelsgericht de Zurich a retenu sans arbitraire que la victime roulait à environ 63,5 km/h dans un secteur limité à 80 km/h. Néanmoins, si cette vitesse était en soi adaptée, une légère faute concomitante devait à cet égard être retenue en l’espèce à la charge du motocycliste, lequel ne connaissait ni les lieux ni le véhicule de location et avait une expérience réduite des motocycles en général. Il a donc été retenu qu’il aurait dû aborder le virage fatal à une vitesse encore plus réduite.
Dans la mesure où d’autres causes que la perte de maîtrise du conducteur ne peuvent pas être exclues, causes qui peuvent avoir joué un rôle plus ou moins important dans le déroulement de l’accident, la preuve apparente (Anscheinsbeweis) d’un accident causé uniquement par la faute de la victime ne peut être retenue (c. 2.4.1).
En l'espèce, une réduction limitée pour faute concomitante de la victime à 10 % n’apparaît pas manifestement inadéquate. Cette solution est d’autant plus acceptable si l’on sait qu’une faute concomitante très légère n’est en pratique pas prise en compte dans la répartition des responsabilités (c. 2.5).
On notera que le Handelsgericht de Zurich, compte tenu d’une réduction de 10 %, a alloué un tort moral de CHF 45'000.- (50'000.- 5'000.-) à la veuve de la victime et de CHF 22'500.- (25'000.- 2'500.-) à chacun de ses enfants. Ce point n’était pas contesté devant le TF.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_488/2017 du 9 octobre 2018
Assurances privées; assurance-crédit; prescription de la prestation de l’assureur en cas de remboursement du crédit par tranches; interprétation du contrat; art. 46 LCA
Le TF a réformé un arrêt de la Cour d’appel civile vaudoise qui retenait que la prestation de l’assureur dans le cadre d’une assurance-crédit portant sur des acomptes trimestriels sur un prix de vente de marchandises s’étendait sur le montant total de la créance et que la prescription courait pour l’ensemble dès l’expiration du délai d’attente prévu dans le contrat d’assurance.
En l’absence de disposition contraire dans ledit contrat, le TF a retenu quant à lui que chacune des échéances a fait naître une obligation d’indemniser de l’assureur qui se prescrivait séparément.
Auteur : Matthias Stacchetti


TF 8C_804/2017 du 9 octobre 2018
Assurance-chômage; restitution de prestations; compensation; art. 94 al. 1 LACI; 25 al. 1 LPGA
Dans le cas d’indemnités de chômage perçues à tort, compensées avec des indemnités dues, l’extinction de la créance en restitution par voie de compensation ne peut intervenir qu’une fois qu’il a été statué définitivement sur la restitution et sur une éventuelle demande de remise de l’obligation de restituer. L’opposition et le recours ont un effet suspensif. Ainsi, une compensation immédiate et sans condition avec des prestations en cours ne peut pas intervenir (c. 3-4).
In casu, la décision de restitution n’a pas été contestée par l’assuré, lequel n’a pas demandé une remise de l’obligation de restituer. L’affaire est renvoyée à l’autorité cantonale afin qu’elle détermine si la compensation porte atteinte au minimum vital de l’intéressé (c. 5).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds


TF 4A_76/2018 du 8 octobre 2018
Procédure; dépens et dommages-intérêts; art. 106 CPC; 41 et 97 CO
Le TF rappelle sa jurisprudence (ATF 139 III 190), selon laquelle le droit de procédure civile relatif à l’allocation de dépens au plaideur victorieux est seul applicable et ne laisse aucune place à une action qui serait fondée sur le droit civil fédéral, séparée ou ultérieure, tendant au remboursement par la partie adverse de frais non couverts par les dépens, même si ceux-ci sont fixés selon un tarif. Les dépens ont vocation de couvrir tous les frais occasionnés par une procédure même si tel n’est pas forcément le cas. La décision sur les dépens doit permettre de liquider les prétentions des parties et de ne pas laisser la porte ouverte à une action civile ultérieure. A défaut de recouvrer tous ses frais, la partie victorieuse est dispensée de prouver la faute de son adversaire et l’étendue exacte de son dommage. En revanche, les frais engagés pour la consultation d’un avocat avant l’ouverture du procès civil font partie du dommage sujet à réparation pour autant qu’ils aient été nécessaires et adéquats.
Est réservé le cas où le plaideur victorieux s’est heurté à un comportement illicite de la partie adverse (position téméraire). Il existe alors un concours d’actions entre celle accordée par l’art. 41 CO et celle accordée par le droit de procédure. En ce cas, c’est le comportement procédural en tant que tel qui est l’objet du litige et peut fonder une prétention délictuelle ou contractuelle, au contraire des cas ordinaires où le procès et les coûts qu’il génère ne sont que la conséquence accessoire d’un litige qui divise les parties. Lorsque les frais de procédure ne sont pas couverts la partie lésée par un comportement illicite ou contraire au contrat doit pouvoir invoquer le droit de la responsabilité délictuelle ou contractuelle. Un tiers peut aussi devoir prendre en charge des frais d’avocat non couverts par les dépens tarifés pour autant qu’il réalise les conditions d’une telle responsabilité.
En l’occurrence, l’arbitre mandaté par les parties pour rendre une sentence a violé son devoir de diligence et doit répondre du dommage causé : il s’agit des frais d’avocat encourus dans le cadre de la procédure fédérale tendant à faire annuler la sentence arbitrale rendue après la révocation du mandat de l’arbitre. Les dépens alloués dans le cadre de la procédure fédérale doivent être déduits dans le cadre de l’action en dommages-intérêts à titre de compensatio lucri cum damno (imputation des avantages).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 9C_118/2018 - ATF 144 V 327 du 8 octobre 2018
Prévoyance professionnelle; clause bénéficiaire; art. 20a LPP
Le TF a jugé que la règle prévue à l’art. 20a LPP, selon laquelle, pour avoir droit à une prestation de survivant, il devait y avoir une communauté de vie ininterrompue d’au moins cinq ans immédiatement avant le décès, était impérative.
Une institution de prévoyance ne peut donc pas valablement introduire dans son règlement de prévoyance une durée de « communauté de vie ininterrompue » inférieure au minimum légal de cinq ans.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_613 et 615/2017 du 28 septembre 2018
Assurances privées; contrat d’assurance; prétention frauduleuse; art. 39 et 40 LCA
Une compagnie d’assurance refuse de couvrir le sinistre vol du recourant en se prévalant de l’art. 40 LCA qui prévoit que si l’ayant droit ou son représentant, dans le but d’induire l’assureur en erreur, dissimule ou déclare inexactement des faits qui auraient exclu ou restreint l’obligation de l’assureur, ou si, dans le but d’induire l’assureur en erreur il ne fait pas ou fait tardivement les communications que lui impose l’art. 39 LCA, l’assureur n’est pas lié par le contrat envers l’ayant droit.
D’un point de vue objectif, la dissimulation ou la déclaration inexacte doit porter sur des faits qui sont propres à remettre en cause l’obligation même de l’assureur ou à influer sur son étendue, par exemple lorsque l’ayant droit a déclaré un dommage plus étendu qu’en réalité, notamment en donnant des indications trop élevées sur le prix d’acquisition de la chose assurée. Par ailleurs, sur le plan subjectif, l’ayant droit doit avoir l’intention de tromper, soit avoir agi avec conscience et volonté d’induire l’assureur en erreur afin d’obtenir une indemnisation plus élevée que celle à laquelle il a droit ; peu importe à cet égard qu’il soit parvenu à ses fins. Si les conditions légales sont réunies, l’assureur peut alors refuser toute prestation, ce même si la fraude se rapporte à une partie seulement du dommage.
S’agissant d’un moyen libératoire, il appartient l’assureur de prouver les faits permettant l’application de l’art. 40 LCA, au moins sous la forme d’une vraisemblance prépondérante. La jurisprudence se satisfait généralement de ce même degré de preuve restreint s’agissant de la survenance d’un cas d’assurance, notamment en matière d’assurance-vol.
Dans le cas d’espèce, l’un des recourant a, avec la conscience et la volonté d’induire en erreur l’assureur, déclaré un dommage plus étendu que celui réellement subi. Il n’a été ni établi, ni rendu vraisemblable qu’il avait perçu un héritage permettant d’acheter les biens prétendument volés.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 8C_373/2018, 8C_374/2018 du 26 septembre 2018
Assurance-invalidité; assuré majeur incapable de discernement; séjour à l’étranger avec ses parents d’un assuré majeur; rente extraordinaire; allocation pour impotent; art. 39 al. 1 et 42 LAI; 13 al. 2 LPGA
Le tribunal cantonal des assurances a constaté que le recourant avait effectivement séjourné en Turquie du 10 mars 2009 au 19 octobre 2015. Faute de résidence en Suisse durant cette période, le recourant n’a donc droit, durant celle-ci, ni à une rente extraordinaire, ni à une allocation pour impotent, la résidence habituelle en Suisse étant, selon les art. 39 al. 1 (en relation avec l’art. 42 al. 1 LAVS) et 42 LAI, l’une des conditions mises à l’octroi de chacune de ces prestations.
Ainsi, il n’est pas, dit le TF, nécessaire d’examiner la question de savoir si, pour ce qui est de sa volonté de séjourner en Turquie pendant la période qui va du 10 mars 2009 au 19 octobre 2015, le recourant, qui est majeur mais incapable de discernement, a été, valablement ou pas, représenté par ses père et mère (c. 5 et 7.3).
Quant aux deux exceptions que le principe de la résidence effective en Suisse tolère d’après la jurisprudence (ATF 141 V 530 c. 5.3 ; 111 V 180 c. 4), le TF voit qu’à l’évidence, ni l’une ni l’autre n’est remplie ici (c. 6 et 7.1).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 8C_819/2017 - ATF 144 V 354 du 25 septembre 2018
Assurance-accidents; procédure; objet de la contestation; art. 19 LAA
Le 2 septembre 2013, A. a un accident de travail. Le 3 août 2015, la SUVA informe A. par écrit, mais de manière informelle, qu’elle met fin aux indemnités journalières au 30 avril 2015, qu’elle met également fin à la prise en charge du traitement médical et qu’elle va examiner l’éventuel droit à une rente d’invalidité. Le 16 septembre 2015, elle rend une décision (Verfügung) et informe A. qu’aucune rente ne lui sera accordée. Le 4 janvier 2016, A. forme une opposition (Einsprache) à l’encontre de la décision du 16 septembre 2015. Par décision sur opposition du 21 mars 2016, la SUVA refuse d’entrer en matière sur l’opposition (Nichteintretenentscheid) en considérant qu’elle est tardive. Le tribunal cantonal admet le recours déposé par A. (ch. 1 du dispositif) et renvoie la cause à la SUVA pour nouvelle décision sur la question du versement des indemnités journalières et du droit à la prise en charge du traitement (ch. 2) (c. A et B).La SUVA fait recours à l’encontre de cet arrêt cantonal en demandant l’annulation du ch. 2 (c. C).
Le TF lui donne raison en affirmant que l’objet de la contestation (Streitgegenstand) par devant le tribunal cantonal ne portait que sur la question de savoir si la SUVA avait raison de considérer que l’opposition du 4 janvier 2016 était tardive (c. 5.2.). Le renvoi de la cause à la SUVA, soit le ch. 2 du dispositif de l’arrêt cantonal, viole donc le droit fédéral (c. 5.2.). La prise de position du TF se fonde sur le fait que la SUVA avait fait référence à son courrier informel du 3 août 2015, dans sa décision du 16 septembre 2015 (c. 5.1) et sur l’interprétation de l’art. 19 LAA en ce sens que la fin du droit aux indemnités journalières, la fin du droit à la prise en charge du traitement médical et l’examen du droit à la rente d’invalidité ne forment qu’un seul objet de contestation (Streitgegenstand) (c. 4.1 ss).
Auteure : Rebecca Grand, avocate à Lausanne



TF 8C_411/2018 du 21 septembre 2018
Assurance-chômage; gain intermédiaire; stage de formation; art. 15, 24 al. 1 et 3 LACI
Est litigieuse la question de savoir si une juriste, accomplissant un stage de formation non rémunéré aux Pays-Bas, doit se voir imputer, au sens des al. 1 et 3 de l’art. 24 LACI, le gain intermédiaire (théorique) qu’elle aurait pu réaliser selon les conditions et usages locaux. N’est pas litigieux, car n’ayant pas été soulevé par les parties, le point (douteux selon le TF) de savoir si cette assurée était réellement apte au placement durant son stage, au sens de l’art. 15 LACI.
Le fait que l’assurée n’ait pas été rémunérée durant son stage ne fait pas obstacle, selon le TF, à la prise en compte d’un gain intermédiaire (théorique) calculé selon les conditions locales, ce qui ne laisse plus de place à une indemnisation compensatoire dans le présent cas, étant rappelé qu’en matière de stage non rémunéré l’accent est mis sur la formation et non l’indemnisation.
La distinction entre « echtes Praktikum » et « unechtes Praktikum » a été jugée inopérante in casu par le TF, qui a rejeté le recours de l’assurée.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne

TF 9C_139/2018 du 20 septembre 2018
Prévoyance professionnelle; réserve de santé; réticence; art. 14 LFLP
Dans cette décision, le TF a examiné les conséquences d’une réticence (incontestée), dans le domaine de la prévoyance professionnelle surobligatoire, sur la prestation de libre passage accumulée auprès d’une ancienne institution de prévoyance et apportée lors de l’entrée dans la nouvelle caisse de pensions, lors du calcul de la rente d’invalidité selon le minimum LPP.
En l’espèce, les juges fédéraux, en se fondant sur la règle fixée à l’art. 14 al. 1 LFLP, selon laquelle la prévoyance rachetée au moyen de la prestation de sortie apportée ne peut être réduite par une nouvelle réserve pour raisons de santé, ont admis le recours interjeté par l’assurée. Une institution de prévoyance, qui s’est régulièrement départie du contrat de prévoyance avec l’assurée en raison d’une réticence, doit néanmoins prendre en compte la totalité de la prestation de sortie (y compris surobligatoire) apportée par la personne assurée pour calculer la rente d’invalidité due selon la LPP. En d’autres termes, la résiliation du contrat de prévoyance signifiée par une institution de prévoyance en raison d’une réticence ne peut porter que sur la prestation de sortie accumulée auprès d’elle, et non sur la prestation de sortie apportée.
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_867/2017 - ATF 144 V 427 du 20 septembre 2018
Assurance-chômage; indemnité en cas d’insolvabilité; preuve du contrat de travail; salarié rémunéré à l’heure; art. 51 LACI; 74 OACI
Selon l’art. 74 OACI, la caisse n’est autorisée à verser une indemnité en cas d’insolvabilité que lorsque le travailleur rend plausible sa créance de salaire envers l’employeur. Cette disposition n’exige pas que l’assuré établisse avec un degré de vraisemblance prépondérante l’existence de sa créance. Cependant, cet allégement du fardeau de la preuve ne s’applique pas en relation avec les autres conditions ouvrant le droit à l’indemnité pour insolvabilité, telle que l’existence d’un rapport de travail en Suisse ou l’insolvabilité de l’employeur. Ces autres conditions préalables doivent être établies avec un degré de vraisemblance prépondérante. Ainsi, le salarié rémunéré à l’heure doit démontrer l’existence de rapports de travail au moyen d’un contrat, de décomptes de salaire, de témoignages de collègues de travail, d’extraits de compte AVS, etc. Ce n’est que lorsque l’assuré est parvenu à faire état avec un degré de vraisemblance prépondérante de l’existence d’un rapport de travail en Suisse et de l’insolvabilité de son employeur que le caractère plausible de la créance est apprécié.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève


TF 9C_659/2017 du 20 septembre 2018
Assurance-invalidité; révision; troubles psychiques; aggravation des plaintes; fardeau de la preuve; art. 7, 8 et 17 LPGA; 4 LAI
En dépit des ATF 143 V 409 et 418, qui soumettent la preuve du caractère invalidant de troubles psychiques à la même grille d’analyse que les SPECDO (cf. ATF 141 V 281), le TF réaffirme dans cet arrêt qu’il n’y a pas d’atteinte à la santé assurée lorsque les limitations fonctionnelles reposent sur une aggravation des plaintes ou une constellation similaire (c. 3.2).
Le TF rappelle les cas que l’on qualifie d’aggravation ou de constellation similaire. Il peut s’agir d’une différence significative entre les douleurs ou les limitations décrites et le comportement ou l’anamnèse ; d’une description vague de douleurs intenses ; de l’absence de traitement adéquat ; de plaintes démonstratives qui ne paraissent pas crédibles à l’expert ; de la description de graves limitations dans la vie de tous les jours, alors que l’environnement psychosocial reste intact. En revanche, une simple exagération n’est pas suffisante. L’aggravation doit être clairement établie, et les limites d’une simple exagération doivent être dépassée sans doute possible. Par ailleurs, l’aggravation ne doit pas résulter d’une autre maladie psychique (c. 4.1).
En l’espèce, les signes d’aggravation rapportés par tous les experts ne permettent pas d’admettre la présence d’une atteinte à la santé dont le degré de gravité soit suffisant. Cette absence de preuve doit être supportée par la personne assurée. Il en va de même lorsque l’examen médical ne permet pas d’évaluer correctement les limitations fonctionnelles en raison d’un mésusage de médicaments, dont il n’est pas prouvé qu’il découle d’une maladie psychiatrique à part (c. 4.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 6B_1294/2017 du 19 septembre 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; principe de la confiance; accident véhicule-piéton; piéton imprudent et automobiliste irréprochable; art. 26, 31 al. 1 et 91 al. 1 LCR; 3 al. 1 OCR
Un automobiliste conteste sa condamnation pour perte de la maîtrise de son véhicule et manque d’attention pour avoir renversé un piéton qui a traversé la chaussée de manière impromptue. Il roulait prudemment, à une vitesse adaptée, et ne pouvait pas s’attendre à ce que le piéton surgisse devant lui, à 6,5 mètres du passage pour piétons, écoutant de la musique et habillé de vêtements sombres alors que les conditions de visibilité étaient mauvaises.
Le TF rappelle que le principe de la confiance est déduit de l’art. 26 al. 1 LCR et permet à l’usager qui se comporte réglementairement d’attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l’en dissuader, qu’ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c’est-à-dire ne le gênent pas ni ne le mettent en danger (ATF 143 IV 500) (c. 1.4).
Le conducteur a en principe la priorité sur le piéton qui traverse la chaussée en-dehors d’un passage pour piétons, sous réserve de l’art. 26 al. 2 LCR (c. 1.5).
Le TF estime qu’aucun manquement au devoir de diligence ne peut être reproché à l’automobiliste en lien avec l’accident. Le délai de 0,8 seconde s’étant écoulé entre l’arrivée du piéton sur la chaussée et la collision était trop court pour qu’il puisse réagir. Même s’il avait vu le piéton marcher sur le trottoir, il n’avait pas à freiner préventivement, en l’absence de signe indiquant que le piéton comptait traverser à cet endroit. La cause de l’accident est le comportement imprévisible et inattendu du piéton. L’automobiliste peut se prévaloir du principe de la confiance (c. 1.7).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 8C_62/2018 du 19 septembre 2018
Assurance-accidents; traitement médical après la fixation de la rente; révision; art. 14 et 17 al. 2 LPGA; 21 al. 1 lit. c et d LAA
L’art. 21 al. 1 lit. c et d LAA octroie un traitement durable après la fixation de la rente, dans le but de conserver, respectivement d’améliorer une incapacité de gain. Peu importe que l’on considère ce type de prestation comme une prestation en nature ou en espèce.
Ainsi, il y a lieu d’appliquer l’art. 17 al. 2 LPGA, au moins par analogie, si cette prestation est considérée comme une prestation en nature au sens de l’art. 14 LPGA. Il est dès lors indispensable que les conditions de la révision au sens de l’art. 17 al. 2 LPGA soient réunies pour modifier ou supprimer le traitement, étant précisé qu’une reconsidération serait également possible. Si ces conditions ne sont pas réunies, on ne peut mettre un terme au traitement. Il est précisé que le TF ne prend pas position sur les lit. a et b de l’art. 21 al. 1 LAA.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat, Fribourg

TF 9C_248/2018 du 19 septembre 2018
Assurance-invalidité; récusation; évaluation de l’invalidité; capacité résiduelle de travail moyenne; notion de marché équilibré du travail; art. 34 al. 1 let. e et al. 2, 37 LTF; 8 et 16 LPGA; 4 et 28a LAI
Le fait pour un juge d’avoir participé à la décision sur effet suspensif ou en matière d’assistance judiciaire dans la cause qui est pendante devant le Tribunal fédéral (en l’occurrence, rejet de la demande, le pourvoi paraissant dénué de chance de succès) ne suffit pas à justifier sa récusation.
Il y a lieu de tenir compte d’une capacité de travail moyenne lorsque la maladie à un caractère cyclique entraînant une fluctuation du taux de capacité de travail exigible, arrêté dans le cas particulier à 50% (0% en cas de crises survenant entre 7 et 14 jours par mois et 70% dans une activité adaptée hors des périodes de crises).
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne

TF 6B_1401 et 1402/2017 du 19 septembre 2018
Responsabilité aquilienne; dommage; conclusions civiles; renvoi devant le tribunal civil; art. 126 CPP
Z. a confié la gestion d’un capital de $ 229'520.- à deux sociétés financières, dont les collaborateurs ont procédé à une multitude d’opérations boursières durant 3 mois. Au terme de cette période, après déduction des frais de courtage et des commissions ainsi qu’une perte en bourse, le solde du capital de Z. ne s’élevait plus qu’à $ 459.00. Durant les trois mois des frais boursiers de $ 169'800.00 et des commissions de $ 161'557.00 ont été facturés. Une perte en bourse de $ 64'194.00 à en outre été comptabilisée.
Les tribunaux pénaux de première et deuxième instance du district de Bülach et du canton de Zurich ont condamné pénalement les deux collaborateurs responsables pour gestion déloyale. En revanche, ces juridictions ont refusé d’entrer en matière sur les prétentions civiles en réparation formulées par le lésé en le renvoyant à procéder devant les juridictions civiles. Seuls CHF 6'000.00 d’indemnités pour des frais de mandataire avant procès ont été alloués. Le TF a admis l’intérêt et la qualité pour agir du lésé, annulé les jugements cantonaux relatifs aux deux collaborateurs indélicats et renvoyé les causes aux juridictions cantonales pour qu’elles entrent en matière sur les prétentions civiles du lésé. Il a rappelé que le tribunal pénal statue également sur les conclusions civiles lorsqu’il rend un verdict de culpabilité à l’encontre du prévenu ou lorsqu’il acquitte le prévenu mais que l’état de fait est suffisamment établi.
En l’espèce, contrairement aux considérants des juridictions cantonales, le TF a considéré que les prétentions civiles étaient suffisamment motivées et chiffrées dans la mesure où le lésé avait réclamé devant les tribunaux pénaux le remboursement d’une somme de CHF 289'619.00, subsidiairement de $ 229'110.00.
En outre, la cause des prétentions du lésé était clairement reconnaissable, tout comme les bases juridiques et contractuelles ainsi que les motifs sur lesquels il se fondait. En particuliers, le nombre excessif de transactions effectuées durant 3 mois et les pourcentages prélevés comme frais de bourse et commissions de courtage dépassaient très nettement les pourcentages usuels auxquels il convient de se référer lorsque le contrat de gestion signé n’est pas parfaitement clair.
Selon la pratique américaine, basée sur les « guidelines for discretionary accounts », il n’est pas admissible de facturer plus de 15% du capital moyen mensuel investi, à savoir, dans le cas particulier $ 32'901.00, soit des frais mensuels de $ 4'935.00, soit pour 3 mois, $ 14'805.00.
L’état de fait est considéré comme suffisamment établi si les éléments de preuves réunis durant la procédure permettent sans autre de prendre une décision sur les prétentions civiles et pour autant que les conclusions soient chiffrées et motivées.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 4A_138/2018 du 13 septembre 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage; prédisposition constitutionnelle; réduction des dommages-intérêts; art. 58 LCR; 43 al. 1 et 44 CO
Un véhicule est entré en collision avec un piéton, âgé de moins de 10 ans, traversant la rue dans son quartier. Le TF confirme, sous l’angle de l’arbitraire, l’appréciation de l’autorité cantonale et retient que le conducteur, ébloui par le soleil, aurait pu s’arrêter à temps, s’il avait abaissé sa visière plus tôt. Vu l’état de fait établi, la faute concurrente du lésé n’a pas été retenue.
La réduction du dommage, sous l’angle de l’art. 44 CO, en raison d’une prédisposition constitutionnelle du lésé, souffrant en l’espèce d’une personnalité fragile sous le mode psychotique, ne se justifie pas en l’absence d’une autre circonstance dans la sphère de la victime qui permettrait d’arriver à la conclusion qu’il serait inéquitable de mettre à la charge de l’auteur l’entier du dommage.
La faute peu grave du conducteur est un argument qui s’examine sous l’angle de l’art 43 al. 1 CO. Le TF retient que la collision d’un véhicule avec un piéton, en l’occurrence un enfant de moins de 10 ans, est, d’un point de vue objectif, une cause d’une certaine gravité. La cause fondant le dommage n’est pas un cas bagatelle sans aucun rapport avec l’ampleur du préjudice subi par le lésé. On ne se trouve pas dans un cas de collision de faible intensité se situant « dans la zone d’inoccuité » (cf. TF 4A_695/2016).
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 6B_434/2018 du 12 septembre 2018
Responsabilité aquilienne; faute concomitante; art. 44 CO
Un entrepreneur détourne, à des fins personnelles, des acomptes reçus de la part des maîtres de l’ouvrage. Sur le plan pénal, l’entrepreneur est condamné pour abus de confiance ; sur le plan civil, il est condamné au remboursement du préjudice subi par les maîtres de l’ouvrage, étant précisé que sa société a fait faillite dans l’intervalle. L’entrepreneur recourt auprès du TF en vue d’obtenir la réduction de l’indemnité allouée aux victimes en raison d’une prétendue faute concomitante de ces derniers.
Dans son arrêt, le TF rappelle qu’il y a faute concomitant lorsque le lésé omet de prendre des mesures que l’on pouvait attendre de lui et qui étaient propres à éviter la survenance ou l’aggravation du dommage ; autrement dit, si le lésé n’a pas pris les mesures qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, aurait pu et dû prendre dans son propre intérêt. La faute concomitante suppose que l’on puisse reprocher au lésé un comportement blâmable, en particulier un manque d’attention ou une attitude dangereuse, alors qu’il n’a pas déployé les efforts d’intelligence ou de volonté que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer aux règles de la prudence.
Le recourant prétendait que les victimes auraient pu recueillir sur internet des informations pour constater qu’il ne présentait pas les garanties d’une situation financière irréprochable. Cet argument est balayé, le dommage ne provenant pas de la faillite de la société de l’entrepreneur mais du détournement de montants qui auraient dû être affectés au chantier.
Le recourant plaidait également l’existence d’une faute concomitante de l’architecte. Cet argument est également rejeté car le dommage ne provient pas de la mauvaise santé financière de l’entreprise générale que l’architecte aurait pu connaître et signaler, mais bien des détournements opérés par le recourant.
Enfin, la banque n’endosse pas non plus la moindre responsabilité pour avoir prétendument omis de procéder à toute vérification concernant l’entrepreneur ou sa société.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne



TF 4A_374/2018 du 12 septembre 2018
Responsabilité aquilienne; contrat de gestion de fortune; preuve du dommage; art. 42 CO
Pour établir le dommage qui résulte de la violation d’un contrat de gestion de fortune et dont la réparation est demandée, le demandeur doit alléguer et établir les faits constitutifs de chaque manquement à une obligation contractuelle invoqué, ainsi que le poste de dommage en lien de causalité adéquate spécifiquement avec chacun de ces manquements. Il ne suffit pas de se référer à un jugement pénal non encore définitif et exécutoire, condamnant la collaboratrice bancaire responsable de la relation contractuelle avec la banque, d’une part, et de réclamer le remboursement de montants débités sur certains comptes bancaires pour combler un découvert subi sur un autre compte bancaire à la suite de la liquidation de positions de placements – sans qu’on sache si d’autres opérations pourraient avoir également contribué à ce découvert – d’autre part. Le demandeur aurait dû préciser s’il reprochait à la banque d’avoir effectué des placements non autorisés, d’avoir liquidé à tort des positions de placements et/ou d’avoir comblé un découvert en prélevant les fonds correspondant sur d’autres comptes. Puis le demandeur aurait dû établir l’impact de chacune des opérations litigieuses et la situation financière qui aurait été la sienne si elles n’avaient pas été exécutées.
Lorsque la partie demanderesse ne fournit pas les éléments qu’on peut attendre d’elle en vue d’établir le dommage, une détermination équitable de celui-ci en application de l’art. 42 al. 2 CO n’entre pas en considération.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et à Aigle


TF 9C_365/2018 du 12 septembre 2018
Prestations complémentaires à l’AVS/AI; calcul du droit aux prestations, art. 93 al. 1 let. a LTF; 11 LPC; 9 loi cantonale BE sur l’aide sociale
Une décision de renvoi qui contient des instructions limitant la marge d’appréciation de l’autorité recourante remplit les conditions d’autres décisions préjudicielles et incidentes pouvant causer un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF (c. 1).
La question qui se pose est de savoir si la dette d’aide sociale de l’intimé à hauteur de CHF 150'000.- peut être défalquée de son patrimoine (c. 3.1), sachant que ce dernier s’élève à CHF 154'797.- (propriété immobilière).
Le TF constate que la dette de l’intimé envers les services sociaux à hauteur de CHF 150'000.- grève tout bonnement en fait et en droit le patrimoine de ce dernier, de telle sorte que dite dette doit être prise en compte. En effet, l’ensemble des circonstances étaye la prise en compte de la dette d’aide sociale lors de la détermination du droit aux prestations complémentaires. Par conséquent, la décision attaquée ne viole pas le droit fédéral. Le recours est infondé (c. 5.7).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 8C_135/2018 du 7 septembre 2018
Procédure; assistance judiciaire; révocation de la décision d’assistance judiciaire en procédure AI; art. 29 al. 3 Cst.; 37 al. 4 LPGA
Toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l’assistance judiciaire gratuite. Elle a en outre droit à l’assistance gratuite d’un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert (art. 29 al. 3 Cst.). Ce droit ne confère toutefois pas à la personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes la prise en charge définitive des frais judiciaires. Si le tribunal peut retirer rétroactivement l’assistance judiciaire lorsque la personne en question n’est plus indigente après la fin d’une procédure, l’autorité compétente doit, pour des raisons d’économie de procédure, retirer rétroactivement l’assistance judiciaire même durant la procédure. En effet, la décision d’octroi de l’assistance judiciaire ne dispose que de la force de chose jugée formelle et non pas matérielle ; elle peut donc être revue à tout moment. L’annulation rétroactive de l’assistance judiciaire nécessite cependant une base légale, tout comme l’obligation de rembourser ultérieurement les prestations reçues. Or, comme le TF l’a jugé récemment, la LPGA ne contient pas de telle base légale (ATF 144 V 97 : « Si la partie précédemment indigente revient à meilleure fortune, on ne saurait exiger d’elle le paiement ultérieur des coûts de l’assistance gratuite d’un avocat pour la procédure administrative ni lui retirer rétroactivement l’assistance d’un avocat. Il manque une base légale à cet effet »). La circonstance que, en l’espèce, les prestations ont été accordés uniquement « sur la base des circonstances actuelles » n’y change rien.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 6B_662/2018 du 5 septembre 2018
Responsabilité aquilienne; violation de la loi sur l’assurance-invalidité; arbitraire; principe in dubio pro reo; avis obligatoire en cas de modification des circonstances; art. 10 CPP; 32 al. 1 Cst.; 14 par. 2 Pacte ONU II; 6 par. 2 CEDH; 31 LPGA; 77 RAI; 87 LAVS; 70 LAI; 12 al.2 CP
En application des art. 31 LPGA et 77 RAI, une personne qui constate qu’elle continue de percevoir mensuellement sa demi-rente AI, alors que ses revenus ont quasi doublé, doit se rendre compte que son employeur n’a fait aucune communication à l’office AI et qu’il lui incombe de le faire personnellement (c.1.3). Il n’est pas arbitraire de considérer qu’il n’est pas nécessaire de déterminer, dans le cadre de la procédure, le taux exact d’activité du bénéficiaire, in casu, de la demi-rente AI. Il suffit, s’agissant de l’obligation de communiquer, que le changement de situation puisse, potentiellement, avoir des répercussions sur le droit aux prestations (c. 1.4).
L’art. 31 LPGA règle la question de l’avis obligatoire en cas de modification des circonstances une fois que des prestations sociales ont été allouées. L’art. 77 RAI précise l’étendue de cette obligation. L’obligation d’informer existe indépendamment des contrôles effectués lors des procédures de révision. Par conséquent, un assuré est tenu de communiquer à l’office AI spontanément, immédiatement et avec suffisamment de précisions toutes les modifications importantes dont il a connaissance (c. 2.1.2).
Les infractions définies à l’art. 87 LAVS sont des infractions intentionnelles qui peuvent également être commises par dol éventuel (art. 12 al. 2 CP ; c. 2.1.3).
En l’espèce, l’ensemble des dispositions susvisées ont été violées.
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud


TF 9C_904/2017 du 5 septembre 2018
Assurance-invalidité; moyens auxiliaires; art. 21 LAI
Deux sœurs atteintes de dystrophie musculaire progressive (ch. 184 annexe OIC), vivant chez leurs parents, demandent diverses mesures visant à adapter le logement familial à leur handicap :
- s’agissant d’une installation de WC-douches et WC-séchoirs (ch. 14.01 annexe OMAI, le TF rappelle qu’il n’est pas nécessaire qu’elle permette une indépendance totale pour faire sa toilette. Il suffit qu’elle augmente l’autonomie de la personne assurée, même si celle-ci doit quand même recourir à l’aide d’un tiers (cf. 3.5). En revanche, dans la mesure où les assurées n’ont pas démontré qu’il arrivait fréquemment qu’elles doivent utiliser la salle de bain en même temps, ni les conséquences pour l’une des deux de devoir attendre, une seule installation doit être prise en charge par l’AI ;
- s’agissant de travaux de modification du bâtiment permettant l’accès à l’étage supérieur et à la terrasse, le TF rappelle que sous l’angle du droit de substitution, le fait que le projet de construction soit uniquement motivé par le handicap des deux sœurs ne suffit pas. Il faut bien davantage que les aménagements prévus se substituent, concrètement, à un moyen auxiliaire prévu dans l’annexe de l’OMAI (c. 4.4.2). Cette condition n’est pas réalisée en l’espèce, car l’accès à l’étage supérieur n’a pas pour but de permettre l’accès aux thérapies, ni à un établissement de formation (cf. ch. 13.05 et 14.05 annexe OMAI), et n’obéit pas non plus à un objectif listé au ch. 14.04 (liste exhaustive).
Les recourantes invoquent finalement la violation de leur droit au respect de la vie familiale pour justifier leur prétention s’agissant de l’accès à la terrasse. Sans répondre à cette question, le TF interprète le ch. 14.04 annexe OMAI de telle manière qu’il faut admettre que selon les conceptions et habitudes helvétiques habituelles, une terrasse attenante à la pièce de séjour fait partie de l’habitation, de sorte que la suppression du seuil, permettant aux deux enfants d’y accéder librement et de participer à (toute) la vie de la famille, doit être prise en charge par l’AI. C’est d’autant plus vrai que le coût de la mesure est ici très faible (CHF 1'050.-).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 8C_872/2017 du 3 septembre 2018
Assurance-accidents; procédure; for auprès de la succursale; art. 58 al. 1 et 58 al. 2 LPGA; 1 al. 1 LAA
Un maçon domicilié en France travaille auprès d’une entreprise dont le siège principal est situé dans le canton de Neuchâtel mais la succursale est située à Genève. Se pose la question du for en matière d’assurances sociales.
Aux termes de l’art. 58 al. 1 LPGA, en liaison avec l’art. 1 et al. 1 LAA, le tribunal des assurances compétent pour connaître d’un recours contre une décision en matière d’assurance-accidents obligatoire est celui du canton de domicile de l’assuré ou d’une autre partie au moment du dépôt du recours. Selon l’al. 2, si l’assuré ou une autre partie sont domiciliés à l’étranger, le tribunal des assurances compétent est celui du canton de leur dernier domicile en Suisse ou celui du canton de domicile de leur dernier employeur suisse ; si aucun de ces domiciles ne peut être déterminé, le tribunal des assurances compétent est celui du canton où l’organe d’exécution a son siège.
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Le TF ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste.
Le TF considère qu’il y a lieu d’admettre l’existence d’un for au lieu de la succursale – en tant que domicile du dernier employeur suisse – s’il constitue pour le litige un point de rattachement prépondérant. Tel est le cas lorsque l’assuré a travaillé pour la succursale d’une société, dans un canton différent du siège principal. Une telle solution est compatible avec le sens de l’art. 58 LPGA, dont le régime en cascade entend favoriser l’assuré. Il s’agit là d’une compétence alternative, dès lors qu’il est uniquement question de faciliter l’action en justice et que rien n’empêche un justiciable de saisir le tribunal du canton de l’établissement principal.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

TF 8C_421/2018 du 28 août 2018
Assurance-invalidité; traitement médical; pluralité d’assureurs; coordination; art. 36 al. 1 LAA; 64 al.2 LPGA
Lorsque le traitement médical est nécessaire en raison d’une atteinte à la santé partiellement imputable à un accident, il appartient à l’assurance-accident de prester et non pas à l’assurance-invalidité. L’ordre de priorité de l’art. 64 al. 2 LPGA ne conduit pas à une autre solution même si les frais médicaux sont en l’occurrence pris en charge par la caisse-maladie conformément à l’art. 1a al. 2 let. b LAMal en raison du fait qu’il s’agit d’un assuré mineur qui n’exerce pas d’activité professionnelle.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 4A_652/2017 du 24 août 2018
Assurances privées; interprétation d’une clause des CGA; exclusion de couverture; art. 18 al. 1 CO
Les CGA de l’assurance RC souscrite par un courtier en assurances contiennent une exclusion pour les dommages consécutifs à l’insolvabilité d’un assureur ou réassureur (« Nicht versichert sind Schäden infolge Insolvenz eines Versicherers oder Rückversicherers »). Ce courtier conseille à un employé qui envisage de devenir indépendant de faire virer sa prestation de libre-passage auprès de la fondation de libre-passage X, en donnant la garantie expresse que la prestation est garantie par le fonds de garantie LPP. La fondation transfère le montant à une caisse de pension X.
Peu après le transfert, la fondation X est mise en faillite. De même, la caisse de pension X est liquidée. Le fonds de garantie LPP refuse d’intervenir, au motif que l’employé n’a jamais été assuré activement auprès de la caisse de pension X et que la conservation du montant au sein de la caisse de pension était illégale (appréciation confirmée par le TF à l’ATF 141 V 650). L’employé ouvre action contre son courtier pour violation de son devoir de diligence, lequel dénonce l’instance à son assureur RC. Le tribunal de première instance admet l’erreur du courtier et condamne l’assureur RC à payer la prestation de libre-passage.
L’assureur RC recourt et se prévaut de l’exclusion prévue dans les CGA en matière d’insolvabilité. Il obtient gain de cause. Le courtier recourt devant le TF.
Celui-ci interprète la clause contractuelle selon le principe de la confiance. Contrairement à ce qu’affirme l’instance inférieure, le TF estime qu’une clause d’exclusion peut également servir à clarifier une situation, sans pour autant avoir une portée pratique significative. Dans ce sens, il estime que la clause ici discutée peut être interprétée de deux manières. Soit elle exclut tous les cas dans lesquels l’insolvabilité est la cause même partielle du dommage, ce qui amène à des exclusions non prévisibles d’emblée pour l’assuré et le lésé (thèse admise par l’instance cantonale supérieure). Soit elle vise uniquement à rappeler que le lésé ne peut pas construire une responsabilité civile du courtier sur le simple fait que l’assureur avec lequel le lésé a souscrit du fait des conseils du courtier est devenu insolvable.
En l’espèce, le TF laisse la question ouverte. Il relève que l’assureur RC lui-même justifie l’exclusion par le fait que l’assureur RC ne peut pas répondre de tous les cas de faillites, auquel cas il pourrait potentiellement répondre d’un nombre inconnu de prétentions, qui sont impossibles à modéliser dans un calcul de risques.
En l’espèce, la situation est différente. La violation contractuelle du courtier réside dans la fausse information que le transfert était couvert par le fonds de garantie LPP. La probabilité que le courtier donne ce genre de mauvaise information n’est pas augmentée du fait de l’insolvabilité. Par conséquent, il ne s’agit pas ici d’un risque incalculable pour l’assureur RC et le preneur d’assurance ne devait de bonne foi pas considérer que même les prétentions qui ne tombent pas sous ce risque sont exclues. L’incertitude contenue dans les CGA doit être assumée par l’assureur. Par conséquent, le recours est admis et l’assureur condamné à payer la prestation de libre passage.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 2C_34/2017 - ATF 144 I 318 du 24 août 2018
Responsabilité de l’Etat; aménagement du territoire; illicéité; retard injustifié; art. 35 al. 1 let. b LAT; 29 Cst.
L’art. 35 al. 1 let. b LAT n’est pas une norme destinée à protéger les propriétaires fonciers contre l’éventuelle survenance d’un préjudice patrimonial en lien avec un retard dans la planification de leurs biens-fonds. Son objectif est de s’assurer que le territoire de chaque canton soit planifié conformément à la législation fédérale dans un laps de temps déterminé, notamment en réduisant les zones à bâtir surdimensionnées.
En revanche, une violation de l’art. 29 al. 1 Cst. peut en elle-même constituer un acte illicite propre à engager la responsabilité de l’Etat, sans qu’il soit nécessaire qu’une autre disposition tendant à protéger les intérêts des individus soit violée. En effet, cette norme garantit expressément le droit du justiciable à ce qu’une décision le concernant soit prise dans un délai raisonnable et impose donc à l’autorité de statuer sans retard. Elle a ainsi pour but la protection des intérêts particuliers, y compris les intérêts patrimoniaux des justiciables.
Le TF précise cependant que la violation de cette norme constitutionnelle dans le cadre d’une procédure d’adoption des plans d’affectation ne constitue pas dans tous les cas un acte illicite susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat. Cela dépend de la nature de l’acte dont l’omission est reprochée à l’autorité. Ainsi, une décision constatant, de manière toute générale, un déni de justice dans le cadre d’une procédure de planification ne suffit pas à fonder une illicéité (art. 4 LRECA/VD) de la part de l’autorité à qui incombe la planification, faute de lien suffisamment intense avec le particulier qui s’estime lésé par l’acte omis dont la nature juridique se situe entre l’acte législatif et la décision. En revanche, si une violation de l’art. 29 al. 1 Cst. est constatée s’agissant du retard dans la planification d’une ou plusieurs parcelles bien définies, sur la base d’un recours pour déni de justice interjeté par le propriétaire de celles-ci qui se plaint de l’inactivité de l’autorité, cette violation constitue un acte illicite susceptible d’engager la responsabilité de la collectivité publique concernée, l’acte omis relevant alors d’avantage de la décision que de la norme législative.
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne.


TF 5A_172/2018 du 23 août 2018
Prévoyance professionnelle; divorce; partage de la prévoyance; droit transitoire; art. 7d Tit. fin. CC
Le TF admet le recours interjeté par l’ex-conjoint débiteur d’une part de sa prestation de sortie, selon l’art. 122 CC. La Haute Cour confirme (cf. TF 5A_710/2017 du 30 avril 2018), en écartant les avis doctrinaires contraires, que l’art. 7d Tit. fin. CC ne souffre aucune interprétation quant à la date déterminante pour le partage lorsque la procédure était déjà pendante lors de l’entrée en vigueur du nouveau droit. En particulier, les motifs pour lesquels la procédure a perduré au-delà du 1er janvier 2017 ne sont pas des circonstances pertinentes pour l’application du droit transitoire.
Dans ce contexte, les principes généraux de non-rétroactivité et de protection de la bonne foi de la partie faible ne trouvent pas application.
Auteur : Guy Longchamp
TF 4A_208/2018 du 22 août 2018
Assurances privées; procédure; récusation des juges; art. 6 et 34 CEDH; 30 Cst.
Dans le cas d’espèce, un avocat recourt contre la composition d’une instance régionale et exige la récusation d’un des juges désignés. Suite au rejet de sa demande, le mandataire poursuit la procédure jusqu’au TF en demandant au passage également la récusation de différents juges fédéraux. Le TF constate que cet avocat présente systématiquement les mêmes griefs contre le mode d’attribution des affaires aux juges devant les différentes instances, si bien que le recours en question contient des passages repris d’anciennes écritures qui sont sans lien avec la présente affaire. Il se plaint notamment d’un manque de transparence du mode de répartition aléatoire des affaires aux différents juges et d’une violation des art. 6 et 34 CEDH sans toutefois présenter de réels motifs de récusation (c. 1.1 et 6).
Il est rappelé que les erreurs de procédure ne permettent qu’exceptionnellement de remettre en cause l’impartialité des juges. Pour cela, il faut des motifs objectifs pour considérer que les erreurs de droit commises laissent également penser qu’il y a un comportement manquant de distance et de neutralité de la part du juge. Il doit s’agir d’erreurs particulièrement crasses et de méprises répétées qui représentent une violation grave des devoirs des juges dont on peut déduire une volonté manifeste de désavantager une des parties (c. 2).
En l’occurrence, l’avocat critique systématiquement dans toutes ses affaires les juges désignés sur le plan cantonal, à tel point que finalement toute la cour civile du canton de Berne est concernée par ses demandes de récusation (c. 3). Le recours en question est manifestement procédurier et abusif, car les arguments développés sont toujours identiques et ont déjà fait l’objet de plusieurs décisions de rejet de la part du TF. La Haute cour n’entre pas en matière sur le présent recours et condamne l’avocat à titre personnel au paiement des frais de justice (c. 8).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 8C_716/2017 - ATF 144 V 299 du 20 août 2018
Allocations familiales; ordre de priorité; enfant domicilié à l’étranger; garde alternée; art. 7 al. 1 let. d et e LAFam; 13 LPGA; 23 CC
Deux parents divorcés, exerçant une activité lucrative dépendante dans des cantons différents, se partagent la garde de leur fils à hauteur de 50%. L’art. 7 al. 1 let. d LAFam n’est pas applicable au cas d’espèce dans la mesure où la lettre d traite du versement d’allocations familiales du canton de domicile de l’enfant, même si la mère travaille et est domiciliée dans le canton de Bâle (c. 5.2.4).
En effet, le TF détermine que le domicile de l’enfant se trouve manifestement chez le père, soit en France, au sens de l’art. 25 al. 1 CC, puisque dans le contexte d’une garde partagée c’est bien en France que l’enfant est scolarisé, fréquente le conservatoire de musique et est membre du tennis club. (c. 5.3.3.4). De plus, il est expressément mentionné dans la convention de divorce que le domicile légal de l’enfant se trouve chez son père (c. 4. 3).
Comme les deux parents exercent une activité lucrative dépendante en Suisse, la cause est renvoyée à la Caisse de compensation afin qu’elle détermine quel parent perçoit le revenu soumis à l’AVS le plus élevé conformément à l’art. 7 al. 1 let. e LAFam (c. 5.3.4).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 9F_5/2018 du 16 août 2018
Assurance-invalidité; expertises; « Corelagate »; révision d’un arrêt du TF art. 123 al. 2 let. a LTF
Par décision du 10 juillet 2014, l’AI avait rejeté la demande de prestations d’une assurée en se basant sur une expertise psychiatrique réalisée par le Dr B., spécialiste en psychiatrie rattaché à la clinique Corela, lequel concluait que les diagnostics de trouble obsessionnel compulsif et trouble de l’adaptation, auxquels s’associait une personnalité anankastique étaient sans incidence sur la capacité de travail. Le tribunal cantonal fribourgeois puis le TF avaient rejeté les recours déposés par l’assurée par arrêts respectifs des 5 juillet 2016 et 12 décembre 2016.
A la suite de l’arrêté du Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé de la République et canton de Genève ayant retiré à la clinique Corela l’autorisation d’exploiter une institution de santé pour une durée de trois mois, décision confirmée par arrêt du TF du 22 décembre 2017, du moins en ce qui concerne les départements « psychiatrie » et « expertise », l’assurée a demandé la révision de l’arrêt du TF du 12 décembre 2016 en invoquant l’art. 123 al. 2 let. a LTF et en se prévalant de faits constatés par le TF dans l’arrêt du 22 décembre 2017, dont elle avait eu connaissance par un communiqué de presse de la Cour de justice du canton de Genève, publié le 20 mars 2018 dans la Tribune de Genève. La demande de révision ayant été déposée dans les 90 jours après la connaissance du retrait de l’autorisation publié dans le quotidien genevois et pour des motifs prévus par la loi (découverte après coup de faits pertinents ou de moyens de preuve concluants qui n’avaient pas pu être invoqués dans la procédure précédente) a été déclarée recevable.
Le TF a admis la demande de révision en relevant que les très importants manquements constatés (modification et signature de dizaines d’expertises par le responsable médical du département « expertise » sans avoir vu les expertisés et sans l’accord de l’expert) soulevaient de sérieux doutes quant à la manière dont ces expertises avaient été effectuées au sein de la clinique Corela et portaient atteinte à la confiance que les personnes assurées et les organes de l’assurance-invalidité étaient en droit d’accorder à l’institution chargée de l’expertise. En effet, il n’est pas admissible de reprendre des conclusions d’une expertise qui a été établie dans des circonstances ébranlant de manière générale la confiance placée dans l’institution mandatée pour l’expertise en cause, de la même façon que l’on ne peut pas se fonder sur une expertise lorsqu’il existe des circonstances qui soulèvent des doutes quant à l’impartialité et l’indépendance de son auteur fondés sur une approche objective. L’arrêt du TF du 12 décembre 2016 a été annulé et la cause renvoyée à l’office AI pour qu’il complète l’instruction sur le plan médical en mettant en œuvre une expertise indépendante et statue à nouveau, l’état de santé de la requérante et ses répercussions sur la capacité de travail ne pouvant être appréciés sans cela.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 9C_600/2017 du 9 août 2018
Assurance-vieillesse et survivants; affiliation à l’assurance d’un ressortissant suisse travaillant à l’étranger; art. 1a al. 1 let. c ch. 3 LAVS
Aux recourants qui soutiennent que c’est l’art. 1a al. 1 let. c ch. 3 LAVS qui doit leur être appliqué, et ce par analogie, le TF rétorque que la disposition en question ne parle que de ressortissants « au service d’organisations d’entraide privées soutenues de manière substantielle par la Confédération [...] ». Or le TF de constater que ni l’organisation X., ni le mouvement Y. ne figure dans la liste que l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a, d’après l’art. 1a al. 2 RAVS, établi d’entente avec la Direction du développement et de la coopération (DDC). Dès lors, lesdites dispositions étant claires, il n’y a pas, dit le TF, lieu d’examiner la question de savoir si elles respectent ou non les principes et buts de l’art. 11 de la Loi fédérale du 19 mars 1976 sur la coopération au développement et l’aide humanitaire internationales. En conséquence de quoi, les recourants ne peuvent, pour la période qui va de fin octobre 2012 à fin mai 2015, pas être considérés, conformément à l’art. 1a al. 1 let. c ch. 3 LAVS, comme des « ressortissants suisses qui travaillent à l’étranger au service d’une organisation d’entraide privée soutenue de manière substantielle par la Confédération en vertu de l’art. 11 de la loi fédérale du 19 mars 1976 sur la coopération au développement et l’humanitaire internationales » (c. 4.4).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 9C_730/2017 - ATF 144 V 333 du 7 août 2018
LAMal; prise en charge de médicaments dans des cas particuliers; art. 71b OAMal
L’art. 71b OAMal, qui prévoit la prise en charge, par l’assurance obligatoire des soins, d’un médicament autorisé par Swissmédic mais ne figurant pas sur la liste des spécialités, dans certaines conditions (existence d’un complexe thérapeutique ou danger de mort ou d’altération grave de la santé en l’absence d’alternative thérapeutique), est également applicable aux préparations magistrales (art. 9 al. 2 let a LPTh).
Dans ces cas, la condition de l’autorisation de Swissmédic n’est certes pas réalisée. Le TF retient cependant que l’exigence de protection de la santé publique à laquelle répond le mécanisme d’autorisation pour les médicaments prêts à l’emploi est réalisée d’une manière équivalente pour les préparations magistrales, dans la mesure où celles-ci sont préparées par un pharmacien, sur la base d’une ordonnance d’un médecin, les deux étant au bénéfice de la formation requise et soumis au contrôle des autorités. Dans ces conditions, le TF estime, contrairement à la caisse-maladie et à l’OFSP, que le législateur n’a pas voulu interpréter de manière trop restrictive l’art. 71b OAMal. Par conséquent, le TF conclut que les préparations magistrales peuvent également être examinées à l’aune de ses conditions.
En l’espèce, un assuré souffrant du syndrome de Lyell, qui avait déjà perdu l’usage de son œil gauche, s’est vu reconnaître la prise en charge d’un sérum autologue destiné à stabiliser la vision de son œil droit, à défaut d’alternative thérapeutique.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


TF 8C_107/2018 du 7 août 2018
Assurance-chômage; mobbing; degré de la faute; art. 16 al. 2 let. c LACI; 45 al. 4 let. a OACI
Le fait, pour un employé, d’avoir reçu une évaluation professionnelle qui déclare simplement « remplit les exigences et atteint les objectifs » alors que cet employé est considéré comme un bon, voire très bon élément, d’avoir été accusé injustement d’un acte répréhensible ou encore certaines divergences entre des certificats de travail intermédiaires ne suffisent pas pour justifier d’un mobbing (c. 5). Il n’est pas possible de retenir qu’un poste de travail n’est pas convenable pour des motifs de santé au sens de l’art. 16 al. 2 let. c LACI sans avoir produit de certificat médical ou d’autres preuves appropriées (c. 5). Le TF confirme qu’il est possible de s’écarter de la lettre de l’art. 45 al. 4 let. a OACI en qualifiant l’abandon d’un emploi convenable sans être assuré d’avoir retrouvé une place de travail de faute moyenne. Le TF n’a en outre pas à examiner la quotité des 20 jours retenus à titre de sanction (c. 6).
Auteure : Rebecca Grand, avocate à Lausanne

TF 4A_189/2018 du 6 août 2018
Responsabilité du propriétaire d’ouvrage; caractère défectueux d’un échafaudage; art. 58 CO et 37 al. 2 OTConst.
Le propriétaire d’ouvrage au sens de l’art. 58 CO est en principe le propriétaire au sens des droits réels, même s’il cède la possession immédiate de la chose, par exemple en livrant un échafaudage pendant plusieurs mois ; la jurisprudence n’envisage que de rares exceptions à ce principe, dans des cas où une collectivité publique exerce sur la chose une maîtrise analogue à celle d’un propriétaire. Par ailleurs, l’instance cantonale a certes appliqué à tort l’art. 101 CO (responsabilité pour auxiliaires) à un cas de responsabilité extracontractuelle ; mais cela n’est d’aucun secours à la recourante car la responsabilité objective du propriétaire d’ouvrage englobe les modifications ou le manque d’entretien qui sont le fait d’un tiers (c. 4.2).
Un ouvrage est défectueux lorsqu’il ne présente pas une sécurité suffisante pour l’usage auquel il est destiné. En l’occurrence, un saut d’une hauteur d’un demi-mètre correspond à l’utilisation normale d’un échafaudage ; l’art. 37 al. 2 let. e OTConst prévoit en effet qu’un échafaudage doit pouvoir supporter toutes les forces dynamiques comme celles résultant d’un saut, d’une chute ou d’une trépidation (c. 4.3).
Le devoir de garantir la sécurité d’un ouvrage est limité par la proportionnalité économique et les possibilités techniques. Mais la recourante ne peut rien en tirer, n’ayant jamais contrôlé, cas échéant entretenu l’échafaudage après qu’elle l’a livré (c. 4.4).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg


TF 4A_176/2018 du 6 août 2018
Assurances privées; fardeau de la preuve; clause insolite; faute légère; art. 8 CC; 14 et 98 LCA
Dans une relation contractuelle, les parties peuvent énoncer une liste de situations entraînant une prise en charge par l’assureur, ou définir le risque assuré en introduisant des clauses d’exclusion. La méthode choisie a une incidence sur le fardeau de la preuve. Dans un tel cas de figure, il incombe à l’assurée de démontrer la réalisation d’un cas de couverture.
Selon la règle dite de l’insolite, sont soustraites de l’adhésion censée donnée globalement à des conditions générales toutes les clauses inhabituelles, sur l’existence desquelles l’attention de la partie la plus faible ou la moins expérimentée en affaires n’a pas été spécialement attirée. La règle de l’insolite s’applique en particulier lorsque la clause a pour effet de réduire drastiquement la couverture d’assurance au point que les risques les plus fréquents ne sont plus couverts, ou lorsque le sens et la portée d’une disposition sont travestis par une formulation compliquée, ou encore lorsque, par son emplacement dans les conditions générales, elle apparaît surprenante et inattendue à l’assuré.
Une clause qui exige, pour que le risque assuré soit couvert, que des bijoux de grande valeur soient portés par la personne assurée, ou transportés « à la main » sous sa surveillance personnelle, ou déposés dans une banque ou dans un coffre fermé, respectivement dans le coffre principal d’un hôtel, ne saurait être qualifiée d’insolite.
Selon l’art. 14 al. 4 LCA, si le sinistre est dû à une faute légère du preneur d’assurance ou de l’ayant droit, la responsabilité de l’assureur demeure entière. Ce régime ne peut pas être modifié au détriment du preneur d’assurance ou de l’ayant droit (art. 98 al. 1 LCA). En revanche, les parties sont libres d’exclure toute prestation en cas de faute grave.
La formulation des clauses qui imposent un certain devoir de diligence, par exemple lorsqu’elles préconisent une surveillance personnelle, est suffisamment large pour se concilier avec l’art. 14 al. 4 LCA.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 4A_650/2017 du 30 juillet 2018
Assurances privées; assurance perte de gain maladie; maladie antérieure au début de l’activité professionnelle; couverture; art. 9 et 33 LCA
Le recourant a été engagé comme monteur en façades du 7 avril au 9 mai 2014 dans une entreprise correspondante, le rapport de travail ayant pris fin pendant la période d’essai. L’employeur a annoncé une incapacité de travail en rapport avec des troubles schizo-affectifs avec effet au 9 mai 2014. L’assureur perte de gain maladie a toutefois refusé de prendre le cas en charge au motif que l’incapacité de travail était survenue après les rapports de travail.
L’enjeu porte sur le point de savoir s’il est possible pour un employeur preneur d’assurance d’exclure expressément, au travers d’un questionnaire d’assurance, des prestations plus étendues prévues dans une CCT, exclusion au demeurant prévue dans les CGA du contrat d’assurance.
En l’occurrence, le recourant s’est prévalu d’une application arbitraire opérée par la juridiction cantonale. Cette appréciation a été écartée par le TF qui a estimé que le résultat global n’était en l’espèce pas insoutenable. Le TF a de plus retenu que l’on n’était pas en présence d’une clause de contrat d’assurance peu claire, faute d’avoir été suffisamment motivée par le recourant.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 9C_164/2018 du 27 juillet 2018
Assurance-invalidité; revenu sans invalidité; art. 16 LPGA
Dans cette décision, le TF rappelle que n’est pas déterminant pour la fixation du revenu hypothétique de la personne valide le salaire que la personne assurée réaliserait actuellement auprès de son ou de ses anciens employeurs mais bien plutôt celui qu’elle réaliserait si elle n’était pas devenue invalide : en d’autres termes, le salaire réalisé en dernier lieu par la personne assurée (composé par exemple d’une rémunération principale et de rémunérations accessoires) ne peut être pris en considération au titre de revenu sans invalidité que s’il est établi au degré de la vraisemblance prépondérante que la personne assurée aurait continué à le percevoir.
En l’espèce, les juges fédéraux admettent le recours interjeté par l’Office AI, dès lors qu’aucun élément objectif ne permet de retenir que la personne assurée aurait continué à percevoir, parallèlement à sa rémunération principale, les rémunérations accessoires versées avant la survenance de l’incapacité de travail invalidante. En effet, celles-ci étaient essentiellement d’une durée limitée dans le temps, avec des taux d’occupation qui n’avaient cessé de diminuer. Aussi, le revenu sans invalidité doit être calculé sur la base d’une moyenne de tous les revenus (à caractère principal et accessoire) réalisés durant les cinq ans précédant l’accident.
Auteur : Guy Longchamp

TF 6B_390/2018 du 25 juillet 2018
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence; lien de causalité naturelle; art. 125 CP
L’infraction de lésions corporelles par négligence, sanctionnée par l’art. 125 CP, suppose la réalisation de trois conditions : une négligence, une atteinte à l’intégrité physique et un lien de causalité naturelle et adéquate entre ces deux éléments.
Les interventions médicales réalisent les éléments constitutifs objectifs d’une lésion corporelle en tout cas si elles touchent à une partie du corps (par exemple lors d’une amputation) ou si elles lèsent ou diminuent, de manière non négligeable et au moins temporairement, les aptitudes ou le bien-être physiques du patient. Cela vaut même si ces interventions étaient médicalement indiquées et ont été pratiquées dans les règles de l’art.
En procédure pénale, il incombe à l’accusation de prouver une violation du devoir d’information du médecin. Le fardeau de la preuve du consentement éclairé du patient, en tant qu’il constitue un fait objectif justificatif, incombe au prévenu, qui y satisfait déjà en rendant vraisemblables ses allégations.
La cour cantonale a distingué la circoncision du prépuce de la prise en charge subséquente. Elle a retenu que les atteintes subies par C. (amputation du gland, fistule, risque de sténose, hospitalisation et soins nécessités pour la santé physique et psychique de l’enfant) ne résultaient pas des actes du médecin pratiqués post amputation, mais de la circoncision qui ne s’était pas déroulée comme prévu. Dans la mesure où le lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes du médecin pratiqués post amputation et les atteintes à la santé du patient faisait défaut, la question de savoir si le recourant avait donné son accord à l’anastomose, ou, en l’absence d’un tel consentement, s’il aurait accepté l’opération en ayant été dûment informé, pouvait souffrir de rester indécise. Il n’était pas davantage nécessaire de déterminer si ces divers actes étaient constitutifs d’imprévoyances coupables.
C’est en se fondant sur une appréciation des moyens de preuve dénuée d’arbitraire que la cour cantonale a conclu à l’absence de lien de causalité naturelle entre les lésions de l’enfant et les actes du médecin pratiqués post amputation. Étant établi que seule la circoncision est en lien de causalité avec les atteintes subies, c’est à raison que la cour cantonale a considéré que la question de savoir s’il existait un fait justificatif n’était pertinente qu’en ce qui concernait cette seule intervention. A cet égard, l’intervention de circoncision a fait l’objet d’un consentement éclairé. Il s’ensuit, d’une part, que l’acte qui a atteint l’intégrité physique et psychique de C. repose bien sur un fait justificatif ; d’autre part, qu’il est sans objet de savoir si X. a consenti à l’anastomose pratiquée par A. sur son fils, ou encore de déterminer si les gestes post ablation relèvent d’une imprévoyance coupable, puisqu’ils n’ont pas causé l’atteinte à l’intégrité corporelle.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 2C_372/2018 du 25 juillet 2018
Responsabilité de l’Etat; péremption de la prétention; compétence; transmission d’office; art. 434 CPP; 1 et 20 LRCF; 8 et 9 PA
Une ordonnance du MP de la Confédération condamnant une société pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires afin d’empêcher la corruption d’agents publics étrangers mentionne A. comme destinataire des pots-de-vin. Cette ordonnance, datée du 22 novembre 2011, a été entièrement publiée sur le site internet du MP de la Confédération, sur le site internet d’une autorité lettone ainsi que sur le site de la société condamnée. Bien que retirée des deux premiers sites, l’ordonnance reste toujours accessible sur internet. Après avoir refusé à A. l’accès au dossier, le MP le lui accorde le 9 novembre 2012. Le 7 août 2013, A. dépose une requête en dommages-intérêts et en tort moral selon l’art. 434 CPP auprès du MP de la Confédération ; il invoque le fait que celui-ci l’a nommément désigné comme destinataire des pots-de-vin alors qu’il n’a jamais été entendu ni condamné pour corruption. Le 22 août 2013, MP de la Confédération l’informe qu’il n’est pas compétent pour statuer et que sa requête va être transférée au Département fédéral des finances en application de la LRCF. A. insiste pour obtenir une décision formelle du MP, qu’il attaque ensuite sans succès auprès du TPF. Finalement, le 6 mai 2014, il introduit une action en responsabilité auprès du Département fédéral des finances, lequel admet que le MP de la Confédération a violé sa présomption d’innocence, mais rejette sa requête d’indemnité pour tort moral en estimant que celle-ci est périmée.
Selon l’art. 20 al. 1er LRCF, la responsabilité de la Confédération s’éteint si le lésé n'introduit pas sa demande de dommages-intérêts ou d’indemnité à titre de réparation morale dans l’année à compter du jour où il a eu connaissance du dommage. Malgré le fait que A. a eu connaissance du dommage à partir du 9 novembre 2012, date à laquelle le MP de la Confédération lui a donné accès au dossier, ce dernier fait valoir que le délai d’un an n’avait pas encore commencé à courir. Selon lui, l’atteinte à sa personnalité n’avait pas encore pris fin, étant donné que l’ordonnance pénale litigieuse était toujours accessible sur internet (en dépit du fait que les autorités qu’il l’avaient initialement publiée l’avaient déjà supprimée de leur propre site). Le TF considère que le droit de faire cesser une atteinte à la personnalité ne peut pas se prescrire tant que l’atteinte à la personnalité subsiste. Cependant, il est possible que, malgré le fait que l’atteinte à la personnalité subsiste encore, le dommage soit suffisamment connu pour déclencher le délai d’un an de l’art. 20 al. 1er LRCF. En l’espèce. Le TF a considéré que les autorités qui avaient initialement publié l’ordonnance pénale litigieuse l’avaient supprimée par la suite, de sorte que l’atteinte à la personnalité ne se renouvelait et ne s’aggravait plus dès cet instant. Selon le TF, il est notoire que ce qui a été publié sur internet ne s’efface, en principe, jamais complètement. Ce fait, qui était connu dès le début de l’atteinte, n’empêchait pas A. de connaître, dans les grandes lignes, son dommage, qui ne peut, de toute manière, jamais être chiffré de manière précise. Admettre le contraire signifierait qu’une atteinte à la personnalité commise sur internet ne se prescrirait jamais. Il a donc considéré la prétention en tort moral comme périmée (c. 3).
Le TF a encore examiné si le MP de la Confédération aurait dû transmettre d’office la demande de A. du 7 août 2013 au Département fédéral des finances, conformément aux art. 8 PA et art. 1er al. 3 LRCF. Il a décidé que tel n’était pas le cas. En effet, selon la doctrine, il n’y a pas d’obligation de transmission entre les autorités civiles, pénales et administratives. L’art. 8 PA n’est pas applicable si une partie prétend qu’une autorité est compétente alors que cette dernière ne se considère pas comme telle. Dans un tel cas, l’autorité doit uniquement rendre une décision d’irrecevabilité (selon l’art. 9 PA). Si le même état de fait confère à un justiciable divers droits, dont certains relèvent du droit civil et d’autres du droit pénal ou du droit administratif (« Anspruchskonkurrenz »), l’autorité abordée n’examinera que les prétentions pour lesquelles elle est compétente, sans statuer sur d’autres éventuelles prétentions qui ne relèvent pas de sa compétence. Dans le cas d’espèce, A. a expressément demandé au MP de la Confédération de rendre une décision formelle, malgré le fait que celui-ci l’avait informé qu’il ne se considérait pas compétent. Conformément à l’art. 9 PA, le MP de la Confédération pouvait donc se contenter de constater son incompétence, sans être tenu de transmettre le dossier à l’autorité compétente (c. 4).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 9C_657/2017 du 23 juillet 2018
Art. 53d et 65b LPP; liquidation partielle; provision; art. 27g et 48e OPP 2
Une caisse de pensions procède à une liquidation partielle en raison de la perte d’un gros contrat de prestations au 31 décembre 2012. Le 29 janvier 2014, la caisse demande à l’autorité de surveillance, également en fonction de l’évolution du nombre de personnes assurées jusqu’au 1er janvier 2015, à pouvoir effectuer des modifications aux résolutions de liquidation partielle et un nouveau calcul, respectivement un ajustement du solde de liquidation partielle au 31 décembre 2012, dû en partie à « des transferts de retraités à des conditions plus favorables » (c. 5.3.1). Le litige porte principalement sur la constitution d’une provision (« Rentnerdeckungskapital ») créée en 2012 et convertie sous le terme « Rentnerkasse » en 2014.
Le TF confirme tout d’abord que la provision reste avant tout un moyen comptable qui sert à déterminer le montant des actifs et que le plus important pour déterminer de la constitution justifiée d’une provision est le fondement objectif de cette dernière (c. 3.5). En l’occurrence, la provision « Rentnerdeckungskapital » est considérée comme justifiée (c. 4.4.). Par contre, le TF considère que la demande du 29 janvier 2014 doit amener à procéder à une nouvelle liquidation partielle, notamment parce qu’elle se fonde sur un événement déclencheur différent (c. 5.2.1 et 5.2.2). Or la procédure exacte et la situation concernant la situation de la deuxième liquidation partielle au 31 décembre 2014 ne sont pas suffisamment documentées (c. 5.3.2). Le TF décide donc de renvoyer la cause à la Caisse de pension en lui demandant de réexaminer la question de « Rentnerkasse ». A noter qu’en application des art. 53d al. 1 LPP et art. 27g al. 1 OPP 2, lors d’une liquidation partielle ou totale, il existe un droit individuel à une part des fonds libres en cas de sortie individuelle ; en cas de sortie collective, ce droit peut être individuel ou collectif (c. 2.1.).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne

TF 8C_812/2017 du 23 juillet 2018
Loi sur l’assurance-chômage; indemnité de chômage, travail sur appel; période de cotisation; perte de travail à prendre en considération; art. 8 al. 1 let. b et e ainsi que 11 al. 1 LACI
Le droit à l’indemnité de chômage suppose notamment que les exigences relatives à la période de cotisation soient remplies (art. 8 al. 1 let. e LACI) et que l’assuré subisse une perte de travail à prendre en considération (art. 8 al. 1 let. b LACI). La perte de travail doit être prise en considération lorsqu’elle se traduit par un manque à gagner et dure au moins deux journées de travail consécutives (art. 11 al. 1 LACI).
Selon la jurisprudence, la perte de travail est généralement calculée en fonction de l’horaire de travail habituel dans la profession ou le domaine d’activité concernés, voire en fonction de l’horaire de travail prévu par une convention particulière. En matière de travail sur appel, le travailleur ne subit en principe pas de perte de travail, resp. pas de perte de gain à prendre en considération lorsqu’il n’est pas appelé. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’une telle perte de gain peut être déterminante, lorsque les appels diminuent après que l’assuré ait été appelé de manière plus ou moins constante pendant une période prolongée.
Pour déterminer si une activité exercée est suffisamment régulière, le TF admet que la méthode d’évaluation établie par le SECO (cf. N B95 ss concernant le contrat de travail sur appel du bulletin LACI IC) est appropriée en matière de contrat sur appel d’une relativement courte durée. Une période de référence de 12 mois est ainsi considérée comme adéquate pour une activité d’environ 2 ans.
Dans le cas particulier, l’activité exercée par l’assurée (intimée) ne peut être admise comme ayant été suffisamment régulière pour tenir compte d’une perte de travail à prendre en considération en présence de fluctuations de travail trop importante (en l’occurrence, sur une période de 12 mois avant la perte de travail, il y a eu 2 mois sans aucune activité exercée et 2 autres durant lesquels l’activité exercée s’est limitée à 2 et 6 jours). Pour un tel cas de figure, le TF conclut que le droit à l’indemnité de chômage serait nié si l’activité exercée devait être considérée comme du travail sur appel.
Le TF laisse en revanche ouverte in casu la question de la qualification de la nature des rapports de travail, resp. de savoir si l’activité de l’assurée concernée (soit des remplacements au sein de l’enseignement obligatoire) pouvait être considérée comme un travail sur appel (ou au contraire comme des missions distinctes comme allégué par la caisse de chômage).
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel

TF 9C_446/2017 - ATF 144 V 280 du 20 juillet 2018
Assurance-maladie; financement résiduel des soins; séjour en EMS; art. 25a al. 5 LAMal; 7 al. 2 OPAS
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime de financement des soins, au 1er janvier 2011, la contribution de l’AOS au financement des soins de longue durée est fixée par le Conseil fédéral, la part restante des coûts devant être supportée par les pouvoirs publics (cantons et/ou commune) et par la personne assurée, la participation de cette dernière étant cependant plafonnée.
Les cantons sont compétents pour régler le financement résiduel des soins. Ils jouissent, ce faisant, d’un large pouvoir d’appréciation. En l’espèce, la législation saint-galloise prévoit un plafonnement de la participation cantonale, modalité qui n’est pas interdite par l’art. 25a al. 5 LAMal. Se pose en revanche la question de savoir qui doit supporter les coûts effectifs dépassant ces plafonds.
Le TF rappelle que seuls les pouvoirs publics et les EMS entrent en ligne de compte, le surcoût ne pouvant pas être reporté sur la personne assurée, notamment par le biais de taxes de séjour plus élevées. En l’occurrence, compte tenu de la volonté très claire du législateur, c’est aux pouvoirs publics de prendre en charge cette différence, le dépassement systématique des plafonds cantonaux par un EMS ne pouvant servir qu’à des fins de pilotage.
Le TF précise encore qu’il n’appartenait pas aux juges cantonaux de mettre en œuvre une expertise, le besoin en soins de la personne assurée étant clairement établi. Si l’on avait voulu mettre en cause le caractère économique de ces prestations, il eût convenu de passer par la voie d’une procédure arbitrale, conformément à l’art. 8a OPAS.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_59/2018 du 19 juillet 2018
Assurance-chômage; période de cotisation; retraite anticipée; poursuite d’une activité salariée après la retraite; licenciement économique; surindemnisation; art. 8 al. 1 let. e, 9 al. 3, 13 al. 1 et 22 LACI; 12 al. 1 et 2 OACI; 21 LAVS
L’assuré exposé à un licenciement hypothétique qui choisit librement de bénéficier d’une retraite anticipée doit se voir appliquer l’art 12 al. 1 OACI à teneur duquel seule peut être prise en compte, au titre de période de cotisation, l’activité soumise à cotisation exercée après la mise à la retraite.
Il ne peut notamment pas se prévaloir de l’exception de l’art. 12 al. 2 OACI d’après lequel les périodes de cotisation antérieures à la mise à la retraite anticipée sont prises en considération par l’assurance-chômage lorsque l’assuré a été mis à la retraite anticipée pour des raisons d’ordre économique.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne

TF 4A_453/2017 - ATF 144 III 319 du 12 juillet 2018
Responsabilité aquilienne; prétentions récursoires; cascade des responsabilités; art. 51 al. 2 CO
Un ouvrier est victime d’un accident lorsqu’il allume une cigarette à proximité d’une canalisation de gaz. La SUVA et l’AI ouvrent action contre l’assureur RC de la société exploitant la conduite en application notamment de l’art. 33 LITC (responsabilité causale) et l’art. 37 al. 1 LITC (action directe contre l’assureur). Dans une première décision publiée à l’ATF 143 III 79, le TF a considéré que le débiteur non privilégié peut se prévaloir du privilège de recours envers un assureur social au sens de l’art. 75 al. 2 LPGA pour la part du dommage qui, sans l’existence de ce privilège, aurait dû être supportée dans les rapports internes par le co-responsable qui en bénéficie.
La cause ayant ainsi été renvoyée pour nouvelle décision, le Tribunal de commerce de Zurich a rejeté l’action en arrivant à la conclusion que, en application de l’art. 51 al. 2 CO, l’employeur répondait du dommage en raison d’un contrat et devait donc supporter exclusivement les conséquences du dommage, à l’exclusion de la défenderesse qui devait elle intervenir sur la base d’une seule responsabilité causale.
Considérant que les assureurs sociaux n’avaient pas établi que l’employeur aurait commis une faute grave excluant le privilège de recours, et qu’ils n’avaient pas davantage allégué et prouvé une faute de la part de la société exploitant la conduite de gaz, le TF s’est limité à examiner si l’instance cantonale avait fait une application correcte de l’art. 51 al. 2 CO, application qu’il a admise sur le principe.
Même s’il l’a concrètement rarement fait, le TF a toujours considéré que la règle de la responsabilité en cascade de l’art. 51 al. 2 CO constituait un principe dont il est possible de s’écarter dans un cas particulier. Il s’agit d’examiner en l’espèce quel était le but poursuivi par le législateur lorsqu’il a institué une responsabilité causale aggravée à la charge de l’entreprise exploitant une conduite. Précisément, le législateur avait pour but de faire prendre en charge par l’exploitant le dommage découlant du risque inhérent à une telle conduite, risque qui ne peut pas être totalement exclu même en cas d’exploitation soigneuse. Le législateur a également accepté l’idée que l’exploitant doive supporter le dommage subi par un tiers alors même que celui-ci est survenu principalement en raison de la faute grave voire de l’intention d’un tiers, comme en cas de sabotage. Il a en effet considéré que cette solution était toujours plus équitable que de laisser le lésé sans la moindre indemnité (c. 5.3.1. et 5.3.2).
En l’espèce, le TF relève que l’accident a tout d’abord été précédé d’une fuite de la conduite de gaz, soit de la réalisation du risque d’exploitation typique, qui s’était manifesté avant même l’intervention de la victime ou de son employeur. En effet, le mélange explosif était déjà présent sur les lieux de l’accident lorsque le lésé a allumé sa cigarette. L’explosion a eu lieu cependant précisément parce que la victime a fumé, respectivement que son employeur n’avait pas mis en place une quelconque interdiction de fumer. Comme la violation de ses obligations par l’employeur n’est que l’un des éléments déclencheurs de l’accident, et que le risque typique d’exploitation d’une conduite de gaz s’était d’ores et déjà réalisé, force est de constater que le cas d’espèce ne correspond pas à la situation que visait le législateur en édictant l’art. 51 al. 2 CO. Le TF s’écarte donc de cette règle générale et considère que la responsabilité de l’accident doit être répartie par moitié entre l’exploitant de la conduite d’une part, et l’employeur de la victime d’autre part (c. 5.5.1 à 5.5.3).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_472/2017 et 4A_474/2017 du 11 juillet 2018
Responsabilité délictuelle; action récursoire; faute concomitante du lésé; art. 97 al. 1, 101 al. 1, 43 et 44 al. 1 CO; 8 CC
Dans le cadre d’un contrat d’entreposage, l’entrepositaire constate un défaut de l’installation et fait appel à une société de réparation. Des dommages sont causés aux marchandises entreposées. Le déposant ouvre une action en responsabilité contractuelle contre l’entrepositaire, lequel appelle en cause la société chargée de la réparation, et une action en responsabilité civile délictuelle contre la société chargée de la réparation, action qui sera rejetée. Les expertises ont démontré d’une part que sans le manquement de l’employé de la société réparatrice, il n’y aurait pas eu de dommage mais encore que le dommage aurait pu être évité dans une large mesure si l’entrepositaire avait pris un certain nombre de précautions. L’entrepositaire a été jugé responsable du dommage dans ses rapports avec le déposant et il a été condamné à l’indemniser intégralement (art. 97 CO). Il répond du comportement de la société réparatrice, considérée comme auxiliaire au sens de l’art. 101 al. 1 CO.
Le créancier qui ouvre action en dommage-intérêts en invoquant l’art. 97 al. 1 CO doit alléguer et prouver, conformément à l’art. 8 CC, les trois faits constitutifs de cette norme de responsabilité (violation du contrat, dommage et rapport de causalité - naturelle et adéquate- entre la violation contractuelle et le dommage). Le créancier supporte ainsi le fardeau de la preuve. Il incombe par contre au débiteur de prouver le quatrième fait constitutif, à savoir qu’aucune faute ne lui est imputable. Il supporte ainsi le fardeau de la preuve pour le cas où le juge ne serait convaincu ni de l’existence d’une faute ni de son absence.
La responsabilité de la société réparatrice, appelée en cause, vis-à-vis de l’entrepositaire est également fondée sur l’art. 97 al. 1 CO. L’autorité cantonale a partagé le dommage par moitié considérant d’une part que sans le comportement fautif de l’employé de la société réparatrice, il n’y aurait pas eu de dommage du tout et d’autre part que les manquements commis par l’entrepositaire avaient aggravé le dommage dans une mesure importante. Il n’y a donc pas violation du pouvoir d’appréciation du juge et, partant, de l’art. 43 CO.
Le TF rappelle que la critique des expertises ne ressortit pas à la violation du droit mais à l’appréciation des faits (appréciation arbitraire).
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 6B_1016/2017 du 9 juillet 2018
Responsabilité aquilienne; obligation de l’employeur de prévenir les accidents de ses employés; conditions d’un classement par le ministère public; art. 328 al. 2 CO; 82 LAA; 6 OPA; 319 CPP
La dernière instance cantonale retient que F., employé de B. SA, a, alors qu’il était très fatigué et qu’il présentait un taux d’alcoolémie de 1,89 pour mille, positionné, au début de l’après-midi du 1er septembre 2015 et pour le jour suivant, une foreuse en haut de la carrière, cela en ignorant, malgré son expérience de 20 années en tant que foreur et une familiarité avec sa machine de 10 ans, deux mesures de sécurité élémentaires : celle consistant, sur un pente carrossable de plus de 20°, à assurer le véhicule au moyen de vérins, et celle consistant à ne pas accrocher au bras de la foreuse et transporter un panier de matériel de 250 kilos sans l’arrimer. Ce faisant, l’instance précédente considère que la question de savoir si l’employeuse de F. a, dans la surveillance et le contrôle de son employé, fait preuve ou non de négligence, peut rester ouverte ; puisque F. a, de son côté, fait preuve, avec un taux d’alcoolisation de 1,89 pour mille, d’une imprévoyance à ce point qualifiée qu’il ne peut plus y avoir, entre l’accident dont il a été victime et l’éventuel défaut de surveillance de la part d’un tiers, de rapport de causalité.
Le TF considère que le raisonnement tenu par la dernière instance cantonale ne va pas assez loin et viole le droit fédéral. Il rappelle que, s’agissant d’un accident du travail, l’employeur a l’obligation de protéger la santé de son travailleur, cela conformément aux art. 328 al. 2 CO, 82 de la Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l’assurance-accident (LAA) et 6 de l’Ordonnance du 19 décembre 1983 sur la prévention des accidents et des maladies professionnelles (OPA), cette dernière disposition prévoyant que l’employeur doit instruire ses employés des risques auxquels ils sont exposés, de manière suffisante, répétée et appropriée.
Le TF retient que l’instance précédente n’a procédé à aucune constatation quant à ce qu’étaient ici, concrètement, les domaines de responsabilité et de surveillance à charge tant de l’employeur que du propriétaire de la carrière ; de même, selon le TF, l’instance cantonale n’a tenté d’établir ni si les connaissances de F. quant à l’utilisation de sa machine auraient été rafraîchies de temps en temps, ni comment l’employeur, qui connaissait le problème d’alcool de son employé, aurait cherché à remédier au dit problème.
Puisque l’instance précédente n’a pas cherché à établir en quoi avaient réellement consisté les mesures de prévention de l’accident mises en œuvre par l’employeur, il n’était donc pas, à ce stade, possible d’ordonner le classement de la procédure pénale, au regard de l’art. 319 al. 1 CPP et du fait du principe « in dubio pro duriore ».
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 8C_148/2018 du 6 juillet 2018
Assurance-accidents; rente d’invalidité; procédure de révision; rechute; art. 53 al. 1 LPGA; 88bis RAI
Lorsque le motif de révision porte sur une condition formelle du droit dont l’évaluation repose essentiellement sur une appréciation des moyens de preuve, soit sur des éléments revêtant nécessairement un caractère discrétionnaire, le fait nouveau ne remplit en tant que tel pas la condition du motif important. Un motif de révision n’est envisagé que si, dans la procédure initiale, le médecin qui a procédé à l’évaluation et l’administration auraient exercé leur pouvoir d’appréciation de manière sensiblement différente en raison de cette constatation et, en conséquence, auraient abouti à un résultat différent (c. 5.3).
L’augmentation de la rente par voie de révision en cas de rechute et de séquelles tardives doit avoir lieu – comme en cas d’octroi initial d’une rente – au moment de l’arrêt du traitement médical. Les art. 88a al. 2 et 88bis al. 1 RAI ne sauraient être applicables par analogie. L’art. 88bis al. 2 RAI ne s’applique pas par analogie à la suppression ou la réduction par voie de reconsidération d’une rente de l’assurance-accidents sociale. C’est pourquoi la suppression ou la réduction peut avoir lieu avec effet rétroactif « ex tunc ») et les mensualités perçues ainsi indûment doivent être restituées même s’il n’y a pas eu violation de l’obligation d’annoncer.
En cas de rechute ou de suites tardives, lorsqu’il n’y a pas de rente d’invalidité préalablement octroyée, il y a lieu d’appliquer le même principe qu’énoncé ci-dessus, et de retenir le moment de l’arrêt du traitement médical. Toutefois, le début du droit à la rente ne peut être antérieur à la date du dépôt de la demande de prestations, respectivement de l’annonce de la rechute ou de suites tardives. En effet, ce n’est qu’à ce moment-là que l’assureur est en mesure de mettre en œuvre les mesures d’instruction nécessaires. En l’occurrence, comme l’annonce de rechute a eu lieu le 19 décembre 2013, le droit à la rente d’invalidité prend naissance à partir du 1er décembre 2013 et non dès le 1er janvier 2014, comme retenu par l’assurance-accidents.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 8C_655/2017 - ATF 144 V 224 du 3 juillet 2018
Assurance-invalidité; subventions aux institutions; prescription; art. 73 aLAI; 104bis aRAI; 32 al. 2 LSu
Une fondation au sens des art. 80 ss CC a bénéficié de subventions au sens de l’art. 73 LAI (abrogé au 31 décembre 2007) entre 1987 et 2000 pour la construction, l’agrandissement et la rénovation d’établissements et d’ateliers publics ou reconnus d’utilité publique qui appliquent des mesures de réadaptation dans une proportion importante.
L’OFAS a constaté que plusieurs propriétés avaient été vendues ou en tout cas détournées de leur but initial, si bien qu’une demande de remboursement de CHF 553'414.- a été émise dans le cadre d’une décision formelle adressée à la fondation. Cette dernière conteste cette décision et estime ne devoir que CHF 74'369.-, le solde étant prescrit.
Puisque les art. 73 LAI et 104bis ont été abrogés au 31 décembre 2007, le TF devait trancher la question de l’application d’un délai de prescription et a estimé que les dispositions transitoires de la modification du 6 octobre 2006 (LAI) prévoyant un délai de prescription de 5 ans (al. 3) prévalaient sur le délai de 10 ans prévu à l’art. 32 al. 2 de la loi fédérale sur les aides financières et les indemnités (LSu) (c. 6.3.3). En effet, non seulement la loi fédérale sur les aides financières et les indemnités (LSu) représente une lex generalis à l’égard des dispositions transitoires de la modification du 6 octobre 2006 (LAI), mais cette dernière est également une lex posterior (c. 6.3.1 et 6.3.3).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge


TF 9C_595/2017 du 27 juin 2018
Prévoyance professionnelle; rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle; calcul de surindemnisation; prise en compte du revenu résiduel hypothétique; art. 34a al.1 LPP
En règle générale, lorsqu’un assuré est invalide à un degré équivalent ou supérieur à 70%, on ne tient pas compte de sa capacité de travail résiduelle, celle-ci étant souvent uniquement théorique.
Le TF ouvre pourtant la porte à une exception : l’affaire concerne une assurée invalide à 90% mais ayant toujours continué à exercer une activité lucrative à son ancien poste à un taux de 10%. Lors d’une vérification, la caisse de pensions a constaté une surindemnisation au sens de 34a al.1 LPP et a donc réclamé à son assurée la restitution des prestations perçues indument.
Le point litigieux de l’arrêt était de savoir si, même après que cette assurée a perdu son travail, la caisse de pensions pouvait quand même continuer à imputer un revenu hypothétique pour le calcul de sa rente. Le TF y répond par l’affirmative, créant ainsi une exception à la doctrine majoritaire qui prévoyait de ne pas tenir compte de la capacité résiduelle à partir d’un taux d’invalidité de 70% ou plus.
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne.

TF 8C_440/2017 du 25 juin 2018
Assurance-invalidité; reformatio in pejus; art. 61 let. d LPGA; 62 PA; 5 al. 1 et 8 Cst.
Dans la mesure où l’art. 61 let d. LPGA a pour objectif de faire prévaloir, dans la procédure cantonale, une mise en œuvre correcte du droit matériel sur les intérêts juridiques de l’assuré, cette disposition doit être interprétée dans le respect du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst.) et de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.).
Par voie de conséquence, s’il n’y a pas lieu de renvoyer la cause à l’autorité pour complément d’instruction ou autres manquements, le tribunal cantonal des assurances sociales non seulement peut, mais doit envisager de procéder à une reformatio in pejus lorsqu’il constate une violation du droit.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 9C_614/2017 - ATF 144 V 210 du 22 juin 2018
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations sociales; détermination du droit applicable; art. 13 R (CE) n° 883/2004; 6, 11 et 16 R (CE) n° 987/2009
A., de nationalité allemande, exerce son activité indépendante de médecin-dentiste depuis 1998 en Allemagne, pays dans lequel il réside. Dès 2006, il exerce également à temps partiel dans un cabinet de groupe basé en Suisse et dès 2010, il y reprend avec une collègue l’exploitation d’un cabinet dentaire. A. réside en partie dans un appartement de location en Suisse et en 2013, il achète une maison à Bâle-Campagne pour s’y installer. Dès le début de son activité en Suisse, A. est inscrit en tant qu’indépendant auprès de la Caisse de compensation Employeurs Bâle et cotise à l’AVS/AI/APG. Pour fixer les cotisations 2011 et 2012 de A., la caisse de compensation a retenu des revenus estimés à 190'400 francs, respectivement 226'100 francs. A. s’oppose à la décision en indiquant qu’il n’y avait pas lieu de retenir les revenus générés en Allemagne pour fixer le montant de sa cotisation en Suisse. La caisse de compensation retient dans sa décision sur opposition qu’en application des règles communautaires de coordination, A. est soumis à cotisation sur l’entier de son revenu en Suisse, en raison de son domicile sur sol helvétique. Le TAF a rejeté le recours contre cette décision. A. fait recours devant le TF. Le litige comporte un élément d’extranéité, puisque le recourant est de nationalité allemande et qu’il exerce son activité lucrative indépendante en Suisse et en Allemagne. Se pose la question du droit applicable. Il existe deux périodes, la première allant de 2011 au 31 mars 2012 pour laquelle les R (CEE) n° 1408/71 et 574/72 trouvent application (avant d’avoir été abrogés), et la seconde depuis le 1er avril 2012 pour laquelle les R (CE) n° 833/2004 et 987/2009 sont applicables. La règle de conflit de l’art. 14bis ch. 2 première phrase R (CEE) n° 1408/71 prévoit que le droit applicable à une personne exerçant une activité non salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres est celui du lieu de résidence si elle exerce une partie de son activité sur le territoire de cet Etat membre. L’art. art. 13 ch. 2 lit. a R (CE) n° 883/2004 prévoit que la personne qui exerce normalement une activité non salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet Etat membre.
L’art. 16 R (Ce) n° 987/2009 prévoit spécialement une procédure pour l’application de l’art. 13 R (CE) n° 883/2004. L’institution désignée de l’Etat membre de résidence détermine de manière provisoire la législation applicable à la personne concernée sur la base des art. 13 R (CE) n° 883/2004 et 14 R (CE) n° 987/2009. Elle en informe les institutions désignées des autres Etats membres où une activité est exercée, qui doivent quant à elles manifester leur désaccord dans un délai de deux mois. A défaut, la détermination devient définitive. En cas d’avis divergents, la législation applicable est déterminée d’un commun accord entre les institutions désignées. Pendant la durée du processus, la législation applicable de manière provisoire est celle prévue à l’art. 6 ch. 1 R (CE) n° 987/2009. Si les avis divergent en ce qui concerne la détermination de la résidence d’une personne, les critères de l’art. 11 R (CE) n° 987/2009 sont applicables. Il revient aux institutions d’établir d’un commun accord le centre d’intérêt de la personne en fonction des critères énumérés à l’art. 11. En dernier recours, la volonté de la personne en cause est considérée comme déterminante. En l’espèce, le recourant est soumis à la législation de son Etat de résidence (art. 14bis ch. 2, 1ère phr., R (CEE) n° 1708/71, art. 13 ch. 2 lit. a R (CE) n° 833/2004). Il avait déposé une première demande de détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale auprès d’une institution allemande. Cette dernière a déclaré au vu des circonstances (3,5 jours par semaine d’activité en Allemagne notamment) que la législation allemande lui était applicable. L’intimée a manifesté son désaccord à l’autorité allemande désignée dans le délai de deux mois. La détermination provisoire de l’institution allemande n’est donc pas devenue définitive. De cet état de fait, l’intimée ne pouvait pas conclure qu’elle était en mesure d’appliquer le droit suisse pour résoudre la question du lieu de résidence et du centre d’activité. La question devait être traitée en application de l’art. 16 R (CE) n° 987/2009, avec une application provisoire d’une législation selon l’art. 6 ch. 1 R (CE) n° 987/2009. La lettre b de cette dernière disposition – application de la législation de l’Etat de résidence, lorsqu’une personne exerce une activité dans deux ou plusieurs Etats membres – n’est pas applicable en l’espèce, puisque le lieu de résidence fait précisément l’objet d’avis divergents entre les institutions désignées. Il se justifie dans ce cas-là d’appliquer par analogie la lettre c de cette disposition – prévue pour une personne exerçant une activité dans plusieurs Etats membres dans lesquels elle ne réside pas – et d’appliquer de manière provisoire la législation de l’Etat membre dont l’application a été demandée en premier, à savoir le droit allemand. Parallèlement, une procédure selon l’art. 11 R (CE) n° 987/2009 (détermination du lieu de résidence) aurait dû être conduite entre les institutions, ce qui aurait permis par la suite de déterminer la législation applicable au litige. Le recours est admis et l’affaire renvoyée à l’intimée afin qu’elle statue au sens des considérants.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 2C_94/2018 - ATF 144 II 281 du 15 juin 2018
Responsabilité de l’Etat; accident pendant un examen d’auto-école; art. 15 , 58, 59 , 71 et 73LCR
Durant son examen d’auto-école, un élève conducteur provoque un dommage à un panneau routier ainsi qu’au véhicule propriété de l’entreprise d’auto-école. Cette dernière ouvre action contre le canton d’Argovie en invoquant la négligence de l’expert. Le canton est-il appelé à répondre, comme détenteur, du dommage subi par le véhicule ? Telle est la question juridique de principe (c. 1.2) à laquelle est appelé à répondre le TF.
Dans un premier temps, le TF considère que n’est pas arbitraire l’argumentation des premiers juges, selon laquelle la preuve n’avait pas été rapportée que l’expert aurait violé son devoir de diligence, et, par conséquent, son devoir de garant (art. 15 al. 2 LCR ; c. 3.5 et 3.6). Dès lors que la problématique de la preuve se pose toujours dans ce genre de situations, la recourante demandait que la notion de « détenteur » soit élargie ; il appartenait dès lors au TF de décider si le canton pouvait être tenu pour responsable, en cette qualité, selon les dispositions de la LCR, ce qu’il a fait dans un second temps. Le canton doit-il être considéré comme détenteur au sens de l’art. 58 LCR (applicable en vertu de l’art. 73 al. 1 LCR) ? Le TF a constaté que, si tel était le cas, il faudrait tenir compte de l’art. 59 al. 4 LCR qui prévoit que la responsabilité civile, dans les relations entre le détenteur et le propriétaire d’un véhicule, pour les dommages subis par ce véhicule, est assujettie aux règles du code des obligations. Ainsi, dans le cas d’espèce, les dégâts au panneau routier seraient soumis à l’art. 58 al. 1 LCR, les dommages au véhicule étant, quant à eux, assujettis au CO. Rappelant sa jurisprudence relative à la notion de détenteur, le TF parvient à la conclusion que le canton d’Argovie ne peut être considéré comme tel au vu de la durée très limitée, du but et de l’intérêt de l’utilisation du véhicule ; c’est en effet le candidat, resp. l’entreprise d’auto-école qui a intérêt à l’examen. De plus, le canton n’a aucune obligation de mettre un véhicule à disposition pour cet examen (c. 4.1 à 4.3). Dans un troisième temps, le TF exclut que le canton puisse être considéré comme responsable en qualité d’entreprise de la branche automobile selon l’art. 71 al. 1 LCR. Cette disposition n’est pas applicable, ni dans sa lettre, ni dans son sens, ni dans son but, au canton dans le cadre d’un examen d’auto-école. Le canton n’est pas exploitant d’une entreprise de la branche automobile ; le véhicule ne lui est en effet pas remis pour être garé, réparé, entretenu, transformé ou à d’autres fins analogues. Le canton l’utilise simplement pour accompagner le candidat lors de l’examen pratique (c. 4.4). Dans un quatrième et dernier temps, le TF examine si l’on est en présence d’une lacune de la loi, que le juge serait appelé à combler. Il conclut que tel n’est pas le cas, dès lors qu’aucun principe de droit n’impose que tout dommage soit réparé et que, au contraire, le principe casum sentit dominus prévoit que le propriétaire d’une chose assume les conséquences du dommage subi par celle-ci (c. 4.5).
Auteur : Alexis Overney, avocat, Fribourg


TF 8C_113/2018 - ATF 144 V 202 du 14 juin 2018
Assurance-chômage; gain assuré; délais-cadres; art. 8 al. 1, 9 al. 2, 18 al. 1, 22, 27 al. 1 et 28 al. 4 LACI; 40b OACI; 25 al. 3 OLAA
Le droit à l’indemnité de chômage commence après une période d’attente selon l’art. 18 al. 1 LACI, qui est évolutive en fonction de la situation personnelle de l’assuré et de son revenu. Cette indemnité s’évalue en fonction du gain assuré conformément à l’art. 22 LACI. Quant au gain assuré, il doit être adapté conformément à l’art. 40b OACI lorsque l’assuré est atteint dans sa santé. Cette adaptation peut avoir lieu rétroactivement, la part d’atteinte à la santé pouvant d’ailleurs être assurée ou non par l’AI, selon le taux d’invalidité calculé par cette assurance.
Cette adaptation doit dès lors aussi s’effectuer rétroactivement pour le calcul du délai d’attente en fonction du gain assuré. Ainsi, les directives du SECO, qui prescrivent le contraire, contreviennent au système légal (c. 4.3).
Les art. 25 al. 3 OLAA et 28 al. 4 LACI coordonnent le versement des indemnités en cas d’incapacité partielle de travail. L’assuré reçoit une pleine indemnité LAA, lorsque son incapacité de travail dépasse 50% et n’a dès lors aucune prétention en matière LACI. Si l’incapacité de travail s’élève entre 50% et 75%, l’assurance-chômage assure la moitié de l’indemnisation. Enfin, si la capacité de travail dépasse 75%, l’assurance-chômage indemnise pleinement l’assuré.
Selon l’art. 27 al. 1 LACI, dans les limites du délai-cadre d’indemnisation (art. 9 al. 2 LACI), le nombre maximum d’indemnités journalières est calculé selon l’âge de l’assuré et la période de cotisation. Quant à l’al. 2 de cette disposition, il indique les paliers auxquels se réfère l’al. 1.
En l’espèce, l’assuré n’a été capable de travailler que dès le 1er novembre 2015, son incapacité antérieure s’élevant à 100%. C’est donc dès cette date qu’il remplit les conditions d’une indemnisation (art. 8 al. 1 LACI), qui permet dès lors de calculer les délais-cadres (art. 9 al. 2 LACI).
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 4A_437/2017 et 4A_439/2017 du 14 juin 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage corporel; perte de gain; agriculteur indépendant; fardeau de la preuve; allégation; concordance; compensation; art. 46 al. 1 et 120 CO; 56 CPC
Est principalement litigieuse la perte de gain d’un agriculteur indépendant victime d’un accident de la circulation routière, en 2001, lui ayant occasionné une fracture du sternum le limitant lors d’efforts et de mouvements de rotation du tronc. L’application de la méthode abstraite (par analogie à la méthode préconisée en matière de dommage ménager) n’a pas été remise en cause par les parties devant le TF.
L’exigence de la concordance fonctionnelle et temporelle, tout particulièrement pour le calcul de la perte de gain, proscrit certaines méthodes de calcul, comme celle du « calcul global » (Globalrechnung) ou de la « compensation des soldes » (Saldoverrechnung). Il convient de distinguer la perte de gain actuelle de la perte de gain future, de façon à calculer correctement chacun des postes du dommage et de procéder aux déductions des prestations sociales, en respectant le principe la concordance. Si les acomptes de l’assureur-RC ne visent pas un poste spécifique, ils doivent être déduits, en fin de calcul, du dommage correspondant à l’ensemble des postes, sans avoir besoin d’invoquer la compensation (art. 120 CO), ce qui devrait être fait par l’assureur RC en cas d’acomptes visant un poste déterminé du dommage.
Le TF estime qu’en l’espèce la cour cantonale aurait été excessivement formaliste si elle avait rejeté la demande sans inviter le demandeur à préciser ses allégués sur le nombre d’heures travaillées par celui-ci avant l’accident (art. 56 CPC). Par contre, les heures supplémentaires réclamées par celui-ci, en particulier pour la modernisation projetée de sa ferme, ont été admises à tort par la cour cantonale, faute d’allégation suffisante et faute de comportement procédural imputable à la défenderesse.
Concernant le tarif horaire, ayant cours dans le canton du Jura, le TF écarte les CHF 30.- réclamés par le demandeur, ainsi que toute plus-value, et juge équitable les CHF 19.-, tels que retenus par l’expert judiciaire.
Concernant les intérêts, pour le tort moral c’est la date du jugement cantonal qui a été retenue, en l’espèce, tout comme pour les frais d’avocat avant procès, en l’absence de conclusion(s) différente(s) du demandeur.
Auteur : Didier Elsig, avocat


TF 5A_86/2017 du 13 juin 2018
Responsabilité du propriétaire d’immeuble; prescription; point de départ; invocation abusive; art. 60 CO; 2 CC
Le TF rappelle que pour tout acte illicite ayant des effets patrimoniaux, le délai de prescription de l’action en réparation d’un dommage en évolution commence à courir à partir de sa complète manifestation, selon les principes développés en matière de dommage corporel (c. 2.5). L’ampleur du dommage peut être déterminée lors d’un écroulement d’un immeuble dû à un vice de la construction et à des défauts préexistants, dès que les conséquences patrimoniales consécutives à l’acte illicite ont pu être définies dans les grandes lignes.
Une expertise chiffrant des coûts de remise en état, sans déterminer la part du dommage imputable à l’auteur recherché, ne peut renseigner de manière suffisante le lésé sur le dommage. La partie adverse qui met en oeuvre une expertise complémentaire pour déterminer la part de dommage lui revenant peut inciter le lésé à ne pas agir en vue d’interrompre le cours de la prescription. Il est abusif dans ces conditions de se prévaloir de la prescription.
Le TF retient que la question de la connaissance du dommage et celle de l’opportunité d’agir en vue d’interrompre le cours de la prescription évoluent de manière parallèle et sont influencées par le comportement de la partie adverse.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 8C_902/2017 - ATF 144 V 195 du 12 juin 2018
Assurance-chômage; salaire assuré; gratification pour ancienneté; art. 23 al. 1 LACI; 37 OACI
L’objet du litige porte sur la question de savoir si une gratification pour ancienneté d’un montant de CHF 3'610.- versée en avril 2016 pour cinq années d’emploi doit être incluse dans le gain assuré au prorata des mois qui tombent dans la période de référence du 1er décembre 2015 au 30 novembre 2016.
Jusqu’en janvier 1998, l’administration considérait que les gratifications pour ancienneté et les primes de fidélité faisaient partie du gain assuré. Le SECO a ensuite changé sa pratique. Le Bulletin LACI IC prévoit en effet, au chiffre C2, que les primes d’ancienneté et de fidélité n’entrent pas dans le salaire déterminant. L’audit Letter 2015/2 du SECO précise toutefois que, pour qu’elles puissent être considérées comme perçues normalement et prises en compte dans le gain assuré, les gratifications pour ancienneté et les primes de fidélité doivent être versées à des intervalles relativement courts, par exemple une fois par an. Si une prime de fidélité n’est versée que plus rarement, par exemple tous les cinq ans, elle n’est pas considérée comme obtenue normalement et n’est pas prise en compte dans le gain assuré.
Le TF rappelle qu’est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS qui est obtenu normalement au cours d’un ou de plusieurs rapports de travail durant une période de référence (conformément à l’art. 37 OACI), y compris les allocations régulièrement versées et convenues contractuellement, dans la mesure où elles ne sont pas des indemnités pour inconvénients liés à l’exécution du travail (art. 23 al. 1 LACI). Par conséquent, le gain assuré est basé sur le salaire déterminant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS en relation avec l’art. 7 RAVS. Le terme juridique « normalement » signifie que le revenu tiré d’un emploi dépassant la charge de travail normale pour un employé ne doit pas être pris en considération dans le gain assuré. Ainsi, les heures supplémentaires et la compensation des heures supplémentaires, les indemnités pour travail par équipe convenues contractuellement, les allocations familiales et les indemnités pour frais, etc. ne doivent pas être prises en compte lors de la détermination du gain assuré. L’indemnité pour vacances non prises doit également être ignorée (c. 4.1).
En revanche, selon la doctrine et la jurisprudence, les primes de fidélité et les gratifications pour ancienneté – comprises comme des allocations régulièrement versées et convenues contractuellement – font partie du gain assuré. Le TF se réfère à sa jurisprudence antérieure selon laquelle les allocations de renchérissement, les gratifications ainsi que les primes de fidélité et de performance font partie du gain assuré (TF C 179/06). L’ATF 122 V 362 mentionne également le 13e salaire, les primes de fidélité, les allocations de déplacements et de renchérissement ainsi que les gratifications comme éléments du gain assuré (c. 4.4).
Le TF considère qu’il n’y a aucune raison de modifier sa pratique. Les primes de fidélité et les gratifications pour ancienneté doivent être incluses dans le salaire déterminant selon l’art. 7 LAVS. Le SECO ne peut donc pas limiter l’inclusion des gratifications pour ancienneté dans le gain assuré à la condition qu’elles soient versées sur des périodes plus courtes, p. ex. annuellement. Les conditions d’un changement de jurisprudence ne sont pas données (c. 4.5).
La gratification pour ancienneté de CHF 3'610.- est ainsi un gain « normalement » obtenu au sens de l’art. 23 LACI. Enfin, il est incontesté que ce montant doit être réparti au prorata des mois compris dans la période de référence du 1er décembre 2015 au 30 novembre 2016.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 4A_104/2018 du 12 juin 2018
Assurances privées; réticence; point de départ du délai de résiliation de quatre semaines; art. 6 al. 2 LCA
Lorsque la réticence résulte de faits que l’assureur apprend lors d’un entretien téléphonique avec un tiers, le délai de résiliation de quatre semaines prévu par l’art. 6 al. 2 LCA ne commence à courir qu’à la réception de la confirmation écrite de ces informations ; des renseignements oraux ne donnent pas une connaissance suffisamment sûre au regard de la jurisprudence (c. 2.1 et 2.5).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 9C_377/2017 - ATF 144 V 159 du 11 juin 2018
Assurance-vieillesse et survivants; bonification pour tâches d’assistance; personne soutenue résidant dans un home; art. 29septies al. 1 LAVS; 52g RAVS
L’assurée recourt contre le refus de la caisse de compensation du canton de Zoug de lui allouer des bonifications pour tâches d’assistance pour les années où sa mère gravement impotente vivait dans un home, alors même qu’elle était tenue de l’assister pour diverses démarches médicales durant cette période. Le TF se pose la question de savoir si l’art. 29septies al. 1 LAVS exclut les assurés prodiguant des soins à des parents impotents résidant dans un home (c. 2). Après s’être livré à une interprétation littérale, historique et téléologique de cette disposition, il répond à cette question par l’affirmative.
Selon les dispositions en vigueur jusqu’à fin 2011, l’assuré prodiguant les soins et son parent impotent devait nécessairement résider à la même adresse ou dans un voisinage proche. Avec la 17e révision de la LAVS, cette condition a été élargie, en ce sens qu’une distance de 30km ou un temps de parcours d’une heure au maximum ne fait plus obstacle à l’octroi d’une bonification pour tâche d’assistance (art. 29septies al. 3 LAVS et 52g RAVS) (c. 4.3).
L’exigence du degré moyen d’impotence au minimum n’a en revanche pas été modifiée lors de cette révision. Les soins doivent donc présentés une certaine intensité pour donner droit aux bonifications pour tâches d’assistance, l’idée étant de compenser la perte de cotisation liée à la renonciation à une activité lucrative de l’assuré qui consacre une grande partie de son temps à aider à un proche parent impotent (c. 4.4).
Dans un home, l’essentiel des soins est fourni par le personnel du home. Les proches parents n’ont donc en principe pas de nécessité de réduire leur activité professionnelle pour fournir des soins. Ils ne peuvent donc pas prétendre à des bonifications pour tâches d’assistance (c. 4.4).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève


TF 2C_816/2017 du 8 juin 2018
Responsabilité de l’Etat; mots-clés ? § 80 al. 2 ch. 4 aCPP-LU; §§ 13b PolG-LU
Il n’existe pas de lien de causalité naturelle, ni adéquate entre le conseil des policiers adressé à la recourante lui disant de rompre immédiatement avec son partenaire sans l’informer du passé de criminel dangereux de ce dernier et l’évènement qui a suivi la nuit du 19 au 20 septembre 2007 où le compagnon de la recourante lui a tiré dessus à bout portant (c. 4). Le conseil du policier est qualifié d’acte de complaisance (c. 4.4.1).
La question de la possibilité d’un avertissement de particuliers contre les criminels dangereux (les dénommés « Gefährdern ») a été discutée au parlement lucernois, de même que dans d’autres cantons. Ceci a conduit à l’ajout du §§ 13a ss dans la loi sur la police du canton de Lucerne. Désormais, la police peut informer les victimes potentielles d’un danger direct et imminent à condition que les droits de personnalité des criminels soient, si possible, préservés (§ 13b PolG-LU). Dans le cas d’espèce, cette disposition n’était pas encore applicable dans la mesure où elle n’est entrée en force que le 1er février 2018. La question de savoir si l’agent par son comportement aurait crée une responsabilité de l’Etat au sens du nouveau § 13a et ss PolG-LU ne fait pas l’objet de la présente procédure (c. 4.4.3).
La recourante ne démontre pas que l’instance précédente a nié à tort une quelconque responsabilité de l’Etat (c. 4.5). Le recours est rejeté (c. 5.1).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 9C_677/2017 du 8 juin 2018
Assurance-invalidité; mesures médicales de réadaptation; chances de succès de la réadaptation; examen in concreto; art. 12 LAI; 2 al. 1 RAI
Le droit à des mesures médicales de réadaptation au sens de l’art. 12 LAI suppose que ces mesures soient de nature à améliorer de façon durable et importante la capacité de gain de la personne assurée ou l’accomplissement de ses travaux habituels, ou à les préserver d’une diminution notable. Pour les jeunes assurés, le succès de la réadaptation doit être considéré comme durable s’il paraît vraisemblable qu’il perdurera pendant une partie significative de l’activité attendue, cette dernière ne devant de son côté pas être sous-estimée.
L’évaluation du caractère durable de la réadaptation doit être jugée sur la base de l’évaluation médicale avant la mise en œuvre des mesures médicales. Chez un enfant, cette évaluation pronostique doit tout d’abord établir qu’il est vraisemblable que sans la mesure, l’état de santé est amené à se péjorer dans un avenir proche. Ensuite, il doit être établi que la mesure contribuera à la réalisation d’un état stabilisé qui améliorera sensiblement les conditions pour une formation et l’exercice d’une activité professionnelle.
L’examen doit se faire in concreto. Le fait que les médecins estiment que l’enfant ne pourra pas, à l’avenir, s’insérer sur le marché primaire du travail, mais pourra uniquement travailler dans un atelier protégé, ne suffit pas pour exclure un pronostic favorable. Il est en effet suffisant que la personne assurée soit capable, par son activité, de réaliser un revenu de quelques centaines de francs, ce qui est possible en travaillant dans un atelier protégé.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_533/2017 du 28 mai 2018
Prévoyance professionnelle; invalidité; connexité temporelle; interruption; art. 23 let. a LPP
Une assurée travaillant à temps partiel a été mise au bénéfice d’une demi-rente LAI à partir du 1er janvier 2013 en tenant compte d’un degré d’invalidité de 50 %. Appelée à trancher entre deux institutions de prévoyance pour le versement de la rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle, l’instance cantonale n’a pas investigué le début effectif de l’incapacité de travail ayant conduit à l’invalidité et a simplement considéré que la connexité temporelle avec la période d’assurance auprès de la première institution de prévoyance était interrompue du fait d’une activité professionnelle à 80 % sans incapacité de travail entre le 1er août 2007 et l’automne 2008. Dès lors, une connexité temporelle entre l’incapacité de travail constatée pendant le second rapport de prévoyance ayant débuté le 1er novembre 2005 et l’invalidité reconnue à partir du 1er janvier 2013 a été admise (c. 3).
Le TF rappelle qu’il faut une capacité de travail de plus de 80 % (et non seulement de 80 %) dans une activité lucrative adaptée pendant plus 3 mois pour interrompre la connexité temporelle (ATF 144 V 58 c. 4.4) et renvoie la cause à l’instance cantonale pour déterminer précisément le début de l’incapacité de travail qui a conduit à l’invalidité (c. 4.1 ss).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 9C_617/2017 du 28 mai 2018
Assurance-maladie; libre choix de l’hôpital; planification et financement hospitaliers; art. 39, 41 et 49a LAMal
Dans cet arrêt, le TF a examiné le cas d’un traitement volontaire extra cantonal. Le TF a confirmé que lorsqu’un canton planifie les besoins en prestations hospitalières stationnaires de sa population résidente en prenant en compte les données relatives au nombre des patients résidant dans le canton uniquement, il ne saurait y avoir de planification hospitalière cantonale respectant l’art. 39 al. 1 let. d LAMal, qui suppose le respect des critères de planification fixés aux art. 58a ss OAMal. Aussi, les quotas d’hospitalisation prévus ne pouvaient pas être opposés par la République et canton de Genève aux cliniques privées sises dans le canton de Vaud qui accueillent des patients genevois pour refuser de payer la participation cantonale conformément à l’art. 49a LAMal.
Le TF a également rappelé que lorsqu’un canton choisit la gestion directe des quantités, les conséquences en cas de dépassement de la quantité des prestations fixées doivent être définies dans le mandat de prestation. A défaut, il est douteux qu’un refus de toute participation à la prise en charge des traitements en cause par le canton puisse être opposé aux établissements concernés.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_685/2017 du 23 mai 2018
Assurance-chômage; entreprise familiale en la forme d’une société anonyme; obligation de payer les cotisations de l’assurance-chômage; art. 2 LACI, 1a al. 2 LFA
Les actionnaires d’une société anonyme ne sont pas visés par l’exception de l’obligation de payer des cotisations au sens de l’art. 2 al. 2 let. b LACI, en lien avec l’art. 1a al. 2 let. a et b LFA. Une société anonyme, en tant que personne morale, ne peut avoir de membre de famille, ni des parents de l’exploitant en ligne directe, ascendante ou descendante, ni de gendres ou de brus. (c. 3.3.1)
Les membres de la famille les plus proches, au sens de l’art. 1a al. 2 let. a et b LFA, ne sauraient être assimilés à des travailleurs agricoles parce qu’ils sont, en leur qualité d’héritiers de l’exploitant, intéressés au revenu de l’exploitation et ne reçoivent en général pas de salaire en espèces). En l’espèce, les deux actionnaires assuraient une activité salariée et on reçu un salaire en espèces (c. 3.3.2).
Le recourant, en tant que directeur général, exerce une activité dépendante. Ceci vaut également pour son épouse, qui travaille dans l’entreprise et détient une partie du capital-actions. Ils sont donc tenus de payer les cotisations de l’assurance-chômage au sens de l’art. 2 al. 1 LACI (c. 3.3.3).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 6B_1371/2017 du 22 mai 2018
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence; rupture du lien de causalité; art. 117CP
Le détenteur d’une arme est condamné pour homicide par négligence (violation des règles de prudence élémentaires en laissant son arme de service suspendue au mur de sa chambre, sans aucune mesure pour en restreindre l’accès, munie de sa culasse et de son magasin, munitionné de sept cartouches, qui plus est obtenues de façon illicite).
La rupture du lien de causalité est niée en l’espèce. Les deux éléments déterminants pour admettre une rupture du lien de causalité résident dans l’imprévisibilité de la cause concomitante et dans son importance manifestement prépondérante par rapport aux autres facteurs à prendre en considération.
En l’état, non seulement la cause concomitante n’était pas imprévisible mais encore le respect des règles prudence qui s’imposaient au détenteur de l’arme aurait permis, avec une vraisemblance confinant à la certitude, d’empêcher l’accident, le tiers n’ayant pas pu avoir en mains une arme fonctionnelle et munitionnée, ni encore moins tirer sur la victime.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 4A_209/2017 du 22 mai 2018
Responsabilité aquilienne; RC professionnelle; couverture; art. 41, 55 et 101 CO; CGA
Est litigieuse la couverture de l’assurance RC professionnelle d’une entreprise de nettoyage pour l’acte commis par l’un de ses employés envers un autre, après avoir découvert un fusil chargé derrière une armoire de l’appartement nettoyé et avoir voulu lui faire peur, le blessant ainsi grièvement au coude avec une balle de fusil.
Pour interpréter les CGA applicables, les juges se sont inspirés des art. 55 et 101 CO, lesquels comprennent un phrasé similaire à la clause en question : « dans l’accomplissement de leur travail ». Selon la jurisprudence découlant aussi bien de l’art. 55 que de l’art. 101 CO, est nécessaire un lien direct et fonctionnel entre le travail et l’acte incriminé ; il ne suffit pas que l’auxiliaire ait simplement commis son acte « à l’occasion » de son travail (« bei Gelegenheit »). Selon le TF, c’est à bon droit que l’instance cantonale a nié ce rapport direct en l’espèce et a considéré qu’il s’agissait d’un acte excédant le cadre donné professionnellement.
Quant à la question de l’application de la couverture professionnelle étendue aux actes commis « à l’occasion » de l’activité professionnelle, telle qu’appelée de ses vœux par la doctrine, celle-ci peut demeurer ouverte, dès lors que l’élément déterminant en l’espèce est que l’acte accompli par l’employé ne se trouvait pas dans la sphère de risque prévisible d’une entreprise de nettoyage. Par conséquent, c’est à bon droit que la couverture RC professionnelle a été déniée, étant relevé que des lacunes peuvent exister entre RC professionnelle et RC privée.
Auteur : Didier Elsig, avocat

TF 8C_858/2017 du 17 mai 2018
Assurance-invalidité; trouble dépressif de gravité moyenne; contexte psychosocial; majoration; absence de caractère invalidant; art. 7 et 8 LPGA
Une assurée atteinte d’un trouble dépressif récurrent, épisode actuel de gravité moyenne, se voit refuser les prestations de l’assurance-invalidité au motif que l’origine du trouble est attribuable essentiellement à un contexte psycho-social particulièrement chargé.
Dans sa motivation, caractérisée par un flou artistique peu rassurant, le TF semble voir dans ce contexte psycho-social et dans la présence d’une majoration de symptômes des motifs suffisants pour renoncer à la mise en œuvre de la procédure probatoire structurée consacrée par l’ATF 141 V 281, qui est censée s’appliquer à tous les troubles psychiques depuis les ATF 143 V 409 et 418. Le TF semble ainsi faire application de l’exception circonscrite à l’ATF 143 V 418 c. 7.1, selon laquelle il n’y a pas lieu de recourir à la procédure probatoire structurée en cas de majoration des symptômes.
Cet arrêt est la démonstration que lorsque le médecin rapporte des signes de majoration des symptômes, la personne assurée n’a plus accès à la preuve, exactement comme cela prévalait sous l’ATF 141 V 281 avant sa modification par les deux arrêts subséquents : la présence d’un critère d’exclusion permet de neutraliser toute velléité probatoire de la part de la personne assurée.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 8C_782/2017 du 16 mai 2018
Assurance-chômage; indemnités de chômage; période de cotisation; période assimilée; art. 9 al. 3, 13 al. 2 let. c, 14 al. 1 let. b LACI
La condition déterminante pour admettre l’existence d’une période assimilée à une période de cotisation au sens de l’art. 13 al. 2 let. c LACI plutôt que celle d’un motif de libération au sens de l’art. 14 al. 1 let. b LACI n’est pas le fait que l’assuré a payé des cotisations, mais plutôt qu’il a été partie à un rapport de travail.
L’assuré était in casu partie à un rapport de travail et percevait des indemnités journalières LAA durant plus de 21 mois dans les limites du délai-cadre. Contrairement à l’avis de la cour cantonale, peu importe qu’une rente d’invalidité ait été allouée sur une partie de cette période, du moment qu’il bénéficiait en même temps des indemnités journalières LAA.
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

TF 8C_526/2017 du 15 mai 2018
Loi sur l’assurance-chômage; indemnité en cas d’insolvabilité de l’employeur; droit à l’indemnité; art. 51 LACI
Peut prétendre à l’indemnité en cas d’insolvabilité de l’employeur, outre les conditions personnelles et matérielles posées par l’art. 51 LACI, l’assuré qui est apte au placement (15 al 1 LACI) et satisfait aux prescriptions de contrôle (17 LACI) durant la période concernée.
N’est en principe pas considéré comme apte au placement l’assuré qui ne serait disponible que durant un temps relativement court en raison d’un prochain nouvel emploi. Dans de tels cas, les perspectives d’être engagé par un autre employeur durant la période concernée – en l’occurrence 1 mois – sont en effet faibles.
Afin de satisfaire à ses devoirs et de se soumettre aux prescriptions de contrôle, l’assuré doit s’annoncer le plus rapidement possible auprès de l’autorité compétente. Ce principe vaut également lorsque celui-ci a été libéré de son obligation de travailler et qu’il doit compter, selon les circonstances, sur le fait qu’il ne percevra pas l’entier de son salaire jusqu’au terme du délai de congé. En renonçant à s’annoncer auprès de l’assurance chômage, l’assuré – à l’instar du recourant – est réputé avoir accepté l’absence de protection en cas de perte de salaire prévue par la LACI.
Dans le cas particulier, les conditions précitées n’étant pas remplies, le TF a nié le droit à l’indemnité pour insolvabilité.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Neuchâtel

TF 8C_657/2017 du 14 mai 2018
Assurance-invalidité; procédure; expertise pluridisciplinaire; valeur probante d’une expertise effectuée par Corela; art. 44 LPGA
Compte tenu des pratiques de la Clinique Corela, mises à jour dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt 2C_32/2017 du 22.12.2017 (cf. Newsletter de mars 2018, et le commentaire d’Eric Maugué, consultable ici), on ne peut accorder pleine confiance aux conclusions d’une expertise (monodisciplinaire) pratiquée au sein du « département expertise » de la clinique. C’est donc à juste titre que les premiers juges s’en sont écartés.
Il faut relever qu’en l’espèce, l’expertise ne comportait pas de volet psychiatrique, spécialité pour laquelle des falsifications avaient été retenues dans l’arrêt précité, mais consistait uniquement en un examen par un spécialiste en traumatologie et chirurgie orthopédique. Le TF semble ainsi admettre que le « Corela Gate » entacherait définitivement la validité de toutes les expertises réalisées par cette clinique (aujourd’hui MedLex SA).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont



TF 9C_110/2018 du 14 mai 2018
Prestations complémentaires; couverture des besoins vitaux; obligation de diminuer le dommage; art. 10 LPC
Le litige porte sur le droit d’un étudiant domicilié chez sa mère, qui décide de quitter le domicile de sa mère pour vivre avec son amie. Tous deux sont au bénéfice de rentes de survivants de l’AVS, ainsi que de prestations complémentaires. Le différend porte sur le montant destiné à la couverture des besoins vitaux qui doit être pris en considération, à savoir la prise en compte du montant destiné à la couverture des besoins vitaux d’une personne seule, en lieu et place de celui destiné à la couverture des besoins vitaux d’un enfant.
Le TF a confirmé sa jurisprudence selon laquelle le calcul du droit à des prestations complémentaires d’un étudiant au bénéfice d’une rente d’orphelin doit être effectué en prenant en considération le montant applicable à la couverture des besoins vitaux des enfants, lorsqu’il est exigible de sa part qu’il continue à vivre chez son parent. Ce principe découle de l’obligation de diminuer le dommage qui incombe aux assurés, en vertu de laquelle l’on doit pouvoir exiger de celui qui requiert des prestations qu’il prenne toutes les mesures qu’une personne raisonnable adopterait dans la même situation, si elle ne pouvait attendre aucune indemnisation ou de tiers. Le recourant n’a pas réussi à établir que sa situation était différente de celle jugée dans l’arrêt 9C_429/2013. Et le TF de relever que la décision litigieuse n’empêche pas l’assuré de vivre de manière indépendante avec sa compagne, mais que l’assurance sociale n’a pas à prendre en charge les conséquences financières de son choix s’il n’a pas les moyens et ressources nécessaires pour concrétiser celui-ci.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 8C_86/2018 du 9 mai 2018
Assurance-militaire, accident; cours J+S; séquelles tardives; art. 6 et 110 LAM; 1 al. 1 et 2 al. 1 Tit. fin. CC
Cet arrêt est un cas d’application de l’arrêt de principe publié aux ATF 143 V 446, qui a déjà été résumé (arrêt 8C_430/2017).
L’assuré se prévaut de séquelles tardives d’un accident subi en 1979 dans le cadre d’un cours J+S. De telles séquelles étant assurées sur le principe, il n’est pas admissible de refuser toute prestation en prétendant que l’événement ne serait pas assuré, sans instruire le dossier. Celui-ci est ainsi renvoyé à l’instance précédente, qui doit dès lors déterminer s’il s’agit d’un cas de séquelles tardives.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

TF 8C_859/2017 du 8 mai 2018
Assurance invalidité; remboursement des prestations; art. 88bis al. 2 let. b RAI
En vertu de l’art. 88bis al. 2 let. b RAI dans sa teneur depuis le 1er janvier 2015, le remboursement des prestations de l’assurance invalidité peut, en présence d’une obtention irrégulière ou d’une violation de l’obligation de renseigner, être demandé rétroactivement jusqu’au moment du changement notable, sans égard au point de savoir s’il y a un lien de causalité entre cette violation de l’obligation de renseigner ou cette obtention irrégulière et la continuation du versement de la prestation. En conséquence, le moment auquel l’autorité compétente a eu connaissance de l’obtention irrégulière ou de la violation de l’obligation de renseigner est désormais sans pertinence dans la détermination de la période à l’égard de laquelle les prestations doivent être remboursées. La ratio legis est d’éviter qu’en cas de soupçon d’une telle obtention irrégulière ou violation du devoir de renseigner, l’autorité compétente suspende de manière précipitée le versement des prestations ou que le bénéficiaire soit incité à retarder l’instruction de la situation.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle

TF 9C_827/2017 - ATF 144 V 97 du 7 mai 2018
Assurance-invalidité; procédure; assistance judiciaire gratuite; retrait rétroactif; absence de base légale; art. 37 al. 4 LPGA
Après avoir obtenu l’assistance judiciaire gratuite pour la procédure administrative, un assuré se voit octroyer de manière rétroactive une rente AI d’abord complète, puis de trois quarts, ce qui lui donne droit à un arriéré de rentes d’env. CHF 60’000.-. Par décision ultérieure, l’Office AI lui refuse l’assistance gratuite, au motif que l’assuré n’est plus dans le besoin. Saisi du recours de l’assuré, le tribunal cantonal a considéré que la décision n’était pas un refus d’assistance judiciaire mais un retrait rétroactif de l’assistance gratuite déjà accordée. Faute de base légale, un tel retrait n’était pas possible.
Saisi d’un recours de l’Office AI, le TF relève que le retrait rétroactif de l’assistance gratuite au motif que la personne, auparavant dans le besoin, peut désormais assumer seule les coûts de la procédure, notamment grâce à un versement rétroactif de rentes, nécessite une base légale.
La question de l’application analogique de l’art. 65 al. 4 PA en matière d’assurances sociales, par renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA, est discutée en doctrine. Lors de la conception de la LPGA, le législateur avait l’intention de régler tous les points essentiels de la procédure en matière d’assurances sociales. Le devoir de restituer l’assistance gratuite octroyée n’est pas inséparable du droit à l’assistance et ne peut pas non plus être considéré comme un élément non essentiel de procédure. Par ailleurs, l’art. 37 al. 4 LPGA ne fait pas état du caractère provisoire de l’assistance ou de sa restitution. Par conséquent, comme la loi ne prévoit pas le principe de la restitution, l’art. 55 al. 1 LPGA ne permet pas d’appliquer l’art. 65 al. 4 PA par renvoi.
Au vu de ce qui précède, le recours de l’Office AI est rejeté.
Auteure : Pauline Duboux, jusriste à Lausanne



TF 4A_602/2017 - ATF 144 III 209 du 7 mai 2018
Responsabilité délictuelle; solidarité imparfaite; action récursoire; ordre des recours; art. 51 al. 2 CO; 72 al. 1 LCA
Le TF revient sur la jurisprudence Gini c. Dürlemann et retient que l’assurance privée qui indemnise une victime peut se retourner contre le responsable du préjudice pour obtenir le remboursement de la réparation payée à la victime, quel que soit le fondement de la responsabilité de l’auteur du préjudice.
En substance, le TF considère que par rapport au responsable objectif de l’accident, l’assureur privée doit, sur la base de l’art. 72 al. 1 LCA, être traité de la même manière que les assureurs sociaux qui sont subrogés aux droits de la victime dans la mesure des prestations légalement dues. Lorsqu’un responsable objectif cause un accident, il commet un acte illicite au sens de cette disposition, même si l’accident n’est pas dû à une faute de sa part. En effet, la teneur de l’art. 72 al. 1 LCA n’exige pas de faute. Un acte illicite suffit. Tout état de fait appréhendé par une responsabilité objective aggravée ou simple, c’est-à-dire toute responsabilité extracontractuelle au sens des art. 41 ss CO, tombe dès lors sous la notion d’acte illicite au sens de l’art. 72 al. 1 LCA. L’art. 51 al. 2 CO, régissant le recours interne entre personnes en vertu de causes juridiques différentes, ne trouve pas application.
Auteur : Christoph Müller



TF 9C_897/2017 du 4 mai 2018
Assurance-invalidité; travailleurs à temps partiel sans travaux habituels; évaluation de l’invalidité; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI; 27 et 27bis RAI
La jurisprudence limitant, dans le cadre de l’assurance-invalidité, la couverture sociale des personnes travaillant à temps partiel sans occuper le reste de leur temps à des « travaux habituels » (ATF 142 V 290) n’est pas discriminatoire, et conserve toute sa validité sous l’empire des nouveaux art. 27 et 27bis RAI.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_358/2017 - ATF 144 I 103 du 2 mai 2018
Assurance-invalidité; révision du droit à la rente; art. 17 LPGA; 28 LAI
L’application de la jurisprudence résultant de l’arrêt de la CEDH du 2 février 2016 dans la cause Di Trizio est confirmée (ATF 143 I 50).
La suppression d’une rente d’invalidité dans le cadre d’une révision est contraire à la CEDH lorsque seuls des motifs d’ordre familial (la naissance d’enfants et la réduction de l’activité professionnelle qui en découle) conduisent à un changement de statut de « personne exerçant une activité lucrative à plein temps » à « personne exerçant une activité lucrative à temps partiel ».
La procédure de révision doit se fonder sur les faits existants au moment de la décision. Le TF retient que le changement de situation familiale de l’invalide donnant naissance à un enfant et déclarant vouloir se consacrer au travail à temps partiel, ne permet pas de modifier la méthode de calcul, adoptée lors de la fixation de la rente initiale, pour appliquer la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité (c. 4.5). Le changement de méthode ne peut davantage intervenir par le biais d’une reconsidération de la décision si la méthode de calcul générale de la comparaison des revenus a été adoptée à juste titre lors de la fixation de la rente (c. 4.6).
Le TF a diminué la rente à 50% en fondant son calcul sur les salaires statistiques ESS 2014 existants à la date de la révision.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 9C_546/2017 du 30 avril 2018
Assurance-maladie; conditions pour pouvoir s’assurer à la LAMal; domicile en Suisse; séjour en vue de suivre un traitement médicale; art. 3 al. 1 LAMal; 2 al. 1 let. b OAMal
Début 2015, un ressortissant chinois a appris, dans son pays d’origine où il vivait régulièrement, qu’il souffrait d’une leucémie myélomonocytaire chronique. Le 8 juillet 2016, il s’est rendu en Suisse accompagné de son épouse afin de recueillir un deuxième avis médical. Durant son séjour en Suisse, il a séjourné auprès de sa fille et de son beau-fils, à Hünenberg. Dès le 28 juillet 2016, il a bénéficié d’un traitement médical (splénectomie) suivi d’une chimiothérapie. Le 4 septembre 2016, il a demandé à l’assureur-maladie Swica une affiliation rétroactive dès le 1er septembre 2016. Par décision du 20 octobre 2016, confirmée par décision sur opposition du 9 février 2017, l’assureur-maladie a refusé de l’affilier. Dans un arrêt du Tribunal cantonal administratif du canton de Zoug, le recours formé par le proposant a été admis.
Dans sa décision du 30 avril 2018, le TF confirme l’affiliation de l’assuré : les éléments objectifs versés au dossier permettent de reconnaître que le ressortissant chinois a créé son nouveau domicile en Suisse (art. 3 al. 1 LAMal) chez son beau-fils et sa fille (indication sur la boîte à lettres, achat d’un abonnement de téléphone portable pré-payé, demande de l’épouse auprès d’un assureur pour être également assurée). Le fait que la procédure selon le droit des étrangers n’est pas terminée (regroupement familial) ou qu’aucune annonce auprès du contrôle des habitants n’ait (encore) été effectuée n’est pas déterminant.
De plus, s’il ne fait aucun doute que le recourant est venu en Suisse pour recueillir un deuxième avis médical et suivre un traitement médical, il n’en demeure pas moins que des éléments objectifs démontrent qu’il souhaite (aussi) passer ses derniers jours auprès de sa famille. Aussi, l’art. 2 al. 1 lit. b OAMal n’est pas applicable, dès lors que le recourant a démontré qu’il n’a pas pour « seul but » de suivre un traitement médical en Suisse.
Auteur : Guy Longchamp

TF 4A_604/2017, 4A_606/2017, 4A_608/2017 du 30 avril 2018
Responsabilité civile; tort moral; devoir de diligence; connaissances professionnelles; art. 41, 47 et 49 CO
La réparation du tort moral requiert une atteinte illicite au sens des art. 47 et 49 CO, un lien de causalité ainsi qu’une faute au sens de l’art. 41 al. 1 CO. Pour que cette dernière condition soit réalisée, il faut démontrer que l’auteur du dommage n’a pas fait preuve de la diligence requise. Sur le plan objectif, celle-ci se détermine d’après le comportement qu’adopterait un consommateur moyen dans cette situation et, sur le plan subjectif, elle se définit d’après l’expérience ou les connaissances techniques dont bénéficie l’auteur du dommage.
Dans le cas d’espèce, deux amis ont monté un lit escamotable qui avait été offert par les voisins au père de l’un d’eux. Celui-ci avait assisté au démontage et savait donc que les anciens propriétaires l’avaient fixé au mur, ce qu’ignoraient toutefois les deux amis. Malheureusement, pendant la nuit, le cadre du lit s’est abattu sur la copine de l’un d’eux, la laissant tétraplégique.
Dans trois arrêts, résultants d’actions ouvertes tant par la lésée que par ses parents et dirigées contre le père ainsi que son fils, le TF estime que le fait, pour une personne, d’être en mesure de démonter et remonter un lit escamotable ou de le fixer au mur ne permet pas de la qualifier d’utilisateur avec des connaissances professionnelles, statut duquel découlerait un devoir de diligence accru. Bien que menuisier de formation mais n’ayant jamais exercé, il n’était pas possible pour le fils de reconnaitre qu’en ne fixant pas le lit escamotable au mur, il en résulterait un risque de basculement. De plus, le lit avait été testé après le montage et rien d’anormal n’avait été décelé. Quant aux normes techniques dispositives qui s’appliquent en matière de lits escamotables, elles s’adressent uniquement aux fabricants. Les juges fédéraux soulignent enfin qu’il n’est pas déterminant de savoir si les amis avaient connaissance ou non de l’existence et du contenu de ces normes, tout comme le fait que le lit était fixé au mur chez les voisins.
A cette occasion, la Haute Cour rappelle également que pour les actes de complaisance, seule la diligence que l’on voue à ses propres affaires est prise en compte (diligentia quam in suis).
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne.


TF 6B_957/2017 - ATF 144 IV 202 du 27 avril 2018
Responsabilité aquilienne; procédure; droit d’être entendu; classement; sort des frais judiciaires; exemption de peine; acte illicite; réparation du dommage; art. 8 al. 4 CPP; 426 al. 2 CPP; 53 CP
Dans un arrêt non publié du 22 décembre 2017 (6B_156/2017), le TF avait indiqué, sans plus de développements, que le sort des frais de procédure était régi, en cas de renonciation à poursuivre le prévenu fondée sur l’art. 53 CP, par l’art. 426 al. 2 CPP, eu égard notamment à l’impossibilité de retenir ou de laisser entendre que le prévenu serait, d’une quelconque manière, coupable de l’infraction en question.
Or, l’art. 53 CP, qui s’intègre dans une section du Code pénal intitulée « Exemption de peine et suspension de la procédure » (art. 52 à 55a CP), règle le sort de la procédure pour le cas où l’auteur aura réparé le « dommage » ou compensé le « tort » causé. Cette disposition repose donc sur la prémisse selon laquelle l’auteur a commis un « dommage » ou un « tort ».
Si la loi prévoit certes que le ministère public et les tribunaux rendent, le cas échéant, une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement (cf. art. 8 al. 4 CPP), cette décision, en ce qu’elle n’emporte pas condamnation et ne se prononce pas sur la culpabilité, ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence dont bénéficie le prévenu. Néanmoins, compte tenu de l’acte illicite nécessairement commis et en dépit duquel une non-entrée en matière ou un classement est prononcé, une mise à sa charge des frais s’avère en tous les cas justifiée.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne



TF 6B_1093/2017 du 25 avril 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute; comportement dans un giratoire; art. 26, 31 al. 1 et 34 al. 4 LCR
L’automobiliste, prévenu, ne conteste pas qu’il avait une vue dégagée sur le carrefour giratoire avant d’y entrer, mais fait valoir qu’il n’a pas vu la cycliste (au guidon d’un vélo électrique « E-bike ») au motif que celle-ci était cachée par d’autres voitures quand elle a elle-même pénétré dans le rond-point et qu’elle était ensuite masquée par l’angle d’obstruction du montant du pare-brise de la voiture. Si des véhicules disposant de la priorité se trouvaient déjà dans le giratoire, rétorque le TF, l’automobiliste ne devait pas y entrer. Or, dès lors qu’aucun véhicule ne se trouvait en réalité devant la cycliste, l’automobiliste aurait dû voir cette dernière au plus tard au moment où il approchait de la ligne d’arrêt et, ainsi, lui céder la priorité. Ensuite, si elle était cachée à un moment donné par le montant du pare-brise, il appartenait à l’automobiliste de se pencher en avant pour vérifier que la voie était libre. N’est pas déterminant non plus, pour le TF, que la cycliste ait circulé un peu plus près du cercle intérieur du giratoire ou plus à gauche de celui-ci.
L’autorité précédente a ainsi retenu à juste titre que la collision et les lésions corporelles étaient évitables. Le fait déterminant était le manque d’attention de l’automobiliste. C’est également avec raison qu’elle a admis que la gravité des lésions corporelles était prévisible, la manière de conduire du prévenu pouvant, selon le cours ordinaire des choses, conduire à une collision et à des lésions corporelles grave : en pénétrant dans le giratoire, il devait compter avec le fait que des cyclistes bénéficiant de la priorité pouvaient s’y trouver.
Certes, la cycliste a également violé les règles de circulation routière en omettant de signaler avec sa main qu’elle voulait sortir du rond-point. Il n’y a rupture du lien de causalité adéquate que si une autre cause concomitante constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l’acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci. Dans le cas d’espèce, le comportement de la cycliste a contribué à l’accident, mais ne constitue pas une inattention qualifiée. Si le prévenu avait prêté attention, il n’y aurait pas eu d’accident, malgré la faute de la cycliste (c. 1.4).
Auteur : Alexis Overney, avocat, Fribourg

TF 4A_631/2017 du 24 avril 2018
Responsabilité aquilienne; droit préférentiel du lésé; indemnité pour tort moral; prédisposition constitutionnelle; art. 44 et 47 CO; 72 al. 1 et 73 al. 1 LPGA; 24 al. 1 LAA
Le litige porte sur la question de savoir qui, de l’assureur LAA ou de la lésée victime d’un accident causé par un tiers, doit supporter une réduction d’indemnité pour tort moral (en l’espèce d’environ 20%) en raison d’une prédisposition constitutionnelle liée de la lésée. La Cour de justice de Genève a fait supporter la réduction exclusivement à la lésée, laquelle fait recours en plaidant qu’en vertu du droit préférentiel du lésé, cette charge doit, au contraire, incomber entièrement à l’assureur LAA.
Le TF rappelle qu’en vertu de l’art. 73 al. 1 LPGA, ce droit implique que, lorsque le responsable civil (ou son assureur) n’est pas tenu de réparer la totalité du dommage, notamment en raison de motifs de réduction de l’indemnité basés sur l’art. 44 CO, l’indemnité réduite revient prioritairement au lésé, qui peut ainsi compléter les prestations concordantes de l’assurance social jusqu’à ce qu’il obtienne réparation de l’intégralité du préjudice. L’assureur social supporte ainsi la réduction de l’indemnité due par le responsable.
Le TF se réfère ensuite à l’ATF 123 III 306 dans lequel il avait considéré qu’en matière de tort moral, lorsque le motif de réduction réside dans la faute du lésé, ce dernier doit bénéficier d’un droit préférentiel partiel, qui consiste en une solution intermédiaire conduisant à faire supporter simultanément au lésé et à l’assureur LAA la réduction pour faute concomitante du lésé.
Le TF conclut que lorsque la réduction de l’indemnité pour tort moral est due non pas à une faute concomitante du lésé mais à un état maladif préexistant, comme en l’espèce, il paraît conforme à l’esprit de l’assurance sociale et du droit préférentiel du lésé que l’assureur LAA assume entièrement cette réduction. La Cour de justice a donc violé le droit fédéral et le recours est admis.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève


TF 9C_202/2018 - ATF 144 V 184 du 23 avril 2018
Assurance-maladie; prestations en cas de maternité, participation aux coûts; art. 25, 25a, 29 et 64 LAMal
Le TF confirme la jurisprudence rendue sous l’empire de l’ancien art. 64 al. 7 LAMal, selon laquelle les coûts des prestations fournies en cas de complications survenant en cours de grossesse constituent des frais de maladie, également après l’entrée en vigueur de la modification de l’art. 64 al. 7 LAMal au 1er mars 2014. Conformément à l’art. 64 al. 7 let. b LAMal, les assurées qui bénéficient de telles prestations avant la treizième semaine de grossesse ne sont donc pas exemptées de l’obligation de participer aux coûts (c. 4.3-4.5).
Auteure : Stéphanie Perrenoud



TF 9C_417/2017 du 19 avril 2018
Assurance-invalidité; révision; substitution de motifs; mandat COMAI; validité formelle; art. 17 et 53 LPGA; Disp. fin. 6A LAI
L’autorité inférieure ne viole pas le droit fédéral lorsqu’elle confirme une décision de l’OAI de suppression de rente AI, initialement fondée sur l’art. 17 LPGA, par substitution de motifs fondés sur les dispositions finales de la modification du 18 mai 2011 de la LAI (6e révision de l’AI, premier volet) (c. 2 et c. 2.4).
De même, l’autorité inférieure peut, à juste titre, se fonder sur l’expertise COMAI et lui reconnaître une force probante. Dans le cas d’espèce, l’autorité a confié le mandat d’expertise COMAI en indiquant les conséquences des art. 307 et 320 CP. Dans le cadre de ce mandat, il est évident que le médecin psychiatre qui pratique l’expertise partielle de l’assurée connaît les conditions du mandat. Dès lors, selon le TF, cet expert SIM n’a pas besoin d’être rendu attentif une nouvelle fois aux conséquences pénales. L’expertise partielle ne saurait être déclarée inexploitable pour ce motif contrairement à ce que soutient la recourante (c. 5.1 et c. 5.3.2).
La décision de l’autorité précédente ne viole donc pas le droit fédéral. Elle est par conséquent confirmée et le recours rejeté (c. 6).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 8C_866/2017 du 17 avril 2018
Allocations familiales; allocation de formation; art. 3 al. 1 let. b LAFam; 25 al. 5 LAVS; 49bis et 49ter RAVS
Le TF rappelle qu’un stage n’est considéré comme une formation au sens de l’art. 49bis RAVS que s’il est factuellement nécessaire pour débuter une formation, respectivement pour obtenir une place d’apprentissage dans une entreprise déterminée (c. 4.2).
Le caractère de formation ne peut être reconnu que si le stage ne procure pas à l’enfant une rémunération mensuelle brute (cf. c. 5.2.3) supérieure à la rente AVS maximale, soit CHF 2'350.- par mois. En l’espèce, le revenu de l’enfant s’élevait, 13ème salaire compris, à CHF 2'353.- par mois, ce qui ferme le droit à l’allocation de formation.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_547/2017 du 16 avril 2018
Responsabilité aquilienne; dommage; préjudice d’assistance; art. 46 CO; 8, 159, 272 et 276 CC
Pour que le préjudice de soins et d’assistance fournis par des proches soit indemnisé, les conséquences de l’accident doivent nécessiter une activité de leur part excédent de manière sensible celle qui résulte de leurs devoirs résultant des art. 159, 272 ou 276 CC.
L’exigence de substantification n’est pas remplie lorsque la victime fait valoir de manière générale des limitations physiques et des atteintes dans la sphère psychique qui auraient pour conséquence de rendre absolument nécessaire la présence de son épouse à raison de deux à trois heures par jour. La production de deux rapports du médecin psychiatre traitant ne suffit pas. Des données complémentaires doivent être fournies précisant les motifs pour lesquels cette assistance est indispensable.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève


TF 4A_586/2017 du 16 avril 2018
Responsabilité aquilienne; contrat de conseil en placements; détermination du dommage; art. 42 al. 1 et 2 et 99 al. 3 CO
En vertu de l’art. 42 al. 1 CO, il incombe au demandeur de prouver le dommage, à défaut les circonstances en raison desquelles le montant exact du dommage ne peut pas être établi, ce qui conduit à une détermination équitable de celui-ci par le juge, en application de l’art. 42 al. 2 CO. En matière de contrat de gestion de placements ou de conseil en placements, si le dommage provient d’un traitement fautif du portefeuille dans son entier due à une stratégie d’investissement non conforme au contrat ou découlerait d’un traitement fautif entachant la plus grosse part du portefeuille ou encore si les actes dommageables ne sont plus identifiables précisément, établir exactement le dommage sera impossible et on pourra alors estimer équitablement celui-ci, en application de l’art. 42 al. 2 CO, en confrontant le résultat du portefeuille administré en violation du contrat avec celui d’un portefeuille hypothétique géré de manière conforme au contrat. Si en revanche seuls certains placements sont visés, il y a lieu de déterminer précisément la différence entre la valeur réelle de ces placements et la valeur hypothétique de la même part de patrimoine si elle avait été placée conformément à une exécution correcte du contrat.
Il y a lieu de rejeter l’action d’un investisseur n’établissant pas, d’une part, le dommage précisément, en application de l’art. 42 al. 1 CO ni, d’autre part, qu’une des conditions auxquelles l’article 42 al. 2 CO subordonne en l’occurrence l’estimation équitable du dommage serait remplie, à savoir que le dommage proviendrait d’un traitement fautif du portefeuille dans son entier due à une stratégie d’investissement non conforme au contrat ou découlerait d’un traitement fautif entachant la plus grosse part du portefeuille ou encore que les actes dommageables ne seraient plus identifiables précisément.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle


TF 4A_254/2017 du 9 avril 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; prétentions récursoires; taux de capitalisaiton de 3,5 %; concordance temporelle; art. 46 C0; 72 LPGA
Dans cette affaire, la victime d’un accident de circulation avait ouvert action contre l’assureur RC du détenteur de l’automobile responsable et obtenu réparation, notamment, de sa perte de gain future, sur la base d’un taux de capitalisation de 3,5%. Une fois ce premier jugement entré en force, la SUVA a ouvert action contre le même assureur RC, mais en demandant à ce que le dommage futur soit calculé sur la base d’un taux de capitalisation de 2 %.
Après avoir résumé la position de la doctrine sur la question de savoir si l’action directe du lésé et l’action récursoire de l’assureur social doivent être traitées sur la base des mêmes règles de calcul (c. 2.4), le TF se pose la question de savoir si, en soi, une modification de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral en matière de taux de capitalisation se justifie en l’espèce. Or, au principe général de la prévisibilité et à celui de la sécurité juridique qui motivent cette jurisprudence, s’ajoute dans le cas présent la nécessité concrète pour les parties au procès portant sur le dommage direct de pouvoir au moment de sa liquidation estimer à quel montant il faudra s’attendre en matière de prétentions récursoires. Or, précisément, les prétentions directes ont été dans ce cas précis d’ores et déjà liquidées sur la base de la jurisprudence actuelle, si bien qu’il serait contraire au principe de la sécurité du droit et de la prévisibilité de traiter les prétentions récursoires sur une autre base. En d’autres termes, même s’il devait apparaître indiqué, sur la base du temps écoulé depuis l’arrêt de principe de 1999, d’examiner une nouvelle fois le taux de capitalisation, et même si l’on devait considérer avec la SUVA qu’il existe aujourd’hui des indices suffisants pour considérer qu’un revenu effectif de 3,5 % sur un capital d’indemnisation n’est plus réalisable dans un futur proche, il n’est pas possible de procéder à une telle modification de jurisprudence dans un cas où une partie du dommage a d’ores et déjà été réglée sur la base du taux actuel de capitalisation (c. 3.3).
Si l’assureur social veut remettre en question le taux de capitalisation, il lui appartient de faire en sorte que cette question soit traitée dès le début du règlement du cas, cas échéant par le biais d’une intervention accessoires (art. 74 CPC) dans le procès intenté par le lésé direct contre le responsable (c. 3.4).
Dans le jugement cantonal, le jour du calcul avait été fixé au 27 mars 2014, ce qui n’a été contesté par personne. Il a été également admis par toutes les parties que le lésé ne subirait de perte de gain qu’à partir de l’année 2019. Dans ce contexte, l’instance cantonale n’était entrée en matière que pour les rentes d’invalidité qui seraient versées par la SUVA à partir de 2019, en raison du principe de concordance temporelle. La SUVA contestait dans son recours cette division du dommage futur (soit après le 27 mars 2014) en deux phases distinctes.
Le TF rappelle que la jurisprudence n’exclut pas que la période située après le jour du calcul soit elle-même divisée en sous-périodes, même si la doctrine n’est pas unanime à ce sujet. En l’espèce, cette sous-division effectuée par les juges cantonaux au début de l’année 2019 est objectivement fondée puisque c’est seulement à partir de ce moment-là que la victime subit une perte de gain. La méthode de calcul appliquée par les juges cantonaux ne viole donc pas le droit fédéral.
Remarque : Peut-être peut-on voir dans cet arrêt un premier pas du Tribunal fédéral en direction d’une modification du taux de capitalisation. Rien ne permet de l’affirmer cependant avec certitude, même si cet arrêt devrait motiver les victimes directes, avec ou sans le concours des assurances sociales, à conduire les tribunaux à réexaminer une nouvelle fois cette question.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 9C_635/2017 du 5 avril 2018
Assurance-invalidité; infirmité congénitale; mesures médicales; art. 3 al. 2 LPGA; 6, 9 al. 3 et 13 LAI; 2 et annexe OIC
Jusqu’à la modification de l’annexe de l’OIC avec effet au 1er mars 2016, la trisomie 21 n’était pas reconnue comme une infirmité congénitale au sens de l’art. 13 LAI. En effet, les affections qui ne sont pas susceptibles d’être traitées directement dans leur ensemble par l’application d’un traitement scientifiquement reconnu – telle la trisomie 21 – ne peuvent pas figurer comme telles dans la liste des infirmités congénitales. D’après la jurisprudence, il est toutefois possible, dans le cas d’affections polysymptomatiques, de reconnaître des mesures médicales appropriées au traitement des divers troubles en cause, à condition que ceux-ci, considérés isolément, correspondent à l’une ou l’autre des infirmités congénitales énumérées dans l’annexe à l’OIC et que les conditions prévues au chiffre correspondant soient réalisées. La jurisprudence admet aussi que les mesures médicales au sens de l’art. 13 LAI puissent traiter une affection secondaire qui n’appartient certes pas à la symptomatologie de l’infirmité congénitale, mais qui, à la lumière des connaissances médicales, en est une conséquence (directe ou indirecte) fréquente ; il doit exister entre l’infirmité congénitale et l’affection secondaire un lien très étroit de causalité adéquate.
Depuis la modification de l’annexe de l’OIC, la trisomie 21 figure comme infirmité congénitale (sous le ch. 489), de sorte que l’AI doit prendre en charge les mesures médicales pour l’ensemble des composantes de la trisomie 21, même celles qui ne figuraient pas à l’annexe à l’OIC, comme l’hypotonie musculaire. Les diverses composantes de la trisomie 21 sont regroupées au ch. 489. Ainsi les troubles congénitaux de la fonction de la glande thyroïde (notamment hypothyroïdie), qui figurent au ch. 463 de l’annexe à l’OIC, font partie des composantes de la trisomie 21 indiquées sous le ch. 489 et sont traitables. Selon l’OFAS, la nouvelle réglementation signifie que l’AI ne prend pas en charge les mesures médicales entamées et terminées avant le 1er mars 2016, mais bien celles ayant débuté avant cette date, pour autant que le traitement se poursuive au-delà de celle-ci et que les conditions d’assurance soient remplies (prise en charge seulement depuis le 1er mars 2016 en ce cas).
L’hypothyroïdie, considérée isolément, dont souffre l’intimée, née en 2003 et affectée de la trisomie 21, étant acquise et non congénitale au sens de l’art. 3 al. 2 LPGA (non survenue à la naissance, mais en 2012 selon ce qui ressort du dossier médical), son traitement ne peut être pris en charge par l’AI sur la base du ch. 463 de l’annexe à l’OIC : les conditions d’une prise en charge en cas d’affections polysymptomatiques ne sont pas réalisées. Par ailleurs, même si l’hypothyroïdie acquise devait être considérée comme une conséquence fréquente de la trisomie 21, soit comme affection secondaire d’une infirmité congénitale désormais reconnue (la trisomie 21), son traitement ne pourrait en l’occurrence être pris en charge par l’AI, les conditions d’assurance au sens de l’art. 9 al. 3 LAI n’étant pas remplies en lien avec la trisomie 21 : au moment de la naissance de l’intimée, soit de la survenance de la trisomie 21, les conditions de cotisations/de séjour minimum en Suisse n’étaient pas réalisées. L’octroi de mesures médicales en lien avec le ch. 489 de l’annexe à l’OIC n’est ainsi pas d’emblée exclu, même si l’assuré est né avant le 1er mars 2016.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 6B_443/2017 du 5 avril 2018
Responsabilité aquilienne; procédure; conclusions civiles dans la procédure pénal; art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF; 122 al. 1, 126 CPP
Un gardien de prison est blessé à l’occasion d’une rixe entre détenus et demande des conclusions civiles dans le cadre du procès pénal. Selon l’art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au TF si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Constituent de telles prétentions celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s’agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO.
A teneur de l’art. 126 al. 1 CPP, le tribunal statue également sur les conclusions civiles présentées, lorsqu’il rend un verdict de culpabilité à l’encontre du prévenu (let. a) ou lorsqu’il acquitte le prévenu et que l’état de fait est suffisamment établi (let. b). Lorsque les preuves recueillies jusque-là, dans le cadre de la procédure, sont suffisantes pour permettre de statuer sur les conclusions civiles, le juge pénal est tenu de se prononcer sur le sort des prétentions civiles. En cas de pluralité de conclusions civiles, le juge devra examiner, pour chacune d’elles, si elles sont justifiées en fait et en droit.
Selon l’art. 126 al. 2 CPP, le juge renvoie la partie plaignante à agir par la voie civile, notamment, lorsque la partie plaignante n’a pas chiffré ses conclusions de manière suffisamment précise ou ne les a pas suffisamment motivées (let. b) ou lorsque le prévenu est acquitté alors que l’état de fait n’a pas été suffisamment établi (let. d).
En vertu de l’art. 126 al. 3 CPP, dans le cas où le jugement complet des conclusions civiles exigerait un travail disproportionné, le tribunal peut traiter celles-ci seulement dans leur principe et, pour le surplus, renvoyer la partie plaignante à agir par la voie civile. Les prétentions de faible valeur sont, dans la mesure du possible, jugées par le tribunal lui-même.
Malgré la référence à l’art. 126 al. 3 CPP, l’autorité précédente n’a pas statué sur les prétentions civiles du recourant dans leur principe ni justifié le renvoi au juge civil en raison d’un travail disproportionné, de sorte que le simple renvoi au juge civil ne correspond pas à cette disposition.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève


TF 6B_1388/2017 du 4 avril 2018
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence; omission; causalité; art. 125 al. 2 CP
Un « rider » a été gravement blessé sur la piste de glace de skeleton « Cresta Run » à Saint-Moritz à l’occasion d’une course. Son pied droit, qui a violemment heurté un poteau angulaire non capitonné sur le côté de la piste, a été sectionné.
L’art. 125 al. 2 CP punit celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte grave à l’intégrité corporelle ou à la santé. Les éléments constitutifs de cette infraction sont des lésions corporelles graves (1), la négligence (2) ainsi qu’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre les éléments précités (3).
S’agissant de la causalité d’une omission, il y a lieu d’examiner si une action conforme au droit aurait permis d’empêcher la survenance du sinistre. Le lien de causalité est donné lorsque le résultat ne se serait très vraisemblablement pas produit si les mesures attendues avaient été prises.
L’exploitant d’installations sportives doit prendre toutes les mesures de prudence, de protection et de surveillance exigibles. Ce devoir connaît certaines limites, en particulier en termes de nécessité et de possibilités concrètes de mesures. Néanmoins, il y a toujours lieu de garantir un degré de protection minimale. Le TF rappelle par ailleurs que la responsabilité personnelle du sportif constitue une autre limitation du devoir d’assurer la sécurité.
La prévisibilité du résultat constitue la condition essentielle de la violation du devoir de diligence. A cet égard, la prudence à laquelle une personne est tenue est déterminée par les circonstances concrètes et sa situation personnelle, dans la mesure où toutes les données factuelles ne peuvent être contenues dans des prescriptions. Ainsi, les responsables de pistes de ski doivent, par des mesures de sécurité appropriées, s’assurer que les skieurs ne subissent pas de dommages face aux dangers. L’étendue des mesures de sécurité dépend des circonstances du cas concret (c. 4.1).
Selon le TF, il n’est pas du tout prouvé que le lésé aurait eu un comportement extraordinaire, contrairement à ce qu’affirme le responsable de la piste. Sur la « Cresta Run », les « riders » de skeleton atteignent des vitesses jusqu’à 90 km/h à l’endroit incriminé. Les luges sont pilotées par des mouvements subtils, étant précisé que des mouvements légers de la tête suffisent pour diriger l’engin. A de telles vitesses, les erreurs de pilotage peuvent engendrer des dynamiques énormes. En conséquence, les exigences à poser en matière de sécurité à celui qui exploite une telle installation sont hautes. Il y a lieu de s’attendre à des erreurs conséquentes et inhabituelles de la part des participants. En tout état de cause, il est incompréhensible que des poteaux angulaires tranchants soient placés sans protection près de la piste (c. 4.5.1).
Selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, des poteaux angulaires non protégés placés au bord de pistes de courses sont de nature à provoquer un événement du genre de celui qui s’est produit. Des erreurs de pilotage élémentaires ou crasses à l’occasion de compétitions ne sont pas des circonstances tout-à-fait exceptionnelles auxquelles on ne pourrait pas s’attendre. Ces erreurs ne doivent pas non plus être considérées comme la « cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré ». Par conséquent, l’interruption du rapport de causalité adéquate doit être niée (c. 4.5.3).
Le TF a ainsi rejeté le recours du responsable de l’installation et confirmé sa condamnation pour lésions corporelles graves par négligence.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 4A_143/2018 du 4 avril 2018
Responsabilité du propriétaire d'ouvrage; qualité pour défendre; notion de défaut; inondations; procédure arbitrale; arbitraire; art. 44 al. 1 et 58 CO; 679 et 684 CC; 361 al. 4 et 393 let. e CPC; 77 al. 1 let. b LTF
Appelé à statuer dans une cause relative à la responsabilité du propriétaire d'ouvrage (art. 58 CO), un tribunal arbitral assure à chaque partie le droit de s’exprimer sur les faits essentiels pour l’issue de la cause, de présenter son argumentation juridique, de proposer ses moyens de preuve sur des faits pertinents et de prendre part aux séances du tribunal). La protection contre l’arbitraire qui est conférée par l’art. 393 let. e CPC n’autorise pas la partie recourante à contester l’appréciation des documents soumis au tribunal arbitral ; elle lui permet seulement de faire valoir que le tribunal a ignoré certains passages d’un document déterminé ou qu’il lui a attribué un contenu divergeant de son contenu réel, notamment en retenant par erreur qu’un fait est établi par une pièce, alors que cette pièce ne fournit aucune indication au sujet de ce fait.
L’action en dommages-intérêts fondée sur les art. 58 CO, 679 CC ou 684 CC doit être intentée contre le propriétaire du bâtiment. A défaut, l’action peut être rejetée sans violation manifeste d’un droit, aux termes de l’art. 393 let. e CPC. L’art. 679 CC ne trouve pas application en l’espèce car l’irruption d’eau dans la cave n’est pas la suite d’un acte d’utilisation ou d’exploitation de l’immeuble par le propriétaire. De même, l’art. 684 CC est également hors de cause car il n’est pas question d’un dommage subi par le propriétaire ou par l’usager d’un immeuble voisin.
Le fait que des caves soient inondées en cas de pluies exceptionnellement importantes est un phénomène classique qui peut survenir également dans des bâtiments exempts de vice de construction ou de défaut d’entretien aux termes de l’art. 58 CO. A elle seule, l’irruption d’eau dans une cave ne suffit pas à imposer au propriétaire une obligation de réparer le dommage.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 9C_476/2017 - ATF 144 V 138 du 29 mars 2018
Assurance-maladie; droit tarifaire; TARMED; modification du tarif par décision du Conseil fédéral; légalité; art. 43 et 46 al. 4 LAMal
Une clinique du canton de Lucerne a demandé à une caisse-maladie de prendre en charge le montant d’une de ses factures établies à partir de l’ancien tarif TARMED (version 1.08), en lieu et place du nouveau tarif qui comprenait une réduction linéaire de 8.5% du nombre de points de certaines prestations techniques. Cette réduction ressortait de l’ordonnance sur l’adaptation de structures tarifaires dans l’assurance-maladie, entrée en vigueur au 1er octobre 2014 (RS 832.102.5) (c. A.a et A.b). La clinique estimait que cette ordonnance était contraire au droit et ne devait pas s’appliquer (c. B).
En première instance, la juridiction arbitrale saisie du cas lui a donné raison en affirmant que les conditions présidant à la modification de la structure tarifaire TARMED par le CF étaient bien réalisées, mais que la réduction linéaire du nombre de points n’était pas juridiquement soutenable (c. 3).
De son côté, le TF a rappelé que le CF pouvait établir des principes visant à ce que les tarifs soient fixés d’après les règles d’une saine gestion économique et structurés de manière appropriée, de même qu’établir des principes relatifs à leur adaptation et veiller à la coordination de ces tarifs avec les régimes tarifaires des autres assurances sociales (art. 43 al. 7 LAMal). Il a rappelé également que si les partenaires tarifaires ne pouvaient s’entendre sur une structure tarifaire uniforme, il appartenait au CF de la fixer et encore que le CF pouvait même procéder à des adaptations de la structure tarifaire si celle-ci s’avérait inappropriée et que les parties ne pouvaient s’entendre sur une révision de la structure (système en cascade) (art. 43 al. 5 et 5bis LAMal). Le TF a considéré que lorsque le CF intervenait parce que le tarif était inapproprié et que les partenaires ne s’étaient pas entendus, il avait une marge de manœuvre étendue (grossen Ermessenspielraum) (c. 6.4.4.).
Le TF a indiqué ensuite que l’art. 43 al. 4 2e phrase et al. 5bis LAMal ne comportait pas de règle claire sur le contenu des adaptations par le CF, ni sur la procédure concrète à suivre. Dans le cas d’espèces, le CF était donc en droit de réduire linéairement le nombre de points afférents à certaines positions (c. 6.5). Le TF a précisé encore que les motifs du CF pouvaient relever aussi bien de considérations politiques (ici, promotion de la médecine de famille), qu’économiques (c. 6.5).
Auteure : Rebecca Grand, avocate à Lausanne

TF 9C_809/2017 du 27 mars 2018
Assurance-invalidité; révision; capacité résiduelle de travail; mesures de réadaptation; art. 16 et 17 LPGA
Le TF rappelle que ni le déconditionnement issu d’un mode de vie sédentaire et inactif, ni celui lié à une longue interruption de l’activité professionnelle ne suffisent en tant que tels pour admettre une diminution durable de la capacité de travail dans toute activité. Il souligne toutefois que lorsque le déconditionnement se révèle être la conséquence directe et inévitable d’une atteinte à la santé, son incidence sur la capacité de travail ne saurait d’emblée être niée.
Ainsi, si la mise en valeur de la capacité résiduelle de travail dépend d’une mesure préalable liée à l’état de santé, et réservée du point de vue médical, il y a lieu d’en tenir compte pour évaluer ladite capacité de travail. Lorsque le corps médical fixe une capacité résiduelle de travail, tout en réservant que celle-ci ne pourra être atteinte que moyennant l’exécution préalable de mesures de réadaptation, il n’y a pas lieu de procéder à une évaluation du taux d’invalidité sur la base de la capacité résiduelle de travail médico-théorique avant que lesdites mesures n’aient été exécutées.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 8C_729/2017 du 26 mars 2018
Allocations familiales; personne mariée sans activité lucrative; notion de revenu imposable; égalité de traitement entre couples mariés et concubins; art. 19 al. 1 et 2 LAFam; 17 OAFam; 28 al. 4 RAVS
Une femme mariée sans activité lucrative a fait une demande d’allocations familiales pour ses trois enfants. La caisse de compensation a rejeté sa demande au motif que le revenu imposable du couple (CHF 53'400.-) dépassait le plafond fixé, par l’art. 19 al. 2 LAFam, à une fois et demie le montant de la rente de vieillesse complète maximale de l’AVS, soit CHF 42'120.-.
La cour cantonale du canton de St-Gall a admis le recours de l’assurée. Elle a retenu que l’art. 19 al. 2 LAFam contenait une lacune improprement dite, cette clause n’opérant pas de distinction entre les couples mariés et les personnes seules, avec pour résultat une inégalité de traitement entre les personnes mariées et non mariées. Elle a comblé cette lacune en s’inspirant de l’art. 28 al. 4 RAVS, à savoir en divisant le revenu imposable du couple par deux. Ainsi, avec un revenu imposable de CHF 26'700.-, le plafond de l’art. 19 al. 2 LAFam n’était pas atteint et l’assurée devait être mise au bénéfice d’allocations familiales (c. 3.1).
Le TF n’adhère pas à ce raisonnement. L’art. 19 al. 2 LAFam ne contient pas de lacune proprement dite. De plus, s’il fallait admettre une lacune improprement dite, les conditions ne seraient pas réalisées pour que celle-ci soit comblée par le juge (c. 3.2.1 et 3.3). La prise en compte du revenu imposable du couple se justifie par la situation économique distincte des couples mariés par rapport aux personnes seules élevant des enfants. La manière de procéder de la Cour cantonale placerait ces dernières dans une situation moins favorable que les couples mariés (c. 3.2.3.1). Certes, par rapport aux couples vivant en concubinat, les couples mariés sont défavorisés. Il ne s’agit toutefois pas d’une inégalité de traitement injustifiée, dans la mesure où mariage et concubinat sont deux formes de vie commune traités différemment par l’ordre juridique suisse (c. 3.2.3.2). C’est donc bien le revenu imposable du couple qui doit servir de référence au calcul de l’art. 19. al. 2 LAFam, quand bien même cette solution n’est pas entièrement satisfaisante aux yeux du TF (c. 3.3).
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève

TF 8C_600/2017 du 26 mars 2018
Assurance-accidents; réduction des prestations; participation à une rixe; art. 39 LAA; 49 al. 2 OLAA
Par décision confirmée sur opposition, la CNA réduit de 50 % les indemnités journalières allouées à un assuré au motif qu'il avait pris part à une rixe. Saisie d’un recours de l’assuré, le tribunal cantonal annule cette décision. La CNA recourt au TF.
L’art. 39 LAA habilite le Conseil fédéral à désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces. L’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu notamment en cas de participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a).
La notion de participation à une rixe de l’art. 49 al. 2 OLAA ou à une bagarre est plus large que celle de l’art. 133 CP. Pour admettre l’existence d’une telle participation, il suffit que l’assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu’il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute : il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger. En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense. Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu.
Le juge des assurances sociales n’est pas lié par les constatations de fait et l’appréciation du juge pénal. Il ne s’en écarte cependant que si les faits établis au cours de l’instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s’ils se fondent sur des considérations spécifiques du droit pénal qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales.
En l’espèce, le TF retient qu’il n’y a pas eu de provocation de la part de l’assuré si bien que la CNA n’est pas admise, selon notre Haute Cour, à opérer une réduction de 50% des prestations de l’assurance-accidents.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 8C_409/2017 - ATF 144 V 50 du 21 mars 2018
Assurance-invalidité; révision; troubles psychogènes; arbitraire; indicateurs; égalité de traitement; art. 14 CEDH; 8 al. 2 Cst.; Disp. fin. 6A lit. a al. 1 LAI; 7 et 8 LPGA
Dans le cadre d’une révision initiée sur la base de la lettre a al. 1 Disp. fin. 6A, le TF rappelle tout d’abord les principes dégagés à l’ATF 141 V 281 s’agissant de déterminer le caractère invalidant d’un trouble somatoforme douloureux ou d’une pathologie associée. Il rappelle également que des constatations de fait ne sont pas déjà arbitraires parce qu’elles ne correspondent pas à la perception que la personne assurée a de sa situation. Des doutes quant à la réalité de la situation décrite par les premiers juges ne suffisent pas davantage. Il faut au contraire que le caractère erroné de leurs constatations soit évident et saute aux yeux. Ces conditions n’étaient pas remplies en l’espèce.
Le trouble somatoforme douloureux présenté par le recourant n’étant pas invalidant selon les indicateurs de l’ATF 141 V 281, c’est à bon droit que les juges cantonaux ont rejeté le recours.
Sans motiver davantage, le TF affirme que la méthode utilisée par les premiers juges ne viole ni l’interdiction de discrimination (art. 14 CEDH), ni le principe de l’égalité de traitement (art. 8 al. 2 Cst.). Le recourant semblait pourtant plaider le caractère discriminatoire de la méthode utilisée pour déterminer le caractère invalidant de troubles psychogènes.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_263/2017 - ATF 144 V 127 du 21 mars 2018
Assurance-maladie; élément d’extranéité; affiliation à l’assurance-maladie suisse; législation applicable; protection de la bonne foi; art. 3 al. 1 LAMal; 1 al. 1 et 2 al. 1 OAMal; 9 Cst; 24 R (CE) n° 883/2004
Est litigieuse la question de savoir si doit être assuré en Suisse, selon la LAMal, un ressortissant allemand âgé de 65 ans au bénéfice d’un permis de séjour B (sans activité professionnelle en Suisse) et au bénéfice, à partir du 1er janvier 2016, d’une rente de vieillesse d’une assurance allemande.
A partir du 1er avril 2012, sont entrés en vigueur pour la Suisse le R (CE) n° 883/2004 et le R (CE) n° 987/2009. La modification réglementaire n° 465/2012 est, quant à elle, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 2015. Ce sont donc ces dispositions qui sont applicables dans le cas d’espèce.
L’application des normes de conflits (Kollisionsnormen) du R (CE) n° 883/2004 est contraignante pour les Etats membres ou signataires, dont la Suisse. C’est dans ce sens que l’art. 3 al. 1 LAMal, en relation avec l’art. 1 al. 1 OAMal, prévoit que chaque personne domiciliée en Suisse doit s’assurer auprès d’une caisse maladie suisse. Selon l’art. 2 al. 1 let. e OAMal, peuvent être libérées de l’obligation de s’assurer les personnes au bénéfice d’une rente d’un état membre de l’UE, de même que les membres de leur famille, en vertu de l’art. 2 al. 1 let. f OAMal.
En application de l’art. 24 R (CE) n° 883/2004, les coûts de prestations en nature de l’assurance maladie sont à la charge de l’assureur compétent du pays qui verse la rente de pension, ce même en l’absence de normes expresses de conflit. Cela signifie qu’une personne ayant un domicile en Suisse mais recevant exclusivement une rente de pension allemande appartient au système de santé allemand, avec une participation uniquement subsidiaire de la Suisse. Il ressort de ce qui précède que le rentier allemand n’est pas subordonné et n’appartient pas au système LAMal suisse.
Cependant, il apparaît qu’à la suite de l’admission initiale en décembre 2015 par le Groupe Mutuel, le rentier allemand ne disposait plus d’une assurance-maladie allemande à partir du 1er janvier 2016, même volontaire. En outre, l’assureur suisse n’a pas examiné s’il existait ou non une possibilité pour lui d’être repris par un assureur allemand. Si tel ne devait pas être le cas à la suite du renvoi prononcé par le TF, il y aurait alors bel et bien violation des principes de la confiance et de la bonne foi (art. 9 Cst) par le Groupe Mutuel, lequel devait alors continuer à assurer ce retraité allemand.
Auteur : Didier Elsig, avocat

TF 6B_405/2017 du 16 mars 2018
Responsabilité aquilienne; qualité pour recourir au TF en matière pénale contre un refus d’entrée en matière; prétentions civiles en réparation du dommage et du tort moral; art. 81 al. 1 lit. a et b ch. 5 LTF; 41 CO
A l’issue d’une procédure ouverte par F., G. et D. contre X., celui-ci est condamné à libérer une servitude de passage en faveur de F. et G., alors que les conclusions de D. sont jugées irrecevables. X. dépose ensuite plainte pénale contre D. et divers témoins pour fausse déclaration d’une partie en justice et faux témoignage. Il recourt au TF contre le jugement cantonal confirmant le refus d’entrée en matière du Ministère public sur sa plainte pénale.
Pour le TF, le recourant qui n’expose pas en quoi consisterait son dommage et ne fait pas valoir de tort moral n’a pas qualité pour recourir contre un refus d’entrée en matière. L’hypothèse qu’il puisse obtenir, après condamnation pénale pour fausse déclaration et faux témoignage puis à l’issue d’une procédure de révision, le rejet de l’action civile en libération de la servitude ne suffit pas pour fonder sa qualité pour recourir en matière pénale, étant précisé que le procès civil ne l’oppose pas aux personnes pénalement dénoncées. De plus, le TF relève qu’on ne voit pas quelles prétentions civiles il pourrait faire valoir, ni de lien direct entre celles-ci et les infractions dénoncées.
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds
TF 9C_615/2017 - ATF 144 V 120 du 16 mars 2018
Prévoyance professionnelle; liquidation partielle; art. 53d LPP; 27h OPP2
Le TF se réfère à des arrêts antérieurs publiés concernant le transfert collectif des provisions techniques (art. 27h OPP2 ATF 140 V 121) et confirme que pour déterminer s’il y a cession d’un risque actuariel, seule la situation de l’institution de prévoyance cédante est déterminante.
Cette règle s’applique également pour le risque « vieillesse » et la constitution de provisions techniques pour le financement de l’effectif assuré notamment.
Auteur : Guy Longchamp

TF 9C_743/2017 du 16 mars 2018
Assurance-vieillesse et survivants; calcul de la rente; rectification du compte individuel; art. 30ter LAVS; 141 al. 3 RAVS
La rectification du compte individuel au sens de l’art. 141 al. 3 RAVS s’étend à toute la durée de cotisations de l’assuré et porte donc également sur les années de cotisations pour lesquelles des cotisations ne peuvent plus être payées, en raison de la prescription selon l’art. 16 al. 1 LAVS. Toutefois, l’art. 141 al. 3 RAVS ne donne à la caisse de compensation que la compétence de corriger d’éventuelles erreurs d’écritures, et non pas d’effectuer des corrections matérielles.
L’inscription de cotisations prescrites est également possible aux conditions de l’art. 30ter LAVS, selon lesquelles l’employeur doit avoir retenu les cotisations légales mais ne les a pas versées à la caisse. Cette situation particulière – à laquelle s’ajoute, selon la jurisprudence, celle d’une convention sur le salaire net – doit toutefois être établie sans équivoque. S’il n’est pas clair que l’employeur a effectivement retenu les cotisations sur le salaire, une correction du compte n’est pas possible.
En dehors des situations particulières visées par les art. 30ter LAVS et 141 al. 3 RAVS, les cotisations dont le montant n’a pas été fixé par voie de décision dans un délai de cinq à compter de la fin de l’année civile pour laquelle elles sont dues ne peuvent plus être exigées ni versées.
En l’espèce, le travailleur, domicilié en Italie, affirmait que l’emploi exercé pour une entreprise suisse était soumis à la perception des cotisations sociales pour une durée supérieure à celle retenue par la Caisse suisse de compensation (de 1977 au lieu de 2003) et qu’il avait ainsi droit à une rente supérieure. Comme le TAF a retenu, sans violer le droit, que l’employeur n’avait pas retenu les cotisations sociales de 1997 à 2002, estimant que le travailleur n’était pas assujetti, l’assuré ne peut se prévaloir des art. 141 al. 3 RAVS ou 30ter LAVS pour bénéficier d’une rente plus favorable. Ainsi, même si l’argumentation du recourant, selon laquelle il aurait dû être affilié à l’AVS pour les années en cause, était bien fondée, les cotisations y relatives ne pourraient de toute façon plus être exigées et versées à l’AVS.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 9C_646/2017 du 9 mars 2018
Assurance-vieillesse et survivants; perception des cotisations sociales arriérées; procédure simplifiée; art. 14 al. 3 et 4 let. c LAVS; 39 RAVS; 49 et 50 LPGA
Les caisses de compensation disposent de la latitude de choisir la forme par laquelle elles souhaitent exiger le paiement d’arriérés de cotisations, une décision devant être rendue si nécessaire. Elles peuvent donc agir en application de la procédure simplifiée au sens de l’article 51 al. 1 LPGA.
Selon la jurisprudence, le rapport juridique entre l’assureur social et la personne assurée qui repose sur une décision rendue en application de la procédure simplifiée selon l’article 51 al. 1 LPGA acquiert force de chose décidée si l’assuré ne manifeste pas, dans un délai d’examen et de réflexion convenable, son désaccord avec la solution adoptée ou sa volonté de voir statuer sur ses droits dans un acte administratif susceptible de recours (art. 51 al. 2 LPGA). En présence d’une telle réaction, l’assureur doit alors rendre une décision formelle. La durée du délai d’examen et de réflexion convenable varie selon les circonstances du cas d’espèce, mais ne saurait en aucun cas être supérieure à une année.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 6B_197/2017 du 8 mars 2018
Responsabilité aquilienne; lésions corporelles graves par négligence; acte illicite; faute; art. 125 CP; 328 al.2 CO; 82 LAA
Une condamnation pour lésions corporelles par négligence suppose que l’auteur ait causé le résultat incriminé par une violation de son devoir de prudence. Un comportement viole le devoir de prudence lorsque l’auteur, au moment des faits, aurait pu et dû, au vu des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte qu’il mettait en danger des biens juridiquement protégés de la victime et qu’il excédait les limites du risque admissible.
Lorsque des normes spécifiques destinées à éviter les accidents et à assurer la sécurité commandent un comportement déterminé, le contenu et l’étendue du devoir de prudence se déterminent en premier lieu d’après ces normes. Le devoir de prudence relatif à la protection des travailleurs découle notamment des art. 328 al. 2 CO et 82 LAA, ou encore de l’OPA.
Doivent seuls être pris en considération les actes qui ont causé ou augmenté le risque qui s’est concrétisé avec la survenance du résultat typique, et non ceux qui n’ont, simplement, pas permis de l’éviter.
Si une activité dangereuse est entreprise sans prendre les mesures de sécurité suffisantes, il y a lieu, en principe, de considérer un comportement actif. A cet égard, il convient avant tout de déterminer s’il y a matière à considérer un comportement actif qui s’avère typique, illicite et fautif. En pareille hypothèse, l’élément déterminant ne réside pas dans l’omission des mesures de sécurité en tant que telle, mais dans le fait d’accomplir l’activité en cause sans les observer. Lorsqu’un comportement actif est imputé à l’auteur, la culpabilité de ce dernier doit être envisagée au regard de ses actes, indépendamment du fait qu’il ait eu ou non une position de garant.
En l’espèce, les reproches formulés par le recourant à l’encontre de l’intimé renvoient de manière générale à sa façon d’exploiter sa broyeuse, partant à un comportement actif, ce qui dispense d’examiner plus avant son éventuelle position de garant et les éléments invoqués à cet égard par le recourant.
S’agissant de l’amorçage de la bâche au sol sur le noyau retiré de la broyeuse, les premiers juges ont admis l’existence de recommandations allant dans ce sens, édictées par l’Office cantonal genevois de l’inspection et des relations du travail (OCIRT) à la suite d’un accident survenu en 2011. Ils ont toutefois retenu que l’OCIRT avait lui-même précisé ne pas être spécialisé dans les machines du type incriminé, si bien qu’il y avait un doute sur la pertinence de la mesure et qu’il n’y avait pas matière, sur ce point, à retenir à la charge de l’intimé une violation de son devoir de prudence.
Enfin, s’agissant du reproche formulé à l’encontre de l’intimé par rapport au fait de ne pas avoir équipé sa broyeuse des nouveaux dispositifs de protection prévus par le constructeur sur les modèles plus récents, la pièce produite à l’audience d’appel ne lui est d’aucun secours, dès lors qu’elle n’évoque aucune obligation de ce type. Les premiers juges avaient retenu pour leur part qu’il n’existait actuellement aucune obligation générale de monter rétroactivement des structures de protections, telles que préconisées par l’ingénieur de sécurité dans son rapport, sauf si celui qui met le produit sur le marché le prévoit.
En définitive, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en retenant qu’aucune négligence ne pouvait être imputée à l’intimé et en le libérant du chef d’accusation de lésions corporelles graves par négligence.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 6B_948/2017 du 8 mars 2018
Responsabilité aquilienne; lien de causalité; règles de prudence; position de garant; art. 11,12 et 125 CP
Dans le cadre d’une attraction foraine, un jeune homme a subi un grave accident en tentant d’exécuter un double salto arrière sur un trampoline. Le TF rappelle que deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait négligence au sens de l’art. 125 CP. D’une part, il faut que l’auteur viole les règles de la prudence, à savoir le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d’autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. D’autre part, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable. Cette infraction peut être commise par un comportement passif contraire à une obligation d’agir (art. 11 al. 1 CP), étant précisé que n’importe quelle obligation juridique ne suffit pas. Il faut qu’elle ait découlé d’une position de garant.
Il faut en outre qu’il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. En cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée. Pour l’analyse des conséquences de l’acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et de la causalité adéquate. L’existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance.
En l’espèce, aucune violation fautive du devoir de prudence n’a pu être reprochée à l’intimé, propriétaire de l’attraction, lequel avait déjà été acquitté par les instances cantonales.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

TF 9C_426/2017 - ATF 144 V 72 du 7 mars 2018
Prévoyance professionnelle; invalidité; travailleur à temps partiel; art. 26 al. 1 LPP
L’assurance-invalidité a octroyé une rente d’invalidité entière puis de trois quarts à une salariée exerçant une activité à temps partiel. L’institution de prévoyance n’a accordé qu’un quart de rente d’invalidité, en se fondant sur le taux d’occupation effectif de l’assurée, et non pas en fonction d’un plein temps.
Le TF maintient son ancienne jurisprudence concernant la détermination du taux d’invalidité d’une personne exerçant une activité lucrative à temps partiel. Dans cette situation, et malgré les avis critiques de plusieurs auteurs, les juges fédéraux estiment qu’il est justifié de s’écarter de la détermination de l’assurance-invalidité. De plus, il n’existe pas de raison de reprendre la solution applicable dans l’assurance-accidents, selon laquelle l’invalidité doit être calculée par rapport à un plein temps. En conséquence, il confirme la décision du tribunal cantonal octroyant à l’assurée un quart de rente d’invalidité dans le domaine de la prévoyance professionnelle.
Auteur : Guy Longchamp

TF 9C_133/2017 - ATF 144 V 63 du 7 mars 2018
Prévoyance professionnelle; invalidité; travailleur à temps partiel; art. 26 al. 1 LPP
Le TF maintient son ancienne jurisprudence concernant la détermination du taux d’invalidité d’une personne exerçant une activité lucrative à temps partiel (cf. 9C_426/2017 du même jour).
Toutefois, en présence d’un taux d’activité (hypothétique) retenu par l’assurance-invalidité ne correspondant pas au taux d’activité effectif de l‘assuré, l’institution de prévoyance doit apporter un correctif en abaissant le revenu avant l’invalidité retenu par l’assurance-invalidité et procéder à une comparaison des revenus pour établir l’invalidité dans le domaine de la prévoyance professionnelle. Une telle méthode est en outre compatible avec le nouvel art. 27bis RAI, entré en vigueur le 1er janvier 2018. En conséquence, le TF admet le recours de l’assuré et renvoie à l’autorité inférieure le dossier pour nouvelle décision.
Auteur : Guy Longchamp

TF 6B_351/2017 du 1 mars 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; accident de la circulation; négligence; réaction inappropriée du conducteur excusable; art. 31 al. 1 LCR; 12 al. 3 CP
Le TF examine les conditions auxquelles une perte de maîtrise du conducteur est excusable en cas d’accident de la circulation. La perte de maîtrise du véhicule n’est punissable que lorsqu’elle est due à une erreur de conduite ou à une réaction inappropriée du conducteur. Toutefois, on ne saurait ignorer le fait que, dans la circulation, le conducteur peut soudainement être confronté à un danger aigu. Dans des tels cas, des réactions inappropriées demeurent compréhensibles.
Il n’est pas possible de reprocher un comportement fautif au conducteur sur le simple constat que, après mûre réflexion ex post, voire une expertise technique, sa réaction ne s’avère pas être la meilleure parmi celles qui étaient envisageables au moment de la survenance de l’évènement inopiné, ceci à tout le moins lorsqu’elle apparaît raisonnable.
D’après le TF, la réaction du conducteur est excusable lorsqu’elle est approximativement équivalente à celle qui apparait ex post comme la plus efficace et que le conducteur n'a pas su opter pour la meilleure d’entre elles parce que l'immédiateté du danger exigeait de lui une décision instantanée. Elle ne l’est en revanche pas lorsque, parmi plusieurs réactions possibles, l’une s’imposait de telle manière qu’elle pouvait être reconnue comme la plus évidente et la plus utile, même dans une situation exigeant une décision très rapide.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne.

TF 6B_601/2017 du 26 février 2018
Responsabilité aquilienne; procédure; qualité pour recourir contre l’acquittement d’un co-prévenu; art. 382 al.1 CPP
Le recourant, qui avait été condamné pour homicide par négligence en première instance, avait recouru au tribunal cantonal notamment pour faire condamner un co-prévenu acquitté en première instance de la même infraction et pour qu’une partie des frais de procédure en lien avec ce chef de prévention lui soit imputée. Son recours a été déclaré irrecevable par le tribunal cantonal, faute de qualité pour agir.
Le TF rappelle que la partie recourante est habilitée à se plaindre d’une violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel et est ainsi fondée à attaquer une décision déclarant irrecevable son recours cantonal pour défaut de qualité pour recourir, ce indépendamment des conditions posées par l’art. 81 al. 1 LTF.
Selon l’art. 382 al. 1 CPP, a qualité pour recourir toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation ou la modification de la décision. L’intérêt doit être juridique et direct et non de fait : le recourant doit établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu’il peut en conséquence en déduire un droit subjectif. La violation d’un intérêt relevant d’un autre sujet de droit est insuffisante pour créer la qualité pour agir. Ainsi, un prévenu ne peut se plaindre de la manière dont un co-prévenu a été traité. Selon le TF, l’acquittement du co-prévenu n’a pas de conséquences sur la peine du recourant et sur la répartition des frais : chaque prévenu n’a supporté que les frais liés à sa propre cause en fonction des infractions retenues ou non à son encontre ; l’acquittement du co-prévenu n’a pas d’influence sur la fixation de la peine du recourant en vertu du principe selon lequel il n’y a pas de compensation des fautes en droit pénal. Quant aux effets de nature civile que peut avoir l’acquittement du co-prévenu (le recourant a été seul tenu pour responsable du décès et du dommage y lié sur le plan civil, le tribunal de première instance ayant estimé que la faute du recourant avait rompu le lien de causalité entre l’acte du co-prévenu et le décès), le TF relève que le tribunal cantonal n’a pas dénié au recourant sa qualité pour recourir sur cette partie du jugement (décision partielle uniquement en rapport avec l’acquittement du co-prévenu et non sur la partie civile du jugement), de sorte que la question du principe de la responsabilité civile et des quotes-parts de responsabilité des protagonistes et notamment du co-prévenu reste à juger par le tribunal cantonal, étant rappelé qu’un acquittement ne préjuge pas du sort des conclusions civiles. Enfin, en soutenant que le juge civil est largement influencé par le jugement pénal et ne s’en distancie généralement pas, le recourant invoque un intérêt de fait, mais n’établit pas que la décision attaquée viole une règle de droit ayant pour but de protéger ses intérêts.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 9C_305/2017 - ATF 144 V 84 du 20 février 2018
Assurance-maladie; soins à domicile; fournisseur de prestations; contrat de droit administratif; interprétation du contrat; art. 25a al. 5 LAMal et 18 al. 1 CO
Le litige oppose une commune à une institution de soins pédiatriques à domicile, liées par une convention de droit administratif portant sur les modalités de la prise en charge médicale d’un enfant à domicile, sur la base de l’art. 25a al. 5 ph. 2 LAMal. Les parties ne s’entendent pas sur le tarif horaire à appliquer au fournisseur de prestations. Le TF indique que la convention est valable dans la mesure où la commune disposait d’une marge de manœuvre suffisante et où la convention ne déroge pas à des normes de droit impératif (c. 6.1).
S’agissant de son interprétation, une convention de droit administratif s’interprète comme un contrat de droit privé, soit en premier lieu selon la réelle et commune intention des parties lors de la conclusion du contrat (art. 18 al. 1 CO). A défaut, il faut recourir au principe de la confiance. De plus, en cas de doute, en présence d’un contrat de droit administratif, il faut partir du principe que l’administration n’est pas disposée à conclure un accord qui ne soit pas compatible avec les intérêts publics qu’elle doit défendre. Ceci ne signifie cependant pas qu’il faille systématiquement donner la préférence à l’interprétation la plus favorable à l’intérêt public (c. 6.2.1).
Pour le contrat passé en l'espèce, le TF considère que le fait d’avoir, pour la commune, confié à la fondation assurant les soins à domicile, la mission de recourir au besoin, pour la dispensation de soins un patient en particulier, à un(e) tiers infirmière ou infirmier indépendant(e), respecte l’art. 5 al. 1 de la loi zurichoise sur les soins (Pflegegesetz). Selon cette disposition, les communes pourvoient à un accès aux soins approprié et professionnel en faveur de leurs résidant(e)s, et, à cette fin, soit elles exploitent des institutions qui leur sont propres, soit elles mandatent des institutions tierces, telles que des maisons de soins et des services de soins à domicile, ou des infirmières et infirmiers indépendant(e)s. D’autre part, le TF arrive à la conclusion que les différents éléments de fait, tels qu’ils ont été retenus par le tribunal administratif cantonal (éléments que le TF énumère au considérant 6.4.1.1 de son arrêt), permettent de considérer, sans arbitraire, que l’infirmier concerné dans cette affaire était bien un « tiers » au sens du contrat en question, et qu’il avait, par là même, droit à la rétribution qui est, dans le contrat, prévue pour les soins dispensés au patient en question.
S’agissant de la compétence de la IIe Cour de droit social du TF pour trancher cette affaire, cette dernière précise qu’il s’agissait en l’espèce, en arrière-plan, d’une prestation d’assurance sociale selon l’art. 25a al. 5 LAMal, et non pas d’une question plus abstraite liée au droit public de la santé, auquel cas ç’eût été à la IIe Cour de droit public de la trancher (c. 1.2) ; la IIe Cour de droit social relève aussi que, s’agissant d’une contestation qui a trait, finalement, au financement résiduel de soins selon l’art. 25a al. 5, 2e phr., LAMal, ç’eût été, au niveau cantonal, et même si cela, pour différentes raisons, ne porte pas à conséquence dans le cas d’espèce, au Tribunal cantonal des assurances de la juger, et non pas au Tribunal administratif (c. 1.1.2.2).
Auteurs : Emilie Conti, avocate à Genève, et Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 6B_980/2016 du 20 février 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; causalité; négligence; lésions corporelles graves par négligence; art. 12 al.3 CP et 125 CP
Suite à un accident de la circulation routière entre un camion et un cycle, le TF est amené à examiner l’art. 125 CP qui réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé. Selon l’art. 12 al. 3 CP, agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L’imprévoyance est coupable quand l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle.
Deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait négligence : la première est qu’il faut que l’auteur viole les règles de la prudence, c’est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d’autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires et un comportement dépassant les limites du risque admissible qui viole le devoir de prudence s’il apparaît qu’au moment des faits son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d’autrui. La seconde prévoit que la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable.
En outre, il faut qu’il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Le rapport de causalité est qualifié d’adéquat lorsque, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s’est produit. La causalité adéquate peut toutefois être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d’un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait s’y attendre. L’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.
En l’espèce, le TF est arrivé à la conclusion qu’il ne pouvait être établi que le comportement du détenteur du camion était constitutif d’une inattention fautive en lien direct avec la survenance de l’accident. Le TF a en effet retenu l’existence de circonstances imprévisibles (trajectoire de la cycliste, feu de circulation de la piste cyclable au rouge lors de son franchissement par la cycliste, présomption que celle-ci ne roulait plus sur la bande cyclable et envisageait de traverser le carrefour en empruntant le passage pour piéton). De son côté, le détenteur du camion a effectué sa manœuvre correctement (clignotant enclenché, utilisation consciencieuse de ses rétroviseurs), seule la vitesse de 12 km/h pouvait éventuellement être retenue à son encontre et encore puisque on pouvait douter de la nécessité de l’adapter compte tenu du fait que le feu de signalisation était au vert pour le détenteur du camion, que celui-ci vouait toute son attention à la manœuvre qu’il effectuait et qu’il avait pris en compte la priorité à accorder aux éventuels usagers susceptibles d’arriver sur sa droite.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 9C_147/2017 - ATF 144 V 58 du 20 février 2018
Prévoyance professionnelle; invalidité; connexité temporelle; art. 23 lit. a LPP
Dans cet arrêt, le TF précise sa jurisprudence, en ce sens que le critère de la connexité temporelle est interrompu lorsqu’un assuré recouvre une capacité de travail de 80% au moins, durant trois mois, dans une activité adaptée.
Le seul fait d’être considéré comme étant au bénéfice d’une capacité de travail de 80% au moins ne suffit pas. Il faut encore que cette capacité de travail dure au moins trois mois. A défaut, l’ancienne institution de prévoyance doit (continuer de) verser d’éventuelles prestations d’invalidité.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_447/2017 du 20 février 2018
Assurances privées; indemnités journalières en cas de maladie (LCA); couverture contractuelle après un accident; LCA
Employée sous contrat de travail du 1er août 2010 au 31 mars 2013, couverte par un contrat d’assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie conclu par l’employeur. Accident du 15 mars 2011 (perte de connaissance assise à sa place de travail, chute de sa chaise le visage, nez en avant, lui causant une fracture plurifragmentaire à la base du nez). Diagnostic de syndrome cervico-vertébral posé le 25 juin 2011, puis de syndrome post-commotionnel et de syndrome cervical post-traumatique. Résiliation des rapports de travail par son employeur pour le 31 mars 2013. Le 14 juillet 2014, l’assurée à repris une activité à 70% comme collaboratrice d’accueil dans un centre de fitness. L’assureur-accidents a mis un terme au versement des indemnités journalières LAA au 30 avril 2012 (décision du 4 avril 2012). L’assureur perte de gain maladie a pris provisoirement le relai pour la période du 22 mai 2012 au 17 juin 2014. Dans sa décision sur opposition du 24 février 2014, l’assureur-accidents est revenu sur sa décision initiale du 04 avril 2012 et a payé rétroactivement les indemnités journalières LAA. Il a mis un terme au versement des indemnités journalières avec effet au 30 avril 2015 après qu’une expertise pluridisciplinaire a démontré que l’assurée était en mesure de reprendre une activité à 100%. L’assureur perte de gain maladie n’a pas donné suite à la demande de l’assurée de reprendre le versement des indemnités journalières au-delà du 1er mai 2015. C’est pourquoi l’assurée a formulé une action partielle contre l’assureur. Le tribunal des assurances sociales a accueilli favorablement cette action partielle et condamné l’assureur perte de gain maladie au paiement de CHF 10'000.- correspondant à une prétention d’indemnités journalières dues après le 1er mai 2015, fondée sur le contrat d’assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie. Le tribunal cantonal a considéré que l’assureur perte de gain maladie avait reconnu son obligation de prester pour la période du 22 mai 2012 au 17 juin 2014, qu’une incapacité de travail d’au moins 30% avait été reconnue de manière ininterrompue depuis l’accident sur la base des certificats d’incapacité de travail du médecin traitant chez qui l’assurée avait été régulièrement en traitement, si bien qu’une telle incapacité de travail était hautement vraisemblable, également au-delà du 1er mai 2015.
L’assureur a formulé un recours en matière civile contre ce jugement devant le Tribunal fédéral.
La couverture de l’assurance perte de gain maladie commence le jour de l’entrée en service au sein de l’employeur affilié et se termine le dernier jour de la prétention au salaire. Pour les cas d’assurance qui ne sont pas encore réglés au moment de l’extinction de la couverture de l’assurance, celle-là offre ses prestations contractuelles au-delà de la fin des rapports de travail, également lors d’un changement professionnel avec transfert au sein de l’assurance perte de gain maladie du nouvel employeur. L’instance cantonale part du principe que la durée de la couverture d’assurance va au-delà de la fin des rapports de travail du 31 mars 2013 et plus particulièrement jusqu’à la suspension des prestations LAA le 30 avril 2015, puisque selon les conditions générales d’assurance, la couverture dure jusqu’à l’extinction des prétentions salariales, c’est-à-dire également des indemnités journalières LAA. L’incapacité de travail d’origine accidentelle s’est transformée en une incapacité de travail d’origine maladive à une date indéterminée qu’il n’est pas possible de fixer avec précision durant cette période de couverture d’assurance. Cette transformation peut avoir eu lieu avant le 30 avril 2015, puisque l’assurance-accidents pourrait avoir fourni des prestations encore après que le lien de causalité naturel et adéquat avec l’accident aurait disparu. Il n’est pas évident de comprendre ce que le tribunal de première instance a voulu expliquer à propos de l’obligation de prester au-delà des relations de travail. Sont essentielles les questions de l’objet et de la durée de la couverture d’assurance, c’est-à-dire jusqu’à quelle date un cas d’assurance doit être accepté pour qu’il soit couvert. L’incapacité de travail est survenue le jour de l’accident du 14 mars 2011. La question de l’objet du contrat d’assurance est liée à l’étendue de la couverture d’assurance. Le tribunal cantonal a admis la couverture d’assurance jusqu’au 30 avril 2015 parce que l’assureur-accidents a accordé ses prestations jusqu’à cette date. En principe, la couverture d’assurance prend fin le jour où la prétention au salaire cesse. Dans la règle, ce jour correspond à la fin de la relation de travail. Tant que l’assurance-accidents admet l’incapacité de travail d’origine accidentelle et fournit ses prestations, il s’agit des conséquences d’un accident. Peut rester ouverte la question de savoir si la couverture d’assurance perte de gain maladie a effectivement été prolongée jusqu’au 30 avril 2015. En effet, d’une manière ou d’une autre, une incapacité de travail d’origine maladive ne peut être survenue qu’après la suspension des prestations fournies par l’assureur-accidents. Or, la couverture d’assurance ne s’étend pas au-delà 30 avril 2015, ce qui entraine le rejet la demande sans que doive être examiné si une incapacité de travail existe toujours après le 1er mai 2015.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 6B_1347/2016 du 12 février 2018
Responsabilité médicale; absence de consentement éclairé; art. 125 CP
L’affaire en question avait fait l’objet d’un premier arrêt du TF en mai 2016 (arrêts 6B_788/2015 et 6B_902/2015, cf. Newsletter du mois de juillet 2016). Elle concerne le cas d’une patiente qui reprochait à son médecin de ne pas l’avoir préalablement informée sur les risques de l’opération d’une part, et sur le fait qu’elle ne serait pas opérée par lui-même, mais par deux apprenants d’autre part. Dans le premier arrêt, le TF avait admis qu’aucune violation des règles de l’art n’avait été établie, et que l’on pouvait admettre que si elle avait été correctement informée sur les risques de l’opération, la patiente aurait néanmoins accepté celle-ci (consentement hypothétique). Par contre, la cour cantonale avait agi de façon arbitraire en retenant un consentement hypothétique quant à la personne du chirurgien opérateur.
Suite au renvoi par le TF, la cour cantonale a finalement confirmé la condamnation du médecin responsable. Le TF, dans ce second arrêt, rejette le recours de ce dernier en expliquant notamment que le consentement éclairé du patient ne constitue pas un élément objectif de l’infraction prévue à l’art. 125 CP, mais un fait justificatif supprimant l’illicéité de l’acte portant atteinte à l’intégrité corporelle. Dès lors, dans la mesure où il est établi qu’une intervention chirurgicale a bel et bien causé des lésions corporelles et que l’intervention du médecin n’a pas été justifiée par le consentement éclairé du patient, il n’y a pas lieu de rechercher encore s’il existe un lien de causalité entre le manquement au devoir d’information et les lésions (c. 1.4). En d’autres termes, en cas de défaut d’information, si le consentement hypothétique ne peut être admis, le juge n’a pas à se demander encore si une information correcte aurait permis d’éviter le dommage.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 6B_987/2017 du 12 février 2018
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; odéo routier; tort moral; quotité et réduction; art. 44 al. 1 et 49 al. 1 CO
Un conducteur s’est livré dans un centre-ville à une course poursuite, roulant à plus de 150 km/h et causant la mort et des blessures graves à des piétons.
L’ampleur de la réparation morale au sens de l’art. 49 al. 1 CO dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l’atteinte subie par la victime et de la possibilité d’adoucir sensiblement, par le versement d’une somme d’argent, la douleur morale qui en résulte. Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge. En raison de sa nature, l’indemnité pour tort moral, destinée à réparer un dommage, qui ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d’argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. L’indemnité allouée doit toutefois être équitable.
La fixation de l’indemnité pour tort moral est une question d’application du droit fédéral, que le TF examine donc librement. Toutefois, celle-ci relevant pour une part importante de l’appréciation des circonstances, il intervient ainsi avec retenue. Il le fait notamment si l’autorité cantonale a mésusé de son pouvoir d’appréciation, en se fondant sur des considérations étrangères à la disposition applicable, en omettant de tenir compte d’éléments pertinents ou encore en fixant une indemnité inéquitable parce que manifestement trop faible ou trop élevée. Toutefois, il s’agit d’une question d’équité – et non d’une question d’appréciation au sens strict, qui limiterait l’examen du TF à l’abus ou à l’excès du pouvoir d’appréciation – il examine librement si la somme allouée tient suffisamment compte de la gravité de l’atteinte ou si elle est disproportionnée par rapport à l’intensité des souffrances morales causées à la victime.
L’art. 44 al. 1 CO permet de réduire une indemnité pour tenir compte d’une faute concomitante. Cette disposition s’applique également à l’indemnité pour tort moral. Il y a faute concomitante lorsque le lésé omet de prendre des mesures que l’on pouvait attendre de lui et qui étaient propres à éviter la survenance ou l’aggravation du dommage; autrement dit, si le lésé n’a pas pris les mesures qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, aurait pu et dû prendre dans son propre intérêt. La faute concomitante suppose que l’on puisse reprocher au lésé un comportement blâmable, en particulier un manque d’attention ou une attitude dangereuse, alors qu’il n’a pas déployé les efforts d’intelligence ou de volonté que l’on pouvait attendre de lui pour se conformer aux règles de la prudence. La réduction de l’indemnité – dont la quotité relève de l’appréciation du juge – suppose que le comportement reproché au lésé soit en rapport de causalité naturelle et adéquate avec la survenance du préjudice.
En l’espèce, le TF a confirmé l’arrêt de la cour cantonale sur l’indemnité pour tort moral, ne la considérant pas comme disproportionnée pour les motifs suivants :
Tort moral fixé avant réduction à CHF 25’000.-
Montant fixé en tenant compte (i) de ce que les conséquences physiques et psychologiques des atteintes à l’intégrité physique dépassent le seuil de gravité en dessous duquel aucune indemnité n’est due, (ii) de ce que les atteintes à l’intégrité sont constituées de fracture du crâne, hémorragie cérébrale, syndrome de choc post-traumatique, douleurs multiples, troubles mnésiques et déficit d’attention (iii), d’une hospitalisation de deux semaines après l’accident.
Faute concomitante impliquant une réduction de l’indemnité de 20%
Réduction de 20% de l’indemnité pour tort moral dès lors que le lésé avait traversé sur un passage pour piétons mais à la phase rouge du feu.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

TF 8C_388/2017 du 6 février 2018
Assurance-accidents; fausse déclaration d’accident; sanction en cas de violation de l’obligation de renseigner; premières déclarations; entreprise téméraire absolue; courses motorisées; art. 39, 46 et 113 LAA; 50 OLAA
L’art. 46 al. 2 LAA permet à l’assureur de réduire ou de refuser les prestations à titre de sanction en cas de fausses informations données intentionnellement. Cette disposition vise à réprimer un comportement dolosif tendant à obtenir de l’assurance plus que ce à quoi l’on aurait droit. L’assureur doit examiner une telle éventualité pour chaque prestation en particulier en respectant l’interdiction de l’arbitraire, ainsi que les principes de l’égalité de traitement et de proportionnalité. Une condamnation pénale, en particulier pour escroquerie, n’est pas une condition nécessaire pour faire usage de l’art. 46 al. 2 LAA.
En l’occurrence, un faisceau d’éléments de preuve et d’indices concordants, dont la première version du recourant à laquelle il convient d’accorder la préférence, établissent au degré de la vraisemblance prépondérante que ce dernier a fait de fausses déclarations en prétendant que l’accident dont il a été victime est survenu alors qu’il se rendait au départ d’une course motorisée dite « spéciale » (soit une compétition chronométrée sur une portion du parcours) et non au cours de celle-ci. La distinction revêt une importance sous l’angle du droit aux prestations d’assurance. La participation à des courses motorisées est en effet considérée comme une entreprise téméraire absolue qui motive dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces (art. 39 LAA en corrélation avec l’art. 50 OLAA).
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne

TF 8C_745/2017 du 5 février 2018
Allocations familiales; allocations de formation; art. 1 al 1 et 3 al 1 lit. b LAFam; 49bis et 49ter RAVS
Selon les art. 1 al. 1 et 3 al. 1 lit. b LAFam, les enfants en formation au sens de l’art. 25 al. 5 LAVS ont droit à une allocation de formation jusqu’à l’âge de 25 ans. L’art. 49bis RAVS indique qu’un enfant est réputé en formation lorsqu’il suit une formation régulière reconnue de jure ou de facto à laquelle il consacre la majeure partie de son temps et se prépare systématiquement à un diplôme professionnel ou obtient une formation générale qui sert de base en vue de différentes professions (al 1). L’art. 49ter al. 3 RAVS définit les périodes qui ne sont pas assimilées à une interruption, pour autant que la formation se poursuive immédiatement après. Il s’agit des périodes usuelles libres de cours et les vacances d’une durée maximale de 4 mois, ainsi que le service militaire ou civil d’une durée maximale de 5 mois, ainsi que les interruptions pour raison de santé ou de grossesse jusqu’à une durée maximale de 12 mois. Les lettres a, b et c de l’art. 49ter al 3 ne sont pas applicables cumulativement.
Un stage est reconnu comme une formation au sens de l’art. 49bis RAVS s’il est légalement ou réglementairement exigé par la formation poursuivie. Après sa maturité fédérale, le fils du recourant a servi dans l’armée durant 25 semaines (école de recrue du 30 juin au 19 décembre 2014), soit plus de 5 mois au sens de l’art. 49ter al 3 lit b RAVS, si bien qu’on doit considérer que sa formation a été interrompue. Par ailleurs, le stage d’assistant de projet rémunéré effectué par le fils du recourant du 9 mars au 30 juin 2015 n’est pas une condition préalable à son admission à l’EPFZ le 14 septembre 2015. Enfin, la période d’interruption entre l’obtention de la maturité fédérale à fin juin 2014 et le début de l’EPFZ en septembre 2015 a dépassé 13 mois, à savoir largement plus que les durées maximales prévues à l’art. 49ter al. 3 RAVS. C’est donc à bon droit que la Caisse de compensation et le tribunal cantonal ont nié le droit du recourant pour son fils aux allocations de formation avant le 1er septembre 2015, si bien que le recours est rejeté.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 9C_214/2017 du 2 février 2018
Assurance-maladie; refus d’un numéro RCC; absence de responsabilité de santésuisse; art. 78 LPGA
Le TF précise que santésuisse n’a pas commis d’acte illicite susceptible d’engager sa responsabilité en refusant d’attribuer à un médecin un code au registre du code-créanciers (RCC), fondé sur une interprétation soutenable de la législation applicable à l’époque.
En effet, quand bien même un jugement a ordonné à ladite organisation d’admettre le médecin à pratiquer à la charge de l’assurance-maladie obligatoire a été rendu, les juges fédéraux rappellent que le fait de rendre une décision se révélant par la suite contraire au droit ne suffit pas pour engager la responsabilité de son auteur.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_396/2017 - ATF 144 V 29 du 1 février 2018
Assurance-accidents; qualité pour former opposition d’un autre assureur-accidents; art. 59 LPGA
Une assurée occupait un poste à temps partiel auprès du home B. et était à ce titre assurée contre les accidents professionnels et non-professionnels par Swica. Parallèlement, cette assurée travaillait auprès d’un autre employeur à temps partiel, en étant couverte pour le risque accident par la CNA. A la suite d’un accident non professionnel (fracture de la cheville gauche) survenu le 25.11.2012, la CNA, sur la base de l’art. 99 al. 2 OLAA, lui a accordé, par décision du 2.02.2015, une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15% et par décision du 5.03.2015 une rente d’invalidité, en raison d’une incapacité de gain de 37%. L’assureur-accidents Swica a formé opposition contre ces décisions, au motif qu’aucune rente d’invalidité ne doit être versée et que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être réduite à 10%. La CNA n’est pas entré en matière, par décision du 17.12.2015, au motif que Swica n’aurait pas qualité pour former opposition.
Le TF, comme le tribunal des assurances du canton de Zurich, admet le recours de Swica et la qualité de cet assureur-accidents pour s’opposer à la décision de la CNA. Aux yeux des juges fédéraux, la qualité pour agir de Swica doit être reconnue, en qualité de deuxième assureur-accidents, dès lors qu’il est touché par la décision de la CNA qui le lie quant à l’étendue des prestations (cf. ATF 134 V 153 c. 5.3.2). Quand bien même Swica ne verse pas prestations directement à l’assurée, il devra rembourser à la CNA la part lui incombant, selon l’art. 99 al. 2 OLAA. Il est donc justifié de lui permettre de contester la fixation des prestations calculée par l’autre assureur-accidents, en l’espèce la CNA.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_300/2017 du 30 janvier 2018
Assurances privées; perte de gain maladie; devoir d’informer de l’employeur; causalité adéquate; art. 324a CO
Le TF examine la responsabilité conjointe de l’ancien employeur et du nouvel employeur pour le dommage subi par le travailleur, en incapacité de travail, n’ayant pas pu bénéficier des indemnités journalières de l’assurance perte de gain maladie.
Le premier employeur a été retenu responsable pour avoir manqué à son devoir de renseigner son employé sur son droit de s‘assurer, à titre individuel, auprès de l’assurance perte gain collective, conformément aux obligations imposées par l’art. 324a CO et la CCT applicable au secteur d’activité.
Le lien de causalité adéquate entre cet acte et le dommage ne peut être interrompu que si la faute du lésé ou d’un tiers est si grave et si insensée qu’elle relègue le comportement en cause au second plan, au point qu’il n’apparaisse plus comme une cause adéquate du dommage.
En l’espèce, le lésé, licencié pour raison économique, n’a pas commis de faute en initiant un nouvel emploi sans être préalablement assuré. Le second employeur, également condamné par l’autorité cantonale pour ne pas être parvenu à assurer l’employé, n’a pas commis une faute plus grave que le premier employeur, ce dernier ayant également manqué à l’obligation imposée par la CCT de conclure une assurance prévoyant un droit de passage dans l’assurance individuelle dans un délai de trois mois.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 4A_42/2017 - ATF 144 III 136 du 29 janvier 2018
Assurances privées; assurance d’indemnité journalière en cas de maladie; preuve de l’incapacité de travail; coordination avec l’assurance-chômage; art. 8 CC; 28 LACI
Le litige porte sur une obligation de prestation résultant d’une assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale. Selon le TF, une compagnie d’assurance qui renonce à faire examiner la personne qui revendique des prestations par le médecin de son choix, comme le lui permettent ses conditions générales d’assurance, prend le risque de se priver, pour la période critique, de constatations cliniques autres que celles effectuées par les médecins traitants. Ainsi, les allégations précises d’un rapport médical, rédigées par le médecin-traitant, peuvent apporter la preuve de leur véracité si elles sont appuyées par des indices objectifs.
Le TF a examiné la coordination entre l’assurance-chômage et l’assurance couvrant la perte de gain occasionnée par une maladie, soit avec une assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale, soumise à la LCA. La compagnie d’assurance reproche aux juges cantonaux de ne pas avoir soustrait de sa dette d’indemnités journalières les indemnités de chômage dont l’assuré a bénéficié, alors qu’une telle déduction était prévue par ses CGA. Le TF rappelle que l’art. 28 LACI consacre le principe de subsidiarité du versement de l’indemnité de chômage par rapport à l’indemnité compensant la perte de gain pour cause de maladie ou d’accident. Par conséquent, il n’y pas lieu de déduire les indemnités versées par la caisse de chômage de celles dues par la compagnie d’assurance.
Pour le TF, une compagnie d’assurance ne peut porter en déduction de sa dette une indemnité allouée à titre provisoire, sans reconnaissance aucune d’un droit définitif à une prestation susceptible d’émaner de l’assurance-invalidité. L’art. 28 LACI s’applique ainsi également aux indemnités journalières d’une assurance perte de gain maladie régie par la LCA.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont


TF 9C_342/2017 du 29 janvier 2018
Assurance-invalidité; révision; preuve de l’amélioration; matériel d’observation; évaluation médicale; art. 7, 8 et 17 LPGA
Un rapport de surveillance par un détective privé est insuffisant pour fonder la révision du droit à une rente AI. Il ne permet en effet pas, à lui seul, de juger l’état de santé et la capacité de travail d’un assuré, mais doit être renforcé par des données médicales.
Si l’évaluation du matériel d’observation par un médecin du SMR peut éventuellement suffire pour porter un jugement sur l’impact de troubles physiques sur la capacité de travail de la personne assurée, elle est insuffisante s’agissant de troubles psychiques. En effet, des photographies, ou même des vidéos, ne permettent pas, à elles seules, de conclure à l’amélioration de troubles psychiques (en l’espèce un trouble de la personnalité borderline et narcissique, associé à un trouble dépressif récurrent), d’autant moins que les périodes d’observations ont été très brèves.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_624/2017 du 23 janvier 2018
Assurance-maladie; prise en charge d’un transport; art. 26 OPAS
Une caisse-maladie a refusé de prendre en charge un transport effectué dans un véhicule spécial accueillant un fauteuil roulant (mais qui n’est pas une ambulance) entre l’hôpital dans lequel l’assuré était soigné et son lieu de résidence dans un home, argumentant que le transport n’était pas « indiqué pour permettre la dispensation de soins par un fournisseur », comme le prescrit l’art. 26 OPAS.
Constatant que le tribunal cantonal, qui a donné raison à l’assuré, n’a pas suffisamment instruit la cause, le TF la renvoie devant l’instance précédente, charge à celle-ci de déterminer si l’assuré ne pouvait pas employer un moyen de transport public ou privé classique. Le TF reproche en particulier à l’instance cantonale de ne pas avoir obtenu de rapport médical statuant sur la nécessité d’un transport médical, de ne pas avoir éclairci de quelles limitations souffrait l’assuré, ni si la résidence dans le home était due à l’âge (Alterzentrum) ou nécessaire en raison de soins particuliers (Pflegezentrum). Dans ces conditions, le TF renonce à examiner si les autres conditions de l’art. 26 OPAS et de l’art. 56 OAMal sont réalisées.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 4A_427/2017 du 22 janvier 2018
Assurances privées; action partielle; assurance perte de gain en cas de maladie; appréciation anticipée des preuves; art. 152 CPC
A. résilie son contrat de travail pour fin septembre 2012 et ne demande pas à poursuivre son assurance perte de gain en cas de maladie après la fin des rapports de travail. Il se trouve en incapacité de travail du 30.05 au 1.10.2012 puis à partir du 22.01.2013, mais n’a pas subi de traitement médical entre le 30.9.2012 et le 21.012013. Par une action partielle, A. demande le paiement des indemnités journalières à partir du 1.10.2012. Débouté par la cour cantonale, il recourt au TF.
Le TF commence par relever que, faute d’intérêt digne de protection, une partie ne subit aucun désavantage du fait qu’un tribunal ne relève pas dans son jugement qu’il s’agit d’une action partielle (c. 1.2). Par une appréciation anticipée des preuves, les juges cantonaux ont estimé que A. n’avait pas fait la preuve de son incapacité de travail à compter du 1.10.2012. Le TF estime que, ce faisant, ils n’ont pas violé le droit du recourant à la preuve. En particulier, l’audition des parents de A. n’aurait pas apporté la preuve de l’incapacité de travail, dès lors qu’ils n’ont aucune compétence médicale. Par ailleurs, le refus d’entendre les médecins traitants n’était pas arbitraire, dès lors qu’ils n’ont pas traité le recourant durant la période litigieuse. Le fait que certains médecins auraient posé le pronostic d’une lente amélioration de l’état de santé de A. à partir de septembre 2012 n’y change rien, car il s’agissait d’un simple pronostic, qui ne doit pas être confondu avec l’évolution réelle de la situation. Enfin, une expertise judiciaire n’aurait pas non plus apporté la preuve de l’incapacité de travail durant la période concernée, dès lors que l’expert aurait dû se fonder sur les seules affirmations du recourant pour établir cette incapacité. A cet égard, le fait que la capacité de travail soit rétablie depuis février 2014 démontre l’absence de maladie constante qui permettrait de juger rétroactivement de l’état de santé du recourant (c. 5.2).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 4A_262/2017 du 17 janvier 2018
Assurances privées; droit d’action directe; droit de gage; principe de la confiance; art. 5 et 10 CO; 60 LCA
Dans le cadre de prétentions relevant de la responsabilité médicale dirigée par les lésés directement contre l’assureur du responsable, le TF rappelle que le contrat d’assurance responsabilité-civile lie l’assureur et le prestataire de soins, de sorte qu’en vertu du principe de la relativité des conventions, le prestataire est seul titulaire de la créance contractuelle. En outre, hormis en matière de RC du détenteur d’un véhicule automobile ou d’un bateau, la victime ne dispose pas d’action directe. Il n’y a pas non plus de cession légale des droits au sens de l’art. 166 CO. Aucune cession conventionnelle n’avait eu lieu et la victime ne s’était pas fait céder les droits de la masse dans le cadre de la faillite du prestataire médical assuré (c. 3).
Le TF rejette l’opinion des juges cantonaux qui avaient retenu une reconnaissance de dette, dont le fondement était l’art. 60 al. 1, 2ème phrase LCA. Le droit de gage de l’art. 60 al. 1, 1ère phrase LCA ne pouvait pas être confondu avec la titularité de la créance et la possibilité de s’acquitter directement en main du tiers lésé de l’art. 60 al 1, 2ème phrase LCA n’est qu’une simple faculté, dont on ne peut déduire aucune obligation (c. 4.3.1).
En revanche, le TF a retenu que le courrier des lésés demandant à l’assureur de s’engager à assumer le dommage constituait une offre selon l’art. 5 CO et que la réponse de l’assurance indiquant « Au nom de [l’institut médical] et au nom de notre compagnie, nous nous engageons à assumer les dommages consécutifs en causalité adéquate subis par la petite A. et les membres de sa proche famille » constituait une acceptation selon les art. 5 et 10 CO. Procédant à un interprétation selon le principe de la confiance, le TF retient que, comme l’institut médical concerné n’existait plus depuis environ une année au moment de la réponse de l’assureur, l’acceptation ne pouvait être comprise de bonne foi que comme l’expression de la volonté de ce dernier d’indemniser les victimes, indépendamment de la relation contractuelle qui le liait à son assuré (c. 4.4).
Le TF laisse ouverte la question de la nature contractuelle pouvant relever de la novation au sens de l’art. 116 CO ou d’un contrat innommé, dès lors que, d’une manière ou d’une autre, l’obligation de l’assureur reposait sur un fondement contractuel (c. 4.4). Il a ainsi confirmé la légitimation passive de l’assureur.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 8C_465/2017 - ATF 144 V 42 du 12 janvier 2018
Assurance-chômage; période de cotisation; retraite anticipée; art. 8 al. 1 let. e et 13 LACI
Le cumul d’une demi-rente de prévoyance professionnelle et d’indemnités de chômage calculées en fonction d’une perte d’emploi correspondant à 50% d’un travail à plein temps n’est pas injustifié et ne contrevient pas à l’art. 13 LACI. De plus, l’assuré satisfait à l’obligation de diminuer son dommage en demandant à bénéficier d’une demi-rente anticipée et en renonçant ainsi à se prévaloir de son droit à une indemnité de chômage pleine et entière jusqu’à la naissance de son droit à la rente entière.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de déroger à la règle générale des art. 8 al. 1 let. e et art. 13 al. 1 LACI pour l’examen des conditions relatives à la période de cotisation à partir de la perception de la demi-rente jusqu’à la naissance du droit à la rente entière de la prévoyance professionnelle. Partant, le recours de l’assuré a été admis et la cause renvoyée à la Caisse cantonale de chômage pour nouvelle décision au sens des motifs.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 9C_773/2016 - ATF 144 V 2 du 12 janvier 2018
Assurance-invalidité; mesures de réadaptation d’ordre professionnel; art. 9 al. 2 LAI; 4 R (CE) n° 883/2004
La demande de formation professionnelle initiale d’un enfant franco-allemand domicilié en France et dont le père est assuré obligatoirement à l’AVS/AI pour une activité exercée en Suisse est rejetée. La prestation n’est pas à la charge de l’AI selon le droit suisse (art. 9 al. 2 LAI) car aucun de ses parents n’est assuré facultativement ou obligatoirement pour une activité professionnelle exercée à l’étranger.
La mesure de formation professionnelle initiale de l’art. 16 LAI peut être qualifiée de prestation d’invalidité au sens de l’art. 3 par. 1 let. c du R (CE) n° 883/2004 (c. 5). L’enfant est soumis au droit français, à moins que d’autres dispositions, générales ou particulières, du règlement ne lui garantissent des prestations en vertu de la législation d’autres Etats membres (art. 11 par. 3 let. e R [CE] n° 883/2004).
Le principe d’égalité de traitement (art. 4 R [CE] n° 883/2004) n’est pas violé. Il n’y a pas de discrimination directe, l’art. 9 al. 2 LAI ne prévoyant pas de condition liée à la nationalité. L’affiliation à l’assurance facultative suppose d’avoir été soumis au moins cinq ans sans interruption à l’assurance obligatoire. Un suisse remplira plus facilement ces conditions qu’une personne étrangère, ce qui défavorise les autres ressortissants de l’UE, et créerait une discrimination indirecte. Toutefois, les conditions de l’assurance facultative s’appliquent aux ressortissants des Etats soumis à l’ALCP selon une mention figurant dans ce dernier, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application de ces conditions, malgré leur caractère indirectement discriminatoire. L’art. 9 al. 2 LAI vise à garantir le droit aux mesures de réadaptation à des enfants ne pouvant adhérer à l’assurance sociale suisse ou d’un autre Etat membre et il semble justifié de réserver l’exception de l’art. 9 al. 2 LAI à des situations particulières dans lesquelles l’enfant n’est pas soumis au système de sécurité sociale suisse ou d’un autre Etat de l’UE. L’enfant concerné n’a pas fait valoir qu’il ne bénéficierait pas de la protection du système de sécurité sociale français (c. 7.4).
Le principe d’égalité de traitement n’impose pas aux autorités suisses de traiter tous les ressortissants UE (entre eux) de manière identique, sans égard à la législation nationale qui leur est applicable, et de les soumettre à des règles relatives à un Etat avec lequel ils n’ont aucun lien (direct) et dont la législation ne leur est pas applicable selon le règlement (c. 7.5).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds


TF 4A_618/2017 du 11 janvier 2018
Assurances privées; procédure; maxime inquisitoire sociale; devoir d’interpellation; conclusions en paiement non chiffrées; conclusions en constat; art. 29 al. 2 Cst.; 84 al. 2, 85, 132, 243, 247 CPC
Une assurée a bénéficié d’indemnités journalières de l’assurance perte de gain LCA sur une période limitée. Lors de l’annonce d’une rechute, elle fait l’objet d’une surveillance, au terme de laquelle l’assureur l’informe qu’il suspend le versement des indemnités journalières pour le motif qu’elle a travaillé alors qu’elle était réputée être en incapacité de travail. La compagnie d’assurances invoque une prétention frauduleuse et déclare que le contrat est réputé dissous, tout en renonçant à réclamer le remboursement des indemnités déjà versées.
L’assurée, assistée d’un avocat, ouvre action « en constatation de l’existence d’un contrat d’assurance et en exécution de prestations » à l’encontre de la compagnie d’assurances. Elle conclut également à ce qu’il soit constaté que l’assureur n’était pas en droit de considérer le contrat d’assurance comme dissous et qu’il soit condamné à exécuter les prestations en découlant.
Les juges de première instance ont déclaré la demande irrecevable, au motif que la conclusion visant au paiement des prestations n’était pas chiffrée et que celle tendant à la constatation de l’existence d’un contrat d’assurance n’était pas admissible, puisqu’il était possible de formuler une conclusion en paiement, l’assurée ne justifiant d’aucun intérêt digne de protection à faire constater le maintien du contrat.
Le TF a rejeté le recours formé par l’assurée. La violation du droit d’être entendu invoquée a été écartée, l’assurée ayant eu possibilité de se déterminer spontanément sur l’irrecevabilité soulevée par l’assureur en cours de procédure. Le TF rappelle que la maxime inquisitoire sociale se rapporte à l’établissement des faits, mais pas à des conclusions mal formulées. L’art. 132 CPC n’est pas davantage applicable aux conclusions incomplètes prises dans un recours ou dans une demande, en particulier aux conclusions non chiffrées figurant dans une demande. Selon une jurisprudence constante, une conclusion en constatation de droit (art. 88 CPC) est recevable si le demandeur dispose d’un intérêt de fait ou de droit digne de protection à la constatation immédiate de la situation de droit. L’action en constatation de droit est subsidiaire par rapport à l’action condamnatoire ou à l’action formatrice. L’assurée n’a pas établi qu’elle disposait d’un intérêt digne de protection à la constatation. Dans le cas d’espèce, le TF ne discernait pas en quoi le calcul des indemnités journalières dues à la recourante, déduction faite de celles qui lui avaient déjà été versées, apparaissait compliqué au point de confiner à l’impossibilité.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne



TF 8C_412 et 413/2017 du 10 janvier 2018
Assurance-chômage; indemnité en cas d’insolvabilité de l’employeur; art. 51 al. 1 let. a et 2 ainsi que 31 al. 3 let. c LACI
Dans ces deux arrêts, le TF examine la question de savoir si le droit à l’indemnité en cas d’insolvabilité de l’employeur est dans tous les cas exclue pour les employés d’une Sàrl qui détiennent des parts sociales (associés) et sont impliqués dans sa gestion.
Il ressort du texte clair des art. 51 al. 2 et 31 al. 3 let. c LACI que toutes les personnes mentionnées dans ces dispositions, dont les associés, sont exclus du droit à l’indemnité pour insolvabilité, indépendamment de leur influence réelle sur les décisions de l’entreprise, qui n’a pas à être instruite. La circulaire du SECO (B17 du Bulletin LACI sur l’indemnité en cas d’insolvabilité) est, sur ce point, conforme à la loi. Le pouvoir de décision qui leur est conféré par la loi suffit à créer un risque d’abus qui justifie cette solution.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_469/2017 du 10 janvier 2018
Assurances invalidité; droit aux mesures médicales; expertise; art. 12 et 13 LAI
Une assurée, atteinte de plusieurs infirmités congénitales psychiques et physiques, s’est fait diagnostiquer un sein tubéreux de stade IV selon la classification de Grolleau. L’assurée portait des prothèses externes faites sur mesure. Une reconstruction bilatérale des seins était préconisée. Cependant, par décision du 7.01.2014, respectivement 8.05.2015, l’office AI a refusé de prendre en charge les coûts en lien avec cette intervention, malgré l’aggravation annoncée (déformation du sein de type tubéreux avec un thélotisme).
Le droit aux mesures médicales se fonde sur l’article 12 LAI, les conditions de l’art. 13 LAI n’étant pas réalisées. Selon l’art. 12 LAI, la mesure doit être directement nécessaire afin d’améliorer l’aptitude de l’assurée à se former ou à exercer une activité lucrative ou à préserver sa capacité de gain d’une diminution notable.
En l’espèce, le TF retient que l’atteinte dont souffrait la recourante faisait partie d’un ensemble de malformations physiques dû au syndrome génétique dont elle souffrait. En effet, la malformation mammaire apparaît comme un facteur parmi d’autres dans la fragilité psychique de l’assurée. Ainsi, cette intervention ne suffirait pas, à elle seule, à assurer une amélioration durable et importante de la capacité de gain ou de l’accomplissement des travaux habituels ni ne préserverait sa capacité de gain d’une diminution notable au sens de l’article 12 al. 1 LAI.
Au surplus, notre Haute Cour considère que les frais découlant de la mise en œuvre d’une expertise judiciaire pluridisciplinaire confiée à un COMAI peuvent être mis à la charge de l’assurance-invalidité comme l’a ordonné la juridiction cantonale. Cependant, cette règle ne saurait entraîner la mise systématique des frais d’une expertise judiciaire mono- ou bidisciplinaire à la charge de l’autorité administrative. Ceci est envisageable uniquement s’il s’agit de frais relatifs à la procédure administrative au sens de l’art. 45 LPGA, et non de frais de justice au sens de l’art. 69 al. 1bis LAI (ATF 137 V 210). Le TF précise qu’il doit exister un lien entre les défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire. En l’espèce, le TF retient que l’instruction menée par l’office AI n’est pas lacunaire et que, partant, les frais de l’expertise judiciaire ne peuvent pas être mis à sa charge.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 4A_418/2017 du 8 janvier 2018
Responsabilité civile; calcul du dommage; perte de soutien; principe de la concordance; art. 45 al. 3 CO; 74 LPGA
Le TF a approuvé dans cet arrêt la position du Tribunal supérieur de Berne qui considérait qu’il ne suffit pas en matière de calcul du dommage de produire un calcul différent de celui du tribunal de première instance pour démontrer que ce dernier s’est trompé. Le seul fait d’arriver à un résultat différent de celui du premier juge n’implique pas encore que celui-ci s’est fourvoyé ; l’appelant doit encore exposer pourquoi et dans quelle mesure le résultat du jugement de première instance et les calculs qui le fondent sont erronés (c. 2.4). Même si le TF ne le dit pas expressément, ce considérant peut amener à la conclusion que deux calculs différents peuvent être en soi conformes au droit fédéral.
Le recours portait également sur la question de savoir si les rentes d’orphelin versées par l’AVS aux enfants du défunt devaient être imputées exclusivement sur la perte de soutien financière ou, comme l’avait fait le juge de première instance, par moitié sur la perte de soutien financière et par moitié sur la perte de soutien en nature.
Il est intéressant de constater que selon le Tribunal supérieur de Berne, qui applique ici strictement la théorie de la concordance, les rentes AVS auraient dû être entièrement imputées sur la perte de soutien financière, compte tenu du fait que la vicitime travaillait à 100%, par analogie avec le statut AI.
Cependant, en l’espèce, les demandeurs avaient dans un premier temps fondé leurs conclusions sur une imputation par moitié de ces rentes AVS sur chacun de ces deux types de perte de soutien. Les juges bernois avaient ainsi considérés qu’ils avaient disposé matériellement de leur créance et qu’ils étaient donc liés par cet acte de disposition, indépendamment du fait que celui-ci soit légalement correct ou non. Le TF considère que cette façon de voir n’est certainement pas arbitraire. Il ne tranche donc pas la question matérielle de l’application du principe de la concordance en matière de perte de soutien (c. 3).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 8C_130/2017 et 8C_841/2016 - ATF 143 V 418 et ATF 143 V 409 du 30 décembre 2017
Assurance-invalidité ; troubles dépressifs ; caractère invalidant ; application de la jurisprudence sur les TSD aux pathologies psychiatriques; art. 7 et 8 LPGA ; 4 LAI
!!! Le TF modifie sa pratique au sujet du caractère invalidant des troubles dépressifs !!!
Pour mémoire, depuis mi-2016 environ, le TF avait adopté une pratique très rigoureuse, selon laquelle les troubles dépressifs légers et moyens n’étaient invalidants que s’ils étaient incurables, leur curabilité étant présumée.
Depuis le 30.11.2017, la preuve du caractère invalidant d’un trouble dépressif doit désormais être apportée selon la même procédure probatoire structurée que pour les troubles somatoformes douloureux et autres pathologies associées, en appliquant les indicateurs définis à l’ATF 141 V 281 (TF 8C_841/2016). Dans ce contexte, la résistance du trouble dépressif à un traitement conduit dans les règles de l’art n’est qu’un élément parmi d’autres. Il s’agit désormais aussi de comprendre les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, ce qui suppose de tenir compte d’un ensemble de facteurs considérés dans leur globalité. La personne assurée conserve le fardeau de la preuve du caractère invalidant de sa pathologie. Le médecin, respectivement l’expert, doit expliquer de manière plausible comme un trouble dépressif léger ou moyen, malgré – en principe – une bonne accessibilité au traitement, entraîne des limitations fonctionnelles qui se répercutent sur la capacité de travail de la personne assurée.
Dans le même élan, le TF étend l’application de la procédure probatoire définie à l’ATF 141 V 281 à l’ensemble des troubles psychiatriques, dès lors que la majorité des troubles psychiatriques sont en réalité aussi peu objectivables que les troubles somatoformes douloureux et pathologies associées (TF 8C_130/2017). On peut cependant renoncer à la procédure probatoire de l’ATF 141 V 281 lorsque cela n’est pas nécessaire pour établir les faits. Selon le TF, il en va ainsi, premièrement, lorsque l’on se trouve en présence de diagnostics « assimilables » à des troubles physiques (schizophrénie, anorexie, etc.) et que les évaluations médicales sont claires et concordantes, tant sur la question du diagnostic que celle des limitations fonctionnelles. Ensuite, on peut aussi renoncer à l’examen des indicateurs lorsque des rapports médicaux ayant pleine valeur probante concluent de manière convaincante à une incapacité de travail, sans que d’autres rapports de valeur équivalente n’établissent le contraire.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont



TF 9C_796/2016 - ATF 144 V 20 du 22 décembre 2017
Assurance-maladie; réexamen du caractère économique des médicaments génériques; art. 32 LAMal; 65b al. 2 let. a aOAMal; 35b al. 10 let. a aOPAS
L’art. 35c al. 10 aOPAS, dans sa teneur en vigueur du 1er juin 2013 au 31 mai 2015, réglant le réexamen du caractère économique des génériques en vertu de l’art. 32 LAMal, s’appliquait également aux génériques admis dans la Liste des spécialités avant l’entrée en force le 1er janvier 2012 de l’art. 65c al. 2 let. a aOAMal. En vertu de ces dispositions, un générique pouvait être considéré économique si son prix était inférieur d’au moins 10 % au prix de la préparation originale en Suisse et à l’étranger, pour autant que la préparation originale ne réalisât pas en Suisse, durant les quatre années précédant l’échéance du brevet, un chiffre d’affaires annuel moyen dépassant quatre millions de francs (en-dehors de ce cadre règlementaire, la marge devait et doit être d’au moins 20 %, voire un écart minimal plus élevé à certaines conditions).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle


TF 8C_588/2017 du 22 décembre 2017
Assurance-invalidité; reconsidération d’une décision suite à une modification de la jurisprudence; nouvelle méthode mixte d’évaluation de l’invalidité; droit transitoire; art. 53 LPGA; 27bis al. 2-4 RAI
Le TF rappelle d’abord sa jurisprudence selon laquelle l’administration ne peut pas reconsidérer une décision qui a fait l’objet d’un examen matériel par le juge. En raison de l’effet dévolutif du recours, la décision du tribunal cantonal remplace celle de l’OAI ; l’administration n’a donc pas la compétence de réexaminer une décision qui n’est plus la sienne, nonobstant d’éventuelles dispositions contraires du droit cantonal (c. 3).
Le TF laisse ensuite la question ouverte de savoir si l’administration peut tout de même reconsidérer une première décision confirmée par le tribunal, lorsqu’il existe une nouvelle situation juridique (en l’occurrence : l’arrêt di Trizio) qui n’a pas été prise en considération dans la décision judiciaire (c. 4.1). En effet, les conditions strictes posées par la jurisprudence pour modifier une décision initialement correcte en raison d’un changement dans la pratique judiciaire ou administrative ne sont de toute manière pas remplies : il faut que le maintien de la décision, pour un seul assuré ou un petit nombre d’assurés, crée un privilège ou une discrimination choquants, contraires au principe de l’égalité de traitement ; tel n’est pas le cas de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, qui concerne un grand nombre d’assurés et de procédures, pouvant aboutir à l’octroi d’une rente AI, ou non, même après l’arrêt di Trizio (c. 4.2).
Le TF attire encore l’attention sur la modification de l’art. 27bis RAI, entrée en vigueur le 1er janvier 2018, avec une nouvelle manière de calculer l’invalidité pour les assurés exerçant une activité lucrative à temps partiel : selon le droit transitoire, ces assurés à qui on a refusé une rente en raison d’un degré d’invalidité insuffisant, sous l’ancien droit, peuvent présenter une nouvelle demande qui doit être examinée s’il est vraisemblable que la nouvelle méthode de calcul permettra d’obtenir une rente (c. 5).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 4A_523/2017 du 21 décembre 2017
Assurances privées; assurance-accident privée; portée juridique d’une quittance pour solde de tout compte; art. 18 CO
Une quittance « pour solde de tout compte » libère l’assureur de verser les prestations dont la personne assurée avait connaissance ou dont elle pensait que l’acquisition était possible (c. 3.1). Dans le cas d’espèce, les parties ont expressément tenu compte d’une éventuelle aggravation de l’invalidité dans le cadre de la conclusion de l’accord transactionnel du 27.3.1997 lors de l’évaluation de la prestation d’invalidité. C’est dans ce contexte qu’il convient d’interpréter la déclaration faite par les parties assurées dans l’accord selon lequel le paiement sera effectué « à titre de dédommagement pour toutes les prétentions ». L’assureur a été autorisé à comprendre cette déclaration de l’assuré, en se fondant sur le principe de la confiance, de telle manière que l’indemnité puisse satisfaire à toutes les réclamations futures fondées sur une augmentation du degré d’invalidité. Une évolution des circonstances qui s’écarte des prévisions des parties n’entraîne pas encore la remise en cause d’une quittance pour solde de tout compte. Ce ne pourrait être le cas que si le créancier ne considérait pas que l’acquisition d’une telle créance était possible (c. 3.4.). Le refus de l’assurance de verser le montant réclamé par l’assuré à titre d’indemnité pour invalidité complémentaire à la suite d’une rechute tardive est confirmé par le TF (c. 4).
Auteure : Rebecca Grand, avocate à Lausanne

TF 4A_148/2017 du 20 décembre 2017
Responsabilité aquilienne; rente de veuve AVS; action en dommages-intérêts contre l’employeur; prescription, art. 41, 42, 45, 76, 60, 99, 127, 128, 130 et 134 CO; 6 § 1 CEDH; 20 LRCF; 23, 30, 33 et 138 LAVS; 2 CC
La recourante entend obtenir réparation (art. 41 CO) pour le dommage que lui aurait causé l’employeuse en omettant de verser à la caisse de compensation les cotisations prétendument dues sur les revenus d’activité lucrative réalisés par son défunt époux entre 1981 et 2002.
Il n’est pas erroné de soutenir que la responsabilité délictuelle de l’employeuse était engagée au motif qu’elle n’avait pas de liens contractuels avec la veuve du travailleur. Même si l’on admet qu’un employeur enfreint ses obligations contractuelles envers le travailleur lorsqu’il ne verse pas les cotisations dans la mesure prévue par la LAVS, la recourante, en l’occurrence, demande réparation non pas pour le dommage qu’a pu subir le défunt travailleur sur sa rente d’assuré, mais bien pour le dommage qu’elle prétend éprouver sur sa propre rente de survivante.
Selon la jurisprudence relative à la prescription décennale de l’art. 60 al. 1 CO, ladite prescription court dès la commission de l’acte illicite qui est la cause du dommage (respectivement dès l’achèvement du comportement illicite répété ou durable), sans égard à la survenance du dommage. Dans le cas d’espèce, la dernière (prétendue) dette de cotisation se rapporte au revenu réalisé par le défunt travailleur en décembre 2002. En fixant le départ de la prescription au 1er janvier 2003, voire au 31 décembre 2002, les juges cantonaux n’ont pas violé la loi en jugeant l’action prescrite, cette dernière ayant été intentée le 3 juin 2014. Quand bien même on jugerait que les délais de paiement repoussent quelque peu ce point de départ, le résultat n’en serait pas modifié et la prescription devrait être retenue en droit interne (c. 5.2.).
Le TF se pose ensuite la question de savoir si, en droit international, au regard de la jurisprudence Moor c. Suisse, notamment, une violation de l’art. 6 § 1 CEDH pourrait être envisagée en l’espèce, dès lors que, pendant toute la durée du délai de prescription, une action en justice serait manifestement vouée à l’échec faute de dommage suffisamment vraisemblable et mesurable.
A ce titre, le TF retient que les conditions exceptionnelles qui ont conduit la CourEDH à s’écarter de la règlementation du droit interne dans l’affaire Moor c. Suisse précitée ne sont pas réalisées en l’espèce. En effet, le conjoint de la recourante a acquis le droit à une rente AVS en octobre 2010 et il est décédé le 28 novembre 2012. A ce moment-là la prescription n’était toujours pas acquise ; elle ne l’était pas non plus lorsque le droit à la rente de veuve est né le 1er décembre 2012. Dans un tel contexte, on ne saurait affirmer que pendant toute la durée du délai de prescription décennal, il était impossible de prévoir et mesurer le dommage même futur de la recourante avec une certitude suffisante, au point qu’une action aurait été manifestement vouée à l’échec. Le grief de violation de l’art. 6 § 1 CEDH est infondé (c. 5.3.).
Enfin, l’invocation de l’abus de droit au sens de l’art. 2 al. 2 CC en matière de prescription ne peut être retenu qu’à des conditions restrictives, non réalisées in casu (c. 6.7.)
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud

TF 8C_464/2017 - ATF 144 V 35 du 20 décembre 2017
Allocations familiales; recevabilité d’un recours contre une décision incidente; évitement d’une procédure probatoire longue et coûteuse; versement des allocations en mains d’un tiers; art. 8 et 9 LAFam, et 93 al. 1 LTF
A. A. est le père de deux enfants, qui vivent avec leur mère, C. A., tous habitant en France. Le père A. A. reçoit des allocations familiales d’une caisse de compensation bâloise. La mère des enfants, C. A., demande à la caisse de compensation en question de lui verser à elle, les allocations pour ses deux enfants, cela au motif que le père de ses deux enfants ne lui a jamais fait suivre ces allocations. Par décision du 3 août 2016, la caisse de compensation ordonne le versement des allocations en mains de la mère, dite décision étant confirmée par décision sur opposition du 13 septembre 2016. Le père recourt au tribunal cantonal des assurances, qui annule la décision sur opposition du 13 septembre 2016 et renvoie la cause à la caisse de compensation pour instruction complémentaire sur la question de savoir si la mère va vraiment utiliser les allocations pour les besoins de ses deux enfants, et après cela, nouvelle décision. La caisse de compensation concernée recourt au TF.
La décision de renvoi prise par le tribunal cantonal des assurances étant une décision incidente au sens de l’art. 93 al. 1 LTF, le TF se pose la question de savoir si la recourante peut, à bon droit, prétendre que les conditions cumulatives de l’art. 93 al. 1 LTF – qui sont 1) que l’admission du recours puisse conduire immédiatement à une décision finale et 2) que cette admission permette d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse –, sont remplies dans le cas d’espèce. A cette question, le TF répond en ce sens que la première condition est à l’évidence remplie, la deuxième l’étant aussi, au motif, dit le TF, qu’il est clair qu’en présence de rapports entre le père et la mère aussi tendus que ceux auxquels l’on a affaire ici, l’instruction ordonnée par le tribunal cantonal ne va pouvoir qu’être longue et difficile.
S’agissant du versement des allocations familiales à la mère des enfants, l’art. 9 al. 1 LAFam prévoit que « si les allocations familiales ne sont pas utilisées en faveur de la personne à laquelle elles sont destinées, cette personne ou son représentant légal peut demander, en dérogation à l’art. 20 al. 1 LPGA, que les allocations familiales lui soient versées directement, même si elle ne dépend pas de l’assistance publique ou privée ». Ainsi, il suffit, dit le TF, pour qu’il y ait « versement à des tiers » d’après l’art. 9 al. 1 LAFam, que les allocations ne soient pas utilisées pour l’entretien des enfants auxquels elles sont destinées, cette hypothèse étant, selon le TF, réalisée lorsque celui ou celle qui reçoit les allocations ne les fait pas, d’une manière ou d’une autre, suivre à celui ou à celle qui a la garde des enfants. Le TF précise par ailleurs que ce n’est pas aux caisses de compensation pour allocations familiales qu’il appartient de trancher les désaccords qu’il peut y avoir entre parents quant à l’utilisation concrète des allocations familiales, un rôle qui échoit aux autorités de protection de l’enfant.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne


TF 8C_549/2017 du 20 décembre 2017
Assurance-chômage; indemnité en cas de réduction de l’horaire du travail; art. 32 al. 1 let. a et 33 al. 1 let. a LACI
La recourante, une entreprise active dans la fabrication de composants pour conduites de gaz, a déposé un préavis auprès du beco Economie bernoise concernant une réduction de l’horaire de travail de 60% touchant 51 employés, du 1.09.2016 au 28.02.2017. Le beco a refusé d’entrer en matière, au motif que la réduction de l’horaire du travail serait due à des risques normaux d’exploitation.
Aux termes de l’art. 32 al. 1 let. a LACI, la perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due à des facteurs d’ordre économique et est inévitable. Une perte de travail n’est cependant pas prise en considération lorsqu’elle est due à des circonstances inhérentes aux risques normaux d’exploitation que l’employeur doit assumer (art. 33 al. 1 let. a LACI). Selon la jurisprudence, si l’assuré ne doit pas s'attendre à la tournure extraordinaire et inédite prise par les événements, il s’agit d’un état de fait inévitable qui excède les risques normaux d'exploitation ; la perte de travail doit donc être prise en considération (c. 3.2).
En l’espèce, il résulte de la concentration du marché de l’énergie que la clientèle de la recourante est peu nombreuse. En effet, il y a trois gros clients dans ce segment de marché. Par conséquent, en décidant d’y être active, la recourante était consciente des risques relatifs au retrait ou à la diminution de commandes d’un gros client, risques dont la réalisation ne peut être supportée par l’assurance-chômage. Le fait que cette situation soit imputable à des conflits armés au Proche-Orient ne change rien à ce constat. La perte de travail pour la période considérée n’est donc pas extraordinaire et aurait pu toucher de la même façon chaque employeur de la branche (c. 4.2). Au vu de ce qui précède, le recours est rejeté par le TF.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 4A_401/2017 du 20 décembre 2017
Assurances privées; prétentions frauduleuses; certificat médical; obligation d’informer; art. 39 et 40 LCA
Dans le cas d’espèce, l’assuré souffrait de problèmes de dos occasionnant une incapacité de travail s’élevant à 100% du 19.09.2011 au 5.02.2012, puis à 70% du 6 février 2012 au 6 janvier 2013. L’assuré ayant produit un certificat médical à son assurance, il a touché sur cette base entre septembre 2011 et décembre 2012 des prestations de l’assurance perte de gain (ci-après : l’assurance) s’élevant à CHF 75'318.-. Suite à un entretien avec un ancien employé, l’assurance a appris que l’assuré, bien qu’ayant produit un certificat médical attestant de son incapacité de travail, avait en réalité continué à travailler au sein de l’entreprise. L’assurance a dès lors introduit une poursuite, dont la mainlevée définitive a été prononcée, et validée par la juridiction de première instance, en remboursement de la somme indûment perçue par l’assuré, soit CHF 75'318.00, puis par la juridiction cantonale.
Le recourant argue que les prestations de l’assurance lui ont été accordées sur la base d’un certificat médical par lequel l’assurance était liée, tel qu’il ressort de ses conditions générales, et non sur la capacité de travail réelle de l’assuré ; partant, l’art. 40 LCA ne lui serait pas applicable.
Le TF rappelle que l’art. 40 LCA prévoit que si l’ayant droit ou son représentant, dans le but d’induire l’assureur en erreur, dissimule ou modifie de manière inexacte des faits qui auraient exclu ou restreint l’obligation de l’assureur, ou si, dans le but d’induire l’assureur en erreur, il ne fait pas ou fait tardivement les communications que l’art. 39 LCA lui impose, l’assureur n’est pas lié par le contrat envers l’ayant droit. D’un point de vue objectif, la dissimulation ou la déclaration inexacte doit porter sur des faits propres à remettre en cause l’obligation même de l’assureur ou à influer sur son étendue. De plus, l’ayant droit doit, sur le plan subjectif, avoir la volonté de tromper l’assureur, et ainsi avoir agi avec la conscience et la volonté d’induire l’assureur en erreur, afin d’obtenir une indemnisation plus élevée que celle à laquelle il aurait réellement droit.
Le fait que le recourant ait fait attester son incapacité de travail par un médecin n’exclut pas l’application de l’art. 40 LCA. Les conditions de cette disposition peuvent non seulement être réalisées lorsque l’assuré déclare sciemment à son assurance un dommage plus important que celui prévalant réellement, mais également à son médecin. Les médecins sont, de par la nature même de leur travail, tributaires des informations fournies par leurs patients. Même en présence d’un certificat médical d’incapacité de travail, l’assureur peut librement invoquer l’existence d’une prétention frauduleuse. Le fait que les indemnités journalières aient été allouées sur la base d’un certificat médical et non des déclarations de l’assuré, ne libère cependant pas ce dernier de son devoir de fournir des informations complètes et exactes envers l’assurance. Il importe peu que les conditions générales de l’assurance puissent prévoir le droit de l’assuré à des indemnités journalières sur la base d’un certificat médical attestant d’une incapacité de travail. L’élément décisif étant que l’assuré fournisse des informations correctes à l’assurance.
En l’occurrence, le caractère frauduleux des prétentions de l’assuré a été confirmé par le TF.
Auteur : Me David Métille, avocat à Lausanne

TF 8C_429/2017 - ATF 144 I 28 du 20 décembre 2017
Assurance-invalidité; evaluation de l’invalidité; détermination du statut; application de la jurisprudence Di Trizio; art. 7 et 8 LPGA; 4 et 28a LAI; 8 et 14 CEDH
La détermination du statut de la personne assurée, préalable nécessaire à l’évaluation de son invalidité, revient à formuler une hypothèse qui doit toutefois être établie au stade de la vraisemblance prépondérante. Elle doit également tenir compte de la volonté hypothétique de la personne assurée. La preuve directe n’étant pas possible, il convient de se fonder sur des indices extérieurs. Cette question relève du fait, de sorte que l’analyse de l’administration, respectivement des juges cantonaux, lie le TF, sous réserve d’arbitraire (c. 2).
Le TF rappelle que la jurisprudence Di Trizio ne s’applique que dans les constellations qui ont pour effet d’aboutir à l’application de la méthode mixte, alors qu’elle ne s’appliquait pas préalablement à la réalisation des circonstances familiales ayant déterminé l’assuré à un changement (hypothétique) de statut (c. 4).
En l’espèce, cette jurisprudence n’est pas applicable dès lors que l’instruction du dossier a permis d’établir que l’assurée, considérée comme une personne active lors de l’examen de son droit aux prestations (et de plusieurs révisions successives), devait être considérée comme une personne sans activité lucrative depuis la naissance de son fils, ce qui entraînait l’application de la méthode spécifique pour l’évaluation de son invalidité, et non de la méthode mixte (c. 3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_430/2017 - ATF 143 V 446 du 19 décembre 2017
Assurance-militaire; séquelles tardives; modification de la législation applicable; art. 6 et 110 LAM; 1 al. 1 et 2 al. 1 Tit. fin. CC
Un assuré a subi quatre accidents à son genou droit, en 1991 et en 1992, dans le cadre d’un programme Jeunesse et Sport (J + S). A l’époque, de tels accidents étaient assurés par l’ancienne LAM. En 1994, l’art. 6 al. 1 let. g de la nouvelle LAM, qui assurait aussi de tels accidents, a été abrogé. Actuellement l’assuré souffre de séquelles tardives de ces accidents, séquelles qui sont assurées selon l’art. 6 LAM. La question qui se pose est dès lors celle de savoir si de telles séquelles tardives sont assurées, lorsque l’assuré était couvert au moment où il effectuait un cours J + S, alors qu’un tel accident ne serait plus assuré de nos jours.
Le TF estime que tel est le cas en se fondant sur les art. 1 al. 1 et 2 al. 1 Tit. fin. CC. Selon la première disposition, l’ancien droit demeure applicable à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du nouveau droit. Quant à la seconde disposition, elle prévoit une exception lorsque l’ancien droit contrevient à l’ordre public ou aux mœurs.
En l’espèce, ce sont des considérations financières qui sont à l’origine de la suppression de la prise en charge des cours J + S par la LAM, et non des dispositions relevant de l’ordre public ou des bonnes mœurs. Partant, l’ancien droit demeure applicable, si bien que les séquelles tardives d’un accident ayant eu lieu au moment où les cours J + S étaient assurés par la LAM sont couvertes. Au surplus, les dispositions transitoires sont muettes par rapport à ce genre de situation, si bien que ce sont les principes généraux qui s’appliquent. En particulier, l’art. 110 LAM, qui n’est pas directement relevant en l’espèce, dispose que, lorsqu’une affection n’était pas couverte selon l’ancien droit, les séquelles tardives et les récidives de cette affection ne sont pas non plus assurées selon le nouveau droit. Cela démontre dès lors que la prise en charge des séquelles tardives se détermine en fonction de la loi applicable au moment où l’accident a eu lieu.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg


TF 9C_264/2017 - ATF 144 V 79 du 18 décembre 2017
Assurance-maladie; polypragmasie; art. 56 al. 6 et 59 al. 1 lit. b LAMal
Le TF précise que la méthode statistique de l’analyse de la variance (anova) reste applicable, même après l’entrée en vigueur de l’art. 56 al. 6 LAMal, au 1er janvier 2013. En conséquence, il confirme la décision du tribunal arbitral condamnant un médecin à rembourser aux assureurs-maladie, conformément à l’art. 59 al. 1 lit. b LAMal, les montants de CHF 33'303.20 pour 2013 et CHF 40'204.50 pour 2014.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_535/2017 - ATF 143 V 431 du 14 décembre 2017
Assurance-invalidité; révision d’une rente; violation du devoir d’annonce; prescription; assuré proche de l’âge AVS; art. 77 et 88bis al. 2 let. b RAI; 17 al. 1, 25 al. 1 et 2 et 31 al. 1 LPGA
L’assuré, au bénéfice d’une rente entière depuis 2005, a violé son devoir d’annonce en taisant le fait qu’il avait repris une activité de chauffeur poids-lourds depuis 2008 (c. 4.1.2). L’appréciation de la capacité de travail a posteriori par les experts SIM n’est pas critiquable, dans la mesure où ceux-ci se basaient principalement sur l’activité effectivement réalisée par l’assuré depuis 2010 (c. 4.3.2).
Selon l’ATF 138 V 457, le moment auquel la question de la mise en valeur de la capacité (résiduelle) de travail pour un assuré proche de l’âge de la retraite doit être examinée correspond au moment auquel il a été constaté que l’exercice (partiel) d’une activité lucrative était médicalement exigible.
En l’espèce, ce principe appliqué strictement ferait échec à la demande de restitution de la rente, dans la mesure où l’expertise SIM a été achevée 5 mois avant que l’assuré n’atteigne l’âge de 65 ans. Au vu des principes de la légalité et de la bonne foi, en cas de violation du devoir d’annonce, le TF juge admissible que la mise en valeur de la capacité résiduelle de travail soit examinée au moment où la diminution, resp. la suppression de la rente entre en considération selon l’art. 88bis al. 2 let. b RAI (c. 4.5.1) (précision de jurisprudence).
Le délai d’un an pour demander la restitution a été respecté par l’Office AI, sachant qu’il a commencé à courir lors de la réception de l’expertise SIM (mars 2015) et qu’il a été sauvegardé par la notification du projet de décision (décembre 2015) (c. 4.7).
Auteure : Emilie Conti, avocate à Genève


TF 9C_330/2017 du 14 décembre 2017
Assurance-invalidité; conditions du droit à une allocation pour impotent de degré moyen; art. 42 LAI; 37 et 38 RAI
L’arrêt examine le besoin d’accompagnement de l’invalide pour faire face aux nécessités de la vie.
Dans un premier temps, l’on examine la nécessité de l’aide apportée par une tierce personne de manière objective, selon l’état de santé de l’assuré, indépendamment de l’environnement dans lequel celui-ci se trouve. Dans un deuxième temps, l’on examine l’assistance que lui apporte les membres de sa famille (obligation de diminuer le dommage). Cette aide exigible ne doit pas devenir excessive ou disproportionnée au point de vider l’institution de l’allocation pour impotent de tout son sens.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 6B_47/2017 - ATF 143 IV 495 du 13 décembre 2017
Responsabilité aquilienne; procédure; juste indemnité; art. 433 CPP
Les frais d’avocat basés sur l’art. 433 CPP visent les démarches nécessaires et adéquates pour la défense du point de vue de la partie plaignante, question de droit fédéral que le TF revoit librement en s’imposant néanmoins une certaine retenue lors de l’examen de l’évaluation faite par l’autorité précédente. Il n’intervient que lorsque l’autorité précédente a clairement excédé son pouvoir d’appréciation.
La cour cantonale n’a en l’occurrence pas pu procéder au contrôle de chaque poste des notes d’honoraires du recourant, celui-ci n’en ayant pas détaillé la durée temporelle mais indiqué uniquement la durée globale de ses opérations en les répartissant en six rubriques. Dans le cadre du recours au TF, le recourant a vu presque tous ses griefs déclarés irrecevables, faute de motivation suffisante relative au temps utile qu’il aurait consacré à certaines opérations précises, ou rejetés, faute d’excès du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale.
Le but de l’interdiction, pour l’avocat, de se prévaloir en justice de discussions transactionnelles confidentielles étant fondé sur l’intérêt public à favoriser le règlement amiable des litiges, la révélation de l’existence de pourparlers transactionnels menés plusieurs années auparavant permettant de contrôler le caractère raisonnable des opérations de l’avocat ne constitue pas une violation du devoir de diligence de ce dernier.
Selon le principe de l’autorité de l’arrêt de renvoi découlant du droit fédéral non écrit, la cour cantonale ne pouvait abaisser dans le jugement rendu après l’arrêt de renvoi l’indemnité basée sur l’art. 433 CCP qu’elle avait allouée dans le cadre de l’appel au recourant qui avait seul recouru. Les dépenses occasionnées par la procédure n’entrent pas dans les prétentions civiles dont le fondement juridique réside dans les règles relatives à la responsabilité civile des art. 41 ss CO et qui sont régies par l’art. 122 CPP ; elles sont spécialement réglées à l’art. 433 CPP. Cette disposition ne concerne donc pas un poste du dommage de la partie plaignante, mais s’attache au remboursement de ses débours. Il n’y a donc pas d’intérêts sur cette créance. La même solution vaut pour les indemnités basées sur l’art. 429 al. 1 let. a CPP (dépens du prévenu), au contraire de celles basées sur l’art. 429 let. c CPP, qui sont productives d’un intérêt compensatoire.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg



TF 4A_303/2017 du 13 décembre 2017
Responsabilité aquilienne; prescription; abus de droit; art. 2 al. 2 CC; 371 al. 2 CO
Dans le cadre d’un contrat d’architecte global apparaissent des défauts de l’ouvrage soumis au délai de prescription de cinq ans de l’art. 371 al. 2 CO, dont l’architecte se prévaut.
Le débiteur commet un abus de droit au sens de l’art. 2 al. 2 CC en se prévalant de la prescription, ceci non seulement lorsqu’il amène astucieusement le créancier à ne pas agir en temps utile, mais également lorsqu’il le fait sans mauvaise intention en adoptant un comportement incitant le créancier à renoncer à entreprendre des démarches juridiques pendant le délai de prescription et que selon une appréciation raisonnable fondée sur des critères objectifs, ce retard apparaît compréhensible. Ainsi, quand le débiteur détermine le créancier à attendre alors que le délai de prescription court encore, il abuse de son droit en lui reprochant ensuite de n’avoir pas agi. Le comportement du débiteur doit être en relation de causalité avec le retard du créancier à agir (c. 3.3).
En l’espèce, le TF retient que l’architecte abuse de son droit à se prévaloir de l’exception de prescription en raison du fait qu’alors que le délai de prescription courait encore, il a écrit au maître de l’ouvrage : « Mais SVP pas de procédure judiciaire…ça coûte plus cher que le rustique total de vos façades !!! », concluant qu’il « aurait toujours le bon sens d’éviter les désagréments d’une procédure ». Par la suite, l’architecte avait entrepris des démarches conséquentes avec ce courrier en avisant son assureur RC, en admettant sa responsabilité et en effectuant des travaux (non suffisants pour supprimer le défaut). Jusqu’à la fin de l’exécution des travaux entrepris et à la découverte d’une autre cause du défaut, rien ne laissait penser dans l’attitude de l’architecte qu’il changerait radicalement de position, de sorte que c’est légitimement que le maître de l’ouvrage pouvait se sentir dispensé d’interrompre la prescription en partant de l’idée que l’architecte solutionnerait le problème pour éviter toute procédure judiciaire. Dans ces conditions, le Tribunal fédéral retient que c’est de manière abusive que l’architecte invoque l’exception de prescription (c. 3.4).
Le TF rappelle également que la reconnaissance du défaut et donc de la dette a pour effet d’interrompre la prescription au sens de l’art. 135 ch. 1 CO. En l’espèce, ce raisonnement ne pouvait être conduit pour parvenir à la solution du litige en raison du fait que seul un défaut secondaire avait été reconnu, le défaut primaire n’ayant été identifié que plus tard (c. 3.4 in fine).
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 9C_320/2017 - ATF 143 V 402 du 7 décembre 2017
Assurance-vieillesse; coordination internationale; affiliation en cas d’activités multiples; art. 6 al. 1 RAVS; 2 ALCP
Le revenu provenant d’une activité indépendante exercée au Montenegro par un ressortissant de Slovénie est soumis aux cotisations, en vertu de l‘art. 6 al. 1 RAVS, dans la mesure où l’assuré domicilié en Suisse y exerce aussi une activité lucrative salariée. Le recourant invoque l’ATF 139 V 216 dans lequel le TF avait retenu le rattachement au droit du siège de l’employeur pour un ressortissant européen, domicilié en Suisse, travaillant dans un Etat tiers, pour le compte d’un employeur ayant son siège dans un Etat européen.
Le TF observe qu’il avait dû combler une lacune du R (CE) n° 1408/71 en se fondant sur la jurisprudence de l’UE dans une situation qui diffère de celle de l’assuré qui a exercé une activité indépendante dans un Etat tiers (c. 6.2).
Le recourant se prévaut également de l’arrêt TF 9C_313/2010 du 5.112010, dans lequel un ressortissant allemand domicilié en Suisse a été assujetti au droit du Liechtenstein, au lieu où il exerçait son activité salariée. Dans le cas de cet arrêt, les trois Etats concernés, la Suisse, l’Allemagne et le Liechtenstein étaient liés par des accords prévoyant l’application le R (CE) n° 1408/71 (art. 13 al. 1 et al. 2), ayant pour principe l’application du droit d’un seul Etat et le rattachement au lieu où s’exerce l’activité du travailleur. Le TF avait retenu que l’art. 2 ALCP interdisait un traitement du ressortissant européen différent de celui qui s’appliquait au ressortissant suisse (c. 6.3.2).
Les accords bilatéraux conclus entre la Suisse et le Monténégro, ainsi que la Suisse et la Slovénie, retiennent un rattachement au lieu où s’exerce l’activité lucrative. L’accord bilatéral conclu entre la Suisse et le Monténégro ne prévoit pas l’application de la loi des deux Etats lorsque s’exercent simultanément une activité salariée et une activité indépendante. Le TF retient donc que le rattachement au lieu où s’exerce l’activité salariée respecte le principe d’un rattachement au droit d’un seul Etat membre au lieu de l’emploi prévu par l’ALCP (appliquant l’art. 13 al. 3 R [CE] n° 883/04). Cette solution se justifie d’autant plus que le lieu où s’exerce l’activité salariée est celui du domicile. La solution ne serait pas différente pour un ressortissant suisse, de sorte qu’il n’y a pas de discrimination au sens de l’art. 2 ALCP.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 6B_1300/2016 - ATF 143 IV 500 du 5 décembre 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; violation grave des règles de la circulation routière; principe de la confiance; débiteur de la priorité; qualifications objective et subjective de la gravité de la violation des règles de la circulation; art. 26 al. 1, 36 al. 2, 90 al. 1 et 2 LCR; 36 al. 2 OSR; 14 OCR
Le conducteur débiteur de la priorité ne peut pas se prévaloir du principe de la confiance – qui prévoit que chacun doit se comporter, dans la circulation, de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies – lorsqu’il ne s’est pas comporté réglementairement et a créé une situation confuse en s’engageant sans visualisation directe ni précaution sur une route prioritaire. En l’occurrence, l’absence totale de visibilité directe et la présence d’un véhicule dans le miroir routier devaient dissuader le recourant, débiteur de la priorité, d’attendre du conducteur circulant sur la route prioritaire qu’il ne le gêne pas ni ne le mette en danger.
Par ailleurs, le comportement du conducteur prioritaire, qui roulait certes à une vitesse inadaptée, n’était toutefois pas imprévisible au point de considérer que le recourant n’aurait pas enfreint son devoir de priorité. On en saurait en effet retenir que le véhicule prioritaire a surgi de manière inopinée, ni qu’il aurait soudainement accéléré pour forcer le passage.
Enfin, s’agissant de la question de savoir si le recourant a gravement violé les règles de la circulation routière (art. 90 al. 2 LCR), la cour cantonale en a examiné la condition objective (création d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui), mais est demeurée muette sous l’angle subjectif (conscience du caractère dangereux du comportement reproché au recourant ou absence de prise en compte du fait qu’il mettait en danger les autres usagers). Le jugement attaqué est donc annulé sur ce point et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat, Lausanne


TF 4A_211/2017 du 4 décembre 2017
Contrat d’assurance; fardeau de la preuve; appréciation arbitraire des preuves; art. 8 CC; 9 Cst.
Un véhicule assuré subit un dommage total. La compagnie d’assurance mandate un expert, lequel juge manifestement excessif le prix annoncé pour l’achat du véhicule. D’autres investigations laissent apparaître de nombreuses contradictions quant aux circonstances d’achat du véhicule litigieux. L’assureur dépose alors une dénonciation pénale à l’encontre de l’assurée pour faux dans les titres et tentative d’escroquerie. Une ordonnance de classement est rendue au motif que certes, les contrats produits étaient imprécis quant au mode de rétribution, erronés quant au kilométrage et, pour le second, inexact quant à l’identité de l’acquéreur mais rien ne permettait de retenir qu’ils auraient été antidatés et créés uniquement en vue d’obtenir des prestations de l’assurance ; par ailleurs, il n’était pas possible d’établir à satisfaction de droit que l’acheteur n’avait pas versé le prix de vente indiqué (CHF 38’000.-). L’assurée dépose une demande tendant à obtenir les prestations d’assurance, laquelle est admise en première instance et confirmée par les juges d’appel. Le TF rejette le recours de l’assureur.
Selon le TF, l’assureur reproche à tort à la Cour d’appel d’avoir violé l’art. 8 CC en lui imposant de prouver le prix effectivement payé pour l’achat du véhicule litigieux. Dès lors que l’assureur invoquait l’art. 40 LCA, il lui incombait de prouver que les conditions d’application de cette disposition étaient réalisées et donc ici de prouver que le prix payé pour l’acquisition du véhicule était inférieur à CHF 38’809.- (valeur vénale majorée), afin de réduire l’étendue de l’indemnité due en vertu des CGA, respectivement de prouver que les renseignements donnés dans le contrat de vente remis par l’assurée étaient inexacts et réalisaient les prévisions de l’art. 40 LCA, afin de refuser toute prestation.
Par ailleurs, l’assureur reproche en vain à la Cour d’appel d’avoir apprécié arbitrairement les preuves en retenant que l’acheteur avait acquis le véhicule pour le prix de vente indiqué dans le contrat querellé. D’une part, les indications erronées quant au kilométrage du véhicule et à la personne de l’acquéreur dans le contrat de vente ne discréditent pas l’entier du contrat. Ensuite, la personne de l’acquéreur n’avait aucun impact sur l’indemnité d’assurance. De plus, le fait que le prix d’achat du véhicule était bien supérieur à l’offre comparative selon le barème « EUROTAX jaune (11.2005) » n’est pas décisif. Enfin, s’il peut certes paraître malencontreux d’avoir choisi de réparer le véhicule plutôt que d’en acquérir un autre sur le marché de l’occasion à un prix moindre, cette décision n’est, a priori, pas le fait de l’assurée et a pu être influencée par des motifs d’opportunité, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher d’avoir déclaré un prix erroné dans le but d’induire la recourante en erreur.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 9C_18/2017 - ATF 143 V 363 du 28 novembre 2017
Prestations complémentaires; conflit de compétence négatif; for; art. 58 LPGA; 21 LPC
Dans le cadre d’une décision relative à des prestations complémentaires, l’autorité de recours cantonale est définie exclusivement par l’art. 58 LPGA. Cette disposition n’est pas modifiée par l’art. 21 LPC. Partant, est compétent le tribunal du canton de domicile de l’assuré ou subsidiairement d’une autre partie (c. 3).
L’ordonnance thurgovienne sur les prestations complémentaires prévoit que les frais d’aide, de soins et d’assistance à domicile sont remboursés aux bénéficiaires des prestations. Dans le cas d’espèce, la recourante qui prodiguait les soins à sa mère était domiciliée dans le canton de St-Gall. Elle devait cependant agir devant les tribunaux thurgoviens dès lors que c’est le bénéficiaire des soins qui est titulaire du droit au remboursement. La recourante n’a donc pas d’expectative propre mais doit agir au domicile de sa défunte mère en vertu de son statut de successeur universel (c. 5).
Auteure : Me Muriel Vautier, avocate à Lausanne.


TF 6B_69/2017 du 28 novembre 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; lésions corporelles graves par négligence; faute; causalité; art. 125 CP
Parvenue à une intersection, une automobiliste coupe la route à une cycliste en voulant obliquer à gauche. La cycliste est grièvement blessée. En première instance, l’automobiliste est condamnée pour lésions corporelles graves par négligence, celle-ci n’ayant pas remarqué la présence de la cycliste, qui était prioritaire (violation des art. 31 al. 1 LCR et 3 al. 1 OCR, défaut d’attention), et ayant de surcroît effectué un virage « à la corde » (violation des art. 34 al. 1 LCR et 13 al. 4 OCR). Ayant aussi succombé en deuxième instance, l’automobiliste recourt au TF. Elle soutient que la cycliste n’aurait pas dû s’engager sur la route après s’être arrêtée au panneau STOP sans être certaine de ne pas gêner un autre usager de la route sur toute la surface de l’intersection
Le TF rejette le recours en retenant que la cycliste avait le droit de circuler sans être gêné dans sa progression compte tenu de la priorité. Surtout, l’automobiliste était en mesure, moyennant un minimum d’attention, de remarquer sa présence puisque la cycliste se trouvait immédiatement devant elle. Enfin, même à supposer que la cycliste eût commis une faute, cela n’aurait pas exonéré l’automobiliste de ses propres manquements, sachant qu’il n’existe pas de compensation des fautes en droit pénal.
Sur le plan de la causalité, le lien de causalité n’est pas rompu par le comportement de la cycliste puisqu’elle n’a pas commis de faute en s’arrêtant au stop avant de s’engager sur la route. Cet élément exclut de considérer que la cycliste aurait surgi à l’improviste, de manière soudaine et imprévisible.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne



TF 4A_135/2017 du 23 novembre 2017
Responsabilité aquilienne; responsabilité du notaire; connaissance du dommage; prescription; art. 41, 60 al. 1, 61 al. 1 CO; 33 LN-FR
La responsabilité des fonctionnaires et employés publics est régie par les art. 41 ss CO, mais les cantons sont libres de la soumettre au droit public cantonal en vertu de l’art. 61 al. 1 CO. Les notaires sont visés par cette disposition en leur qualité d’officiers publics.
L’art. 61 al. 1 CO contient une réserve facultative ou habilitante en faveur du droit public cantonal. Si le canton légifère, la responsabilité est régie exclusivement par le droit cantonal ; s’il ne fait pas usage de cette faculté, la responsabilité pour les actes ministériels des notaires est régie directement par les art. 41 ss CO, à titre subsidiaire. L’art. 61 al. 1 CO étant une réserve habilitante, c’est la volonté du législateur cantonal de soumettre la question à son propre droit qui est déterminante.
Le canton de Fribourg n’a pas fait usage de la faculté offerte par l’art. 61 al. 1 CO. Selon l’art. 33 de la loi sur le notariat du 20 septembre 1967 (LN-FR), la responsabilité civile du notaire - qui est un officier public (art. 1 al. 1 LN-FR) - est régie par le droit fédéral, la loi sur la responsabilité civile des collectivités publiques et de leurs agents n’étant pas applicable. Il en découle que la responsabilité du notaire est régie directement par les art. 41 ss CO, applicables à titre subsidiaire. Le TF revoit donc dans ce cas librement l’application de l’art. 60 CO.
Concernant la connaissance du dommage prévue à l’art. 60 al. 1 CO, point litigieux dans le cas d’espèce, la jurisprudence indique que le créancier connaît suffisamment le dommage (soit le montant réel [maximal] de son dommage) lorsqu’il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 9C_234/2017 - ATF 143 V 440 du 23 novembre 2017
Prévoyance professionnelle; droit acquis au montant de la rente de vieillesse; art. 65d LPP
La Caisse de pensions PricewaterhouseCoopers, dont la santé financière et le degré de couverture ne soulevaient pas de difficulté particulière, a voulu introduire une disposition réglementaire lui permettant d’adapter les anciennes rentes de vieillesse en cours, au moyen d’une rente de base fixe et d’une rente variable.
A l’instar de l’Autorité de surveillance des institutions de prévoyance du canton de Zurich et du Tribunal administratif fédéral, le TF a jugé une telle réglementation contraire aux règles de la prévoyance professionnelle. Les principes prévus à l’art. 65d LPP permettant, de manière exceptionnelle, de réduire les rentes en cours en cas de découvert, sont exhaustifs, impératifs et s’imposent à toutes les institutions de prévoyance, dans les domaines obligatoire et surobligatoire.
Auteur : Guy Longchamp


TF 6B_1008/2016 du 22 novembre 2017
Responsabilité aquilienne; homicide par négligence; règles de prudence; lien de causalité; arbitraire; art. 117 CP; 97 al 1 LTF
Durant la pose d’un panneau de verre sur un chantier, celui-ci a glissé et est tombé sur le machiniste qui a été tué sur le coup. Pour effectuer cette manœuvre, l’entreprise responsable de la pose n’avait pas exigé qu’un palonnier à deux circuits soit utilisé pour la pose du vitrage, ni que le panneau en verre soit assuré contre les chutes au moyen d’un équipement de sécurité mécanique, comme par exemple des sangles.
La cour cantonale n’a pas retenu le chef d’accusation d’homicide par négligence (art. 117 CP) au motif que l’inobservation de la règle de prudence consistant à exiger la pose de sangles n’était pas en rapport de causalité naturelle et adéquate avec la survenance de l’accident. D’une part, elle a considéré que la vitre aurait très bien pu tomber lors de la pose de sangles et écraser la victime à ce moment. D’autre part, elle a relevé que la victime avait commis une erreur de manipulation avec le levier posé sur la valve, qui était propre à rompre le lien de causalité. Selon la cour cantonale, cette erreur de manipulation s’imposait comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui auraient pu contribuer à l’amener, à savoir notamment les manquements de l’intimé.
Dans le cadre de l’analyse de l’art. 117 CP, et plus particulièrement sous l’angle des règles de prudence à observer et du rapport de causalité, le TF constate que la cour cantonale a versé dans l’arbitraire à plus d’un titre. Elle a en effet retenu des éléments qui ne faisaient pas partie de l’état de fait cantonal. Elle s’est aussi écartée sans aucune motivation des témoignages de l’ingénieur sécurité de la SUVA qui se référait à la Directive européenne sur les machines, du collègue de travail de la victime et de l’intimé. En l’espèce, ces éléments de fait sont déterminants pour juger de la rupture du lien de causalité et sont donc propres à influer sur le sort du litige (art. 97 al. 1 LTF).
Sur la question du lien de causalité, le TF rappelle que l’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement de l’auteur.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

TF 4D_54/2017 du 22 novembre 2017
Responsabilité aquilienne; procédure; recours constitutionnel subsidiaire; honoraires; procès pénal; art. 106 al.2, 116 LTF et 117 LTF
Dans le cadre d’un recours subsidiaire en matière constitutionnelle, seule une violation des droits constitutionnels peut être revendiquée (art. 116 LTF). Dans le cas d’espèce, le recourant avait été condamné pénalement pour des actes de menaces et des voies de fait par une peine pécuniaire et à une amende. Dans le procès civil, la cour d’appel du tribunal cantonal avait réformé le jugement en première instance qui avait rejeté la demande en paiement composée principalement des frais et honoraires d’avocat. Le tribunal cantonal avait estimé qu’il était justifié de rembourser à la victime les frais de justice ainsi que les frais et honoraires de son avocat étant donné que cette dernière, graphiste âgé de 55 ans, n’avait pas de connaissances particulières juridiques lui permettant de se dégager des différentes procédures.
Le TF a estimé qu’en admettant le paiement des frais et honoraires d’avocat, l’instance inférieure n’avait pas violé le principe d’interdiction de l’arbitraire, étant rappelé que selon la jurisprudence du TF, il devait apparaître évident que la décision attaquée eût été manifestement insoutenable, en contradiction flagrante avec la réalité des faits ou qu’elle aurait gravement violé une norme ou un principe juridique clair et incontesté.
In fine, le TF a jugé qu’il n’était pas non plus arbitraire de tenir compte du calcul des intérêts à partir du jour où l’acte illicite avait été commis et non pas à partir de la date d’établissement des notes d’honoraires.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 4A_455/2016 du 20 novembre 2017
Responsabilité aquilienne; blanchiment; exclusion de la responsabilité civile de la banque; bonne foi; art. 11 LBA-2010; 3 CC
Un client fortuné, membre d’une famille influente au pouvoir dans un pays étranger a donné ordre à sa banque de vendre toutes les opérations et positions de son compte et d’en transférer le produit sur un compte ouvert à son nom auprès d’une banque à l’étranger. Considérant cette opération comme inhabituelle, la banque a ouvert une procédure de clarification et a adressé une communication au Bureau de Communication en matière de blanchiment (MROS), laquelle a transmis cette communication au Ministère public de la Confédération (MPC). Les comptes du client ont été gelés. Par décision du 14 septembre 2011, le SECO a autorisé la banque à débloquer la somme litigieuse (3 millions d’euros) et de la verser directement sur le compte du vendeur (le transfert ayant pour but, selon le client, l’achat d’un bien immobilier). Le 16 septembre 2011, le MPC a ouvert une instruction contre le client pour blanchiment d’argent et prononcé le séquestre pénal des comptes. Le séquestre pénal a été finalement levé par la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. Le client a alors mis en demeure la banque d’exécuter sans délai le transfert mais l’opération n’a pu être validée que le 12 janvier 2012. Le client a ouvert action contre la banque en lui réclamant la pénalité de retard qu’il avait dû verser au vendeur par 250'000 euros ainsi qu’un tort moral de CHF 30'000.-. Sa demande a été rejetée tant par le premier juge que par les juges de deuxième instance. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
Aux termes de l’art. 11 LBA-2010, quiconque, de bonne foi, communique des informations en vertu de l’art. 9 LBA-2010 ou procès à un blocage des avoirs en vertu de l’art. 10 LBA-2010 ne peut être poursuivi pour violation du secret de fonction, du secret professionnel ou du secret d’affaires, ni être tenu responsable de violation du contrat.
Est donc exclue la responsabilité contractuelle de la banque qui, de bonne foi, communique des informations au MROS et procède à un blocage des avoirs conformément aux art. 9 et 10 LBA-2010. Est également d’emblée exclue la responsabilité délictuelle de la banque, les dispositions de la LBA n’étant pas des normes de comportement destinées à protéger le lésé.
Dans cette affaire, le TF a retenu qu’il y avait suffisamment d’indices en faveur de soupçons fondés et, partant, pour retenir que la banque était de bonne foi. Par ailleurs, le client avait expressément accepté les conditions générales de la banque lesquelles octroyaient à celle-ci la faculté de retarder le traitement de certaines instructions pour cause d’investigations en lien avec la prévention de blanchiment d’argent ou avec la prestation de services à des personnes susceptibles d’être soumises à des sanctions, sans engager sa responsabilité pour des pertes éventuelles encourues par le client du fait de ces retards. Pour ces motifs, le TF a considéré que la responsabilité de la banque n’était pas engagée.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 6B_24/2017 - ATF 143 IV 508 du 13 novembre 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; délit de chauffard; art. 90 al. 2, al. 3, al. 4 et 100 LCR; 105 al. 1 et 106 al. 2 LTF
L’art. 90 al. 3 LCR définit et réprime les infractions particulièrement graves aux règles de la circulation routière, dites « délit de chauffard ». Selon l’art. 90 al. 4 LCR, l’al. 3 est toujours applicable lorsque la vitesse maximale autorisée dépasse les seuils décrits dans la loi. Ainsi, selon l’art. 90 al. 4 LCR, lorsque l’excès de vitesse atteint l’un des seuils fixés, la première condition objective de l’art. 90 al. 3 LCR, à savoir la violation d’une règle fondamentale de la circulation routière, est toujours remplie. L’application de l’art. 90 al. 4 LCR permet-elle de considérer que la seconde condition objective de l’infraction, soit la création d’un grand risque d’accident, est d’emblée satisfaite ou si cette condition doit être examinée indépendamment de l’atteinte de l’un des seuils d’excès de vitesse prévus ?
Dans son arrêt de principe, le TF a jugé que l’art. 90 al. 4 LCR crée une présomption réfragable de la réalisation de l’élément subjectif de l’infraction réprimée par l’art. 90 al. 3 LCR (ATF 142 IV 137). Selon un arrêt non publié, la commission d’un excès de vitesse qualifié au sens de l’art. 90 al. 4 LCR, constitutive d’une violation des règles fondamentales de la circulation routière au sens de l’art. 90 al. 3 LCR, entraînait presque inévitablement la création d’un risque abstrait qualifié d’accident avec des blessures graves ou la mort (TF 6B_148/2016 du 29.11.2016, c. 1.3.2).
L’art. 90 al. 2 LCR réprime le comportement de celui qui, par une violation grave d’une règle de la circulation routière, crée un sérieux danger pour la sécurité d’autrui ou en prend le risque. A teneur du texte légal, le danger créé par cette infraction, quoique accru, est moins élevé que celui de l’art. 90 al. 3 LCR. Dans les deux chefs d’infraction cependant, une mise en danger concrète pour la santé ou la vie de tiers n’est pas nécessaire ; un danger abstrait, qualifié au sens de la disposition légale, est suffisant à cet égard.
En lien avec l’application de l’art. 90 al. 2 LCR, le cas est objectivement grave, sans égard aux circonstances concrètes, en cas de dépassement des seuils de vitesse autorisés. Cependant, la jurisprudence admet que dans des circonstances exceptionnelles, il y a lieu d’exclure l’application du cas grave alors même que le seuil de l’excès de vitesse fixé a été atteint. Ainsi, sous l’angle de l’absence de scrupules, le TF a retenu que le cas grave n’était pas réalisé lorsque la vitesse avait été limitée provisoirement à 80 km/h sur un tronçon autoroutier pour des motifs écologiques ou pour des mesures de modération de trafic.
Ces jurisprudences en lien avec l’art. 90 al. 2 LCR confirment que même lorsque les seuils d’excès de vitesse fixés ont été atteints, le juge ne peut faire l’économie de l’examen de circonstances exceptionnelles. Ainsi, un conducteur qui a commis un excès de vitesse inférieur aux seuils de l’art. 90 al. 4 LCR peut réaliser l’infraction de l’art. 90 al. 3 LCR compte tenu des circonstances du cas d’espèce, il fait sens qu’à l’inverse, les circonstances particulières permettent de considérer que le « délit de chauffard » n’est pas réalisé alors même que l’une des valeurs indicatives de l’art. 90 al. 4 LCR a été atteinte.
Ainsi l’excès de vitesse qualifié au sens de l’art. 90 al. 4 LCR suffit en principe à réaliser la seconde condition objective de l’art. 90 al. 3 LCR (création d’un danger abstrait qualifié) dès lors que l’atteinte de l’un des seuils visés à l’art. 90 al. 4 LCR implique généralement l’impossibilité d’éviter un grand risque d’accident en cas d’obstacle ou de perte de maîtrise du véhicule. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, en particulier lorsque la limitation de vitesse dépassée n’avait pas pour objet la sécurité routière, l’excès de vitesse au sens de l’art. 90 al. 4 LCR peut ne pas avoir entraîné un grand risque d’accident susceptible d’entraîner des blessures graves ou la mort. Il y a lieu d’en conclure que l’art. 90 al. 4 LCR crée une présomption réfragable de la réalisation de la condition objective du danger qualifié au sens de l’art. 90 al. 3 LCR.
Sur le plan subjectif, l’art. 90 al. 3 LCR déroge à l’art. 100 ch. 1 LCR et limite la punissabilité à l’intention. Celle-ci doit porter sur la violation des règles fondamentales de la circulation routière ainsi que sur les risques d’accidents graves (ATF 142 IV 137).
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève


TF 9C_406/2017 – 407/2017 du 9 novembre 2017
Assurance vieillesse et survivants; remise des cotisations; prise en charge par le canton; art. 11 al. 2 LAVS
A teneur de l’art. 11 al. 2 LAVS, « le paiement de la cotisation minimale qui mettrait une personne obligatoirement assurée dans une situation intolérable peut être remis, sur demande motivée, et après consultation d’une autorité désignée par le canton de domicile. Le canton de domicile versera la cotisation minimale pour ces assurés. Les cantons peuvent faire participer les communes de domicile au paiement de ces cotisations ».
Lorsque le droit fédéral met à charge du canton le paiement de certaines cotisations ou parties de celles-ci, cela ne signifie pas que le canton doit s’acquitter de ces montants par ses propres moyens. Il lui est au contraire possible, au moyen du droit cantonal, de mettre tout ou partie de cette charge sur les communes, sans avoir besoin d’obtenir une autorisation du législateur fédéral. Le fait que la disposition indique que les cantons peuvent faire participer les communes n’empêche pas le droit cantonal de prévoir que l’entier de ces cotisations soit mis à charge de la commune de la personne concernée.
La décision de la caisse de compensation du canton de Bâle-Campagne de facturer l’entier des cotisations minimales de trois assurés, exemptés du paiement de celles-ci, à leur commune de domicile, sur la base du droit cantonal, est donc conforme au droit fédéral.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 6B_498/2017 du 6 novembre 2017
Responsabilité civile; etablissement des faits; arbitraire; prescriptions techniques; vice de conception; obligation d’informer; ordonnance de classement; art. 319 CPP; 15 ordonnance sur les grues
Le recourant a subi une fracture de la troisième vertèbre lombaire en utilisant une grue à foin. Alors qu’il transportait de l’ensilage, les vis qui reliaient la grue à son support se sont cassées et la cabine du conducteur est tombée d’une hauteur d’environ quatre mètres. Le recourant a recouru contre l’ordonnance de classement du Ministère public de Lucerne. Une ordonnance de classement ne peut être rendue qu’en cas d’impunité claire. Lorsqu’une condamnation apparaît aussi probable qu’un acquittement, il convient, particulièrement en cas d’infractions graves, de renvoyer le prévenu devant un Tribunal de jugement (principe in dubio pro duriore).
Le Ministère public et les autorités cantonales disposent d’un large pouvoir d’appréciation que le TF examine avec retenue. S’agissant du pouvoir de cognition du TF en cas de recours contre une décision de classement, celui-ci se limite à la question de savoir si l’instance précédente a considérée à tort que la situation probatoire ou d’autres éléments du dossier étaient clairs ou si certains faits ont été considérés comme arbitraires alors qu’ils étaient établis. Le droit d’être entendu comprend l’appréciation par l’autorité de toutes les preuves pertinentes. A contrario, il n’y a pas de violation du droit d’être entendu si une autorité refuse des moyens de preuve, alors que sa conviction est déjà faite et qu’elle considère que d’autres investigations ne changeraient plus rien au résultat de l’administration des preuves.
Le recourant se plaint d’une constatation arbitraire des faits et de la violation de son droit d’être entendu. Il affirme que la grue à foin présentait un défaut de conception, ce que le constructeur a constaté a posteriori, raison pour laquelle il a enjoint tous les concessionnaires d’équiper les grues de ce type, d’une plaque de renforcement et d’un dispositif antichute, à ses frais. Une plaque de renforcement a incontestablement été installée sur la grue lors de la dernière révision effectuée en 2005. Après ladite révision, la grue a fonctionné pendant presque 10 ans. Selon les collaborateurs du SPAA, la cause principale de l’accident n’est pas liée à un problème de construction, mais au manque d’entretien et à l’absence de révision durant de nombreuses années imputable au recourant. Le ministère public a conclu que les vis usées auraient été remplacées et l’accident évité si le recourant avait entretenu la grue conformément aux dispositions légales. Le ministère public a estimé que l’omission du recourant était la cause principale de l’accident et l’autorité inférieure s’est rallié à son avis et n’a pas administré les preuves requises par le recourant.
Le TF a estimé que le Ministère public et l’instance inférieure n’ont pas établi les faits de manière suffisante, principalement quant à l’existence d’un vice de conception. La question de savoir si l’accident résulte de l’usure normale ou s’il est imputable à la construction inadéquate de la grue n’a pas été traitée. Bien que l’instance inférieure ait reçu deux rapports d’autres propriétaires d’une grue du même type qui indiquaient que malgré la pose de plaque de renforcement, des cassures de vis se sont produites, le TF a estimé que le droit fédéral était violé, que l’autorité inférieure n’avait pas tenu compte des griefs du recourant concernant un vice de conception possible et qu’elle avait rejeté à tort ses demandes de preuve dans l’appréciation anticipée des preuves au motif qu’une erreur de conception serait probablement difficile à prouver. L’instance inférieure ne s’est pas non plus déterminée sur la portée d’une inspection de la grue. Elle s’est fondée sur l’art. 15 al. 1 et 2 de l’ordonnance sur les grues et sur le règlement de maintenance des grues émis conjointement par les associations professionnelles Agrotec Suisse et Metaltec Suisse (AM Suisse). Toutefois, le contenu des contrôles de grue et particulièrement la question de savoir quand un changement de vis doit intervenir n’y sont pas traités. L’ordonnance sur les grues prévoit un contrôle « régulier » par des personnes formées à cet effet. Le TF a estimé qu’il ne pouvait donc pas être exclu que les vis de la couronne d’orientation de roulement n’aient pas été remplacées par une personne formée ou qu’elles n’aient pas été remplacées suffisamment tôt. Par conséquent, on ne peut affirmer que le recourant a causé l’accident par son omission de faire réparer ou remplacer la grue par une personne qualifiée. En outre, le TF a estimé qu’au vu des faits, on ne peut pas affirmer que le lien de causalité adéquate a été interrompu par l’omission du recourant. La décision contestée était, en lien avec cette problématique, insuffisamment motivée.
L’établissement lacunaire des faits ne permet pas de savoir dans quelle mesure le défendeur 3 s’est acquitté de son obligation d’informer le recourant concernant l’obligation de maintenance et de révision de la grue. Si des travaux de maintenance sur la grue étaient nécessaires, le défendeur 3 aurait dû le signaler au recourant. Si une telle imprécision ou omission du défendeur 3 ne respectait pas son obligation de fournir des informations, il aurait fallu en tenir compte au moment d’examiner si la faute concomitante du recourant a interrompu le lien de causalité adéquate. L’examen de l’accident de la grue nécessite des connaissances spécifiques hors du domaine juridique. Selon l’instance inférieure, le SPAA serait une agence spécialisée dans la prévention des accidents dans l’agriculture, chargée des enquêtes sur les accidents dans cette fonction et qui agirait comme un centre de compétence pour le contrôle du respect des règles de sécurité dans les machines agricoles et horticoles en vertu de la loi fédérale du 12 juin 2009 sur la sécurité des produits. Les représentants du SPAA ont inspecté le lieu de l’accident. Le TF a affirmé qu’il était incompréhensible que l’autorité inférieure considère les rapports du SPAA du 12 mai 2015 et du 17 juin 2015 comme étant des rapports écrits au sens de l’art. 145 CPP ou des rapports officiels au sens de l’art. 195 CPP. En effet, le TF a affirmé que seuls les services officiels établissent les rapports officiels, non pas des employés d’une fondation privée. En définitive, le TF a considéré que les conditions pour ordonner le classement de la procédure n’étaient pas remplies. Les faits pertinents n’avaient pas suffisamment été établis et il était impossible d’affirmer, sur la base des faits, que l’omission du recourant était suffisante pour interrompre le lien de causalité adéquate.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 4A_152/2017 du 2 novembre 2017
Assurances privées; interprétation d’une clause d’exclusion; art. 33 LCA
Les conditions générales d’assurance s’interprètent selon les principes qui gouvernent l’interprétation des contrats (art. 18 CO). Le juge doit donc d’abord s’efforcer de rechercher la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective). S’il n’y parvient pas, il doit alors recourir à l’interprétation objective, c’est-à-dire rechercher le sens que, d’après les règles de la bonne foi, chacune des parties pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l’autre (application du principe de la confiance).
Si l’interprétation selon le principe de la confiance ne permet pas de dégager le sens de clauses ambiguës, celles-ci sont à interpréter contre l’assureur qui les a rédigées en vertu de la règle « in dubio contra assicuratorem ». Ainsi, quand l’assureur entend apporter des restrictions ou des exceptions, il lui appartient de le dire clairement. C’est à l’assureur qu’il incombe de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer les restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées.
Par ailleurs, la validité des conditions générales préformulées est limitée par la règle de la clause insolite. Ainsi, le rédacteur de conditions générales doit partir de l’idée, en vertu du principe de la confiance, qu’un partenaire contractuel et inexpérimenté n’accepte pas des clauses insolites.
En l’espèce, la clause d’exclusion d’assurance était rédigée de manière non équivoque si bien que sa validité a été reconnue. La clause étant dépourvue d’ambigüité, il n’y avait pas lieu d’appliquer la règle complémentaire d’interprétation in « in dubio contra assicuratorem ».
Enfin, la recourante ne pouvait pas être qualifiée de partenaire contractuel inexpérimenté, si bien qu’elle ne pouvait pas se prévaloir d’une clause insolite. Si elle avait pris le temps de lire les CGA, la recourante n’aurait pas manqué de déceler la restriction litigieuse.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne

TF 9C_695/2016 - ATF 143 V 369 du 30 octobre 2017
Assurance-maladie; liste des spécialités; conditions d’admission; réexamen triennal; art. 65 OAMal; 34 aOPAS
En principe, le réexamen triennal du prix d’un médicament en vue de l’admission dans la Liste des spécialités (LS) suppose, sous l’angle de l’économicité, que l’on effectue d’abord une comparaison avec les prix pratiqués à l’étranger (CPE), puis une comparaison thérapeutique (CT). En l’espèce, le médicament faisant l’objet du réexamen n’était commercialisé dans aucun des six pays de référence, de sorte que l’OFSP a informé l’entreprise pharmaceutique le commercialisant que seule une CT avait été effectuée, ce qui a entraîné une baisse de 12, 5 % sur toute la gamme de ce produit.
Le TF rappelle que l’administration, respectivement le TAF, disposent d’un large pouvoir d’examen s’agissant du choix des préparations retenues pour procéder à la CT. Il n’est pas arbitraire de se limiter à des préparations qui, selon la notice de Swissmedic, ont la même indication, et de ne pas en inclure d’autres qui, selon l’entreprise pharmaceutique, sont employées à des fins thérapeutiques identiques dans la pratique (c. 4).
Ce pouvoir d’interprétation est notamment aménagé par l’art. 34 al. 2 let. b aOPAS*, qui mentionne le coût du médicament par rapport à celui d’autres médicaments « dont les indications sont identiques ou les effets similaires ». Cette disposition doit être interprétée de telle manière qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les « indications identiques » et « les effets similaires », de sorte que l’OFSP reste libre de déterminer la corbeille de médicaments à prendre en considération pour la comparaison (c. 5.3).
* Depuis le 1er mars 2017, cette disposition correspond à l’art. 65b al. 4bis OAMal.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_362/2017 du 26 octobre 2017
Assurances privées; procédure; transaction; répartition des frais; assistance judiciaire; art. 109 al. 2 let. b CPC
En cas de transaction, les frais sont répartis selon la convention des parties (art. 109 al. 1 CPC). Afin de protéger les intérêts financiers de l’Etat, l’art. 109 al. 2 let. b CPC permet au juge de corriger la répartition convenue, en appliquant les règles ordinaires (art. 106 à 108 CPC), dans le cas où la transaction défavorise la partie qui procède au bénéfice de l’assistance judiciaire (c. 3.3 à 3.5). Mais cela suppose que l’assistance judiciaire ait été effectivement accordée (c. 3.6), ce qui n’était pas le cas en l’espèce (c. 3.7).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 8C_392/2017 - ATF 143 V 393 du 26 octobre 2017
Assurance-accidents; accident; fausse déclaration; art. 46 al. 2 LAA et 25 al. 1 LPGA
L’art. 46 al. 2 LAA est applicable dans la mesure où la déclaration de sinistre ne correspond pas à la réalité des faits et qu’il y a un caractère intentionnel dans cette fausse déclaration afin de percevoir indûment des prestations d’assurances LAA. Cet article n’a pas seulement pour objectif d’éviter le versement de prestations indues, mais vise également à sanctionner l’assuré coupable de fausses déclarations intentionnelles en lui supprimant le droit à certaines prestations (c. 6.2). Par exemple, la simple communication volontaire à l’assureur d’un salaire plus élevé que celui réellement perçu suffit à remplir les conditions pour l’application de cette disposition (c. 6.4). Un caractère astucieux au sens de l’art. 146 al. 1 CP n’est pas requis (c. 7.3) et le juge des assurances sociales n’est pas lié par les sanctions pénales éventuelles, même entrées en force. Cependant, il ne s’écartera de l’évaluation pénale que si celle-ci n’est pas convaincante ou qu’elle n’a pas de portée pour l’assureur social (c. 7.2).
Pour statuer sur l’application de l’art. 46 al. 2 LAA, l’assureur et le juge des assurances sociales disposent d’un large pouvoir d’appréciation. Ils doivent cependant éviter les décisions arbitraires et respecter les principes de l’égalité de traitement et de la proportionnalité. Ces derniers principes (notamment le principe de proportionnalité) s’appliquent d’ailleurs différemment selon le type de prestations d’assurance LAA requises (c. 6.2).
Etant donné que le salaire annoncé était beaucoup plus élevé que celui que l’assuré aurait réellement perçu, l’assureur était en droit de nier intégralement le droit aux indemnités journalières respectivement d’en demander le remboursement, mais en tenant compte des arrérages de rentes LAI récupérés dans l’intervalle (c. 8.2). Tel n’est pas le cas pour les frais de traitement, puisque la survenance de l’accident n’est pas niée et le caractère intentionnel de celui-ci n’est pas démontré. De plus, le refus de l’octroi des prestations en nature porterait préjudice à un autre assureur social (LAMal) qui serait alors tenu de les prendre en charge (c. 8.3).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge


TF 8C_617/2016 - ATF 143 V 385 du 26 octobre 2017
Assurance-accidents; couverture d’assurance; contrat de travail de durée déterminée; art. 3 LAA; 334 CO
Une assurée a été victime d’un accident de la circulation le 3 juillet 2010. Alors qu’elle circulait régulièrement, son véhicule a été percuté par l’arrière. Elle a été blessée au bras et au genou gauches. Le 7 février 2011, elle a écrit à la Zurich compagnie d’Assurances SA qu’elle avait été employée comme ouvrière agricole par l’entreprise B., où elle avait travaillé deux jours (les 25 et 26 août 2008), sans contrat de travail écrit, avant d’être en incapacité de travail en raison d’une grossesse difficile. L’horaire de travail normal dans l’entreprise et celui de la personne assurée avant l’atteinte à la santé était de 47 heures et demie par semaine. L’employeur précisait : « cet horaire est valable d’août à octobre pour la période des récoltes. Le reste de l’année, travail irrégulier ». L’assureur perte de gain maladie a versé à l’employeur des indemnités journalières pour perte de gain du 27 août au 31 octobre 2008, puis celles-ci ont été versées directement en mains de la bénéficiaire, du 1er novembre 2008 jusqu’au 2 novembre 2010.
Sur la base des éléments factuels réunis, le TF a confirmé que les parties étaient liées par un contrat de durée déterminée selon l’art. 334 CO, qui a pris fin en octobre 2008. A la date de l’accident (3 juillet 2010), la recourante n’était plus soumise à la LAA, même compte tenu de la couverture prolongée de trente jours. En clair, engagée pour une durée de moins de trois mois, la recourante ne pouvait donc prétendre au versement du salaire à compter de son incapacité de travail (art. 324a CO ; art. 7 al. 1 let. b OLAA) et, partant, ne bénéficiait pas d’une couverture d’assurance LAA.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_75/2017 du 24 octobre 2017
Assurance-accidents; procédure; libre appréciation des preuves; expertise; art. 44 LPGA
La CNA a décidé de la suppression du droit aux indemnités journalières et à la prise en charge des frais de traitement, puis alloué une rente d’invalidité de 19% et une IPAI de 15%. Le recourant reproche à l’assureur et aux juges cantonaux de ne pas avoir ordonné une expertise, au vu des avis médicaux divergents.
Le TF rappelle que selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie librement les preuves médicales qu'il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. En l’occurrence, notre Haute Cour se rallie au point de vue des premiers juges, selon lequel une lésion du nerf supra-claviculaire gauche n’est pas encore formellement établie au stade actuel des investigations médicales. Cela étant, il relève qu’il n’existe aucun élément concret de nature à écarter d’emblée les constatations objectives, reposant sur un examen neurologique local, du professeur C. relatives à l’existence d’un gradient thermique dans la région du nerf supra-claviculaire ni celles de la doctoresse D., laquelle fait état d’un "trigger point" localisé paracicatriciellement.
Ainsi, les preuves médicales réunies au dossier laissent subsister des incertitudes quant à la situation médicale, dans la mesure où elles ne permettent pas de statuer en connaissance de cause sur la nature et l’origine de l’atteinte à la santé physique subie par le recourant. Au final, au stade actuel des investigations médicales, il n’est pas possible, pour le TF, de se rallier au point de vue de la cour cantonale, selon lequel l’intéressé ne présente pas de lésion nerveuse. C’est pourquoi des investigations complémentaires sont nécessaires et la cause renvoyée à la CNA pour complément d’instruction.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 9C_447/2017 du 20 octobre 2017
Assurance-maladie; exception à l’obligation d’assurance; art. 3 al. 1 LAMal; 2 al. 8 OAMal
A. est domicilié en Suisse depuis le 4 octobre 2008. Il est assuré auprès d’un assureur-maladie en Allemagne, qui couvre également les prestations en Suisse. Il a requis une exception à l’obligation de s’assurer auprès d’un assureur-maladie suisse, ce qui a été refusé par le Département de la santé et des affaires sociales du canton d’Argovie, puis par le tribunal cantonal des assurances.
Le TF rejette le recours formé par A. En effet, l’exception au principe fixé à l’art. 3 al. 1 LAMal ne doit être admise que restrictivement. La « nette dégradation » prévue à l’art. 2 al. 8 OAMal ne saurait être admise si l’assurance en cours ne garantit pas en particulier les prestations découlant des art. 25a et 25 al. 2 let. a LAMal ainsi que de l’art. 7 OPAS. De plus, la dégradation doit être examinée de manière globale (« insgesamt ») et doit apparaître clairement (« klare Verschlechterung »).
Dans le cas particulier, le fait que la couverture d’assurance pour des douleurs dorsales ne pourra qu’être partiellement garantie par une assurance complémentaire ne constitue pas une « nette dégradation », dès lors que l’assureur actuel de l’assuré ne couvre que de manière insuffisante les frais de soins.
Auteur : Guy Longchamp

TF 4A_138/2017 du 9 octobre 2017
Responsabilité médicale; causalité naturelle; appréciation arbitraire des faits; 9 Cst.
Examen de la causalité naturelle entre un accident de la circulation et une lésion de l’épaule (lésion tendineuse du sus-épineux).
Pour le TF, il n’est pas arbitraire, sur le plan de l’établissement des faits, de conclure à l’absence de lien de causalité lorsqu’un premier médecin exprime ses doutes quant au lien de causalité, qu’un second médecin conclut à un lien de causalité intermédiaire, soit une probabilité de degré inférieur à celle qui est définie par la notion de vraisemblance prépondérante, et qu’un troisième médecin a réfuté tout lien de causalité, même si celui-ci était lié à la compagnie d’assurance défenderesse, dans la mesure où son opinion corroborait les deux autres avis (c. 2.2 et 2.3).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds


TF 4A_200/2016 du 5 octobre 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; Dommage; procédure; preuve obtenue de manière illicite; art. 152 al. 2 CPC
Aux termes de l’art. 152 al. 2 CPC, le tribunal ne prend en considération les moyens de preuve obtenus de manière illicite que si l’intérêt à la manifestation de la vérité est prépondérant.
Contrairement à la preuve irrégulière, recueillie en violation d’une règle de procédure, la preuve illicite est obtenue en violation d’une norme de droit matériel, laquelle doit protéger le bien juridique lésé contre l’atteinte en cause. La preuve est notamment illicite parce qu’elle a été obtenue par la commission d’un délit ; c’est le cas en particulier de la disposition pénale – dont l’application est envisagée ici – réprimant le secret professionnel (art. 321 CP).
En l’espèce, le recourant soutenait que le simple fait pour l’experte, d’avoir entendu – parmi de nombreux spécialistes – deux médecins n’ayant pas été déliés du secret professionnel, devait nécessairement conduire les juges cantonaux à écarter complètement le contenu de l’expertise. Le TF considère au contraire que la cour cantonale, qui se fonde sur une expertise judiciaire, en faisant abstraction des témoignages recueillis par l’expert(e) auprès de médecins n’ayant pas été déliés du secret professionnel, n’utilise que les moyens de preuve licites pour se forger une conviction (c. 3).
NB : Le TF précise que, dans un tel cas, il incombait plutôt au recourant de contester, sous l’angle de l’arbitraire, le constat – auquel est parvenu la cour cantonale après avoir apprécié les éléments licites à sa disposition (en faisant abstraction des témoignages contestés) – selon lequel il se trouvait déjà, avant l’accident dont il était question, dans un état de dépression grave.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat, Neuchâtel



TF 4A_97/2017 du 4 octobre 2017
Responsabilité des associés; preuve de l’étendue du dommage; expertise judiciaire; art. 754, 725, 42 CO
Selon l’art. 754 al. 1 CO, les personnes qui s’occupent de la gestion répondent à l’égard de la société du dommage qu’ils leur causent en manquant à leurs devoirs, par exemple lorsqu’ils ont aggravé le surendettement de la société. Dans une telle hypothèse, le dommage de la société consiste dans l’augmentation du découvert entre le moment où la faillite aurait été prononcée si l’administrateur n’avait pas manqué à ses devoirs et le moment (impliquant une perte supérieure) où la faillite a effectivement été prononcée.
Pour le calcul du dommage, seule la valeur de liquidation des biens entre en ligne de compte. Celle-ci est déterminante non seulement pour fixer le montant du découvert à la date où la faillite a effectivement été prononcée, mais également pour fixer le montant du découvert à la date où la faillite aurait été prononcée si le défendeur n’avait pas manqué à ses devoirs.
Dans une telle procédure, le demandeur doit solliciter des tribunaux de mandater un expert qui aura pour tâche d’établir les valeurs de liquidation aux deux moments déterminants. Il n’incombe pas au juge de reconstituer l’état du patrimoine de la société, seul un expert disposant des connaissances techniques nécessaires.
Le calcul du montant du dommage résultant de l’absence d’avis au juge en cas de surendettement, ne peut être établi que par un rapport d’un expert judiciaire.
Si le lésé ne satisfait pas entièrement à son devoir de fournir des éléments utiles à l’estimation, par exemple en ne sollicitant pas d’expertise judiciaire dans le sens de ce qui est développé ci-dessus, l’une des conditions dont dépend l’application de l’art. 42 al. 2 CO n’est pas réalisée, alors même que, le cas échéant, l’existence d’un dommage est certaine.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont


TF 6B_1399/2016 du 3 octobre 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; violation grave qualifiée des règles de la circulation routière; art. 90 al. 2, 3 et 4 LCR
Un conducteur empruntant une aire de repos pour dépasser un véhicule et perdant la maîtrise de son véhicule au moment de revenir sur l’autoroute, au point de traverser la berme centrale et d’entrer en collision avec un autre véhicule venant en sens inverse, commet une violation grave de la circulation routière au sens de l’art. 90 al. 2 LCR. En revanche, cette manœuvre via l’aire de repos ne constitue pas en soi un dépassement téméraire au sens de l’art. 90 al. 3 LCR, soit un dépassement apparaissant d’emblée insensé. De plus, la preuve n’a pas été amenée de ce que le conducteur aurait eu une visibilité insuffisante de l’éventuelle occupation de l’aire de repos, de ce que sa vitesse aurait atteint ou approché le seuil prévu par l’art. 90 al. 4 let. c LCR, de ce qu’il aurait participé à une course de vitesse ni de ce qu’il aurait violé intentionnellement une autre règle fondamentale de la circulation routière, comme l’envisage l’art. 90 al. 3 LCR. Dans ces conditions, une condamnation pour violation grave qualifiée des règles de la circulation routière n’entre pas en considération.
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle

TF 9C_174/2017 du 3 octobre 2017
Assurance-invalidité; rentes pour enfant perçues à tort; restitution; demande de remise; devoir d’informer; art. 25 al. 1 et 31 al. 1 LPGA; 77 RAI
L’ex-épouse d’un rentier AI qui perçoit directement, avec l’accord de son ex-conjoint, les rentes complémentaires pour enfants, commet une faute grave si elle n’annonce pas de son propre chef le divorce à la caisse de compensation qui sert les rentes. Elle n’est donc pas fondée à invoquer la bonne foi pour demander la remise des prestations versées en trop, compte tenu du recalcul des rentes ensuite du splitting intervenu au moment du divorce.
Elle ne peut se prévaloir ni de ce que son ex-conjoint n’a lui-même pas satisfait à son devoir d’annonce (ce qui n’a d’ailleurs pas été établi en l’espèce), ni de ce que la décision initiale, l’enjoignant à annoncer toute modification de son état civil, lui a été notifiée en allemand, contrairement au ch. 3007 CPAI. A cet égard, il lui appartenait soit de s’informer auprès de son avocat, soit de signaler à l’office AI qu’elle ne comprenait pas l’allemand et qu’elle souhaitait recevoir une traduction de la décision en français. On ne peut pas déduire du refus opposé au tribunal par la caisse de compensation, en procédure judiciaire, de traduire les pièces du dossier qu’elle aurait aussi refusé de traduire sa décision adressée à la recourante si cette dernière lui en avait fait la demande.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_159/2017 du 28 septembre 2017
Assurances privées; assurance perte de gain en cas de maladie LCA; interprétation des CGA; assurance de dommage; limite de surindemnisation; art. 18 al. 1 CO et 33 LCA
Le TF a été appelé à trancher l’interprétation d’une clause de surindemnisation contenue dans un contrat individuel de perte de gain en cas de maladie (suite à un libre passage) qui interdit à l’assuré de réaliser un profit (« Gewinn ») en cumulant les prestations dudit contrat avec d’éventuelles prestations de tiers.
Sachant qu’une indemnité journalière en francs fixes (CHF 95.-) était assurée dans le contrat en question, le TF a validé l’interprétation cantonale qui a consacré que la volonté présumée des parties était la fixation du montant de l’indemnité journalière comme limite de surindemnisation (et non le gain assuré dans le cadre du contrat d’assurance collective de perte de gain en cas de maladie). C’est donc à bon droit que l’assureur a déduit les prestations de l’assurance-invalidité fédérale du montant de l’indemnité journalière assurée.
Le recourant a par ailleurs contesté – en vain – la compensation des primes d’assurance échues avec les indemnités journalières encore dues par l’assureur en partant du principe que le contrat d’assurance était résilié en invoquant l’art. 115 CO.
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 4A_233/2017 du 28 septembre 2017
Assurances privées; perte de gain maladie collective; preuve de l’incapacité de travail; dépens en l’absence d’avocat; art. 95 al. 3 let. c CPC
Lorsque les CGA d’une police d’assurance perte de gain en cas de maladie prévoient que les indemnités journalières sont versées lorsque l’assuré est incapable de travailler selon les constatations d’un médecin, l’assuré peut se contenter de produire la feuille d’assurance mise à disposition par l’assureur à cet effet et sur laquelle la capacité de travail est effectivement attestée (c. 3.3).
Dans le cadre de l’art. 95 al. 3 CPC, seuls peuvent être pris en compte les honoraires d’un mandataire professionnel au sens de l’art. 68 al. 2 CPC. Il n’est pas possible d’obtenir dans le cadre de l’art. 95 al. 3 let. c CPC (indemnité équitable pour les démarches effectuées) le remboursement des honoraires d’un autre type de professionnel ayant donné des conseils ou apporté une assistance dans la rédaction d’une écriture signée par la partie elle-même. L’art. 95 al. 3 let. a CPC vise en réalité en premier lieu la perte de gain de la partie indépendante qui se charge elle-même de défendre ses intérêts et de conduire son procès (c. 4.5).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 9C_341/2017 du 27 septembre 2017
Prestations complémentaires; reconsidération; prestations indues; restitution; art. 25 et 53 LPGA; 2 OPGA
Un assuré, marié, au bénéfice d’une rente d’invalidité entière, depuis le 1er janvier 2003, réclame des prestations complémentaires qu’il obtient. Au 30 juin 2011, il quitte la commune dans laquelle il habitait. Quelques temps plus tard, les époux divorcent. Le 2 avril 2014, son ex-épouse se retrouve également mise au bénéfice d’une rente entière d’invalidité, avec effet au 1er mai 2007. Le 4 mai 2015, l’organe PC, après avoir recalculé le droit de l’ex-mari sur la période du 1er mai 2007 jusqu’au 30 juin 2011, réclame aux deux ex-époux solidairement le remboursement des prestations versées en trop. Le TF conteste le droit au remboursement de l’organe PC auprès de l’ex-épouse. Il estime que l’attribution rétroactive de la rente AI ne permet pas de fonder, au sens de l’art. 2 al. 1 let. a OPGA, une obligation de l’ex-épouse de rembourser les PC versées à son ex-mari (c. 5.2.2 et 5.3).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne

TF 9C_596/2016 du 26 septembre 2017
Assurance-invalidité; trouble somatoforme douloureux; dépression atypique; caractère invalidant; art. 7 et 8 LPGA; 4 LAI
En présence d’un diagnostic de trouble somatoforme douloureux persistant, le diagnostic du trouble dépressif atypique ne peut pas être écarté d’entrée de cause au motif qu’il ne serait, à lui seul, pas invalidant. Il y a lieu, au contraire, de l’examiner dans le cadre général des indicateurs définis à l’ATF 141 V 281 (c. 5.1).
Le fait que les experts n’aient pas, contrairement aux indications de la CIM-10, qualifié la gravité du trouble somatoforme douloureux persistant (faible, moyen ou grave) ne permet pas de dire sans autres que l’indicateur « gravité de l’atteinte » n’est pas réalisé. Au contraire, il eût convenu de poser des questions complémentaires aux experts, l’état de fait devant être qualifié d’incomplet sur ce point (c. 5.2).
S’agissant de l’indicateur « personnalité », le TF reproche aux premiers juges de n’avoir tenu compte, de manière sélective, que des aspects défavorables à l’assurée (c. 5.3). Pour le surplus, l’instruction est jugée insuffisante pour se prononcer sur la base des indicateurs définis à l’ATF 141 V 281.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_97/2017 - ATF 143 V 354 du 20 septembre 2017
Assurance-invalidité; rente extraordinaire d’invalidité; enfant du conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne; art. 9 al. 3 et 39 al. 3 LAI; 1 let. i et 2 R (CE) n° 883/2004; 3 Annexe I ALCP
L’enfant bolivien du conjoint d’un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ne peut prétendre au versement d’une rente extraordinaire d’invalidité suisse que s’il remplit les conditions relatives au champ d’application personnel prévues par l’art. 2 R (CE) n° 883/2004, soit la condition de nationalité (ressortissant d’un Etat membre) ou celle du statut familial (membre de la famille). La notion de membre de la famille est définie par l’art. 1 let. i du même règlement : il appartient en premier lieu à la législation nationale de l’Etat membre qui verse les prestations de définir la qualité de membre de la famille (ch. 1) ; à défaut de désignation précise en droit national des personnes considérées comme membres de la famille, sont considérées comme tels le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge (ch.2).
La législation suisse des assurances sociales ne prévoit pas de disposition définissant la notion de membre de la famille, laquelle repose selon la jurisprudence sur la notion de droit de la famille au sens du droit civil. Si le Code civil ne définit pas directement cette notion, on peut déduire des dispositions en cause que sont membres de la famille au moins les personnes mariées et celles liées par un lien de filiation. L’enfant du conjoint n’est désigné que dans des cas particuliers (devoir d’assistance). Dans ce contexte, le droit des assurances sociales n’attache que de manière ponctuelle des effets à un lien familial qui ne repose pas sur le lien de filiation (p.ex. art. 35 al. 3 LAI ; 22ter LAVS : rente pour enfant). Tel n’est pas le cas pour une rente extraordinaire de l’assurance-invalidité, selon les art. 39 al. 3 et 9 al. 3 LAI, où la qualité d’enfant du conjoint ne joue aucun rôle, mais uniquement le lien de filiation au regard de la période de cotisation ou de résidence en Suisse du père ou de la mère du ressortissant étranger. Dès lors qu’il n’y a pas de désignation ou concrétisation précise des personnes considérées comme membres de la famille en droit suisse des assurances sociales entrent dans cette définition le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge (art. 1 let. i ch. 2 R [CE] n° 883/2004), ce qui suppose pour ces deux dernières catégories de personnes un lien de filiation, selon la CJCE/CJUE.
La jurisprudence de la CJCE et du TF relative à l’art. 3 Annexe I ALCP, qui étend la notion de membre de la famille à l’enfant du conjoint, n’est pas applicable en matière de sécurité sociale et s’applique exclusivement en matière de droit de séjour/droit au regroupement familial, les objectifs visés étant différents.
En l’occurrence, le droit à une rente extraordinaire de l’assurance-invalidité a été nié, l’intimé au recours ne remplissant aucune des conditions citées ci-dessus.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 8C_330/2017 du 19 septembre 2017
Assurance-militaire; augmentation du taux d’invalidité; moment déterminant pour l’adaptation de la rente; art. 40 et 42 LAM; 8 LPGA
Suite à une révision de sa rente, le recourant conteste le moment retenu par la SUVA-AM pour l’augmentation de sa rente d’invalidité au taux de 100%. Il prétend que celle-ci ne doit pas être adaptée à partir du 1er août 2014, mais dès le 1er janvier 2013, voire au plus tard le 1er octobre 2013.
Selon le TF, il est décisif de déterminer le moment à partir duquel les troubles de la santé qui ont conduit à une nouvelle incapacité de travail dès la mi-février 2012 étaient stables et l’on ne devait plus s’attendre à une amélioration notable par des mesures thérapeutiques. Ce moment doit être établi médicalement, avec une fiabilité suffisante (c. 4).
A cet égard, la SUVA-AM peut soumettre des expertises médicales effectuées à l’externe à son service médical d’arrondissement, pour vérification, avant de conclure au degré de la vraisemblance prépondérante que l’on ne peut plus s’attendre à une amélioration notable et que la situation médicale est donc stable (c. 4.1.). Cela ne signifie pas que l’assureur ait la liberté d’apprécier à partir de quel moment il peut cesser les clarifications et considérer que la situation médicale n’est plus susceptible d’évoluer (c. 4.3).
Le critère temporel de la notion d’invalidité se retrouve à l’art. 40 al. 1 LAM, en relation avec l’art. 8 LPGA. L’atteinte de longue durée ou présumée permanente de la capacité de gain suppose un état de santé stable. Au contraire, l’art. 42 LAM vise une incapacité de travail temporaire. Les règles concernant la révision des rentes ne s’appliquent qu’en cas d’atteinte de longue durée ou permanente. Il serait contraire au principe selon lequel la rente doit être nouvellement fixée pour l’avenir que, en cas d’augmentation du taux d’invalidité, la rente soit toujours fixée rétroactivement au moment de la survenance du changement de l’état de santé influençant le droit aux prestations. La preuve de l’invalidité au sens juridique suppose une atteinte considérable, évidente et durable de la capacité de travail et de gain, résultant d’un trouble de la santé. Dans chaque cas, un examen de la plausibilité des revendications relatives aux limitations fonctionnelles doit avoir lieu. C’est seulement quand la poursuite des mesures thérapeutiques ne permet plus d’espérer une amélioration notable de l’état de santé, et qu’une invalidité de longue durée ou permanente survient, que l’indemnité journalière est remplacée par une rente d’invalidité (c. 4.3.1).
En l’espèce, la SUVA-AM n’a pas violé le droit fédéral en versant les indemnités journalières conformément à l’art. 42 LAM jusqu’au 31 juillet 2014, puis en augmentant la rente dès le 1er août 2014 (c. 4.3.3).
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 9C_106/2017 - ATF 143 V 330 du 19 septembre 2017
Assurance-maladie; rémunération des hospitalisations; DRG; mesures de correction; désaccord des partenaires tarifaires; art. 49a LAMal; al. 2 et 2ter disp. fin. Mod. OAMal du 22 octobre 2008
Le TF admet le recours formé par une clinique qui refuse de s’acquitter d’une somme de CHF 200’712.40 réclamée par des assureurs-maladie, dans le cadre d’une application de l’al. 2 des dispositions finales de la modification de l’OAMal du 22 octobre 2008.
Selon la dernière phrase de l’al. 2, les partenaires tarifaires conviennent notamment des instruments destinés à la surveillance de l’évolution des coûts et du volume des prestations (monitoring), ainsi que des mesures de correction. Dans le cas d’un modèle de rémunération de type DRG, en cas de désaccord entre les partenaires tarifaires, le fournisseur de prestations doit, dans les deux premières années suivant l’introduction du modèle de rémunération, aussi bien en cas d’augmentation injustifiée de plus de 2 % du CMI (« case-mix index ») effectif durant l’année de facturation par rapport au CMI convenu, que du nombre de cas effectif durant l’année de facturation par rapport au nombre de cas pris en compte lors de la fixation par convention du CMI, rembourser les recettes supplémentaires l’année suivante d’après la répartition selon l’art. 49a LAMal. Les modalités de mise en œuvre sont convenues entre les fournisseurs de prestations et les assureurs (al. 2ter disp. fin.).
La clinique, qui supporte le fardeau de la preuve, a fait valoir que l’augmentation des coûts était liée en grande partie aux conséquences de l’introduction du libre choix de l’hôpital. Les juges fédéraux renvoient l’affaire au tribunal arbitral, qui avait écarté à tort cet argument, pour qu’il détermine de manière complète si tel est bien le cas.
Auteur : Guy Longchamp



TF 4A_241/2016 - ATF 143 III 646 du 19 septembre 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; dommage; notion de l’animal « qui vit en milieu domestique »; art. 42 al. 3, 43 al. 1bis CO
Un cheval de loisir gardé à une distance de quelques kilomètres de l’habitation du détenteur est un animal « qui vit en milieu domestique » au sens des art. 42 al. 3 et 43 al. 1bis CO, pour autant que le détenteur ou sa famille s’en occupe au quotidien comme d’un animal domestique vivant dans la maison ou à proximité immédiate. La notion de milieu domestique ne repose donc pas sur la proximité géographique avec l’animal, mais sur le lien affectif.
Auteur : Christoph Müller


TF 8C_247/2017 du 18 septembre 2017
Assurance-invalidité; responsabilité de l’office l’AI pour dommage causé à l’assureur LAA; recevabilité du recours; question juridique de principe; arbitraire; art. 78 al. 1 et 2 LPGA; 85 al. 1 let. a et al 2 LTF
L’assureur LAA réclame à l’office AI la réparation de son dommage pour des arriérés de rente AI versés à l’assuré, alors qu’ils auraient dû lui être versés en compensation des prestations LAA allouées durant la même période. La dernière instance condamne l’office AI à réparer le dommage sur la base de l’art. 78 al. 1 et 2 LPGA. L’office AI recourt au TF.
La valeur litigieuse est inférieure à CHF 30'000.-. Le recours en matière de droit public n’est donc recevable que s’il soulève une question juridique de principe (art. 85 al. 2 LTF), ce qui est nié dans le cas d’espèce. En effet, les conditions d’application de l’art. 78 al. 1 LPGA ont déjà été traitées à plusieurs reprises par le TF, y compris s’agissant du point de départ du délai de prescription d’une année de l’art. 20 al. 1 LRCF cum 78 al. 4 LPGA. Il en va de même des questions de la fixation du dommage et du fardeau de la preuve (c. 2.4.4).
S’agissant du recours constitutionnel subsidiaire, il est également jugé irrecevable, faute de griefs d’ordre constitutionnel. La responsabilité de l’art. 78 al. 1 LPGA est une responsabilité causale qui vise à protéger l’assuré et les tiers contre les dommages illicites et non pas à protéger les intérêts des organes d’exécution concernés. L’office AI ne peut donc pas invoquer cette disposition comme norme protectrice de ses intérêts, de sorte que le grief de l’arbitraire – qui n’a pas de portée propre – n’entre pas en ligne de compte (c. 3.2.4).
Auteure : Emilie Conti, avocate à Genève

TF 9C_531 et 532/2017 du 15 septembre 2017
Assurance-invalidité; expertises médicales pluridisciplinaires; exigences professionnelles relatives à l’exercice de la neuropsychologie; art. 72bis RAI; 50b OAMal; 93 LTF
Deux centres d’expertise conventionnés avec l’OFAS (COMAI) ont été informés par ce dernier que les exigences de formation précédemment suffisantes (master en psychologie) ne l’étaient désormais plus pour le volet neuropsychologique des expertises. Pour satisfaire aux exigences du nouvel art. 50b OAMal, entré en vigueur le 1er juillet 2017, le volet neuropsychologique des expertises pluridisciplinaires doit désormais être réalisé par des spécialistes disposant des mêmes qualifications que ceux qui fournissent des prestations neuropsychologiques dans l’assurance obligatoire des soins.
Les deux centres d’expertise ont saisi le tribunal arbitral d’une demande de mesures provisoires visant à contraindre l’OFAS à accepter la mise en œuvre des expertises attribuées sur la base de la plateforme SuisseMED@P avec des neuropsychologues qui n’ont pas encore obtenu ni terminé les spécialisations requises ou dont les équivalences ne sont pas encore obtenues ni entrées en force. Le tribunal arbitral a admis cette demande, tout en en limitant les effets au 21 août 2017, date limite pour l’ouverture d’action. Ils ont été prolongés compte tenu du recours déposé par l’OFAS à l’encontre des deux décisions provisionnelles.
Les deux décisions contestées par l’OFAS devant le TF n’étant pas des décisions finales au sens de l’art. 93 LTF. Pour démontrer l’existence d’un préjudice irréparable, l’OFAS soutient qu’en cas de non-entrée en matière sur le recours, l’AI serait forcée de mettre en œuvres des expertises pluridisciplinaires dans lesquelles l’intervenant en neuropsychologie ne disposerait pas des qualifications professionnelles exigées actuellement. Les expertises en question seraient ensuite considérées comme des moyens de preuves insuffisants par les tribunaux cantonaux des assurances. Cela aurait pour conséquence qu’une nouvelle expertise devrait être mise en œuvre, ce qui conduirait à provoquer des coûts importants et inutiles pour l’assurance en contraignant l’assuré à subir une expertise supplémentaire. Ainsi, les efforts de l’OFAS pour la sécurité et la qualité des expertises médicales seraient anéantis et la réputation de l’AI en pâtirait. Les nouvelles exigences professionnelles de l’OFAS relatives à l’exercice de la neuropsychologie constituent un changement de la convention du 4 avril 2012. Cela implique, selon l’OFAS, dans le prolongement de l’entrée en vigueur de l’art. 50b OAMal, de veiller à ce que les mêmes exigences de qualités valent également dans l’AI. Cette disposition précise que les neuropsychologues qui, sur prescriptions ou sur mandat d’un médecin, fournissent des prestations doivent démontrer leurs compétences pour intervenir à la charge de l’assurance obligatoire des soins. Cela concerne les prestations qui servent à diagnostiquer ou à traiter une maladie et ses séquelles (art. 25 LAMal). En revanche, pour les expertises pluridisciplinaires, le nouvel art. 50b OAMal ne correspond pas à une aggravation des conditions d’admission pour les neuropsychologues. Au contraire, tous les membres de ce groupe professionnel n’étaient pas autorisés jusqu’à la fin du mois de juin 2017 à fournir des prestations à la charge de l’AOS.
Contrairement à la conception de l’OFAS, on ne peut pas dire que les conditions d’admission de l’art. 50b OAMal doivent impérativement être reprises dans la pratique des expertises AI. Il n’est pas contesté que l’expert en neuropsychologie engagé au préalable par les centres d’expertise remplissait les conditions exigées par la convention du 4 avril 2012, jusqu’à son changement du 1er juillet 2017. Il est par ailleurs diplômé expert SIM en neuropsychologie. L’OFAS ne remet pas en question ses qualifications et ses qualités comme neuropsychologue indépendant au sens de l’art. 44 LPGA. Dans ces circonstances, en tout cas pour la durée de la mesure provisoire, le risque que les tribunaux cantonaux des assurances écartent les expertises médicales dans lesquelles ce praticien collaboré n’est pas significatif.
Dès lors qu’il n’y a pas de préjudice irréparable au sens de l’art. 93 LTF, le recours est irrecevable.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 9C_327/2017 du 7 septembre 2017
Prévoyance professionnelle; prévoyance surobligatoire, interprétation du contrat, naissance du droit à la rente d’invalidité; art. 29 LAI; 26 LPP
Lorsqu’une institution de prévoyance professionnelle de droit privé décide d’étendre la prévoyance au-delà des exigences minimales, les employés assurés sont liés à celle-ci par un contrat sui generis dit « de prévoyance ». Les règles générales d’interprétation des contrats s’appliquent (c. 4.1).
Dans le cas d’espèce, dans la mesure où le contrat de prévoyance prévoyait une application par analogie des dispositions de la LAI sur la question de la naissance du droit à la rente, il convenait de faire application de l’art. 29 al. 1 LAI, qui fixe la naissance de ce droit six mois à compter de la demande de prestations par l’assuré (c. 4.2).
La juridiction cantonale s’étant référée à tort à la notion d’incapacité de travail pour déterminer le début du droit à la rente, en application du seul art. 28 LAI et fixant le début de la rente une année après la survenance d’une incapacité de travail supérieure à 40 %, il convenait d’admettre le recours de l’institution de prévoyance et fixer le début de la rente six mois après la demande de prestations de l’assuré.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 9C_292/2017 - ATF 143 V 305 du 7 septembre 2017
Assurance-invalidité; rente pour enfants; notion de formation; art. 35 al. 1 LAI; 25 al. 5 LAVS; 49ter al. 1 et 71ter al. 3 RAVS; DR N 3358
Le N 3358 des Directives sur les rentes (DR), qui dispose que la notion de formation ouvrant le droit à la rente pour enfant peut être une formation initiale, une formation complémentaire ou une formation qui vise à une réorientation professionnelle, n’est pas contraire à l’art. 49ter al. 1 RAI selon lequel la formation se termine avec un diplôme ou un diplôme professionnel. Ainsi, l’enfant de moins de 25 ans qui, après avoir terminé une formation commerciale, débute, après deux ans d’interruption, une seconde formation peut prétendre à nouveau à une rente pour enfant (c. 3.5).
Les principes applicables en matière d’obligation d’entretien en droit civil n’entrent pas en considération. Le critère de la capacité financière du père et de la mère ne joue aucun rôle dans le champ d’application de l’art. 35 LAI en lien avec l’art. 25 LAVS (c. 4).
La jurisprudence publiée à l’ATF 134 V 15 qui ne permettait en principe pas le versement de la rente directement à l’enfant majeur a conduit dans la pratique à des résultats insatisfaisants. Depuis lors est entré en vigueur l’art. 71ter al. 3 RAVS aux termes duquel l’enfant majeur peut demander à ce que la rente lui soit directement versée de sorte qu’un tel versement n’est ni contraire au droit, ni arbitraire (c. 5.2).
La question demeure ouverte de savoir si une solution doit être trouvée en relation avec la réduction du droit aux prestations de l’assurance-accident du parent invalide résultant de la reprise du versement de la rente pour enfant. Il n’est cependant pas possible de remédier à cette situation dans le contexte de la procédure contentieuse conduite à l’encontre de l’assurance-invalidité (c. 6).
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève


TF 2C_32/2017 du 7 septembre 2017
Expertises; surveillance des professions de la santé; centre d’expertises; sanction; art. 9; 27 al. 1; 29 al. 2; 36 al.1 et 3 Cst.; loi genevoise sur la santé
La clinique CORELA recourrait à des médecins qui n’avaient pas d’autorisation de pratiquer. Par ailleurs, son médecin répondant, psychiatre de formation, modifiait de manière substantielle le contenu d’expertises psychiatriques à l’insu de leur auteur ou sans son accord et cela, sans avoir vu les expertisés.
La clinique conteste la sanction prononcée par l’autorité cantonale consistant à retirer son autorisation d’exploitation pour une durée de trois mois faisant notamment valoir une restriction illégale à sa liberté économique. Son grief s’avère infondé. La sanction repose sur une base légale suffisante, à savoir l’art. 130 al. 2 de la loi genevoise sur la santé. L’intérêt public est manifeste compte tenu du fait que les expertises pratiquées ont un poids déterminant pour de nombreux justiciables. S’agissant de sa proportionnalité, la sanction n’est en aucun cas trop incisive. Il n’aurait d’ailleurs pas été exclu de prendre une mesure plus contraignante compte tenu des très importants manquements constatés dans la gestion de la clinique et en particulier des graves violations des devoirs professionnels incombant à une personne responsable d’un tel établissement.
Cependant, dans la mesure où l’arrêt cantonal ne traite pas de l’activité très marginale de la clinique en matière de soins ambulatoires, le recours est partiellement admis sur ce point. La cause est renvoyée à l’instance précédente pour que celle-ci détermine les faits pertinents et se prononce une nouvelle fois sur le retrait de l’autorisation en ce qu’il concerne cette activité de soins ambulatoires.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève



TF 9C_511/2017 du 6 septembre 2017
Assurance-vieillesse et survivants; rente d’orphelin; demande de restitution; péremption; art. 25 al. 1 et al. 2 LPGA; 25 al. 5 LAVS; 49bis al. 3 RAVS
Aux termes de l’art. 25 al. 2 LPGA, le droit de demander la restitution s'éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la décision de restitution est adressée à un destinataire qui n’est en réalité pas soumis à l’obligation de restitution, le délai de l’art. 25 al. 2 LPGA n’est pas respecté.
Dans cet arrêt, le TF a admis le recours de l’assuré et annulé la décision cantonale ordonnant le remboursement des rentes indûment versées, en considérant que la demande de restitution était périmée.
En effet, le délai de préemption d’une année de l’art. 25 al. 2 LPGA était ici déjà échu lorsque l’autorité compétente, après avoir requis dans un premier temps (à tort) la restitution des rentes litigieuses en mains de la mère (alors que celle-ci n’était qu’un simple organe d’encaissement pour sa fille si bien qu’elle ne pouvait être soumise à l’obligation de restituer), a ensuite requis directement de l’orpheline majeure la restitution des rentes indûment versées.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 6B_177/2017 du 6 septembre 2017
Responsabilité aquilienne; procédure pénale; position de garant; causalité; acte d’accusation; art. 125 CP
Dès lors que le déroulement d’un accident n’implique ni l’organisation du chantier, ni l’attribution et la définition des missions, ni les procédés de travail, le prévenu ne revêt pas, à raison de sa situation juridique, une position de garant envers le lésé. A défaut, il ne peut commettre une infraction par un comportement purement passif.
Selon la jurisprudence, l’application de l’art. 125 CP suppose qu’il existe un lien de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Le TF peut ainsi se dispenser de rechercher les éventuelles violations de la législation applicable en matière de prévention des accidents et de protection des travailleurs, dans la mesure où celles-ci sont sans rapport avec le déroulement des événements.
Lorsque l’infraction est commise par omission (délit d’omission improprement dit), l’acte d’accusation doit préciser les circonstances de fait qui permettent de conclure à une obligation juridique d’agir de l’auteur (art. 11 al. 2 CP), ainsi que les actes que l’auteur aurait dû accomplir. En cas de délit d’omission commis par négligence, il doit, en outre, indiquer l’ensemble des circonstances faisant apparaître en quoi l’auteur a manqué de diligence dans son comportement, ainsi que le caractère prévisible et évitable de l’acte.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 9C_752/2016 - ATF ATF 144 I 21 du 6 septembre 2017
Assurance-invalidité; statut de l'assurée; changement de la situation familiale; art. 6, 8 et 14 CEDH; 17 al. 1 LPGA; 28a LAI
La jurisprudence di Trizio est également applicable lorsqu'une femme, en raison de sa situation familiale, passe du statut de personne sans activité lucrative à celui d'une personne qui, sans atteinte à la santé, aurait exercé une activé à temps partiel. Ainsi, une rente ne peut être ni réduite, ni supprimée, quelle que soit la direction du changement de statut, lorsque l'assurée passe de « totalement active » à « partiellement active » (ATF 143 I 50 et 60) ou de « totalement inactive » à « partiellement active » en raison de facteurs familiaux.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat, Fribourg


TF 6B_115/2017 du 6 septembre 2017
Responsabilité aquilienne; maxime d’instruction; expert; prévention; art. 6 al.1, 56, 183 al. 3 CPP; 30 al. 1 Cst.; 6 CEDH
Suite au décès d’une patiente hospitalisée à la Clinique psychiatrique Baselland, une procédure pénale est ouverte à l’encontre de trois médecins de l’établissement. En septembre 2014, le ministère public mandate un expert afin de rendre un rapport d’expertise à ce sujet.
Cet expert est ensuite engagé, à peine 10 mois plus tard, justement par la Clinique psychiatrique Baselland, à une fonction dirigeante. Selon le TF, il est évident que lors de la remise de l’expertise, l’expert mandaté avait déjà envisagé de déposer sa candidature pour ce poste à la Clinique psychiatrique Baselland, la mise au concours d’une telle fonction ayant lieu au moins six mois avant. Il y avait donc au moins une apparence de partialité (art. 183 al. 3 CPP et 56 CPP) (c. 2.2).
Dans ce contexte, l’expert avait un intérêt direct à ne pas porter préjudice à ses futurs collègues subordonnés et à son futur employeur. Une relation durable relevant du droit des obligations entre un expert et une partie comme un contrat de travail peut fonder une récusation pour prévention, ce d’autant que la relation de travail comprend un devoir de loyauté de l’employé (c. 2.3.2).
Par conséquent, le ministère public n’a pas suffisamment éclairci l’état de fait quant à l’offre et l’occupation du nouveau poste de l’expert auprès de la Clinique psychiatrique Baselland. Le principe de la maxime d’instruction ancré à l’art. 6 al. 1 CPP a donc été violé. Le TF admet le recours et renvoie la cause à l’autorité précédente.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 4A_85/2017 du 4 septembre 2017
Assurances privées; assurance d’indemnité journalière en cas de maladie; preuve de l’incapacité de travail; art. 168 al. 1 CPC; 39 LCA
Le TF rappelle que, dans le domaine du droit privé, une expertise privée mandatée par une partie n’est pas un moyen de preuve au sens de l’art. 168 al. 1 CPC. Elle ne constitue qu’une simple allégation avancée par une partie (c. 2.2.2)
La jurisprudence admet un degré de preuve réduit à la vraisemblance prépondérante pour l’établissement des faits tendant au droit à l’allocation d’une indemnité journalière de maladie (c. 2.3).
Lorsqu’un assureur a mis un terme au versement des indemnités journalières de maladie, il incombe à l’ayant droit de prouver avec un degré de vraisemblance prépondérante que son incapacité de travail a perduré au-delà de la période retenue par l’assureur. A cet égard, le juge doit retenir les éléments de faits les plus probables parmi ceux allégués, telle qu’une expertise privée.
En l’espèce, le TF a estimé que le recourant avait échoué dans l’établissement de la preuve de la poursuite de l’incapacité de travail postérieurement à la période pour laquelle l’assurance a presté.
Auteur : Me David Métille, avocat à Lausanne


TF 8C_186/2017 du 1 septembre 2017
Assurance chômage; travailleur frontalier; exigence de résidence en Suisse; art. 8 al. 1 let. c LACI; 11 ch. 1 R (CE) n° 987/2009
Le recourant a droit aux prestations de chômage si, entre autres, il est domicilié en Suisse (art. 8 al. 1 let. c LACI). Par dérogation à l’art. 13 LPGA, qui régit le domicile et la résidence habituelle, les étrangers sans permis de séjour sont considérés comme résidant en Suisse, aussi longtemps qu’ils bénéficient d’un permis de séjour pour un emploi rémunéré ou d’un congé saisonnier (art. 12 LPGA).
Ce concept de résidence, basée sur le principe de l’interdiction d’exportation des prestations, exige une résidence effective en Suisse, ainsi que l’intention de le garder pendant un certain temps et faire, pendant ce temps, le centre de leurs relations personnelles. En ce sens, la seule relation professionnelle, bien que très intense, avec la Suisse ne suffit pas. La notion de résidence selon la LACI a un caractère autonome et se distingue à la fois par le domicile civil (art. 13 al. 1 LPGA et 23 CC) est la résidence habituelle (art. 13 al. 2 de la LPGA).
La supposée résidence en Suisse ne peut être admise ou refusée a priori ou déterminée de manière abstraite. Elle peut être reconnue après avoir pris en considération les preuves et les circonstances particulières du cas. Dans la pratique, le juge donne plus de poids aux déclarations de la première heure exprimées à une époque où l’intéressé ne connaît pas les conséquences juridiques. Bien que le recourant vit en colocation avec son frère à Lugano, il n’a pas réussi à prouver à satisfaction de droit ses véritables liens et de domiciliation en Suisse. Le TF a confirmé que l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral dans le cas d’espèce.
Après avoir décliné le droit aux prestations d’assurances chômage selon le droit Suisse, le tribunal des assurances s’est demandé si l’assuré pouvait fonder ses prétentions sur les dispositions du droit international en application de l’art. 11 ch.1 R (CE) n° 987/2009.
Des règles différentes sont applicables pour les frontaliers, l’art. 1 let. f R (CE) n° 883/2004 prévoit que seuls les chômeurs partiels ou accidentels bénéficient des avantages de l’Etat membre compétent. Inversement, ceux qui sont en plein emploi doivent demander des prestations dans l’Etat de résidence. A la lumière des éléments du dossier, le recourant n’ayant pas réussi à prouver une résidence en Suisse, les critères européens ne sont pas non plus remplis en la matière.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle

TF 4A_270/2017 du 1 septembre 2017
Responsabilité aquilienne; assistance judiciaire; chances de succès; art. 23 Cst et 117ss CPC
Dans le cadre d’une action en responsabilité pour acte illicite (art. 41 CO) et culpa in contrahendo, le demandeur requiert l’assistance judiciaire gratuite, arguant qu’il aurait acquis une PPE à un prix manifestement surévalué et qu’il aurait ainsi été trompé par la banque sur le prix réel de cet objet immobilier, laquelle aurait sciemment tu les transactions passées (beaucoup plus basses).
C’est en application des art. 23 Cst et 117ss CPC que doivent être jugées les chances de succès d’une procédure au fond, lesquelles chances de succès ne doivent pas forcément être plus grandes que les risques de défaite, mais ne peuvent pas leur être sensiblement inférieures.
En l’espèce, le demandeur a non seulement échoué à apporter la preuve de ses allégations, mais il n’a même pas amené d’indices concrets. Son recours, basé sur des éléments de faits non prouvés devant l’instance cantonale, a été rejeté par le TF. De même, son argumentaire juridique a été jugé purement théorique par le TF.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne

TF 6B_11/2017 du 29 août 2017
Responsabilité aquilienne; procédure pénale; prétentions civiles; art. 126 al. 1 let. b et al. 2 let. b CPP; 47 CP
L’art. 126 al. 1 let. b CPP prévoit que le tribunal statue sur les conclusions civiles lorsqu’il acquitte le prévenu et que l’état de fait est suffisamment établi. Lorsque les preuves recueillies jusque-là, dans le cadre de la procédure, sont suffisantes pour permettre de statuer sur les conclusions civiles, le juge pénal est tenu de se prononcer sur le sort des prétentions civiles
Conformément à l’art. 126 al. 2 let. b CPP, le tribunal renvoie la partie plaignante à agir par la voie civile lorsqu’elle n’a pas chiffré ses conclusions de manière suffisamment précise ou ne les a pas suffisamment motivées. Il en va de même lorsque le prévenu est acquitté et que l’état de fait n’a pas été suffisamment établi (art. 126 al. 2 let. d CPP). Un jugement d’acquittement peut donc aussi bien aboutir à la condamnation du prévenu sur le plan civil - étant rappelé que, selon l’art. 53 CO, le jugement pénal ne lie pas le juge civil - qu’au déboutement de la partie plaignante.
En règle générale, si l’acquittement résulte de motifs juridiques (c’est-à-dire en cas de non-réalisation d’un élément constitutif de l’infraction), les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale font défaut et les conclusions civiles doivent être rejetées.
En l’espèce, l’instance précédente a exposé de manière détaillée les éléments dont elle a tenu compte afin de fixer la peine. Elle a notamment relevé la lourdeur de la culpabilité du recourant quant aux crimes sexuels et pornographiques commis à l’encontre de sa petite-fille, son absence de scrupules, son défaut de prise de conscience et la non-expression de regrets. On ne saurait reprocher à l’instance précédente de ne pas avoir appréhendé les montants des indemnités dues à titre moral en tant qu’éléments permettant de fixer la peine, dès lors que ces éléments ne figurent pas parmi ceux énumérés à l’art. 47 CP. La peine infligée n’apparaît pas excessivement sévère. Le grief tiré de la violation de l’art. 47 CP doit ainsi être rejeté.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 6B_1172/2016 du 29 août 2017
Responsabilité aquilienne; atteinte à la personnalité; abandon des poursuites pénales; frais de la procédure; art. 28 CC; 426 al. 2 , 433 al. 1 let. b CPP
L’abandon de la procédure pénale n’exclut pas une condamnation du prévenu aux frais de la procédure et au versement d’une indemnité de dépens en faveur des plaignants, si son comportement a provoqué l’ouverture de la procédure pénale ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 426 al. 2 et 433 al. 1 let. b CPP). Une violation d’une norme de comportement écrite ou non-écrite de l’ordre juridique suisse, selon les principes déduits de l’art. 41 CO, constitue une faute qui justifie de condamner le prévenu aux frais de la procédure. Il doit néanmoins exister un lien de causalité ad équat entre la violation de la norme et l’ouverture de l’action pénale ou les obstacles mis à celle-ci (ATF 116 Ia 162).
Le principe de la présomption d’innocence garanti par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 al. 2 CEDH n’est pas violé si l’abandon de la poursuite pénale intervient, comme en l’espèce, en raison de la prescription de l’action, et que l’état de fait permet de retenir une atteinte à la personnalité des plaignants (c. 1.4).
La constatation de la violation de l‘art. 28 CC ne revient pas à retenir que la diffamation, infraction pénale réprimée à l’art. 173 CP aurait été commise dans le cas d’espèce. Le concept d’atteinte à l’honneur est plus étroit en droit pénal qui ne protège pas, comme en droit civil, le droit à la considération sociale dont fait partie la réputation professionnelle. En droit civil, en revanche, la révélation d’un fait vrai ne constitue pas une preuve libératoire. Une atteinte illicite à la personnalité est contraire à l’art. 28 CC si elle intervient en l’absence d’intérêt privé ou public prépondérant (c. 1.6).
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 4A_204/2017 du 29 août 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; maxime des débats; perte de gain d’un analyste/informaticien, seul employé de sa société; imputation des prestations sociales; art. 113 aCPC/ZH; 58 LCR; 41 ss CO; 72 al. 1 LPGA
En retenant, sur la base des dires d’un témoin, alors que les allégations des parties n’évoquaient pas ce point, qu’il y a eu, pendant la période qui va du 19 octobre 1993 au 18 octobre 1995, versement de certains montants à titre de salaire, les instances précédentes n’ont pas, au vu de ce que la doctrine dit de l’ancien art. 113 CPC/ZH, fait preuve d’arbitraire (c. 8.2.1. et 8.2.2.).
Savoir si le lésé peut, de bonne foi, se fier à ce que que les médecins lui ont dit, à une certaine époque, de son taux d’incapacité de travail, sans égard pour ce que d’autres médecins en ont dit plus tard, dépend des circonstances. Or, comme il est ici prouvé que le lésé a eu, durant la période litigieuse, une activité qui n’était pas nulle, c’est à raison que l’instance précédente a pu tenir compte, pour la période en question, d’un revenu hypothétique basé sur les degrés de capacité restante de travail tels que fixés après coup par l’expert (25 % de capacité travail après 6 mois, 50 % après 12 mois et 75 % après 18 mois) (c. 8.2.3.).
Pour fixer le revenu de valide du recourant à hauteur de CHF 210’000.- par année, le tribunal de district s’est fondé sur un chiffre d’affaires annuel, pour les années 1992/93, de CHF 329’472.-, sur des frais fixes par 36% et des frais variables par 63%, soit un montant de frais variables d’environ CHF 207’000.- par année, censés correspondre aux frais de personnel, CHF 207’000.- auxquels le tribunal de district a ajouté un bénéfice après impôts d’environ CHF 3’000.-, soit, finalement, un revenu de personne valide d’environ CHF 210’000.- par an. S’agissant d’autre part du revenu d’invalide, le tribunal de district l’a fixé à CHF 0.- pour les 6 premiers mois, à CHF 26’250.- du 7e au 12e mois (25 % de CHF 210’000.- : 2), à CHF 52’500.- du 13e au 18e mois (50 % de CHF 210’000.- : 2) et à CHF 78’750.- du 19e au 24e mois (75 % de CHF 210’000.- : 2), soit un total de CHF 157’500.- pour la période considérée, dont le tribunal de district a déduit les CHF 44’220.- dépensés pour l’emploi temporaire de H.
Au recourant qui reproche aux instances précédentes de n’avoir pas compris que, pour un indépendant qui a une capacité de gain limitée, c’est, malgré cette capacité limitée, l’entier des frais d’acquisition du revenu et l’entier des frais fixes qui doivent être pris en compte. Ceci l’amène à considérer que, pour les six premiers mois de son incapacité, il a subi une perte de CHF 59’754.-, pour les six mois suivants, il a subi une perte de CHF 18’750.-, pour les six mois après, il a réalisé un gain de CHF 22’614.- et, pour les six derniers mois de sa période d’incapacité, il a réalisé un gain de CHF 63’798.-. Le TF répond que, du point de vue du droit, le dommage déterminant est celui qui correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et la valeur que ce même patrimoine aurait eue sans l’accident. Ceci correspond à la différence qu’il y a ici entre le revenu de personne valide, de CHF 420’000.-, et ce que le recourant a effectivement réalisé comme revenus pendant la période litigieuse avec ce qui aurait pu être ajouté à ce revenu effectif, si le recourant avait travaillé aux taux de capacité de travail raisonnablement exigibles tels que ces taux ont été fixés par l’expert (« mit der B. AG tatsächlich erwirtschaftet wurde und zusätzlich hätte erwirtschaftet werden können») (c. 8.3.1.).
Imputation sur le montant du dommage du montant des indemnités journalières reçues de l’assurance-accidents et de la rente reçue de l’assurance-invalidité : la concordance matérielle entre prestations dues par le responsable civil et prestations versées par les assurances sociales ne peut faire défaut pour le seul motif que le dommage retenu au titre de la responsabilité civile repose sur un taux d’invalidité moindre que celui qui a été, pour ses prestations, retenu par telle ou telle assurance sociale. Par ailleurs, le « droit préférentiel » du lésé doit certes permettre d’éviter que ce dernier ne se retrouve avec une partie de son dommage non couverte, mais il ne doit cependant pas servir à l’enrichir (c. 8.3.2.).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 9C_93/2017 du 29 août 2017
Assurance-invalidité; moyens auxiliaires; chaise "Madita Fun"; art. 2 al. 2 OMAI et ch. 13.02 de son annexe
Un siège au sens du ch. 13.02 de l’annexe à l’OMAI ne peut être pris en charge par l’assurance-invalidité que s’il est destiné à la réadaptation. Le but de la réadaptation peut notamment être atteint par des moyens servant l’accoutumance fonctionnelle, c’est-à-dire lorsque ces moyens permettent d’apprendre à exercer une fonction corporelle.
En l’espèce, la chaise demandée permettant à l’enfant assuré d’acquérir la position assise et d’apprendre à utiliser ses bras et ses mains, condition indispensable pour interagir avec le monde extérieur. Cette finalité de réadaptation l’emporte sur l’amélioration de l’état de santé qui, de manière collatérale, pourrait découler de l’utilisation de ce moyen auxiliaire.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 8C_442/2017 du 25 août 2017
Assurance-chômage; délai-cadre d’indemnisation; perte de travail à prendre en considération; doutes quant aux droits découlant du contrat de travail; art. 11 al. 3 et 29 LACI; 25 LPGA
Le délai-cadre d’indemnisation ne doit pas prendre en considération la perte de travail pour laquelle le chômeur a droit à un salaire ou à une indemnité pour résiliation anticipée (art. 11 al. 3 LACI). Si ce droit est contesté et qu’il y a un doute sérieux que les prétentions contre l’ex-employeur soient satisfaites, l’art. 29 al. 1 LACI autorise la caisse de chômage à verser l’indemnité, afin que l’assuré bénéficie rapidement d’un revenu de remplacement ; cela fait courir le délai-cadre d’indemnisation (art. 9 al. 2 LACI).
La caisse est alors légalement subrogée dans les droits de l’assuré contre l’ex-employeur ; elle est en principe tenue de faire valoir ces droits (art. 29 al. 2 LACI). Elle peut ainsi obtenir le remboursement d’une partie des indemnités versées, par exemple suite à une transaction dans la procédure (engagée par elle ou par l’assuré) contre l’ex-employeur. Une telle hypothèse a clairement été prévue par l’art. 29 LACI, de sorte que le remboursement ne permet pas de réviser la décision relative au début du délai-cadre d’indemnisation. Ce système est en outre conforme à l’obligation de restitution prévue par l’art. 25 LPGA (c. 4.2).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 8C_108/2017 - ATF 143 V 341 du 16 août 2017
Assurance-accidents; assurance par convention; devoir d’information de l’assureur; art. 105 al. 3 LTF; 3 al. 3 aLAA; 8 aOLAA; 27 LPGA
La question de savoir s’il existe une couverture d’assurance est une exception de l’art. 105 al. 3 LTF (c. 1.2.). Les personnes qui remplissent les conditions de l’art. 8 LACI ou de l’art. 29 LACI sont obligatoirement assurées contre les accidents auprès de la SUVA (c. 3.2.1.). L’art. 3 al. 3 aLAA prévoit que l’assureur doit offrir à l’assuré la possibilité de prolonger l’assurance par convention spéciale pendant 180 jours au plus. Selon l’art. 8 aOLAA, les conventions individuelles ou collectives sur la prolongation de l’assurance contre les accidents non professionnels doivent être conclues avant l’expiration du rapport d’assurance (c. 3.2.2.).
L’assureur et l’employeur, organe de l’assureur, doivent renseigner l’employé sur la possibilité de conclure une assurance par convention. La violation de ce devoir peut amener l’autorité en application les principes de la protection de la bonne foi à accorder une couverture d’assurance (c. 3.2.2.1.). Le devoir d’information de l’art. 72 al. 2 aOLAA s’applique également aux organes de l’assurance-chômage qui agissent comme un organe de l’assureur-accident, ici, la SUVA (c. 3.2.2.2). La SUVA qui a perçu les primes durant six mois, sans dire que la demande d’affiliation était tardive, a créé un rapport de confiance au sens de l’art. 9 Cst. La pratique de la SUVA qui était d’attendre l’annonce d’un sinistre pour indiquer si l’affiliation était tardive empêche les personnes, qui croient être dûment assurées, de s’assurer autrement. Le comportement de la SUVA viole l’art. 27 al. 2 LPGA (c. 5.3.2.3.).
Auteure : Rebecca Grand, avocate à Lausanne


TF 8C_381/2017 du 7 août 2017
Assurance-invalidité; reconsidération ; erreur manifeste dans l’octroi d’un abattement; art. 53 al. 2 LPGA
Selon l’art. 53 al. 2 LPGA, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable. L’exigence de l’erreur manifeste implique que la décision initiale doit paraître absolument indéfendable. Si le motif de reconsidération porte sur un élément sujet à appréciation, il ne peut pas y avoir erreur manifeste.
L’octroi ou non d’un abattement sur le revenu d’invalide déterminé au moyen des statistiques est une question de droit, tandis que la mesure d’un tel abattement relève qu’une question d’appréciation. Lorsque des travaux légers à moyens sont encore exigibles, le simple fait que la capacité de travail de l’assuré soit restreinte ne suffit pas à justifier un abattement, car les tabelles de salaires de niveau 4 contiennent déjà de nombreuses activités légères à moyennes.
Dans le cas d’espèce, l’abattement de 20 % retenu initialement par l’Office AI et permettant l’octroi d’un quart de rente, ne se justifiait pas du tout, compte tenu des circonstances. En effet, l’assuré était apte à travailler à 100 % dans une activité légèrement à moyennement pénible et ne subissait qu’une réduction de rendement de 20 % en raison de troubles psychiques. Les autres critères pertinents pour l’abattement (âge, années de service, nationalité) n’étaient pas non plus réalisés. La décision était donc entachée d’une erreur manifeste. Par conséquent, la reconsidération de la décision initiale d’octroi d’un quart de rente est possible. Le fait que la décision initiale ait fait l’objet d’un recours, finalement retiré par l’assuré après que le tribunal cantonal l’ait averti du risque de reformatio in peius, n’empêche pas l’Office AI de revenir ultérieurement sur cette décision, les conditions de l’art. 53 al. 2 LPGA étant réalisées.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 9C_58/2017 du 3 août 2017
Assurance-invalidité; reclassement; décision finale; art. 16, 17, 23 al. 2 LAI; 6 al. 2 RAI; 90 et 93 LTF
Un assuré a recouru devant le tribunal cantonal des assurances à la suite d’un refus par l’office AI de l’octroi d’une rente d’invalidité et d’un reclassement au sens de l’art. 17 LAI. Le recours a été admis par la cour cantonale qui a procédé à l’annulation de la décision de l’office AI et au renvoi à ce dernier pour une instruction complémentaire du point de vue médical qui ne vise cependant que le droit à la rente d’invalidité. Bien qu’il s’agisse d’une décision de renvoi à l’office AI, le tribunal cantonal a néanmoins statué définitivement sur le droit du recourant à un reclassement dans une nouvelle profession. Il s’agit dès lors d’une décision finale au sens de l’art. 90 LTF qui peut faire l’objet d’un recours au TF (c. 1).
En l’occurrence, étant donné que le droit au reclassement selon l’art. 17 LAI présuppose que l’assuré ait obtenu, avant la survenance de l’invalidité, un revenu provenant d’une activité lucrative d’une certaine importance, le recours de l’office AI au TF a été admis. En effet, le revenu de l’assuré en question, qui avait suivi un apprentissage en dernier lieu avant la demande de prestations LAI, n’atteignait pas le montant minimal prévu par l’art. 23 al. 2 LAI, si bien que le droit à un reclassement pouvait d’emblée être nié (c. 5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge


TF 8C_479/2016 - ATF 143 V 249 du 2 août 2017
Assurance-accidents; procédure; prolongation de délai; art. 40 al. 3 et 61 let. b LPGA
Par courrier non signé et du 6 mai 2016, un assuré a formé « recours » contre une décision sur opposition d’un assureur-accidents rendue le 5 avril 2016. Le Tribunal cantonal du Valais lui a imparti, par courrier recommandé du 24 mai 2016, un délai au 2 juin 2016 pour déposer un recours en bonne et due forme, sous peine que son écriture soit déclarée irrecevable. Le 1er juin 2016, l’assuré a consulté un avocat qui a requis le dernier jour du délai une prolongation de celui-ci au 30 juin 2016 pour consulter le dossier et se déterminer valablement. Par retour de courrier, le Tribunal cantonal a rejeté la requête de prolongation, motif pris qu’il ne s’agissait pas d’un délai prolongeable, et a déclaré irrecevable le recours.
Le TF admet le recours. En effet, la règle de l’art. 61 let. b LPGA découle du principe de l’interdiction du formalisme excessif et gouverne le principe de la simplicité de la procédure qui gouverne le droit des assurances sociales. Le délai fixé par l’assureur, respectivement par le juge de première instance, peut être prolongé pour des motifs pertinents si la partie en fait la demande (art. 40 al. 3 LPGA applicable par analogie à la procédure devant le tribunal cantonal des assurances).
Dans la mesure où l’assuré a retiré l’ordonnance du 24 mai 2016 envoyée sous pli recommandé le 30 mai 2016, on ne saurait lui reprocher d’avoir mandaté tardivement un avocat le 1er juin. Ce dernier n’avait à l’évidence pas suffisamment de temps pour demander et consulter le dossier de l’assureur-accidents et rédiger un mémoire de recours jusqu’au lendemain.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_12/2017 - ATF 143 V 321 du 31 juillet 2017
Prévoyance professionnelle; liquidation partielle d’une institution de prévoyance; art. 59 al. 1 LPP; 12 OFG; 27g OPP2; 27h OPP2
L’ensemble du capital libre d’une caisse de pension (amortissements, réserves, etc.) doit être pris en compte lors d’une liquidation partielle (art. 27g et 27h OPP2). Dans le cadre d’une telle liquidation, il y a également lieu de tenir compte du fonds de renchérissement. Le TF rappelle qu’un contrat de prévoyance préformulé doit être interprété selon le principe de la confiance.
Dans cet arrêt, le TF indique qu’une mauvaise gestion du capital de la caisse de pension résulte en une diminution du capital disponible lors de la liquidation partielle. Cette mauvaise gestion est constitutive d’un dommage. Cependant, le TF laisse ouverte la question de savoir si le fait de transférer de l’argent du fond de renchérissement au fond de sécurité peut avoir un effet sur la prévoyance et être considéré comme dommageable à la procédure de liquidation partielle.
Dans cette affaire, le TF ne s’est pas considéré compétent car une éventuelle responsabilité due à la diminution de l’avoir disponible n’est pas une question de droit et ne doit dès lors pas être analysée dans le cadre d’une procédure de liquidation partielle.
Auteure : Muriel Vautier Eigenmann, avocate à Lausanne


TF 6B_1332/2016 du 27 juillet 2017
Responsabilité aquilienne; négligence; activité sportive; art. 12 al. 3 et 125 CP; 97 al. 1 let. c aCP
Les règles d’associations sportives peuvent constituer une source de droit pour apprécier le devoir de prudence dans l’exercice du sport considéré. S’agissant d’un joueur de golf dont la balle a atteint un autre joueur au visage, la prudence dont il doit faire preuve ne peut pas s’apprécier uniquement en fonction des zones de danger définies dans lesdites règles (angles de tir). Celles-ci peuvent être plus ou moins larges en fonction de ses capacités sportives, à savoir son « handicap », des éventuels dispositifs de protection présents sur le terrain, de sa connaissance des lieux, des conditions météorologiques. Le principe de la confiance est également un élément à prendre en considération. Le joueur qui se comporte réglementairement est en droit d'attendre des autres joueurs qu’ils se comportent également de manière conforme aux règles du jeu.
L’exploitant du terrain de golf, à qui l’on reproche l’absence de filet de protection ou de panneau de signalisation d’un danger, peut se prévaloir du principe de la confiance lorsqu’il n’existe pas d’indice concret que le concepteur du terrain de golf aurait enfreint les règles de l’art lors de la construction de l’installation sportive.
Quant à ce dernier, l’action pénale est dans le cas d’espèce prescrite. Le fait d’avoir opté pour des buissons entre les deux zones de tirs en lieu et place d’un filet constitue un comportement actif et non pas une omission.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 4A_110/2017 du 27 juillet 2017
Assurances privées; assurance complémentaire à l’assurance-maladie; observation par un détective privé; application de la jurisprudence Vukota-Bojic dans le domaine des assurances privées; art. 8 CEDH; 152 al. 2 CPC
Cette affaire fait suite à l’arrêt Vukota-Bojic, rendu par la CrEDH le 18 octobre 2016, qui a valu à la Suisse une condamnation sur la base de l’art. 8 CEDH. Le TF rappelle tout d’abord que les litiges concernent les contrats d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie, relèvent du droit privé (c. 3). L’appréciation des preuves recueillies illicitement se fait sur la base de l’art. 152 al. 2 CPC (c. 5.2).
En assurance privée, la sphère privée et le droit à l’image de l’assuré peuvent être violés par des observations d’un détective privé. Cette atteinte n’est toutefois pas illégale lorsque l’intérêt à empêcher une fraude à l’assurance est prépondérant sur l’intérêt de l’assuré au respect de sa sphère privée. Il incombe au juge de procéder à la pesée des intérêts. Dans cette pesée des intérêts, il faut prendre en compte le fait que l’assuré a des prétentions envers la compagnie d’assurance et qu’il est par conséquent tenu de collaborer à l’examen de son état de santé, de sa capacité de travail, etc. et que, partant, il doit tolérer en tout état de cause qu’un examen nécessaire de son état de santé soit étabi par la compagnie d’assurance à son insu. La question de savoir si l’observation est admise, dépend de l’ampleur de la violation et de la nature des droits de la personnalité qui ont été touchés. Les critères suivants peuvent en particulier être décisifs : nature du cas (p. ex. montant de la réclamation, cas pilote ou de bagatelle), le lieu où les observations ont lieu (p. ex. sur le domaine public), la période durant laquelle elles ont lieu (p. ex. la journée, limitées à une semaine), quel contenu elles ont (p. ex. observable par tout un chacun) ainsi que si le moyen utilisé (p. ex. film) est nécessaire et approprié pour atteindre le but visé (c. 5.3).
En l’espèce, le TF a estimé que les observations du détective se sont avérées licites, en considérant que selon les faits constatés par l’instance inférieure, l’assuré avait décrit une symptomatologie non spécifique. Le TF a également fait état d’un comportement suscitant le doute et jugé que les mesures de contrôle avaient eu lieu exclusivement sur le domaine public pendant une période limitée (trois jours du matin au soir) (c. 5.3). La jurisprudence Vukota-Bojic n’est par conséquent pas applicable dans le cas de la LCA.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 8C_45/2017 du 26 juillet 2017
Assurance-invalidité; observations par un détective privé; preuves recueillies illicitement; art. 43 LPGA; 59 al. 5 LAI; 8 CEDH
Dans le cadre de l’instruction de son dossier AI, un assuré avait fait l’objet d’observations par un détective privé. Se fondant sur l’arrêt de la CrEDH Vukota-Bojic c. la Suisse, il demandait que le rapport d’observation soit écarté du dossier.
Le TF rappelle que les preuves recueillies de manière illicite peuvent être utilisées s’il existe un intérêt public prépondérant (cf. TF 9C_806/712, qui avait fait l’objet d’un commentaire dans la Newsletter du mois dernier).
En l’espèce, les observations avaient été conduites durant six jours isolés, après que l’assuré avait éveillé des soupçons d’aggravation, voire de simulation de ses plaintes, auprès d’un médecin du SMR. Sur les enregistrements vidéo, on le voyait principalement nettoyer sa voiture, ouvrir et fermer son garage, faire ses courses ou encore pousser son vélo. Il s’agit d’une atteinte de faible importance à ses droits constitutionnels, qui ne fait pas le poids face à l’intérêt de la collectivité des payeurs de prime à ne pas financer des prestations indues.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 6B_1115/2016 du 25 juillet 2017
Responsabilité aquilienne; ordonnance de classement (vol, gestion déloyale, blanchiment d’argent); frais de procédure, indemnités; art. 41 CO; 6 § 2 CEDH; 32 al. 1 Cst.; 581 al. 3, 607 al. 3, 610 al. 2 CC; 113 al. 1, 423 al. 1, 426 al. 2, 429 al. 1 let. a, b, c, 433 al. 2, 434 CPP
Selon l’art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l’objet d’une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s’il a, de manière illicite et fautive, provoqué l’ouverture de la procédure ou rendu plus difficile sa conduite. La condamnation d’un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d’innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n’est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l’ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s’il en a entravé le cours. A cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l’imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l’ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d’une application par analogie des principes découlant de l’art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d’acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l’exception (c. 2.1).
En l’espèce, les recourants avaient, en tant que prévenus, le droit de ne pas s’autoincriminer, englobant celui de se taire. Leur silence, un temps, face au ministère public ne saurait dès lors suffire pour permettre, de mettre les frais de la procédure pénale à leur charge à la suite du classement (c. 2.3).
Il en va de même sous l’angle du droit successoral – pour autant que le droit Suisse s’applique à certains pans du dossier – les conditions prévues par les art. 581 al. 3, 607 al. 3 et art. 610 al. 2 CC n’étant pas réalisées (c. 2.4 à 2.4.3).
Aux termes de l’art. 434 al. 1 CPP, les tiers qui, par le fait d’actes de procédure ou du fait de l’aide apportée aux autorités pénales, subissent un dommage, ont droit à une juste compensation si le dommage n’est pas couvert d’une autre manière, ainsi qu’à une réparation du tort moral. L’art. 433 al. 2 CPP est applicable par analogie. Aux termes de cette disposition, la partie plaignante adresse ses prétentions à l’autorité pénale. Elle doit les chiffrer et les justifier. Si elle ne s’acquitte pas de cette obligation, l’autorité pénale n’entre pas en matière sur la demande (c. 3.1).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et dans le canton de Vaud


TF 4A_78/2017 du 20 juillet 2017
Assurances privées; assurance perte de gain maladie; transaction extra-judiciaire; crainte fondée; art. 29 al. 1 et 30 CO
La menace d’un dépôt de plainte pénale peut susciter une crainte fondée, au sens des art. 29 al. 1 et 30 al. 1 CO, s’il n’existe pas de rapport de connexité (« innerer Zusammenhang ») entre cette éventuelle plainte et le but poursuivi par l’auteur de la menace. En présence d’un tel rapport de connexité, la menace de plainte pénale est considérée comme l’exercice d’un droit et une crainte fondée ne pourra être invoquée, en vertu de l’art. 30 al. 2 CO, que si la menace de la plainte a permis à son auteur d’extorquer des avantages excessifs (c. 4).
A l’égard d’une transaction passée entre un assureur et un assuré, sous la menace d’un dépôt de plainte pénale formulée par l’assureur après avoir fait observer l’assuré, il faut examiner l’existence éventuelle d’avantages excessifs suivant les chances de succès, appréciées au moment de la conclusion de la transaction, des prétentions respectives des parties (c. 5.2). Obtient un avantage excessif sous la menace d’une plainte pénale, l’assureur perte de gain maladie (LCA) qui, après avoir tout au plus appris via l’observation que l’assurée avait exagéré la description de ses maux et de l’intensité de ses douleurs, sans que l’existence d’une incapacité de travail soit exclue, impose une transaction par laquelle ladite assurée renonçait à des prestations d’un montant maximal de Fr. 26'601.90 pour les quelque deux mois écoulés et pour la durée restante de couverture d’assurance d’environ dix mois, d’une part, et acceptait de prendre en charge le coût de l’observation de Fr. 6'140.-, d’autre part, nonobstant le fait que l’assureur renonçait de son côté à réclamer le remboursement de prestations déjà versées pour la période de couverture d’assurance précédemment écoulée (c. 5.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne et Aigle

TF 9C_138/2017 du 20 juillet 2017
Assurance-invalidité; infirmités congénitales; mesures médicales; trouble du spectre autistique; art. 12 et 13 LAI; ch. 405 OIC; CMRM
Des mesures médicales en cas de troubles du spectre autistique sont octroyées uniquement lorsque les symptômes nécessitant un traitement se sont manifestés avant l'accomplissement de la cinquième année du requérant (ch. 405 OIC). Lesdits symptômes ne peuvent pas être reconnus après coup comme « présents avant la cinquième année » s’il n’est pas prouvé qu’ils existaient avant cet âge (ch. 405 CMRM).
Pour autant que des rapports médicaux ultérieurs se rapportent à des constatations faites avant le cinquième anniversaire du requérant et s’ils confirment ces dernières et les précisent en termes de diagnostic, ils peuvent être déterminants pour la reconnaissance en temps utile des troubles du spectre autistique.
Si de telles constatations n’ont pas été réalisées avant la cinquième année du requérant, le droit à des mesures médicales (p. ex. traitement psychothérapeutique) sous l’angle de l’art. 13 LAI doit être rejeté. Le droit à des mesures médicales peut toutefois être examiné sous l’angle de l’art. 12 LAI.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne et Zurich

TF 9C_849/2016 - ATF 143 V 261 du 19 juillet 2017
Assurance-invalidité; enfant de fonctionnaires internationaux; infirmité congénitale; allocation pour impotent; supplément pour soins intense; mesures médicales; condition d’assurance; art. 6 al. 2, 9 et 13, 42bis al. 2 LAI; 35 RAI
Une enfant ressortissante d’un pays de l’UE, domiciliée en Suisse, atteinte d’autisme, a bénéficié d’une API et d’un SSI, ainsi que de mesures médicales. Le droit aux prestations a été supprimé après que ses deux parents ont obtenu des postes de fonctionnaires internationaux, les soustrayant à l’assujettissement à l’AVS/AI.
Se livrant à une interprétation systématique de l’art. 9 LAI, en particulier de l’articulation des al. 1bis et 2, le TF parvient à la conclusion que la condition d’assurance doit exister, soit parce que l’enfant est lui-même affilié, soit parce que les « conditions de rattrapage » de l’art. 9 al. 2 sont remplies, pendant toute la durée du versement des prestations. En d’autres termes, le droit aux mesures de réadaptation au sens de l’art. 9 al. 3 LAI s’éteint - en vertu de l’art. 9 al. 1bis LAI - si l’assujettissement du (seul) parent assuré prend fin. Cela vaut même si le droit à ces prestations est fondé sur l’art. 9 al. 3 LAI (c. 5.2).
En l’espèce, s’il était clair que les parents n’étaient plus affiliés à l’AVS/AI et que les conditions de l’art. 9 al. 3 LAI n’étaient plus remplies, le statut de l’enfant n’avait pas été clarifié par les premiers juges. Le TF leur a renvoyé la cause pour qu’ils instruisent la question de savoir si l’enfant partageait les privilèges et immunités accordés à ses parents, ou si elle était elle-même personnellement affiliée à l’AVS/AI. Si cette deuxième hypothèse se vérifie, alors le droit aux prestations doit être maintenu.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_806/2016 - ATF 143 I 377 du 14 juillet 2017
Assurance-invalidité; observation par un détective privé; application de la jurisprudence Vukota-Bojic dans le domaine de l’AI; art. 28 et 43 LPGA; 8 CEDH; 59 al. 5 LAI
Cette affaire s’inscrit à la suite de l’arrêt Vukota-Bojic, rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme le 18 octobre 2016. Dans cette affaire, la Suisse avait été condamnée pour violation de l’art. 8 CEDH dans la mesure où son ordre juridique ne contient pas de base légale suffisante permettant aux assureurs sociaux de faire observer des assurés à leur insu. Cette affaire concernait l’assurance-accidents (LAA).
Le présent arrêt s’interroge sur l’application des conclusions de l’arrêt Vukota-Bojic dans le domaine de l’assurance-invalidité. Elles sont transposables, d’une part parce que la LAI ne contient pas davantage que la LAA de base légale suffisamment claire, l’art. 59 al. 5 LAI étant à cet égard insuffisamment détaillé (c. 4).
Le matériel recueilli illicitement dans la présente affaire (surveillance par un détective privé) peut néanmoins être utilisé dans l’établissement des faits, dans la mesure où l’assuré n’a fait l’objet que d’une surveillance dans les lieux publics, durant quatre jours sur une période de 14 jours, chaque phase d’observation durant entre 5 et 9 heures. La violation des droits fondamentaux de l’assuré doit ainsi être considérée comme plutôt modeste (« relativ bescheiden ») eu égard à l’intérêt public prépondérant (« gewichtig ») à éviter l’abus de prestations sociales (c. 5).
Il s’agit d’une décision commune des Ire et IIe Cours de droit social ainsi que de la Ire Cour de droit public, au sens de l’art. 23 al. 2 LTF.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont



TF 4A_68/2017 du 14 juillet 2017
Responsabilité aquilienne; faute ;violation du devoir de diligence; art. 41 CO
Est fautif celui qui viole son devoir de diligence. Celui-ci s’apprécie en comparant le comportement du fautif à celui d’une personne normalement diligente qui se trouverait dans la situation du fautif. Si le comportement concret diffère du comportement de la personne normalement diligente, il y a faute. Cette appréciation objective du devoir de diligence est tempérée par l’âge du fautif, son métier, son expérience, voire son sexe. On tient encore compte du type d’activité, de son importance et de sa dangerosité (c. 2.1).
Le TF considère qu’il n’y a pas de violation du devoir de diligence de la part de l’intimé, qui s’est rendu avec la recourante chez un tiers pour dormir dans un lit mural, dont la paroi s’est renversée durant la nuit, ce qui a entraîné de graves conséquences sur la santé de la recourante. Bien que charpentier, l’intimé ne disposait pas des connaissances nécessaires pour appréhender le caractère défectueux du lit mural, qu’il n’avait d’ailleurs pas monté lui-même.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat, Fribourg


TF 8C_113/2017 - ATF 143 V 269 du 29 juin 2017
Assurance-invalidité; expertise judiciaire; montant de la rémunération de l’expert (revirement de jurisprudence); art. 45 et 61 LPGA; 72bis al. 1 RAI
Depuis décembre 2014 (arrêt de principe : TF 9C_217/2014), le TF avait établi une jurisprudence voulant que les frais d’une expertise judiciaire confiée à un COMAI soient fixés sur la base du tarif établi par l’OFAS et intégré aux contrats de droit administratif passés avec les établissements désireux de fonctionner comme COMAI.
Dans cet arrêt, le TF reconnaît que cette jurisprudence contrevenait à la répartition des compétences entre cantons et Confédération en matière d’organisation judiciaire. En l’absence de base légale au niveau fédéral qui donnerait aux cantons – ou permettrait de leur donner, par délégation – des instructions s’agissant de la fixation de la rémunération judiciaire, la jurisprudence de 2014 doit être abandonnée et les cantons sont désormais libres de fixer cette rémunération.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
Note : la jurisprudence précédente a fait l’objet d’un commentaire dans la Newsletter de mars 2017, en lien avec l’arrêt 9C_541/2016.



TF 4A_60/2017 - ATF 143 III 242 du 28 juin 2017
Responsabilité du propriétaire foncier; responsabilité en cas d’excès du droit de propriété sur un immeuble; art. 679 et 684 CC
L’art. 679 CC institue une responsabilité objective du propriétaire, soumise à la réalisation de trois conditions : un excès du propriétaire dans l’utilisation de son fonds ; une atteinte au droit du voisin ; un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l’excès et l’atteinte. L’existence d’une faute n’est donc pas nécessaire (c. 3.1). Dans le cadre de l’art. 684 CC notamment, la notion de voisin ne se limite pas au fonds contigu ; peuvent aussi avoir qualité pour agir des propriétaires dont le fonds est situé à plusieurs kilomètres de l’origine de l’immission (c. 3.3).
Le propriétaire foncier a qualité pour défendre non seulement lorsqu’il cause lui-même le dommage, mais également quand celui-ci est le fait d’une tierce personne qui utilise directement l’immeuble et qui y est autorisée en vertu du droit privé ou public, même si cette dernière ne respecte pas les règles d’usage qui lui ont été imposées. Par contre, si cette tierce personne exerce seule, en vertu d’un droit réel indépendant (notamment un droit de superficie), la maîtrise juridique et de fait sur le bien-fonds, la jurisprudence admet qu’elle répond seule du dommage causé lorsqu’elle excède son droit. La responsabilité du propriétaire du fonds de base ne saurait alors être engagée, puisqu’il a perdu toute maîtrise sur celui-ci
(c. 3.4).
L’art. 679 CC peut aussi trouver application lorsque le fonds d’où émane l’atteinte appartient à une collectivité publique. Lorsque le fonds appartient au patrimoine administratif ou destiné à l’usage commun, il convient d’examiner dans le cas concret si l’accomplissement de tâches publiques déterminées par la loi exclut l’application du droit civil. Le voisin ne peut pas exercer les actions du droit privé si les immissions proviennent de l’utilisation, conforme à sa destination, d’un ouvrage d’intérêt public pour la réalisation duquel la collectivité disposait d’un droit d’expropriation, et si la tâche publique ne peut pas être exécutée sans provoquer d’immission (immission inévitable). Cas échéant, c’est le juge de l’expropriation qui est compétent (c. 3.5).
En l’espèce, le TF considère que la situation du canton qui octroie une autorisation à titre ponctuel d’extraire du gravier sur une portion délimitée d’un cours d’eau public n’est pas comparable à celle du propriétaire qui octroie un droit réel et indépendant à autrui. En l’espèce, le canton du Valais, qui avait autorisé deux entreprises à extraire du gravier du Rhône, lesquelles avaient creusé trop profondément, n’avait pas abandonné tout maîtrise sur les portions du domaine public au profit de ces tiers autorisés. En effet, le canton du Valais avait défini de façon précise la manière dont ces tiers pouvaient procéder à l’extraction industrielle du gravier, en fixant une profondeur maximale ; il pouvait au besoin retirer l’autorisation et sanctionner les bénéficiaires. En d’autres termes, le canton avait conservé une certaine maîtrise de fait sur le fonds, et doit donc répondre du dommage subi par le voisin en vertu de l’art. 679 CC, même si ce dommage est le fait de tiers.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 4A_695/2016 du 22 juin 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; lien de causalité; réduction de l’indemnité; art. 58 LCR; 43 CO
Victime d’un accident de la circulation (coup du lapin), le recourant ne subit aucun trouble physique durable, mais est affecté par une modification de sa personnalité. Il tombe dans une dépression sévère. Le TF confirme l’arrêt cantonal qui avait réduit l’indemnité de 50% en retenant qu’il n’était pas dans l’ordre des choses qu’un accident tel que celui qui s’est produit puisse causer des troubles psychiatriques d’une telle ampleur alors qu’il n’existait aucune lésion physique objectivable ni objectivée.
Le TF retient qu’en droit de la responsabilité civile, il ne se justifie pas de tenir compte de la gravité (ou de la légèreté) de l’accident lors de l’examen du rapport de causalité. La faible intensité de la cause du dommage (comparée au préjudice causé) peut toutefois, en combinaison avec d’autres facteurs, être prise en compte au moment de calculer l’indemnité (« circonstances » de l’art. 43 CO). Ainsi, vu la faible intensité de l’accident en l’espèce, on ne saurait reprocher à la cour cantonale d’avoir abusé de son pouvoir d’appréciation (art. 4 CC) lorsqu’elle a décidé de réduire de 50% l’indemnité due au lésé, étant précisé que le TF ne revoit qu’avec retenue la décision que le juge prend à ce sujet.
S’agissant du tort moral, le TF confirme aussi le bienfondé de l’indemnité de CHF 50’000 (qui doit être réduite de moitié) octroyée par les juges cantonaux compte tenu de la pathologie psychiatrique sévère dont souffre le lésé.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne



TF 8C_228/2017 - ATF 143 V 295 du 14 juin 2017
Assurance-accidents; taux d’invalidité; comparaison des revenus; salaires statistiques (ESS 2012); art. 16 LPGA
Le litige porte sur le point de savoir si le tribunal cantonal a obligé, à juste titre, l’assureur LAA recourant à accorder une rente de 24% d’invalidité au lieu de 15% à partir du 1er février 2013 (application de l’ESS 2012).
Selon l’art. 16 LPGA, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui, après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. Pour la fixation du revenu d’invalide, il s’agit, selon la jurisprudence, de se baser en priorité sur l’activité exercée concrètement par la personne assurée. Si elle ne réalise pas de gain après la survenance de l’atteinte à la santé ou qu’elle n’a pas obtenu une activité lucrative acceptable, on peut se baser soit sur les salaires statistiques tirés de l’enquête de l’OFS sur la structure des salaires (ESS) ou sur la description des postes de travail utilisée par la SUVA. Si l’on se base sur l’ESS, on applique toujours les données les plus récentes. L’application correcte de l’enquête sur la structures des salaires, à savoir le choix de la tabelle et l’utilisation du degré déterminant (exigence et niveau de compétences) est une question juridique que le tribunal fédéral revoit librement sans limitation de son pouvoir d’examen. L’existence de conditions concrètes et exigibles pour le choix de tabelles déterminées de l’enquête sur la structure des salaires comme une formation spécifique ou des qualifications supplémentaires constitue un élément de fait. Ce qui concerne les chiffres se trouvant dans les tabelles déterminantes constitue également des faits.
L’assureur qui statue sur opposition doit prendre en considération l’évolution éventuelle des chiffres déterminants qui sont sortis durant la procédure d’opposition. Sont déterminantes en principe les circonstances juridiques et factuelles existant à la date de la décision sur opposition. Les imperfections juridiques constatées doivent être corrigées dans la procédure d’opposition. Pour la comparaison des revenus, sont déterminantes les circonstances existant au moment du début du droit à la rente. D’éventuelles modifications de la comparaison des revenus avec effet sur la rente sont à prendre en considération jusqu’à la décision sur opposition. L’assureur-accidents compétent qui a l’occasion de revoir sa décision avec un plein pouvoir d’examen est en principe obligé d’appliquer la nouvelle tabelle disponible. Cela correspond aussi au principe de l’égalité de traitement. Le tribunal cantonal a modifié la décision sur opposition non pas en défaveur de l’assuré, mais il a partiellement suivi ses conclusions. Il pouvait donc, sur demande de l’assurée, examiner totalement la conformité de l’évaluation de l’invalidité et dans le cadre de l’application du droit d’office et de la maxime d’office faire usage pour la comparaison des revenus des chiffres statistiques existants au moment de la décision sur opposition. Comme le début de la rente a été fixé le 2 juillet 2014 par AXA avec effet au 1er février 2013 et comme la décision sur opposition a été rendue le 9 novembre 2015, rien ne s’oppose à l’application de l’ESS 2012.
L’assureur LAA recourant fait également le reproche d’une application de rupture des tabelles de 2012 par rapport à celles de 2010. Les salaires basés sur l’ESS 2012 ne collent pas avec l’évolution effective des salaires. Selon les chiffres de 2010, les femmes auraient réalisé, dans le domaine santé/social, un salaire mensuel de CHF 5'629.- avec un niveau d’exigences 3 alors qu’en 2012, dans le même domaine, avec un niveau de compétence 2, c’est un salaire de CHF 5'084.- qui devrait être appliqué. En comparaison, l’évolution nominale du salaire pour les femmes a été indexée de 100 à 101. A la place d’une rente mensuelle de CHF 575.- fondée sur les tabelles de 2010, l’assurée aurait une rente de CHF 921.- en se basant sur les tabelles de 2012.
Dans l’ATF 142 V 178 c 2.5.7, le TF a reconnu la force probante de l’enquête sur la structure des salaires de 2012, permettant la comparaison des revenus selon l’art. 16 LPGA, particulièrement dans le cadre d’une première évaluation de l’invalidité. Il a précisé que l’application d’une valeur statistique est abstraite, si bien que cela implique une adaptation aux circonstances concrètes du cas. Cette particularité existait déjà dans l’ESS 2010. Les changements contenus dans l’ESS 2012 ne concordent certes pas avec l’évolution des salaires entre 2010 et 2012. Cependant, s’agissant de la rupture entre les tabelles de 2010 et de 2012 pour l’application de la tabelle TA1 des statistiques sur la structure des salaires 2012 (salaire mensuel brut selon les divisions économiques et la position professionnelle – secteur privé), le TF a constaté que pour l’évaluation de l’invalidité, ce sont seulement les différentes tabelles TA1 en fonction du niveau de compétences qui doivent être appliquées plutôt que les tabelles TA1b qui ne coïncident plus au principe des décisions statistiques antérieures. D’ailleurs, les rentes accordées sur la base des tabelles jusqu’à 2010 ne peuvent pas faire l’objet d’une révision simplement parce que l’application des valeurs découlant des tabelles 2012 aboutirait à un autre résultat. Les considérants de l’ATF 142 V 178 portent expressément sur le domaine d’application de l’assurance-invalidité dans laquelle les rentes sont fixées selon certaines valeurs-seuils. Ces données statistiques doivent en principe servir aussi dans le domaine de la fixation des rentes de l’assurance-accidents lorsque pour la comparaison des revenus il y a lieu de se fonder sur les salaires statistiques de l’ESS parce que l’on ne peut pas se baser sur un gain effectif réalisé ou que les données de la description du poste de travail font défauts. Dans le domaine de l’AI également, un écart entre les salaires statistiques publiés tous les deux ans et l’indice nominal des salaires peut conduire à accorder une rente plus élevée si le seuil déterminant est dépassé. Dans le cadre du premier examen du droit aux prestations ou en cas de rechute après un refus préalable entré en force, un tel écart entre les salaires statistiques de l’ESS et l’évolution des salaires nominaux est admissible car inhérent au système.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 8C_555/2016 - ATF 143 V 285 du 13 juin 2017
Assurance-accident; atteintes assimilées à des accidents ; caractère volontaire de l’atteinte; art. 4 LPGA; 9 al. 2 aOLAA
Le fait de se blesser en donnant un coup de poing violent contre un mur pour exprimer sa colère, respectivement se défouler (« Dampf abzulassen »), ne constitue pas une lésion corporelle assimilée à un accident (c. 4.2.4).
L’existence d’un événement accidentel est exclue lorsque la personne a accepté l’atteinte à sa santé au cas où elle se produirait (dol éventuel) comme en l’espèce. Le TF considère qu’au vu de la puissance de la frappe contre le mur, le risque de blessure était tel que l’assuré ne pouvait escompter sur une absence de succès (c. 4.2.4). Il en découle que l’assuré n’a pas droit à des prestations de l’assurance-accidents. Le recours de l’assureur-accident est admis (c. 4.2.5).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 4A_576/2016 - ATF 143 III 506 du 13 juin 2017
Responsabilité délictuelle; procédure; demande reconventionnelle en constat négatif; absence d’idendité de procédures; art. 94 al. 1 et 224 al. 1 CPC
B. dépose une action partielle portant sur un montant de CHF 30'000.- dans le cadre d’une procédure simplifiée dirigée contre A. Celui-ci réagit en déposant une demande reconventionnelle en constat négatif sur laquelle le tribunal n’est pas entré en matière, sa prétention n’étant pas soumise à la même procédure que la demande principale. A. recourt au TF qui lui donne raison.
Le TF juge que l’art. 224 al. 1 CPC (qui pose l’exigence de l’identité des procédures) constitue une lex specialis par rapport à l’art. 94 al. 1 CPC (selon lequel, lorsque la demande principale et la demande reconventionnelle s’opposent, la valeur litigieuse se détermine d’après la prétention la plus élevée). Dès lors, l’art. 94 al. 1 CPC ne s’applique que si la demande reconventionnelle est recevable en vertu de l’art. 224 al. 1 CPC. Par conséquent, le défendeur n’a, en principe, pas le droit d’introduire une demande reconventionnelle ayant une valeur litigieuse supérieure à CHF 30'000.- dans le cadre d’une procédure simplifiée, car cette demande entrerait dans le champ d’application de la procédure ordinaire, et ce contrairement au texte de l’art. 224 al. 1 CPC. Toutefois, si le défendeur introduit une demande reconventionnelle en constat négatif soumise à la procédure ordinaire en réaction à une action partielle introduite en procédure simplifiée, le tribunal doit exceptionnellement (et contrairement à l’art. 224 al. 1 CPC) entrer en matière. En effet, la demande en constat négatif n’est pas une demande reconventionnelle ordinaire, par laquelle le défendeur soulève une prétention indépendante, non comprise dans la demande principale (ATF 123 III 35 c. 3c). Dans un tel cas, la demande principale et la demande reconventionnelle doivent être jugées en procédure ordinaire.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg



TF 6B_478/2016 - ATF 143 IV 339 du 8 juin 2017
Responsabilité de l’Etat; privation de liberté suivie d’une ordonnance de non-entrée en matière; indemnité pour tort moral; art. 429 al. 1 let. c CPP
Le TF rappelle que l’art. 429 CPP fonde un droit à des dommages et intérêts et à une réparation du tort moral résultant d’une responsabilité causale de l’État. Pour pouvoir prétendre à une telle réparation, l’intensité de l’atteinte à la personnalité doit être analogue à celle requise dans le contexte de l’art. 49 CO.
Le TF retient qu’une détention provisoire d’une durée qui excède trois heures constitue une atteinte grave à la liberté. Le TF relève également que l’appréhension (art. 215 CPP) ne doit pas être considérée comme une détention avant jugement. Elle ne donne ainsi en principe pas droit à l’indemnité pour tort moral, à condition toutefois que la mesure n’excède pas trois heures. Quant à l’arrestation (art. 217 CPP), elle est une mesure de privation de liberté.
Le TF conclut qu’une appréhension, suivie d’une arrestation, qui s’étendent sur une durée supérieure à trois heures, constituent une atteinte à la liberté, qui donne lieu à un droit à une indemnisation pour tort moral. La durée déterminante est celle durant laquelle le prévenu est retenu à disposition des autorités.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève



TF 9C_121/2017 - ATF 143 V 254 du 6 juin 2017
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations des personnes sans activité lucrative; art. 10 LAVS
Un assuré au bénéfice d’une fortune de CHF 5 mio conteste le montant des cotisations dues en tant que personne sans activité lucrative (CHF 13'680.- pour l’année 2016), en faisant valoir que l’augmentation du plafond maximal de l’art. 28 RAVS depuis le 1er janvier 2012 (de CHF 4 à 8,4 mio) est contraire à la loi et que les cotisations violent la garantie de la propriété.
Le TF relève que le législateur, en édictant la règle de délégation de l’art. 10 al. 3 LAVS, n’avait pas l’intention de prescrire au Conseil fédéral une méthode de calcul spécifique. Tout au plus a-t-il posé le garde-fou de la gradation des cotisations selon « la condition sociale ». Le modèle mathématique pour le calcul des cotisations des personnes sans activité lucrative choisi par le Conseil fédéral et adapté en 2012 est conforme à la loi.
L’argument de la discrimination vis-à-vis des personnes exerçant une activité lucrative, pour lesquelles le calcul des cotisations ne tient pas compte de la fortune, est également balayé, les situations n’étant pas comparables.
Le TF laisse ouverte la question de savoir si l’assuré peut se prévaloir de la garantie de la propriété (art. 26 Cst) étant donné qu’il pourrait éviter le calcul des cotisations selon la fortune en exerçant une activité lucrative. En tous les cas, la garantie de la propriété n’est pas violée en l’espèce, puisque l’assuré ne fait pas valoir que les revenus effectifs de sa fortune sont inférieurs aux cotisations. Le simple argument théorique qu’un placement de sa fortune sur le marché des capitaux ne permettrait pas de rapporter l’équivalent du montant des cotisations n’est pas suffisant.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne


TF 8C_472/2016 - ATF 143 V 231 du 6 juin 2017
Assurance-militaire; rente pour atteinte à l’intégrité; troubles psychiques (schizophrénie); intérêts moratoires; art. 48 al. 1 et 9 al. 2 LAM
Dans l’assurance-militaire, pour évaluer le préjudice résultant d’une atteinte à l’intégrité, l’OFAM a élaboré des directives internes (tables, échelles, etc.) destinées à garantir l’égalité de traitement entre les assurés. La comparaison que le recourant a voulu établir avec l’indemnisation des atteintes à l’intégrité dans l’assurance-accidents (LAA) n’a pas été jugée pertinente par le TF.
En l’espèce, le TF a confirmé la position de la juridiction cantonale, laquelle a retenu que la schizophrénie dont est atteint le recourant l’empêchait d’entretenir une relation intime avec une femme. Elle a considéré, en revanche, qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre la schizophrénie et le fait de ne pas pouvoir procréer. Pour évaluer le taux de l’atteinte à l’intégrité, les juges se sont inspirés des valeurs indicatives établies par l’assurance militaire en matière de lésions organiques des fonctions cérébrales (de 20 % à 35 % en fonction de la gravité de la lésion), estimant qu’un taux de 30 % ne pouvait être retenu qu’en cas de schizophrénie sévère, alors que la schizophrénie dont souffre l’intéressé était de gravité moyenne et que celui-ci demeurait capable de mener une existence autonome. En conséquence, il a été jugé équitable de fixer à 25 % le taux global de l’atteinte à l’intégrité du recourant.
Selon l’art. 9 al. 2 LAM, lequel déroge à l’art. 26 al. 2 LPGA, un intérêt moratoire n’est dû qu’en cas de comportement dilatoire ou illicite de l’assurance-militaire. Cette disposition de la LAM concrétise la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur de la LPGA. En l’espèce, même si la durée de la procédure apparaît exceptionnellement longue, et même si la procédure administrative n’a peut-être pas été menée de manière très méthodique, on ne saurait pour autant l’attribuer à une volonté délibérément dilatoire de l’assurance ou à des actes illicites de celle-ci. Dans ces conditions, aucun intérêt moratoire n’était dû en réalité. Cela étant, dès lors que le TF est lié par les conclusions du recours (art. 107 al. 1 LTF) et que l’assurance-militaire n’a pas recouru, il ne peut aller en deçà de ce qu’a accordé la juridiction cantonale.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne


TF 6B_1056/2016 du 6 juin 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; devoir de surveillance; arrêt de transports publics; art. 33 al. 3 LCR et 125 CP
La disposition de l’art. 33 al. 3 LCR, qui dispose qu’« aux endroits destinés à l’arrêt des véhicules des transports publics, le conducteur aura égard aux personnes qui montent dans ces véhicules ou qui en descendent », ne s’adresse pas, de manière primaire, au chauffeur de trolleybus qui va s’arrêter à la halte de bus ou en repartir, mais aux autres conducteurs. En outre, le conducteur du trolleybus n’a pas, lorsqu’il voit une personne quitter l’aire d’arrêt de son bus, à se dire que la personne en question pourrait, de manière intempestive, revenir sur ses pas, et être ainsi accrochée et blessée par le rétroviseur du bus.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 6B_360-361/2016 - ATF 143 IV 361 du 1 juin 2017
Responsabilité aquilienne; causalité; coactivité par négligence; faute commune; art. 50 CO
Deux cousins, un soir de Nouvel-An, prennent la décision de faire partir chacun deux fusées depuis la terrasse d’un appartement situé au rez-de-chaussée. Les deux fusées ont été allumées en étant plantées dans le sol plutôt que dans une bouteille ou dans un tuyau. L’une des quatre fusées ainsi allumées de manière dangereuse met le feu à un balcon d’un immeuble voisin, causant un dommage de CHF 870'000.- environ. L’enquête n’a pas permis d’établir lequel des deux jeunes hommes avait allumé la fusée à l’origine de l’accident. D’autres causes peuvent par contre être écartées.
Le TF retient qu’il ressort de l’administration des preuves que les deux jeunes gens se sont mis d’accord pour faire partir quatre fusées, soit deux chacun. En revanche, il n’existait pas de concertation commune sur la manière dont les fusées devaient être allumées (à savoir plantées ou non dans le sol ; c. 4.6).
Comme le tribunal cantonal s’était fondé sur cet arrêt, le TF rappelle que la jurisprudence dite des « Rolling Stones » (ATF 113 IV 58) est controversée en doctrine, notamment en ce qu’elle semble admettre la notion de coactivité par négligence. Il relève par contre que plusieurs auteurs approuvent quant à son résultat la solution retenue (c. 4.7).
Passant en revue sa jurisprudence, le TF relève notamment que, dans l’ATF 126 IV 84, il a retenu que la coactivité par négligence n’était pas concevable (c. 4.8). Dans le cas d’espèce, il considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la pertinence de la jurisprudence des « Rolling Stones », ni d’examiner la question de la causalité, puisque l’état de fait s’écarte selon lui clairement de la situation visée par ladite jurisprudence. En effet, les deux auteurs potentiels n’ont pas discuté entre eux de la façon de faire partir les fusées, et n’ont pas procédé ensemble à une analyse des risques en présence. Ils ont seulement décidé d’un commun accord d’allumer des fusées dehors, et plus précisément deux chacun. Les deux cousins ont par contre décidé seuls comment ils voulaient allumer les fusées. Dans ces circonstances, il n’existe pas d’entreprise commune au sens de l’ATF 113 IV 58, ni de décision commune portant sur un comportement violant les règles de prudence (c. 4.9).
En droit pénal, ce n’est que dans des cas précis prévus par la loi que l’on peut se passer de la preuve d’un projet commun de comportement sur le plan subjectif. Tel est le cas par exemple de la rixe (art. 133 CP), soit une infraction de mise en danger abstraite (c. 4.10).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne



TF 9C_684/2016 - ATF 143 V 200 du 29 mai 2017
Prévoyance professionnelle; liquidation partielle; art. 53b LPP
Un règlement de liquidation partielle d’une caisse de pensions commune (avec 343 employeurs affiliés pour 3’927 assurés actifs, soit une moyenne de 11 assurés actifs par employeur) qui fixe, en cas de résiliation du contrat d’affiliation, un nombre minimum d’assurés actifs (10% des assurés) ou d’employeurs sortants (10% des employeurs affiliés) par année comptable n’est pas conforme à l’égalité de traitement et au principe selon lequel la fortune suit les assurés. En effet, cela conduirait à refuser un cas de liquidation partielle, alors même que 4 entreprises (soit 11.5% des 35 résiliations nécessaires par des entreprises), mais entraînant la sortie de 168 assurés actifs (soit 43.5% de la taille moyenne des effectifs de 35 entreprises affiliées [168 /385]) ont quitté la caisse de pensions.
En conséquence, le règlement de liquidation partielle n’est pas annulé dans sa globalité, mais il ne doit pas être appliqué dans le cas d’espèce, la liquidation partielle devant être effectuée par l’institution de prévoyance.
Auteur : Guy Longchamp


TF 4A_707/2016 du 29 mai 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; expertise pluridisciplinaire; troubles somatoformes douloureux; art. 157, 185 al. 2, 187 al. 4 et 188 al. 2 CPC
La victime d’un accident de voiture ouvre action partielle contre l’assurance du détenteur du véhicule responsable. Les premiers juges ordonnent une expertise pluridisciplinaire et sur cette base, admettent en partie l’action. L’assurance recourt jusqu’au TF en remettant notamment en cause l’expertise.
L’assurance recourante soutenait que la jurisprudence de l’arrêt de principe 141 V 281, rendu dans le domaine des assurances sociales, serait applicable par analogie dans le domaine de la responsabilité civile : pour elle, l’expertise pluridisciplinaire ordonnée par les premiers juges ne remplissait pas les exigences de l’arrêt 141 V 281 et devait ainsi être écartée. Pour rappel, dans cet arrêt de principe 141 V 281, le TF avait modifié sa jurisprudence en abandonnant la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible. Pour des raisons de procédure, le TF ne tranche malheureusement pas la question de savoir si cet arrêt de principe est applicable dans le domaine de la responsabilité civile. En effet, sur ce point, le recours ne satisfaisait pas aux exigences de motivation ; de plus, la recourante n’était pas parvenue à démontrer que la cause soulevait une question juridique de principe ; partant, au vu de la valeur litigieuse, le recours en matière civile a été déclaré irrecevable (c. 1.2.3 et 1.4). Le TF saisit toutefois l’occasion pour souligner que le changement de jurisprudence introduit par l’ATF 141 V 281 ne justifie pas en soi de retirer toute valeur probante aux expertises rendues à l’aune de l’ancienne jurisprudence. Il convient bien plutôt de se demander si, dans le cadre d’un examen global, et en tenant compte des spécificités du cas d’espèce et des griefs soulevés, le fait de se fonder définitivement sur les éléments de preuve existants est conforme au droit fédéral. De plus, il n’appartient en principe pas au TF d’examiner une critique qui est formulée directement à l’égard d’une expertise. Il incombe en effet aux parties de formuler de telles critiques au stade de la procédure devant les instances cantonales déjà (art. 187 al. 4 CPC), afin de contester les conclusions de l’expert. Cela peut par exemple se faire à l’aide d’une expertise privée ou en soulevant des insuffisances dans l’expertise (c. 1.3).
Dans un second argument, la recourante soutenait que la jurisprudence de l’ATF 141 V 281 devait être appliquée par analogie dans le domaine de la responsabilité civile, sous peine de créer une inégalité juridique (« Rechtsungleichheit »), les exigences dans le domaine des assurances sociales n’étant alors pas les mêmes que dans le domaine de la responsabilité civile. Le TF rejette ce grief, en rappelant que c’est de toute manière le principe de la libre appréciation des preuves (art. 157 CPC) qui s’applique (c. 4.2). Dans un procès civil, les parties ont la possibilité de s’exprimer sur l’expertise et de demander que les questions soumises à l’expert soient modifiées ou complétées (art. 185 al. 2 CPC). Si le juge se fonde sur une expertise rendue dans le cadre d’une autre procédure, il doit accorder aux parties le droit d’être entendu et leur donner la possibilité de s’exprimer sur cette expertise. Si leur critique est fondée, le tribunal peut faire compléter ou expliquer un rapport lacunaire, peu clair ou insuffisamment motivé, ou faire appel à un autre expert (cf. art. 188 al. 2 CPC). Partant, dans la mesure où ces principes sont respectés, il n’y a pas de risque d’une inégalité juridique (c. 4.2.2).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg



TF 4A_26/2017 - ATF 143 III 254 du 24 mai 2017
Responsabilité du détenteur automobile; Procédure; action partielle; cumul d’actions; art. 86 et 90 CPC
A l’ATF 142 III 683, le TF avait retenu que lorsque plusieurs prétentions divisibles sont cumulées dans une action contre le même débiteur, il est nécessaire de préciser dans la demande dans quel ordre ou dans quelle mesure chacune de ces prétentions est invoquée, sachant que le CPC fédéral ne permet pas le cumul alternatif d’actions.
C’est sur la base du droit matériel qu’il convient de déterminer si le demandeur soumet au tribunal plusieurs objets litigieux distincts. Il s’agit par là de déterminer si les conclusions se fondent ou non sur plusieurs complexes de faits différents. Or, il n’est pas correct de considérer que chacune des positions du dommage corporel constitue une action indépendante qui, additionnée avec les autres, constituerait un cumul objectif d’actions. Sur le plan temporel déjà, la distinction entre perte de gain passée et perte de gain future dépend uniquement du moment où intervient le jugement. Il n’est également pas exclu qu’une perte hypothétique de gain interagisse avec un possible dommage ménager, puisque la réduction du temps de travail a un impact direct sur l’ampleur des activités déployées à la maison. Le TF en conclut que la délimitation de postes du dommage indépendants en cas de lésions corporelles n’est clairement pas possible, et qu’une appréciation séparée de chacun de ces postes n’est pas praticable, si bien que l’on ne saurait exiger du demandeur qu’il se limite à ces postes individuels du dommage sous peine de s’écarter de l’objet du litige. En réalité, en matière de lésions corporelles, le complexe de faits déterminant reste l’accident ayant causé les lésions en question.
Bien entendu, le demandeur doit alléguer suffisamment chacun des postes du dommage
(« Substanziierungspflicht »), de façon à ce que le défendeur puisse prendre correctement position sur tous les éléments de fait pertinents. Dans cette mesure, il est vrai que le demandeur doit quelque peu élargir l’état de fait, mais cela ne signifie pas qu’il fonde son action sur un autre complexe de faits que l’accident et les lésions corporelles causées par celui-ci.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne




TF 4A_702/2016 du 23 mai 2017
Assurance privée; procédure; établissement des faits; charge de la preuve; art. 247 al. 2 lit. a CPC; 8 CC
La demanderesse et recourante concluait à ce que son assurance de perte de gain soit condamnée à lui verser les indemnités dues à concurrence de la durée maximale des prestations. L’assurance avait cessé ses prestations sur la base d’une expertise privée selon laquelle la demanderesse disposait d’une capacité de travail de 100 % alors que cette dernière invoquait une expertise privée confirmant qu’elle était totalement incapable de travailler pendant la période considérée. L’autorité précédente avait retenu que les deux expertises privées n’étaient, en tant que telles, pas des moyens de preuve et qu’il incombait à la demanderesse de fournir la preuve de son incapacité de travail selon l’art. 8 CC.
Devant le TF, la recourante invoque une violation de la maxime inquisitoriale sociale consacrée à l’art. 247 al. 2 let. a CPC. Elle soutient qu’elle avait demandé la production du dossier AI devant l’autorité précédente, dossier dans lequel figurait une expertise (officielle). Or, l’autorité aurait dû étudier cette expertise AI et l’inviter à lui fournir les documents pertinents émanant de son dossier AI.
Le TF considère que le tribunal n'est soumis qu'à une obligation d'interpellation accrue. Or, comme sous l'empire de la maxime des débats, les parties doivent recueillir elles-mêmes les éléments du procès, le juge ne leur vient en aide que par des questions adéquates afin que les allégations nécessaires et les moyens de preuve correspondants soient précisément énumérés. Il ne se livre en revanche à aucune investigation de sa propre initiative. Toutefois, lorsque les parties sont représentées par un avocat, le tribunal peut et doit faire preuve de retenue, comme dans un procès soumis à la procédure ordinaire (cf. à ce sujet déjà ATF 141 III 569, c. 2.3.1 ss). En l’espèce, l’expertise AI retenait que la recourante ne pouvait plus ou que dans une moindre mesure exercer l’activité exercée jusqu’ici. Cette estimation n’était pas motivée dans l’expertise, étant donné que l’office AI ne devait déterminer que le taux de son invalidité (en l’espèce de 16 % seulement) et non pas son incapacité de travail. Le TF considère que la recourante aurait dû motiver pourquoi elle ne pouvait plus ou que dans une moindre mesure exercer l’activité exercée jusqu’ici, ceci d’autant plus que selon les conditions générales d’assurance, l’assureur n’était tenu à prestations qu’à partir d’une incapacité de travail de 25%. Selon le TF, on aurait même pu se poser la question de savoir s’il ne s’agissait pas d’une incapacité de longue durée selon les conditions générales d’assurance (7 mois jusqu’à l’arrêt des prestations) auquel cas la recourante aurait dû, de surcroît, apporter la preuve qu’il ne s’agissait non seulement d’une incapacité de travail, mais d’une incapacité de travailler dans toute autre activité raisonnablement exigible. Au vu du taux d’invalidité de 16%, l’expertise AI n’aurait donc, dans cette hypothèse, livré aucun indice qui permettait à déduire que son taux d’incapacité de travail était supérieur à 25%. En conclusion, il n’y avait pas de raison pour le tribunal d’interpeller la recourante quant à son dossier AI, ce d’autant qu’elle bénéficiait de l’assistance judicaire et était donc représentée par un avocat.
Auteur : Alexis Overney, avocat, Fribourg

TF 9C_56/2017 - ATF 143 V 114 du 23 mai 2017
Assurance-invalidité; mesures médicales; enfant de nationalité étrangère; séjour de la mère à l’étranger avant la naissance; art. 9 al. 3 et 13 LAI; OIC (ch. 387)
Un enfant de nationalité étrangère et résidant habituellement en Suisse a droit aux mesures de réadaptation de l’AI à des conditions bien précises (art. 9 al. 3 LAI). Si lui-même ne remplit pas personnellement les conditions de l’art. 6 al. 2 LAI, il faut qu’au moins un de ses deux parents compte une année entière de cotisations ou dix années de résidence ininterrompue en Suisse, et qu’il soit né invalide en Suisse, ou résidait en Suisse depuis sa naissance ou depuis une année au moins au moment de la survenance de l’invalidité. Est assimilé à un enfant né invalide en Suisse un enfant né invalide à l’étranger si sa mère n’a pas résidé à l’étranger plus de deux mois avant sa naissance.
Ce délai de deux mois doit être calculé rétroactivement à partir de la date de l’accouchement, pour être fixé au jour correspondant, deux mois plus tôt (en l’espèce, la mère ayant accouché le 7 mai, la période de deux mois a débuté le 7 mars) (c. 4.2). La notion de « résidence » doit être comprise de manière large, comme le fait de « se trouver » dans un pays étranger, et n’équivaut pas à la notion de résidence qualifiée au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA (c. 5). Le TF interprète ces conditions de manière stricte (en l’espèce, la mère était arrivée au Liban le 6 mars). Les raisons pour lesquelles la mère séjourne à l’étranger ne sont pas déterminantes.
Cette interprétation est conforme aux art. 8 et 14 CEDH (c. 5.3.2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_305/2016 - ATF 143 V 139 du 23 mai 2017
Assurance-maladie; liste des spécialités; réexamen triennal des conditions d’admission des médicaments; art. 32, 43 al. 6, 52 al. 1 lit. b LAMal; 65 ch. 3, 65d al. 1 OAMal; 35 OPAS; LS
Dans le cadre des contrôles périodiques (triennal) d’admission des médicaments figurant dans la liste des spécialités (art. 52 al. 1 lit. b LAMal), l’OFSP doit notamment examiner le critère de l’économicité. Pour ce faire, il doit, de manière générale, procéder à une comparaison, d’une part, avec les prix pratiqués au sein d’un panel de pays étrangers de référence (« Auslandpreisvergleich » ; ci-après : APV) lorsque le médicament y est commercialisé et, d’autre part avec d’autres produits qui ont une valeur thérapeutique analogue (comparaison thérapeutique, « therapeutischer Quervergleich » ; ci-après : TQV). A défaut il est admis à titre exceptionnel de se baser uniquement sur le second critère, ce qui est le cas en espèce (c. 4).
Après avoir procédé à une interprétation détaillée – principalement littérale et téléologique – de l’art. 65d al. 1 OAMal en relation avec les art. 65 ch. 3 OAMal, 32 et 43 al. 6 LAMal, le TF a suivi les argumentations retenues par l’autorité de première instance et le TAF, à savoir que l’OAMal (dans sa teneur en vigueur du 1er juin 2013) ne prévoit aucune date spécifique s’agissant du jour de l’examen des conditions d’admission des médicaments dans le cadre du système TQV, contrairement à celui de l’APV (le 1er avril de l’année de contrôle).
Notre Haute cour a confirmé que l’OFSP est habilité à prendre en considération un futur prix du médicament de comparaison, même si la modification du prix n’est pas encore entrée en force au moment de l’examen (in casu : une future baisse du prix intervenant dans l’année de comparaison). Le critère décisif est la date de la connaissance de la modification du prix du médicament de comparaison contrôlé lors de la même année (c. 5.1).
Le TF relève que le critère à prendre en considération dans cette analyse est que les données de comparaison (in casu : les prix de fabrication des médicaments) doivent être actuelles (c. 6.2.1).
Une telle interprétation des dispositions légales topiques n’est ni contraire au principe de la légalité (c. 7), ni arbitraire (c. 8), au regard de la volonté du législateur de maîtriser les coûts de la santé publique (c. 6.2.2).
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 9C_427/2016 - ATF 143 V 177 du 22 mai 2017
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations; distinction entre assuré exerçant une activité indépendante et assuré sans activité lucrative en cas de perte de l’exploitation; art. 4 al. 1 et 10 al. 2 LAVS; 6 al. 1 et 28bis RAVS
L’élément déterminant pour opérer la distinction entre indépendant et assuré sans activité lucrative est la volonté de tirer des revenus de l’activité qui doit pouvoir être attestée par les circonstances économiques concrètes (c. 3.1). Une activité purement récréative, sans caractère de gain, n’est pas une activité indépendante (c. 3.3.1). L’absence de gain plusieurs années consécutives est un indice du manque de volonté de réaliser un gain, mais n’exclut pas l’exercice d’une activité indépendante, notamment lorsque des investissements ou autres dépenses ont influencé négativement la marche des affaires (c. 3.3.2). La qualification opérée par l’administration fiscale ne lie pas les assureurs sociaux, mais les divergences devraient être évitées dans la mesure du possible (c. 3.4). Il n’existe pas de seuil précis du nombre d’années déficitaires pour que l’activité puisse être qualifiée de purement récréative. Il s’agit d’une analyse au cas par cas (c. 4.2.4). Il n’est pas correct de déterminer la nature de l’activité rétrospectivement en fonction du succès économique de l’entreprise. C’est bien plus l’absence de volonté de réaliser un gain dans un délai prévisible qui est déterminante (c. 4.2.1).
En l’espèce, selon le TF, c’est à tort que la cour cantonale a validé la requalification de l’assurée d’indépendante en personne sans activité lucrative avec effet rétroactif pour les cinq dernières années. Le nombre d’employés de l’établissement hôtelier (env. 70 chaque année plus les saisonniers) ainsi que les importants investissements financiers consentis ne permettent pas de qualifier cette activité de purement récréative, quand bien même la société a enregistré des pertes durant sept années consécutives. L’assurée devait donc cotiser à titre d’indépendante, à l’instar de ce qui avait été retenu par les autorités fiscales.
Auteure : Emilie Conti, avocate à Genève


TF 4A_679/2016 du 22 mai 2017
Assurances privées; contrat d’assurance; transfert forcé du portefeuille d’assurance; art. 62 LSA
Un assuré souscrit une police d’assurance sur la vie qui prévoie le versement d’un capital en cas de vie ou de décès garanti à concurrence de CHF 230’000 au 1er août 2018. Plus de 13 ans après la souscription de cette police, la FINMA ordonne le transfert à un autre assureur de l’ensemble du portefeuille, constatant le caractère inusuel des prestations promises. Après ce transfert, le nouvel assureur remet à l’assuré une police d’assurance prévoyant un capital garanti à hauteur de CHF 184’314 seulement en cas de vie à l’échéance du contrat le 1er août 2018.
Le preneur d’assurance saisit les tribunaux en demandant qu’il soit constaté que la compagnie d’assurance lui garantit un capital en cas de vie d’au moins CHF 230’000 et qu’elle soit condamnée à lui délivrer une police d’assurance allant dans ce sens. Les juges cantonaux ont considéré que la modification contractuelle litigieuse était imposée par la FINMA, dont la décision était entrée en force et ne pouvait plus être remise en cause du moment qu’elle n’était entachée d’aucun vice grave propre à entraîner sa nullité. Le recourant saisi le TF en invoquant deux motifs de nullité.
Il fait valoir d’une part que la FINMA n’a pas la compétence de modifier le contenu des contrats d’assurance transférés à l’assureur reprenant. D’autre part, le droit de résiliation extraordinaire prévu par l’art. 62 al. 3 LSA serait réservé au transfert de portefeuille volontaire. Le TF estime que la FINMA était bel et bien l’autorité compétente pour ordonner le transfert forcé de portefeuille. Selon le TF, se pose tout au plus la question de la marge de manœuvre que lui confère l’art. 62 al. 2 LSA en énonçant que cette autorité « détermine les conditions » du transfert. Bien que certains auteurs lui dénient la possibilité de modifier les contrats d’assurance et que le TF reconnaisse que cette question mérite d’être discutée, il est exclu, pour la Haute Cour, d’y voir un motif de nullité absolue, réservée à des vices graves et manifestes.
Il en est de même du droit de résiliation extraordinaire (art. 62 al. 3 LSA). Le TF fait valoir que si la modification des contrats d’assurance doit être reconnue, il paraît logique de l’assortir d’un droit de résiliation.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 9C_89/2017 du 19 mai 2017
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations; salaire déterminant; revenu du capital; art. 4 et 5 LAVS; 7 lit. c et 23 RAVS
Le salaire déterminant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS comprend toute rémunération économiquement liée au rapport de travail. En revanche, un pur rendement du capital investi n’est pas soumis à cotisation. La qualification juridique ou économique de la prestation n’est pas décisive ; ainsi la somme prélevée sur le bénéfice net d’une société, par exemple un tantième (art. 7 let. h RAVS), est considérée comme un salaire s’il s’agit d’une rémunération qui trouve son fondement dans l’activité déployée par l’administrateur et sa responsabilité accrue.
Quand une société verse des dividendes à des salariés, il convient de s’en tenir à l’appréciation de l’autorité fiscale (art. 23 LAVS). La caisse de compensation ne peut s’en écarter que si, d’une part, le salaire est excessivement bas en considérant la même activité fournie par un tiers et, d’autre part, le dividende est manifestement trop élevé par rapport à la valeur économique effective du capital investi (c. 4.2). Des prélèvements privés ou prêts à l’actionnaire ne constituent en principe pas un salaire déterminant ; mais la jurisprudence a fait une exception dans un cas où l’associé-gérant recevait des montants très importants alors que sa part au capital social était beaucoup plus basse que celle de l’autre associé, lequel ne prélevait rien (c. 5.3.1).
Dans la présente affaire, on ne sait pas si le salaire brut de CHF 60'000.- versé à chacun des époux actionnaires correspond effectivement à un taux d’activité partiel de 50%, comme le prétend la société recourante. Cela ne permet pas de juger si ces salaires sont excessivement bas, par comparaison avec les salaires usuels de la branche. La cause est donc renvoyée à la juridiction cantonale pour complément d’instruction (c. 5.4).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 9C_612/2016 - ATF 143 V 219 du 16 mai 2017
Prévoyance professionnelle; notion d’insolvabilité; art. 25 OFG
Une caisse de pensions de rentiers présente un degré de couverture oscillant depuis 2008 entre 85 et 91%, mais verse régulièrement les prestations légales et réglementaires.
Le TF, comme le TAF, estiment que, dans une telle situation, et nonobstant le fait qu’en présence d’une caisse de rentiers, les mesures d’assainissement sont inexistantes, les conditions de l’insolvabilité selon l’art. 25 al. 1 OFG ne sont pas réunies. Les délais de 7 à 10 ans fixés par les Directives du Conseil fédéral du 27 octobre 2004 concernant des mesures destinées à résorber les découverts dans la prévoyance professionnelle n’ont pas force de loi et ne lient pas les juges fédéraux.
En conséquence, les décisions de l’autorité de surveillance bernoise et du Fonds de garantie sont annulées car prématurées : tant et aussi longtemps que la caisse de rentiers paie les prestations légales et réglementaires, il n’y a pas d’insolvabilité et une intervention préventive n’est pas justifiée.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_5/2017 du 11 mai 2017
Assurance-invalidité; caractère invalidant des troubles dépressifs légers et moyens; art. 7 LPGA
Le TF rappelle sa jurisprudence selon laquelle les troubles dépressifs de gravité légère à moyenne ne sont considérés comme invalidant que s’ils résistent à un traitement médical entrepris lege artis. En cas de trouble de gravité moyenne, l’examen de son caractère invalidant doit faire l’objet d’un examen minutieux. On ne peut pas sans autres partir du présupposé que ces troubles sont à même d’entraîner une incapacité de gain durable. Au contraire, il faut que les options thérapeutiques aient été épuisées, de telle sorte que l’on puisse parler de résistance au traitement (c. 5.2).
Lorsqu’il ressort de l’instruction (in casu une expertise) que l’état de santé de l’assuré pourrait s’améliorer moyennant un traitement médical adéquat, traitement auquel ce dernier ne s’est pas spontanément soumis jusqu’ici, l’assureur social n’a pas à lui impartir un délai pour entreprendre le traitement en lui indiquant les conséquences d’un refus. En effet, il ne s’agit pas ici d’une violation de l’obligation de collaborer, mais de l’examen des conditions matérielles du droit à la rente, analyse dans laquelle le comportement de la personne assurée ne joue aucun rôle (c. 5.3).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_605/2016 et 9C_606/2016 du 11 mai 2017
Assurance invalidité; allocation pour impotent; notion de domicile; infirmité congénitale; art.4 al. 2, 9 al. 3, 42bis al. 3 LAI; 37 al. 4 RAI; 9 et 13 LPGA; 23 CC
Le TF confirme le rejet d’une demande d’allocation pour impotent déposée en faveur de jumeaux d’origine érythréenne nés le 25 août 2012 au bénéfice d’une admission provisoire (permis F).
Le besoin en soins allant au-delà de celui d’un enfant mineur du même âge existe depuis la naissance des jumeaux, qui sont atteints d’une infirmité congénitale. C’est à ce moment que l’invalidité est survenue. Les parents n’étaient alors domiciliés en Suisse que depuis un peu plus de deux mois et n’avaient ainsi pas cotisé une année entière au moment de la survenance de l’invalidité.
Nonobstant le fait que des étrangers qui sont admis en Suisse à titre provisoire (permis F) ne bénéficient en principe pas du statut de réfugié, ils doivent être considérés comme ayant un domicile civil en Suisse au sens de l’art. 23 CC (en corrélation avec l’art. 13 al. 1 LPGA). En effet, la majorité d’entre eux résident en Suisse non pas temporairement mais durablement, du fait qu’un renvoi dans leur pays d’origine serait illicite ou que leur retour ne peut pas être raisonnablement exigé, par exemple pour des raisons médicales (art. 83 al. 4 LEtr).
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 9C_531/2016 du 11 mai 2017
Assurance-vieillesse et survivants; restitution de prestations; art. 25 al. 1 LPGA; 2 OPGA
La mère qui a reçu une rente d’orphelin à laquelle son enfant majeur n’avait pas droit est tenue à restitution. La rente n’a pas été reversée à l’enfant mais a permis à sa mère de subvenir à l’entretien de celui-ci. La mère en a donc directement bénéficié dans la mesure où elle aurait dû s’acquitter, en fonction de sa capacité financière, des frais d’entretien et de formation auxquels la rente d’orphelin a été affectée. La mère ne peut ainsi pas être considérée comme un simple service d’encaissement (c. 4).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

TF 9C_711/2016 - ATF 143 V 130 du 9 mai 2017
Assurance-maladie; traitement non homologué; utilité thérapeutique; économicité; art. 32 LAMal; 71a al. 1 lit. b et 71b al. 2 OAMal
Comme condition de sa prise en charge au sens de l’art. 32 LAMAL, le traitement, non homologué par Swissmedic, mais dans un Etat ayant un système d’évaluation équivalent, et ne faisant pas partie de la liste des spécialités (art. 71b al. 2 OAMAL), doit être reconnu comme ayant une valeur thérapeutique élevée.
Au sens de l’art. 71a al.1 lit. b OAMAL, une utilité thérapeutique élevée doit aussi être démontrée dans le cas concret. Même si le traitement en cause est le seul traitement existant, une pesée d’intérêt doit être opérée entre les bénéfices et les coûts du traitement (ATF 142 V 26). Plus le coût du traitement est élevé, plus son utilité doit être importante. Le TF revient sur son arrêt publié à l’ATF 142 V 144, selon lequel on pouvait en principe renoncer à l’examen de l’économicité du traitement en l’absence d’un autre soin approprié et efficace.
La cause est renvoyée à l’autorité cantonale pour procéder à une nouvelle appréciation de l’utilité thérapeutique par le biais d’une expertise médicale.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 8C_527/2016 - ATF 143 V 148 du 8 mai 2017
Assurance-accident; moyens auxiliaires; art. 11, 19 al. 1 et 21 al. 1 LAA
Des ajustements de lunettes et des contrôles de l’acuité visuelle représentent des moyens auxiliaires au sens de l’art. 11 LAA (c. 4). La notion de traitement médical aux termes de l’art. 19 al. 1 2ème phrase LAA n’englobe pas celle de moyens auxiliaires, de sorte que le refus d’une rente n’entraîne pas nécessairement la fin de la prise en charge de tels moyens auxiliaires par l’assureur accident (c. 5 à 6.2). L’art. 21 al. 1 LAA ne concerne que l’octroi initial d’une prestation et non le maintien, après la clôture du cas, d’une prestation accordée avant cette clôture (c. 6.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne


TF 4A_16/2017 du 8 mai 2017
Assurances privées; assurance perte de gain en cas de maladie LCA; preuve de l’incapacité de travail; art. 41 LCA; 150 ss et 168ss CPC
Tout en admettant que l’assurance collective perte de gain en cas de maladie ne disposait pas de suffisamment d’éléments pour mettre un terme à ses prestations en novembre 2012, l’instance cantonale saisie par l’assuré n’a que partiellement admis sa demande en paiement. La cour cantonale a considéré que la défenderesse n’avait présenté une appréciation d’un médecin spécialiste consulté par la compagnie (sans examen de l’assuré) qu’au mois de mai 2013 et que ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle avait la possibilité de nier la poursuite de la prise en charge de l’incapacité de travail de l’assuré et de son droit aux prestations.
Le TF considère que l’appréciation de la spécialiste consultée par la compagnie est peu convaincante; qu’elle ignore même l’avis du médecin spécialiste qui avait traité l’assuré et qu’elle ne pouvait décemment affirmer qu’une expertise médicale externe ne ferait que confirmer la pleine capacité de travail de l’assuré (c. 2.7).
L’assureur s’était contractuellement réservé le droit de solliciter un examen de l’assuré par un second médecin ou par son médecin-conseil, si bien qu’il ne pouvait pas mettre un terme à ses prestations en renonçant à ces démarches, alors même l’assuré avait rempli de son côté ses obligations contractuelles. La cause est renvoyée à l’instance cantonale pour un complément d’instruction (c. 3).
Par ailleurs, le TF confirme qu’une sommation pour le paiement des prestations à l’échéance du délai de quatre semaines (art. 41 al. 1 LCA) n’est pas nécessaire dans le cas où l’assureur a définitivement nié le droit à celles-ci. La cour cantonale a estimé que le refus définitif avait été notifié le 27 mai 2013, alors même que le droit aux prestations est nié à partir du 1er décembre 2012. C’est bien cette dernière date qui fera foi selon le TF (c. 3.1).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 6B_531/2016 du 5 mai 2017
Responsabilité aquilienne; procédure; qualité de lésé et qualité pour recourir contre une ordonnance de classement; art. 115 et 382 CPP
A qualité pour recourir toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation ou à la modification d’une décision (art. 382 CPP). Tel est le cas du lésé qui s’est constitué demandeur au pénal, indépendamment d’éventuelles conclusions civiles. La notion de lésé est définie à l’art. 115 CPP. Il s’agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En principe seul le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte peut se prévaloir d’une atteinte directe. Si la disposition pénale protège en première ligne des biens juridiques collectifs, il suffit que le bien juridique individuel dont le lésé invoque l’atteinte soit protégé secondairement ou accessoirement. En revanche, celui dont les intérêts privés ne sont atteints qu’indirectement par une infraction qui ne lèse que des intérêts publics n’est pas lésé au sens du droit de procédure pénale.
Les dispositions pénales de la LNI, à l’instar de la LCR, protégeant avant tout un intérêt public, soit la sécurité de la navigation, et tout au plus l’intégrité corporelle des usagers, mais non le patrimoine de ceux-ci, un dommage purement matériel survenu à la suite d’une violation des règles de la navigation ou de la LCR ne représente pas une atteinte directe à un droit individuel au sens de l’art. 115 CPP, mais uniquement une conséquence indirecte de l’infraction. Par ailleurs, les dommages à la propriété au sens de l’art. 144 CP commis par négligence ne sont pas punissables.
Le recourant n’ayant subi qu’un dommage matériel – les infractions de lésions corporelles sur sa personne, de voies de faits intentionnelles et de dommages à la propriété intentionnels qu’il faisait valoir ayant d’emblée été écartées faute d’allégations et celle de lésions corporelles sur des tiers ne le touchant pas directement dans ses droits, c’est à juste titre que la cour cantonale lui a dénié la qualité de lésé et, partant, la qualité pour recourir (recours irrecevable).
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 6B_1199/2016 du 4 mai 2017
Responsabilité aquilienne; violation du secret professionnel; médecin-conseil; art. 321 CP; 328b CO; 57 LAMal
Les connaissances et les capacités dont doit faire preuve un médecin-conseil ne différent pas de celles que doit employer un médecin qui est consulté directement par un patient. Le médecin-conseil reste soumis au secret professionnel à l’égard de l’employeur (c. 1.2.) ; le TF considère que l’art. 328b CO permet à l’employeur de traiter des données concernant le travailleur mais uniquement si celles-ci portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail. Ainsi, le TF considère que le médecin-conseil n’avait pas à transmettre l’intégralité de son analyse à l’employeur. Le TF se réfère aussi au Manuel de formation au cabinet médical FMH (Praxisleitfaden FAMW/FMH) qui prévoit qu’un médecin-conseil ne doit transmettre que le moment auquel l’incapacité de travail a commencé, sa durée, son étendue et son origine (maladie ou accident). Puisqu’en outre l’employé n’avait délié le médecin-conseil que pour établir un certificat destiné à l’employeur, le médecin-conseil a bien violé son devoir de garder le secret (c. 2.2 et 2.3) ; sur le plan subjectif, le TF considère que ce médecin-conseil expérimenté connaissait les directives FMH qui nécessitent le consentement spécifique de l’employé (« informed consent ») pour transmettre des informations sensibles. Il a par ailleurs remis à l’employeur des informations qui n’avait aucune pertinence pour juger de l’incapacité du travailleur, telles que sa situation financière et personnelle. Le TF retient donc la commission par dol éventuel (c. 3.1. et 3.2). A noter la distinction avec la transmission d’informations d’un médecin-conseil à l’égard d’un assureur qui reste soumise à l’art. 57 LAMal (c. 3.1.).
Auteure : Rébecca Grand, avocate à Lausanne


TF 9C_163/2017 du 2 mai 2017
Assurance-invalidité; rente d’invalidité; revenu de valide; absence de connaissances professionnelles suffisantes; art. 28a al. 1 LAI; 26 RAI; 16 LPGA
Pour l’évaluation de l’invalidité d’un assuré exerçant une activité lucrative, le revenu qu’il pourrait obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. La différence permettant de calculer le taux d’invalidité (art. 16 LPGA).
En vertu de l’art. 28a al. 1 LAI, l’art. 16 LPGA s’applique à l’évaluation de l’invalidité des assurés exerçant une activité lucrative. Le Conseil fédéral fixe le revenu déterminant pour l’évaluation de l’invalidité. L’art. 26 RAI prévoit des règles particulières pour les assurés qui ont été empêchés, à cause de leur invalidité, d’acquérir des connaissances professionnelles suffisantes (al. 1) ou d’achever leur formation professionnelle (al. 2). Pour ce second cas, l’art. 26 al. 2 RAI prévoit que lorsque l’assuré a été empêché par son invalidité d’achever sa formation professionnelle, le revenu qu’il pourrait obtenir s’il n’était pas invalide est le revenu moyen d’un travailleur de la profession à laquelle il se préparait.
Le point de savoir s’il est possible de s’écarter du revenu moyen prévu par l’art. 26 al. 2 RAI pour prendre en considération un salaire particulier, concrètement réalisé par une tierce personne active dans la branche professionnelle dont il est question, comme le souhaite en fin de compte le recourant, peut rester indécis. En effet, la seule affirmation du recourant qu’il aurait réalisé en 2012 un salaire identique à celui obtenu par son père, alors employé et administrateur du garage, n’est pas suffisante pour établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré aurait obtenu un salaire supérieur au salaire moyen prévu par l’art. 26 al. 2 RAI.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

TF 4A_657/2016 du 28 avril 2017
Assurances privées; fin de l’assurance-maladie collective; contrat de durée déterminée; art. 334 CO
Le TF rappelle qu’un contrat de durée déterminée prend fin sans qu’il soit nécessaire de donner congé. Il prend ainsi fin à l’échéance d’une date fixée préalablement par les parties ou peut aussi prendre fin au terme d’un événement (art. 334 CO).
L’assuré au bénéfice d’une assurance-maladie collective bénéficie de celle-ci tout au long de son contrat de travail. La couverture d’assurance-maladie collective s’achève cependant à la fin du contrat de travail.
Si l’assuré n’a pas fait usage de son droit de passage dans l’assurance individuelle après la fin du contrat de travail, celui-ci n’est plus assuré et tout risque survenant postérieurement au terme du contrat de travail ne sera pas pris en charge.
Dans cette affaire, l’assuré croyait, à tort, être au bénéfice d’un contrat de durée indéterminée. Le contrat de durée déterminée a pris fin alors que l’assuré n’avait pas fait usage de son droit de passage dans l’assurance individuelle. L’assuré s’est ainsi vu refuser tout droit à des indemnités journalières pour un sinistre survenu après la fin du contrat de travail.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 6B_1211/2016 du 26 avril 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute; refus de priorité et sanction pénale; art. 26 al. 1, 58 al. 1 et 61 al. 1 LCR
Un motocycliste roulant sur une route principale se fait couper la route par le conducteur d’une voiture circulant sur la même artère mais en sens inverse et qui voulait obliquer à gauche pour se rendre dans une rue perpendiculaire. Il en a résulté d’importantes lésions pour le motocycliste au niveau de ses membres inférieurs.
Nonobstant le fait que le conducteur de la voiture ait refusé la priorité au motocycliste, le TF a confirmé le jugement de la dernière instance cantonale, soit l’absence de lésions corporelles par négligence et de sanction pénale (art. 125 al. 1 CP). En outre, les indemnisations civiles accordées par la première instance (CHF 4’500.- au total) ont été annulées. En effet, le motocycliste roulait de nuit sur un tronçon de cette route qui était assez mal éclairé avec un phare avant défectueux. Le fait qu’il portait un casque blanc; que le conducteur de la voiture aurait dû être attentif à la circulation venant en sens inverse avant de bifurquer ou que la moto produisait un bruit que le conducteur de la voiture aurait dû entendre sont des arguments du motocycliste que le Tribunal fédéral n’a pas retenus. En définitive, du fait que le motocycliste n’était difficilement reconnaissable dans le cas d’espèce, aucune violation de l’art. 26 al. 1 LCR de la part du conducteur de la voiture n’a été constatée (c. 3.3.1 et c. 3.3.2).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinge

TF 4A_562/2016 du 26 avril 2017
Assurances privées; contrat d'assurance, déclaration obligatoire en cas de sinistre; art. 38, 45 et 61 LCA
Tout ayant droit doit aviser l’assureur aussitôt qu’il a eu connaissance du sinistre et de son droit à des prestations d’assurance ; s’il omet fautivement de donner cet avis, l’assureur a le droit de réduire l’indemnité à la somme qu’elle comporterait si la déclaration avait été faite à temps (art. 38 LCA). Il est en outre obligé de faire tout ce qui est en son pouvoir pour restreindre le dommage, dès la réalisation du cas d’assurance (art. 61 LCA).
Ces dispositions légales ne sont pas impératives. Les parties peuvent préciser, voire aggraver, les obligations légales de l’ayant droit et remplacer la réduction des prestations par l’extinction complète du droit aux prestations en cas de violation fautive de ses incombances. Cependant, lorsqu’une telle clause a été stipulée dans les CGA, la sanction envisagée n’est pas encourue s’il résulte des circonstances que la faute n’est pas imputable à l’ayant droit (art. 45 LCA). D’après la jurisprudence, il n’y a pas de violation fautive si des causes objectives, ou du moins non imputables à l’assuré – telles que la maladie, l’impossibilité de produire une preuve, le comportement de l’assureur, de son agent ou de services de l’administration, ont empêché l’assuré de respecter ses obligations.
En l’espèce, le TF considère qu’une assurée, en annonçant un sinistre en février 2011 seulement, après avoir entrepris par elle-même des démarches tendant à la pose d’implants dentaires ainsi qu’à des soins ultérieurs dus à une complication d’ordre médical auprès de différentes cliniques entre août 2009 et octobre 2010, a objectivement failli à son obligation d’avis immédiat et à son obligation de sauvetage. De ce fait, l’assureur n’a pas été en mesure prendre toutes les dispositions utiles visant à réduire le dommage.
La violation des incombances est jugée, dans le cas particulier, comme étant intervenue de manière fautive, l’assurée n’ayant pas démontré pouvoir se prévaloir d’un empêchement constant de gérer ses affaires comme allégué (en particulier en adressant à son assurance un simple avis de sinistre). L’assureur était ainsi en droit d’appliquer la clause de déchéance des droits, telle que prévue par les CGA, et par conséquent de refuser toute prestation.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 4A_562/2016 du 26 avril 2017
Assurances privées; contrat d'assurance, déclaration obligatoire en cas de sinistre; art. 38, 45 et 61 LCA
Tout ayant droit doit aviser l’assureur aussitôt qu’il a eu connaissance du sinistre et de son droit à des prestations d’assurance ; s’il omet fautivement de donner cet avis, l’assureur a le droit de réduire l’indemnité à la somme qu’elle comporterait si la déclaration avait été faite à temps (art. 38 LCA). Il est en outre obligé de faire tout ce qui est en son pouvoir pour restreindre le dommage, dès la réalisation du cas d’assurance (art. 61 LCA).
Ces dispositions légales ne sont pas impératives. Les parties peuvent préciser, voire aggraver, les obligations légales de l’ayant droit et remplacer la réduction des prestations par l’extinction complète du droit aux prestations en cas de violation fautive de ses incombances. Cependant, lorsqu’une telle clause a été stipulée dans les CGA, la sanction envisagée n’est pas encourue s’il résulte des circonstances que la faute n’est pas imputable à l’ayant droit (art. 45 LCA). D’après la jurisprudence, il n’y a pas de violation fautive si des causes objectives, ou du moins non imputables à l’assuré – telles que la maladie, l’impossibilité de produire une preuve, le comportement de l’assureur, de son agent ou de services de l’administration, ont empêché l’assuré de respecter ses obligations.
En l’espèce, le TF considère qu’une assurée, en annonçant un sinistre en février 2011 seulement, après avoir entrepris par elle-même des démarches tendant à la pose d’implants dentaires ainsi qu’à des soins ultérieurs dus à une complication d’ordre médical auprès de différentes cliniques entre août 2009 et octobre 2010, a objectivement failli à son obligation d’avis immédiat et à son obligation de sauvetage. De ce fait, l’assureur n’a pas été en mesure prendre toutes les dispositions utiles visant à réduire le dommage.
La violation des incombances est jugée, dans le cas particulier, comme étant intervenue de manière fautive, l’assurée n’ayant pas démontré pouvoir se prévaloir d’un empêchement constant de gérer ses affaires comme allégué (en particulier en adressant à son assurance un simple avis de sinistre). L’assureur était ainsi en droit d’appliquer la clause de déchéance des droits, telle que prévue par les CGA, et par conséquent de refuser toute prestation.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 6B_1163/2016 du 21 avril 2017
Responsabilité aquilienne; faute, normes techniques; art. 41 CO; 222 al. 1 CP
Dans cette affaire, où un ouvrier a déclenché un incendie en effectuant des travaux de soudure sur le toit à seulement 50 cm de matières qui se sont avérées inflammables, le TF, après avoir écarté le grief d’absence d’interprète lors de l’audition par la police, a retenu qu’étaient décisives en premier lieu les normes ou directives spécifiques en la matière (in casu VKF ou AEAI). Même si un cas de figure précis n’est pas forcément expressément réglé par une disposition, ces directives, parfois formulées de manière générale, gardent toute leur importance pour juger quel comportement est négligent ou non.
En l’espèce, l’ouvrier aurait dû protéger les matières inflammables ou se tenir plus éloigné de celles-ci avec son chalumeau.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne

TF 4A_631/2016 du 21 avril 2017
Assurances privées; perte de gain maladie; nullité du contrat; liberté de l’assureur de déterminer le risque assuré; art. 9 LCA
Un assuré requiert le versement d’indemnités journalières de son assureur perte de gain en cas de maladie en raison d’une incapacité de travail et de gain survenue un mois après son engagement. Il souffre d’un trouble schizo-affectif qui avait déjà causé une incapacité de travail deux ans auparavant.
En vertu de l’art. 9 LCA, le contrat d’assurance est nul sous réserve des cas prévus à l’art. 100 al. 2 LCA si, au moment où il a été conclu, le risque avait déjà disparu ou si le sinistre était déjà survenu. A l’ATF 142 III 671, le TF a relevé qu’en matière d’assurance perte de gain en cas de maladie, l’incapacité de travail est généralement considérée comme cas d’assurance et l’incapacité de gain – respectivement l’incapacité de travail – comme événement assuré. Le TF ne qualifie pas la maladie en tant que telle comme cas d’assurance, mais seulement l’incapacité de travail (c. 2.1). Par conséquent, l’événement assuré ne survient que lorsqu’une maladie entraîne une incapacité de travail.
Il ressort du message concernant la LCA (FF 1904 I 311) que l’assureur a toute liberté pour fixer l’étendue et les conditions de sa responsabilité. L’assureur seul est à même d’apprécier si et dans quelles conditions les risques dont la probabilité ne peut être calculée peuvent être compris dans l’assurance. Mais l’assureur doit indiquer d’une manière claire et non équivoque les risques dont il n’entend pas être chargé. Ainsi, le risque assuré ne peut pas être déterminé indépendamment du contrat d’assurance. Au contraire, il y a tout d’abord lieu d’interpréter le contrat d’assurance pour savoir quel est le risque assuré. Il faut ensuite examiner si ce risque (respectivement l’événement assuré) était déjà survenu au moment de la conclusion du contrat, auquel cas le contrat est nul (c. 2.2).
En l’espèce, la police d’assurance collective prévoit notamment que les maladies préexistantes sont assurées sous réserve des exclusions contenues dans les conditions générales d’assurance. Il en découle que, dans le calcul de ses primes, l’assureur a tenu compte du fait qu’une maladie préexistante pouvait déclencher des prestations de sa part. L’événement assuré n’est donc pas la survenance de la maladie, mais bien la survenance d’une incapacité de travail liée à une maladie, indépendamment de la question de savoir quand cette dernière a été diagnostiquée ou s’est manifestée pour la première fois (c. 2.3). Au vu de ce qui précède, le TF a admis le recours de l’assuré et renvoyé la cause au TC pour complément d’instruction.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 9C_776/2016 du 20 avril 2017
Assurance-maladie; polypragmasie, restitution, exclusion de la pratique à la charge de l’assurance obligatoire des soins; art. 56 et 59 LAMal
Une doctoresse avait été condamnée par le TF (9C_821/2012 du 12 avril 2013) à restituer à des assureurs-maladie les sommes de CHF 59’722.10 pour 2004, CHF 12’208.75 pour 2005, CHF 30’575 pour 2006 et CHF 27’978.10 pour 2007. Cette même praticienne contestait devant le Tribunal fédéral devoir rembourser pour les années 2010 (CHF 39’683.10), 2011 (CHF 1’256), 2012 (CHF 87’174) et 2013 (CHF 67’721). La Haute Cour a confirmé le bien-fondé de l’obligation de restituer les montants précités, dès lors que la polypragmasie était avérée et que la prestataire de soins n’avait absolument pas modifié ses pratiques depuis le premier jugement.
Par ailleurs, les juges fédéraux ont confirmé l’exclusion de la doctoresse à pouvoir pratiquer à la charge de l’assurance obligatoire des soins pour une durée de six mois. Cette exclusion temporaire n’apparaissait aucunement disproportionnée, au regard de sa pratique dispendieuse, aussi bien dans sa durée que dans son importance.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_661/2016 du 19 avril 2017
Assurance-invalidité; moyens auxiliaires; obligation de diminuer le dommage; liberté d’établissement; pesée des intérêts; art. 8 et 21 LAI; 2 OMAI
Une assurée paraplégique sollicite la prise en charge de moyens auxiliaires consistant dans la modification de la cuisine de son nouveau logement à raison de CHF 6'480.-. Dans le cadre de l’octroi de moyens auxiliaires, il incombe à l’administration de procéder à une pesée des intérêts entre l’intérêt général à une gestion économique et rationnelle de l’assurance et le droit de chacun au respect de ses droits fondamentaux. La question de savoir quel est l’intérêt qui doit l’emporter dans un cas particulier ne peut être tranché une fois pour toute. Plus la mise à contribution de l’assureur est importante, plus les exigences posées à l’obligation de réduire le dommage devront être sévères. L’obligation de diminuer le dommage s’applique, mais le point de savoir si une mesure peut être exigée d’un assuré pour atténuer les conséquences de son invalidité doit être examiné au regard de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret. On doit pouvoir exiger de celui qui requiert des prestations qu’il prenne toutes les mesures qu’une personne raisonnable prendrait dans la même situation, si elle devait s’attendre à ne recevoir aucune prestation d’assurance (c. 2.3).
Dans le cas d’espèce, le TF considère que l’assurée anticipe par son déménagement les conséquences d’une future aggravation de ses problèmes de santé susceptibles de rendre son ancien appartement inadapté. Malgré cela, la question doit être tranchée par une pesée des intérêts entre la gestion économique de l’assurance et la liberté d’établissement de l’assurée. Le TF accorde la mesure sollicitée en considérant notamment que l’assurée n’est pas coutumière de fréquents changements de domicile et que les dernières adaptations de son ancien appartement financées par l’assurance avaient eu lieu en 1996, puis en 2005. Le coût de l’intervention initialement sollicitée s’élevait à Fr. 7'310.-, de sorte qu’il s’agit d’une prestation unique qui n’apparaît ni trop coûteuse, ni déraisonnable. Le motif du changement de domicile, même s’il a trait à une adaptation future des circonstances n’apparaît pas excessif ou abusif. De la sorte, l’assurée ne met pas l’assurance sociale à contribution dans une mesure disproportionnée en requérant des prestations qui lui permettent d’exercer son droit à la liberté de choisir le lieu de son domicile, qui doit ainsi primer en l’espèce (c. 4.2).
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 8C_542/2016 du 18 avril 2017
Assurance-chômage; détermination du gain assuré en cas de variation de l’horaire de travail, période de référence; art. 23 al. 1 LACI; 37 al. 3bis OACI
En cas de chômage, la période de référence pour le calcul du gain assuré est réglée à l’art. 37 OACI. En cas d’importante variation du nombre d’heures de travail entre les saisons d’été et d’hiver, il faut appliquer l’article 37 al. 3bis OACI. Cela peut avoir pour conséquence de réduire le salaire effectivement perçu durant la période déterminante jusqu’à concurrence de la moyenne annuelle de l’horaire de travail convenu contractuellement. En d’autres termes, si le salaire moyen effectivement perçu durant la période en cause est supérieur au salaire mensuel calculé en fonction de la moyenne de l’horaire de travail convenu contractuellement, il doit être ramené à ce dernier montant.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 6B_792/2016 du 18 avril 2017
Responsabilité civile; répartition des frais, indemnité et tort moral; art. 426 al. 2 et 430 al. 1 let. a CPP
Selon l’art. 426 al. 1 CPP, le prévenu supporte les frais de procédure s’il est condamné. Lorsque la procédure fait l’objet d’une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, toute ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s’il a de manière illicite et fautive provoqué l’ouverture ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 426 al. 2 CPP). Selon la jurisprudence du TF, la mise en charge des frais en cas de classement ou d’acquittement est contraire au principe de la présomption d’innocence s’il est reproché directement ou indirectement au prévenu d’avoir commis une infraction dans les considérants de la décision de classement. En pareil cas, la mise à charge des frais est assimilée à un soupçon d’infraction. En revanche, il est admissible de faire supporter les frais à un prévenu qui n’a pas été condamné pénalement si, sur un plan civil, on pourrait lui reprocher, dans un sens analogue à l’application des principes découlant de l’art. 41 CO, d’avoir transgressé une norme de comportement écrite ou non-écrite et qu’il en découle qu’il a clairement violé cette rège et, de manière illicite et fautive, provoqué l’ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci. En pareilles circonstances, la mise à sa charge des frais ne peut se fonder que sur des circonstances incontestables ou clairement établies. Il doit y avoir un lien de causalité adéquate entre le comportement civilement répréhensible et les frais de procédure et d’instruction. Le tribunal qui statue sur les faits doit déterminer dans quelle mesure le prévenu a clairement contrevenu à une norme de comportement de manière inadmissible sur le plan civil. Ces principes valent aussi pour déterminer si une indemnité ou une réparation pour tort moral doivent être diminuées ou refusées en application de l’art. 430 al. 1 let. a CPP. La question de l’indemnité est influencée par la décision sur les frais. En cas de mise des frais à la charge du prévenu, il n’y a en principe pas d’indemnité économique ni pour frais de défense ni pour tort moral.
En l’espèce, la motivation du ministère public relative à la répartition des frais dans sa décision de classement ne viole pas le principe de la présomption d’innocence. Le prévenu acquitté n’est prévenu ni directement ni indirectement d’avoir commis une infraction pénale. Il ne lui est pas reproché d’avoir commis d’infraction ni d’avoir évité la condamnation en raison de la prescription. La mise à sa charge des frais de procédure est justifiée par le fait que le prévenu acquitté a par son comportement répréhensible sur le plan civil provoqué l’ouverture de la procédure. En l’espèce, le médecin frappé d’une interdiction de pratiquer a eu après la sanction administrative un comportement contraire aux règles de la bonne foi et a géré ses affaires de manière trompeuse et déloyale pour ses concurrents et pour les patients potentiels en continuant à offrir des prestations médicales en adoptant un comportement contraire à l’art. 2 CC ainsi qu’à l’art. 2 LCD.
Le recours formé par le ministère public est bien fondé, la décision attaquée étant annulée et la cause renvoyée pour nouveau jugement à l’autorité de première instance. Cette dernière est invitée à corriger sa constatation erronée des faits puis à examiner une nouvelle fois l’obligation de supporter les coûts de la procédure par le prévenu acquitté ainsi que les prétentions de ce dernier à une indemnité et à la réparation pour tort moral. En particulier, les premiers juges devront examiner si dans la décision de classement, il est fait état d’un comportement civilement répréhensible et si le prévenu a de manière illicite et fautive provoqué l’ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 9C_795/2016 du 12 avril 2017
Congé de maternité; travail dans l’entreprise du mari; art. 16b LAPG; 10 et 12 LPGA
L’assurée qui déclare travailler en tant que salariée dans l’entreprise de son mari et qui est titulaire d’un compte commun avec ce dernier doit apporter des indices suffisants permettant de conclure, avec un degré de vraisemblance prépondérante, qu’elle a reçu un salaire en espèce individualisable durant au moins cinq mois.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 9C_598/2016 du 11 avril 2017
Assurance-vieillesse et survivants; moyens auxiliaires, droit acquis; art. 43quater et 66ter LAVS; 2 et 4 OMAV; ch. 5.07.2 annexe OMAI
Un assuré AI a atteint l’âge AVS. Il bénéficiait d’appareils auditifs pour un montant supérieur à celui prévu par l’annexe de l’OMAI. Le TF estime qu’il a droit à ces prestations également après avoir atteint l’âge AVS, car il bénéficie d’un droit acquis fondé sur l’art. 4 OMAV. Cela correspond également au ch. 1003 CMAV.
Certes, l’annexe à l’OMAI a été modifiée. Il n’en reste pas moins que son droit reste fondé sur le ch. 5.07.2 du texte actuel de cette annexe, qui prévoit la possibilité d’octroyer des forfaits supérieurs pour un appareillage monaural ou binaural. En effet, ce nouveau chiffre n’apporte pas de changement au moyen auxiliaire « appareil auditif », également en ce qui concerne les cas de rigueur (c. 2.3). Le TF se réfère également à sa jurisprudence développée dans l’arrêt 9C_474/2012.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

TF 8C_214/2017 du 10 avril 2017
Assurance-chômage; prétention en restitution; subrogation de la caisse de chômage; art. 29 al. 1 et 2 LACI
La caisse de chômage a demandé à un assuré la restitution d’un montant de CHF 10'599.35 d’indemnités versées, car celui-ci a obtenu le paiement de l’entier de son salaire suite à une procédure contre son ancien employeur.
Aux termes de l’art. 29 al. 1 LACI, si la caisse a de sérieux doutes que l’assuré ait droit, pour la durée de la perte de travail, au versement par son ancien employeur d’un salaire ou d’une indemnité au sens de l’art. 11 al. 3 LACI, ou que ces prétentions soient satisfaites, elle verse l’indemnité de chômage. L’alinéa 2 précise qu’en opérant le versement, la caisse se subroge à l’assuré dans tous ses droits, y compris le privilège légal, jusqu’à concurrence de l’indemnité journalière versée par la caisse.
Dans cet arrêt, le TF rappelle que la subrogation au sens de l’art. 29 al. 2 LACI ne confère pas à la caisse de chômage une prétention en restitution contre l’assuré mais contre l’ancien employeur (ATF 137 V 362). Les prestations de la caisse de chômage allouées en conformité avec l’art. 29 al. 1 LACI n’ont pas été indûment perçues et ne peuvent donc pas être réclamées en vertu des art. 95 al. 1 LACI et 25 al. 1 LPGA. La réglementation particulière de la restitution de l’indemnité en cas d’insolvabilité prévue à l’art. 55 al. 2 LACI ne peut pas être appliquée par analogie à la réclamation de l’indemnité de chômage allouée selon l’art. 29 al. 1 LACI (c. 3.2).
Manifestement infondé, le recours de la caisse de chômage est rejeté par le TF.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 9C_297/2016 - ATF 143 V 77 du 7 avril 2017
Assurance-invalidité; modification du statut, actif à temps complet ou à temps partiel, maternité; art. 17 al. 1 LPGA; 88a RAI; 28 al. 2 LAI
Dans le cas d’espèce, l’office AI, lors de la procédure de révision, se fondant sur les dispositions finales de la modification du 18 mars 2011 de la LAI, est parti du principe que la recourante, parce qu’elle est devenue maman de jumeaux en juin 2009, ne devait plus être qualifiée dans son domaine de compétences d’active à plein temps mais à temps partiel. Par voie de conséquence l’office AI a effectué une nouvelle évaluation de l’invalidité à l’aide d’une comparaison de revenus selon la méthode mixte, laquelle a pris en compte un état de santé amélioré ne donnant plus droit à une rente. Partant, l’office AI a décidé de supprimer avec effet au 31 décembre 2014, la rente entière auparavant perçue par la recourante. (c. 3.1).
Le TF examine si la confirmation par l’instance précédente de la suppression de la rente est compatible avec la mise en œuvre de l’arrêt de la CourEDH Di Trizio c/ CH du 02.02.2016, qui est devenu définitif depuis le 4 juillet 2016. (3.2). Dans sa transposition de l’arrêt de la CourEDH, le TF a décidé que dans les cas où seuls des motifs familiaux (naissance d’un enfant et partant diminution de l’activité professionnelle) entrent en cause pour la modification du statut d’actif à temps complet à actif à temps partiel dans le domaine de compétences, il est renoncé à la suppression ou la diminution de la rente invalidité au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA. (c. 3.2.2).
Le cas d’espèce se distingue du cas Di Trizio dans la mesure où l’Office AI ne s’est pas seulement appuyé sur le changement de statut de la recourante pour la vérification de la rente mais a introduit à cette occasion la procédure pour d’autres motifs – la vérification selon les dispositions finales de la révision 6a de la LAI. En conformité avec la CEDH, l’évaluation de l’invalidité ne justifie cependant pas de traitement différent. Le statut donné jusqu’à présent pour l’évaluation de l’invalidité à la personne assurée doit être maintenu, le changement de statut familial ne doit pas être pris en considération (c. 3.2.3).
Il en résulte que la recourante doit pour l’instant être qualifiée d’active à plein temps – compte tenu des circonstances, maternité depuis juillet 2009, ceci également dans le cadre de la procédure de vérification des rentes, que l’Office AI a entamé à la mi-octobre 2012 pour d’autres motifs que la modification du statut.
Pour évaluer la question de savoir si l’état de santé de l’assurée s’est modifié dans une mesure à influencer ses droits, il faut comparer la situation au moment de la décision du 19 juillet 2000 – laquelle est fondée sur un examen matériel du droit à la rente en conformité avec l’instruction des faits, l’appréciation des preuves et l’évaluation de l’invalidité – avec celle rendue le 17 novembre 2014 (art. 88a RAI) (c. 4.1).
Le TF arrive à la conclusion suivante : dans le cadre de la comparaison des revenus, autant les valeurs statistiques que la déduction de 10% due à l’attente à la santé sur le revenu invalide accordé peuvent être prises. Une correction n’est exigée que dans la mesure où elle émane non pas d’une capacité de travail de 32,5% (de laquelle s’ensuit un revenu invalide de CHF 15'293.-) mais d’une capacité de travail de 50%, ce qui conduit à un revenu d’invalide de CHF 23'528.-. Ce revenu d’invalide mis en regard avec le revenu de valide incontesté de CHF 47'381.-, il en résulte un degré d’invalidité arrondi de 50%, ce qui ouvre le droit à une demi-rente (art. 28 al. 2 LAI). Dans le cadre de la révision des rentes, cela ne conduit dès lors pas à la suppression mais à la diminution de la rente entière actuelle à une demi rente, à laquelle a droit l’assurée par conséquent depuis le 1er janvier 2015 (c. 4.4). Le recours est partiellement admis.
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 4A_643/2016 du 7 avril 2017
Assurance privée; appréciation arbitraire des preuves, droit à la preuve, prétentions frauduleuses; art. 9 Cst.; 8 CC; 40 LCA
Une coiffeuse indépendante a perçu des indemnités journalières suite à une incapacité de travail. Sur la base de deux rapports de surveillance, l’assureur déduit que l’assurée a caché sa reprise d’activité, refuse de prester pour l’avenir et réclame le remboursement des prestations d’assurance versées en invoquant les prestations frauduleuses (art. 40 LCA). La cour cantonale rejette les prétentions de l’assureur (recourante). Le TF rejette le recours de l’assureur.
Invoquant l’art. 9 Cst., la recourante reproche à la cour cantonale une appréciation arbitraire des preuves sur deux points, à savoir les activités exercées par l’intimée dans son salon de coiffure pendant son incapacité de travail et le caractère prétendument spontané des déclarations de l’assurée à l’assureur. Le moyen soulevé par le recourant (assureur) tiré de l’art. 9 Cst. est irrecevable selon le TF car le recourant ne critique pas l’état de fait mais la qualification en droit des faits retenus.
Selon la recourante, les juges genevois auraient également méconnu l’art. 8 CC en écartant les deux rapports de détective produits à titre de contre-preuves. Selon le TF, la charge de la preuve incombait à l’assureur si bien qu’il ne s’agit pas d’un droit à la « contre-preuve ». Au surplus, les juges cantonaux ont considéré que les rapports de surveillance n’étaient pas probants ; or, l’art. 8 CC n’a pas vocation à dicter au juge comment forger sa conviction ni ne permet de remettre en cause l’appréciation des preuves à laquelle le juge s’est livré.
Le moyen du recourant tiré de la violation de l’art. 40 LCA est également écarté par le TF. La condition objective n’est pas remplie dès lors que les tâches effectuées par l’intimée lorsqu’elle se trouvait au salon de coiffure étaient « très auxiliaires » au métier de coiffeuse indépendante et elle les avait assumées occasionnellement afin d’occuper son temps, et non dans un but lucratif puisqu’elles incombaient en principe à l’employée qui la remplaçait ; cela ne suffit pas pour exclure l’obligation de l’assureur ou pour en restreindre l’étendue, ni pour influer sur la capacité de travail de l’assurée. La condition subjective n’est pas non plus réalisée selon le TF car l’assurée pouvait penser de bonne foi que seule l’activité de coiffure, qu’elle n’était pas capable d’exercer était déterminante pour le montant des indemnités journalières ; de plus, lors de son entretien avec l’assureur, l’intimée, qui ignorait la surveillance dont elle avait fait l’objet, n’avait pas caché sa présence au salon de coiffure et les activités accessoires qu’il lui arrivait d’y exercer.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 4A_658/2016 du 5 avril 2017
Responsabilité du détenteur automobile; causalité naturelle en cas d’atteinte au rachis cervical; vraisemblance prépondérante; état de santé préexistant; art. 58 al. 1 LCR; 8 CC; 2 al. 2 CC
La recourante a été victime d’un accident de la route en mai 2003. Alors qu’elle avait freiné pour laisser passer un piéton, sa voiture a été emboutie par la voiture suivante. La demande d’indemnisation de la recourante a été rejetée par les deux instances cantonales au motif que les atteintes à la santé qu’elle présentait encore cinq mois après l’accident n’étaient plus en lien de causalité naturelle avec celui-ci. Le TF a suivi l’opinion de la dernière instance cantonale et rejeté le recours, sous réserve de la question de l’indemnité due pour les honoraires d’avocat.
Lors de l’accident, la recourante était en incapacité de travail à 100% pour cause de maladie depuis trois mois suite à un faux mouvement ayant déclenché des fortes douleurs dorsales au niveau du rachis cervical, étant précisé qu’elle avait été victime d’un précédent accident cinq ans auparavant qui avait été à l’origine de douleurs similaires. La date de reprise de son activité d’infirmière n’avait pas encore été déterminée par ses médecins (c. 2.1).
La recourante n’a pas été suivie lorsqu’elle alléguait, à l’instar de son médecin traitant, que sans l’accident, elle aurait pu reprendre son travail dans les semaines suivantes (c. 4.1). Le tableau clinique avant et après l’accident était très similaire (c. 4.1 et 4.3). De plus, l’instance précédente n’a pas fait preuve d’arbitraire dans l’appréciation des preuves en retenant que l’expert avait conclu à un lien de causalité vraisemblable de plus de 50% entre les atteintes constatées et l’accident, ce qui suffisait sous l’angle de l’assurance-accidents, mais pas sous l’angle du critère de la vraisemblance prépondérante applicable en responsabilité civile (c. 4.4).
Le fait que l’assurance RC du véhicule incriminé ait payé des acomptes à hauteur de CHF 155'000.- jusqu’en 2010 n’a pas été jugé pertinent par le TF, dès lors que l’assurance n’a pas réclamé le remboursement de ces montants à la lésée (c. 2.7, 5.1). Les conditions de l’abus de droit n’étaient pas réalisées (c. 5.2).
Auteure : Emilie Conti, avocate à Genève

TF 6B_444/2016 du 3 avril 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute; violation grave des règles de la circulation routière; limitations de vitesse; art. 90 al. 2 LCR; 4a al. 1 let. d OCR
Il faut procéder à une appréciation objective et subjective pour déterminer si une violation d’une règle de la circulation doit être qualifiée de grave au sens de l’art. 90 LCR.
Sur le plan objectif, la violation grave d’une règle de circulation au sens de l’art. 90 al. 2 LCR suppose que l’auteur ait mis sérieusement en danger la sécurité du trafic. Au niveau subjectif, l’état de fait de l’art. 90 al. 2 LCR exige, selon la jurisprudence, un comportement sans scrupules ou gravement contraire aux règles de la circulation, c’est-à-dire une faute grave et, en cas d’acte commis par négligence, à tout le moins une négligence grossière. Dans le domaine des excès de vitesse, la jurisprudence a été amenée à fixer des règles précises afin d’assurer l’égalité de traitement. Ainsi, le cas est objectivement grave au sens de l’art. 90 LCR, en cas de dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l’intérieur des localités, de 30 km/h ou plus hors des localités et sur les semi-autoroutes dont les chaussées, dans les deux directions, ne sont pas séparées et de 35 km/h ou plus sur les autoroutes (ATF 132 II 234 c. 3.1).
Les principes développés par la jurisprudence pour les routes situées en dehors des localités doivent, en règle générale, être appliqués lors d’excès de vitesse sur des portions d’autoroutes sur lesquelles la vitesse est limitée pour des raisons de sécurité.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 9C_753/2016 du 3 avril 2017
Assurance-invalidité; contribution d’assistance; renseignements et conseils; art. 42quater LAI; 39b RAI; 27 LPGA
La contribution d’assistance, au sens de l’art. 42quater LAI, constitue une prestation en complément de l’allocation pour impotent et de l’aide prodiguée par les proches.
En vertu de cette disposition, l’assuré majeur, vivant chez lui et percevant une allocation pour impotent, a droit à la contribution d’assistance. Toutefois, la compétence de régler les conditions auxquelles les personnes dont la capacité d’exercer les droits civils est restreinte n’ont droit à aucune contribution d’assistance a été déléguée au Conseil fédéral (art. 42quater al. 2 LAI), qui a adopté l’art. 39b RAI.
Selon la lettre de l’art. 39b let. d RAI, l’assuré majeur doit « avoir bénéficié » d’une contribution d’assistance en tant que mineur. Le TF estime que cette disposition doit être comprise en ce sens que l’assurance-invalidité est tenue d’accorder à l’assuré majeur concerné la contribution d’assistance lorsqu’il en avait déjà effectivement profité avant ses dix-huit ans.
Le devoir de conseils de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations. Le devoir de conseils s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique.
Le défaut de renseignement dans une situation où une obligation de renseigner est prévue par la loi, ou lorsque les circonstances concrètes du cas particulier auraient commandé une information de l’assureur, est assimilé à une déclaration erronée qui peut, sous certaines conditions, obliger l’assurance-invalidité à consentir à un administré un avantage auquel il n’aurait pu prétendre.
Dans le cas d’espèce, le TF a jugé que l’assuré n’aurait pas dû avoir droit à une contribution d’assistance pour adulte. Il a toutefois estimé que l’office AI avait fautivement omis de rendre l’assuré attentif au risque de mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations. Par conséquent, en vertu du principe de la bonne foi, l’assuré a tout de même pu bénéficier d’une contribution d’assistance pour adulte.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 8C_814/2016 - ATF 143 V 66 du 3 avril 2017
Assurance-invalidité; procédure (compétence à raison du lieu, principe de la bonne foi); évaluation de l’invalidité (SPECDO, troubles dépressifs); art. 5 al. 3 Cst.; 40 al. 3 RAI; 7 LPGA
Le TF rappelle qu’un office AI compétent à raison du lieu au moment de la demande de prestations le reste jusqu’à la fin de la procédure, nonobstant le changement de domicile de la personne assurée. Il laisse ici ouverte la question de savoir si une procédure prend fin avec un jugement cantonal renvoyant l’affaire à l’office AI pour complément d’instruction, ou seulement avec la nouvelle décision à intervenir. En effet, en l’espèce, il retient que l’assurée, représentée par une avocate devant le tribunal cantonal des assurances, se devait de faire connaître son changement de domicile au moment où elle s’est aperçue que l’office qui avait enregistré sa demande pourrait ne plus être compétent. En tardant à communiquer cette information, qu’elle n’a en l’occurrence transmise pour la première fois que dans la procédure de recours contre la nouvelle décision rendue par l’office AI, l’assurée a violé le principe de la bonne foi, de sorte que le grief n’est de toute manière pas admissible. Le TF rappelle pour le surplus qu’une décision rendue par une autorité incompétente n’est pas nulle, mais annulable (c. 4).
Sur le plan matériel, le TF nie la présence d’une atteinte à la santé invalidante. En effet, le trouble somatoforme douloureux présenté par l’assurée ne peut être considéré comme tel, faute pour les indicateurs de l’ATF 141 V 281 d’être remplis. En particulier, il ne peut être question d’un épuisement des thérapies à disposition, l’assurée n’ayant pratiquement pas consulté de médecins et ne s’étant pas conformée aux prescriptions médicamenteuses. Par ailleurs, malgré une capacité de travail partielle attestée au cours des dernières années, l’assurée n’a jamais fait la moindre tentative pour reprendre un emploi. Finalement, la dépression de degré moyen présentée par cette dernière n’est pas une comorbidité au sens de l’ATF 141 V 281 c. 4.3.1.3, et l’assurée ne peut établir d’entrave suffisante dans les activités de la vie quotidienne.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont



TF 9C_307/2016 - ATF 143 V 81 du 29 mars 2017
Prestations complémentaires; nationalité; lien transfrontalier; mariage; art. 4, 5 et 32 LPC; 1 al. 2 Annexe II ALCP; 2 al. 1 R n° 883/2004
Une femme de nationalité dominicaine, mariée à un suisse avec la nationalité italienne, s’est vu refuser le droit aux prestations complémentaires de l’AI. Le TF a confirmé le refus, les conditions cumulatives prévues par l’ALCP annexe II et le R n° 883/2004 (nationalité ou statut familial et élément transfrontalier) n’étant pas réalisées.
La condition de la nationalité n’était pas remplie, l’ALCP et le R n° 883/2004 ne s’appliquant pas aux citoyens d’un Etat tiers. Par contre, la recourante peut invoquer son statut familial en tant que femme d’un citoyen d’un Etat membre (Italie). Le droit aux PC, n’étant pas lié à la qualité de travailleur, lui donne le droit de bénéficier des PC si le lien transfrontalier est réalisé.
Le mari de la recourante a toujours travaillé en Suisse. Le seul fait qu’il est de nationalité italienne n’est pas suffisant pour invoquer l’application de l’ALCP. En effet il n’a jamais exercé son droit à la libre circulation et donc aucun droit aux PC en faveur de la recourante peut être déduit de la ALCP.
Auteure : Tiziana Zamperini, titulaire du brevet d’avocat à Lugano


TF 9C_108/2016 du 29 mars 2017
Prévoyance professionnelle; restitution de prestations touchées indument; art. 35a LPP; 25 LPGA; 62 ss CO
Une caisse de pensions de base et une caisse de pensions complémentaire ont versé à C., né en 1923, chacune une rente de vieillesse, à compter du 1er janvier 1988. C. est décédé le 2 novembre 2009.
La caisse de pensions de base a immédiatement mis fin au paiement des rentes. En revanche, la caisse de pensions complémentaire a continué de verser les rentes de vieillesse sur le compte de l’assuré décédé, en envoyant également à son adresse les attestations fiscales, jusqu’à fin décembre 2012. Par courriers des 10 janvier et 12 février 2013, elle a demandé aux héritiers de C., à savoir ses deux fils, le remboursement de CHF 202’205.-. Le 13 août 2013, elle a fait notifier des réquisitions de poursuites, auxquelles les fils ont formé opposition totale. Par jugement du Tribunal cantonal des assurances du canton de Zurich du 30 novembre 2015, les enfants de C. ont été déclarés solidairement responsables de CHF 202’205 plus intérêt à 5% l’an dès le 13 août 2013 notamment.
Dans cet arrêt, les juges fédéraux admettent partiellement le recours formé par les héritiers de C., au motif que, contrairement à ce qu’ont considéré les juges de première instance, s’agissant de prestations issues de la prévoyance professionnelle, l’art. 35a LPP n’est applicable que si et pour autant qu’une relation de droit des assurances sociales ait existé entre l’institution de prévoyance et les bénéficiaires. Contrairement à l’art. 25 LPGA, l’application de l’art. 35a LPP n’est pas possible en présence de tiers, à l’instar des héritiers de C., qui n’étaient pas des « bénéficiaires » ou des ayants droit selon la LPP ou le règlement de prévoyance.
En conséquence, la cause est renvoyée au Tribunal cantonal des assurances du canton de Zurich pour qu’il examine l’éventuelle obligation de restituer les prestations indument versées sous l’angle des règles sur l’enrichissement illégitime, selon les art. 62 ss CO.
Auteur : Guy Longchamp

TF 4A_25/2017 du 29 mars 2017
Assurances privées; réticence; réticence; assurance complémentaire à l’assurance-maladie; devoir de renseigner de l’assuré; présomption de faits importants; art. 4 et 6 LCA
L’art. 4 al. 1 LCA prévoit que le proposant doit déclarer par écrit à l’assureur sur la base d’un questionnaire ou en réponse à toutes autres questions écrites, tous les faits qui sont importants pour l’appréciation du risque, tels qu’ils lui sont ou doivent être connus lors de la conclusion du contrat. Le proposant doit ainsi déclarer non seulement les faits qui lui sont connus sans autre réflexion, mais aussi ceux qui ne peuvent lui échapper s’il réfléchit sérieusement à la question posée.
La présomption de l’art. 4 al. 2 LCA selon laquelle le fait est important s’il a fait l’objet d’une question écrite de l’assureur, précise et non équivoque est toutefois susceptible d’être renversée. C’est le cas s’il apparaît que le proposant a omis un fait qui, considéré objectivement, apparaît totalement insignifiant. Il faut dès lors se demander si, dans l’hypothèse où l’assureur aurait connu la vérité dès avant la conclusion du contrat d’assurance, il l’aurait conclu aux mêmes conditions, ce qui constitue une question de droit que le TF revoit librement.
L’art. 6 LCA prévoit qu’en cas de réticence de l’assuré, l’assureur est non seulement en droit de résilier le contrat mais il est également en droit de refuser d’indemniser un sinistre déjà survenu ou exiger son remboursement. Dans le cas d’espèce, l’assureur a résilié le contrat d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie qui le liait au recourant dès lors que ce dernier a omis de mentionner plusieurs consultations psychiatriques avant la conclusion du contrat, notamment pour un état anxieux, une baisse de moral et une irritabilité épisodique. Le recourant s’est, en conséquence, vu refuser toute indemnisation pour sa période subséquente d’incapacité de travail liée à une dépression.
Selon le TF, lequel confirme les conclusions du tribunal de première instance, le recourant a commis une réticence en ne répondant pas au questionnaire de l’assureur de manière conforme à la vérité, respectivement en omettant de lui communiquer des faits importants. En effet, il a considéré que les problèmes de santé qui affectaient le recourant avant la conclusion du contrat d’assurance n’étaient pas objectivement insignifiants, de sorte qu’il ne devait, ni ne pouvait, s’exonérer d’en faire mention à son assureur.
La présomption de l’art. 4 al. 2 LCA ne peut, en l’état, être renversée, dès lors que ce dernier n’aurait manifestement pas conclu le contrat ou ne l’aurait pas conclu aux mêmes conditions s’il avait connu la vérité.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 6B_1157/2016 du 28 mars 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; maîtrise du véhicule et devoir de prudence; art. 31 al. 1; 90 al. 1 LCR; 3 al. 1 OCR
Le TF rappelle qu’un conducteur automobile doit rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de prudence selon l’art. 31 al. 1 LCR, c’est-à-dire qu’il doit pouvoir s’adapter au trafic et réagir à chaque danger sans perdre de temps. Il doit également adapter sa vitesse aux circonstances (art. 32 al. 1 LCR).
Le TF a ainsi rejeté le recours d’un automobiliste condamné par l’instance inférieure pour avoir percuté le véhicule situé devant lui après ne pas avoir voué toute son attention à la route et à la circulation. Le recourant a tenté, en vain, d’exposer avoir été distrait par une voiture arrivant soudainement sur la voie de droite alors qu’il roulait à 80-90 km/h sur l’autoroute sur la voie de gauche, aux heures de pointe et qu’il commençait à neiger. La circulation étant arrêtée, il n’aurait pas pu freiner à temps et donc heurté la voiture de devant.
Lors de l’examen de la causalité hypothétique, le TF a retenu que la collision ne serait pas survenue si le conducteur avait fait preuve de toute l’attention commandée par les circonstances. Il a également considéré que le comportement du tiers n’était pas prépondérant au point de reléguer le comportement du recourant à l’arrière-plan et qu’il n’y avait donc pas eu d’interruption de lien de causalité adéquate.
Auteure : Muriel Vautier, avocate à Lausanne

TF 2C_58/2016 du 27 mars 2017
Responsabilité de l’Etat; responsabilité de l’université; acte illicite; art. 5 al. 1 et 3 LResp/NE
Le recourant invoque une application arbitraire de l’art. 5 al. 1 et 3 LResp/NE par le tribunal cantonal. En effet, le litige porte sur le point de savoir si le prénommé pouvait prétendre à un montant Fr. 132’400.- de la part de l’Université en raison du retard pris dans ses études, notamment dans la soutenance de son mémoire de master, et du fait qu’il n’a pas pu donner suite à une offre d’emploi en juin 2008. Il prétend également avoir été victime de mobbing. Il soutient que l’Université, en ne suivant pas sa réglementation et en rendant des décisions arbitraires, a commis des actes illicites. Dans le cadre de la procédure avec l’instance inférieure, le tribunal cantonal a limité son examen à la question de l’illicéité. Il a ainsi d’abord rappelé que dans le cas d’un dommage patrimonial tel que celui avancé par le recourant, l’illicéité suppose que l’auteur ait violé une norme de comportement ayant pour but de protéger le bien juridique en cause. Sur cette base, il a constaté que le programme d’études prévoit une durée maximale de trois semestres et que si ce programme avait été respecté, le recourant aurait pu achever ses études en janvier 2008. Toutefois, c’est sans arbitraire qu’il a ensuite jugé que les dispositions du règlement d’études et du contrat pédagogique (dont la clause principale se limite à constater l’engagement du recourant à satisfaire aux exigences du plan d’études) ne constituent pas des normes de comportement adressées au corps professoral dans le but de protéger l’intérêt patrimonial des étudiants. Contrairement à ce qu’il semble penser, il ne pouvait prétendre d’emblée à la remise du Master, ce titre n’étant pas équivalant à un certificat d’études supérieures, mais à une licence. L’invocation des Directives du Conseil des Rectorats du Triangle AZUR sur les attestations d’équivalence entre les diplômes/licences et les diplômes de master ne lui est d’aucune utilité en l’espèce. Au vu de ce qui précède, le TF reconnaît que c’est de manière pleinement soutenable que l’autorité cantonale a retenu qu’aucun acte illicite ne pouvait être retenu à l’encontre de l’Université, malgré le comportement fortement inadéquat de certains membres de cette institution, et a renoncé à examiner les autres conditions d’application de l’art. 5 LResp/NE. Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle |

TF 5A_797/2016 - ATF 143 III 221 du 24 mars 2017
Assurance-maladie; polypragmasie, commandement de payer, mainlevée d’opposition; art. 56 LAMal; 67 et 80 LP
Un praticien a été condamné par le Tribunal arbitral des assurances sociales du canton de Berne à rembourser à plusieurs assureurs-maladie énumérés (1 à 11 et 14 à 25) un montant de CHF 136’836.50 pour polypragmasie, ainsi qu’à rembourser à tous les assureurs-maladie (1 à 25) la somme de CHF 2’000.- à titre d’avance de frais et CHF 22’384.50 à titre de dépens. Le 17 mai 2016, un commandement de payer les sommes de CHF 136’836.50, CHF 2’000.- et CHF 22’384.50, portant toutes intérêts à 5% l’an dès le 25 août 2015, a été notifié au praticien. Ce document indiquait, comme cause de l’obligation, le jugement du Tribunal arbitral des assurances sociales du canton de Berne du 14 juin 2015. Sous la rubrique « créancier », il était mentionné « DIVERS CREANCIERS, liste jointe gemäss Urteil 14. Juni 2015 » (poursuite n° x de l’Office des poursuites et faillites du district de Conthey).
Dans cet arrêt, le TF admet partiellement le recours, au motif que le juge de la mainlevée doit vérifier d’office notamment l’identité entre le poursuivant et le créancier. En l’espèce, les poursuivants ne correspondent pas exactement aux créanciers qui figurent dans le jugement du Tribunal arbitral : les caisses-maladie 12 et 13 avaient seulement sollicité l’exclusion du praticien et n’avaient pas demandé la restitution des montants obtenus à raison de traitements jugés non économiques. Dès lors qu’il n’est pas permis de joindre dans une même poursuite plusieurs créances appartenant individuellement à plusieurs créanciers, l’opposition formée par le praticien s’agissant du montant de CHF 136’836.50 plus intérêts à 5% l’an dès le 25 août 2015 a été maintenue.
Auteur : Guy Longchamp


TF 6B_1031/2016 du 23 mars 2017
Responsabilité médicale; violation des règles de l’art; art. 41 CO; 117 CP
En responsabilité médicale, la notion de risque licite (erlaubtes Risiko) se fonde sur l’idée que toute mise en danger qui dépasse le risque général de la vie n’est pas en soi prohibé, mais que l’on peut uniquement exiger du médecin le respect d’un degré de diligence et d’application minimal. Le droit positif ne prévoit donc pas une interdiction de toute mise en danger, mais plutôt le devoir de réduire au maximum le danger en question, de façon à ce que celui-ci soit limité au risque nécessairement associé à l’activité que l’ordre juridique entend autoriser. Le comportement de l’auteur, en l’espèce le médecin, doit être ainsi considéré comme négligent s’il sort du cadre du risque licite. La limite de ce risque doit être définie selon les cironstances concrètes du cas d’espèce, sur la base des règles de l’art médical reconnues au moment des faits (c. 6.5.1).
Le fait que, lors d’une opération délicate, le risque lié à cette intervention se réalise ne signifie pas sans autres que le médecin a violé son devoir de diligence. Il est généralement reconnu que le médecin, malgré son expérience et le soin voué à l’intervention peut rater une piqûre, une incision ou un geste quelconque. Sa responsabilité ne sera alors pas engagée dans la mesure où l’opération a été exécutée avec toutes les précautions et mesures de surveillance requises. Le fait pour le médecin de causer une lésion en soi prévisible n’est pas encore objectivement constitutive d’une infraction dans la mesure où l’auteur a fait preuve de toute la diligence requise et n’a ainsi créé aucun risque illicite (c. 6.5.2).
En l’espèce, on reprochait à l’accusé, un spécialiste reconnu en chirurgie orthopédique, de ne pas avoir réalisé à temps que l’image qui apparaissait sur le moniteur de surveillance était fixe, et ne correspondait pas à la réalité. L’accusé avait alors continué de perforer la vertèbre de la patiente, sans réaliser qu’il était déjà beaucoup plus avancé que ne le montrait son écran de contrôle. Alors que l’expert judiciaire estimait qu’il ne s’agissait pas ici d’une violation des règles de l’art, mais d’une simple inadvertance, le TF a considéré qu’une manipulation erronée des appareils de contrôle n’entrait pas dans les risques inhérents à l’opération et que le médecin devait se familiariser avec les appareils en question et être en mesure de les utiliser correctement.
En l’espèce, l’accusé aurait dû, dans la phase critique de l’intervention, être particulièrement attentif aux images fournies par les appareils de contrôle et aurait dû les analyser avec soin. Le fait qu’il ait continué à perforer la vertèbre sans se rendre compte que l’appareil en question lui fournissait une image fixe doit êre considéré comme une violation du devoir de diligence. On ne peut pas parler ici d’une inadvertance inhérente à l’opération, respectivement d’une complication participant du risque licite de l’intervention (c. 7).
A noter que, compte tenu de la longueur particulière de la procédure pénale (plus de 13 ans), le TF a considéré qu’il y avait eu violation du principe de célérité posé par l’art. 5 al. 1 CPP, et ordonné pour cette raison le classement pur et simple de l’affaire.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne

TF 6B_466/2016 du 23 mars 2017
Responsabilité aquilienne; homicide et lésions corporelles par négligence; causalité et rupture du lien de causalité, en particulier en relation avec des prédispositions allergiques; écoulement du temps; art. 12 al. 3, 117 et 125 CP
Le TF rappelle la jurisprudence en relation avec la notion de négligence, en particulier sous l’angle de la violation des règles de prudence, respectivement de l’imprévoyance coupable, au sens juridique du terme (c. 3.1). Dans ce contexte, il rappelle sa jurisprudence au sujet de l’examen de la question du lien de causalité adéquate (c. 3.1.).
L’activité consistant à détruire des nids de guêpes n’est pas règlementée. Les guêpes demeurent quoi qu’il en soit des insectes dont les piqûres peuvent être très dangereuses, voire mortelles. Détruire un nid de guêpes sans s’assurer que personne ne se trouvait sur les balcons aux alentours dudit nid, constitue une imprévoyance au sens juridique du terme (c. 3.2.).
Le fait de poursuivre la destruction – dont le premier essai n’a pas été concluant – d’un nid de guêpes, en sachant que ces dernières sont agressives et certainement nombreuses en utilisant un nouveau moyen d’action et en revêtant une combinaison d’apiculteur pour se protéger, respectivement en réalisant clairement les risques encourus par des voisins dont on n’a pas pris la précaution d’exclure la présence, constitue un risque inadmissible, qui relève de l’imprévoyance coupable au sens juridique du terme. En effet, dans telles circonstances, la prudence commande de suspendre l’intervention jusqu’à ce que les voisins aient été mis en sûreté ou de renoncer à l’intervention (c. 3.3.).
Un temps froid, gris et pluvieux ne rend par extraordinaire la présence de quelqu’un sur le balcon qui se situe à côté du lieu où une intervention de destruction d’un nid de guêpes est en cours. En effet, cette circonstance – au demeurant non prouvée en l’espèce – n’interrompt pas le lien de causalité adéquate, tant il existe de raisons pour l’occupant d’un appartement de se rendre sur son balcon, quel que soit le temps (par ex. prendre l’air, suspendre du linge, etc.) (c. 3.4.1).
Toujours sous l’angle de l’examen d’une rupture éventuelle du lien de causalité adéquate, le nombre de guêpes n’accroît pas le danger de façon à rendre le résultat imprévisible quelques piqûres causées par un petit nombre d’insectes pouvant déjà provoquer le décès ou des lésions corporelles (c.3.4.2.).
Il en va de même d’un état de santé déficient ou d’une prédisposition allergique chez la victime. En effet, cela ne constitue pas une circonstance propre à rompre le lien de causalité, la culpabilité de l’auteur devant être reconnue, dès lors que son comportement a joué un rôle causal, même partiel, dans le décès de la victime (c.3.4.3.).
Lorsque l’on ne peut reprocher à l’épouse de la victime d’avoir tardé à appeler les secours, sachant qu’aucun élément de la procédure ne permettait d’établir à quelle heure la victime a été piquée et a perdu connaissance, la question du laps de temps à considérer en relation avec l’appel aux services de secours ne revêt pas une importance telle qu’elle doive conduire à admettre une rupture du lien de causalité (c.3.4.4.).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Rolle (VD)


TF 4A_571/2016 c. 4.2 du 23 mars 2017
Assurance privée; assurance perte de gain LCA; réalité et taux de l’incapacité de travail; arbitraire; art. 95 et 106 LTF
L’assuré-recourant peut-il soutenir que le tribunal cantonal a, au regard de l’arrêt 4A_526/2014 du 17 décembre 2014, fait preuve d’arbitraire en ne donnant pas, pour ce que le rapport de son médecin-traitant dit de son incapacité de travail, une force à ce rapport, plus forte que celle sur la même question, à donner aux rapports des autres médecins ?
À cette question, le Tribunal fédéral répond que le recourant attribue, à l’arrêt 4A_526/2014 du 17 décembre 2014, une portée que cet arrêt n’a pas, le Tribunal fédéral ayant simplement, dans cet arrêt, dit que le tribunal cantonal n’avait pas, dans les circonstances du cas d’espèce, fait preuve d’arbitraire en retenant, pour ce qui est de l’incapacité de travail de l’assuré, ce qu’en disait le médecin-traitant dans ses différents rapports, et non pas ce qu’en disaient d’autres médecins.
Le TF admet par ailleurs que le tribunal cantonal ne pouvait pas, pour une affaire qui est de droit civil et non d’assurances sociales, se référer à l’ATF 125 V 351, du moins pas pour ce que cet ATF dit de la valeur probante à reconnaître, dans le champ des assurances sociales, à une expertise de partie ; le TF rappelle toutefois que la phrase de l’ATF 125 V 351 selon laquelle « les médecins de famille se prononcent plutôt faveur de leurs patients dans les cas douteux, en raison de leur position de confiance résultant du rapport de mandat », concerne aussi bien le champ du droit civil que celui du droit des assurances sociales, parce qu’une telle affirmation découle de ce que l’on appelle l’expérience générale de la vie.
A cet égard, le TF considère que le tribunal cantonal ne peut pas nier la réalité d’une incapacité de travail en invoquant ce seul fait d’expérience, qui est que « les médecins de famille se prononcent plutôt en faveur de leurs patients dans les cas douteux, en raison de leur position de confiance résultant du rapport de mandat », mais qu’il doit, pour arriver à la conclusion qu’en fait il n’y a pas d’incapacité de travail prouvée, pouvoir s’appuyer sur d’autres indices, circonstances et moyens de preuve.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 8C_27/2017 du 22 mars 2017
Assurance-invalidité; indemnité journalière; coordination avec l’assurance-chômage; art. 18 al. 4 RAI; 19 al. 2 aRAI; 70 al. 2 let. b LPGA
La LPGA ne contient pas de disposition permettant de coordonner les indemnités journalières de l’assurance-chômage et celles de l’assurance-invalidité. Ce n’est en particulier pas l’objet de l’art. 70 al. 2 lit. b LPGA, qui prescrit la marche à suivre lorsque la prise en charge par l’un ou par l’autre de ces deux assureurs n’est pas claire. La question de la coordination est réglée par la jurisprudence (TF 9C_942/2009), de telle manière que le droit à des indemnités journalières de l’assurance-chômage exclut le droit à des indemnités journalières de l’assurance-invalidité. Bien que cette jurisprudence ait été rendue au sujet des indemnités d’attente de l’assurance-invalidité (cf. art. 18 al. 4 RAI), elle vaut pour toutes les indemnités journalières prévues par la LAI.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 9C_591/2016 du 21 mars 2017
Assurance-vieillesse et survivants; détermination du statut d’une personne de condition indépendante et dépendante; fixation des revenus soumis à cotisations; art. 4 al. 1 et 9 al. 1 LAVS; 17 RAVS
Le litige porte sur le point de savoir si le recourant, actionnaire unique de sa propre entreprise de menuiserie, ayant le statut d’indépendant depuis 2004, doit également être reconnu comme assumant une activité lucrative en tant que gérant d’immeuble et donc être soumis à l’AVS à ce titre. En l’occurrence, le recourant en effet a perçu différents honoraires au titre de gestion de sa propre fortune immobilière.
Pour que des revenus tirés de la gestion de biens immobiliers puissent être soumis à AVS, ceux-ci doivent provenir d’une activité à caractère professionnel. Nous ne sommes en revanche plus en présence d’une activité à caractère professionnel dans le cas d’une simple gestion du propre patrimoine immobilier appartenant à un assuré.
Le critère en vue de distinguer entre une activité lucrative indépendante et la gestion de son propre patrimoine repose sur celui applicable en matière fiscale en vue de distinguer entre le patrimoine privé et la fortune commerciale. En l’occurrence, il a été retenu que le recourant s’était uniquement limité à faire fructifier le patrimoine immobilier familial, sans lui conférer une véritable portée à caractère commercial.
Le TF a toutefois rappelé sa jurisprudence selon laquelle il convient de distinguer, sous l’angle du droit des assurances sociales, les revenus provenant de la location d’appartements meublés et non meublés. L’affaire a été renvoyée à la juridiction cantonale pour compléments d’instruction justifiant l’admission partielle du recours de l’assuré.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne

TF 9C_615/2016 du 21 mars 2017
Assurance-invalidité; évaluation de l’invalidité; méthode applicable; travaux habituels; art. 27 RAI
L’instance cantonale a appliqué la méthode mixte à une assurée travaillant à temps partiel et occupant son temps libre à l’étude des langues.
Le TF confirme l’application de la méthode mixte, en dehors du cas visé par l‘arrêt de la CEDH dans la cause Di Trizio, aux assurés occupés à temps partiel consacrant leur temps libre à la réalisation des travaux habituels (confirmation de l‘arrêt 9F_8/2016 du 20.12.2016). L’assuré travaillant à temps partiel qui déclare occuper son temps libre à l’étude des langues n’accomplit pas de travaux habituels au sens de l’art. 27 RAI (ATF 131 V 51 pour les activités sportives).
La méthode d’évaluation de l’invalidité déterminante, dans ce cas, est celle de la comparaison des revenus en proportion du taux d’activité à temps partiel (ATF 142 V 290). Pour déterminer le degré d’invalidité, il convient donc d’appliquer le facteur résultant de la comparaison des revenus au taux d’occupation partiel que l’invalide est présumé exercer. Cette méthode garantit l’égalité de traitement entre les assurés.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 8C_747/2016 - ATF 143 V 124 du 21 mars 2017
Assurance-invalidité; appréciation d’une expertise pluridisciplinaire; art. 43 al. 1 LPGA
Le but d’une expertise pluridisciplinaire est d’appréhender et de comprendre toutes les limitations à la santé de l’assuré et d’en tirer une conclusion générale quant à la capacité de travail. L’appréciation finale globale de l’état de santé et de la capacité de travail est particulièrement importante, lorsqu’elle découle d’une discussion consensuelle entre les différents experts impliqués. Une conclusion fondée sur une telle discussion est idéale mais non obligatoire. On ne saurait en effet nier toute force probante à une expertise pluridisciplinaire au seul motif qu’il n’y a pas eu une discussion générale pour la clôturer. La force probante d’une expertise pluridisciplinaire n’est pas non plus automatiquement déniée du fait qu’une expertise partielle qui la compose est défectueuse. A l’inverse, lorsque la conclusion finale, qui ne repose pas sur une discussion consensuelle entre les experts, n’est pas concluante et ne repose pas sur les différentes expertises partielles, l’expertise dans son ensemble peut revêtir une force probante.
En l’espèce, les juges cantonaux ont, à juste titre, retenu l’expertise pluridisciplinaire comme probante dans le cas d’un assuré souffrant de douleurs au dos, quand bien même la conclusion finale, élaborée par deux médecins spécialisés en rhumatologie, posait un diagnostic de troubles somatoformes douloureux avec incapacité de travail, en contradiction avec l’expertise psychiatrique qui niait toute valeur de maladie aux troubles de l’assuré. Quoi qu’en disent les experts ayant conclu l’expertise, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux est de la seule compétence d’un médecin psychiatre. Le fait que l’un des rhumatologues était au bénéfice d’une spécialisation en médecine psychosomatique ne saurait suffire. Les expertises partielles étant toutes probantes, l’office AI a refusé à juste titre la rente AI.
Auteure : Pauline Duboux, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 6B_118/2016 du 20 mars 2017
Responsabilité délictuelle; indemnisation du prévenu acquitté; art. 429 CPP
Le droit d’être entendu est violé lorsque la motivation de l’autorité inférieure ne permet pas de déterminer précisément quelles prestations ressortant d’une note d’honoraires sont considérées comme n’entrant pas dans le cadre de l’exercice raisonnable des droits de défense. Le juge doit indiquer quelles démarches sont considérées comme étant superflues. Si la note d’honoraires fournie n’indique pas en détail le temps consacré à chaque opération, mais contient une liste par jour des actes effectués, le juge peut procéder à une appréciation du temps qu’il estime employé à chaque opération et indiquer celui voué à des démarches superflues. Au besoin, il doit enjoindre le prévenu à préciser ses prétentions, en fournissant une note d’honoraires plus détaillée sur la durée consacrée à chaque opération (c. 4.3.2).
Les heures d’activité d’avocat exercées dans le cadre d’une procédure de recours ne peuvent pas être réclamées dans le cadre d’une demande d’indemnisation au sens de 429 CPP puisque les indemnités en procédure de recours sont établies de manière indépendante de la procédure au fond. Une indemnité peut être réclamée en lien avec une demande de récusation pour autant que le requérant obtienne gain de cause. Tel n’est pas le cas ici (c. 4.5).
S’agissant de l’indemnité accordée à titre de réparation du tort moral résultant de la procédure pénale, le TF retient qu’elle a été fixée en intégrant tous les éléments pertinents. Il a été constaté que la carrière professionnelle du prévenu en tant que policier avait été prétéritée et qu’il avait été atteint dans sa santé. Le fait que de nombreux interrogatoires aient été menés n’est pas constitutif d’une atteinte à la personnalité car il s’agit de mesures d’instructions habituelles. La mention de son nom ou ses initiales dans deux articles de presse de portée locale concernant un co-prévenu ne suffit pas pour retenir que sa réputation a été salie au point de constituer une atteinte à sa personnalité (c. 6.2.2).
Le TF retient en revanche que le premier juge a abusé de son pouvoir d’appréciation en fixant l’indemnité pour tort moral à CHF 1'500.-, ce montant apparaissant trop faible et ne tenant pas suffisamment compte de la durée de la procédure pénale (plus de 8 ans), des souffrances morales endurées et de leurs conséquences importantes sur la santé du prévenu (c. 6.2.3).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

TF 4A_367/2016 du 20 mars 2017
Assurance privée; assurance perte de gain; fardeau de la preuve de la perte de gain; contrat pour le compte d’autrui; assurance de dommages; art. 16 al. 1, 48 à 72 LCA; 8 CC
Une assurance perte de gain est qualifiée d’assurance de personne, conçue comme une assurance de somme, uniquement lorsque les parties au contrat d’assurance n’ont subordonné la prestation de l’assureur, dont elles ont fixé le montant lors de la conclusion du contrat, qu’à la survenance de l’événement assuré, sans égard à ses conséquences pécuniaires. L’assurance sera par contre qualifiée d’assurance contre les dommages lorsque les parties au contrat font de la perte patrimoniale effective une condition autonome du droit aux prestations.
Dans son sens courant, l’incapacité de gain consiste en la diminution concrète de la possibilité d’acquérir un revenu, soit une perte économique. Dans le cas d’espèce, les conditions générales de la police d’assurance perte de gain dont le recourant était bénéficiaire en vertu d’un contrat conclu par son employeur, donnaient droit à une rente annuelle de CHF 75'000.- en cas d’incapacité de gain. L’incapacité de gain y était définie comme « une perte de gain ou un autre préjudice pécuniaire équivalent » en relation avec l’incapacité d’exercer une activité professionnelle appropriée pour cause de maladie ou d’accident. La prestation de l’assureur était dès lors subordonnée à l’existence d’une perte patrimoniale effective. Ainsi, l’assurance litigieuse était bien une assurance contre les dommages, soumise au principe indemnitaire.
En conséquence, l’assuré était tenu de justifier sa prétention à la rente annuelle de CHF 75'000.- en apportant la preuve du degré de son incapacité de gain, pertinent pour fixer le montant de la rente, et en établissant une comparaison entre le revenu qu’il aurait pu réaliser sans l’accident et le gain acquis malgré l’accident.
Dès lors, soit l’assuré devait démontrer qu’en raison de l’incapacité de travail constatée médicalement, il ne réalisait plus aucun revenu et n’était plus en mesure d’en acquérir. Soit ce dernier établissait un revenu inférieur à celui qu’il aurait pu réaliser sans l’incapacité de travail. Le montant de la rente éventuelle aurait alors été adapté au degré d’incapacité de gain, correspondant à la différence, exprimée en pour-cent, entre le revenu que l’assuré aurait vraisemblablement pu acquérir et le revenu qu’il a effectivement acquis.
Or, le recourant n’a, selon le TF, pas apporté la preuve suffisante de son droit aux prestations d’assurances, respectivement à la rente annuelle pour perte de gain alors qu’il avait la charge de la preuve. Il ne pouvait en, effet, pas se dispenser d’établir l’ampleur de sa perte de gain et, partant, son taux d’incapacité de gain.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 8C_721/2016 - ATF 143 V 105 du 15 mars 2017
Assurance-accidents; révision; art. 53 LPGA
L’ assuré A., né en 1987, a déclaré à la CNA une incapacité de travail, en précisant qu’il souffrait de divers troubles d’ordre psychique découlant d’une intervention par une unité spécialisée de la police le 5 juin 2005 au cours de laquelle il avait été arrêté par erreur. Jusqu’en mai 2011, la CNA a pris en charge diverses prestations médicales et a versé des indemnités journalières. Par décision du 9 juillet 2010, l’office AI compétent a refusé à A. tout droit à des prestations, au motif qu’il n’y avait jamais eu d’invalidité. Ce refus a été confirmé par le TF, dans un arrêt du 4 décembre 2012 (8C_483/2012). Par décision du 7 mars 2013, la CNA a procédé à une révision et a décidé que A. n’avait plus droit à des prestations à compter du mois de septembre 2005 et a exigé la restitution des prestations payées indûment. Par décision sur opposition du 18 avril 2013, la CNA a confirmé sa position. Le tribunal administratif du canton de Schwyz a rejeté le recours formé par A., dans un jugement du 5 septembre 2016.
Dans cet arrêt, le TF confirme la décision cantonale. Le délai de 90 jours prévu à l’art. 53 al. 1 LPGA a débuté à courir à compter de la connaissance par la CNA de la décision du TF du 4 décembre 2012. L’office AI a transmis l’arrêt de la Haute Cour le 13 décembre 2012. Par ailleurs, ladite décision contenait des faits nouveaux, au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. La révision de la CNA du 7 mars 2013 est donc intervenue dans le délai légal de 90 jours.
Auteur : Guy Longchamp


TF 6B_164/2016 - ATF 143 IV 138 du 14 mars 2017
Responsabilité délictuelle; négligence; art. 12 al. 3 et 117 CP; 26 al. 1, 35 al. 3 et 36 al. 1 LCR; 42 al. 3 OCR
Le droit conféré aux cyclistes par l’art. 42 al. 3 OCR de devancer une file d’automobiles par la droite, lorsqu’ils disposent d’un espace suffisant, sans se faufiler entre les véhicules, sans empêcher la file de progresser et en s’abstenant notamment de se placer devant les véhicules arrêtés, est soumis aux règles concernant le dépassement. La jurisprudence visant la situation où l’indicateur de direction droit d’un véhicule est enclenché doit ainsi être précisée, en ce sens que le cycliste qui couperait la trajectoire de ce véhicule en tentant de le devancer par la droite violerait l’art. 35 al. 3 LCR, aux termes duquel celui qui dépasse doit avoir particulièrement égard aux autres usagers de la route, en particulier à ceux qu’il veut dépasser. La question de savoir s’il en irait de même dans le cas où le véhicule avec l’indicateur de direction droit enclenché est arrêté est laissée ouverte (c. 2.2.1).
Le devoir de serrer le bord droit de la chaussée qu’impose l’art. 36 al. 1 LCR au conducteur qui veut obliquer à droite ne signifie pas que celui-ci devrait rendre impossible qu’un cycliste le devance par la droite. Il suffit que la distance d’avec la limite de la chaussée soit suffisamment étroite pour que le conducteur du véhicule obliquant à droite ne puisse raisonnablement pas s’attendre à être ainsi devancé. Tel est le cas d’une distance de 39 centimètres (c. 2.2.2 et 2.2.3). Dans ces circonstances, en vertu du principe de la confiance découlant de l’art. 26 al. 1 LCR, le conducteur ayant signalé son intention de virer à droite peut partir de l’idée qu’il ne sera pas devancé par la droite et donc procéder à sa manœuvre sans précaution particulière à cet égard, sans qu’une négligence lui soit imputée en cas de collision avec un cycliste tentant de le devancer (c. 2.3).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne


TF 9C_552/2016 du 9 mars 2017
Assurance-invalidité; critères à retenir pour le choix de la méthode d’évaluation de l’invalidité; critique de la pratique saint-galloise; art. 8 al. 3 LPGA; 28a al. 1 et 3 LAI
S’agissant de la question de savoir si c’est la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité ou la seule méthode de la comparaison des gains qu’il faut appliquer au cas d’espèce, le TF répond qu’il ne peut s’agir que de la méthode mixte : ce n’est en effet pas la pratique du tribunal cantonal des assurances de Saint-Gall qui doit prévaloir – selon cette pratique, ce qui est déterminant pour l’application de la méthode, c’est de savoir ce que serait, s’il n’y avait pas atteinte à la santé, l’activité lucrative exigible, de manière objective (objektiv zumutbar, en italique dans le texte même du c. 4.1 de l’arrêt du TF), mais la seule règle établie par le TF lui-même, règle selon laquelle il s’agit toujours de savoir ce que l’assuré(e) aurait, s’il (elle) n’avait pas été atteint(e) dans sa santé, eu comme activité lucrative, l’ensemble des circonstances, personnelles, familiales, professionnelles et sociales, propres à l’assuré(e) devant, répète le TF, être pris en compte.
D’autre part, à la question de savoir s’il est possible, dans un cas comme celui-ci, et à partir de l’arrêt de la CrEDH Di Trizio c. Suisse du 2 février 2016, de – comme le tribunal cantonal de Saint-Gall semble avoir voulu le faire dans son jugement – « thématiser » à nouveau la question de la légalité ou de la constitutionnalité de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, le TF répond que cela n’est pas possible, puisqu’il a déjà, dans son arrêt du 20 décembre 2016 de mise en conformité du cas Di Trizio avec l’arrêt de la CrEDH du 2 février 2016 (TF 9F_8/2016), destiné à publication, considéré que l’arrêt de la CrEDH Di Trizio c. Suisse du 2 février 2016 ne peut concerner qu’un seul cas de figure : celui où c’est la naissance d’un ou de plusieurs enfants qui entraînerait la diminution ou la suppression de la rente.
Par ailleurs, le TF insiste sur ce fait que dans les écritures qu’elle a adressées au tribunal cantonal de Saint-Gall, la recourante n’a jamais contesté ce qu’elle avait dit en réponse au questionnaire de l’AI et, ensuite, à l’enquêtrice de l’AI elle-même, à savoir qu’en bonne santé, elle aurait, compte tenu de la situation qui était la sienne, exercé une activité lucrative à hauteur d’un 50 %, mais pas à plus qu’un 50 %.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 2C_613/2015 du 7 mars 2017
Responsabilité de l’Etat; directive sur la prise en charge des Témoins de Jéhovah par l’Hôpital neuchâtelois; contrôle abstrait; art. 61 CO
L’association des Témoins de Jéhovah, et deux de ses membres, recourent auprès du TF afin que ce dernier procède à un contrôle abstrait d’une « Directive institutionnelle relative à la prise en charge des patients refusant toute transfusion de sang et de dérivés sanguins, en particulier des témoins de Jéhovah », établie par la Direction générale de l’Hôpital neuchâtelois.
Dans le cadre de l’examen de la recevabilité du recours, les Juges fédéraux exposent que la Directive peut aboutir, pour la personne refusant les transfusions sanguines qui ne trouve pas de médecin d’accord de la prendre en charge, à devoir aller se faire soigner dans un hôpital public d’un autre canton. Elle peut aussi avoir pour résultat, suivant les situations, d’imposer une transfusion sanguine à un patient qui rejette cet acte médical, ceci notamment pour les parturientes. De telles situations sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat. Dans ce cadre, il est possible de faire examiner, dans un cas d’espèce où le patient ferait notamment valoir son défaut de consentement à une transfusion, si le comportement de l’hôpital est conforme au droit et respecte la constitution. Vu qu’un contrôle concret de la Directive est possible, le Tribunal fédéral ne saurait la revoir de façon abstraite et juge ainsi le recours irrecevable.
Les Juges fédéraux soulignent aussi que la Directive a une très faible valeur normative et qu’elle doit être appliquée en tenant compte des différentes conventions internationales et lois en vigueur, notamment les textes qui garantissent le respect des droits des patients et celui des directives anticipées édictées par ceux-ci. De plus, conformément à la jurisprudence européenne, les Etats doivent organiser leur service de santé public de façon à assurer que la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9 CEDH) du personnel médical n’entrave pas l’accès aux services auxquels les patients ont légalement droit.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne


TF 9C_487/2016 du 3 mars 2017
Assurance-invalidité; rente complémentaire pour enfant; notion de formation; art. 35 LAI; 25 LAVS; 49bis al. 1 RAVS
Le litige soumis au TF porte sur le point de savoir si l’office AI (recourant) était en droit de nier le droit à l’assuré (intimé) à une rente complémentaire pour enfant de l’assurance invalidité, et plus particulièrement de déterminer si la formation suivie par l’enfant pouvait être considérée comme une formation au sens de l’art. 49bis al. 1 RAVS.
Un enfant est réputé en formation s’il suit une formation régulière reconnue de jure ou de facto à laquelle il consacre la majeure partie de son temps et se prépare systématiquement à un diplôme professionnel ou obtient une formation.
En l’espèce, le TF considère que la formation suivie par la fille de l’assurée au sein d’un institut X, consacrée à l’acquisition de connaissances dans le domaine de la médecine traditionnelle chinoise en vue de pratiquer l’acupuncture ne peut être admise comme une formation régulière reconnue de jure ou de facto, resp. n’entre pas dans la définition précitée de formation. En effet, l’absence d’évaluation personnelle et individualisée (les participants des niveaux différenciés reçoivent tous en même temps les mêmes enseignements), l’absence d’examens intermédiaires (évaluation unique à la fin des quatre premières années) ainsi que le manque d’objectivité (les étudiants ne sont jamais évalués par des enseignants neutres et extérieurs à l’institut), n’apparaissent pas comme étant les composants d’un plan de formation structuré. Les connaissances générales nécessaires à l’exercice de l’acupuncture ne sauraient par ailleurs être acquises au moyen d’une formation de base, fondée sur un enseignement de « théorie fondamentale », non assortie d’exercices pratiques et dispensant la moitié moins d’heures de cours que la formation de spécialisation.
Le TF admet ainsi le recours, annule le jugement du tribunal cantonal et confirme la décision de l’office AI.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat

TF 9C_447/2016 du 1 mars 2017
Prestations complémentaires; moment déterminant pour la prise en compte d’une part d’héritage; déduction des dettes d’impôt; devoir d’instruire; art. 11 al. 1 let. c LPC; 43 al. 1 et 61 lit. c LPGA
Même si la réalisation de cet actif présente des difficultés, une part d’héritage doit en principe être prise en compte, dans le calcul de la fortune selon l’art. 11 al. 1 lit. c LPC, dès l’ouverture de la succession, soit dès le décès du de cujus (art. 560 al. 1 CC). Cela suppose toutefois que la valeur de cette part puisse être suffisamment établie ou, si elle ne peut pas être précisément chiffrée, que sa prise en considération permette d’exclure un droit aux prestations complémentaires au vu de l’ensemble des éléments de fait et de droit. Exceptionnellement, on peut tenir compte de la part d’héritage seulement quand l’ayant droit est réellement en mesure d’en disposer (c. 4.2).
Dans le cas d’espèce, le TF a laissé partiellement ouverte la question du moment déterminant. Il a considéré que le recourant était en mesure de disposer de l’immeuble dont il avait hérité en France en tout cas dès le moment où il avait obtenu un certificat d’héritier de l’autorité suisse compétente selon l’art. 559 al. 1 CC (c. 4.3 et 4.4).
Aux termes de l’art. 11 al. 1 let. c LPC, seule la fortune nette est prise en compte. Pour autant qu’elles soient certaines, les dettes fiscales doivent donc être déduites. Cela vaut aussi pour des impôts qui n’ont pas encore été fixés, par exemple ceux qui sont dus sur un avoir de prévoyance non réclamé et ajouté à la fortune de l’ayant droit (c. 5.1 et 5.2).
En l’occurrence, il est établi que les autorités françaises percevront un impôt sur la succession et que la vente de l’immeuble entraînera des frais à la charge du vendeur. Conformément à leur devoir d’instruire les faits pertinents (art. 43 al. 1 et 61 let. c LPGA), la caisse de compensation et le tribunal cantonal auraient donc dû déterminer, avec la collaboration du recourant, le montant de cet impôt et de ces frais, pour les déduire de la valeur vénale de l’immeuble (c. 5.3 et 5.5).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 9C_249/2016 du 1 mars 2017
Prévoyance professionnelle; rente d’invalidité; notion d’invalidité en cas de prévoyance professionnelle plus étendue; art. 49 al. 2 LPP
Dans la prévoyance professionnelle obligatoire, la notion d’invalidité est la même que dans l’assurance-invalidité. L’institution de prévoyance est donc en principe liée par l’estimation de l’invalidité par les organes de l’AI, sauf si cette estimation apparaît d’emblée insoutenable. En matière de prévoyance plus étendue, il est loisible aux institutions de prévoyance, en vertu de l’autonomie qui leur est conférée par l’art. 49 al. 2 LPP, d’adopter dans leurs statuts ou règlements une notion différente (p.ex. prestations à des conditions moins strictes comme en cas d’invalidité dite professionnelle, soit incapacité d’exercer l’activité habituelle).
En l’occurrence, bien que l’AI ait reconnu un degré d’invalidité de 35 % à l’assurée, une pension d’invalidité statutaire de 100 % a été accordée à celle-ci en vertu des dispositions statutaires de la caisse d’assurances du personnel de la ville de Genève faisant reposer la notion d’invalidité sur le principe de l’incapacité professionnelle se rapportant à une fonction déterminée. En un tel cas le degré d’invalidité est fixé sur la base des constatations médicales (degré de l’atteinte médico-théorique), à moins que l’administration trouve à l’assuré un emploi concret et exigible dans une autre fonction au sein de celle-ci, auquel cas le degré d’invalidité est mesuré selon la diminution du traitement assuré qu’il implique.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 9C_528/2016 - ATF 143 V 95 du 28 février 2017
Assurance-maladie; caractère efficace, adéquat et économique d’un traitement; art. 32 LAMal
A la suite d’un accident de ski, une assurée née en 1969, souffre de troubles somatoformes contre lesquels un traitement formé notamment de patch « Transtec/Matrix » (contenant des opioïdes) et de « Morphin HCL Amino Inj Lös » était pris en charge par l’assurance-accidents obligatoire jusqu’à fin janvier 2014. Dès cette date, l’assureur-maladie KPT a remboursé ces médicaments. Après avoir recueilli différents avis médicaux, cet assureur a conclu à un abus de consommation d’opiacée, refusé la prise en charge du traitement et exigé le remboursement des prestations indument versées à concurrence de CHF 2'691.85. L’assureur-maladie a maintenu sa position, par décision sur opposition, au motif que le traitement à base de Transtec et de Morphin (tous deux soumis à la LStup et pour des traitements limités selon la LPTh) n’était ni efficace ni adéquat et, partant, contraire au principe de l’économicité. Le tribunal administratif du canton de Berne a rejeté le recours formé par A., par jugement du 24 juin 2016.
Le Tribunal fédéral rappelle que l’efficacité d’un traitement ne pouvait pas systématiquement être niée au motif qu’il avait pour but de lutter uniquement contre les symptômes d’une maladie, et non son origine. Le traitement à base d’opiacées permettait de diminuer les douleurs de l’assurée et pouvait donc être considéré comme efficace. Toutefois, dès lors que le risque de dépendance (ICD-10: F11.1) avait été constaté en 2011 déjà, les critères d’efficacité et d’adéquation n’étaient plus réunis.
Les juges fédéraux ont toutefois ajouté qu’on ne saurait mettre fin de manière abrupte à un traitement nécessitant un arrêt par étapes, comme en présence du Transtec et du Morphin, et réclamer à l’assuré de bonne foi la restitution de prestations versées jusqu’ici.
En l’espèce, le TF a considéré que l’assurée, de bonne foi, avait droit au remboursement des prestations jusqu’au 1er octobre 2014, et pendant une période à déterminer par l’assureur-maladie dès le 2 octobre 2014 au cours de laquelle la médication devrait être éduite progressivement, compte tenu de la dépendance dont souffrait l’assurée, pour lui permettre de s’adapter à la nouvelle situation conforme à la LAMal.
Auteur : Guy Longchamp


TF 5A_432/2016 - ATF 143 III 162 du 27 février 2017
Assurance-accidents; décompte de prime; titre de mainlevée définitive; art. 49 al. 3, 52 et 54 LPGA; 99 et 105 LAA; 80 al. 1 et al. 2 ch. 2 LP
Cet arrêt porte sur les conditions à remplir pour qu’un décompte de primes LAA soit un titre à la mainlevée définitive (c. 2.2.). Pour remplir les exigences de l’art. 49 al. 3 LPGA, en d’autres termes admettre le caractère décisionnel du décompte, il suffit que l’acte revête les caractéristiques matérielles d’une décision, selon des critères objectifs et indépendamment de la volonté de son auteur. Admis en l’état (c. 2.2.1).
En l’espèce, l’indication de l’autorité compétente pour l’opposition est suffisamment précise. Cette analyse se justifie au regard du principe de la bonne foi, de la référence à l’art. 105 LAA et du contenu des versions allemandes et italiennes de la loi (c. 2.2.2). Un employeur, assujetti à l’assurance-accident obligatoire depuis plusieurs années, ne peut prétendre ignorer que la SUVA est une autorité administrative fédérale. Le fait que le décompte de primes puisse faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée correspond à l’effet légal de l’absence d’opposition que le poursuivi ne peut contrecarrer par ignorance de la loi (c. 2.2.3).
Un décompte de prime ne vaut titre à la mainlevée définitive que s’il fait référence à une décision de classement dans le tarif des primes (art. 124 OLAA) entrée en force, ce qui a été nié dans le cas d’espèce (c. 2.2.4).
Auteure : Rebecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne



TF 6B_541/2016 du 23 février 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; faute; violation des règles de la circulation; art. 31 al. 1 et 32 al. 1 LCR
L’art. 32 al. 1 LCR est une lex specialis par rapport à l’art. 31 al. 1 LCR lorsque la perte de maîtrise est uniquement due à une vitesse excessive. L’art. 31 al. 1 LCR entre en ligne de compte en tant que lex generalis lorsque la perte de maîtrise est due à d’autres facteurs que la vitesse. Enfin, les deux dispositions entrent en concours idéal lorsque le conducteur roule trop vite et ne prend que tardivement les mesures nécessaires à éviter le danger.
En l’espèce, le conducteur d’une voiture arrivait à une vitesse d’environ 25-30 km dans une ruelle étroite quand un habitant du quartier est sorti de sa maison avec son chien, directement sur la chaussée. Le chien a reconnu la voiture du voisin et a traversé la route devant lui. Le conducteur l’a renversé et le chien a été projeté à environ 20 mètres du véhicule.
L’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral en retenant une vitesse excessive dans ces circonstances, rappelant que la ruelle ne permettait pas à deux véhicules de se croiser, que la visibilité n’était pas parfaite et que la porte de la maison se trouvait directement sur la chaussée. Le conducteur, qui par ailleurs connaissait les lieux, devait s’attendre à la sortie de personnes à cet endroit précis. Sa vitesse était donc inadaptée aux circonstances.
En revanche, c’est à tort que l’instance cantonale a jugé le conducteur sur la base de l’art. 31 al. 1 LCR. Elle aurait dû le condamner sur la base de l’art. 32 al. 1 LCR. Comme cela n’a toutefois pas d’incidence sur le sort de la procédure, le TF renonce à renvoyer l’affaire et confirme le jugement cantonal, qui condamne le conducteur à 15 jours-amende à CHF 70.- ainsi qu’à une peine pécuniaire de CHF 300.-.
Auteure : Pauline Duboux, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne


TF 9C_176/2016 du 21 février 2017
Assurance-maladie ; soins ambulatoires ; financement résiduel des coûts des soins ; art. 25a al. 5 LAMal ; 8 al. 3 OPAS
Le TF confirme sa jurisprudence (notamment l’ATF 142 V 94) relative à la large compétence des cantons en matière de financement résiduel des coûts de soins (c. 3.2). Dans ce contexte, si un canton décide de requérir l’utilisation d’un outil bien spécifique pour l’évaluation des besoins en matière de soins pour garantir le caractère efficace, approprié et économique du traitement au sens de l’art. 32 LAMal, il n’y a pas de violation du droit fédéral (c. 6.2.1).
En l’occurrence, le canton de Thurgovie exigeait dans sa législation valable jusqu’au 30 juin 2015 (à partir du 1er juillet 2015, l’usage d’autres outils validés par un organe externe était également accepté) l’utilisation exclusive de l’outil « RAI-Homecare » pour l’évaluation des besoins en matière de soins. En refusant de se soumettre à cette exigence, la recourante contrevient à l’art. 8 al. 3 OPAS qui prescrit que l’évaluation des soins doit se fonder sur des critères uniformes (c. 6.2.3.2).
Auteur : Waltern Huber, titulaire du brevet d’avocat à Puplinge

TF 9C_722/2016 du 17 février 2017
Assurance invalidité; evaluation de l’invalidité; art. 28a al. 1 et al. 2 LAI
Le litige porte sur la question du droit à l’obtention d’une rente de l’AI, plus particulièrement sur le statut de l’assuré, en l’espèce une femme qui s’est vue refuser l’octroi d’une rente, et la méthode d’évaluation de l’invalidité qui en découle.
Le TF rappelle que pour déterminer la méthode d’évaluation de l’invalidité applicable à un cas particulier, il faut se demander ce que l’assuré aurait fait si l’atteinte à la santé n’était pas survenue. Lorsque l’assuré accomplit ses travaux habituels, il convient d’examiner, à la lumière de sa situation personnelle, familiale, sociale et professionnelle, si, étant valide il aurait consacré l’essentiel de son activité à son ménage ou s’il aurait exercé une activité lucrative. Pour déterminer le champ d’activité probable de l’assuré, il faut notamment prendre en considération la situation financière du ménage, l’éducation des enfants, l’âge de l’assuré, ses qualifications professionnelles, sa formation ainsi que ses affinités et talents personnels. L’éventualité de l’exercice d’une activité lucrative partielle ou complète doit être établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Le point de savoir si et dans quelle mesure l’assuré exercerait une activité lucrative ou resterait au foyer s’il n’était pas atteint dans sa santé, en tant qu’il repose sur l’évaluation du cours hypothétique des évènements, est une question de fait, pour autant qu’il repose sur une appréciation des preuves, et cela même si les conséquences tirées de l’expérience générale de la vie sont également prises en considération.
En l’espèce, il a été établi que l’assurée a toujours exercé certaines activités malgré ses atteintes à la santé, dans une mesure correspondant à la mise en œuvre maximale de sa capacité de travail. Elle a rendu plausible, au degré de la vraisemblance prépondérante, que si elle n’avait pas été atteinte dans sa santé, elle aurait exercé une activité lucrative à 100% au moment où elle s’est vue refuser l’octroi d’une rente par l’Office AI. Au vu de ce qui précède, le TF lui reconnaît son droit à une rente entière sur la base de la méthode générale de comparaison des revenus (art. 28a al. 1 LAI).
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

TF 6B_267/2016 du 15 février 2017
Responsabilité délictuelle ; prétentions civiles dans le cadre d’un procès pénal ; conditions d’admission des conclusions civiles ; atteinte illicite à la personnalité ; tort moral ; facteurs de réduction de l’indemnité ; indemnité de procédure ; art. 189 et 190 CP ; 126 al. 1 lit. b, 126 al. 2 lit. b, 122 al. 1, 325 et 433 CPP ; 41 à 49, 51 et 53 CO
En application des art. 126 al. 1 let b et 126, al. 2 let b CPP, un jugement d’acquittement peut aussi bien aboutir à la condamnation du prévenu sur le plan civil – étant rappelé que, selon l’art. 53 CO, le jugement pénal ne lie pas le juge civil – qu’au déboutement de la partie plaignante. La plupart du temps, le fondement des prétentions civiles réside dans les règles relatives à la responsabilité civile des art. 41 ss CO, dont la réparation du dommage (art. 41 à 46 CO) et l’indemnisation du tort moral (art. 47 et 49 CO). En règle générale, si l’acquittement résulte de motifs juridiques, les conditions d’une action civile par adhésion à la procédure pénale fond défaut et les conclusions civiles doivent être rejetées (c. 6.1).
Quoique régi par les art. 122 ss CPP, le procès civil dans le procès pénal demeure soumis à la maxime des débats et à la maxime de disposition. Ainsi, l’art. 8 CC est applicable au lésé qui fait valoir des conclusions civiles déduites de l’infraction par adhésion à la procédure pénale (c. 6.1).
L’art. 42 CO s’applique également au tort moral. La preuve de la souffrance morale étant difficile à apporter, il suffit au demandeur d’établir la réalité et la gravité de l’atteinte objective qui lui a été portée. Sur le plan subjectif, le juge doit tenir compte du cours ordinaire des choses, comme l’y autorise l’art. 42 al. 2 CO, le tort moral étant censé correspondre à ce qu’aurait ressenti une personne normale placée dans la même situation (c. 6.1). In casu, les conclusions civiles partiellement admises en application des articles 28 CC et 49 CO (c. 6.2).
La possibilité de réduire une indemnité pour tenir compte d’une faute concomitante, résultant de l’art. 44 CO, existe également dans le cas d’une indemnité pour tort moral et la réduction prévue par l’art. 44 al. 2 CO (gêne) ne peut avoir lieu qu’en cas de faute légère ou moyenne (c. 8.2 et 8.3). Le jeune âge des auteurs constitue un facteur d’atténuation de la faute. Or, la gravité de la faute du responsable fait également partie des facteurs à prendre en compte dans la fixation d’une indemnité pour tort moral (c. 8.5).
La jurisprudence exclut que des motifs de réduction de la réparation du dommage fondés sur l’art. 43 CO soient, dans le cadre de la solidarité prévue par l’art. 50 CO, invoqués à l’encontre du créancier (c. 9). Lorsque l’acquittement est prononcé sur le plan pénal, mais que l’action civile du plaignant est partiellement admise, il se justifie d’octroyer une indemnité réduite en application de l’art. 433 CPP (c. 10).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Rolle (VD)

TF 8C_267/2016 - ATF 143 V 161 du 13 février 2017
Assurance-chômage ; perte de travail à prendre en considération ; prestations volontaires de l’employeur ; art. 11 et 11a LACI ; 10a et 10h OACI
Le TF examine les conditions auxquelles une perte de travail au sens de l’art. 11 LACI est prise en considération. Certaines pertes de gain qui surviennent à la fin des rapports de travail n’en sont pas réellement si l’assuré peut récupérer les sommes perdues auprès de l’employeur (art. 11 al. 3 LACI et art. 10h OACI). Il s’agit d’inciter le salarié à faire valoir ses prétentions auprès de l’employeur et à empêcher ainsi que celui-ci ne fasse supporter à l’assurance-chômage les salaires ou indemnités qu’il est tenu de payer. La perte de travail n’est pas non plus prise en considération si des prestations volontaires couvrent une perte de revenu découlant de la résiliation des rapports de travail. Il s’agit, en particulier, d’éviter une indemnisation à double. Les prestations ne sont cependant prises en compte qu’à partir d’un certain seuil (aujourd’hui CHF 148'200.-, soit le montant actuel maximal du gain assuré en LAA selon l’art. 11a al. 2 LACI), afin de ne pas dissuader les employeurs de proposer des plans sociaux.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève


TF 9C_270/2016 du 13 février 2017
Assurance-invalidité ; prestations de soins pédiatriques à domicile ; limitation du temps de prise en charge ; art. 13 al. 1 et 14 al. 1 let. a LAI ; circulaires de l’OFAS n° 207 et 308
Un enfant atteint d’une malformation congénitale bénéficie de soins à domicile fournis par l’Association suisse des soins pédiatriques (Kinderspitex). S’agissant de la prise en charge des coûts, l’OFAS a établi une circulaire n° 297 indiquant la liste des prestations de soins pédiatriques à domicile pris en charge par l’AI en tant que mesures médicales au sens des art. 13 et 14 LAI, ainsi que le temps maximal de prise en charge pour chaque prestation. L’autorité de surveillance a apporté des précisions dans la circulaire n° 308 en ce qui concerne les situations où il faut prévoir des interventions médicales d’urgence 24 heures sur 24 (comme prestation unique, non cumulable avec d’autres prestations de la catégorie « mesures d’examen de traitement »), et a augmenté la limite supérieure de la prise en charge de 7 à 8 heures maximum par jour (c. 4.1).
L’autorité précédente a considéré que, selon l’énoncé de l’art. 13 al. 1 LAI, le remboursement intégral des coûts de tous les traitements et soins médicaux nécessaires est dû. Il n’y a pas de lacune proprement ou improprement dite s’agissant de la limitation du remboursement des coûts du temps de prise en charge. Les montants maximaux définis dans les deux circulaires sont contraires à la loi (c. 4.2).
Selon l’Office AI, le règlement de 8 heures ne constituerait pas une réelle limite car la possibilité est laissée dans les cas exceptionnels de déposer une demande dûment spécifiée de prise en charge de la différence auprès de l’Office AI compétent (c. 4.3).
Selon le TF, les art. 13 al. 1 et 14 al. 1 let. a LAI ne prévoient pas de limitation maximale de temps pour le remboursement des prestations de soins pédiatriques à domicile constituant des mesures médicales nécessaires ordonnées par le médecin et étant dispensés à domicile pour les malformations de naissance. De même, il ne peut être déduit de l’ordonnance (OAI) une telle limitation de temps pour les prestations liées aux malformations de naissance. La raison principale de la limitation temporelle figurant dans ces circulaires est d’éviter la surindemnisation de l’assuré. Cet aspect est en effet important mais ne saurait être suivi. Les dispositions légales ne sauraient être interprétées et appliquées contre leur énoncé clair ainsi que leur sens et leur but. S’agissant de la couverture des coûts par l’AI, le critère décisif est de savoir si concernant les prestations (uniques) des soins pédiatriques à domicile, les conditions des art. 13 al. 1 et 14 al. 1 let. a LAI sont remplies (c. 4.4).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg

TF 9C_457/2016 du 13 février 2017
Assurance invalidité ; remise de moyens auxiliaires ; notion de moyen auxiliaire simple et adéquat ; art. 21 al. 1 et 3 LAI
Un assuré ne saurait prétendre à la prise en charge d’une prothèse avec genou électronique de type C-Leg alors qu’une prothèse fémorale avec genou mécanique, remboursée par l’Office AI, ne l’empêche pas d’exercer de manière adéquate son métier d’enseignant et, par ailleurs, n’est pas susceptible de justifier concrètement l’existence de douleurs qui, selon la littérature médicale, seraient potentiellement causées par cette dernière.
Le TF rappelle à ce propos que la seule commercialisation d’un moyen auxiliaire plus performant ne peut faire apparaître l’ancien comme inadéquat aussi longtemps que celui-ci répond aux besoins de l’assuré, en particulier en l’espèce au regard de l’intégration professionnelle.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 8C_455/2016 du 10 février 2017
Procédure; recours par voie électronique; art. 55 al. 1bis LPGA; 21a PA; 130 CPC; loi de procédure administrative cantonale
Un acte de recours contre une décision sur opposition de l’assurance-chômage transmis par voie électronique au tribunal cantonal des assurances sociales du canton du Valais est irrecevable en raison de l’absence de base légale autorisant l’usage d’un tel moyen de communication. Le renvoi général au code de procédure civile fédéral prévu à titre subsidiaire dans la loi cantonale sur la procédure administrative ne permet pas de conclure que l’art. 130 CPC trouverait application dans le cadre du contentieux en matière d’assurances-sociales.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève

TF 4A_375/2016 du 8 février 2017
Responsabilité délictuelle ; procédure ; assistance judiciaire ; art. 117 CPC ; 29 al. 3 Cst.
L’épouse et l’enfant d’un travailleur victime d’un accident mortel sur un chantier ouvrent action contre l’employeur, réclamant la réparation du dommage ainsi que l’indemnisation du préjudice moral. Leur demande est rejetée en première instance, puis leur requête d’assistance judiciaire est rejetée par le TC pour la procédure d’appel.
Il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence relative à l’art. 29 al. 3 Cst. pour interpréter la notion de cause « dépourvue de toute chance de succès » au sens de l’art. 117 let. b CPC. La question de savoir si les chances de succès sont suffisantes doit être tranchée sur la base d’un examen sommaire et provisoire. Il faut prendre en considération le fait qu’un jugement de première instance a été rendu, ce qui allège l’examen sommaire des chances de succès (c. 3.1). Le TF ne se prononce qu’avec retenue sur le pronostic de l’instance précédente (c. 3.2).
Les chances de succès de l’appel dépendent seulement des allégués de procédure des recourants. A cet égard, les allégués contenus dans les écritures de première instance des parties revêtent une grande importance (c. 4.3). En l’espèce, l’instance précédente ne s’est pas fondée sur l’ensemble des allégués de procédure des recourants. Elle a réduit l’état de fait à un seul élément prétendument relevant pour l’application du droit (c. 5.1.3).
L’instance précédente n’a pas non plus examiné si l’art. 153 al. 2 CPC – concernant l’administration d’office des preuves lorsqu’il existe des motifs sérieux de douter de la véracité d’un fait non contesté − trouvait application en l’espèce. Cas échéant, les parties doivent pouvoir bénéficier du droit d’être entendu (c. 5.3.4).
Le TF a donc admis le recours et octroyé aux survivants le droit à l’assistance judiciaire pour la procédure d’appel.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 8C_787/2016 du 8 février 2017
Assurance-invalidité ; obligation de diminuer le dommage ; mise en demeure ; révision procédurale ; reconsidération ; art. 17 al. 1, 21 al. 4, 43 al. 3 et 53 al. 1 et 2 LPGA
La preuve de la notification d’une mise en demeure concernant l’obligation de diminuer le dommage incombe à l’administration. La mention « recommandé » sur le courrier ne suffit pas, si le dossier ne contient aucune annexe démontrant la notification, par exemple une enveloppe avec un code-barres ou un extrait track and trace (c. 3).
En outre, il n’existe aucun fait nouveau important permettant une révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA, ni même la possibilité d’admettre une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) ou une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA ; c. 4). Le recours est dès lors admis et la rente initialement octroyée maintenue.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat, Fribourg.

TF 8C_752/2016 - ATF 143 V 168 du 3 février 2017
Assurance-chômage ; aptitude au placement ; perte de travail à prendre en considération ; art. 11 et 15 LACI
L’aptitude au placement s’apprécie de manière concrète sur la base des éléments existants à la date de la décision sur opposition. L’aptitude au placement comme condition au droit aux prestations n’est pas fractionnable. Soit la personne assurée est apte au placement, à savoir prête et légitimée à accepter un travail convenable (pour une activité minimale de 20 %), soit pas. La perte de travail à prendre en considération est une autre notion qui se rapporte au dernier rapport de travail avant le début du chômage. Cet élément dépend du temps que la personne assurée est prête, légitimée et en mesure de consacrer à un travail convenable.
La recourante n’était pas apte au placement durant les huit semaines d’interdiction de travail qui ont suivi son accouchement du 15 décembre 2014. Durant la période de la huitième à la seizième semaine après l’accouchement du 15 décembre 2014 (soit du 10 février au 7 avril 2015), l’art. 35b LTr n’interdit pas le travail de nuit. L’employeur est néanmoins tenu de proposer à sa collaboratrice d’exercer une activité équivalente entre 6 heures et 20 heures. S’il ne le fait pas et si la travailleuse refuse de travailler la nuit, elle peut prétendre à 80 % de son salaire. Du 10 février au 7 avril 2015, on ne peut considérer, selon un degré de vraisemblance prépondérante, qu’un employeur potentiel n’aurait pas convenu avec la recourante un contrat de travail pour le service de nuit simplement parce qu’elle aurait pu refuser le service de nuit après son engagement. Dénier à la recourante son aptitude au placement seulement à cause de cette protection et en raison du risque que la collaboratrice engagée fasse usage de cette faculté n’est pas admissible. En effet, il est notoire que le besoin en personnel dans le domaine des soins est élevé, ce qui n’exclut pas qu’un employeur ait pu offrir un tel engagement tout en étant pleinement conscient des impondérables liés à la loi sur le travail.
Du 8 avril au 30 juin 2015, l’assurée ne disposait pas de solutions fiables qui lui auraient garanti des plages de repos suffisantes en cas d’activité de nuit à 100 % ou 80 %. L’aptitude au placement reconnue par l’office du travail pour cette période et le degré d’activité de 50 % retenu était donc généreux mais ne justifiait toutefois pas de reformatio in peius.
Le tribunal de première instance résume un comportement des employeurs qui contrevient au principe de l’interdiction de la discrimination à l’embauche avec le risque de devoir indemniser la personne discriminée. Dès lors, la négation de l’aptitude au placement n’est pas conforme au droit fédéral, de sorte qu’il ne se justifie pas d’examiner si les exigences de l’aptitude au placement devraient être assouplies dans le contexte de cette affaire.
En revanche, la recourante ne disposait pas de solutions fiables pour s’occuper de ses enfants afin de lui garantir les heures de repos nécessaires après un engagement de nuit de 100 % puis de 80 % pour la période du 8 avril au 30juin 2015. Les premières déclarations de la recourante à ce sujet apparaissent comme plus crédibles que ses explications ultérieures, lesquelles peuvent avoir été consciemment ou inconsciemment influencées en fonction de considérations d’assurance. La recourante n’a pas démontré avant son annonce à l’assurance-chômage que malgré la charge et les contraintes liées à son premier enfant, elle aurait été en mesure et disposée à exercer une activité professionnelle.
Enfin, la recourante n’avait finalement repris une activité qu’à 20 % à partir de juillet 2015 (une tierce personne s’occupant de ses enfants) puis ensuite à 50 % alors qu’elle mentionnait un engagement possible à 100 % puis à 80 % dès juin 2015. C’est à bon droit que le tribunal cantonal a confirmé le point de vue de l’office du travail en fixant la perte de travail à prendre en considération à 50 % du 8 avril au 30 juin 2015 eu égard aux possibilités de travailler le week-end. Il en va de même pour la période du 10 février au 7 avril 2015, la reformatio in peius décidée par le tribunal cantonal étant annulée (aptitude au placement admise et perte de travail à prendre en considération fixée à 50 % du 10 février au 30 juin 2015).
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier


TF 8C_716/2016 du 1 février 2017
Assurance-invalidité ; reclassement ; « grande » indemnité journalière ; art. 16, 17, 23 al. 1 et 24 al. 1 LAI
Le TF retient que cet assuré a droit à un reclassement professionnel comme informaticien et à une « grande » indemnité journalière de 80%, au sens des art. 23 al. 1 et 24 al. 1 LAI, par opposition aux mesures de réadaptation et à la « petite » indemnité journalière de 30%, au sens des art. 22 al. 1bis et 23 al. 2bis LAI, car il avait terminé sa première formation par l’obtention d’un CFC de charpentier et travaillé – nonobstant les premiers signes de sa maladie – plus de 6 mois dans la formation apprise avec un revenu approprié.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne

TF 9C_604/2016 - ATF 143 I 60 du 1 février 2017
Assurance-invalidité ; rente ; révision du degré d’invalidité après la naissance d’un enfant ; état de fait similaire à Di Trizio ; art. 17 LPGA ; 28a LAI
Le droit à la rente d’une assurée a été révisé après qu’elle a donné naissance à un enfant. Sa situation médicale et sa capacité de travail tant dans son activité habituelle que dans une activité adaptée ne s’étant pas modifiée, le seul motif pour la révision était le changement de statut de l’assurée, qui de personne avec activité lucrative est passée à un statut mixte.
L’état de fait étant identique à celui qui a donné lieu à l’arrêt Di Trizio c. la Suisse (CourEurDH, 2.2.2016), la suppression du droit à la rente par la voie de la révision s’avère contraire à l’art. 8 CEDH.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_28/2016 du 30 janvier 2017
Prévoyance professionnelle ; rente d’invalidité ; surindemnisation ; gain présumé perdu ; art. 24 OPP2
A la suite d’un accident de circulation, un assuré, marié et père de deux enfants, a été mis au bénéfice d’une rente d’invalidité de l’AI et d’une rente complémentaire de la LAA. Des rentes d’enfants d’invalide lui ont été accordées par ces deux assureurs sociaux. Dans le cadre d’un calcul de surindemnisation, l’institution de prévoyance (Bâloise-Fondation collective pour la prévoyance professionnelle obligatoire) a versé des prestations d’invalidité (y compris pour les deux enfants) réduites, durant plusieurs années.
A la suite de la naissance d’un troisième enfant, l’assurance-invalidité et l’assureur-accident ont adapté leurs prestations. Dans ce cadre, l’institution de prévoyance a réexaminé le dossier et, contrairement à ce qu’elle avait accepté jusqu’ici, s’est écartée du revenu sans invalidité retenu par l’AI et l’assureur-accident pour fixer un « gain présumé perdu » au sens de l’art. 24 OPP2 moins élevé. En conséquence, l’institution de prévoyance a revu son calcul de surindemnisation et a diminué ses prestations.
Le TF a confirmé le jugement de première instance et a considéré que, comme cela prévaut dans le domaine de l’assurance-invalidité, lors d’une modification des circonstances (art. 17 LPGA) entraînant une adaptation des prestations de 10% – comme la naissance d’un troisième enfant dans le cas d’espèce – l’institution de prévoyance peut par analogie revoir de manière complète le droit aux prestations de l’assuré. Elle n’est pas liée par le revenu sans invalidité pris en compte par l’AI ou l’assurance-accidents, qui n’a qu’une valeur de présomption (réfragable). En particulier, la Bâloise-Fondation collective était autorisée à recalculer le « gain présumé perdu » sur la base de nouveaux critères, l’assuré ne pouvant se targuer d’un droit acquis dans ce domaine.
Auteur : Guy Longchamp

TF 9C_507/2016 du 27 janvier 2017
Assurance-maladie ; planification hospitalière ; mandats de prestations ; part cantonale ; hospitalisations extracantonales ; libre choix de l’hôpital ; art. 39, 41 al. 1bis et 49a LAMal ; 58a à 58e OAMal
Le litige porte sur l’obligation du canton de Vaud de payer la part cantonale (55%, cf. art. 49a LAMal) pour des hospitalisations extracantonales – en l’espèce dans des cliniques privées genevoises – lorsque ces hospitalisations sortent du cadre des mandats de prestations défini par la planification hospitalière genevoise.
Le TF considère que la planification hospitalière genevoise ne tient compte que des besoins de la population domiciliée dans le canton de Genève, dès lors qu’elle n’a pas fait l’objet d’une coordination avec la planification hospitalière vaudoise. En conséquence, les limitations découlant des mandats de prestations (« nombre annuel maximum de cas ») définis dans la planification hospitalière genevoise ne sont pas applicables aux patients domiciliés dans le canton de Vaud qui, pour des raisons de convenance personnelle, choisissent d’être hospitalisées dans une clinique privée genevoise (c. 7).
Sous l’angle procédural, le TF admet la recevabilité d’un recours direct auprès de lui contre des décisions rendues par le Département vaudois de la santé et de l’action sociale (DSAS) après que l’affaire lui a été renvoyée par le tribunal cantonal des assurances, dès lors que ces décisions se fondent entièrement sur l’arrêt cantonal et que l’utilisation, une nouvelle fois, de la voie de recours cantonale aurait constitué un détour inutile, parce que la juridiction cantonale s’était déjà prononcée sur la question qui demeure litigieuse devant lui (c. 2).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 8C_791/2016 du 27 janvier 2017
Assurance-chômage ; règles de coordination entre assurance-chômage, assurance perte de gain maladie LCA et assurance-invalidité ; art. 28 LACI ; 73 LAMal ; 15 et 40b OACI ; 70 al. 2 let. b LPGA
La règle de coordination de l’art. 28 al. 4 LACI n’a vocation à s’appliquer que lorsqu’un assureur perte de gain privé est tenu de verser ses prestations en vertu de ses conditions générales d’assurance ou de ses obligations contractuelles. En l’espèce, l’assureur a mis fin au versement de ses prestations le 30 avril 2015 au motif que l’incapacité de travail n’était plus justifiée médicalement à compter de cette date, selon l’expertise psychiatrique réalisée (c. 4.1). Si l’assurée estimait qu’elle était en incapacité de travail à hauteur de 60 % en mai 2015, elle devait faire valoir ses prétentions vis-à-vis de l’assureur perte de gain maladie, et non pas vis-à-vis de l’assurance-chômage (c. 4.2).
Par ailleurs, le devoir de l’assurance-chômage de prendre provisoirement en charge les prestations en vertu de l’art. 70 LPGA ne vaut que vis-à-vis de l’assurance-invalidité et pas vis-à-vis d’une assurance perte de gain soumise à la LCA (coordination intersystémique). En l’espèce, le droit à la rente AI ne pouvait naître, au plus tôt, qu’en juin 2015 compte tenu de la date du début de l’incapacité de travail (juin 2014) et du dépôt de la demande (décembre 2014). Il ne pouvait donc pas être question d’une prise en charge provisoire des prestations par l’assurance-chômage pour le mois de mai 2015 (c. 3.1 et 5.1).
En revanche, pour le mois de juin, le droit aux allocations du chômage a été nié à tort par la dernière instance cantonale (c. 3.1 in fine et 5.2). En effet, comme déjà exposé à l’ATF 136 V 95, la personne qui a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité et qui est entièrement sans emploi, mais qui n’est capable de travailler qu’à temps partiel en raison d’atteintes à sa santé, a droit à une pleine indemnité journalière de chômage, fondée sur l’obligation de l’assurance-chômage d’avancer les prestations, si elle est prête à accepter un emploi dans la mesure de sa capacité de travail attestée médicalement (c. 5.3).
En l’espèce, dans la mesure où la question du taux d’invalidité au mois de juin 2015 n’avait pas encore été tranchée par l’assurance-invalidité, il incombait à l’assurance-chômage de prendre en charge provisoirement les prestations (« Schwebezustand ») (c. 5.3).
En ce qui concerne le montant des prestations, l’art. 40b OACI prévoit qu’est déterminant, pour le calcul du gain assuré des personnes qui, en raison de leur santé, subissent une atteinte dans leur capacité de travail durant le chômage ou immédiatement avant, le gain qu’elles pourraient obtenir, compte tenu de leur capacité effective de gagner leur vie (c. 5.4).
Ici, dans la mesure où l’assurance-invalidité n’avait pas encore statué sur le taux d’invalidité, l’assurée devait être mise au bénéfice d’une allocation de chômage non réduite, le gain assuré devant ensuite être rectifié lorsque l’assurance-invalidité aurait statué et l’assurée, le cas échéant, amenée à rembourser le trop perçu (art. 95 al. 1bis LACI) (c. 5.4).
Auteure : Emilie Conti, avocate à Genève

TF 8C_117/2016 du 27 janvier 2017
Assurance-accidents ; maladie professionnelle ; droit à l’expertise ; art. 9 al. 1 et 2 LAA
Selon l’art. 9 al. 1 1re phrase LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci sont énumérés de manière exhaustive. Sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle (art. 9 al. 2 LAA). La condition d’un lien exclusif ou nettement prépondérant n’est réalisée que si la maladie a été causée à 75 % au moins par l’exercice de l’activité professionnelle. Cela signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d’une profession déterminée, que les cas d’atteinte pour un groupe professionnel particulier doivent être quatre fois plus nombreux que ceux que compte la population en général.
Le point de savoir si une affection est une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA est d’abord une question relevant de la preuve dans un cas concret. Cependant, s’il apparaît comme un fait démontré par la science médicale qu’en raison de la nature d’une affection particulière, il n’est pas possible de prouver que celle-ci est due à l’exercice d’une activité professionnelle, il est hors de question d’apporter la preuve, dans un cas concret, de la causalité qualifiée au sens de l’art. 9 al. 2 LAA.
Il n’existe pas de droit inconditionnel à la mise en œuvre d’une expertise médicale pour chaque cas d’épicondylite ou de troubles du même type.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

TF 9C_541/2016 du 26 janvier 2017
Assurance-invalidité ; expertise judiciaire ; montant de la rémunération des experts ; art. 45 LPGA ; 72bis al. 1 RAI
Lorsque le tribunal cantonal des assurances met en œuvre une expertise judiciaire, il est fondé, dans certaines circonstances qui ne sont pas discutées en l’espèce, à mettre les frais de l’expertise à charge de l’office AI. Si l’expertise est confiée à un COMAI, le tribunal est lié par le tarif établi par les accords conclus par l’OFAS et le COMAI en question.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont



TF 4A_13/2017 du 26 janvier 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile ; décision préjudicielle ; action partielle ; recevabilité du recours au TF ; art. 93 al. 1 let. b LTF
Dans le cadre d’une action en paiement partielle portant sur un dommage matériel et une indemnité pour tort moral, le procès est limité dans un premier temps à l’examen du principe de la responsabilité. Le tribunal cantonal admet l’appel du demandeur contre le jugement excluant la responsabilité et renvoie la cause au tribunal de première instance. Les défenderesses recourent au TF.
L’arrêt cantonal est une décision préjudicielle susceptible de recours au TF uniquement si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale permettant d’éviter une procédure longue et coûteuse (c. 2). À cet égard, les recourantes ne peuvent pas se prévaloir du caractère partiel de l’action ouverte, en ce sens qu’il faudrait tenir compte de l’action subséquente qui pourrait être ouverte en lien avec les autres postes du dommage (par exemple la perte de gain), procédure qui devrait être longue et coûteuse, au vu de la complexité des atteintes à la santé de la victime. En effet, l’autorité de la chose jugée du jugement définitif relatif à l’action partielle ne s’étendra qu’à la partie de la créance réclamée dans le cadre de celle-ci. Le rejet immédiat de l’action partielle ne permettra dès lors pas d’éviter aux parties une procédure longue et coûteuse liée au dépôt d’une demande subséquente visant les autres postes du dommage (c. 2.3).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

TF 9C_542/2016 - ATF 143 V 1 du 21 janvier 2017
Assurance-invalidité ; infirmité congénitale ; mesures médicales ; enfant de frontalier ; art. 9 al. 2 et 13 LAI ; art. 4, 17 et 18 R (CE) n° 883/2004
La jurisprudence rendue par le TF à l’arrêt 9C_337/2016 du 17 novembre 2016, selon laquelle l’enfant de travailleurs frontaliers résidant à l’étranger n’ont pas droit aux mesures de réadaptation de l’AI, vaut également sous l’empire du Règlement (CE) n° 883/2004, en vigueur pour la Suisse depuis le 1er avril 2013.
Dans cette affaire, il s’agissait de l’enfant de travailleurs frontaliers qui s’étaient établis en Allemagne, et qui n’avaient pas exercé leur droit d’option pour l’assurance-maladie, de sorte que l’enfant était assuré à l’AOS en Suisse. Comme il l’avait déjà fait dans l’arrêt susmentionné, le TF a comparé la situation selon que la prise en charge des mesures médicales dont l’enfant avait besoin étaient prises en charge par l’AI ou par l’AOS. Constatant que les seuls frais dont l’enfant, respectivement ses parents, devaient s’acquitter était la franchise (Fr. 350.- par année civile), le refus de mesures médicales selon l’art. 13 LAI ne pouvait pas être jugé discriminatoire.
La question de savoir ce qu’il en serait si l’enfant n’avait pas été assuré à l’AOS en Suisse ou à un régime permettant une prise en charge équivalente à l’étranger reste ouverte.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_312/2016 du 19 janvier 2017
Prestations complémentaires ; montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins ; art. 10 al. 3 let. d LPC ; 54a al. 3 OPC
Il découle de l’art. 21 al. 1 LPC que le canton où le bénéficiaire était domicilié immédiatement avant son entrée dans un home est ou reste compétent pour fixer et verser le droit aux prestations complémentaires. Mais le but poursuivi par le législateur à l’art. 10 al. 3 let. d LPC – déterminer à moindre frais un coût moyen équitable pour l’assurance obligatoire des soins – n’empêche pas et impose au contraire de retenir pour le calcul, après sa publication selon l’art. 54a al. 3 OPC, le montant forfaitaire de la région de prime effective, c’est-à-dire celle où le bénéficiaire a son lieu de résidence au sens de l’art. 61 al. 2 LAMAL, même si c’est dans un autre canton (c. 6.4).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 6B_633/2016 du 19 janvier 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile ; causalité ; art. 59 al. 1 LCR ; 126 al. 1 let. b CPP
Le tribunal cantonal nie l’existence d’un lien de causalité adéquate entre le comportement d’un automobiliste qui quitte une place de parc et la lésion subie par un tiers, qui s’est blessé, alors qu’il s’est accroché au véhicule, tout en constatant qu’il était en mouvement. En effet, l’élément central au départ de la chaîne des événements est bien le comportement insolite du tiers (c. 4.3).
Quant au TF, il estime que les considérations de l’instance précédente permettent d’exclure la responsabilité du détenteur du véhicule sur la base de l’art. 59 al. 1 LCR. D’une part, le détenteur n’a commis aucune faute ; d’autre part, le lésé a commis une faute grave. Il n’y a dès lors plus de place pour un renvoi des conclusions civiles à la connaissance du juge civil, mais uniquement pour un rejet selon l’art. 126 al. 1 let. b CPP (c. 4.4).
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fibourg


TF 4A_469/2016 du 19 janvier 2017
Responsabilité du détenteur d’ouvrage ; causalité adéquate ; interruption ; art. 58 CO
Le lien de causalité est rompu lorsque la victime commet une faute aberrante et imprévisible au point de ne pas s’inscrire dans le cours ordinaire des choses (rappel de jurisprudence, citée au c. 3).
Le réparateur d’ascenseur expérimenté qui connaît les risques présentés par des ascenseurs adjacents, non séparés par une paroi, et qui intervient sur l’un deux sans mettre hors service le second, commet une faute grave et inexcusable. Son décès provoqué par le choc du contrepoids de l’ascenseur resté en mouvement ne peut être imputé au vice de construction supposé de l’ascenseur.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 9C_756/2016 du 18 janvier 2017
Assurance-maladie ; cotisations LAMal ; solidarité des époux ; art. 166 al. 1 et 3 CC
A un commandement de payer de Helsana Assurances SA pour des primes en souffrance le concernant lui et son épouse, A.A. fait opposition partielle. Par décision du 15 octobre 2014, Helsana Assurances SA prononce, pour les primes en retard de A.A. et de son épouse B.A., la mainlevée définitive de l’opposition de A.A., une décision qu’à la suite d’une opposition de A.A., Helsana Assurances SA confirme, cette fois, par décision sur opposition.
Par jugement du 30 septembre 2016, le tribunal des assurances du canton de Zurich admet, pour des motifs que le TF ne révèle pas dans son arrêt, le recours de l’époux A.A., en partie. Helsana Assurances SA introduit alors un recours de droit public au Tribunal fédéral, contre le jugement cantonal, en tant que ce dernier refuse de tenir compte des primes en retard, de l’épouse de A.A.. Par arrêt du 18 janvier 2017, le TF prononce qu’A.A. répond non seulement du paiement de ses primes en souffrance à lui, mais aussi de celles de son épouse, en se référant à son ATF 129 V 90, arrêt où il a dit que les primes à payer à l’assurance-maladie obligatoire sont – indépendamment du régime matrimonial – des dettes dont chaque époux répond solidairement, en vertu de l’art. 166 al. 1 et 3 CC. A noter que cette responsabilité solidaire prend fin avec la cessation de la vie commune.
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 8C_663/2016 du 17 janvier 2017
Assurance-invalidité ; impotence ; évaluation ; critères qualitatifs et quantitatifs ; art. 37 al. 3 let. c et 39 RAI ; 42ter al. 3 LAI
Le TF se prononce plus précisément sur les conditions donnant droit à des allocations pour impotent fondées sur l’art. 37 al. 3 let. c RAI, à savoir lorsque des soins particulièrement astreignants sont exigés de façon permanente par l’infirmité de l’assuré, ainsi que sur celles fondant le droit à un supplément pour soins intenses en vertu des art. 42ter al. 3 LAI et 39 RAI.
S’agissant de la notion de soins permanents et astreignants au sens de l’art. 37 al. 3 let. c RAI, le TF rappelle que des critères quantitatifs et qualitatifs sont à prendre en considération. Du point de vue quantitatif, les soins doivent par exemple être particulièrement coûteux ou représentés beaucoup de temps passé auprès de l’assuré. Sur le plan qualitatif, les soins doivent être prodigués dans des circonstances particulièrement difficiles, à savoir lorsque ces soins sont gênants ou effectués à des moments inhabituels (chaque jour à minuit, par exemple). Moins le critère quantitatif est rempli, plus le critère qualitatif doit être important.
En l’espèce, était litigieuse la question de savoir si un enfant souffrant de fibrose kystique (mucoviscidose) alimenté par sonde nasale remplit les critères susmentionnés. Il est d’abord rappelé qu’un diagnostic de mucoviscidose ne suffit pas, à lui seul, à prouver la nécessité de soins permanents et astreignants. Si la nécessité de tels soins ne ressort pas directement du dossier, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires, en particulier à un examen sur place des circonstances concrètes. Or, il a été retenu dans le cas particulier que, d’une part, la pose d’une sonde nasale, peu pénible à accomplir et pouvant être faite par la mère elle-même, ne nécessite que de peu de temps (critère quantitatif) et, d’autre part, que le simple fait que la pose d’une sonde chez un enfant soit inhabituelle ne suffit pas à remplir le critère qualitatif.
Enfin, le TF confirme qu’il n’y a dès lors pas lieu d’examiner plus avant l’éventuel droit à un supplément pour soins intenses (art. 42ter al. 3 LAI), les critères qualitatifs et quantitatifs faisant de toute manière défaut.
Auteure : Muriel Vautier Eigenmann, avocate à Lausanne

TF 4A_228/2016 du 16 janvier 2017
Assurances privées ; assurance complémentaire à l’assurance-accidents obligatoire selon la LAA ; prescription ; art. 46 al. 1 et 100 al. 1 LCA ; 135 ch. 1 CO
Le TF rappelle que la naissance de l’obligation visée par l’art. 46 al. 1 LCA ne se confond pas nécessairement avec la survenance du sinistre, même s’il s’agit de la cause première de l’obligation d’indemnisation. Selon le type d’assurance envisagée, la prestation de l’assureur n’est due que si le sinistre engendre un autre fait précis. Ainsi, en matière d’assurance-accidents, le contrat peut prévoir une couverture en cas d’invalidité; ce n’est alors pas l’accident comme tel, mais la survenance de l’invalidité qui donne lieu à l’obligation de base de l’assureur de verser des prestations. Dans ce cas-là, la prescription court donc dès le jour où l’invalidité est acquise, à savoir généralement lorsque les mesures thérapeutiques destinées à conjurer le mal ou, du moins, à limiter les effets de l’atteinte dommageable ont échoué.
Il n’est pas nécessaire que le taux d’invalidité soit fixé définitivement ; c’est l’invalidité dans son principe, et non dans son ampleur, qui doit être acquise, sauf si le contrat d’assurance prévoit, par exemple, qu’un taux minimal d’invalidité doit être atteint pour que le cas d’assurance soit réalisé. Peu importe enfin le moment où l’assuré a eu connaissance de son invalidité, le point de départ du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 CO étant fixé de manière objective.
Le fait que les CGA de l’assurance complémentaire à l’assurance-accidents selon la LAA se réfèrent au taux d’invalidité applicable dans l’assurance obligatoire LAA n’implique nullement que, une fois la prétention contractuelle prescrite, l’assureur privé, qui, en l’espèce est également l’assureur LAA, accepte implicitement de reconnaître sa dette calculée sur la base d’un nouveau taux d’invalidité (retenu exclusivement dans le cadre de l’assurance obligatoire LAA) et de renoncer par là-même à l’exception de prescription.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève

TF 4A_610/2016 du 16 janvier 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile ; procédure ; assistance judiciaire ; art. 117 let. b CPC
En matière de responsabilité civile, liée en l’occurrence à un accident de circulation routière, il est loisible de se fonder sur une expertise médicale pluridisciplinaire réalisée dans le cadre d’une procédure du droit des assurances sociales pour évaluer les chances de succès en vue de statuer sur l’octroi de l’assistance judiciaire, étant rappelé qu’une telle expertise doit être prise en considération à titre d’expertise judiciaire par le juge civil (c. 3.3.1.3). Dans l’hypothèse où les conclusions de cette expertise font apparaître le procès civil visé comme dépourvu de chances de succès, il appartient à la partie requérant l’assistance judiciaire d’avancer des indices jetant un doute sur la fiabilité de ces conclusions. Il est par exemple insuffisant de soutenir que l’expertise se réfèrerait à une description inexacte du déroulement de l’accident, sans exposer en quoi cette inexactitude pourrait avoir influencé les conclusions de cette expertise (c. 4.2.3 et 4.2.4).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne


TF 9C_459/2016 - ATF 143 V 9 du 13 janvier 2017
Prestations complémentaires à l’AVS/AI ; séjour dans un home ; taxe de séjour ; calcul du droit ; art. 10 al. 2 LPC ; 39 al. 3 LAMal ; 7 LIPPI ; 25a OPC
Dame B. est bénéficiaire d’une rente de veuve et séjourne dans un home se trouvant dans la commune de A., dans le canton de Schwyz. Ses trois enfants C., D. et E., au bénéfice de rentes d’orphelins, ont été placés dans une famille d’accueil (C. et D.), respectivement dans un foyer d’enfants (E.) dans le canton de Zurich. Tant dame B. que les enfants C., D. et E. ont été mis au bénéfice de prestations complémentaires. Un montant mensuel de CHF 111.00 a été retenu au titre de taxe de séjour en tant que dépenses admissibles pour la veuve et les orphelins. Suite à l’opposition, puis au recours de la commune de A., la juridiction cantonale a partiellement admis le recours de cette dernière et renvoyé la cause à la caisse cantonale SZ de compensation pour nouvelle appréciation des frais de soins de famille. C’est contre le jugement cantonal que la commune de A. a déposé un recours auprès du TF.
La question qui se pose en l’occurrence est celle de savoir quel est le montant admis au titre de taxe de séjour en cas de séjour de longue durée d’un bénéficiaire de prestations complémentaires dans un home. Pour ce faire, il incombe aux cantons de définir quels sont les homes reconnus au sens de l’art. 25a OPC. En revanche, les cantons sont en mesure de fixer des limites lorsque le bénéficiaire de prestations complémentaires réside dans un établissement d’un autre canton, établissement qui ne figure pas dans la liste cantonale reconnue.
Le TF confirme sa jurisprudence posée à l’ATF 138 II 191 en matière de liberté conférée aux cantons s’agissant de la planification hospitalière, à savoir que ceux-ci disposent d’une large marge d’appréciation pour mettre en œuvre la planification sanitaire et dresser la liste LAMal applicables à leur territoire. A condition de respecter les critères de planification figurant à l’art. 39 LAMal et aux art. 58a ss OAMal, les cantons peuvent opter pour différents systèmes. Il leur est loisible de poser des conditions strictes et limitatives à l’admission des EMS sur la liste LAMal et de soumettre l’ensemble de ces EMS à un contrôle renforcé des prestations. Il en résulte que les cantons ne sont pas tenus de couvrir l’intégralité des taxes de séjour dans un EMS.
De même, la commune A. ne pouvait rien tirer de l’art. 7 LIPPI, dès lors qu’une coordination entre l’assurance-invalidité au sujet de la notion d’EMS reconnue par le canton doit être de mise. Enfin, il a été rappelé que l’autorité compétente en matière d’aide sociale est liée par la décision (rendue conformément au droit fédéral) par laquelle l’autorité tutélaire a ordonné le placement d’un enfant mineur dans un internat. Elle ne peut pas refuser la prise en charge des frais en se fondant sur des dispositions de la législation cantonale en matière d’aide sociale.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 6B_262/2016 du 6 janvier 2017
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile ; appréciation des preuves ; principe in dubio pro reo ; art. 31 al. 1 et 33 al. 2 LCR ; 3 al. 1 et 6 al. 1 OCR ; 117 CP
Le recourant conteste sa condamnation pour homicide par négligence intervenue suite à un accident de la circulation routière lors duquel il est entré en collision avec un piéton alors qu’il conduisait un véhicule automobile. Il est précisé que le piéton qui s’avançait sur un passage piéton avait été percuté par un premier véhicule qui l’avait projeté de l’autre côté de la chaussée, sur la voie en sens inverse qui était empruntée par le recourant.
Dans un premier arrêt 6B_483/2014 du 12 mai 2015, le TF avait déjà eu à connaître de cette affaire et avait renvoyé la cause pour instruction complémentaire. Dans ce second arrêt, le TF renvoie à nouveau la cause à l’instance cantonale au motif que celle-ci a procédé à une appréciation arbitraire de l’expertise qui avait été réalisée et n’a pas respecté le principe de la présomption d’innocence. Cette expertise ne permettait pas de retenir que le recourant aurait pu voir le piéton à la distance d’environ 30 mètres à laquelle il se trouvait lorsque celui-ci s’était engagé sur la chaussée.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève



TF 8C_853/2015 du 29 décembre 2016
Allocations familiales ; allocations familiales ; ordre de priorité ; coordination entre LAFam et LACI ; art. 7 al. 1 LAFam ; 22 al. 1 LACI
Il existe, à côté de la législation fédérale et cantonale sur les allocations familiales, des règlementations spéciales pour certaines catégories de personnes, dont les chômeurs.
L’art. 22 al. 1 LACI constitue une règle de coordination entre la LACI et la LAFam. L’obtention du montant pour allocations familiales servi en supplément à l’indemnité journalière est conditionné au fait qu’aucune personne exerçant une activité lucrative ne puisse faire valoir de droit aux allocations pour ce même enfant.
Pour éviter un cumul de prestations, la LAFam prévoit un ordre de priorité auquel les ayants droit ne peuvent, par leur comportement, déroger. Il en va de même pour la LACI.
Auteure : Marlyse Cordonier, avocate à Genève

TF 9C_693/2016 du 29 décembre 2016
Assurance-perte de gain ; allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité ; service civil ; revenu perdu ; art. 10 al. 1 et 16 LAPG ; 4 al. 2 et 6 OAPG
Pour cet étudiant en économie ayant passé son Bachelor et donc sa formation professionnelle, certes avant d’entrer en service civil, mais pas immédiatement avant au sens de l’art. 4 al. 2 OAPG, puisqu’il est parti entre deux en croisière en Amérique centrale et du Sud durant plusieurs mois, et qui échoue ainsi à apporter la preuve, malgré l’attestation de son futur employeur (une banque) déclarant qu’elle l’aurait engagé aussitôt sans le service civil, l’allocation pour perte de gain ne doit pas être calculée selon l’usage local dans la profession concernée, mais uniquement en se basant sur son précédent salaire.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne

TF 8C_372/2016 - ATF 143 V 71 du 29 décembre 2016
Assurance-invalidité ; procédure de préavis ; délai pour déposer des observations ; prolongation ; art. 57a LAI ; 73ter al. 1 RAI ; 40 al. 1 LPGA
Dans le cadre d’une procédure de révision, un assuré avait demandé la prolongation du délai pour déposer des observations sur le préavis de l’office, annonçant le dépôt prochain de documents supplémentaires. L’office AI a refusé la prolongation et statué sans attendre les documents annoncés.
Le délai de 30 jours pour déposer des observations sur le préavis de l’office AI prévu à l’art. 73ter al. 1 RAI peut être prolongé, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un délai légal (cf. art. 40 al. 1 LPGA a contrario). Malgré le fait que, selon les travaux préparatoires, le législateur souhaitait que ce délai de 30 jours soit un délai légal, il manque une base légale formelle. Partant, si le législateur entend faire de ce délai un délai légal, il doit le prescrire dans un alinéa 3 de l’art. 57a LAI.
L’office AI n’est pas tenu d’attendre l’échéance du délai de 30 jours avant de rendre sa décision, si l’assuré s’est déjà déterminé et n’a pas réservé de détermination ultérieure.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 9C_752/2015 - ATF 143 V 19 du 28 décembre 2016
Prévoyance professionnelle ; responsabilité des membres du Conseil de fondation d’une institution de prévoyance ; gestion de fortune ; art. 52 et 56a LPP
Une caisse de pensions collective, créée en 1994, se caractérisait par le fait qu’elle promettait de créditer un intérêt de 5% sur l’avoir de vieillesse des assurés, soit près de 25% supérieur au taux minimal fixé par le Conseil fédéral. En novembre 2001, le degré de couverture de cette institution de prévoyance s’élevait à 81.55%, puis courant août 2002, à 71%. Au vu de ses difficultés financières, l’institution de prévoyance a dû être mise en liquidation. Le Fonds de garantie a dû verser des sommes s’élevant à plus de CHF 49 mios. Il a agi en responsabilité contre les membres du Conseil de fondation, selon l’art. 56a LPP en vigueur jusqu’au 31 décembre 2004, en déposant une action partielle devant le tribunal des assurances du canton de Zurich.
Contrairement à ce dernier, le TF a estimé que les membres du Conseil de fondation avaient violé leurs obligations contractuelles de gérer la fortune de l’institution de prévoyance. En particulier, les juges fédéraux ont estimé que la garantie de la sécurité des placements prévue à l’art. 71 LPP n’avait pas été respectée lorsqu’il avait été décidé en novembre 2001 d’effectuer, dans le but notamment d’assainir la situation financière de la caisse, des placements « risqués » auprès d’un trader, censés rapporter un rendement de 15%. En effet, à cette époque déjà, tout placement devait être effectué sur la base d’une comparaison entre différents indices permettant de mieux gérer les risques. En l’espèce, les membres du Conseil de fondation n’ont pas respecté cette règle de prudence essentielle.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_4/2016 - ATF 142 V 572 du 22 décembre 2016
Allocations familiales ; allocation de formation professionnelle ; notion de formation professionnelle ; art. 3 al. 1 LAFam ; 1 al. 1 OAFam ; 25 al. 5 LAVS ; 49bis et 49ter RAVS
L’allocation familiale comprend l’allocation pour enfant et l’allocation de formation professionnelle. Le droit à l’allocation de formation professionnelle existe pour les enfants accomplissant une formation au sens de l’art. 25 al. 5 LAVS. Le litige porte sur le point de savoir si la formation de hockeyeur professionnel du recourant correspond à la notion de formation professionnelle au sens de l’art. 25 al 5 LAVS, telle que précisée par les art. 49bis et 49ter RAVS.
Au contraire des juges cantonaux, le TF nie, dans le cas d’espèce, le droit à l’allocation en se fondant sur les critères suivants : le contrat avec le club de Hockey s’inscrit dans un cadre contractuel qui ressort du droit du travail français applicable au sport « professionnel » ; ledit contrat, malgré l’intitulé « en formation », ne permet pas de conclure à la prédominance d’une formation par rapport à une activité de joueur professionnel confirmé et ne contient pas de clause relative à un plan de formation systématique et structuré ; le recourant était engagé dans la catégorie « seniors » d’un club évoluant dans le niveau le plus élevé du championnat français, de sorte que son potentiel était suffisant ; le recourant est âgé de 22 ans. La modicité du salaire (€ 6’709,56 par an) ne suffit pas pour remettre en cause cette appréciation.
Le TF n’a pas tranché la question de savoir si l’obtention d’un BTS permettait de considérer que le recourant avait terminé sa formation au sens de l’art. 49ter RAVS.
Auteur : Thierry Sticher


TF 9C_409/2016 du 21 décembre 2016
Assurance-vieillesse et survivants ; conflit de droits ; activité dépendante ou indépendante ; cotisations ; art. 13 et 14 Règlement (CEE) n°1408/71 ; 42 al. 2 RAVS
La question de savoir si une personne est un travailleur ou un indépendant au sens des art. 13 ss R n° 1408/71 doit être résolue en fonction du droit national de l’Etat dans lequel l’activité respective a été exercée. C’est seulement de cette façon que la règle de conflit pertinente et par conséquent le droit applicable peuvent être trouvés (confirmation de jurisprudence, ATF 138 V 533, c. 2) (c. 5).
Le TF refuse de considérer que le contrat de pilote est un contrat de travail valable au motif que la licence du recourant ne permet pas des vols commerciaux. L’art. 14 ch. 2 let. a R n° 1408/71 se comprend en outre lorsque les personnes employées dans une société de transports internationaux ne peuvent déterminer le lieu habituel de travail. Cette incertitude passe au second plan lorsque la personne exerce un autre emploi rémunéré, ce qui permet un lien clair et l’application de l’art. 13 ch. 1 R n° 1408/71. In casu, le TF a refusé l’application de l’art. 14 ch. 2 let. a R n° 1408/71 au motif que le recourant est directeur de plusieurs sociétés domiciliées en Suisse et qu’il est lui-même domicilié en Suisse (c. 6).
Le commanditaire résidant en Suisse d’une société en commandite de droit allemand domiciliée en Allemagne doit verser des cotisations en tant qu’indépendant sur les revenus qu’il perçoit de la société (confirmation de jurisprudence, ATF 136 V 258 c. 2.5). Cette règle ne viole pas l’art. 14quater ch. 1 R n° 1408/71 (c. 7). Le TF rappelle que l’art. 42 al. 2 LAVS repose sur une base légale suffisante et que le taux d’intérêt de 5% par année n’est pas contraire au droit (rappel de jurisprudence, ATF 139 V 297 c. 3).
Auteure : Rebecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 9F_8/2016 - ATF 143 I 50 du 20 décembre 2016
Assurance-invalidité ; evaluation de l’invalidité ; méthode mixte ; suite de l’affaire Di Trizio c. la Suisse ; art. 7 et 8 LPGA ; 28a al. 3 LAI
Cet arrêt révise l’arrêt 9C_49/2008 du 28 juillet 2008 après l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme en février 2016, condamnant la Suisse en raison du caractère discriminatoire de la méthode mixte, utilisée pour évaluer l’invalidité des personnes travaillant à temps partiel et consacrant le reste de leur temps à des travaux habituels au sens de l’art. 27 RAI (affaire Di Trizio).
Le TF, en l’espèce, admet la demande de révision. Il précise toutefois que seules les situations rigoureusement identiques à celle de Mme Di Trizio doivent être jugées contraires à la CEDH et ne plus permettre de considérer un changement de statut pour le calcul du droit aux prestations de l’assurance-invalidité. Il rejoint ainsi l’OFAS, qui avait déjà posé cette règle dans la lettre circulaire n° 355 du 31 octobre 2016.
L’OFAS et le TF admettent une situation identique à celle de Mme Di Trizio si deux conditions cumulatives sont remplies : il s’agit d’une révision du droit à la rente ou d’un premier octroi couplé avec une réduction ou une limitation de la rente dans le temps, et la réduction du temps de travail intervient pour des raisons familiales, plus précisément en raison de l’obligation de garde d’enfants mineurs.
Dans les autres cas, la méthode mixte reste applicable.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 4A_234/2016 - ATF 143 III 10 du 19 décembre 2016
Responsabilité aquilienne ; responsabilité de l’avocat d’office ; art. 49 Cst ; 41, 61 al. 1 et 398 CO
L’avocat d’office, même s’il exerce une tâche d’intérêt public, n’est pas un agent public au sens de l’art. 61 al. 1 CO. Conformément à l’art. 49 Cst., le droit cantonal ne peut donc pas déroger au droit privé fédéral, en excluant la responsabilité civile personnelle de l’avocat d’office.
Auteur : Christoph Müller


TF 8C_418/2016 du 15 décembre 2016
Assurance-chômage ; libération des conditions relatives à la période de cotisation en cas de formation ; rédaction d’une thèse de doctorat ; art. 8 al. 1 let. e, 13 al. 1 et 14 al. 1 let. a LACI
Pour que la libération des conditions relatives à la période de cotisation prévue à l’art. 14 al. 1 let. a LACI s’applique, l’assuré doit avoir été objectivement dans l’impossibilité totale de travailler en raison d’une formation durant douze mois au moins dans le délai-cadre de vingt-quatre mois (c. 3.2).
Est réputée formation au sens de l’art. 14 al. 1 let. a LACI toute préparation à une activité lucrative future fondée sur un cycle de formation (usuel) réglementaire, reconnu juridiquement ou, à tout le moins, de fait, avec un but professionnel concret. Cette notion a donc une composante fonctionnelle. Il s’agit d’acquérir des connaissances spécifiques devant permettre d’exercer ultérieurement l’emploi correspondant. Sont exclues les formations entreprises par pur intérêt scientifique ou personnel. L’assuré doit pouvoir faire valoir son cursus sur le marché du travail. La formation doit être structurée, dirigée vers un but précis et suffisamment contrôlable (c. 3.3 et 5.2) (précision de jurisprudence).
La préparation au brevet d’avocat a notamment été reconnue comme formation, même si elle n’implique pas nécessairement le suivi de cours ou de séminaires. Il convient de vérifier au cas par cas si l’empêchement de travailler est justifié par la formation, y compris pour le cas d’une thèse de doctorat à l’université (c. 3.5).
In casu, le TF a estimé, contrairement à la dernière instance cantonale, que les conditions d’application de l’art. 14 al. 1 let. a LACI n’étaient pas remplies. Le parcours professionnel de l’assuré ne laissait pas apparaître le besoin de rédiger une thèse de doctorat dans un but professionnel précis. Après l’obtention de sa licence en sociologie, l’assuré avait travaillé durant plusieurs années dans l’économie privée avant d’entreprendre une thèse. Il allait être âgé de 40 ans au terme de son doctorat. On ne discernait pas de plan structuré de carrière. Par conséquent, les conditions relatives à la période de cotisation n’étant pas réalisées, la demande d’indemnités de chômage de l’assuré devait être rejetée (c. 5.3 à 5.5).
Auteure : Emilie Conti, avocate à Genève

TF 4A_301/2016 ; 4A_311/2016 - ATF 143 III 79 du 15 décembre 2016
Responsabilité civile ; Action récursoire ; concours de responsabilité ; art. 72 et 75 LPGA ; 16 OPGA ; 44 CO
Lors d’un accident de travail, un employé subit des blessures en raison du fait que du gaz s’est enflammé dans un regard d’une canalisation d’eaux usées. La Suva, l’AI et l’AVS (les demanderesses) exercent un recours à l’encontre de la compagnie d’assurance qui couvre la responsabilité civile de l’exploitant de la canalisation (la défenderesse) sur la base de la loi fédérale sur les installations de transport par conduites. Celle-ci excipe du fait que l’employeur (qui bénéficie du privilège de l’art. 75 LPGA) doit être considéré comme un responsable solidaire à ses côtés, ce qui est de nature à réduire ses obligations.
L’assurance sociale ne peut obtenir, par son recours, que la quote-part dont le responsable serait redevable dans le cadre du règlement des rapports internes avec le coresponsable si celui-ci ne bénéficiait pas du privilège de recours prévu par l’art. 75 LPGA. D’un point de vue dogmatique, le privilège de recours peut être compris comme une cause de réduction de responsabilité en faveur du responsable non privilégié au sens de l’art. 44 CO. D’un point de vue procédural, il faut partir du principe que l’assureur peut, dans un premier temps, invoquer à l’égard du responsable non privilégié la totalité de sa créance récursoire. Il appartient ensuite à ce dernier d’exposer dans quelle mesure sa part de responsabilité doit être réduite en raison du privilège de l’employeur (c. 6).
L’art. 72 LPGA dispose que « dès la survenance de l'événement dommageable, l'assureur est subrogé, jusqu'à concurrence des prestations légales, aux droits de l'assuré et de ses survivants contre tout tiers responsable ». La défenderesse contestait la capacité d’être partie et la capacité de procéder des demanderesses, en soulevant notamment l’argument selon lequel l’AI et l’AVS ne seraient que des branches d’assurances (« blosse Versicherungszweige »). Le TF a clairement reconnu la capacité de partie de l’AI et de l’AVS : lorsqu’il a adopté le terme d’assureur (« Versichrungsträger ») à l’art. 72 LPGA, le législateur n’a en effet, selon lui, pas voulu changer la réglementation en vigueur jusqu’alors (c. 3).
Selon l’art. 16 OPGA, « lorsque plusieurs assureurs sociaux participent au même recours, ils constituent une communauté de créanciers et doivent procéder entre eux à la répartition des montants récupérés proportionnellement aux prestations concordantes dues par chacun d’eux ». La défenderesse faisait valoir que les demanderesses devaient émettre leurs prétentions par le biais de demandes distinctes. Le TF reconnaît qu’il n’y a pas de main commune (« Gesamthandsverhältnis ») et que les créancières du recours ne sont pas tenues de faire valoir leurs prétentions en commun. La répartition du substrat du recours ne se fait cependant pas à l’égard du débiteur, mais proportionnellement entre les créancières du recours. Pour cette raison, les demanderesses sont légitimées à faire valoir le montant total du recours sans répartir les prestations en des conclusions distinctes (c. 4).
La défenderesse faisait valoir que les créancières du recours ne pouvaient prétendre au remboursement de la partie du dommage constituée par la perte de rente subie par l’institution de prévoyance professionnelle. Cette prétention appartiendrait en effet à cette dernière et à elle seule et les demanderesses n’y seraient pas subrogées. Le TF rejette l’argumentation de la défenderesse, selon laquelle l’institution de prévoyance professionnelle perdrait cette prétention au profit d’une institution du 1er pilier ; il relève que le législateur a ordonné une subrogation pour l’intégralité du dommage du lésé, y compris l’intégralité du dommage de rente (c. 5).
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg



TF 6B_230/2016 du 8 décembre 2016
Responsabilité aquilienne ; lien de causalité ; art. 41 CO ; 117 CP
Le recourant, qui avait pris part à une course-poursuite sur une autoroute, remet en cause sa condamnation pour homicide par négligence dans la mesure où il n’avait pas personnellement percuté le véhicule des victimes, endommagé par l’autre conducteur s’étant livré à la course. Le recourant, qui avait pu éviter l’accident, conteste le lien de causalité entre son comportement et le décès de la victime.
Après un rappel des principes applicables en matière de causalité, les juges fédéraux confirment la condamnation du recourant. S’agissant du rapport de causalité naturelle, l’autre conducteur n’aurait pas roulé à une vitesse aussi élevée et n’aurait pas été inattentif sans le comportement du recourant. En d’autres termes, si le recourant s’était comporté conformément à ses devoirs de prudence, en renonçant à poursuivre de très près l’autre conducteur à une vitesse élevée, il est très vraisemblable que l’accident n’aurait pas eu lieu.
Sous l’angle de la causalité adéquate, il a été considéré qu’il est conforme au cours ordinaire des choses et à l’expérience générale de la vie que le comportement de celui qui prend part à une course-poursuite sur une autoroute fréquentée, à une vitesse excessive et à une distance moindre du véhicule se trouvant devant lui, soit de nature à provoquer un accident du genre de celui qui s’est produit.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne


TF 6B_601/2016 du 7 décembre 2016
Responsabilité aquilienne ; notion de négligence ; art. 41 CO ; 117 CP
Une condamnation pour homicide par négligence implique tout d’abord que la chaîne d’événements qui a conduit au résultat ait été dans les grandes lignes prévisible pour l’auteur présumé. Il s’agit de déterminer si, compte tenu des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités, celui-ci aurait pu et dû prévoir la mise en danger de la victime (c. 1.1).
En l’espèce, l’accusé était responsable de la sécurité dans un chantier de montagne. Le soir du 23 février 2012, il a envoyé un e-mail à un certain nombre de collègues pour leur indiquer que le danger d’avalanche avait augmenté de façon importante pendant la journée et que, en conséquence, il était interdit avec effet immédiat d’emprunter une certaine route. Ce courriel n’a pas été envoyé au responsable du déneigement, qui a emprunté la route en question le lendemain avec deux de ses collègues. L’un de ceux-ci a été pris dans une avalanche et est décédé peu après.
Le TF arrive à la conclusion que l’avalanche était prévisible pour l’accusé compte tenu des informations qui étaient alors à sa disposition. Il s’appuie à cet égard essentiellement sur les différents bulletins d’avalanche disponibles au moment des faits, ainsi que sur les outils d’interprétation à disposition de l’auteur. En l’espèce, il résultait des rapports d’expertise que le danger d’avalanche était prévisible, et ce déjà pour le matin de l’accident, et non seulement pour l’après-midi. Le courriel envoyé la veille au soir par l’accusé tend également à démontrer que l’accusé avait bel et bien perçu le danger (c. 1.5).
Pour attribuer la survenance du résultat à un comportement coupable de l’auteur, le résultat en question ne doit pas seulement avoir été prévisible, mais également évitable. A cet égard, le seul fait que le responsable du déneigement ait indiqué qu’il aurait sans doute repris contact avec l’accusé s’il avait reçu son courriel ne signifie pas encore qu’il aurait finalement emprunté avec ses collègues la route litigieuse. Le TF considère ainsi que les juges cantonaux ne sont pas tombés dans l’arbitraire en considérant que la victime et son chef n’auraient pas été pris dans l’avalanche si ce dernier avait été averti du danger par le courriel du soir précédent.
On notera que cette affaire avait fait l’objet d’un premier arrêt du TF, le 29 juin 2015, publié aux ATF 141 IV 249 et résumé dans la Newsletter d’octobre 2015.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 8C_182/2016 - ATF 143 I 1 du 6 décembre 2016
Allocations familiales ; allocations familiales ; ressortissants étrangers ; art. 47 al. 4, 51 al. 3 et 52 al. 1 de la loi sur les allocations familiales du canton du Tessin
En 2015, le Grand Conseil du canton du Tessin a décidé, dans le cadre de la discussion sur le budget pour l’année 2016, de modifier la loi cantonale sur les allocations familiales. Les citoyens suisses doivent, comme jusque-là, vivre depuis au moins trois ans dans le canton pour avoir droit à des allocations complémentaires ou des allocations pour petits enfants ; les étrangers doivent être domiciliés dans le canton depuis au moins cinq ans.
Les allocations familiales sont, dans le canton du Tessin, un instrument de la politique familiale. Les prestations de soutien sont destinées aux familles bien intégrées qui séjourneront, selon toute vraisemblance, longtemps au Tessin. On peut partir du principe que les citoyens suisses ont un lien plus étroit avec le pays et le lieu de résidence que les personnes de nationalité étrangère, qui changent normalement plus souvent de domicile. Il existe donc des raisons objectives pour traiter différemment les citoyens suisses des étrangers. Par ailleurs, la nouvelle réglementation ne viole pas la Convention concernant la norme minimum de la sécurité sociale, ni les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le TF rejette par conséquent le recours de plusieurs personnes de nationalité étrangère domiciliées au Tessin qui avaient demandé l’annulation de cette révision législative. Il laisse cependant ouverte la question de savoir si la nouvelle réglementation est compatible avec l’accord sur la libre circulation entre la Suisse et l’UE et les règlements correspondants.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle


TF 6B_23/2016 du 3 décembre 2016
Responsabilité du détenteur automobile ; violation grave des règles de la circulation routière (vitesse inadaptée) ; art. 32, 90 ch. 2 LCR ; 90 ch. 2 aLCR ; 41a OCR ; 82 al. 4 et 10 CPP ; 9 et 32 al. 1 Cst ; 106 al. 2 et 112 al. 1 LTF
L’autorité précédente qui se réfère aux considérants détaillés topiques du jugement de première instance et y renvoie en application de l’art. 82 al. 4 CPP, ne viole pas l’exigence de motivation prévue par l’art. 112 al. 1 LTF (c. 1). Le TF rappelle son pouvoir d’examen limité – à l’interdiction de l’arbitraire – dans le cadre de l’appréciation des preuves et la constatation des faits en référence à la présomption d’innocence (c. 2.1). Il rappelle également le devoir de motivation incombant au recourant en relation avec le grief de violation des droits fondamentaux (recours irrecevable sur ce point, c. 2.1, 2.2 et 2.3).
L’art. 32 al. 1 LCR implique notamment qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité sont favorables. La violation de l’art. 32 al. 1 LCR n’est pas subordonnée à la condition de la perte de maîtrise du véhicule. L’examen de l’adaptation de la vitesse aux circonstances est une question de droit que le TF examine librement. Comme la réponse dépend pour beaucoup de l’appréciation des circonstances locales par l’autorité cantonale, à laquelle il faut laisser une certaine latitude, le TF ne s’écarte toutefois de cette appréciation que lorsque des raisons impérieuses l’exigent (c. 3.1).
Le TF rappelle la casuistique afférente à la notion de violation grave d’une règle de la circulation au sens de l’art. 90 al. 2 LCR, respectivement de l’art. 90 ch. 2 aLCR (c. 3.2). Dans le domaine des excès de vitesse, le cas est objectivement grave au sens de l’art. 90 ch. 2 aLCR, sans égard aux circonstances concrètes, en cas de dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l’intérieur des localités. Même en deçà de cette limite, le cas peut néanmoins être objectivement grave pour d’autres motifs, par exemple à raison d’une vitesse inadaptée aux circonstances, au sens de l’art. 32 al. 1 LCR, ayant entraîné une perte de maîtrise du véhicule. Il en irait de même dans le cas de celui qui, dans une localité, circulerait à 50 km/h à proximité d’un jardin d’enfants au moment où des enfants se trouvent à cet endroit, en raison du risque important créé dans un lieu où circulent des usagers particulièrement vulnérables (piétons, cyclistes ; c. 3.2).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Rolle (VD)

TF 8C_522/2016 du 1 décembre 2016
Assurance militaire ; maladie apparue durant le service ; causalité ; art. 5 LAM
Un jeune homme qui effectuait son école de recrue a consulté le médecin militaire en raison de maux de dos. Une spondylarthrite ankylosante (Morbus Bechterew) a alors été diagnostiquée. Il s’agit d’un rhumatisme inflammatoire douloureux principalement localisé à la colonne vertébrale et aux articulations sacro-iliaques.
Aux termes de l’art. 5 al. 1 LAM, l’assurance-militaire couvre toute affection qui se manifeste et qui est annoncée ou constatée de toute autre façon pendant le service. L’art. 5 al. 2 LAM dispose toutefois que l’assurance militaire n’est pas responsable lorsqu’elle apporte la preuve que l’affection est avec certitude antérieure au service, ou qu’elle ne peut pas avec certitude avoir été causée pendant ce dernier (let. a) et que cette affection n’a pas avec certitude été aggravée ni accélérée dans son cours pendant le service (let. b). La preuve de la certitude est rapportée lorsque, selon l’expérience médicale, il est établi qu’une influence de facteurs aggravants durant le service est pratiquement exclue.
En l’espèce, il n’est pas contesté que la maladie s’est déclarée pour la première fois durant le service. Même si la recrue avait des prédispositions génétiques, la maladie peut être déclenchée par des facteurs non connus comme des infections ou des sollicitations corporelles inhabituelles pour une personne non habituée à un travail physique intensif – ce qui pouvait être le cas de la recrue en question, vu son métier de commerçant. Les conditions d’exclusion de responsabilité de l’art. 5 al. 2 LAM n’étant pas remplies, l’assurance militaire doit prendre le cas en charge.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne

TF 6B_315/2016 du 1 décembre 2016
Responsabilité aquilienne ; causalité hypothétique ; rupture du lien de causalité ; art. 41 CO ; 125 CP
Un maçon chargé par son contremaître de démonter ce qu’il restait des installations électriques, lesquelles n’avaient pas été mises hors tension lors de travaux effectués par une autre entreprise, a donné un coup de pioche dans un boîtier mural électrique placé dans la grange. Un court-circuit s’est produit, suivi d’un arc électrique, lequel l’a blessé au visage et aux yeux.
Le TF analyse les conditions objectives et subjectives pour la réalisation de lésions corporelles graves au sens de l’art. 125 al. 1 et 2 CP à l’encontre du chef de projet et du responsable technique de l’entreprise, à qui avait été confiée la responsabilité de l’ensemble des installations électriques du chantier de construction, en vue de la rénovation de cette grange. Une négligence fautive est retenue à leur encontre, le TF considérant que sachant que la grange allait être rénovée, ils devaient se rendre compte du risque d’électrocution résultant d’une mise hors tension défaillante d’une installation électrique, ce dont ils ne s’étaient pas assurés. La cour cantonale a admis la causalité hypothétique entre les actes omis par les accusés et les lésions subies par le maçon. Elle a néanmoins estimé que le lien de causalité adéquate avait été rompu par le comportement imprévisible de la victime, laquelle avait, en sa qualité de maçon, donné un coup de pioche dans un boîtier électrique sans s’être suffisamment assuré au préalable que l’installation était effectivement hors tension. Le TF retient que, compte tenu de l’importance des mesures de sécurité inscrites dans l’OIBT et mises en évidence par l’ESTI, il est hautement vraisemblable que la vérification de l’installation électrique et sa mise en conformité avec les règles de sécurité (notamment la vérification contre le réenclenchement et l’absence de tension) aurait évité qu’elle fût sous tension au moment de l’accident. Selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, le fait de vérifier qu’une installation électrique située sur un chantier est sécurisée contre le réenclenchement et n’est pas sous tension, permet d’éviter que tout ouvrier travaillant sur les lieux par la suite se fasse électrocuter lors de manipulations dans le cadre de travaux de rénovation. Le TF retient que la Cour cantonale ne pouvait pas qualifier le coup de pioche du maçon, chargé de démonter ce qui restait de l’installation électrique d’une vieille grange, d’imprévisible et extraordinaire. À partir du moment où il est établi que celui-ci pensait, après s’être renseigné, que l’installation était hors tension, il importe peu de savoir s’il s’était suffisamment informé sur ce point. En tout état de cause, si le comportement du recourant était imprudent, il ne revêt pas une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’accident, reléguant à l’arrière-plan tous les facteurs, notamment les négligences commises par les accusés. Il n’y a donc pas rupture du lien de causalité due au comportement du maçon.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne


TF 8C_577/2015 - ATF 142 V 590 du 29 novembre 2016
Assurance-chômage ; indemnités de chômage ; état compétent ; notions de travailleur frontalier et de résidence ; art. 11 al. 3 let. a, 61 al. 2 et 65 R (CE) n° 883/2004 ; 11 R (CE) n° 987/2009
En principe, l’état compétent pour le versement des prestations de chômage est celui du dernier pays d’emploi, conformément au principe de la lex loci laboris (art. 11 al. 3 let. a et 61 al. 2 R (CE) n° 883/2004). Des règles particulières sont prévues à l’art. 65 du même règlement pour les chômeurs qui résidaient au cours de leur dernière activité (salariée ou non) dans un Etat membre autre que l’Etat compétent. Ainsi, les travailleurs frontaliers, qui sont au chômage complet et continuent à résider dans le même Etat ou y retournent, bénéficient de prestations de l’Etat de résidence, à l’exclusion de celles de l’Etat où ils ont exercé leur dernière activité. Ils peuvent toutefois bénéficier des services de reclassement de ce dernier Etat.
Le TF précise la notion de travailleur frontalier (notamment le retour dans l’Etat de résidence chaque jour ou au moins une fois par semaine), admise en l’espèce sans être contestée par la recourante. Celle-ci se prévalait toutefois de la notion de résidence selon l’art. 11 R (CE) n° 883/2004, applicable en cas de divergence de vues entre les institutions de deux Etats membres au sujet de la détermination de la résidence : est déterminant le centre d‘intérêts de la personne concernée (durée et continuité de la présence sur un territoire, situation d’emploi, situation familiale et liens de famille, exercices d’activités non lucratives, logement, impôts). Pour un travailleur frontalier, les éléments que sont le lieu de l’activité professionnelle (par définition dans un autre Etat que celui de résidence) et la durée de résidence préalable dans l’Etat de l’emploi ne sont pas pertinents, sans quoi l’art. 65 du même règlement serait vidé de sa substance. Les autres éléments (logement, famille) plaidaient pour une résidence en France et non en Suisse, sachant que des liens personnels professionnels et associatifs, au demeurant non prouvés en l’occurrence, ne sont pas eux seuls décisifs et permettent de bénéficier des services de reclassement, mais non d’allocations de chômage.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg


TF 8C_392/2016 du 28 novembre 2016
Assurance-chômage ; mesure relative au marché du travail ; allocation de formation ; art. 59 LACI
Les allocations de formation doivent permettre aux chômeurs de plus de 30 ans de rattraper une formation. Selon le législateur, des lacunes dans la qualification professionnelle et surtout l’absence d’une formation professionnelle de base constituent des facteurs prépondérants de risque de chômage, aussi bien en ce qui concerne la survenance que la durée.
Les mesures relatives au marché du travail, dont font partie les allocations de formation, visent toutes à favoriser l’intégration professionnelle des assurés dont le placement est difficile pour des raisons inhérentes au marché de l’emploi. Dès lors qu’elles doivent améliorer l’employabilité et correspondre à une indication du marché du travail, les allocations de formation ne sauraient, selon le Tribunal fédéral, être attribuées à des chômeurs qui n’en auraient pas besoin, c’est-à-dire à ceux qui pourraient facilement être engagés compte tenu du marché du travail local et des compétences professionnelles dans le cas concret.
La circulaire du SECO relative aux mesures du marché du travail précise à ce titre que l’assuré ne peut prétendre à des prestations pour la fréquentation d’une mesure si un travail convenable peut lui être assigné. Selon le TF, cette circulaire se contente de concrétiser le principe selon lequel l’accès à une mesure relative au marché du travail doit s’imposer pour des motifs inhérents au marché du travail. Or, si un assuré dispose d’une possibilité d’embauche, que celle-ci soit consécutive à une recherche personnelle de ce dernier ou à une assignation de la part de l’ORP, on doit admettre que son placement n’est pas difficile pour des raisons inhérentes au marché de l’emploi, de sorte que la condition préalable prévue par l’art. 59 al. 2 LACI, nécessaire pour l’octroi d’une allocation de formation, n’est pas remplie.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 9C_224/2016 - ATF 143 V 52 du 25 novembre 2016
Assurance-maladie ; obligation d’assurance ; assurance individuelle ; extension aux membres de la famille domiciliés dans un pays membre de l’UE ; art. 3 LAMal ; ALCP ; R (CE) n° 883/2004 et n° 987/2009
Un travailleur agricole polonais, au bénéfice d’une autorisation de séjour de courte durée (permis L), a travaillé en Suisse du 1er mai au 30 novembre 2015. Dès le 1er mai 2015, il était assuré, avec sa femme et ses deux enfants domiciliés en Pologne, nés en 2002 et 2006, auprès de la caisse-maladie Agrisano. Après qu’il a constaté qu’une déduction de CHF 624.40 avait été apportée sur sa fiche de salaire pour le paiement des primes d’assurance-maladie pour lui et sa famille, il a résilié les contrats d’assurance pour son épouse et ses deux enfants, par courrier du 6 juin 2015. L’assureur-maladie a refusé d’entrer en matière, au motif que tous les membres de la famille devaient être assurés en Suisse, au vu des dispositions applicables. Le tribunal des assurances du canton d’Argovie a confirmé la décision d’Agrisano.
Le TF rappelle qu’en principe, les salariés ou indépendants sont soumis aux lois du pays dans lequel ils exercent leur activité lucrative (art. 11 al. 3 lit. a Règlement CE 883/2004). Pour les personnes sans activité lucrative, la loi du domicile est applicable (art. 11 al. 3 lit. e Règlement CE 883/2004). Les membres de la famille d’un salarié ou d’un indépendant exerçant une activité lucrative en Suisse sont donc, en principe, soumis à l’obligation de s’assurer en Suisse.
Le TF a renvoyé l’affaire à l’assureur-maladie Agrisano pour qu’il examine en détail si l’épouse du travailleur agricole polonais, qui habite en Pologne avec ses deux enfants, devait être considérée comme une personne sans activité lucrative ou « au chômage ». L’obligation de s’assurer en Suisse prévaudrait dans la première hypothèse, mais pas dans la seconde.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_837/2015 - ATF 142 V 523 du 23 novembre 2016
Assurance-invalidité ; mesures de réadaptation ; formation élémentaire AI ; art. 24 al. 5 de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées ; 2 al. 2 et 5 LHand ; 8 al. 2 Cst ; 8 al. 1 et 3, 16 LAI ; 5 al. 1 RAI
Il s’agit dans cette affaire de déterminer si une jeune fille atteinte de trisomie 21 a droit à une seconde année de formation élémentaire AI, compte tenu de la faible probabilité qu’elle puisse, à l’issue de cette formation, exercer un emploi dans l’économie libre avec un revenu suffisant pour exclure, respectivement réduire son droit à une rente AI. Le TF examine, à cet égard, la conformité à la loi de la lettre-circulaire AI n° 299 du 6 juin 2011, qui prévoit qu’une deuxième année de formation n’est accordée que si l’assuré sera en mesure, à l’issue de sa formation, de réaliser un revenu horaire de Fr. 2,55.
Le TF rejette l’argument d’une contradiction avec l’art. 24 al. 5 de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, les art. 16 et 17 LAI offrant un dispositif conforme aux engagements internationaux de la Suisse. L’art. 8 al. 2 Cst. s’adresse quant à lui au législateur, et ne permet pas de déduire un droit à des prestations positives. Le TF laisse ouverte la question de savoir si l’art. 2 al. 2 et 5 LHand s’applique à la formation élémentaire AI.
Dans la mesure où la lettre-circulaire n° 299 subordonne l’octroi d’une deuxième année de formation élémentaire à la condition qu’à l’issue de cette dernière, l’assuré soit capable de s’intégrer dans le marché primaire de l’emploi et de réaliser un revenu influençant son droit à la rente, elle est en revanche contraire à l’art. 16 al. 2 let. a LAI, qui assimile la préparation à un travail auxiliaire ou en atelier protégé à une formation initiale.
S’agissant en l’espèce d’une mesure de réadaptation, son octroi ou son refus doit être examiné à l’aune des trois critères concrétisant le principe de proportionnalité, à savoir l’aptitude, la nécessité et l’exigibilité. En l’espèce, ces conditions sont remplies.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_337/2016 - ATF 142 V 538 du 17 novembre 2016
Assurance-invalidité ; infirmité congénitale ; mesures médicales ; moyens auxiliaires ; travailleur frontalier ; art. 3 et 18 ss R (CE) n° 1408/71 ; 9 al. 2 LAI ; 22quater al. 2 aRAI
L’enfant d’une travailleuse frontalière domiciliée en Allemagne et travaillant en Suisse n’a pas droit aux mesures médicales et aux moyens auxiliaires de l’assurance-invalidité suisse. L’art. 22quater al. 2 aRAI, respectivement l’art. 9 al. 2 LAI, ne sont pas contraires aux engagements internationaux de la Suisse. En particulier, ces dispositions sont conformes à l’art. 20 R (CE) n° 1408/71, qui donne la faculté au travailleur frontalier d’obtenir les prestations en nature dans son Etat de résidence ou sur le territoire de l’Etat compétent, mais pour autant seulement que les Etats aient passé entre eux des accords correspondants. En l’espèce, il n’existe un tel accord entre l’Allemagne et la Suisse que pour les prestations prises en charge par l’assurance obligatoire des soins (LAMal). Il n’y a donc plus de place pour invoquer le principe de l’égalité de traitement postulé par l’art. 3 R (CE) n° 1408/71.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_438/2016 - ATF 142 V 577 du 16 novembre 2016
PC Familles ; parents séparés ; inégalité de traitement ; art. 8 al. 1 et 3 Cst. ; § 85 loi sociale du canton de Soleure
Un père recourt contre l’application du § 85 de la loi sociale du canton de Soleure qui violerait l’art. 8 al. 3 Cst. dès lors qu’en cas d’autorité parentale conjointe et de garde partagée, l’octroi des PC familles est attribué pour les parents séparés sur le seul critère du sexe, en l’occurrence à la mère, et ce même si le père remplit les autres conditions d’octroi (c. 2.2). Le recourant se plaint aussi d’une violation de l’art. 8 al. 1 Cst. suite au refus de la caisse de compensation de lui octroyer la moitié du montant des PC familles, dans la mesure où la norme cantonale prévoit l’attribution de la prestation, pour les parents vivant séparés, à un seul parent (Elternteil) (c. 4.1 et 4.2).
Le but des PC familles est, d’une part, de décharger l’aide sociale et, d’autre part, de soutenir les familles économiquement vulnérables, respectivement de pallier le risque de pauvreté. La notion de famille est à comprendre au sens large ; il faut au moins un parent avec enfant (c. 5.1). Si plusieurs personnes ont droit aux prestations pour le même enfant, le législateur cantonal a déterminé un ordre fondé sur l’ancienne loi cantonale sur les allocations familiales et en a exclu la double perception. Le TF constate que les critères d’attribution apparaissent conformes à l’art. 8 al. 3 Cst. (c. 5.2 et 5.3). Le TF relève à cet effet qu’en droit des assurances sociales, la limitation des prestations à une personne peut être justifiée pour des raisons financières et d’économie administrative. Ainsi, le parent qui n’est pas ayant droit des prestations complémentaires en profite tout de même puisque ces montants additionnels, découlant de la communauté mère-père-enfant, soulagent les deux parents, le devoir d’entretien s’en trouvant par conséquent réduit (c. 5.5).
S’agissant de la répartition par moitié, le TF constate que la mise en pratique des PC familles appartient à une administration de masse. Ces autorités n’effectuent aucune répartition en pourcentage dans leurs décisions. Le soin en est laissé aux parties qui en règle générale n’effectuent pas de répartition par moitié. Il résulte de fait une diversité de solutions. Dans ces conditions, le fait d’imposer à l’administration le devoir de déterminer dans chaque cas particulier le pourcentage de la répartition et des éventuelles variations conduit à un effort déraisonnable (c. 5.6). Enfin, les PC familles, comme les prestations selon la LPC, sont des prestations liées aux besoins et non des montants forfaitaires comme les allocations familiales. Le règlement des PC familles comme le régime des allocations familiales suit le principe « un enfant – une allocation », d’où l’interdiction de la double perception (c. 5.7).
Partant, il existe des motifs objectifs de limiter la prétention à une personne. Le droit cantonal ne viole pas le principe de l’égalité de traitement garanti à l’art. 8 Cst. Le recours est rejeté (c. 6).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 8C_818/2015 du 15 novembre 2016
Assurance-accidents ; troubles psychiques réactionnels ; lien de causalité adéquate ; qualification de l’accident ; caractère impressionnant ; art. 4 et 21 LPGA ; 37 LAA
Afin de procéder à la classification d’un accident dans l’une des trois catégories prévues par la jurisprudence, il faut uniquement se fonder, d’un point de vue objectif, sur l’événement accidentel lui-même. Sont déterminantes les forces générées par l’accident et non pas les conséquences qui en résultent. La gravité des lésions subies – qui constitue l’un des critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité – ne doit être prise en considération que dans la mesure où elle donne une indication sur les forces en jeu lors de l’accident. Le comportement de l’assuré n’est d’aucune pertinence pour l’appréciation de la gravité de l’accident dont il a été victime.
Le lien de causalité adéquate peut être admis sur la seule base du critère du caractère particulièrement impressionnant de l’accident, étant précisé qu’en présence d’un événement accidentel à la limite des cas graves, un seul critère parmi ceux déterminants peut être suffisant.
La raison pour laquelle la jurisprudence a adopté le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident repose sur l’idée que de telles circonstances sont propres à déclencher chez la personne qui les vit des processus psychiques pouvant conduire ultérieurement au développement d’une affection psychique. C’est le déroulement de l’accident dans son ensemble qu’il faut prendre en considération. L’examen se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances d’espèce et non pas en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 6B_309/2016 du 10 novembre 2016
Responsabilité du détenteur automobile ; refus de priorité ; répartition des responsabilités ; art. 31 al. 1, 58 al. 1 et 61 al. 1 LCR
Un motocycliste roulant sur une route prioritaire à une vitesse convenable de 50 km/h se fait couper la route par la conductrice d’une voiture non prioritaire venant d’une route secondaire et qui voulait obliquer dans le sens opposé. Il en a résulté une chute pour le motocycliste.
Nonobstant le fait que le motocycliste était peu expérimenté (permis de conduire depuis 6 mois environ) et qu’il n’a pas immédiatement freiné à fond, le TF a confirmé les jugements des instances inférieures qui avaient considéré que la conductrice supportait une responsabilité pleine et entière dans la survenance de l’accident (c. 4.4). Il a notamment rappelé que la perte de la maîtrise d’un véhicule n’était punissable que si le conducteur commettait une erreur de conduite ou réagissait de manière erronée (c. 4.3).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinges

TF 4A_357/2016 - ATF 142 III 782 du 8 novembre 2016
Responsabilité délictuelle ; consorité matérielle nécessaire ; qualité pour agir ; désignation inexacte d’une partie et substitution ; art. 70 al. 1 et 83 CPC
Pour le dépôt d’un recours, comme pour l’ouverture de l’action en justice, tous les consorts nécessaires doivent agir ensemble. Ce n’est qu’en cas d’urgence qu’un associé simple peut ouvrir action seul, en son nom et en tant que représentant de la communauté, pour sauvegarder les intérêts de celle-ci. Demeurent réservées la cession de créance de l’associé qui ne souhaite pas participer à la procédure à ses autres associés avant l’ouverture d’action (art. 165 CO) ou l’attribution de cet actif à ces associés dans le cadre d’une liquidation partielle de la société simple (art. 548 et 549 CO).
Seule la désignation inexacte d’une partie peut être rectifiée par le juge, alors qu’une substitution de partie n’est possible qu’aux conditions de l’art. 83 CPC. Il ne faut pas confondre la désignation inexacte d’une partie avec le défaut de qualité pour agir ou pour défendre. Il y a défaut de qualité pour agir ou pour défendre lorsque ce n’est pas le titulaire du droit qui s’est constitué demandeur en justice, respectivement que ce n’est pas l’obligé du droit qui a été assigné en justice. Un tel défaut n’est pas susceptible de rectification, mais entraîne le rejet de la demande.
Quant à la substitution de partie, elle vise un changement de partie (art. 83 CPC; Parteiwechsel) en cours d’instance, en particulier en cas d’aliénation de l’objet du litige (ou de cession de créance) durant le procès (art. 83 al. 1 CPC) ou en vertu de dispositions spéciales prévoyant une succession légale (art. 83 al. 4 2e phr. CPC); en dehors de ces hypothèses, le changement de partie est subordonné au consentement de la partie adverse (art. 83 al. 4 1ère phr. CPC).
Dans le cas d’espèce, tous les consorts matériels nécessaires n’avaient pas ouvert action conjointement. Dès lors qu’il n’y avait pas eu d’aliénation de l’objet du litige ou de cession de la créance litigieuse en cours de procès, seule une substitution avec le consentement de la partie adverse entre en considération pour remédier à cette erreur. Or, la partie adverse s’est expressément opposée à la substitution. Par conséquent, le TF confirme que c’est à bon droit que la cour cantonale a rejeté l’action, faute de qualité pour agir.
Auteure: Amandine Torrent, avocate à Lausanne



TF 8C_213/2016 du 4 novembre 2016
Assurance-chômage ; créance en restitution ; péremption ; délai de prescription de l’action pénale ; art. 25 al. 2 LPGA ; 95 al. 1 et 105 LACI ; 97 CP ; 97 aCP
L’assuré qui ne communique pas à sa caisse de chômage en temps utile, notamment par le biais des formulaires IPA (indications de la personne assurée), des revenus significatifs tombe sous le coup de l’art. 105 LACI.
Partant, le droit de demander la restitution des prestations indûment touchées est soumis au délai de prescription de l’action pénale pour une telle infraction (art. 25 al. 2 LPGA 2ème phrase en corrélation avec l’art. 95 al. 1 LACI), qui est de sept ans (art. 70 aCP en vigueur depuis le 1er octobre 2002, devenu l’art. 97 aCP, puis l’art. 97 CP dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2014).
Le TF laisse par ailleurs ouverte la question de savoir si le délai de péremption d’une année de l’art. 25 al. 2 LPGA 1ère phrase est sauvegardé une fois pour toutes lorsque la caisse rend une décision de restitution, fût-elle annulée ultérieurement.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 9C_51/2016 du 2 novembre 2016
Assurance-maladie ; changement d’assureur ; retard de paiement ; art. 7 et 64a LAMal ; 105l OAMAL
Un assureur est-il en droit de refuser la résiliation, par un assuré, des rapports d’assurance-maladie obligatoire, avec effet au 31 décembre, au motif que celui-ci n’avait (1) ni payé la dernière prime d’assurance mensuelle (2), ni produit une attestation d’affiliation à un nouvel assureur-maladie avant que le délai de résiliation du contrat d’assurance ne soit échu ?
(1) Seuls les assurés « en retard de paiement » ne peuvent pas changer d’assureur. Ce retard de paiement ne se produit cependant qu’au moment de la notification de la sommation qui doit être précédée d’un rappel écrit au moins (art. 64a LAMal en relation avec art. 105l OAMal). Ainsi, en présence de sommations prématurées, ou à défaut de sommation, l’assuré ne peut pas être considéré comme étant « en retard de paiement ». Pour que l’impossibilité de changer d’assureur puisse intervenir, la sommation doit avoir été notifiée à l’assuré un mois avant l’échéance du délai de résiliation; une sommation postérieure ne peut donc pas empêcher le changement d’assureur.
(2) L’affiliation à l’ancien assureur prend fin seulement lorsque le nouvel assureur indique à son prédécesseur qu’il reprend la protection d’assurance sans interruption (art. 7 LAMal). La remise de l’attestation d’assurance du nouveau à l’ancien assureur avant l’échéance effective du délai de résiliation du précédent contrat d’assurance ne constitue toutefois pas une condition sine qua non à la dissolution des relations contractuelles. En effet, la communication tardive, soit après la date de résiliation du contrat, conduit à un report de la fin des rapports contractuels mais ne touche pas la validité de la résiliation. Le rapport d’assurance ne prend par conséquent pas fin tant que la communication du nouveau à l’ancien assureur n’a pas eu lieu; la tardivité est par contre susceptible d’engager la responsabilité de l’un des deux assureurs.
En l’espèce, le TF conclut que la juridiction cantonale a violé le droit fédéral, en considérant que l’assureur avait à juste titre maintenu l’affiliation de l’assuré au-delà de la date de résiliation des rapports d’assurance-maladie obligatoire. Il a ainsi annulé l’acte attaqué et renvoyé le dossier à l’autorité cantonale pour complément d’instruction et nouveau jugement, dès lors qu’il était impossible de déterminer à quel moment était survenue l’annonce de l’affiliation au nouvel assureur.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 4A_543/2016 du 1 novembre 2016
Responsabilité du propriétaire d’ouvrage ; causalité naturelle ; art. 9 Cst. ; 58 CO ; 106 al. 2 et 105 al. 1 LTF
Un automobiliste a perdu le contrôle de son véhicule sur chaussée glissante. Il actionne en responsabilité la Confédération, propriétaire d’ouvrage. Les routes constituent des ouvrages au sens de l’art. 58 CO.
La critique de l’état de fait retenu est soumise au principe strict de l’allégation énoncé par l’art. 106 al. 2 LTF. La partie qui entend attaquer les faits constatés par l’autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s’écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération.
En matière d’appréciation des preuves, le juge verse dans l’arbitraire lorsqu’il ne tient pas compte, sans raison sérieuse, d’un élément propre à modifier sa décision, se trompe sur le sens et la portée d’un tel élément ou tire des conclusions insoutenables des éléments recueillis.
Il y a causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit. L’existence d’un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle de la vraisemblance prépondérante lorsque, par la nature même de l’affaire, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de celui qui en supporte le fardeau ; tel est en particulier le cas de l’existence d’un lien de causalité hypothétique.
La preuve d’un fait est établie avec vraisemblance prépondérante lorsque la possibilité qu’il en soit allé autrement ne joue pas pour le fait concerné un rôle déterminant ni n’entre raisonnablement en considération. Le TF est lié, selon l’art 105 al. 1 LTF, par les constatations cantonales concernant la causalité naturelle, dès lors qu’elles ne reposent pas exclusivement sur l’expérience de la vie, mais sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève

TF 9C_56/2016 - ATF 142 V 547 du 24 octobre 2016
Assurance-invalidité ; droit à la rente, délais d’attente et de carence en cas de rechute ; art. 28 al. 1 lit. b et 29 LAI ; 29bis RAI
Lorsque le droit à la rente est supprimé du fait de l’abaissement du taux d’invalidité, et que l’assuré présente, dans les trois ans qui suivent cette suppression, à nouveau une invalidité suffisante pour rouvrir son droit à la rente, l’art. 29bis RAI prévoit que le temps d’attente déjà encouru lors de la première demande est imputé sur la période d’attente d’une année que lui impose l’art. 28 al. 1 lit. b LAI.
L’art. 29bis RAI ne s’applique pas par analogie au délai de carence de six mois prévu par l’art. 29 LAI, de sorte que l’assuré doit se voir imposer ce délai entier lors de sa deuxième demande également.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_275/2016 du 21 octobre 2016
Assurance-accident ; frais de traitement ; hospitalisation à demeure ; art. 21 LAA
Selon l’art. 21 let. d LAA, lorsque la rente a été fixée, les prestations pour soins et remboursement de frais sont accordées à son bénéficiaire lorsqu’il présente une incapacité de gain et que des mesures médicales amélioreraient notablement son état de santé ou empêcheraient que celui-ci ne subisse une notable détérioration. On vise ici les assurés totalement invalides dont l’état de santé peut être amélioré ou tout au moins stabilisé grâce à des mesures médicales, même si cela reste sans influence sur leur capacité de gain.
La loi définit de manière exhaustive l’étendue des prestations à la charge de l’assureur-accidents dans le cas d’un assuré hospitalisé à demeure ou, en tout cas, pour une longue durée, à savoir l’indemnisation de l’invalidité sous la forme d’une rente dont le montant résulte du gain assuré (art. 20 LAA), l’allocation pour impotent destinée à l’assuré qui a besoin de façon permanente de l’aide d’autrui pour accomplir les actes ordinaires de la vie ou d’une surveillance personnelle (art. 26 al. 1 LAA) et dont le montant ne peut dépasser certaines limites, soit au plus le sextuple du salaire journalier assuré maximum (art. 27 LAA) et, enfin, les mesures médicales dont il a besoin, au sens de l’art. 21 al. 1 let. d LAA.
Un assuré qui se trouve dans un profond coma, entraînant une encéphalopathie post-anoxique totalement invalidante avec une hospitalisation à demeure aura également droit, en principe, aux prestations de l’AI et, si nécessaire, aux prestations complémentaires, lesquelles tiennent compte des charges de famille incombant à l’invalide.
En l’espèce, seuls les soins proprement médicaux et infirmiers peuvent être pris en charge aux conditions de l’art. 21 al. 1 let. d LAA, mais non les frais d’hébergement au sein de l’établissement hospitalier, ceux-ci ne constituant pas en soi un traitement médical.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle

TF 4A_329/2016 du 20 octobre 2016
Assurances privées ; CGA, interprétation, clause insolite ; art. 18 CO
Un employeur conclut un contrat d’assurance perte de gain maladie collective soumis à la LCA. Il a assuré une employée qui habite à l’étranger (Autriche). Parallèlement, l’employeur sollicite l’octroi d’un permis de séjour (B) en faveur de l’employée. Dans cette procédure, l’employée est annoncée dans une commune suisse. Elle reste par contre toujours établie en Autriche. Par la suite, l’employeur résilie le contrat de travail et l’employée tombe malade. Elle demande des prestations (indemnités journalières) auprès de l’assurance perte de gain qui accepte de les lui verser. L’employée annonce à la commune suisse que sa résidence est désormais en Autriche. L’autorisation de séjour est révoquée. L’assurance perte de gain cesse de lui verser des prestations.
Les clauses d’un contrat d’assurance perte de gain maladie collective soumise à la LCA qui prévoient que le contrat prend fin à l’expiration d’une autorisation de séjour, en cas de transfert de domicile à l’étranger, et qu’il n’y a un droit à des prestations après l’expiration du contrat (Nachleistung) que si l’autorisation de séjour qui a expiré était un permis de frontalier UE / AELE n’est pas insolite (c. 4 et 5.1). Les conditions générales d’un tel contrat s’interprètent de manière identique aux clauses contractuelles (art. 18 CO) (c. 5.2.2 ; confirmation de jurisprudence). En l’occurrence, l’interprétation de l’autorité cantonale, pour ce qui est du terme « autres frontaliers », ne viole pas le principe de la confiance (c. 5.2.4).
Auteure : Rebecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 9C_260/2016 du 19 octobre 2016
Assurance-invalidité ; indemnités journalières ; art. 22 al. 1 LAI
L’arrêt porte sur le droit d’un assuré aux indemnités journalières pour la période entre l’interruption d’une formation indépendamment de sa volonté et le début d’un stage qu’il a demandé, dans une activité pour laquelle l’office AI a émis des réserves, la prise en charge du stage étant néanmoins acceptée.
Selon le TF, l’instruction médicale a confirmé la capacité à être réadapté ; il ne peut être fait de reproches à l’assuré quant à son comportement au cours de la procédure. En revanche, l’office AI a réagi de manière tardive et contradictoire par rapport au choix de la formation de l’assuré. L’assuré a ainsi droit aux indemnités journalières pour la période en cause (c. 4.2 et 4.3).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à La Chaux-de-Fonds

TF 9C_154/2016 du 19 octobre 2016
Assurance-invalidité ; trouble somatoforme douloureux, exagération des plaintes ; art. 7 et 8 LPGA ; 4 LAI
Le TF corrige la copie d’un tribunal cantonal qui, trop facilement, avait renoncé à examiner le caractère invalidant d’un trouble somatoforme douloureux conformément aux nouveaux indicateurs de l’ATF 141 V 281, motif pris d’une exagération des plaintes.
Le TF précise à ce sujet qu’une exagération ou un phénomène similaire quant aux limitations fonctionnelles ne doit pas permettre d’exclure facilement la présence d’une atteinte à la santé assurée. Cela ne doit être possible que si, dans le cas concret, il découle de manière plausible de l’analyse médicale que l’exagération, clairement prouvée, prédomine de manière significative, et qu’elle excède la mesure d’un comportement simplement démonstratif. Il faut en outre que l’exagération ne soit pas la conséquence d’un diagnostic psychiatrique indépendant. La réalisation de ces conditions a été niée en l’espèce (c. 4).
Le recours est néanmoins rejeté, le degré de gravité nécessaire pour retenir le caractère invalidant du trouble somatoforme n’étant pas atteint (c. 5).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_464/2016 du 19 octobre 2016
Assurance-invalidité ; conditions de recevabilité, expertise ABI comme preuve matérielle, respect de la jurisprudence antérieure ; art. 66, 68, 93, 97, 105 LTF
Le principe de la bonne foi prescrit l’annonce d’une modification jurisprudentielle en matière procédurale. Une partie à la procédure peut se prévaloir de ce principe dans la mesure où ce changement jurisprudentiel a pour conséquence la perte d’un droit. En l’espèce, une clarification selon laquelle le dies a quo du délai pour contester les frais d’une décision est la notification de ladite décision et non son entrée en force peut être préjudiciable aux parties. Ainsi, selon le principe de la bonne foi, un désavantage ne saurait être retenu contre une partie n’ayant pas connaissance de ladite jurisprudence.
Les exigences à respecter dans le cadre d’une demande d’expertise médicale ont été redéfinies par l’ATF 137 V 210 du 28 juin 2011 et concrétisées ensuite à l’art. 72bis RAI, entré en vigueur le 1er mars 2012. L’arrêt précédemment cité est une décision incitatoire, et accorde ainsi un laps de temps aux offices AI afin d’assurer la mise en conformité de leurs pratiques dans ce domaine. En effet, on ne saurait exiger des offices AI qu’ils mettent en œuvre immédiatement toutes les prescriptions de cet arrêt. Il y a lieu de distinguer entre les mesures administratives qui doivent être prises par le législateur chargé d’édicter des ordonnances et par l’autorité de surveillance d’une part, et les droits de participations et la protection judiciaire de la personne assurée d’autre part. Le TF indique que l’ATF 137 V 210 ne prescrit que l’application immédiate du second groupe d’exigences. En revanche, les mesures administratives qui comprennent notamment l’attribution des expertises selon le principe du hasard requièrent un effort particulier quant à leur mise en place et ne sauraient être substituées à la hâte par une méthode propre à chaque office AI, qui ne remplirait pas toutes les exigences de neutralité.
Auteure : Muriel Vautier Eigenmann, avocate à Lausanne

TF 4A_99/2016 du 18 octobre 2016
Procédure ; action partielle, cumul d’actions, conditions de recevabilité, exigence de précision des conclusions ; art. 86 et 90 CPC ; 86 ss CO
La seule condition posée par l’art. 86 CPC pour la recevabilité de l’action partielle est que la prétention soit divisible, ce qui est toujours le cas d’une somme d’argent. Il faut en outre que l’action ne contrevienne pas au principe général d’interdiction de l’abus de droit (c. 5.2). Par ailleurs, il est possible de faire valoir, dans une unique action, des prétentions distinctes reposant sur différentes bases juridiques, ce qui correspond à un cumul objectif d’actions. Une telle action est soumise aux conditions de recevabilité de l’art. 90 CPC (c. 5.3.1). Le cumul d’actions peut être cumulatif (ou cumul au sens strict) (plusieurs prétentions sont émises et le tribunal doit statuer sur chacune d’elles) ou éventuel (ou subsidiaire) (l’une des prétentions n’est émise que pour le cas où l’autre prétention serait rejetée).
Est en revanche considéré comme contraire à l’exigence de précision des conclusions le cumul alternatif, par lequel le demandeur émet plusieurs prétentions en laissant le tribunal ou la partie adverse décider sur laquelle ou lesquelles d’entre elles il sera statué, ou lorsque le demandeur prend des conclusions non individualisées qui reposent sur différents complexes de fait, sans préciser lesquels d’entre eux devront être jugés (c. 5.3.2). Ainsi, lorsque plusieurs prétentions divisibles contre un même débiteur sont cumulées dans une même action, mais que seule une partie d’entre elles est réclamée, le demandeur doit préciser dans quel ordre et/ou dans quelle mesure ces différentes prétentions sont émises. A défaut, l’action doit être jugée irrecevable sous l’angle des exigences du CPC en matière de précision des conclusions (cumul objectif alternatif d’actions) (c. 5.4) (précision de jurisprudence).
En l’espèce, il s’agissait d’un travailleur qui n’avait pas reçu son bonus durant trois années consécutives pour un montant total de CHF 480'000.- (CHF 180'000.- en 2011 et en 2012 et CHF 120'000.- en 2013) et qui réclamait le paiement d’un montant de CHF 30'000.- plus intérêts à son employeur, en se réservant la possibilité de réclamer un montant supérieur ultérieurement. Le TF a jugé que le travailleur aurait dû préciser si les CHF 30'000.- réclamés devaient être imputés sur le bonus de 2011, de 2012 ou de 2013. Ayant omis cette précision, l’action du travailleur a été jugée irrecevable.
Lire aussi, au sujet de cet arrêt, la note F. Bastons Bulletti in CPC Online (newsletter du 17.11.2016).
Auteure : Emilie Conti, avocate à Genève


TF 4A_262/2016 du 18 octobre 2016
Responsabilité du détenteur automobile ; causalité naturelle, degré de la preuve ; art. 58 LCR ; 8 CC
Selon une pratique constante, le degré de preuve exigé en matière de causalité naturelle est celui de la vraisemblance prépondérante. Cela signifie que le juge peut se contenter de preuves prima facie (Anscheinsbeweis) si l’autre partie ne met pas en avant d’autres circonstances renversant la présomption de fait conférée à ces preuves prima facie. Si ces preuves existent, une offre de preuve spécifique en relation avec le lien de causalité n’est pas exigée (c. 4.4.2.1).
Dans le cadre de l’art. 58 LCR, établir que la vitesse à laquelle roulait le véhicule automobile impliqué était inadaptée à la configuration des lieux constitue une preuve prima facie du lien de causalité naturelle entre cette circonstance et l’accident survenu (c. 4.4.2.2).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne


TF 4A_164/2016 du 18 octobre 2016
Responsabilité aquilienne ; appel en cause ; solidarité imparfaite ; obligation de chiffrer les conclusions ; art. 81 al. 1 et 84 CPC ; 51 CO
Le TF a d’abord retenu qu’il y avait un lien de connexité entre la prétention exercée par l’appel en cause et la demande principale, car la recourante pourrait faire valoir contre l’intimée une prétention récursoire fondée sur l’art. 51 al. 1 CO (c. 2.2), mais il a rejeté l’appel en cause parce que la recourante n’avait pas chiffré ses prétentions.
Le TF n’a pas renvoyé la cause aux juges cantonaux afin de donner la possibilité à la recourante de chiffrer ses conclusions car dans un cas de ce genre, il n’y a pas lieu à interpellation par le tribunal, car les conclusions de la recourante – qui en plus est représentée par un avocat – ne sauraient être considérées comme manifestement incomplètes au sens de l’art. 56 CPC. En outre, le défaut affectant les conclusions litigieuses n’est pas assimilable à un vice de forme susceptible d’être rectifié conformément à l’art. 132 CPC.
Auteure : Tiziana Zamperini, titulaire du brevet d’avocat à Lugano


TF 4A_377/2016 du 18 octobre 2016
Responsabilité du détenteur d’ouvrage ; vice de construction ou défaut d’entretien ; comportements non conformes de certains usagers ; enfants ; art. 58 CO
En vertu de l’art. 58 al. 1er CO, le propriétaire de l’ouvrage est responsable des dommages causés par un défaut de construction ou par un défaut d’entretien de l’ouvrage. Pour juger si un ouvrage est affecté d’un vice de construction ou d’un défaut d’entretien, il faut se référer au but qui lui est assigné, car il n’a pas à être adapté à un usage contraire à sa destination; un ouvrage est donc défectueux lorsqu’il n’offre pas une sécurité suffisante pour l’usage auquel il est destiné. En principe, l’ouvrage n’a donc pas besoin d’être construit ou entretenu de manière à pouvoir supporter un usage non conforme à sa destination. Ce principe connaît toutefois certaines limites. La doctrine et la jurisprudence admettent en effet que la responsabilité du propriétaire de l’ouvrage peut aussi être exceptionnellement engagée en cas de comportement non conforme de certaines catégories d’usagers, parmi lesquelles les enfants. Si, de par sa constitution ou sa structure, l’ouvrage comporte des risques particuliers qui peuvent entraîner des dommages graves ou si, en raison de son affectation, il est de nature à inciter les enfants à une utilisation non conforme à sa destination, le propriétaire est tenu de prendre des précautions particulières pour empêcher que des enfants n’utilisent l’ouvrage de manière non conforme à sa destination. Mais la responsabilité du propriétaire présuppose dans tous les cas que le comportement non conforme des enfants soit prévisible et que les mesures propres à empêcher cet usage puissent être exigées de lui. Le propriétaire n’est pas tenu de prendre des mesures tendant à prévenir un comportement insolite, même d’un enfant.
Le recourant âgé de 19 mois a échappé à la surveillance de sa maman, qui nettoyait l’intérieur de sa voiture devant la villa familiale située dans un quartier résidentiel. Il a pénétré dans le jardin du défendeur dans lequel se trouvait un étang (biotope) de 6 mètres de long et de 60 centimètres de profond. Le recourant est tombé dans cet étang et est resté plusieurs minutes la tête dans l’eau, sans suffisamment d’oxygène, ce qui lui a causé d’importantes lésions cérébrales. Même si cet étang était construit dans un but esthétique et pour observer la nature, cela n’excluait pas qu’il en découle certains risques et que le défendeur puisse devoir compter sur la présence d’enfants sans surveillance. En cas d’accident impliquant des enfants, le propriétaire de l’ouvrage peut partir de l’idée que les enfants se comporteront sur son ouvrage avec la raison moyenne correspondant à leur âge. Les enfants qui ne sont pas doués du jugement nécessaire pour utiliser un ouvrage doivent en principe rester sous surveillance. Le TF a donc analysé si, sur la base des circonstances, le comportement de l’enfant était prévisible et si des mesures propres à empêcher l’accident auraient pu être prises par le défendeur. Comme l’étang n’était pas visible depuis la rue et qu’il était difficilement accessible, le défendeur ne pouvait s’attendre à ce qu’un enfant de 19 mois pénètre seul dans son jardin et atteigne l’étang. Il pouvait compter sur le fait que les tout-petits (âge préscolaire) sont encadrés quand ils sont à l’extérieur de sorte qu’il n’est pas responsable au sens de l’art. 58 CO. En définitive, le TF a considéré que l’étang n’était pas affecté ni d’un vice de construction ni d’un défaut d’entretien et qu’on ne se trouvait pas dans une situation exceptionnelle où le défendeur pouvait être tenu pour responsable des conséquences d’une utilisation non conforme car le comportement n’était pas prévisible.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier

TF 4A_443/2016 du 17 octobre 2016
Assurances privées ; assurance perte de gain en cas de maladie ; appréciation des preuves ; art. 8 CC ; 152 et 157 CPC
Une assurance perte de gain cesse de verser les prestations en se fondant sur une expertise qui se base, quant à elle, sur une expertise de l’AI selon laquelle l’assuré a une capacité de travail et de gain de 90%.
Le recourant invoquait une violation de son droit d’être entendu, au motif que l’autorité précédente avait apprécié l’expertise de l’AI comme une expertise judiciaire sans qu’il ait eu l’occasion de se déterminer. Le TF répond que, quand bien même cette autorité n’avait pas informé les parties de cette circonstance, le grief de violation du droit d’être entendu tombe dès lors que le recourant avait fait allusion à l’expertise AI dans sa demande en paiement, de sorte qu’il avait eu l’occasion de se déterminer sur son contenu.
Le TF ne voit pas non plus de violation des art. 8 CC et 152 CPC dans le fait que l’autorité précédente avait refusé la mise en œuvre d’une expertise judiciaire. Le TF a jugé que cette manière de procéder devait être considérée comme une appréciation anticipée des preuves, qui est en principe admissible. Le recourant n’avait cependant pas démontré en quoi une telle appréciation anticipée était arbitraire, raison pour laquelle le TF a rejeté ce grief.
Le TF répond également au grief du recourant, selon lequel l’art. 157 CPC aurait été violé notamment parce que, au moment où l’expertise de l’AI avait été rendue, l’ancienne jurisprudence dite « Überwindungsrechtsprechung » était encore en vigueur. Le TF juge que le recourant s’est contenté de relever globalement que, à l’époque où l’expertise de l’AI avait été rendue, cette jurisprudence était encore en vigueur, sans motiver en quoi l’appréciation de l’autorité précédente (qui consistait à dire que l’expertise de l’AI était conforme à toutes les exigences de la jurisprudence) était arbitraire.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg


TF 9C_330/2016 - ATF 142 V 466 du 14 octobre 2016
Prévoyance professionnelle ; différé du paiement de la rente d’invalidité ; art. 26 LPP ; 26 OPP2
Une caisse de pensions peut différer le paiement de la rente d’invalidité, conformément aux art. 26 al. 2 LPP et 26 OPP2, même lorsqu’un assureur perte de gain maladie fait valoir auprès de l’assurance-invalidité le remboursement de la rente d’invalidité accordée rétroactivement à un assuré.
Le TF revient ainsi (enfin) sur sa jurisprudence antérieure (arrêt B 27/04 du 21 février 2005), critiquée de manière quasi unanime par la doctrine.
Auteur : Guy Longchamp


TF 9C_737/2015 - ATF 142 V 488 du 13 octobre 2016
Assurance-maladie ; liste des spécialités ; admission de durée illimitée ; art. 65d OAMal ; LS
Un médicament qui a été admis dans la liste des spécialités (LS) de manière limitée dans le temps et pour lequel le fabricant demande ensuite une admission définitive doit être réexaminé à l’aune des conditions pour une nouvelle demande d’admission (art. 65 ss OAMal) et non de celles du réexamen périodique tous les trois ans (art. 65d OAMal).
L’application d’une marge de tolérance de 5% dans la comparaison avec le prix moyen pratiqué à l’étranger selon l’art 65d al. 1ter OAMal (dans sa teneur en vigueur en 2012) et les dispositions transitoires de la modification du 21 mars 2012, ne se justifie que lors du réexamen périodique des médicaments et non également lors d’une nouvelle demande d’admission, selon une interprétation systématique et grammaticale des dispositions pertinentes. La marge de tolérance n’est pas non plus appliquée lorsque, comme en l’espèce, le médicament a été admis de manière provisoire et fait ensuite l’objet d’un nouvel examen afin de l’inscrire de manière définitive dans la liste. En effet, dans ce contexte, le prix fixé pour la période provisoire est tombé à l’échéance de celle-ci et le prix du médicament doit faire l’objet d’un nouvel examen complet, comme pour toute nouvelle admission. L’OFSP ne viole ni le principe de l’égalité de traitement, ni le principe de la liberté économique en procédant de la sorte.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Pully


TF 9C_300/2016 - ATF 142 III 705 du 13 octobre 2016
Assurance-vieillesse et survivants ; Cotisations AVS, concordat LP ; art. 306 et 310 LP
Le concordat homologué est opposable aux créances privilégiées produites (en l’espèce des créances de la caisse de compensation pour des cotisations AVS) mais qui n’ont pas été enregistrées correctement par le commissaire au concordat et qui n’ont pas été contestées dans le cadre de la procédure d’homologation du concordat par la créancière. Le TF applique la jurisprudence établie à l’ATF 130 V 526 à ce cas de figure.
Pierre-Henri Gapany, avocat


TF 9C_328/2016 du 10 octobre 2016
Assurance-maladie ; désignation des prestations ; art. 32 al. 1 LAMal ; Annexe 1 à l’OPAS
Le litige soumis au TF porte sur la prise en charge par l’assurance obligatoire des soins des coûts afférents à une stimulation cérébrale profonde bilatérale à haute fréquence appliquée à un assuré souffrant d’un syndrome de Gilles de la Tourette pharmaco-résistant.
Le traitement envisagé peut donner lieu à prise en charge selon le chiffre 2.3 « neurologie, y compris la thérapie des douleurs et l’anesthésie » de l’Annexe 1 de l’OPAS, mais ce traitement n’est pas prévu spécifiquement en présence d’un syndrome de Gilles de la Tourette. L’assureur-maladie a considéré qu’il découlait de l’énumération exhaustive de l’Annexe 1 de l’OPAS l’exclusion implicite d’un tel traitement en présence d’autres atteintes à la santé que celles prévues.
Le TF a rappelé que compte tenu de la grande retenue qu’il s’impose dans l’examen de l’OPAS et de ses annexes, il ne saurait être question en l’espèce d’intervenir en cas de silence qualifié du DFI, soit lorsqu’il apparaît que celui-ci, avec l’aide de la CFPP – s’est penché sur une indication particulière qu’il a implicitement exclue. Mais, en l’occurrence, à l’inverse du cas 9C_739/2012, on ne peut parler de silence qualifié en ce qui concerne l’indication du traitement envisagé pour un syndrome de Gilles de la Tourette. Comme l’a mentionné l’OFSP lors de la procédure cantonale, aucune demande d’étendre les indications en vue d’une prise en charge obligatoire de l’électrostimulation des structures cérébrales profondes par implantation d’un système de neurostimulation n’a été soumise pour avis à la CFPP pour ledit syndrome. La commission s’est exclusivement prononcée à la requête des fournisseurs de prestations sur un certain nombre d’autres indications médicales. Dans ces circonstances, la juridiction cantonale ne saurait être suivie lorsqu’elle affirme que, l’énumération des conditions pour qu’une électrostimulation des structures cérébrales profondes soit prise en charge, est exhaustive. En présence d’une prestation prescrite par un médecin pour une indication qui n’a pas été soumise à l’avis de la commission ou qui n’a pas été écartée implicitement par celle-ci, la présomption légale que le traitement répond aux exigences de la loi quant à son efficacité, son caractère approprié et économique s’applique pleinement. Le fait que l’OFSP ne procède à l’examen d’une nouvelle indication liée à un traitement admis dans l’OPAS que sur demande d’un fournisseur de prestations n’y change rien. Le TF rappelle à cet égard que d’innombrables prestations médicales – ici indications médicales – ne figurent pas dans l’Annexe 1 de l’OPAS parce que la CFPP ne les a pas (ou pas encore) évaluées, faute de temps ou de moyens, respectivement de demande du fournisseur.
Le TF reproche ainsi à la juridiction cantonale de ne pas avoir examiné si la mesure en cause était couverte par la présomption légale posée par l’art. 32 al. 1 LAMal et renvoie la cause pour statuer sur ce point après avoir procédé aux constatations de fait nécessaires en requérant l’avis d’un expert.
Auteure : Corinne Monnard Séchaud, avocate à Lausanne

TF 8C_412/2016 du 6 octobre 2016
Assurance-invalidité ; restitution de prestation arriérée ; art. 85bis al. 3 RAI
L’assurance-invalidité restitue les arriérés de rente au tiers ayant consenti une avance à l’assuré durant la période considérée, au sens de l‘art. 85 bis al. 3 RAI. Dans le cas d’espèce, l’assurance-invalidité a remboursé ainsi à l’employeur la totalité du salaire avancé durant la période à laquelle se rapporte la rente d’invalidité. Elle a également imputé sur les arriérés de rentes les indemnités journalières de l’AI et le montant correspondant à la surindemnisation décidée par l’assureur LAA dans sa première décision.
L’assuré, invoquant le principe de la concordance temporelle, dit avoir été désavantagé par la décision de l’assurance-invalidité qui aurait dû affecter l’imputation de la surindemnisation à une période ultérieure. Le TF retient qu’il n’y a pas d’exigence de compenser les prestations d’assurance sur des périodes identiques (développement au c. 2), et si l’assurance-invalidité avait reporté la compensation à une période ultérieure, elle aurait avantagé sans raison l’assuré face à son employeur.
S’appuyant sur la directive 10060 DR (art. 85 RAI, art. 20 LAVS), selon laquelle le versement rétroactif aux autres assurances sociales a la priorité sur le droit des tiers ayant consenti des avances, l’assuré estime aussi que l’employeur aurait dû voir sa créance réduite au solde restant après imputation des montants dus aux assureurs. Le TF constate que l’assuré n’a pas été désavantagé, en l’espèce, car l’assureur LAA lui a restitué le montant compensé par l’assurance-invalidité, dans la décision globale en matière de surindemnisation qu’il a prise ultérieurement.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel

TF 6B_999/2015, 6B_1003/2015 du 28 septembre 2016
Responsabilité médicale ; homicide par négligence, règles de l’art médical, violation du devoir de diligence par omission, arbitraire ; art. 12 al. 3 et 117 CP
Le 13 mai 2009, une enfant de onze mois est admise d’urgence à l’hôpital I., avec des convulsions fébriles complexes. Transférée le 14 mai au CHUV, elle décède le 15 mai d’une méningite. La Haute Cour confirme la condamnation de deux pédiatres de l’hôpital I., soit une cheffe de clinique et son adjointe, pour n’avoir pas usé des précautions qui s’imposaient. Les pédiatres ont, entre autres, fait grief aux juges cantonaux de s’être arbitrairement écartées des conclusions d’une expertise judiciaire, en retenant des violations des règles professionnelles. Selon l’arrêt ici résumé, l’expert indiquait en effet, « en réponse à deux questions, qu’il ne peut pas parler d’une violation des règles de l’art », en raison de l’absence de guidelines pertinentes.
S’agissant de l’existence et de la description des règles de l’art en matière d’urgences pédiatriques et de suspicion de méningite, ainsi que des manquements à ces règles (questions de fait), la Haute Cour fait siennes les constatations qui ressortent du jugement cantonal, lui-même fondé sur divers avis, de l’expert et des médecins intervenus durant l’instruction pénale (c. 5.3 et 5.4). Le TF précise que l’absence (relevée par l’expert) de guidelines internes à l’hôpital ou de guidelines nationales ou internationales prévoyant une procédure à suivre, ne suffit pas pour retenir l’inexistence de règles de l’art (c. 5.5).
Par ailleurs, les recommandations du vade-mecum de pédiatrie du CHUV constituent un élément pertinent pour apprécier une violation des règles de l’art (c. 5.6). Le TF estime donc que c’est sans arbitraire que les juges cantonaux ont retenu que les pédiatres ne s’étaient pas conformées aux règles de l’art médical (c. 5.10).
Quant à la violation de leur devoir de diligence (question de droit), le TF juge que les pédiatres auraient dû, sans délai, administrer une antibiothérapie et entreprendre des examens additionnels. Si le médecin dispose en général d’une grande latitude pour décider ce qu’il doit faire ou pas dans un cas particulier, les pédiatres ont en l’espèce outrepassé leur marge d’appréciation, en ne faisant pas tout ce qu’elles pouvaient pour exclure le risque d’une méningite, ce qui, en cas d’urgence pédiatrique, relevait de la plus grande priorité. Le choix de l’inaction était indéfendable, parce que les pédiatres ne pouvaient pas ignorer que la méningite (dont faisait état le diagnostic différentiel) peut évoluer de façon foudroyante, et parce que les gestes salvateurs étaient faciles et sûrs. L’expérience et les statuts de médecins-cadres des intéressées ont aussi été mentionnés (c. 6.3). Outre une prise en charge inadéquate, il est encore reproché aux pédiatres d’avoir mis en place une surveillance insuffisante malgré des signaux d’alerte clairs (c. 6.4).
Quant au lien de causalité, le TF retient que, sans violation fautive de leur devoir de prudence par les pédiatres, la patiente n’aurait très vraisemblablement pas succombé (c. 7).
Auteur : Philippe Graf, avocat à Lausanne

TF 4A_327/2016 - ATF 142 III 767 du 27 septembre 2016
Assurances privées ; accord de libre circulation de l’assurance collective, indemnités journalières en cas de maladie, schéma de prise en charge ; art. 4 ALCP ; 9 et 100 LCA
La question décisive est celle de savoir si les règles de l’ALCP violent l’interdiction de rétroactivité de l’assurance prévue à l’art. 9 LCA et, en conséquence, s’il est possible de prévoir dans les conditions d’assurance, des indemnités journalières en cas de maladie.
Selon le TF, les cas de rechute entrent dans le champ d’application de l’art. 4 ALCP, selon lequel le nouvel assureur doit prendre en charge le sinistre en cours. Par conséquent, la question qui se pose est celle de savoir si cette prise en charge représente une violation de l’interdiction de rétroactivité de l’assurance prévue par l’art. 9 LCA.
Le TF a reconnu qu’une assurance rétroactive était admissible, mais qu’il se posait le problème d’une prolongation de couverture d’assurance de l’ancien assureur. Par la prolongation de couverture, les conséquences du sinistre en cours postérieures à la fin du contrat d’assurance sont prises en charges par l’assureur initial.
La règle de prise en charge de l’ALCP instaure une garantie de la prolongation de couverture en cas de maladie existant déjà dans les anciens rapports de travail et ayant entraîné une incapacité de travail. Le TF ne voit pas pourquoi un accord entre l’assuré et le nouvel assureur prévoyant que la couverture d’assurance soit assumée par le nouvel assureur plutôt que par l’ancien, aux conditions de l’ancien contrat d’assurance et dont la durée des prestations serait limitée, ne serait pas admissible.
Auteur : David Métille, avocat à Lausanne


TF 4A_674/2015 du 22 septembre 2016
Responsabilité civile ; notion de dommage ; dépens pénaux ; art. 65 al. 1 LCR ; 433 CPP
Il n’y a aucune incertitude sur le fait que, au terme de la procédure pénale intentée contre l’auteur de l’accident, lorsque des dépens (même tarifés) sont octroyés par le juge pénal, le lésé ne peut plus faire valoir de prétention en remboursement des frais de défense par une action ultérieure en responsabilité civile. En conséquence, si la valeur litigieuse n’atteint pas les CHF 30'000.-, un recours en matière civile sur cette question est irrecevable, puisque la contestation ne soulève pas de question juridique de principe au sens de l’art. 74 al. 2 lit. a LTF (c. 1.3).
Dans le cadre d’un recours constitutionnel subsidiaire, le TF rappelle qu’en droit de la responsabilité civile, les frais engagés par la victime pour la consultation d’un avocat avant l’ouverture du procès civil, lorsque cette démarche était nécessaire et adéquate, peuvent constituer un élément du dommage, pour autant que ces frais n’aient pas été inclus dans les dépens. Cette notion inclut l’indemnité équitable prévue par l’art. 433 CPP. C’est dire que les frais d’avocat engagés par la victime dans le cadre de la procédure pénale ne constituent pas un poste du dommage au sens de la responsabilité civile ; dommage dont le détenteur du véhicule automobile et son assureur devraient répondre. Il en va de même également dans les cas où le plaignant renoncerait à réclamer une telle indemnité équitable (c. 3.2).
Le seul fait que le paiement des dépens pénaux par le responsable de l’accident soit éventuellement couvert par son assurance de responsabilité civile ne signifie pas encore que, par effet de symétrie, le lésé dispose sur ce point d’une action civile contre le responsable, respectivement son assureur RC (c 3.3.5).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne



TF 4A_697/2015 du 21 septembre 2016
Assurances privées ; responsabilité des administrateurs, dommage, perte du droit aux prestations ; art. 8 CC ; 39, 45 al. 1 et 69 LCA ; 754 CO
L’ancien administrateur d’une société déclarée en faillite (ci-après l’assuré) se voit réclamer par la masse un montant de CHF 164'525'547.-. L’activité de l’assuré était couverte par une RC professionnelle, à hauteur d’un montant maximal de CHF 5'000'000.- par événement. L’assuré a informé l’assureur que des discussions transactionnelles étaient en cours avec la masse en faillite. L’assureur l’a autorisé à mener ces discussions mais il lui a interdit de conclure une transaction sans son accord, tout en considérant qu’en l’état, la couverture d’assurance n’était pas donnée. En dépit de l’opposition de la compagnie d’assurance, l’assuré. a conclu une transaction extrajudiciaire avec la masse en faillite et a payé celle-ci, « pour solde de tous comptes et de toutes prétentions », un montant de CHF 5'000'000.-. Il a réclamé à l’assureur le remboursement de cette somme.
Une clause des CGA prévoyait la représentation de l’assuré par l’assureur à l’égard des tiers réclamants, notamment dans le cadre des pourparlers, et l’interdiction pour l’assuré de payer des indemnités, de conclure une transaction ou de reconnaître tout ou partie des prétentions des tiers sans l’accord de l’assureur. Une autre clause formulait la perte du droit aux prestations d’assurance en cas d’agissement de l’assuré contrevenant « aux dispositions concernant l’avis de sinistre » ou « contraire […] aux règles de la bonne foi » dans le cadre du traitement du sinistre, à moins qu’il ne prouve avoir agi sans faute ou que son attitude n’ait modifié ni sa situation juridique, ni celle de l’assureur et n’ait par conséquent exercé aucune influence sur le règlement du sinistre.
Le TF rappelle que les principes qui régissent le fardeau de la preuve de l’art 8 CC s’appliquent également dans le domaine du contrat d’assurance. Il incombe donc à l’assuré d’alléguer et de prouver, d’une part la réalisation du risque, et d’autre part le préjudice qu’il subit lui-même par son obligation d’indemniser le lésé dont les prétentions sont fondées.
Dans une première étape, il incombe à l’assuré d’apporter la preuve des faits permettant de constater que toutes les conditions de sa responsabilité sont réalisées (art. 8 CC et art. 754 CO). Dans une deuxième étape, il lui appartient de démontrer que les conditions découlant de la relation contractuelle nouée avec l’assureur sont remplies, lorsque la preuve est à sa charge.
Ainsi, si l’assuré conclut une transaction avec le lésé sans l’accord de l’assureur, il lui incombe d’établir les faits dont il résulte qu’aucune faute ne lui est imputable ou que son attitude n’a modifié ni sa situation juridique, ni celle de l’assureur et n’a par conséquent exercé aucune influence sur le règlement du sinistre. En l’espèce, l’assuré. n’est pas parvenu à démontrer que la conclusion de la transaction extrajudiciaire avec la masse en faillite n’a eu aucune influence sur le règlement du sinistre. En particulier l’assuré se devait avant tout de démontrer qu’il aurait dû inéluctablement s’acquitter de dommages-intérêts supérieurs, ou au moins équivalents, au plafond de la couverture d’assurance. Le dommage personnellement imputable à l’assuré n’étant pas établi dans l’arrêt attaqué, l’assureur est libéré de l’obligation d’indemniser son assuré.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève


TF 9C_455/2016 du 21 septembre 2016
Prestations complémentaires ; dépenses reconnues, taxe journalière de séjour, famille d’accueil ; art. 10 al. 2 lit. a et 11 al. 1 lit. h LPC ; 10 OPE
Au titre de dépenses reconnues, les orphelins placés dans une famille d’accueil ne peuvent pas prétendre à un montant plus élevé que la taxe journalière maximale retenue dans les directives cantonales. Ce montant est présumé couvrir les prestations de la famille d’accueil même si le montant réclamé par l’organisme de placement est plus élevé. La différence peut s’expliquer par les tâches de surveillance, de conseils et autres frais pris en charge par cet organisme.
Néanmoins, le recours est partiellement admis car les éléments figurant à la procédure ne permettent pas d’apprécier si le montant de la pension alimentaire due par la mère, retenu au titre de revenu déterminant, a été correctement calculé.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Lausanne

TF 8C_21/2016 du 20 septembre 2016
Assurance-accidents; causalité naturelle; valeur probante d’une expertise administrative; art. 6 LAA; 43 LPGA
A la suite d’un accident de circulation et dans le cadre de l’instruction de l’opposition de l’assuré à une décision de l’assureur LAA, une expertise pluridisciplinaire (rhumatologique, psychiatrique et orthopédique) est mise sur pied. Selon les experts, il ne s’agit que d’une aggravation passagère de l’état antérieur. Le statu quo sine est atteint 1 an après l’accident.
Le TF rappelle sa jurisprudence au sujet de la valeur probante d’une expertise administrative. Il rappelle qu’on ne saurait retenir l’existence d’un lien de causalité naturelle du seul fait de l’absence de plaintes avant un événement accidentel. Les médecins-traitants n’apportent aucun élément nouveau propre à jeter un doute sur l’expertise. Il n’y avait ainsi aucune obligation pour l’autorité cantonale de procéder à l’audition des médecins puisque leur avis n’était pas susceptible de mettre en doute l’expertise.
Auteur : Marlyse Cordonnier, avocate à Genève


TF 6B_114/2016 du 20 septembre 2016
Responsabilité aquilienne; notion de négligence; art. 41 CO ; 117 CP
La violation d’un devoir de prudence et partant d’une responsabilité pour négligence implique nécessairement que le résultat eut été prévisible pour l’auteur. Le juge doit donc, en application du principe de causalité adéquate, examiner si dans les circonstances concrètes du cas, et compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, l’auteur potentiel pouvait prévoir la mise en danger du bien juridique finalement lésé.
En application de ces principes, le TF confirme l’acquittement du responsable des constructions d’un festival open air suite à un accident survenu en juillet 2012 au moment du démontage des installations. En effet, une violente tempête avait détruit une tente publicitaire pourtant réputée solide. Les très fortes rafales de vent avaient même arraché les ancrages et déplacé des éléments du sol. Plusieurs bénévoles du festival s’étaient précisément réfugiés dans cette tente, et l’un d’entre eux a été mortellement blessé par une plaque de sol mise en mouvement par la tempête.
Le TF considère que l’on doit considérer comme rare dans notre pays un orage aussi soudain et violent. Malgré les avis de tempête des services météorologiques, le responsable des installations ne pouvait pas s’imaginer que la tempête serait aussi forte et qu’elle serait à même de détruire une tente de ce type, et même de déplacer des éléments de sol de 500 kg. Le TF tient compte également du fait que MeteoGroup Schweiz AG avait annoncé une alerte de degré 4, sur une échelle de 5. C’est dire que l’on n’avait pas émis une alerte météo de degré maximal. Notre Haute Cour arrive donc à la conclusion que la victime est décédée suite à un enchaînement particulièrement malheureux de circonstances qui n’était pas prévisible. Une négligence ne peut donc être reprochée au responsable des constructions du festival.
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 9C_730/2015 - ATF 142 V 478 du 16 septembre 2016
Assurance-maladie; Myozyme; remboursement d’un médicament; liste des spécialités; art. 32 et 52 al. 1 LAMal
Après que le médicament Myozyme a été introduit dans la liste des spécialités (LS) dès le 1er novembre 2011, l’hôpital cantonal du canton de Saint-Gall a demandé à l’assureur-maladie qu’il prenne en charge les coûts de ce médicament en faveur d’une assurée, née en 1940, souffrant de la maladie de Pompe. Après avoir délivré dans un premier temps une garantie de prise en charge du traitement, libellée toutefois de manière peu compréhensible, l’assureur a ensuite refusé de le prendre en charge, en invoquant essentiellement le défaut du caractère économique des prestations. L’hôpital cantonal a alors saisi le tribunal arbitral, qui lui a donné raison, et condamné l’assureur-maladie à payer près de CHF 370'000.- pour le traitement initial de douze mois au moyen de ce médicament.
Le TF a rejeté le recours interjeté par l’assureur-maladie contre cette décision, au motif principalement que le critère de l’économicité du traitement ne pouvait plus être remis en question dans le cas particulier, compte tenu du respect des limitations strictes prévues dans la LS. L’éventuelle contestation du caractère efficace de ce traitement (utilité thérapeutique importante) ne pourra intervenir qu’après fourniture de la prestation initiale de 12 mois, selon la LS.
Auteur : Guy Longchamp


TF 8C_219/2016 du 12 septembre 2016
Assurance-chômage; indemnité journalière; supplément pour enfant; principe de l’origine; art. 22 al. 1 LACI; 13 LAFam; 10a al. 1 OAFam
La caisse de chômage constate que l’assuré a perçu des gains intermédiaires et exerce son droit à la restitution. Les gains intermédiaires sont attribués à des périodes précises et la restitution n’est pas contestée pour ces périodes. Par contre, l’assuré conteste que l’on puisse exiger la rétrocession des suppléments au sens de l’art. 22 al. 1 LACI, dans la mesure où ils ont été versés en dehors des périodes susmentionnées, car il estime qu’il n’avait pas droit aux allocations familiales durant ces périodes.
Selon l’art. 13 al. 1 et 2bis LAFam, les salariés et les indépendants ont droit aux allocations familiales. Pour les salariés, la prétention aux allocations familiales naît et expire avec le droit au salaire. Pour les indépendants, elle naît le premier jour du mois au cours duquel l’activité débute et expire le premier jour du mois au cours duquel l’activité indépendante cesse (art. 10a al. 1 OAFam). Toutefois, le droit des assurances sociales est soumis au principe de l’origine (Entstehungsprinzip), ce qui signifie qu’un gain intermédiaire ne peut être « dilué » sur toute une année, mais qu’il doit être imputé à la période pour laquelle il a effectivement été versé.
Le TF décide que la caisse de chômage ne peut revenir sur sa décision d’imputation des gains intermédiaires à des périodes données. En dehors de ces périodes, l’assuré n’avait pas droit à des allocations familiales. Ainsi, les suppléments concernés n’ont pas à être rétrocédés.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

TF 9C_282/2016 - ATF 142 V 457 du 12 septembre 2016
Prestations complémentaires; remboursement des frais de maladie et d’invalidité; art. 14 LPC
Une personne née en 1930, bénéficiaire d’une allocation pour impotence grave de l’AVS, demande au canton le remboursement de frais de maladie et d’invalidité pour un montant de Fr. 104’520.57.
En vertu de l’art. 14 LPC, les cantons remboursent aux bénéficiaires d’une prestation complémentaire annuelle les frais de maladie et d’invalidité de l’année civile en cours, s’ils sont dûment établis (al. 1) ; ils peuvent fixer les montants maximaux des frais de maladie et d’invalidité qu’ils remboursent en plus de la prestation complémentaire annuelle, étant précisé que ceux-ci ne peuvent toutefois être inférieurs à Fr. 25’000.- pour les personnes seules ou veuves et les conjoints de personnes vivant dans un home ou un hôpital (al. 3) ; pour les personnes vivant à domicile qui ont droit à une allocation pour impotent de l’AI ou de l’assurance-accidents, le montant minimal s’élève à Fr. 90’000.- lorsque l’impotence est grave, dans la mesure où les frais de soins et d’assistance ne sont pas couverts par l’allocation pour impotent et la contribution d’assistance de l’AVS ou de l’AI (al. 4) ; les personnes qui, en raison de revenus excédentaires, n’ont pas droit à une prestation complémentaire annuelle, ont droit au remboursement des frais de maladie et d’invalidité qui dépassent la part des revenus excédentaires (al. 6).
Selon le TF, le montant minimal de Fr. 90’000.- prévu à l’art. 14 al. 4 LPC ne vaut que pour les bénéficiaires d’une allocation pour impotence grave de l’AI ou de l’assurance-accidents, mais pas pour les bénéficiaires d’une telle allocation de l’AVS (à moins que ceux-ci bénéficiaient déjà d’une allocation de l’AI remplacée par celle de l’AVS, conformément à l’art. 14 al. 5 LPC). La différence de traitement est justifiée par le fait que l’impotence est exceptionnelle chez les personnes plus jeunes, tandis que l’autonomie personnelle baisse généralement à un âge avancé.
En l’espèce, le remboursement des frais de maladie et d’invalidité est limité à un montant de Fr. 25’000.-, duquel il y a lieu d’imputer les Fr. 31’222.- de revenus excédentaires de la recourante, dont le recours est rejeté.
Auteur : Alexandre Lehmann, avocat à Lausanne


TF 4A_74/2016 du 9 septembre 2016
Responsabilité aquilienne; partage des responsabilités; causalité adéquate; réduction du dommage; répartition des fautes; art. 41, 43 al. 1, 44 CO; 58, 61 al. 1, 70 LCR
La responsabilité civile du conducteur d’un cyclomoteur est régie par responsabilité pour faute de l’art. 41 CO, à l’instar de celle des cyclistes (art. 70 LCR). Elle ne ressortit pas à la responsabilité causale aggravée du détenteur de véhicule automobile prévue à l’art. 58 LCR.
Il est de jurisprudence qu’en droit de la responsabilité civile, il sied de prendre en considération, dans la fixation de l’indemnité, la très faible intensité de l’événement dommageable, en rapport avec d’autres causes, sur le résultat survenu. Le juge doit ainsi réduire l’indemnité allouée au lésé s’il a admis dans un cas limite la causalité adéquate à l’avantage de celui-ci afin de trouver une solution équilibrée.
L’art. 61 al. 1 LCR ne s’applique pas lorsque l’une des personnes impliquées dans le sinistre a utilisé un véhicule dont la responsabilité n’est pas soumise à l’art. 58 LCR, à l’instar du cyclomotoriste. Lorsqu’il y a rencontre d’une responsabilité aquilienne et d’une responsabilité objective aggravée, le responsable délictuel répond de sa faute (art. 41 al. 1 CO), mais il peut invoquer l’éventuelle faute additionnelle du responsable objectif ainsi que le risque de l’activité dangereuse dont celui-ci répond. La répartition des responsabilités est ainsi régie par l’art. 44 CO et par l’art. 58 LCR.
Selon l’art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les dommages-intérêts ou même n’en point allouer lorsque des faits dont la partie lésée est responsable ont contribué à créer ou augmenter le dommage, ou aggraver la situation du débiteur. En matière de responsabilité civile automobile, une réduction des dommages-intérêts en vertu de cette norme intervient singulièrement en fonction de la faute concomitante du lésé. La quote-part de responsabilité de chaque protagoniste, que ce soit le détenteur ou le non-détenteur, correspond, en proportion inverse, à celle devant rester à la charge de l’autre. En d’autres termes, le préjudice total de 100% doit être réparti entre les différentes causes déterminantes en droit de la responsabilité civile.
La détermination du degré de la faute dans un cas concret relève du jugement de valeur et repose largement sur l’appréciation du juge cantonal, de sorte que le TF ne réexamine la question qu’avec retenue. Il n’intervient que si le juge a abusé de son pouvoir d’appréciation, en se référant à des critères dénués de pertinence ou en ne tenant pas compte d’éléments essentiels, ou lorsque la décision, dans son résultat, heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité.
Le point de savoir si le risque inhérent d’un véhicule dépasse de manière marquante celui d’un autre n’est pas fonction du risque abstrait desdits véhicules selon leur appartenance à des catégories différentes. Est au contraire déterminant le risque concret qui a influé sur le préjudice lors de l’accident.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève
TF 4A_10/2016 - ATF 142 III 671 du 8 septembre 2016
Assurances privées; assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie; notification d’une sommation; survenance du cas d’assurance; art. 20 LCA
La sommation au sens de l’art. 20 LCA est réputée notifiée lorsqu’elle a atteint la sphère d’influence du destinataire, en l’espèce l’employeur. Le numéro « Track & Trace » d’un envoi A-Plus permet de savoir à quel moment l’envoi a été déposé dans la boîte aux lettres de ce dernier. Le fait qu’il ait partagé une boîte aux lettres avec une autre entreprise n’est pas suffisant pour renverser la présomption que l’envoi l’a bel et bien atteint.
Dans l’assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, le cas d’assurance survient au moment du début de l’incapacité de travail, et non au moment de la première manifestation de la maladie. En l’espèce, une incapacité de travail ayant débuté pendant la durée de la suspension de la couverture d’assurance, faute pour l’employeur d’avoir payé ses primes à temps, n’est pas couverte, même si la maladie (un syndrome d’épuisement) s’était déjà manifestée auparavant.
Auteur : Anne-Sylvie Dupont


TF 8C_949/2015 du 7 septembre 2016
Assurance-chômage; mesures relatives au marché du travail; décision en constatation; art. 59cbis LACI; 83 let. k LTF et 25 PA
L’art. 59cbis LACI, en particulier son deuxième alinéa, décrit de manière suffisamment précise, de manière à lier l’autorité, les conditions auxquelles des prestations financières sont accordées aux organisateurs des mesures relatives au marché du travail. Cette disposition légale donne par conséquent un droit à la subvention au sens de l’art. 83 let. k LTF (c. 2.1).
Une décision en constatation exige un intérêt digne de protection selon l’art. 25 al. 2 PA (ou 49 al. 2 LPGA). Cela suppose notamment qu’une décision formatrice de droits et obligations ne puisse pas être rendue. Il faut en outre qu’il soit nécessaire d’éclaircir des questions de droit qui se posent concrètement dans le cadre d’un rapport bien défini entre le requérant et l’autorité ; la décision en constatation n’a pas pour but de trancher des questions théoriques qui peuvent concerner de nombreuses personnes ou différents états de faits (c. 4).
Ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce. La question de savoir si le bénéficiaire des subventions prévues par l’art. 59cbis LACI doit les restituer jusqu’à concurrence d’un éventuel bénéfice revêt un caractère général car la recourante et ses filiales ont des formes de collaboration très différentes avec plusieurs cantons (c. 4.2). Quant à l’obligation de documenter le coût de chaque mesure, elle résulte non seulement du droit comptable (art. 957 ss CO), mais aussi de l’intérêt à obtenir la subvention (art. 59cbis al. 2 LACI). La recourante ne peut donc pas prétendre que la décision en constatation lui permettrait de supprimer des coûts administratifs supplémentaires (c. 4.3).
Auteur : Alain Ribordy, avocat à Fribourg

TF 6B_1064/2015 du 6 septembre 2016
Responsabilité du détenteur automobile; risque abstrait accru; négligence inconsciente; art. 90 al. 2 LCR
Les conditions de l’art. 90 al. 2 LCR sont remplies lorsque le comportement viole de manière objectivement grave les règles de la circulation ou menace sérieusement la sécurité routière. Ainsi, il y a lieu de considérer que les conditions d’une menace grave sont remplies non seulement en présence d’un risque concret mais également en présence d’un risque abstrait accru. L’admission d’un risque concret, d’un risque accru ou seulement d’un risque abstrait dépend de la situation. Le critère essentiel pour l’acceptation d’un danger abstrait accru est la proximité de la réalisation. Ceci est admis quand, au vu des circonstances, la survenance d’un danger spécifique est proche.
En ce qui concerne l’aspect subjectif, les conditions subjectives de l’art. 90 al. 2 LCR sont réalisées lorsque l’auteur agit de manière intentionnelle ou par négligence. L’aspect subjectif est toujours rempli lorsqu’il est admis que l’auteur est conscient de manière générale du danger. On admet également que l’auteur puisse agir par négligence inconsciente lorsqu’il n’a pas considéré la mise en danger des autres usagers.
Un conducteur qui se déplace sur la voie de gauche de l’autoroute à une vitesse de 104.99km/h agit de manière imprudente et crée un risque abstrait accru pour les voitures déjà présentes sur cette voie et qui sont contraintes à freiner. Il importe peu que l’auteur justifie son comportement par le fait qu’il n’avait pas remarqué qu’une voiture arrivait ou qu’il pensait pouvoir accélérer. Ceci démontre plutôt qu’il n’a pas tenu compte des autres usagers en entreprenant sa manœuvre et reflète ainsi un manque de considération pour les autres usagers de la route.
Auteur : Muriel Vautier Eigenmann, avocate à Lausanne


TF 4A_230/2016 du 6 septembre 2016
Assurances privées; indemnités journalières en cas de maladie; convention extrajudiciaire; libre circulation des personnes; discrimination; art. 9 al. 1 et 4 ALCP
Une compagnie d’assurance qui accepte, suite à l’introduction d’une procédure judiciaire à son encontre, de verser un acompte, contre retrait de la procédure judiciaire, conclut un contrat. Elle se constitue ainsi débitrice des indemnités journalières prévues par le contrat d’assurance. Suite à une telle convention extrajudiciaire, seuls le nombre et le taux de ces indemnités peuvent encore prêter à discussion.
L’art. 9 al. 1 et 4 de l’annexe I de l’accord du 21 juin 1999 conclu entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP), prohibe une discrimination à raison de la nationalité dans le domaine de la couverture ou des prestations d’une assurance contre la perte de gain en cas de maladie; dans ce même domaine, il prohibe également une discrimination à raison du domicile lorsque celle-ci, dans ses effets, atteint principalement les ressortissants d’Etats étrangers.
Un ressortissant suisse domicilié en France n’est pas autorisé à invoquer l’accord à l’encontre d’une autorité, d’un employeur ou d’un assureur en Suisse. L’accord n’exclut en effet pas que dans son domaine d’application, des ressortissants suisses soient éventuellement moins bien traités que les ressortissants des autres Etats parties. Selon le TF, une discrimination au préjudice des ressortissants suisses, dite « discrimination à rebours », ne peut, cas échéant, qu’être interdite par les règles du droit interne.
Auteur : Charles Poupon, avocat à Delémont

TF 9C_252/2016 du 5 septembre 2016
Assurance-invalidité; mesures médicales; surveillance clinique; art. 13 LAI
Le fait que dans le cas d’un assuré atteint depuis la naissance de naevi de grande taille, aucun traitement ni intervention chirurgicale ne soit possible, n’empêche pas que les mesures médicales consistant en une surveillance clinique régulière (examens de contrôle effectués chaque année et surveillance vidéo-microscopique ainsi que par IRM) soient mises à charge de l’assurance-invalidité, dès lors qu’il s’agit du seul traitement possible tendant à maîtriser l’infirmité congénitale, en particulier à éviter les risques accrus de complications graves. Dans une telle constellation, la surveillance clinique régulière n’est pas une simple mesure prophylactique.
Auteur : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_84/2016 du 5 septembre 2016
Responsabilité du détenteur automobile; dommage consécutif à un accident de la circulation; frais de conseil; partie civile; dépens pénaux; art. 58 al. 1 ; 65 al. 1 LCR
Lorsque les frais de conseil et de représentation engagés dans un procès pénal ne revêtent aucune sorte d’utilité dans la perspective d’un procès civil ultérieur, ils ne s’incorporent pas au dommage dont la réparation est réclamée dans le cadre d’une action en dommages-intérêts consécutive à un accident de la circulation intentée sur la base des art. 58 al. 1 et 65 al. 1 LCR.
Par conséquent, si dans ce procès pénal, les demandeurs n’ont fait état d’aucune prétention civile en dommages-intérêts ou en réparation du tort moral, les dispositions précitées n’obligent pas la partie défenderesse à rembourser les dépens alloués à la partie demanderesse.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne

TF 9 C_246/2016 du 31 août 2016
Assurance-invalidité; degré d’invalidité; intérêt à la constatation de l’inexistence d’une capacité résiduelle de travail; surindemnisation; art. 59 LPGA; 89 al. 1 lit. c LTF; 28 al. 2 LAI; 24 al. 2, 2ème phr. OPP 2
La question est de savoir si le recourant, dont le degré d’invalidité a été fixé à 83% par l’office AI et qui a dès lors obtenu une rente AI complète, a un intérêt digne de protection à la constatation judiciaire d’un degré d’invalidité de 100%. Le TF rappelle à ce sujet que la notion d’intérêt digne d’être protégé de l’art. 59 LPGA et celle d’intérêt digne de protection au sens de l’art. 89 al. 1 let. c LTF sont identiques (c. 2). D’une manière générale, le degré d’invalidité peut faire l’objet d’une décision en constatation (c. 4).
Le recourant met en avant le fait que la Fondation collective la Bâloise pour la prévoyance professionnelle obligatoire prend en compte dans le calcul de la surindemnisation la fixation de l’invalidité effectuée l’office AI et suppute un revenu correspondant au « revenu ou revenu de remplacement qui pourrait encore raisonnablement être exigé » conformément à l’art. 24 al. 2 2ème phr OPP 2 (c. 5.2).
La capacité de travail résiduelle et le revenu d’invalide supputé influencent donc de manière considérable l’étendue des prestations d’invalidité et de survivants cas échéant par suite de la surindemnisation. Ces facteurs se font directement ressentir sur l’aspect de la prévoyance professionnelle (c. 5.2.3.2). Dans le cas d’espèce, il a été retenu un revenu de CHF 12'821.- au recourant en raison d’une capacité résiduelle de 17% dans des activités adaptées au handicap (effectuées en partie assis, debout et en marchant) (c.5.2.3).
Le recourant a donc bel et bien un intérêt digne de protection à la constatation d’une capacité de travail inférieure respectivement à son inexistence, dont il résultera un revenu d’invalide inférieur ou nul et un degré d’invalidité plus élevé. De surcroit, dans le cas de la constatation d’une incapacité totale de travail, une intervention du recourant relative à la surindemnisation est inutile dans la mesure où le poste « revenu ou revenu de remplacement encore exigible » tombe et partant le montant de la rente augmente. De ce point de vue également, en l’occurrence éviter une procédure additionnelle, l’intérêt digne de protection du recourant est donné (c. 5.2.3.2).
Le tribunal cantonal aurait dû entrer en matière sur le recours et examiner s’il existait encore de capacité résiduelle (c. 5.3). La cause lui est donc renvoyée (c. 7).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 9C_246/2016 du 31 août 2016
Assurance-invalidité; degré d’invalidité ; intérêt à la constatation de l’inexistence d’une capacité résiduelle de travail; surindemnisation; art. 59 LPGA; 89 al. 1 lit. c LTF; 28 al. 2 LAI; 24 al. 2, 2ème phr. OPP 2
La question est de savoir si le recourant, dont le degré d’invalidité a été fixé à 83% par l’office AI et qui a dès lors obtenu une rente AI complète, a un intérêt digne de protection à la constatation judiciaire d’un degré d’invalidité de 100%. Le TF rappelle à ce sujet que la notion d’intérêt digne d’être protégé de l’art. 59 LPGA et celle d’intérêt digne de protection au sens de l’art. 89 al. 1 let. c LTF sont identiques (c. 2). D’une manière générale, le degré d’invalidité peut faire l’objet d’une décision en constatation (c. 4).
Le recourant met en avant le fait que la Fondation collective la Bâloise pour la prévoyance professionnelle obligatoire prend en compte dans le calcul de la surindemnisation la fixation de l’invalidité effectuée l’office AI et suppute un revenu correspondant au « revenu ou revenu de remplacement qui pourrait encore raisonnablement être exigé » conformément à l’art. 24 al. 2 2ème phr OPP 2 (c. 5.2).
La capacité de travail résiduelle et le revenu d’invalide supputé influencent donc de manière considérable l’étendue des prestations d’invalidité et de survivants cas échéant par suite de la surindemnisation. Ces facteurs se font directement ressentir sur l’aspect de la prévoyance professionnelle (c. 5.2.3.2). Dans le cas d’espèce, il a été retenu un revenu de CHF 12'821.- au recourant en raison d’une capacité résiduelle de 17% dans des activités adaptées au handicap (effectuées en partie assis, debout et en marchant) (c.5.2.3).
Le recourant a donc bel et bien un intérêt digne de protection à la constatation d’une capacité de travail inférieure respectivement à son inexistence, dont il résultera un revenu d’invalide inférieur ou nul et un degré d’invalidité plus élevé. De surcroit, dans le cas de la constatation d’une incapacité totale de travail, une intervention du recourant relative à la surindemnisation est inutile dans la mesure où le poste « revenu ou revenu de remplacement encore exigible » tombe et partant le montant de la rente augmente. De ce point de vue également, en l’occurrence éviter une procédure additionnelle, l’intérêt digne de protection du recourant est donné (c. 5.2.3.2).
Le tribunal cantonal aurait dû entrer en matière sur le recours et examiner s’il existait encore de capacité résiduelle (c. 5.3). La cause lui est donc renvoyée (c. 7).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 4A_262/2015 du 31 août 2016
Assurances privées ; RC professionnelle (avocat) ; interprétation des conditions générales ; principe de la réclamation (« Claims-made-Prinzip ») ; art. 9 et 33 LCA ; 18 CO
Un contrat d’assurance RC professionnelle peut être soumis au système dit de la réclamation (« Claims-made-Prinzip »), qui couvre les dommages pour lesquels des prétentions sont élevées contre un assuré pendant la durée du contrat. Le moment auquel les prétentions sont considérées comme ayant été élevées est soit le moment auquel un lésé indique à l’assuré, par oral ou écrit, qu’il fait valoir un dommage qui tombe sous le coup de l’assurance, soit le moment auquel l’assuré a connaissance d’éléments (« Umstände ») sur la base desquels il doit (raisonnablement) s’attendre à ce qu’un lésé fasse valoir un dommage tombant sous le coup de l’assurance.
La question à résoudre consistait à savoir si l’avocat en cause avait, déjà pendant la durée du contrat d’assurance, connaissance d’éléments sur la base desquels il devait s’attendre à ce que sa cliente fasse valoir un dommage (2ème hypothèse du Claims-made-Prinzip). Dans l’affirmative, la couverture d’assurance serait donnée. Le TF estime que l’avocat avait bel et bien connaissance de tels éléments pendant la durée du contrat d’assurance déjà. En effet, durant cette période, des courriers lui étaient parvenus, dans lesquels la problématique de l’absence d’une clause pour solde de tout compte (« Saldoklausel ») dans une convention avait été abordée. Sa cliente avait d’ailleurs fait l’objet d’un procès qui n’aurait pas été possible si la convention avait contenu une telle clause. Un assuré doit, précise le TF, s’attendre à ce qu’un lésé fasse valoir un dommage dès le moment où il (l’assuré) a connaissance d’une violation de son (propre) devoir de diligence, laquelle peut créer un dommage. Dans le cas d’espèce, la couverture d’assurance a donc été admise.
Auteur : Alexis Overney, avocat à Fribourg

TF 9C_262/2016 du 30 août 2016
Assurance-invalidité; mesures de réadaptation; reclassement; art. 17 LAI
Chez un assuré jeune, en début de carrière professionnelle, il n’est pas justifié d’exiger une invalidité de 20% pour lui octroyer une mesure de reclassement au sens de l’art. 17 LAI. A long terme, l’équivalence approximative des possibilités de gain offertes par l’ancienne activité et par la nouvelle ne pourra être réalisée que si les deux formations ont, elles aussi, une valeur approximativement comparable. Si, selon l’expérience générale, le salaire initial des personnes ayant terminé un apprentissage n’est pas supérieur, ou ne l’est pas de manière significative, aux rémunérations offertes sur le marché du travail pour des activités n’impliquant pas de formation particulière, leur salaire progresse en revanche d’autant plus rapidement par la suite, ce qui justifie en l’espèce l’octroi d’une formation équivalente.
Auteur : Anne-Sylvie Dupont

TF 4A_179/2016 - ATF 142 III 653 du 30 août 2016
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile ; notion de faute ; solidarité ; répartition des responsabilités ; art. 41 CO ; 60 al. 2 LCR
Alors qu’il se rendait à l’école, un enfant de 4 ans, accompagné de sa sœur de 9 ans, est brusquement descendu du trottoir d’une route qui mène au village d’Anières. L’enfant de 4 ans a été heurté par un scooter et, consécutivement à cet accident, il a subi d’importantes lésions corporelles. L’enfant souffrait d’hyperactivité. Sa famille était récemment immigrée en Suisse et n’avait reçu aucune leçon d’éducation routière. Sa mère l’accompagnait habituellement, mais ce jour-là, elle avait confié cette tâche à sa fille.
En première instance, le conducteur du scooter a été reconnu coupable de lésions corporelles. Le conducteur du scooter a saisi le TF, faisant valoir que sa responsabilité civile est limitée à hauteur de 70%, le solde devant être supporté par la mère, étant précisé que tous les deux sont coresponsables solidairement à l’égard de l’enfant.
Selon l’art 60 al. 1 et 2 LCR, toutes les personnes responsables d’un accident consécutif à l’emploi d’un véhicule sont tenues solidairement envers le tiers lésé (al. 1) ; entre ces personnes, la charge de la réparation se répartit en considération de toutes les circonstances (al. 2). Si la responsabilité causale du détenteur du scooter a été reconnue selon l’article 58 LCR, il est alors nécessaire d’examiner la responsabilité de la mère.
Selon l’art. 302 al. 1 CC, les père et mère ont notamment le devoir de favoriser et de protéger le développement corporel, intellectuel et moral de leur enfant. Dans le contexte de la garde de l’enfant, cette règle impose aux père et mère de veiller à sa sécurité physique. Ils assument envers lui une position de garant et la violation de leurs devoirs engage leur responsabilité délictuelle selon l’art. 41 CO. Les père et mère sont notamment responsables de veiller à la sécurité de l’enfant dans le trafic routier.
Les conditions routières à l’endroit de l’accident nécessitaient la présence d’un adulte capable d’assurer la sécurité de l’enfant vu son jeune âge et le manque de discernement lié à son hyperactivité. Sa sœur âgée de 9 ans était vraisemblablement capable de cheminer seule sur le trottoir en question. En revanche, on ne saurait présumer qu’elle jouissait des moyens intellectuels et physiques pour surveiller et diriger efficacement un autre enfant dans cette même situation, de surcroît atteint d’hyperactivité. Dans ces conditions, sa mère devait l’accompagner elle-même ou le confier à une autre personne adulte, avertie du comportement turbulent de cet enfant. Elle n’a ainsi « pas entièrement satisfait à ses devoirs de surveillance » et, par là, commis une faute.
Le TF considère ainsi que les deux fautes en présence doivent être tenues pour graves et à peu près équivalentes. Compte tenu du risque inhérent à l’emploi du scooter, il convient d’imputer la responsabilité de l’accident au scooter à hauteur de 70% et à la mère, à hauteur de 30%.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à Bulle



TF 9C_133/2016 - ATF 142 V 425 du 30 août 2016
Assurance-maladie; infirmités congénitales; tarif des produits et substances; coordination avec l’assurance-invalidité; art. 27 et 52 al. 2 LAMal ; 35 OAMal
Le texte de l’art. 52 al. 2 LAMal ne donne pas lieu à interprétation, la volonté du législateur est claire : en matière d’infirmités congénitales, les mesures thérapeutiques du catalogue des prestations de l’assurance-invalidité accordées aux assurés de moins de 20 ans doivent être reprises dans le catalogue de l’assurance-maladie obligatoire. Il en va ainsi des aliments de substitution ou de régime (in casu : « Damin Mehl » et « Aproten ») nécessaires au traitement de la maladie, en l’occurrence un trouble métabolique, qui figurent sur le catalogue de l’assurance-invalidité. L’assurance-maladie est tenue de prester même s’il existe une lacune dans son catalogue qui doit être complétée.
Auteur : Eric Maugué, avocat à Genève


TF 4A_286/2016 du 29 août 2016
Assurances privées; indemnités journalières pour perte de gain en cas de maladie; prétention frauduleuse; art. 40 LCA
Le TF confirme que la compagnie d’assurances est en droit de faire valoir une prétention frauduleuse au sens de l’art. 40 LCA et de ne pas être liée par le contrat, lorsque l’assuré – patron de son propre garage – y travaille, malgré une incapacité de travail attestée à 100 %. Dans le cas d’espèce, l’assuré a admis dans le cadre d’une lettre adressée à une entreprise tierce qu’il effectuait certaines tâches dans son garage, afin que son entreprise ne périclite pas (c. 4.1). Le fait qu’il aurait – selon ses dires – engagé un mécanicien ainsi qu’une personne chargée du travail administratif pendant son absence et que son père et son frère auraient été présents au garage pour le suppléer, n’y changerait rien (c. 4.2).
En l’occurrence, le TF confirme que les éléments objectif (dissimulation ou déclaration inexacte ou encore tardive de faits à l’assureur au sens de l’art. 39 LCA) et subjectif (intention d’induire en erreur l’assureur) de la prétention frauduleuse au sens de l’art. 40 LCA sont réalisés en l’espèce. Objectivement, il est incontestable que l’assuré a exercé diverses activités dans son garage, alors même qu’il a régulièrement présenté un certificat médical d’incapacité de travail entière à l’assureur (c. 5.1.3). Quant à l’élément subjectif de la prétention frauduleuse, l’assuré n’apporte aucun élément démontrant que l’instance précédente aurait violé le droit fédéral à cet égard (c. 5.2).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinges

TF 8C_161/2016 du 26 août 2016
Assurance-invalidité; contribution d’assistance; étendue : calcul du temps nécessaire/déductions; art. 42sexies LAI; 39e RAI
Le TF rappelle les exigences auxquelles doit satisfaire un rapport d’enquête sur les aspects de l’impotence ou le besoin de soins (ATF 140 V 543). Cette jurisprudence est aussi applicable pour déterminer le besoin d’aide en lien avec une contribution d’assistance. Même si un tel rapport d’enquête, déterminant de manière individuelle et concrète les besoins en aide de la personne assistée, doit être pris en considération, il doit être complété au moyen de l’instrument d’enquête standardisé FAKT établi par l’OFAS, dans la mesure où il est difficile pour l’assuré ou son assistant d’estimer le temps nécessaire pour l’aide ; cela permet d’éviter l’écueil de la subjectivité et de se baser sur des valeurs/minutes évaluées de manière scientifique et selon l’expérience pratique. Un tel contrôle garantit également l’égalité de traitement.
Les ateliers protégés sont des institutions au sens de l’art. 42sexies al. 2 LAI et 39e al. 4 RAI. Le temps passé pour l’aide apportée dans ce type d’institution est donc susceptible de réduire les nombres d’heures maximaux visés par l’art. 39e al. RAI.
La réduction forfaitaire de 10 % prévue par le conseil fédéral à l’art. 39e al. 4 RAI est légale, quel que soit le temps passé en institution (journée ou demi-journée) ; il serait trop ardu de définir concrètement dans chaque cas et en fonction du type d’activités de chaque institution le temps nécessaire pour l’aide apportée à l’assuré. Dans le cas d’une impotence moyenne, l’aide est apportée aussi bien à la journée qu’à la demi-journée.
Auteure : Séverine Monferini Nuoffer, avocate à Fribourg

TF 4A_152/2016 - ATF 142 III 657 du 26 août 2016
Assurances privées; contrat de courtage; rémunération du courtier; art. 412 ss CO
Le TF rappelle que le contrat de courtage est un contrat conclu à titre onéreux par lequel le courtier intervient dans l’intérêt du preneur d’assurance. Il réfute le courant doctrinal suivi par la cour cantonale, selon lequel l’obligation du preneur d’assurance de rémunérer le courtier se fonde sur le contrat de courtage, en raison d’une pratique de la branche consistant à placer des polices d’assurance (« Bruttopolicen ») qui englobent la commission de courtage dans la prime payée par l’assuré (c. 4.6).
L’assureur qui verse des commissions de courtage le fait sur la base du contrat de commission passé avec le courtier et non en raison d’une reprise de la dette du preneur d’assurance envers le courtier. Est laissée ouverte aussi la question de savoir si l’assureur s’oblige à payer le courtier sur la base du contrat d’assurance. En l’espèce, les parties au contrat de courtage ont prévu que le courtier serait rémunéré par les commissions de courtage des assureurs. Le TF en conclut que les parties ont exclu toute obligation pour le preneur de rémunérer le courtier (c. 4.6.2).
Le TF relève que les usages de la branche prévoient de verser la commission au courtier qui représente les intérêts du preneur d’assurance, au moment où la prime d’assurance est due. Si, comme dans le cas d’espèce, le courtier voit son mandat résilié avant cette échéance, aucune commission de courtage ne lui sera versée (c. 5).
Le courtier qui a renoncé à la rémunération prévue à l’art. 413 CO ne peut pas se prévaloir d’une obligation de rémunération assumée par le preneur d’assurance conditionnée par la conclusion du contrat d’assurance (c. 5.1-5.2). Il n’a pas été établi, non plus, dans le cas d’espèce, que le courtier aurait bénéficié de la commission si la résiliation était intervenue dans le délai contractuel (art. 404 al. 2 CO).
Auteur : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 9C_65/2016 du 26 août 2016
Prévoyance professionnelle; divorce; partage des prestations de sortie; versement anticipé et vente du logement à perte; art. 30d al. 5 et 73 al. 2 LPP
Dans le cadre de l’achat d’une maison durant le mariage, l’épouse avait obtenu un versement anticipé de CHF 214'600.-. Les parties ont convenu, dans la procédure de divorce, de se partager l’éventuel solde du produit de la vente par moitié, après le paiement de l’ensemble des dettes et charges afférentes à la maison.
Le juge de l’art. 73 LPP appelé à déterminer les avoirs de prévoyance à partager dans le cadre d’un divorce doit tenir compte du caractère prévisible de la perte au moment du divorce. En clair, il ne saurait inclure un versement anticipé (art. 30c LPP) provenant des avoirs de prévoyance professionnelle d’une partie sans s’assurer préalablement que le montant pourra être remboursé à l’institution de prévoyance (confirmation de jurisprudence). Dans un tel cas de figure, le juge de l’art. 73 LPP doit respecter son obligation d’établir les faits d’office et, cas échéant, faire éditer le dossier de la procédure de divorce.
Auteur : Guy Longchamp

TF 9C_160/2016 - ATF 142 V 551 du 19 août 2016
Assurance-invalidité ; conditions de recevabilité ; décision de renvoi et fixation des frais ; art. 100 LTF ; 5 al. 3 et 9 Cst.
Lorsqu’une nouvelle décision est rendue par l’office AI, à la suite d’une décision de renvoi de l’autorité cantonale, et qu’elle n’est pas attaquée, la question du règlement des frais tel que fixé dans la décision de renvoi peut directement être attaquée au TF (c. 2).
La pratique actuelle n’est pas entièrement unanime quant à la question de savoir si le délai prévu à cet effet (art. 100 LTF) commence à courir lorsque la nouvelle décision est rendue (Fällung oder Eröffnung) ou seulement après son entrée en force (Rechtskraft), (c. 3.3). Selon le TF, celui qui renonce à recourir contre la nouvelle décision rendue après une décision de renvoi et qui entend simplement contester devant l’instance fédérale la question des frais de la décision de renvoi doit le faire immédiatement sans attendre l’entrée en force de la nouvelle décision (c. 3.3.2). En l’espèce, le recours de l’office AI est tardif, ce dernier n’ayant pas agi dès la réception de la nouvelle décision (c. 3.4). Comme le TF l’a déjà souligné, une nouvelle jurisprudence est directement applicable mais elle ne peut s’opérer sans avertissement si elle implique la déchéance d’un droit, eu égard au principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), respectivement au principe de la confiance (art. 9 Cst.). Partant, le TF a déclaré recevable le recours faute de quoi l’Office AI aurait été dans l’incapacité de faire valoir ses droits (c. 4.1 et 4.2).
Sur la question des frais (de procédure et dépens), l’office AI estime que ces derniers ne doivent pas être mis à sa charge (c. 6). Le TF partage cet avis. Dans le cas d’espèce, si le contenu de la première expertise médicale avait été contesté par l’assuré, cette objection aurait probablement été jugée non pertinente par l’autorité inférieure. Dès lors, l’autorité cantonale n’aurait pas dû conclure à l’inexploitabilité de l’expertise uniquement pour des motifs d’ordre formel mais aurait plutôt dû soumettre ladite expertise à l’appréciation matérielle des preuves avant de rendre une décision de renvoi conduisant l’Office AI à commander une seconde expertise médicale (c. 7). Les frais de procédure doivent ainsi être mis à la charge de l’assuré. Quant aux dépens, l’assuré étant à l’époque au bénéfice de l’assistance judiciaire, la cause doit donc être renvoyée sur ce point à l’instance précédente (c. 8).
Auteur : Charles Guerry, avocat à Fribourg


TF 4A_333/2016 du 18 août 2016
Assurances privées; double assurance ; fardeau de la preuve ; art. 53 al. 1 et 71 al. 1 LCA ; 8 CC
Il incombe à l’assureur qui invoque l’art. 71 al. 1 LCA pour indemniser le lésé – ou l’assureur cessionnaire de la prétention de celui-ci – à concurrence d’un montant inférieur au préjudice qu’il assure d’établir l’existence d’une double assurance. Cela suppose de prouver que le même intérêt est assuré contre le même risque et pour le même temps par plus d’un assureur et que le total des sommes assurées dépasse la valeur d’assurance, selon la définition de l’art. 53 al. 1 LCA. Si le preneur d’assurances participe à la procédure, l’assureur peut se fier aux indications que celui-ci doit donner en application de cette dernière disposition. L’application du principe général de la bonne foi dans le cadre de l’appréciation des preuves est réservée en cas de refus de collaborer à l’administration des preuves de la part du preneur d’assurance (c. 3.4).
Auteur : Alexandre Bernel, avocat à Lausanne

TF 8C_734/2015 - ATF 142 V 435 du 18 août 2016
Assurance-accidents ; incidence d’une cause interne ; accident mortel ; art. 4 LPGA
Après avoir déclaré à ses compagnons de randonnée qu’il ne se sentait pas bien, être un peu faible et souffrant, un assuré chute de plusieurs dizaines de mètres. Il décède sur place.
La question litigieuse est de déterminer la cause à l’origine du décès, au degré de la vraisemblance prépondérante, respectivement d’examiner l’incidence d’une cause interne (pathologique) sur un événement accidentel. De manière générale, un état maladif peut être à l’origine d’un événement accidentel (assuré) ou en favoriser la survenance : cela suppose toutefois que l’accident comme tel apparaisse comme la cause naturelle et adéquate de l’atteinte à la santé ou du décès.
Dans le cas d’espèce, le TF a considéré, à l’instar des premiers juges, que sur la base de l'examen du corps par le médecin légiste, on pouvait retenir que les lésions traumatiques constatées médicalement ne présentaient pas une gravité suffisante pour entraîner la mort. En conséquence, le droit à des prestations de la part de l’assureur-accident a été nié.
Auteur : Guy Longchamp



TF 8C_307/2016 du 17 août 2016
Assurance-invalidité ; assurances privées ; avance de prestations ; droit au remboursement sur le rétroactif ; art. 22 al. 2 LPGA ; 85bis RAI
L’art. 24 des CGA de l’assurance d’indemnités journalières SALARIA (LCA) offerte par la compagnie d’assurance SWICA aménage clairement à cette dernière un droit au remboursement dans l’hypothèse d’une rente AI octroyée ultérieurement, conforme aux exigences de l’art. 85 RAI. Il suffit que ce droit soit exercé auprès de l’office AI compétent au moyen du formulaire ad hoc. Le consentement exprès de l’assuré n’est pas requis.
Le procès opposant l’assurance-invalidité et un assureur privé au sujet du droit direct de ce dernier d’être remboursé sur le rétroactif AI est une procédure administrative à laquelle l’art. 247 al. 2 CPC (établissement des faits d’office) n’est pas applicable.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont


TF 9C_577/2015 - ATF 142 V 502 du 16 août 2016
Congé maternité ; droit aux allocations de maternité en cas de chômage ; délai-cadre de cotisation ; art. 9 al. 3, 9b al. 2 et 16b LAPG ; 29 RAPG
La notion de chômage au sens des art. 16b al. 3 LAPG et 29 RAPG ne doit pas être comprise au sens de l’art. 10 al. 3 LACI. Pour être considérée au chômage selon les art. 16b al. 3 LAPG et 29 RAPG, la future mère ne doit pas être inscrite à l’office cantonal de l’emploi, même si elle remplissait la condition de la période de cotisation nécessaire prévue par la LACI pour percevoir des indemnités au moment de l’accouchement (art. 29 let. b RAPG). La future mère doit cependant être à la recherche d’un emploi à temps partiel ou complet en vue de mettre un terme à son chômage (c. 4.1). Sachant qu’il n’y a pas d’inscription à l’office cantonal de l’emploi et que la future mère n’est dès lors pas soumise aux habituelles prescriptions de contrôle (art. 17 LACI), les exigences de preuve de recherche d’emploi ne peuvent cependant pas être trop élevées (c. 4.2.2).
Afin de déterminer si elle remplissait la condition de la période de cotisation nécessaire prévue par la LACI pour percevoir (théoriquement) des indemnités au moment de l’accouchement (art. 29 let. b RAPG), il ne doit pas seulement être tenu compte du délai-cadre de cotisation de l’art. 9 al. 3 LACI, mais également de la prolongation de ce délai-cadre au sens de l’art. 9a al. 2 LACI pour les personnes ayant exercé une activité indépendante (c. 4.3.5).
Auteur : Walter Huber, juriste à Puplinges


TF 6B_132/2016 du 16 août 2016
Responsabilité aquilienne ; interruption de la causalité ; art. 41 et 328 al. 2 CO ; 6 OPA
Un employé travaillait sur une poinçonneuse industrielle qui s’est soudainement arrêtée et a affiché un message d’erreur. Pour trouver la cause de la panne, l’employé a pesé sur le bouton « stop », sans cependant éteindre la machine et s’est rendu sous le plateau d’aspiration. A ce moment, le plateau en question s’est abaissé et l’employé est resté coincé, subissant d’importantes blessures. De l’avis du tribunal cantonal, l’employé a agi de façon à tel point déraisonnable et singulière que son comportement n’était pas prévisible et qu’il interrompt le lien de causalité adéquate entre l’accident et l’éventuelle faute d’un tiers.
Le TF a admis le recours de l’employé sur la question de la causalité, considérant que l’on ne pouvait déduire de l’état de fait que la victime était consciente de la dangerosité de son comportement. Certes, elle savait que la machine n’était pas éteinte et se trouvait encore sous tension, ce qui n’excluait pas encore qu’elle pouvait croire que la machine allait rester immobile alors qu’il avait pesé sur le bouton « stop ». Dans la mesure où l’erreur d’appréciation de la victime est due à une mauvaise formation donnée par son employeur, on ne saurait alors parler de faute grave à la charge de l’employé. C’est davatange une faute de l’employeur qu’il conviendrait de retenir s’il a effectivement omis d’instruire correctement son salarié ou s’il lui a donné des instructions erronées sur la façon d’agir en cas de panne. Le fait qu’un employé malformé n’est pas conscient des risques qu’implique son comportement et ne s’oppose pas dès lors aux instructions erronées de son employeur n’apparaît donc certainement pas extraordinaire (c. 3.4.1).
Le TF considère également qu’il convient de tenir compte, cas échéant, du fait que le comportement inapproprié de l’employé était fréquent, et ainsi toléré par l’employeur. En pareil cas, on ne peut retenir une faute grave propre à interrompre le lien de causalité adéquate à la charge de l’employé (c. 3.4.2).
Auteur : Alexandre Guyaz, avocat à Lausanne


TF 9C_650/2015 du 11 août 2016
Assurance-invalidité ; evaluation de l’invalidité ; notion de marché du travail équilibré ; art. 6 et 16 LPGA
Dans le cas d’espèce, l’évaluation du revenu d’invalide se fonde sur l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) et non pas sur les données fournies par la Fondation pour l’intégration professionnelle (GEWA). La possibilité d’une personne d’exercer une activité professionnelle sur un marché du travail équilibré doit s’évaluer en fonction des circonstances concrètes du cas d’espèce. Peuvent être décisifs le type, la nature des dommages sur la santé et leurs conséquences, l’effort prévisible de la reconversion et de la formation, la structure de la personnalité, les qualités et les compétences existantes, la formation initiale, le parcours professionnel ou la possibilité d’utiliser l’expérience professionnelle antérieure. En l’espèce, cette possibilité a été niée (c. 5.3).
Le TF rappelle la répartition des compétences entre l’autorité chargée d’appliquer le droit et la personne chargée d’examiner la situation d’un point de vue médical en matière d’évaluation de l’incapacité de travail comme condition du droit à la rente d’invalidité (c. 5.4).
La jurisprudence établie par la CEDH dans l’arrêt Di Trizio c. Suisse au sujet de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité n’est pas applicable au cas d’espèce (c. 5.5).
Auteure : Rebecca Grand, titulaire du brevet d’avocat à Lausanne

TF 9C_179/2016 du 11 août 2016
Assurance-invalidité ; évaluation de l’invalidité ; statut de l’assuré ; pouvoir d’examen de l’autorité de recours ; révision ; art. 28a LAI ; 17 al. 1 LPGA
La question de savoir si une personne assurée doit être qualifiée de travailleur à plein temps ou à temps partiel résulte de l’examen de ce que la personne ferait s’il n’existait pas d’atteinte à la santé au vu des circonstances par ailleurs inchangées. Il n’est dès lors pas déterminant de savoir quel taux de travail serait exigible, mais bien le taux auquel elle exercerait hypothétiquement. (c. 4.2.1).
Sous l’angle procédural, l’objet du litige correspond toujours à une relation juridique dans son ensemble et non seulement à une partie. Ainsi, l’autorité de recours doit aussi contrôler les questions juridiques non soulevées par les participants à la procédure (c. 3.1).
La révision en application de l’art. 17 LPGA est réservée aux cas dans lesquels l’autorité précédente a statué définitivement sur le droit à la rente pour une période écoulée (c. 3.2.3).
Auteur : Me Pierre-Henri Gapany, avocat à Fribourg

TF 9C_809/2015 du 10 août 2016
Assurance-invalidité ; impotence ; besoin de surveillance ; art. 9 LPGA ; 42 al. 2 LAI ; 37 al. 2 lit. a RAI
En l’espèce, doit être tranchée la question de savoir si l’impotence dite moyenne d’une assurée autiste et psychiquement handicapée de naissance, lui permet, dans le cadre d’une procédure de révision, de prétendre désormais à une indemnité pour impotence grave, eu égard au besoin de surveillance accru résultant de la réorganisation de ses journées d’école, laquelle la perturbe dans son sommeil et la désoriente dans le temps, ce qui nécessite en particulier pour l’acte quotidien du lever/asseoir/coucher, lequel est possible physiquement mais pas psychiquement, une surveillance de ses proches, afin de l’empêcher notamment de se lever au milieu de la nuit, puis de jouer de l’orgue en pleine nuit ou de déambuler dans l’immeuble.
Le TF insiste sur la distinction entre la surveillance personnelle prévue à l’art. 37 al. 1 RAI pour les actes quotidiens de la vie et l’aide régulière et importante d'autrui prévue pour ces mêmes actes au sens de l’art. 37 al. 2 lit. a RAI. Ne disposant pas de suffisamment d’éléments pour se prononcer sur le caractère durable ou non de l’aggravation, le TF renvoie la cause à l’AI pour instruction complémentaire.
Auteur : Didier Elsig, avocat à Lausanne

TF 4A_194/2016 du 8 août 2016
Assurances privées ; degré de preuve, vraisemblance prépondérante, prétention frauduleuse ; art. 8 CC ; 39 et 40 LCA
Le preneur doit justifier ses prétentions contre l’assureur (art. 39 LCA), celui-ci ayant le fardeau de la preuve que le preneur aurait fait valoir une prétention frauduleuse (art. 40 LCA). Le degré des deux preuves est celui de la vraisemblance prépondérante. Lorsque le preneur a prouvé l’existence d’un sinistre avec une vraisemblance prépondérante, l’assureur a le droit à la contre-preuve (art. 8 CC). Il réussit à apporter cette preuve, s’il ébranle (erschüttert) suffisamment la preuve principale. Lorsque l’on administre les preuves, il y a lieu d’apprécier avec une considération plus grande les déclarations de la première heure, car la spontanéité est un gage de vérité (c. 3.1).
En l’espèce, les preneurs ont été victime d’un vol durant un voyage à Barcelone. Ils n’ont fait état, dans leurs premières déclarations, que d’un vol simple, non-couvert, et non d’un vol avec une arme (brigandage). Ces déclarations sont à la fois tardives et dénuées de crédibilité, de sorte que, conformément à l’art. 40 LCA, l’assureur n’est pas lié par le contrat envers l’ayant droit.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg

TF 9C_721/2015 du 8 août 2016
Assurance-maladie ; traitement à l’étranger ; degré de la preuve ; art. 36 OAMal
La personne assurée et son médecin traitant doivent fournir à l’assureur-maladie toutes les données médicales permettant d’examiner le droit aux prestations. On peut poser des exigences élevées en matière de devoir de collaborer de la part de l’assuré (art. 43 al. 2 LPGA) et d’appréciation des pièces produites par celui-ci lorsqu’il s’agit de traitements à l’étranger, l’assureur ayant des possibilités limitées de procéder à ses propres vérifications.
En matière d’assurances sociales prévaut le principe de la vraisemblance prépondérante, qu’il faut distinguer de la simple vraisemblance. Le fait qu’un état de fait soit simplement possible ne suffit pas à le retenir au degré de la vraisemblance prépondérante. Le fait de savoir si un tribunal cantonal a appliqué le bon degré de preuve est une question de droit, que le TF examine librement.
Dans le cas concret, le tribunal cantonal a relevé des incohérences et des imprécisions dans les factures présentées par un père pour le traitement de ses trois enfants survenu en Macédoine durant les vacances d’été (traitement anormalement long pour le diagnostic posé, facture la moins élevée pour le séjour hospitaliser le plus long, formulation et signature inhabituelles) et a donc admis avoir de gros doutes sur la version du père des assurés. L’instance cantonale a cependant retenu comme possible le fait que les enfants aient été malades et soignés durant leurs vacances et admis, partiellement, le recours de leur père contre le refus de remboursement de l’assureur. En procédant de la sorte, le tribunal cantonal a violé le principe de la vraisemblance prépondérante. Les traitements médicaux n’étant pas établis selon le degré de preuve requis, c’est à juste titre que l’assureur a refusé de les prendre en charge.
Auteure : Pauline Duboux, juriste à Lausanne

TF 9C_704/2015 - ATF 142 V 419 du 8 août 2016
Prévoyance professionnelle ; survenance d’un cas de prévoyance ; surindemnisation ; partage de la prévoyance après divorce ; art. 26 LPP ; 24 OPP2 ; 122 ss CC
Dans le cadre d’une procédure de divorce, le fait qu’un assuré invalide ne perçoive pas effectivement une rente d’invalidité pour cause de surindemnisation, alors que le droit aux prestations n’est pas contesté, doit être considéré comme un cas de prévoyance empêchant un partage des prestations de sortie selon l’art. 122 CC. Seul est envisageable le paiement d’une indemnité équitable, conformément à l’art. 124 CC.
Auteur : Guy Longchamp



TF 4A_318/2016 du 3 août 2016
Assurances privées ; indemnités journalières individuelles pour perte de gain ; renonciation par actes concluants à l’audience de débats principaux ; expertise privée et moyen de preuve ; maxime inquisitoire sociale ; rapports médicaux contradictoires et arbitraires ; art. 7, 53, 54, 152, 153, 168, 219, 233, 243, 245 à 247 CPC ; 9 et 29 Cst.
En matière d’assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale, le juge statue selon les règles de la procédure civile simplifiée et la maxime inquisitoire sociale est applicable. Les parties peuvent, d’un commun accord, renoncer aux débats principaux et une renonciation par actes concluants n’est pas exclue. La renonciation par actes concluants doit être admise si les parties, représentées par des mandataires professionnels ou des collaborateurs de leur service juridique, ne requièrent pas expressément la tenue d’une audience de débats, après que la cour cantonale, dans le cadre de la procédure initiée par le dépôt de la demande, a recueilli les dernières observations des plaideurs (c. 2.1).
Une expertise privée n’est pas un moyen de preuve au sens de l’art. 168 al. 1 CPC, mais doit être assimilée aux allégués de la partie qui l’a produit. Seules doivent être prouvées les allégations qui sont expressément contestées. Une telle contestation doit être suffisamment précise afin que l’on puisse déterminer quelles sont les allégations du demandeur qui sont contestées (c. 3.1, rappel de la jurisprudence). Lorsque les allégations factuelles contenues dans une expertise privée ne font pas l’objet d’une contestation motivée, les allégations précises de ladite expertise privée – contestées de manière globale – peuvent apporter la preuve de leur véracité si elles sont appuyées par des indices objectifs, telle une décision de l’OCAI (c. 3.2).
Il n’y a pas de violation de la maxime inquisitoire sociale lorsque l’autorité cantonale s’est déclarée, à juste titre, convaincue par les conclusions d’une expertise privée. Dans ces circonstances, elle n’avait pas à poursuivre ses investigations (c. 5.1).
En présence d’appréciation de rapports médicaux contradictoires, il n’est pas insoutenable de se fonder sur un rapport médical complet et détaillé, plutôt que sur celui du médecin traitant du recourant, qui est imprécis notamment quant à la nature du traitement médicamenteux prodigué à l’assuré. Ce d’autant que les conclusions du rapport de l’expert privé ont été approuvées par un autre médecin et, plus tard, par l’OCAI (c. 6.3).
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Rolle

TF 6B_965/2014 du 2 août 2016
Responsabilité du détenteur automobile ; devoir de prudence ; négligence ; tort moral ; art. 117 CP ; 47 CO
Sous l’angle de l’art. 117 CP (homicide par négligence), et dans le cadre d’un accident de la route, les règles de la circulation routière sont prises en considération pour déterminer l’étendue des devoirs imposés par la prudence. Dans cette affaire, le TF discute l’éventuelle négligence d’un conducteur, ayant provoqué un accident mortel, qui s’était arrêté en s’engageant sur un chemin sans quitter entièrement la chaussée principale.
A teneur de l’art. 37 al. 2 LCR, les véhicules ne doivent pas être arrêtés ni parqués aux endroits où ils pourraient gêner ou mettre en danger la circulation. Dans ce contexte, un conducteur qui s’arrête momentanément sur la chaussée, parce qu’il hésite sur l’itinéraire à suivre ou sur le comportement à adopter, n’entrave pas de manière inadmissible la circulation et il ne l’expose pas non plus à un risque particulièrement aigu, excédant ce que les autres usagers doivent normalement assumer. La responsabilité pénale du conducteur est niée sous l’angle de cette disposition.
Par ailleurs, l’art. 18 al. 2 lit. d OCR interdit l’arrêt volontaire aux intersections, ainsi qu’avant et après les intersections à moins de 5 mètres de la chaussée transversale. Dans la mesure où l’arrêt cantonal ne fournit pas de constatations permettant d’apprécier s’il existe une intersection au sens de cette disposition, le TF annule l’arrêt cantonal et renvoie l’affaire pour complément d’instruction.
A noter que les juges cantonaux avaient alloués à la veuve et aux deux enfants des montants de CHF 24'000.- et CHF 14'400.- à titre de réparation morale.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne



TF 4A_261/2016 du 27 juillet 2016
Assurances privées ; obligation d’atténuer le risque ; interprétation des CGA ; art. 14, 29 et 61 LCA
Le droit suisse ne prévoit pas de règle obligeant l’ayant droit (assuré) à faire, avant un sinistre, tout ce qui est possible pour en prévenir la survenance, à savoir pour atténuer le risque. L’art. 61 LCA ne s’applique qu’à la suite de la survenance du sinistre, et l’art. 14 LCA ne réduit les obligations de l’assureur qu’en cas de faute grave du preneur d’assurance ou de l’ayant droit.
Des clauses d’atténuation du risque peuvent toutefois être intégrées dans les CGA, dont le TF rappelle les règles d’interprétation.
En l’espèce, l’obligation de fermer un motocycle pour prévenir un vol devait de bonne foi être comprise par l’ayant droit, en ce sens qu’il lui incombait d’utiliser les dispositifs de fermeture dont le motocycle était équipé (fermeture du contact et système de blocage de la direction), en tant qu’il peut par-là atténuer le risque de vol, sans s’exposer lui-même à des inconvénients ou incommodités excessifs.
Auteur : Thierry Sticher, avocat à Genève

TF 8C_919/2015 du 21 juillet 2016
Assurance-chômage ; aptitude au placement du chômeur handicapé ; obligation d’avancer les prestations ; art. 70 al. 2 lit. b LPGA ; 15 LACI ; 15 al. 3 et 40b OACI
Un chômeur qui s’est annoncé auprès de l’assurance-invalidité et qui n’est pas manifestement inapte au placement est réputé apte au placement aussi longtemps que l’assurance-invalidité n’a pas statué. Le temps que dure l’instruction du dossier par l’assurance-invalidité, l’assurance-chômage doit avancer les prestations sur la base du gain assuré « normal ». Une fois la capacité de travail résiduelle connue, le gain assuré doit être adapté en conséquence. Le préavis de l’assurance-invalidité est insuffisant à cet égard, dès lors que les objections de l’assuré peuvent conduire à des investigations complémentaires. On ne peut donc pas retenir que le taux de la capacité de travail résiduelle est définitivement connu au moment du préavis.
Auteure : Anne-Sylvie Dupont

TF 6B_1102/2015 du 20 juillet 2016
Responsabilité du détenteur automobile ; illicéité ; art. 58 LCR ; 100 ch. 4 LCR
Un inspecteur de police ayant pris en charge une collègue afin de l’emmener au chevet de son père se trouvant à l’hôpital dans une situation critique a dépassé de 49 km/h la vitesse autorisée (105 km/h au lieu de 50 km/h). Préalablement, l’inspecteur a obtenu de son supérieur l’autorisation de se rendre rapidement à l’hôpital mais « sans se mettre sur le toit ».
La course effectuée ne constitue pas une course officielle urgente au sens de l’art. 100 ch. 4 LCR, le but poursuivi ne correspondant à aucune des quatre situations couvertes par cette notion, qui s’interprète restrictivement (c. 2.3).
En tant que policier appelé à effectuer des courses urgentes entre 10 et 15 fois par an, ayant en tête l’ordre de service de la police genevoise selon lequel la notion d’urgence s’interprète strictement, l’inspecteur ne peut pas se prévaloir d’une erreur sur l’illicéité inévitable. Il a négligé de s’informer suffisamment en se contentant d’informations peu précises (c. 4.3).
Auteure : Tiphanie Piaget, avocate à la Chaux-de-Fonds

TF 8C_812/2015 du 20 juillet 2016
Assurance-accidents ; suicide ; incapacité de discernement ; expertise ; art. 28 ss LAA et 48 OLAA
Marié et père de deux enfants, l’assuré se donne la mort par arme à feu après avoir pris un comprimé de deux médicaments (Paroxétine et Lexotanil). La veuve et les orphelins réclament une rente de veuve et d’orphelins auprès de la CNA, laquelle refuse toute prestation au motif que l’assuré se serait, selon elle, donné la mort volontairement. La veuve et les orphelins font valoir pour leur part que le défunt aurait agi dans un état d’incapacité totale de discernement suite à l’absorption de la Paroxetine.
Un premier recours a été interjeté par la veuve et les orphelins, lesquels sollicitaient une expertise judiciaire pharmacologique au vu des avis médicaux divergeant au dossier. Ce premier recours a été admis par le TF et la cause a été renvoyée à l’autorité cantonale pour mise en œuvre d’une expertise, le TF précisant qu’« il pourrait être utile de confier la réalisation de l’expertise à un médecin spécialiste en pharmacologie ». Suite à cet arrêt de renvoi, la Cour cantonale a mis en œuvre une expertise pharmacologique, tout en rejetant la requête de la CNA visant à demander qu’un médecin psychiatre y soit associé. En se fondant sur les conclusions du rapport d’expertise pharmacologique principal et complémentaire, l’autorité cantonale a condamné la CNA à prester.
La CNA a alors recouru au TF, se plaignant d’une instruction lacunaire dans la mesure où aucun expert psychiatre n’avait été associé à l’expertise pharmacologique. Le TF a admis le recours de la CNA et renvoyé la cause à la juridiction cantonale pour mise en œuvre d’une nouvelle expertise pharmacologique et psychiatrique. Selon le TF, l’instruction est demeurée lacunaire par rapport à son premier arrêt ; contrairement à l’avis des juges cantonaux, le rapport d’expertise pharmacologique réalisé ne permet pas à lui seul de retenir avec un degré de vraisemblance prépondérante une incapacité de discernement de l’assuré au moment de son passage à l’acte. Selon le TF, il convient de prendre en compte en l’espèce les aspects psychiatriques aussi, lesquels sont indispensables pour éclaircir les problèmes de dépression, de traitement antidépresseur et de suicidalité. Le TF ajoute que si, dans son premier arrêt, il avait suggéré une expertise pharmacologique, cela ne fermait pas la porte à d’autres mesures d’instruction, telle une expertise psychiatrique, laquelle est indispensable en l’espèce.
Auteure : Amandine Torrent, avocate à Lausanne

TF 9C_284/2016 - ATF 142 V 395 du 19 juillet 2016
Assurance-maladie ; contrôle de la loi cantonale d’application de la LAMal ; qualité pour recourir ; art. 89 al. 1 lit. c LTF
Un patient/assuré n’a pas d’intérêt digne de protection à obtenir le contrôle normatif abstrait des nouvelles dispositions de la loi cantonale d’application de la LAMal qui concernent le financement des structures hospitalières. Il n’est en effet pas touché, même de manière hypothétique, par la modification législative cantonale.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel


TF 9C_354/2016 du 18 juillet 2016
Assurance-invalidité; infirmité congénitale; délimitation des compétences de l’AI et de la caisse-maladie pour la prise en charge du traitement d’un THADA congénital; application du délai d’attente d’un an; art.12 et 13 LAI