TF 9C_378/2020 du 25 septembre 2020
Prestations complémentaires; droit aux prestations complémentaires lors d’une révocation du permis de séjour; art. 29 al. 1 Cst.; 9 et 10 LPC; 33, 43, 61 et 62 LEI; 93 LTF; 50 OSAM
Selon l’art. 33 al. 3 LEI, la durée de validité du permis de séjour est limitée, mais peut être prolongée s’il n’existe aucun motif de révocation au sens de l’art. 62 al. 1 LEI. En principe, il expire à la fin de sa période de validité (art. 61 al. 1, let. c LEI) ou – comme c’est le cas dans le présent litige – lors de sa révocation (art. 62 LEI). La personne étrangère peut toutefois rester en Suisse pendant la durée de la procédure de renouvellement et donc aussi après l’expiration de l’autorisation, pour autant que l’autorité compétente ne prenne pas de décisions divergentes à titre conservatoire (art. 59 al. 2 OASA). Ainsi, et bien qu’il ne s’agisse que d’un droit de séjour procédural, les droits conférés par le permis (notamment en matière de séjour et d’activité professionnelle) peuvent continuer de s’appliquer après l’expiration de sa période de validité.
En général, le statut juridique accordé avec le permis prend fin avec l’entrée en force d’une décision de révocation et de renvoi de l’intéressé (art. 64 LEI). Si, dans le cas d’une mesure de renvoi, un délai de départ approprié doit être fixé (art. 64d LEI), la révocation devient effective pro futuro. Dans le cas de décisions initialement erronées dont le destinataire de la décision est responsable, la modification prend normalement effet ex tunc.
En l’espèce, l’épouse étrangère d’un assuré turc, rentier AVS au bénéfice de PC, jouit d’un droit de séjour procédural pendant la procédure relative à la révocation de son permis de séjour, ce qui signifie qu’elle continue à conserver les droits qu’elle a acquis avec son permis par regroupement familial. Etant donné que la révocation du permis de séjour ne lui est pas imputable, mais est due à la modification de la LEI entrée en vigueur le 1er janvier 2019, la révocation n’pas d’effet ex tunc. En effet, depuis le 1er janvier 2019, la LEI prévoit que « [l]e conjoint étranger du titulaire d’une autorisation d’établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité [notamment si] la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires (LPC) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial ».
Il s’ensuit, comme l’affirment les époux, que l’issue de la procédure relative à la révocation du permis de séjour ne peut pas modifier la légalité du séjour de l’épouse en Suisse au cours de la procédure relative aux PC perçues par l’époux assuré. Une adaptation ultérieure des PC et un remboursement éventuel des prestations n’entrent donc pas en ligne de compte. Etant donné qu’un lien direct entre les deux procédures est nié, l’autorité de première instance n’était pas fondée à suspendre la procédure d’opposition relative aux PC du conjoint assuré sous prétexte qu’une procédure de révocation du permis de séjour de l’épouse était pendante et que celle-ci aurait pu influencer le montant de ses PC au sens des art. 9 et 10 LPC. Une telle suspension constitue en effet une violation du principe de célérité ou un déni de justice (art. 29 al. 1 Cst.).
Lorsqu’une partie conteste une décision de suspension de procédure, le TF renonce à l’exigence d’un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let a LTF si le principe de célérité est violé de manière flagrante ou lorsque la décision incidente retarde la procédure dans de telles proportions qu’elle s’apparente à un déni de justice (cf. art. 29 al. 1 Cst.).
La décision de l’autorité de première instance doit donc être annulée, et dite autorité est invitée à reprendre la procédure d’opposition relative aux PC du conjoint assuré.
Auteur : Gilles de Reynier, avocat à Colombier
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