NLRCAS Février 2023
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 9C_466/2021 du 17 octobre 2022
Assurance-vieillesse et survivants; cotisations, salaire déterminant, participation aux frais de garde, exemption des allocations familiales; art. 5 al. 2 et 4 LAVS; 6 al. 2 let. f RAVS
La participation aux frais de garde offerte par un hôpital à son personnel à certaines conditions pour les enfants en âge préscolaire fait partie du salaire déterminant soumis à cotisations AVS au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS.
Contrairement à l’avis de la dernière instance cantonale, cette prestation de l’employeur ne peut pas être assimilée à des allocations familiales exemptées de cotisations sociales en vertu de l’art. 6 al. 2 let. f RAVS. En effet, les allocations familiales sont octroyées forfaitairement pour chaque enfant, indépendamment des revenus des parents. Au contraire, la participation aux frais de garde n’est octroyée qu’aux membres du personnel de l’hôpital qui ont des enfants et qui remplissent certains critères bien précis (garde de leur enfant dans la crèche de l’hôpital ou une crèche affiliée, revenus des parents ne dépassant pas un certain seuil, taux d’occupation des parents, âge des enfants). Même parmi les bénéficiaires, le montant octroyé n’est pas identique pour chacun, puisqu’il est défini en fonction des revenus (c. 6 et 8).
En outre, les allocations familiales poursuivent un objectif de politique familiale et sociale, alors que la participation aux frais de garde vise également à faciliter le recrutement et le maintien du personnel de l’employeur, ce qui va au-delà de l’objectif purement social d’une allocation familiale (c. 7.2).
Ces prestations ne sont donc pas assimilables à des allocations familiales exemptées de charges sociales.
Auteure : Emilie Conti Morel, avocate à Genève
TF 9C_663/2021 du 6 novembre 2022
APG-COVID; revenu déterminant pour le calcul des indemnités, égalité de traitement; art. 8 Cst.; 5 al. 2 O APG COVID-19 des 6 juillet et 8 octobre 2020
Le TF examine la conformité de l’ordonnance sur les pertes de de gain COVID-19 des 6 juillet et 8 octobre 2020 avec la Constitution fédérale à l’occasion d’une affaire ayant débuté le 18 août 2020, lorsque la recourante, musicienne indépendante, a demandé à bénéficier des APG-COVID en lien avec la pandémie. La caisse cantonale de compensation lui a reconnu, à compter du 17 mars 2020, le droit à une indemnité journalière calculée sur la base des revenus taxés en 2018 (en application des art. 2 al. 3bis et art. 2 al. 1bis let. b ch. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet 2020). Se fondant sur la taxation fiscale de ses revenus pour l’année 2019, intervenue le 21 octobre 2020, la recourante a demandé une modification du calcul de l’indemnité journalière avec effet au 17 mars 2020.
L’autorité cantonale a refusé pour la période du 17 mars au 31 octobre 2020 au motif que l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet 2020 accordait au bénéficiaire le droit de demander jusqu’au 16 septembre 2020 un nouveau calcul de l’indemnité allouée sur la base de la taxation fiscale des revenus réalisés en 2019. Elle lui a également refusé le droit au nouveau calcul pour la période ultérieure à compter du 17 septembre 2020, au motif que l’O APG COVID-19 du 8 octobre 2020 disposait que les bases de calcul pour les indemnités allouées sur base de l’O APG COVID-19 applicable jusqu’au 16 septembre 2020 étaient maintenues pour la période ultérieure (art. 5 al. 2bis et 5 al. 2ter O APG COVID-19 dans sa teneur du 8 octobre 2020).
Le TF constate que l’O APG COVID-19, modifiée le 8 octobre 2020, après l’adoption de la loi COVID-19 du 25 septembre 2020, dont l’art. 15, entré en vigueur avec effet rétroactif au 17 septembre 2020, constitue la base légale des mesures destinées à compenser la perte de gain.
La recourante invoque une violation de l’art. 8 Cst. Selon elle, la limite temporelle, imposée par l’ordonnance dans sa teneur au 6 juillet et au 8 octobre 2020, désavantage sans motif valable les bénéficiaires dont les revenus 2019 ont été taxés après le 16 septembre 2020.
Le TF rappelle qu’une norme viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou si elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. L’inégalité de traitement injustifiée doit porter sur un aspect substantiel. Une inégalité de traitement peut se justifier par les buts poursuivis par le législateur ou par le Conseil fédéral, en cas d’ordonnance, ce dernier disposant en général d’une grande marge de manœuvre (c. 10).
L’O APG COVID-19 du 6 juillet 2020 a été adoptée par le Conseil fédéral dans le cadre des larges pouvoirs lui ayant été conférés par l’art. 185 al. 3 Cst. Le TF a le pouvoir d’examiner à titre préjudiciel le caractère constitutionnel de cette ordonnance de substitution indépendante d’une loi parlementaire et peut ne pas l’appliquer si elle viole les droits fondamentaux (c. 9 et 147 V 423 sur les ordonnances indépendantes qui se distinguent des ordonnances de substitution dites « dépendantes »).
Le TF constate qu’au cours du printemps et de l’été 2020, il était difficile de prévoir la durée des mesures sanitaires et le nombre de requêtes à traiter. Il se justifiait dès lors d’adopter des mesures simples pour répondre rapidement aux nombreuses demandes d’aide urgente dues aux conséquences économiques de la pandémie. La limite temporelle de l’art. 5 al. 2 O APG COVID-19 du 6 juillet, fixée au 16 septembre 2020, pour déposer la demande et la taxation fiscale 2019, en vue d’un nouveau calcul de l’indemnité, se justifiait objectivement par l’urgence de la situation. Cette disposition n’est ainsi pas arbitraire et respecte le principe de l’égalité de traitement (c. 11.3.3). La décision cantonale est donc confirmée pour la période du 17 mars au 16 septembre 2020.
En revanche, l’O APG COVID-19 dans sa teneur du 8 octobre 2020 trouve son fondement dans la loi fédérale, laquelle ne contient aucune indication détaillée quant au contenu de l’ordonnance en matière d’indemnités perte de gain. Aucune immunité constitutionnelle ne peut être ainsi conférée à l’ordonnance du 18 octobre 2020 (c.11.3.4). Le TF relève d’ailleurs qu’à son art. 5 al. 2, l’ordonnance du 8 octobre 2020 renvoie, pour le calcul des indemnités, à l’application par analogie aux art. 11 al. 1 LAPG et 7 al. 1 RAPG. Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2021, ce dernier article permet de procéder à un nouveau calcul de l’indemnité si les revenus déterminants AVS de l’année de service diffèrent des revenus AVS déterminants antérieurs, pris en compte pour le calcul de l’indemnité journalière.
Le TF rappelle que l’O APG COVID- 19 a été modifiée le 1er juillet 2021 pour prescrire de calculer le montant des indemnités journalières sur la base de la taxation fiscale de l’année 2019 (c. 6.2.2 et 11.3.4). Les bénéficiaires des prestations pour la période du 17 septembre 2020 au 30 juin 2021 sont dès lors désavantagés, sans raison valable, par rapport à ceux qui ont pu bénéficier des prestations dès le 1er juillet 2021. La limite temporelle fixée par l’ordonnance du 8 octobre 2020 ne doit dès lors pas être appliquée. Il en résulte ainsi également une absence de violation du devoir d’informer de la part de l’assurée que lui avait reproché l’autorité cantonale pour ne pas avoir transmis les revenus AVS avant le 17 septembre 2020 (art. 31 LPGA, art. 24 al. 4 OAVS) (c. 11.5).
En l’absence du caractère urgent reconnu précédemment, le TF ne voit pas de motif justifiant de refuser aux bénéficiaires un nouveau calcul des indemnités journalières, fondé sur la taxation fiscale des revenus de l’année 2019, après le 16 septembre 2020.
Auteur : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
TF 8C_326/2022 du 13 octobre 2022
Assurance-invalidité; rente d’invalidité, incapacité de travail, incapacité de gain, absence de lacune à l’art. 28 al. 1 LAI; art. 6 et 8 LPGA; 28 al. 1 LAI
Le TF rappelle qu’est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA) et qu’il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas surmontable d’un point de vue objectif (c. 5.1 et 5.2).
Aussi, le TF considère qu’il n’existe pas de lacune à l’art. 28 al. 1 LAI dans le sens exposé par le tribunal cantonal. Ainsi, il considère comme erronée la position de l’instance inférieure selon laquelle l’art. 28 LAI comporterait une lacune qui doit être comblée en ce sens que les assurés qui ont été en moyenne en incapacité de travail à 40 % au moins pendant plus d’une année ont droit à une rente, même si des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, susceptibles d’améliorer leur capacité de travail peuvent être prises. Dans ce contexte, le TF rappelle le principe selon lequel « la réadaptation prime la rente » (art. 28 al. 1 let. a LAI). Le droit à une rente ne peut être admis que lorsqu’il n’existe plus de mesure de réadaptation possible (c. 6).
Par ailleurs, le TF relève que la procédure de mise en demeure de l’art. 21 al. 4 LPGA n’a pas à être appliquée dans le cas d’espèce. En effet, selon les éléments au dossier, l’assuré avait lui-même la possibilité de rétablir immédiatement une capacité de travail à 100 % en s’abstenant de consommer des drogues ou de l’alcool (c. 7).
Partant, le TF a admis le recours formé par l’office AI, considérant qu’il est contraire au droit fédéral d’octroyer une rente d’invalidité in casu (c. 8).
Auteure : Tania Francfort, titulaire du brevet d’avocat
TF 9C_536/2021 du 19 octobre 2022
Assurance-invalidité; contribution d’assistance, besoin d’aide, évaluation, ménage commun avec un autre adulte, réduction de la contribution, art. 42quater ss LAI; 39g al. 2 let. b RAI; CCA
Une personne assurée au bénéfice d’une contribution d’assistance de l’assurance-invalidité a vu le montant de cette dernière, réduit du moment que son assistante de vie a emménagé avec elle.
Le TF rappelle que le besoin d’aide est évalué au moyen de l’instrument FAKT2. Conformément au chiffre 4030 de la Circulaire sur la contribution d’assistance (CCA), le besoin d’aide est réduit ou augmenté en fonction de la composition du ménage dans lequel vit la personne assurée. En présence d’un ou deux autres adultes, la déduction est de 33 %. Il est expressément précisé que l’assistante ou l’assistant qui vit chez la personne assurée peut être considérée comme un adulte vivant dans le même ménage.
Une fois le besoin d’aide établi, les mêmes circonstances justifient encore la réduction d’un douzième du montant de la contribution d’assistance annuelle, conformément à l’art. 39g al. 2 let. b RAI.
Dans cet arrêt, le TF confirme que le recours à l’outil FAKT2 est conforme au droit (cf. ATF 140 V 543), de même que l’art. 39g al. 2 let. b RAI, qui concrétise l’obligation de diminuer le dommage de la personne assurée, à tout le moins lorsque la participation de la personne faisant ménage commun est objectivement possible et exigible. Tel n’est pas le cas lorsque cette dernière est elle-même impotente au sens de l’art. 9 LPGA, ou qu’en raison de l’âge, elle peine déjà à s’occuper d’elle-même. Dans une telle hypothèse, une réduction suppose d’examiner au préalable la possibilité et l’exigibilité objectives d’une aide (cf. ATF 141 V 462 ; c. 4.2).
Il n’existe pas, en l’espèce, de motifs objectifs sérieux pour un changement de jurisprudence (c. 5).
Note : la question de la conformité de l’art. 39g al. 1 let. b RAI et du ch. 4030 CCA avec l’art. 8 CEDH mérite d’être posée, compte tenu de la récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Beeler c. Suisse (pour une analyse, cf. ici).
Auteure : Anne-Sylvie Dupont
TF 4A_303/2022 du 17 octobre 2022
Assurances privées; CGA, interprétation, ordonnances COVID, clauses ambiguës; art. 18 CO
Un assuré a contracté une assurance entreprise « tous risques » dont la police prévoit une couverture complémentaire pour les épidémies. Par la suite, le Conseil fédéral a promulgué plusieurs ordonnances en relation avec le COVID. Le recourant estime qu’il existe un nouvel événement assuré (et donc un nouveau sinistre) à l’occasion de la publication de chaque ordonnance, qui donne droit à l’indemnisation convenue avec l’assureur. Il estime qu’il peut se prévoir de la règle des clauses ambiguës en relation avec l’art. 18 CO. L’assureur estime, quant à lui, que ses CGA sont claires et que l’on doit considérer que l’on est en présence d’un seul sinistre.
Le TF rejoint l’argumentation de l’assureur, dont les clauses ne prêtent pas le flanc à la critique. D’une part, il ressort tant de la police que des CGA que l’événement assuré est l’ensemble des mesures successivement ordonnées par les autorités pour éviter la propagation d’une épidémie. D’autre part, un montant fixe est prévu pour dédommager les conséquences d’une fermeture et les coûts des salaires. En l’espèce, il y a bien eu une seule épidémie et les mesures successivement ordonnées par le Conseil fédéral constituent un paquet homogène. Il y a donc un seul sinistre et les règles établies par l’assurance sont claires, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se référer à la règle des clauses ambiguës.
Les juges fédéraux estiment même que le recourant se livre à un véritable ergotage conceptuel (Begriffsrabulisitik) qui est hors sujet.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg
TF 4A_298/2021 du 8 novembre 2022
Responsabilité médicale; prescription, créance en euros, requête de conciliation, conclusions libellées en francs suisses, principe de la confiance; Art. 135 al. 1 et 2, 84 al. 2 et 127 CO; 67 al. 1 ch. 1 à 4 LP; 58 al. 1 et 132 al. 1 CPC
Est litigieuse la question de savoir si le délai de prescription de trois créances, à savoir de trois postes de préjudice, selon les conclusions prises en euros dans la seconde action du 28 mars 2018, objet de la présente procédure de recours, a été ou non interrompu par la première action, introduite le 30 juin 2015 et donc dans le délai de 10 ans à compter de l’opération du 3 mai 2006, mais dont les conclusions étaient libellées en francs suisses (c. 4).
Le TF rappelle tout d’abord sa jurisprudence relative à la monnaie dans laquelle le créancier doit formuler ses conclusions et la conséquence attachée à des conclusions prises dans une monnaie erronée (c. 5, 5.1, 5.1.1, 5.1.2 et 5.2).
Selon la jurisprudence rendue en matière d’interruption de la prescription par une requête de conciliation, la désignation inexacte d’une partie peut être rectifiée lorsqu’il n’existe dans l’esprit du juge et des parties aucun doute raisonnable sur l’identité de la partie, notamment lorsque l’identité résulte de l’objet du litige. Cela présuppose évidemment que la requête de conciliation ait été effectivement communiquée à la partie qui a la qualité pour défendre, et non à un tiers, en d’autres termes que celle-ci en ait eu connaissance, à défaut de quoi il n’est évidemment pas possible de lui imputer qu’elle aurait compris ou dû comprendre, selon les règles de la bonne foi, que l’action ait été ouverte contre elle. Il en va de même en cas d’inexactitude de la désignation d’une partie dans la demande (c. 6.2.1.2).
Dans la droite ligne de la jurisprudence susmentionnée et du principe de la confiance sur lequel repose la validité de l’acte interruptif en dépit de la désignation inexacte d’une partie qui affecte celui-ci, il y a lieu d’admettre que le créancier qui a adressé, en temps utile, à une autorité de conciliation une première action, libellée en francs suisses, pour une créance qui était due en monnaie étrangère, a valablement interrompu le délai de prescription puisqu’il a ainsi bien fait connaître à une autorité officielle son intention, ou aurait dû la comprendre selon le principe de la confiance. La créance suffisamment individualisée par son fondement, et les montants en francs suisses et en euros ne sont que les deux faces d’une même pièce. Cette solution s’impose aussi pour deux autres motifs : premièrement, une réquisition de poursuite (obligatoirement) exprimée en francs suisses interrompt valablement la prescription de la créance due en monnaie étrangère ; deuxièmement, lorsqu’il est saisi de conclusions en paiement et en mainlevée, le tribunal prononce simultanément, pour la seule et même créance, une condamnation en monnaie étrangère et la mainlevée en francs suisses de l’opposition au commandement de payer. On ne verrait donc pas pourquoi la prescription d’une créance en monnaie étrangère pourrait être interrompue par une réquisition de poursuite en francs suisses et qu’elle ne pourrait pas l’être par une requête en conciliation en francs suisses. Certes, il faut distinguer entre l’effet interruptif de la prescription, qui se produit à un moment donné, sans égard à la suite de la procédure, et qui a pour but la sauvegarde du droit lui-même, laquelle relève du droit matériel, et la rectification d’une erreur dans la procédure en cours, qui relève du droit de procédure. A la différence de la désignation inexacte d’une partie, qui peut être corrigée dans la procédure introduite, l’erreur concernant la monnaie due ne pourra être corrigée que par l’introduction d’une nouvelle requête libellée dans la monnaie correcte (c. 6.2.2).
En l’espèce, la patiente a communiqué par une requête de conciliation du 30 juin 2015, soit dans le délai de prescription de 10 ans, qu’elle entendait obtenir le paiement d’une créance en dommages-intérêts dont le fondement était le prétendu dommage causé par l’intervention chirurgicale qu’elle avait subie le 3 mai 2006. Elle a donc valablement interrompu la prescription par ses conclusions libellées en francs suisses, et ce sans égard à la suite de la procédure. Par conséquent, la seconde requête de conciliation du 28 mars 2018, portant sur la même créance et alors exprimée en euros, a été introduite en temps utile, de sorte que cette action n’est pas prescrite (c. 6.3). Le recours est admis et l’arrêt attaqué est annulé et réformé, en ce sens que l’exception de prescription soulevée par les défendeurs est rejetée.
Auteur : Philippe Eigenheer, avocat à Genève et Vaud
TF 4A_160/2021 du 6 mai 2022
Responsabilité médicale; règles de l’art, obligation d’informer, prescription médicamenteuse; art. 398 al. 2 CO
Les recourants, soit une mère et son fils, qui présente de lourdes séquelles consécutivement à la prise de Roaccutane durant la grossesse, reprochent deux manquements à la doctoresse : elle aurait manqué à son devoir d’information lorsqu’elle a prescrit ce médicament et, en sus, aurait violé les règles de l’art médical en le prescrivant alors que les conditions du protocole n’étaient pas toutes remplies, la patiente ne souffrant pas d’une forme sévère d’acné et l’intimée n’ayant ordonné ni test de grossesse, ni traitement contraceptif.
Lorsqu’il prescrit un médicament, le praticien doit avertir le patient des risques particuliers induits par celui-ci (TFA 4C.229/2000 c. 3a/aa). En l’espèce, le TF rejette le recours au motif que, bien qu’il ait été préférable que les notes de la doctoresse indiquent expressément les risques liés à la prise de Roaccutane en cas de grossesse, il ressort néanmoins du dossier médical que cette dernière les a abordés avec sa patiente, ce qui doit conduire à écarter toute violation du devoir d’information.
S’agissant de la question d’une éventuelle violation des règles de l’art avec la prescription de Roaccutane, elle a été écartée par une expertise judiciaire. A cet égard, s’ils ont estimé que le dossier médical tenu par la doctoresse était lacunaire (absence de note selon laquelle elle avait bien informé sa patiente des risques du traitement, absence de plan de traitement, poids de la patiente non indiqué) et s’ils ont également pointé du doigt l’absence de test de grossesse réalisé avant le début du traitement, en relevant que le CHUV en pratiquait un, les experts ont toutefois considéré que ce test n’était pas imposé par les règles de l’art médical dans le cas d’espèce, car l’absence de relation sexuelle annoncée en début de traitement pouvait justifier ce manquement. En outre, ils ont déploré l’absence de contraception prescrite en notant que l’absence de partenaire ne justifiait pas ce manquement. Cela étant, ils ont conclu que ces lacunes ne constituaient pas une violation des règles de l’art, dans la mesure où la doctoresse avait dûment informé sa patiente des risques de foetopathie liés au traitement.
De l’avis du TF, si les experts n’ont pas, sur ces questions, accordé au protocole de prescription la portée contraignante que les recourants lui attribuent, l’on ne saurait en déduire que l’expertise était par là-même entachée d’un défaut à ce point évident ou reconnaissable que les juges ne pouvaient l’ignorer.
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne
TF 6B_1002/2021 du 3 octobre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; raute, causalité, conclusions civiles; art. 125 al. 1 CP; 122 al. 2 CPP
L’art. 125 al. 1 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé. La réalisation de cette infraction suppose la réunion de trois éléments constitutifs, à savoir une négligence imputable à l’auteur, des lésions corporelles subies par la victime, ainsi qu’un lien de causalité naturelle et adéquate entre la négligence et les lésions. Un cycliste a contesté devant la juridiction d’appel la libération d’un automobiliste de l’accusation de lésions corporelles simples par négligence pour le motif, déjà retenu par le premier juge, qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le comportement contraire à la LCR de l’automobiliste et la blessure subie par le cycliste. II faisait valoir que le fait d’utiliser un véhicule pour forcer un cycliste à s’arrêter ou à changer de direction amenait notoirement à un risque de chute très marqué pour celui-ci.
Le lien de causalité naturelle serait dans ce cadre indéniablement réalisé en tant que, sans la manœuvre précitée, la chute ne serait pas intervenue. Quant à la causalité adéquate, elle devrait également être admise car d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, utiliser un véhicule automobile pour forcer un cycliste à dévier vers la gauche dans le but de l’obliger à s’arrêter est propre à entraîner la chute du cycliste et donc à le blesser. Le fait pour le cycliste d’avoir continué sa route alors qu’il se trouvait sur la gauche du véhicule ne saurait être vu comme un comportement à ce point inattendu et exceptionnel qu’il serait de nature à exclure un lien de causalité avec l’accident survenu. En d’autres termes, le comportement de l’automobiliste consistant à utiliser son véhicule automobile pour forcer le cycliste à dévier vers la gauche dans le but de l’obliger à s’arrêter, doit être considéré comme étant en lien de causalité naturelle et adéquate avec les blessures subies par ce dernier, sans que son comportement permette d’admettre une interruption du lien de causalité adéquate.
Conformément à l’art. 122 al. 1 CPP, en sa qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l’infraction par adhésion à la procédure pénale. Aux termes de l’art. 126 al. 1CPP, le tribunal statue sur les conclusions civiles présentées lorsqu’il rend un verdict de culpabilité à l’encontre du prévenu (let. a) ou lorsqu’il acquitte le prévenu et que l’état de fait est suffisamment établi (let. b). Lorsque l’état de fait est suffisamment établi – à défaut de quoi le tribunal doit renvoyer la partie plaignante à agir par la voie civile conformément à l’art. 126 al. 2 let. c CPP, un jugement d’acquittement peut donc aussi bien aboutir à la condamnation du prévenu sur le plan civil qu’au déboutement de la partie plaignante.
En instance d’appel, le cycliste a invoqué une responsabilité objective du détenteur de véhicule automobile pour conclure au versement en sa faveur d’un montant de CHF 12'963,70, avec intérêts à 5 % l’an dès le 5 mai 2018, pour les dommages causés par l’emploi dudit véhicule. Dès lors que le recours doit être admis s’agissant de l’infraction de lésions corporelles simples par négligence commise au préjudice du cycliste, il doit l’être aussi en ce qui concerne les conclusions civiles déduites de cette infraction. Il appartiendra à l’autorité cantonale, à laquelle la cause doit être renvoyée, d’examiner les conclusions civiles prises par le cycliste.
Auteur : Bruno Cesselli, expert à la Tour-de-Trême
TF 6B_171/2022 du 29 novembre 2022
Responsabilité du détenteur de véhicule automobile; homicide par négligence, procédure, acte d’accusation, causalité; art. 333 CP
Un chauffeur circule au volant de sa camionnette lorsqu’il détourne brièvement son regard sur quatre véhicules, dont une voiture de police, stationnés sur une piste cyclable. Lorsque son regard se porte à nouveau sur la route devant lui, le chauffeur est ébloui par une source lumineuse ou un reflet dont l’origine n’a pu être déterminée par l’enquête. Lorsqu’il retrouve la vue, le conducteur réalise qu’un véhicule est arrêté devant lui et entre en collision avec celui-ci provoquant le décès d’une conductrice.
Le TF écarte tout d’abord le grief du ministère public relatif à la violation de la maxime d’accusation (art. 9 CPP) en rappelant que l’acte d’accusation doit préciser les circonstances sur lesquelles le Ministère public se fonde pour retenir une violation du devoir de diligence du prévenu de même que le caractère prévisible et évitable du résultat. Dans le cas d’espèce, l’acte d’accusation exposait uniquement le bref regard sur les véhicules stationnés sur la piste cyclable ainsi que l’éblouissement comme fondement de la violation du devoir de diligence. Ainsi, l’éventuelle vitesse inadaptée aux conditions de circulation ou la distance de sécurité insuffisante, éléments évoqués dans un rapport d’expertise, ne figuraient pas parmi les reproches formulés à l’égard du prévenu et c’est donc à juste titre que l’autorité cantonale ne les a pas pris en compte (c. 2.1 à 2.6).
Le ministère public critiquait également la mauvaise application de l’art. 333 al. 1 CPP (modification et compléments de l’accusation). Le TF précise la portée de l’art. 333 CPP : le recours à l’art. 333 al. 1 CPP n’est possible qu’à des conditions limitées. Ainsi, cette disposition est applicable lorsque l’état de fait décrit dans l’acte d’accusation pourrait correspondre à une autre infraction ou à une infraction supplémentaire, mais qu’il est nécessaire d’y ajouter un nouvel élément factuel (c. 3.4.3 et 3.4.4). Le TF précise, en revanche, que l’art. 333 al. 1 CPP n’a pas vocation à être appliqué dans le but de modifier l’état de fait de l’acte d’accusation sans que cela ne change la qualification juridique de l’infraction. Dans le cas d’espèce, le TF constate que l’acte d’accusation ne contient pas la description de toutes les circonstances permettant de fonder une violation du devoir de prudence – notamment rien sur la vitesse inadaptée et l’absence de distance de sécurité - de sorte que le tribunal cantonal n’a, à juste titre, pas renvoyé l’acte d’accusation au ministère public. En effet, ce dernier n’aurait pu compléter que la description de l’état de fait sans que cela n’ait une quelconque influence sur la qualification juridique de l’infraction puisque seul l’homicide par négligence entrait en ligne de compte (c. 3.5).
Le TF examine finalement la question de la causalité. Le tribunal cantonal avait considéré, sur la base d’une expertise, que la violation du devoir de prudence concrètement reprochée au conducteur (bref regard sur le côté et éblouissement) avait certes retardé son freinage d’urgence de 0.5 à 0.7 secondes mais n’auraient pas empêché la survenance de l’accident. A cet égard, le TF observe que même si la collision serait survenue de toute manière en raison des violations du devoir de prudence du conducteur non décrites dans l’acte d’accusation (vitesse inadaptée à la circulation et non-respect des distances de sécurité), les violations concrètement reprochées et figurant dans ce dernier ont pu contribuer au résultat final. En effet, l’élément déterminant pour envisager l’imputation objective d’un résultat à un auteur est que ce dernier ait, par son comportement, réalisé l’une des conditions dont le résultat, dans sa manifestation concrète, est la conséquence. En outre, les conséquences de la collision auraient pu être différentes si le conducteur avait freiné 0.5 à 0.7 secondes plus tôt. Aussi le TF admet-il partiellement le recours et renvoie la cause au tribunal cantonal pour nouvel examen.
Auteur : Radivoje Stamenkovic, avocat à Lausanne et Yverdon-les-Bains
TF 4A_603/2020 du 16 novembre 2022
Responsabilité aquilienne; responsabilité délictuelle, faute, dol éventuel, norme de protection, blanchiment d’argent; art. 41 al. 1, 55 al. 1 CO; 29, 305bis CP; 9 LBA
Un prétendu gérant de fortune indépendant a ouvert un compte dans une banque et berné des clients. Une procédure pour blanchiment d’argent a notamment été ouverte. A la suite de son décès, la procédure pénale a pris fin. Plusieurs clients ont fait valoir des dommages-intérêts et indemnités pour tort moral contre la banque, fondant leur action sur les principes de la responsabilité délictuelle (art. 41 ss CO). La norme de protection invoquée est l’art. 305bis CP, la banque se trouvant selon eux dans une position de garant. L’action a été rejetée, les clients échouant à démontrer l’intention délictueuse et le lien de causalité entre les manquements de la banque et le dommage subi. Ce jugement a été annulé en appel car la banque aurait dû réaliser le caractère insolite des transactions et disposait d’indices quant à la provenance douteuse des avoirs. Le dol éventuel pouvait ainsi être retenu, les agissements de la banque tombaient sous le coup de l’art. 305bis CP. L’action délictuelle était fondée et le dossier renvoyé aux premiers juges pour déterminer la quotité du dommage. La banque a recouru en matière civile auprès du TF et a conclu à l’annulation de la décision incidente rendue.
Le TF rappelle que la banque peut également engager sa responsabilité de par l’art. 55 al. 1 CO. L’acte de l’employé doit toutefois être illicite au sens de l’art. 41 al. 1 CO. Lorsqu’un acte illicite lèse le patrimoine, il faut établir la violation d’une norme de comportement (Schutznorm) visant à protéger le lésé dans les droits atteints par l’acte incriminé. L’art. 305bis CP est une de ces normes de comportement. Cette infraction ne peut être réalisée que sous la forme intentionnelle. Le blanchiment d’argent doit être intentionnel, ce qui signifie que son auteur doit agir « avec conscience et volonté ». L’intention est déjà réalisée lorsque l’auteur tient pour possible la réalisation de l’infraction et l’accepte au cas où celle-ci se produirait (art. 12 al. 1 et 2 CP). Est ici visé le dol éventuel : l’auteur envisage le résultat dommageable mais agit néanmoins, même s’il ne le souhaite pas, parce qu’il s’en accommode pour le cas où il se produirait. La frontière avec la négligence consciente est ténue ; elle se situe au niveau volitif. L’auteur négligent envisage lui aussi l’avènement du résultat dommageable mais escompte, ensuite d’une imprévoyance coupable, que ce résultat qu’il refuse en soi ne se produira pas. A défaut d’aveux, le juge doit se fonder sur les circonstances extérieures pour déterminer quelle forme de faute il retient.
En l’espèce, l’enjeu consistait à établir un acte intentionnel de blanchiment d’argent qui fût propre à engager la responsabilité civile de la banque. Le caractère insolite de la situation était apparu dans le cadre de la procédure pour blanchiment d’argent, la banque aurait dû s’interroger en particulier sur l’origine illicite des fonds. La responsabilité de la banque ne peut être engagée que dans la mesure où une/des personne(s) physique(s) a/ont commis un acte illicite, soit réalisé les éléments constitutifs objectifs et subjectif du blanchiment. Deux écueils se dressent à cet égard : d’une part, il faut pouvoir reprocher à une/des personne(s) physique(s) d’avoir contrevenu aux obligations juridiques qualifiées instaurées par la LBA. D’autre part, un comportement intentionnel est requis. L’art. 29 CP trace le cercle limité des personnes physiques auxquelles l’on peut reprocher d’avoir enfreint un devoir particulier incombant à la personne morale – ici en vertu de la LBA. Il s’agit des membres d’un organe (let. a), des associés (let. b), des collaborateurs dotés d’un pouvoir de décision indépendant (let. c) ou enfin, des dirigeants effectifs (let. d).
En l’occurrence, l’organisation de la banque pour lutter contre le blanchiment d’argent et les personnes en charge d’aviser le Bureau de communication au sens de l’art. 9 LBA ne sont pas indiquées. La responsable du service juridique était absente pendant la période problématique et il n’y a pas de détails quant au service de compliance. Un collaborateur précis ne peut ainsi être déterminé. Le TF rappelle qu’il faut ensuite démontrer l’intention délictueuse d’un employé précis. Les éléments au dossier ne permettent pas non plus de déduire une intention délictuelle. Les clients de la banque n’ont du reste pas requis l’audition de membres du personnel. Rien n’indique que la Commission ait pu identifier des collaborateurs animés d’une intention délictueuse. La cour cantonale ne pouvait s’inspirer d’un mécanisme étranger à l’art. 55 CO, qui n’est pas applicable faute d’acte illicite. L’enquête pénale n’a pas pu mettre en évidence des employés suspects. Devant la Cour de justice déjà, il était acquis que l’illicéité civile pouvait découler uniquement de la réalisation de l’art. 305bis CP, aucune autre norme pénale n’entrant en ligne de compte. Il était également admis que la violation des règles de la LBA était en soi inapte à fonder une responsabilité civile délictuelle au sens de l’art. 41 CO.
En définitive, le TF retient qu’aucun acte illicite susceptible d’engager une responsabilité de la banque selon l’art. 55 CO n’a pu être établi car aucune intention délictueuse n’a pu être prêtée à l’un ou l’autre collaborateur précis de la banque. Aussi le TF a-t-il rejeté les conclusions des demandeurs et admis le recours de la banque.
Auteure : Catherine Schweingruber, titulaire du brevet d’avocate, Lausanne
TF 6B_1335/2021 du 21 décembre 2022
Responsabilité aquilienne; tort moral; art. 47 et 49 CO
Le recourant, victime de profondes balafres sur le visage et d’un stress post-traumatique à la suite d’une bagarre, se voit allouer une indemnité pour tort moral de CHF 30’000 en première instance. Cette indemnité est réduite à CHF 8’000 en appel. Le recourant critique le montant de l’indemnité devant le TF.
Dans cet arrêt, les juges fédéraux rappellent très soigneusement les principes applicables en matière de fixation d’une indemnité pour tort moral. Ils confirment qu’il est admissible de fixer une indemnité à titre de réparation du tort moral selon une méthode s’articulant en deux phases : la première consiste à déterminer l’indemnité de base, de nature abstraite ; la seconde implique une adaptation de cette somme aux circonstances du cas d’espèce. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) selon l’annexe 3 de l’OLAA peut constituer un point de départ objectif pour le calcul de l’indemnité ; cette façon de procéder n’est pas imposée par le droit fédéral et ne fournit qu’une valeur indicative.
Dans le cas d’espèce, les juges fédéraux retiennent qu’il n’était pas arbitraire, pour la cour cantonale, de partir d’un montant indicatif de base de CHF 29’640, à savoir 20 % de CHF 148’200 (cf. gain assuré maximal prévu par l’art. 22 OLAA). Par contre, la réduction de 73 % du montant de base opérée par les juges cantonaux est arbitraire, cette réduction n’étant pas suffisamment motivée. L’arrêt entrepris ne décrit pas la prise en charge médicale, pas plus qu’il n’expose la situation personnelle du recourant, dont on ignore l’âge, le lieu de vie, les liens qu’il entretient avec la Suisse et la situation professionnelle.
Dès lors, le recours est admis et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.
Auteur : Yvan Henzer, avocat à Lausanne
TF 4A_480/2021 du 9 novembre 2022
Responsabilité aquilienne; contrat de mandat, allégation du dommage, procédure; art. 42 al. 1 et 2, 398 al. 1 CO; 55 CPC
Dans le cadre de l’acquisition du capital-actions d’une société anonyme, la recourante reproche à la fiduciaire, chargée de réviser les comptes de la société visée, de ne pas avoir constaté que les fonds propres et les résultats de celle-ci étaient surévalués. Ayant payé un prix excessif pour les actions et invoquant la responsabilité de son mandataire, l’acheteuse a conclu à ce que la fiduciaire soit condamnée au paiement de la différence entre le coût des actions et leur valeur réelle, étant précisé qu’elle avait déduit du montant réclamé le versement effectué à bien plaire par le vendeur à la suite d’une action en réduction du prix de vente. Alors que les manquements de l’intimée et la différence de valeur avaient été démontrés par expertises, privée puis judiciaire, les deux instances cantonales ont intégralement rejeté les conclusions de la mandante.
Après avoir rappelé les conditions régissant la responsabilité du mandataire, soit la violation d’un devoir de diligence, l’existence d’une faute (présumée en cas de violation du contrat), un dommage et un lien de causalité entre le dommage et la violation fautive du devoir de diligence, le TF a confirmé le défaut d’allégation suffisante du dommage. En effet, en matière de responsabilité du mandataire, cas qui doit être distingué de la responsabilité du vendeur, l’acheteur doit alléguer quelle aurait été sa situation patrimoniale sans la survenance de l’événement dommageable, en l’espèce la violation par la fiduciaire des règles de l’art lors de la révision des comptes. Or, l’acheteuse s’est limitée à alléguer la valeur réelle de la société selon les comptes rectifiés de la société, et donc le trop-payé au regard du prix initialement versé. A l’appui de ces faits, elle a sollicité la mise en œuvre d’une expertise judiciaire portant sur la diligence du mandataire et la diminution de son patrimoine. Le préjudice ne peut toutefois être calculé par l’application purement arithmétique d’une formule mathématique dont on déduirait le delta entre le prix payé et la valeur réelle ; il faut comparer le patrimoine de la lésée en fonction des décisions qu’elle aurait prises si elle avait été correctement informée par la fiduciaire.
Le TF retient ainsi que la recourante aurait dû alléguer, puis offrir de prouver, quel aurait été son comportement si son mandataire avait correctement effectué la mission confiée, à savoir constaté que les fonds propres et les bénéfices de la société étaient surévalués. Dès lors, l’acheteuse aurait dû affirmer (i) qu’elle aurait renoncé à acheter les actions de la société compte tenu des résultats réels de celle-ci, son dommage s’élevant alors au prix payé, la valeur du bien en sa possession étant portée en déduction, ou (ii) qu’elle aurait été en mesure de négocier auprès du vendeur un prix inférieur, et a minima alléguer quel aurait été le prix réduit, son préjudice étant alors équivalent à la différence entre le prix versé et celui négocié à la baisse.
Le TF retient ainsi que les conclusions de l’expertise judiciaire, qui ne portait pas sur le dommage indemnisable, ont été écartées à juste titre. La violation du devoir d’allégation a donc été retenue à juste titre, que ce soit sous l’angle de l’établissement non arbitraire des faits ou de l’application correcte du droit fédéral. L’invocation de l’art. 42 al. 2 CO ne saurait remédier aux manquements de la recourante, cette disposition permettant certes au juge de définir l’indemnisation du dommage en équité, mais ne relevant pas le demandeur de son devoir d’allégation des faits pertinents et d’offrir les preuves à leur appui.
Ex cursus : cette procédure a également porté, à titre incident, sur la recevabilité d’un appel en cause, la Cour de justice l’ayant rejeté en raison de l’absence d’un lien de connexité suffisant entre la prétention principale et celle invoquée dans l’appel en cause, le TF, par substitution de motifs, retenant finalement que l’appelant en cause avait manqué de prendre des conclusions chiffrées contre l’appelé.
Auteur : Me David F. Braun, avocat à Genève
TF 9C_650/2021 du 7 novembre 2022
Assurance-maladie; assurance facultative des indemnités journalières, réserves de santé, réticence, protection des données; art. 69 LAMal
En matière de protection des données, l’assureur-maladie social n’est en droit de traiter de données sensibles – dont les données sur la santé (art. 3 let. c LPD) – que si une loi au sens formel le prévoit expressément (cf., de manière générale, l’art. 84 LAMal) ou si, exceptionnellement (et entre autres éventualités), la personne concernée y a consenti ou a rendu ses données accessibles à tout un chacun et ne s’est pas opposée formellement au traitement (art. 17 al. 2 let. c LPD). Il est par ailleurs tenu de prendre les mesures techniques et organisationnelles nécessaires pour garantir la protection des données (art. 84b LAMal ; cf. aussi art. 7 al. 1 LPD). Dans ce cadre, il doit assurer que le traitement des données, y compris la collecte des données et leur exploitation (cf. art. 3 let. e LPD), soit effectué en conformité à la loi.
A juste titre, le TF a rappelé que la loi interdit un échange d’informations général entre une caisse-maladie et une assurance complémentaire privée, même si elles appartiennent à un même groupe d’assureurs, que le transfert de données se fasse de l’assureur-maladie social à l’assureur privé ou dans l’autre sens. Il a ainsi annulé la décision du tribunal cantonal, au motif qu’on ne pouvait retenir que l’assureur-maladie d’indemnités journalières selon la LAMal avait eu ou aurait pu avoir connaissance du rapport d’un médecin ayant traité la personne assurée au moment où il a été transmis à l’assureur privé. En conséquence, l’assureur-maladie social n’était pas en retard lorsqu’il a émis une réserve (rétroactive) à l’endroit de l’assurée, pour cause de réticence (art. 69 LAMal).
Auteur : Guy Longchamp
TF 2C_259/2022 du 7 décembre 2022
Prévoyance professionnelle; prévoyance liée, déductibilité des primes, période fiscale déterminante; art. 82 al. 1 LPP; OPP3
Selon l’art. 15 al. 1 LHID, la période fiscale correspond à l’année civile. L’art. 82 al. 1 LPP prévoit que les salariés et les indépendants peuvent également déduire les cotisations affectées exclusivement et irrévocablement à d’autres formes reconnues de prévoyance assimilées à la prévoyance professionnelle (cf. aussi art. 1 al. 2 let. b OPP3 et 33 al. 1 let. e LIFD). Dans cette décision, le TF confirme que le montant de CHF 24'632.-, dont l’ordre de paiement a été effectué le 29 décembre 2017, ne peut pas être déduit fiscalement pour l’année 2017, dès lors que la somme litigieuse a été créditée à l’assureur le 3 janvier 2018 seulement (cf. art. 81 al. 3 LPP ; art. 8 OPP3).
Note : s’agissant d’une somme d’argent (dette portable ; cf. art. 74 al. 2 ch. 1 CO), la même règle prévaut dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, singulièrement en ce qui concerne le caractère déductible des rachats facultatifs (art. 79b LPP).
Auteur : Guy Longchamp
TF 8C_374/2022 du 5 décembre 2022
Assurance-accidents; assistance judiciaire, choix du mandataire, mandataire hors canton; art. 29 Cst.
L’art. 29 al. 3 Cst. ne garantit pas en principe le droit du justiciable au bénéfice de l’assistance judiciaire de choisir librement son conseil d’office. Les règlements cantonaux selon lesquels seuls les avocats inscrits dans leur propre canton peuvent se voir confier des mandats d’office peuvent être objectivement justifiés et sont compatibles avec l’art. 29 al. 3 Cst. Toutefois, sur la base du droit à un procès équitable (art. 29 al. 1 Cst), s’il existe une relation de confiance particulière entre le client et l’avocat ou si l’avocat a déjà traité l’affaire dans le cadre d’une procédure antérieure, les dispositions cantonales ne peuvent faire obstacle à la désignation d’un avocat d’office inscrit en dehors du canton.
Dans le cas d’espèce, le recourant s’était vu accorder l’assistance judiciaire et la désignation d’un conseil d’office dans le cadre d’une première procédure, qui avait été portée devant une autorité judiciaire incompétente. La cause a été transférée à l’autorité compétente, sise dans un autre canton dans lequel l’avocat en question n’était pas inscrit. Les instances cantonales ont refusé de désigner au recourant le même conseil d’office au motif que cet avocat n’était pas inscrit dans le canton concerné. Pour le TF, il faut considérer que l’avocat en question avait déjà traité l’affaire dans le cadre d’une procédure antérieure, contrairement à ce que soutenait l’autorité inférieure, si bien que c’est à tort que sa désignation en qualité de conseil d’office lui a été déniée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si une relation de confiance particulière entre le client et l’avocat existait en l’espèce.
Auteur : Amandine Torrent, avocate à Lausanne
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