NLRCAS Octobre 2020
Editée par Christoph Müller, Anne-Sylvie Dupont, Guy Longchamp et Alexandre Guyaz
TF 9C_388 et 389/2019 du 21 avril 2020
Assurance-maladie; exception à l’obligation d’assurance, requérant d’asile; art. 3 al. 2 LAMal; 2 al. 1 lit. b OAMal; 82 et 82a LAsi
Dans une affaire concernant un couple d’origine russe ayant déposé une demande d’asile fondée sur des motifs de santé (traitement médical), le TF a jugé en particulier que l’art. 2 al. 1 lit. b OAMal avait été édicté sur la base d’une délégation de compétence valable (art. 3 al. 2 LAMal). Aussi l’assureur-maladie était-il en droit, sur la base d’un examen préjudiciel de la demande d’asile, d’annuler l’affiliation à l’assurance obligatoire des soins avec effet rétroactif.
Auteur : Guy Longchamp
TF 9C_763/2019 du 18 août 2020
Assurance-invalidité; allocation pour impotent, accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, notion de home, distinction d’avec un logement accompagné; art. 42 al. 3 LAI ;35ter et 38 RAI
Dans le cas d’espèce, l’assuré bénéficie d’une rente AI en raison de troubles de la personnalité et du comportement consécutifs à une longue période de consommation de stupéfiants. Il dispose d’un logement accompagné « BEWO » (begleitete Wohnung) que la Ville de Zurich destine aux personnes toxicomanes ou atteintes de limitations psychiques. L’offre inclut le logement dans une chambre meublée et des conseils prodigués, de jour, par le personnel spécialisé, à raison d’une demi-heure par semaine. La mère de l’assuré fournit une aide pour la prise des repas, l’entretien du linge, les achats et les activités administratives.
Selon la pratique et la jurisprudence du TF, l’assuré est considéré comme étant atteint d’une impotence faible, au sens de l’art. 42 al. 3 et 38 RAI, s’il a besoin d’un accompagnement régulier d’au moins deux heures en moyenne par semaine, sur une période de trois mois, pour faire face aux nécessités de la vie (c. 6.1). En dehors du séjour dans un home, le lieu où vit l’assuré n’est pas déterminant. Il importe peu que l’assuré vive seul, avec son partenaire, avec des membres de sa famille ou dans l’une des nouvelles formes de logement très répandues aujourd’hui. L’élément décisif est le besoin d’accompagnement et de conseils et non le point de savoir qui fournit l’aide (c. 2.3).
Dans le cas d’espèce, le conseil du personnel spécialisé dans le cadre de l’offre de logement « BEWO », limité à une demi-heure par semaine, ne constitue pas un accompagnement suffisant pour cet assuré qui doit pouvoir bénéficier d’autres aides fournies, ici, par la mère, pour faire face aux nécessités de la vie.
Le logement occupé par l’assuré se distingue donc du home qui, au sens de l’art. 35ter al. 1 RAI, correspond à une forme de logement collectif. Conformément aux explications de l’OFAS, la notion de home désigne une communauté d’habitation placée généralement sous la responsabilité d’un support juridique ayant une direction et des employés. Les résidents ne disposent pas seulement d’un espace loué, mais aussi, contre paiement, d’autres offres et services (nourriture, conseil, encadrement, soins, occupation ou réinsertion, notamment dont ils ne disposeraient pas – ou pas de cette nature et dans cette mesure – s’ils vivaient dans leur propre logement ou que, dans ce cas, ils devraient organiser eux-mêmes (c. 2.3).
L’assuré est ainsi en droit de percevoir l’allocation pour impotence.
Auteure : Monica Zilla, avocate à Neuchâtel
TF 6B_1319/2019 du 18 août 2020
Responsabilité aquilienne; emploi de gaz toxiques par négligence, frais de procédure à la charge du prévenu, indemnités en cas d’acquittement; art. 224 et 225 CP; 426 al. 2, 429 et 430 al. 1 let. a CPP; 32 al. 1 Cst.; 6 § 2 CEDH; 41 CO
Après avoir procédé aux interprétations littérales, historiques, téléologiques et systématiques des art. 224 et 225 CP, le TF conclut que le monoxyde de carbone, émis en l’espèce par la combustion des brûleurs d’un grill, ne répond pas à la notion de gaz toxique au sens du CP. Il confirme l’acquittement des prévenus.
Le TF rappelle ensuite qu’à la lumière des art. 426 al. 2 CPP, 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH, une condamnation aux frais n’est admissible que si le prévenu a provoqué l’ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s’il en a entravé le cours. Seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en considération. Dans ce contexte, le juge peut tenir compte de toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l’ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d’une application par analogie des principes découlant de l’art. 41 CO. Une condamnation aux frais est en tout cas exclue lorsque l’autorité est intervenue par excès de zèle, à la suite d’une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d’acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l’exception. L’art. 426 al. 2 CPP prévoit une « Kann-Vorschrift », en ce sens que le juge n’a pas l’obligation de faire supporter tout ou partie des frais au prévenu libéré des fins de la poursuite pénale, même si les conditions d’une imputation sont données. L’autorité pénale dispose à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation.
Quant à l’art. 430 al. 1 let. a CPP, qui permet au juge de réduire ou refuser l’indemnité prévue par l’art. 429 CPP, lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l’ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci, il est le pendant de l’art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l’indemnisation.
En l’espèce, il n’a pas été démontré en quoi la cour cantonale aurait excédé le large pouvoir d’appréciation dont elle dispose dans l’application de l’art. 426 al. 2 CPP, respectivement de l’art. 430 al. 1 let. a CPP.
Auteur : Rémy Baddour, titulaire du brevet d’avocat à Genève
TF 4A_547/2019 du 9 juillet 2020
Responsabilité médicale; consentement éclairé du patient, faits nouveaux; art. 59 al. 1 CC; 41 CO; 317 al. 1 CPC; 4 LRECA-VD
Un patient souffre d’épilepsie avec crises invalidantes. A la suite d’une opération chirurgicale correctrice au cerveau intervenue le 2 octobre 1998, des troubles aboutissent à une incapacité totale de travail. Se pose ainsi la problématique du consentement éclairé du patient. Le recourant réclame à l’Etat de Vaud la réparation du dommage consécutif à l’opération. La cour cantonale rejette l’action.
Les recourants reprochent à la cour cantonale une violation de l’art. 317 CPC pour avoir écarté leur requête en introduction de nova. Selon le TF, aux termes de l’art. 317 al., 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s’ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s’ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s’en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let.b). S’agissant des pseudo nova, soit les faits et moyens de preuve qui existaient déjà au début des délibérations de première instance, leur admissibilité est largement limitée en appel : ils sont irrecevables lorsque le plaideur aurait déjà pu les introduire dans la procédure de première instance s’il avait été diligent. Le CPC part du principe que le procès doit se conduire entièrement devant les juges de première instance. A ce stade, chaque partie doit exposer l’état de fait de manière soigneuse et complète et amener tous les éléments propres à établir les faits jugés importants. Le critère de la diligence est objectif, la connaissance personnelle (ou subjective) effective du plaideur n’est en soi pas déterminante.
La responsabilité des collectivités publiques cantonales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons à l’égard des particuliers pour le dommage qu’ils causent dans l’exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO, mais les cantons sont libres de la soumettre au droit public cantonal en vertu des art. 59 al. 1 CC et 61 al. 1 CO. Le canton de Vaud a fait usage de l’application du CO à titre de droit cantonal supplétif en édictant la LRECA. Cette loi règle la réparation du dommage causé illicitement ou en violation des devoirs de service dans l’exercice de la fonction publique. A la différence du droit privé qui subordonne la responsabilité aquilienne à une faute (art. 41 CO), le texte de l’art. 4 LRECA-VD n’exige, pour engager la responsabilité de l’État, qu’un acte objectivement illicite, un dommage et un lien de causalité entre l’un et l’autre.
En matière de responsabilité médicale, l’illicéité peut reposer sur deux sources distinctes : la violation des règles de l’art, d’une part, et la violation du devoir de recueillir le consentement éclairé du patient d’autre part. Ainsi, le médecin qui fait une opération sans informer son patient ni en obtenir l’accord commet un acte contraire au droit et répond du dommage causé, que l’on voit dans son attitude la violation de ses obligations de mandataire ou une atteinte à des droits absolus et, partant, un délit civil. L’illicéité d’un tel comportement affecte l’ensemble de l’intervention et rejaillit de la sorte sur chacun des gestes qu’elle comporte, même s’ils ont été exécutés conformément aux règles de l’art.
Une atteinte à l’intégrité corporelle, à l’exemple d’une intervention chirurgicale, est illicite à moins qu’il n’existe un fait justificatif. Dans le domaine médical, la justification de l’atteinte réside le plus souvent dans le consentement du patient ; pour être efficace, le consentement doit être éclairé, ce qui suppose de la part du praticien de renseigner suffisamment le malade pour que celui-ci donne son accord en connaissance de cause. Le devoir d’information du médecin résulte également de ses obligations contractuelles, comme le confirment la doctrine et une jurisprudence constante. C’est au médecin qu’il appartient d’établir qu’il a suffisamment renseigné le patient et obtenu le consentement éclairé de ce dernier préalablement à l’intervention.
Le TF constate qu’à la fin des années 1990, le milieu médical n’avait pas encore les connaissances pour fournir au patient une information plus précise sur les risques spécifiques d’atteintes neuropsychologiques consécutives à l’intervention effectuée. Ainsi, l’absence d’acte illicite scelle le sort du recours, cette condition étant niée. Le recours est rejeté, sans qu’il soit nécessaire d’analyser plus avant les autres conditions.
Auteur : Christian Grosjean, avocat à Genève
TF 4A_52/2020 du 19 août 2020
Responsabilité aquilienne; prescription, dies a quo, atteinte durable, dommages distincts; art. 60 al. 1 CO
Dans la présente affaire, dont la procédure a été limitée à la seule question de la prescription d’éventuelles prétentions, le recourant fait valoir différents postes de dommages prétendument causés par la diffusion d’informations dérobées auprès d’une banque, en l’occurrence des frais d’avocat survenus en lien avec des procédures intentées contre différents médias ainsi qu’à sa défense dans le cadre d’une procédure fiscale subséquente dirigée à son encontre.
Le délai de l’art. 60 al. 1 CO part du moment où le lésé a effectivement et suffisamment connaissance du dommage lorsqu’il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice, et non de celui où il aurait pu découvrir l’importance de sa créance en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances. En ce sens, le lésé n’est pas admis à différer sa demande jusqu’au moment où il connaît le montant absolument exact de son préjudice, car le dommage peut devoir être estimé selon l’art. 42 al. 2 CO.
Lorsque l’ampleur du préjudice résulte d’une « situation qui évolue », le délai de prescription ne court pas avant le terme de l’évolution. Si la publication d’articles de presse et des différends avec une autorité, fondés tous deux sur des données volées, constitue bien une telle situation, l’acte générateur de responsabilité ne s’inscrit en revanche pas dans le cadre de comportements dommageables répétés ou dans la durée. Il est en outre susceptible d’occasionner – de manière médiate – des dommages sur une période de temps dont la durée ne saurait être pronostiquée.
Sous l’angle du délai relatif de prescription en matière délictuelle, les divers chefs de préjudice issus d’un même acte illicite ne constituent en principe pas des dommages distincts mais les éléments d’un seul dommage. Toutefois, le principe de l’unité du dommage ne peut trouver application si le préjudice a trait à des situations distinctes (bien qu’ayant pour cause le même comportement répréhensible et correspondant à un même poste de dommage). Ainsi, le délai relatif de prescription court séparément pour chacun des dommages distincts occasionnés par l’utilisation de données litigieuses par des tiers.
Dans le cas particulier, il convenait donc de distinguer entre l’hypothétique dommage lié à la campagne de presse, d’une part, et celui consécutif à la procédure fiscale, d’autre part. Doit ainsi être considérée comme prescrite la créance du lésé qui se prévaut, en dépit du court délai relatif de l’art. 60 al. 1 CO, de la survenance d’un dommage des années après la publication d’articles litigieux afin de demander la réparation du préjudice prétendument subi en lien avec celle-ci. A l’inverse, le TF a retenu que celui contre qui une procédure est dirigée ne peut pas avoir – selon les circonstances – connaissance du dommage dans les grandes lignes au moment de l’ouverture de celle-ci, en particulier si et dans quelle mesure une partie des frais liés à sa défense seront indemnisés.
Auteur : Benoît Santschi, titulaire du brevet d’avocat, Neuchâtel
TF 4A_166/2020 du 23 juillet 2020
Assurances privées; conditions générales d’assurance, clauses ambiguës, interpretatio contra stipulatorem; art. 18 CO
Les conditions générales d’assurance (CGA) s’interprètent fondamentalement selon les mêmes principes que ceux valant pour les dispositions contractuelles. C’est donc la volonté commune des parties qui importe en premier lieu. Si les conditions se révèlent peu claires, on appliquera alors la règle des clauses ambiguës. L’interprétation se fera dès lors en défaveur du rédacteur des CGA (interpretatio contra stipulatorem).
En l’espèce, les règles de l’assureur sont peu claires par rapport à la prise en charge d’un traitement médical en division demi-privée. Celles-ci doivent donc être interprétées en faveur de l’assuré. Le TF arrive ainsi à la conclusion qu’un assuré peut comprendre qu’une telle prise en charge est possible lorsque l’assureur a conclu une prise en charge tarifaire uniquement privée avec l’hôpital, non seulement si l’hôpital ne dispose pas effectivement d’un secteur demi-privé, mais également s’il n’y a pas d’accord tarifaire spécifique pour la division demi-privée, alors que l’hôpital concerné dispose d’une telle division. Dans les deux cas, la participation de l’assurance s’élèvera à 75% des frais d’une hospitalisation en secteur privé.
Auteur : Benoît Sansonnens, avocat à Fribourg
TF 8C_38/2019 du 12 août 2020
Assurance-accidents; affiliation obligatoire à la LAA, notion d’activité salariée ou indépendante, statut d’un chauffeur de taxi, dépendance économique; art. 1a al. 1 LAA; 11 et 13 aLTaxi-GE
Les chauffeurs de taxi de service public ayant conclu un contrat d’abonnement avec une centrale de taxi doivent être qualifiés d’indépendants. Certes, ceux-ci ont l’interdiction d’être affiliés à une autre centrale d’appel ou à tout autre système de diffusion des courses, ce qui est évocateur de l’obligation de fidélité du travailleur. Dans l’ensemble toutefois, les éléments montrant que ces chauffeurs sont indépendants économiquement et du point de vue de l’organisation de leur travail vis-à-vis de la centrale sont prédominants (aucune instruction quant au lieu et au temps de travail, absence d’intervention dans l’organisation du travail, perception directe des recettes, investissements non négligeables assumés par les intéressés, etc.).
Auteur : Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne
TF 9C_825/2019 du 10 août 2020
Prévoyance professionnelle; obligation d’assurance; art. 1j al. 1 let. d OPP2
Le TF a jugé que la différence de traitement introduite par l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2 trouve sa justification dans le fait que pour les personnes visées par cette disposition, le risque invalidité est déjà entièrement survenu. Elle ne contrevient dès lors pas à l’art. 8 al. 1 Cst., même dans l’hypothèse où la personne invalide à 70 % ou plus ne perçoit pas de rente de la prévoyance professionnelle.
Auteur : Guy Longchamp
Brève...
Une personne en chaise roulante qui a le choix entre plusieurs logements moins bien situés, mais mieux adaptés, doit, pour respecter son obligation de diminuer le dommage – en l’espèce les coûts d’aménagement du logement –, opter pour l’un d’entre eux, et non pour un appartement mieux situé, mais moins adapté (TF 9C_160/2020).
...et en tous temps, en tous lieux
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